Poésie ... 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 14, 15, 16, 17, 18, 19, 19a, 20, 21, 22, 23-23a, 23b, 24, 25, 26, 27, 28, 29, 30, 31, 32, 33, 34, 35, 36, 37, 37a, 38, 39 ...

Page d'accueil                                                                   Table des index
 

Poésie au jour le jour 13

(enregistré en juin 2012)

Sommaire





ÉTIQUETTE LIRAC

pour Patrice Pouperon
Les lèvres de la grappe s'ouvrent
pour délivrer le message mûri dans la bouteille
lancée sur l'océan de la vie quotidienne

L'odeur de l'ombre
Le goût du vent
 
 


CONTRE-ÉTIQUETTE

oracle de l'inventeur du vin
 

     Je suis Noé, le nouvel Adam. J'ai fait mes preuves en culture de vignes et fermentation, ce pourquoi on m'a nommé Dionysos. Je suis ivre dans mon arche. Voici la leçon que l'or liquide a fait mûrir dans les sillons de ma vieillesse : rassemblez ce qui vous est le plus cher, et entreprenez une longue marche vers l'aménagement de la Terre.

      Voici les signes que le mercure incandescent a fait germer dans les sentiers de mon après-midi : réunissez femmes et enfants et inventez-leur une harmonieuse complicité vers l'exploration de la Lune.

      J'ai fait mes preuves en architecture de voiles et périples, ce pourquoi on m'a nommé Ulysse. Je suis ivre dans mon navire Argo. Voici les visions que le chant des îles inscrit à l'horizon de mon midi : imaginez de nouveaux membres et assurez-leur une mélodieuse mobilité vers la guérison de notre Soleil.

      Voici les rêves que les soupirs inscrivent aux rivages de mon matin : distribuez soupirs, fourrures, ombres, vents et sources. Tenez les mâts, brisez les chaînes!

      J'ai fait mes preuves en aveuglement divinatoire et illuminations, ce pourquoi on m'a nommé Homère. Je suis ivre dans ma caravelle. Voici la gamme que les silences font sourire dans la nuit de ma nouvelle jeunesse : vénérez sources, chemins, vents, étoiles, ombres, humeurs, fourrures, parfums, soupirs et mères. Brûlez les mots et dans les mots!
 
 
 
 

LES MESSAGERS DU FROID
pour les Inuit


         Hommes du sud à la peau blanche si fragile qu'elle rougit et tombe en lambeaux sous le soleil, sauf si vous vous enduisez de crèmes dont vous abandonnez les tubes métalliques sur nos toundras;

        Hommes rapaces qui venez dans nos régions forer les puits de cet or noir qui alimentera pour quelque temps la fureur meurtrière et tonitruante de vos lointaines villes, transporté par bateaux et camions qui en absorbent déjà une bonne partie, et qui en laissez pourtant quelques citernes pour les motoneiges ou traîneaux mécaniques que vous nous avez apportés et avec lesquels nous nous assourdissons à balafrer le silence et la blancheur à grands fouets épineux qui sont comme le râle de notre agonie;

        Hommes encombrés encombrants qui débarquez vos grues, hangars, réservoirs, pistes d'atterrissage, entrepôts et antennes sur notre paysage, surchargés de mille objets que nous n'avions jamais vus, que nous n'aurions jamais imaginés, irrésistiblement séduisants dans les étalages de vos boutiques, que vous nous obligez à vous acheter par dur travail ou abjecte servilité, alors qu'ils nous sont pour la plupart tout à fait inutiles;

        Hommes vêtus de noir, remplis sans doute d'excellentes intentions, mais qui avez réussi à superposer à notre univers déjà si cruel malgré ses splendeurs, un autre impitoyable après la mort, hurlant de vengeances et supplices pour ceux qui ne s'inclinent pas suffisamment devant votre condamné sanguinolent sur sa croix, auquel il nous faut marmonner des prières dont l'efficacité ne nous apparaît guère;

        Hommes qui nous avez fourni comme triste consolation l'alcool et le tabac, et surtout avez fait venir des outils pour nous aider à sculpter dans la pierre tendre grise ou verte, ou encore dans les ossements des baleines rejetés par les courants sur nos rives, et graver dans des blocs polis que vous nous avez appris à imprimer avec votre encre sur votre papier;

        Voici notre monde, avec son blizzard qui vous rappellera qu'il n'y a pas si longtemps l'Europe et le territoire des Etats-Unis étaient couverts de glaciers, avec sa nuit, sa solitude, les formes adoucies de ses glaces et des roches qu'elles usent, avec la chaleur de son huile et de la lueur qu'elle diffusait autrefois dans les cabanes et les igloos, avec les animaux d'où dépendait notre vie avant votre venue : le chien, le phoque, le morse et l'ours, et qui sont encore notre principale ressource quand nous désirons maintenir quelque peu la voie de nos ancêtres, avec la fierté des chasseurs, leurs attitudes les grandissant sur les brouillards, aurores boréales et falaises, brandissant lances et harpons, poignards et couteaux, revêtus des dépouilles de leurs victimes vénérées, nos premières institutrices, avec l'endurance des femmes, les inventions de leur patience, les turbulences des enfants, avec les visions que nous faisaient partager nos sorciers : voyages et métamorphoses, agonies et résurrections, cauchemars et réconforts, auxquelles se sont mêlées celles qui ont germé en nous depuis la semence de vos propres récits que nous avons interprétés comme nous avons pu, et qui nous aident à vous résister en profondeur sous nos apparentes conversions;

        Voici le sourire que nous avons réussi à faire fleurir sur les enfers d'où nous venons, d'où vous venez, sur ceux dans lesquels vous nous avez enfermés, vous vous êtes enfermés;

        Voici la clef des champs de neige, et les brise-glaces pour franchir les passages bloqués au tournant du siècle;

        Voici les provisions de route préservées dans le congélateur du Nord pour votre innombrable caravane exaspérée dans sa traversée du désert, le théâtre des ombres au soleil de minuit.
 
 
 
 
 

TRIO VERTIGINEUX
pour Philippe Minguet
et Juri Steiner
1) LES REVENANTS

(Arnold Böcklin)

a) L'appel de la forêt

    Autrefois, au fond du jardin, de l'autre côté de la haie, commençaient les grands arbres. Des sentiers menaient jusqu'aux étangs, jusqu'aux clairières des charbonniers, jusqu'au pied des montagnes. Les chevreuils s'approchaient en dehors des saisons de chasse. Puis on a construit une autre maison, et au-delà de la première encore une autre, puis d'autres et les sentiers sont devenus des rues. Plus d'herbe, mais des pavés; plus de ruisseaux, mais des égouts. Les premiers pavillons ont été remplacés par des immeubles auxquels on a ajouté quelques années plus tard des étages supplémentaires. Au murmure du vent dans les feuilles a succédé le battement de la pluie sur les vitres, le martèlement des fers de chevaux sur la chaussée, le grincement des roues cerclées de fer, les jurons des cochers, les cris des ouvriers en colère et les sirènes de leurs usines. Les hommes sont partis pour la guerre. L'ancien jardin est devenu un fond de cour. Les fenêtres ne donnent plus que sur d'autres fenêtres, des cheminées sur les toits, la foule harassée à certaines heures. Les poutres s'écroulent, les rails se dressent; les malheureux courent en tous sens. Quand la nuit devient presque silencieuse, on perçoit la plainte des troncs qui s'effondrent.
 

b) D'un empire à l'autre

    Il y avait des villes épiscopales et des châteaux avec collections et bibliothèques, des seigneurs qui se rendaient visite en grande pompe, des alliances de famille, des jonctions d'armoiries. On consultait l'almanach de Gotha. Les musiciens avaient des protecteurs; des poètes conseillaient des princes. Cela venait de Rome, de ses arènes, de ses colonnes, de ses arcs de triomphe, mais cela avait été sanctifié par la traversée du Moyen-Age. Tout le paysage s'était animé par les chevaliers errants, les cours d'amour, les monastères et les ermites, avec la barbe de Charlemagne flottant sur les prés et les fleuves. Un coup de foudre a secoué tout cela. Des voix crient que l'empereur doit être un conquérant, que d'énormes armées doivent ratisser la terre, les canons tonner, les bannières claquer au vent des applaudissements enthousiastes, toutes les villes s'incliner devant la capitale dont le destin est de s'imposer comme la première du monde, la seule véritable avec ses avenues de caserne en caserne, d'où rayonneraient les nouvelles voies non seulement de pierre mais de fer, parcourues de messagers transportant édits, ramenant rapports, accompagnés de gendarmes à revolvers et décorations. Bientôt, sous les falbalas, c'est la horde qui remonte les siècles, pillant, hurlant. Des voiles qui nous proposent leurs services pour nous emmener vers des îles. Et si dans un pays voisin cette tentative d'un nouvel empire s'est effondrée avec fracas, on s'empresse de la reprendre au profit d'une autre métropole et d'une autre langue, tout le ciel se couvrant d'aigles de métal.
 

c) L'antiquité violente

    Dans les musées la poussière couvre lentement les statues blanches qui étaient le modèle de la tranquillité il n'y a pas si longtemps, la grande référence d'un enseignement ensommeillé. Quel refuge c'était contre les tracas du temps présent! Mais voilà qu'à travers la verrière un rayon de soleil vient rougir une joue. Les amphores et cratères vides depuis des siècles se remplissent subrepticement de vins résinés. Sur les autels brandons et cendres, ossements calcinés, jus et sangs, fumets et fumées. Dans les sarcophages rouverts des crânes perdent leurs dernières dents. Les yeux blancs noircissent et pétillent. Les plis des chitons et des toges roulent comme des vagues un jour de grande marée sur l'Atlantique. Cris de gladiateurs et de légionnaires. La foule du Colisée veut ses martyrs. Les nymphes quittent leurs pendules de porcelaine pour retrouver leurs sources dangereuses. Les naïades et néréïdes se bousculent autour des navires en perdition. Le vieux Saturne au milieu de son âge d'or se met à dévorer ses propres enfants. Un rire énorme retentit dans les galeries des glyptothèques; les gardiens lancent leurs casquettes galonnées par-dessus les lampadaires et déchirent leurs uniformes pour se laisser emporter par les flots lumineux, ténébreux, furieux et hilares d'une Méditerranée déchaînée qui submerge dallages, socles et guichets. Prométhée gémit sur le Caucase. Les empires se toisent toujours. Les colonnes tremblent; les arcades se fissurent; les reconstitutions tombent en ruines. Les statues se couchent dans les gravats; leur face devient comme un ciel sans nuages; et le soleil de la Grèce se lève avec sa lyre et ses flèches sur la dévastation qu'il bénit.
 

d) Les furies vengeresses

    Clytemnestre embrasse la tête d'Agamemnon poignardé. Judith fourre celle d'Holopherne dans son sac. Salomé apporte celle de Jean-Baptiste sur un plat. Elles parcourent avec tant d'autres les rues de la ville crépusculaire en interrogeant tous les recoins. Les gondoles sont immobiles au long des môles sous les palais semblables à des cercueils. Des hordes mécaniques chantent leurs rengaines dans les canyons des rues. Les exécutrices ont parfois leur propre épée, mais elles sont en général accompagnées d'amants martiaux qui obéissent à leur moindre signe. Elles avaient adoré leurs victimes avant les trahisons, et elles les caressent une fois morts, en repaissent encore leurs yeux. C'est d'ailleurs dans les traits de ces amours anciens qu'elles puisent l'énergie pour leur mission sanglante. Ce sont ces meurtriers qui les font meurtrières. En tuant les autres ils les ont tuées sans le vouloir, sans le savoir, mais elles ont ressuscité pour devenir leurs remords et les poursuivre inlassablement. Inépuisable contemplation de la tête aux yeux clos; l'épée doit continuer à trancher; il faut débusquer les autres coupables, tous les hommes se révélant peu à peu meurtriers de leurs épouses et de leurs enfants. Mais que vient faire ici le précurseur Jean-Baptiste ? C'était Hérode, le père de Salomé, le meurtrier par excellence, le responsable du massacre des Saints Innocents. De quelle trahison l'annonciateur prisonnier s'était-il donc rendu coupable envers la princesse qui même après sa décollation ne cesse de le couver des yeux ? Etait-ce parce qu'il requérait la ruine de l'ancien empire, qu'il ouvrait les vannes à la barbarie philistine, qu'il était le prophète de ce lointain nouvel empire d'artillerie meurtrière contre lequel doivent se mobiliser toutes les femmes ?
 

e) Le songe de saint Arnold

    La ville de Metz dans laquelle j'étais maire du palais près du roi fainéant d'Austrasie, n'est pas vraiment une ville, et ledit palais n'en est pas vraiment un; c'est plutôt une grande ferme, comme ma demeure, ce que les romains, du temps de leur empire, appelaient une « villa », contenant granges, écuries, étables, porcheries, ateliers, celliers, avec remparts de terre et de pieux, scandés de portails donnant sur les champs. Quelques herbes qui germent, montent, ouvrent des yeux, des gueules, des bras et des jambes, montrent des poitrines, exposent des gorges et des ventres. Mes fils m'aidaient beaucoup dans l'administration de nos domaines. Ils pouvaient se passer de moi. Leur mère venait de mourir et rien ne me semblait plus comme avant. Une nuit, solitaire dans mon lit, volets et rideaux fermés car il faisait froid, quelques braises encore dans l'âtre, un de mes jeunes chevaliers les plus prometteurs couché sur le seuil, j'ai cru voir mon épouse marcher dans une lueur de lune. Elle a relevé lentement son voile découvrant son crâne décharné. De ses mains de squelette elle m'a présenté un miroir, le plus clair et surtout le plus grand que j'aie jamais vu. Mais ce n'est pas mon visage que j'y ai aperçu, c'est celui de mon fils aîné Angésise qui m'a regardé longuement avant de me montrer lui-même son fils aîné, le petit Pépin d'Héristal, devenu adulte, et ainsi de suite de génération en génération jusqu'à un splendide homme barbu qui a pris la parole pour me déclarer: « Je suis le nouvel empereur de Rome qui installerai ma capitale à Aix-la-Chapelle avec une armée de héros pacifiques prêts à reconstruire les colisées, les basiliques, les jardins suspendus, capables de rouvrir les yeux de toutes les statues. » Le miroir alors s'est brisé et c'est le spectre de mon épouse qui a continué : « Tes descendants élimineront ceux du mauvais roi que tu prétends servir. Quitte donc la vie de cour et consacre-toi à l'enseignement de la religion romaine en t'efforçant de la préserver de la corruption et l'opacité. Tu seras évêque de la ville de Metz et c'est en grande partie grâce à toi que le prochain empire à voir le jour deviendra saint pour mille années, avant qu'un autre terrible d'impiété s'y substitue, qui fermera les yeux de nos forêts et fera pourrir la mer des anciens et même l'océan lointain jusqu'aux pays de glace et aux îles de feu. » Au matin, ouvrant la fenêtre, j'ai vu galoper un centaure qui m'a crié, se retournant dans sa fuite éperdue : « Adieu pour mille ans. Un peintre de ton nom réveillera mes courses, et je reprendrai mon enseignement. » Je ne sors plus que rarement de ma cathédrale ou de l'étude où sont les livres que je fais recopier par de jeunes clercs.
 

2) LES SURVIVANTS

(Giorgio de Chirico)
 

a) Les villes abandonnées

    Il n'y a plus personne. Pourtant tout est resté debout. C'est un peu comme au petit matin, juste avant que les travailleurs sortent de leurs logis, tandis que dorment encore profondément non seulement les bourgeois mais la plupart des artisans. Les premiers pavillons ont été remplacés par des immeubles auxquels on a ajouté quelques années plus tard plusieurs étages et encore plusieurs. Mais le sentiment de solitude est tel aujourd'hui que personne ne doit plus dormir dans les chambres derrière les façades. Les hommes sont partis pour la guerre. Les femmes et les enfants ont dû se réfugier dans des mines ou des forêts lointaines devant l'approche des combats. Le feu se mêlait à la pluie. Pas trace de bombardement pourtant. Ni brèches, ni gravats. Les rues n'ont jamais été aussi propres. C'est que la menace, dans nos guerres modernes, ce n'est pas seulement l'artillerie avec ses obus, ni même la toute jeune aviation avec ses bombes explosives ou incendiaires, mais quelque chose de bien plus subtil : les gaz qui envahissent sans le moindre bruit, nappes incolores et inodores qui montent sournoisement et provoquent des ricanements ou des larmes, des irritations, des étouffements, l'asphyxie, la folie parfois, la mort presque toujours.

    Il n'y a plus personne. Il reste les statues sur les places : Ariane dormant épuisée par l'effort qu'elle a dû fournir pour aider le bel étranger Thésée à s'évader du labyrinthe après qu'il eût tué son frère monstrueux le Minotaure dont il lui avait apporté la tête sur un plateau, épuisée pour avoir veillé tant de nuits pour l'empêcher de la trahir avec sa soeur Phèdre, toutes deux ayant si abominablement trahi leur père Minos. Ses cheveux ruissellent jusqu'à l'écume. Ariane abandonnée rêve à la venue du jeune Dionysos avec son cortège de silènes, bacchantes, léopards, thyrses, pampres, amphores et cratères débordants, cette venue qui tarde tant.
 

b) Le chant du départ

    La ville est devenue labyrinthe. Un vieillard solitaire un peu voûté considère la place qu'il connaissait si bien avec ses tours et ses arcades, maintenant méconnaissable parce que toutes les inscriptions se sont effacées. Un coup de foudre a secoué tout cela. Autour des feux les tissus glissent en moirures, se frottent en veines et plumes. Même l'horloge n'a plus de chiffres; elle se tait sur l'heure comme si le temps s'était arrêté. Les rues n'ont jamais été aussi propres. Pourtant, s'il n'y a plus ni chevaux pour tirer calèches, omnibus ou roulottes, ni récentes automobiles avec leurs volants et capots, les trains passent encore et font pause à la gare, sans que personne en descende, comme si les quais étaient désormais interdits, maudits, mais pour attendre les fugitifs, un dernier enfant perdu, un dernier ermite qui ne laisseront derrière eux que leurs ombres.

    La ville est devenue labyrinthe. Il y a pourtant une voile (est-elle blanche ou noire ?) qui nous propose de nous emmener vers des îles, Délos avec ses monuments chorégiques, Rhodes et les palais de ses chevaliers, la Crète avec Cnossos restauré par Evans, ses rois parmi les lys, ses taureaux et chanteurs, vers d'autres continents peut-être, l'Asie, la ville de Troie vengée, ressuscitée où Andromaque accueillerait Hector victorieux d'Achille, l'Afrique, les portraits du Fayoum, les mosquées et les bains, les rois numides, les hypogées, l'Amérique avec ses pyramides, pierres à douze côtés, escaliers mécaniques, gratte-ciel et abattoirs.
 

c) L'architecte aveugle

    Dans mon atelier déserté, je peuple les maisons projetées qui n'ont pour l'instant aucune chance d'être réalisées, avec ces mannequins qui servent aux peintres pour étudier mouvements et draperies. Ils sont insensibles à la vieillesse, mais non à la poussière. Virus et bactéries ne peuvent rien contre eux; par contre ils sont à la merci des termites et des vers. Je les dispose sur des fauteuils miniatures dans des salons dont il n'existe que les plans, les installe à des fenêtres imaginaires donnant sur des places, des colonnades, des gares et des ports, Rhodes et les palais de ses chevaliers, la Crète avec Cnossos restauré par Evans; j'imagine leurs conversations d'avant-guerre : les affaires, les villégiatures, les soirées mondaines. Je les couche dans des lits. Je les caresse; je polis tellement leurs visages avec mes pouces que leurs nez s'enfoncent dans le bois et bientôt les sourcils aussi. Prométhée gémit sur le Caucase.

    Dans mon atelier déserté les yeux des mannequins ne se ferment pas mais blanchissent comme ceux des statues antiques décolorées que l'on voit dans nos galeries et jardins publics. Plus de pupilles, plus de paupières. Leur face devient comme un ciel sans nuages; et quand je passe mes mains sur ma propre tête je la sens devenir lisse aussi. Je vois encore, mais les détails disparaissent. Une résine goudronnée coule sur tout cela. Je suis inondé à la fois de lumière et de nuit. Incapable désormais de dessiner, je fabrique à tâtons des monuments funéraires avec mes règles, tés, compas, pistolets. Ce sont comme des bouquets de grues, mémorial au bâtisseur inconnu.
 

d) Les canaux ligneux

    Le fleuve se ramifie depuis son embouchure en nombreux affluents, sous-affluents, ruisseaux, jusqu'à des torrents de montagne. La sève descend de toutes ces brindilles et branches jusqu'à la mer où le tronc majestueux s'enracine en deltas et courants. Le fleuve est la coupe d'un arbre effectuée par le sol et la surface des eaux. Si la circulation continue son ralentissement, les navires seront pris comme dans la glace ou la colle. On peut déjà marcher d'un embarcadère à un autre en prenant toutes sortes de précautions, en surveillant les rides et nervures afin d'éviter les pièges qui vous engloutiraient comme de visqueux sables mouvants. Ce qui risque de manquer maintenant, c'est l'eau véritable, salée ou douce, celle qui nous désaltérait autrefois, qui nous lavait, dans laquelle on se baignait, qui tombait du ciel ou jaillissait en geysers.

    Le fleuve se ramifie depuis son embouchure. Les promeneurs de bois regardent dans les vitrines des hommes et femmes de cuir et céramique vêtus d'oripeaux comme ces épouvantails que l'on dressait sur les champs pour les protéger des oiseaux, quand il y avait des champs et des oiseaux. Virus et bactéries ne peuvent rien contre eux. Filer jusqu'au port, traverser la mer, apprivoiser d'autres machines, étudier d'autres mannequins dans les vitrines. Inépuisable contemplation de la tête aux yeux clos. On n'entend plus désormais que les soupirs des ponts. Les gondoles sont immobiles au long des môles sous les palais semblables à des cercueils. Les dragons de leurs proues s'envolent soudain lourdement à la stupéfaction des gardiens de la Venise des morts.
 

e) Le combat de saint Georges

    Ariane est enchaînée au rocher. Ou est-ce Andromède ? Ou est-ce Angélique ? Ses cheveux ruissellent jusqu'à l'écume. Ou est-ce la bave ? Ou est-ce la mitraille ? Les promeneurs de bois regardent dans les vitrines les chevaux de la délivrance : Pégase, hippogriffe ou monoplace, venus de la mer ou du sang de Méduse, venus de l'ingéniosité des artisans de l'Orient ou du Nord. Si nous laissions le dragon la dévorer, les dévorer, nous nous retrouverions juste avant la guerre qui recommencerait en des cercles impitoyables. Ce sont les propres ailes du dragon dont nous avons besoin pour le vaincre; ce sont ses propres griffes dont nous devons armer nos lances. Il faudrait l'avoir déjà vaincu pour le vaincre; et pendant ce temps, la beauté perdue, la douceur de vivre appelle à l'aide.

    Ariane est enchaînée au rocher. Il faut découvrir le dragon en nous, le capter dans notre miroir, dans son miroir, le plus clair et surtout le plus grand que j'aie jamais vu, prendre à la gorge ce mannequin pour qu'il saigne autre chose que de la sciure, lui arracher toutes ses dents pour les semer en terre et qu'il en germe une armée de héros pacifiques prêts à reconstruire les colisées, les basiliques, les jardins suspendus près d'observatoires qui cataloguent de nouvelles étoiles, capables de rouvrir les yeux de toutes les statues. Mais que restera-t-il du pauvre Georges après son combat silencieux ? La merveilleuse exposée délivrée, rendue à l'après-guerre, au labyrinthe d'Eden, jettera-t-elle même un regard sur ce qui restera de son sauveur ?
 
 

3) LES TRAVERSANTS

(Max Ernst)
 

a) Les somnambules

    Notre jeunesse a été enfermée dans la boue. Le feu qui tombait se mêlait à la pluie. Les femmes et les enfants ont dû se réfugier dans des mines ou des forêts lointaines devant l'approche des combats. Des bombes explosaient çà et là, creusant des cratères vite remplis d'eau et de sang, et déchirant les dérisoires clôtures de fil de fer barbelé complétées aux lieux les plus sensibles par ces épouvantails qu'on appelait chevaux de frise, ouvrant des gueules, des bras et des jambes, exposant des gorges et des ventres.

    Notre jeunesse a été enfermée dans la boue noire. En bordure du désert, autrefois, des sentiers menaient jusqu'aux étangs, jusqu'aux clairières au pied des montagnes. Dans la boue les nouvelles suintaient le long des câbles et des ondes. Nous avions des casques de métal, mais pas de cuirasses, seulement d'épaisses casaques souillées d'argile que les rares rayons du soleil ou les fourneaux de nos cuisines, même de nos pipes, faisaient cuire comme des briques. Lorsqu'on nous arrachait un bras, c'était de l'huile purulente qui sortait de la blessure, avec des ressorts, des charnières, des tiges.

    Notre jeunesse a été enfermée dans la boue sanglante. Tout a désespérément recommencé. Il n'y avait presque plus de différence entre notre doigt et la gâchette de la mitrailleuse qu'il pressait; et nous aurions bien voulu qu'il n'y en eût plus du tout. Chaque jour nous assistions au massacre des innocents. Les poutres s'écroulaient, les rails se dressaient, les malheureux couraient en tous sens. Les généraux tournaient comme des toupies, et ce qui restait de l'empereur était une cage de sottise qui organisait des concours de soldats de plomb parmi des usines éventrées.
 

b) La femme sans ou cent têtes

    Elles défilent : infirmières, policières, ouvrières. Elles portent des têtes dans des sacs ou sur des plats mais ce ne sont plus celles de leurs anciens amants devenus maris tyranniques; ce sont les leurs tranchées avec chevelures de serpents ou de flammes. Sur leurs épaules, telles des déesses de l'ancienne Egypte, elles arborent mufles de lionnes, cols de cygnes, museaux de biches, et font ainsi tourner les têtes de leurs compagnons minotaures, griffons, basilics. Le zoo de Vincennes envahit les lambris, les jardins d'hiver, les ventes de charité. Un ermite regarde d'anciens dieux qui lui apportent chacun leur talisman.

    Elles défilent : impitoyables policières, infatigables ouvrières, jardinières nomades. Notre jeunesse a été enfermée dans la boue brûlante. Bientôt, sous les falbalas et les fracs, c'est la horde qui remonte les siècles, pillant, violant, hurlant, un corps multiple surmonté de cornes, becs, crêtes, mandibules. Nous avions des casques de métal, mais pas de cuirasses. Cela venait de Rome, de ses arènes, de ses colonnes, de ses arcs de triomphe. Des voix criaient que l'empereur devait être un conquérant, que les canons devaient tonner. Comment camper dans ces gravats ? Comment se terrer dans ces ruines ?

    Elles défilent : ouvrières harassées, jardinières malades, duchesses ruinées. En bordure du désert les trains passent encore et font pause à la gare, sans que personne en descende, comme si les quais étaient désormais maudits. Autour des feux les tissus glissent les uns sur les autres, se frôlent en moirures, se frottent en veines et plumes. Les centauresses fiancées du vent cavalcadent parmi les fumées des entrepôts de pétrole et les gazomètres déchiquetés.
 

c) La forêt pétrifiée

    Les grues au milieu des ruines élèvent des tiges de fer. On coule des colonnes de béton. Des poutres s'entrecroisent d'un étage à l'autre, sur lesquelles s'accrochent des lames de parquet, des plaques de plâtre, des lambeaux de papier-tenture, des lustres, des tableaux, des pianos, des bouquets de fleurs. Elles défilent : infirmières sanglantes, policières dévêtues, duchesses branlantes. Une résine goudronnée coule sur tout cela. Des grillages répandent leurs hexagones telles des cellules dans des ruches. Termitières et fourmilières sous des nids de guêpes devant le halo du soleil noir qui monte sur la ville entière dont toutes les fenêtres brillent au crépuscule.

    Les grues au milieu des ruines fumantes élèvent des tiges de fer. Elles défilent : tendres infirmières, jardinières blessées, duchesses borgnes. J'ai beau avoir mis mon masque de fauve ou d'aigle, je ne parviens plus à trouver mon chemin parmi ces troncs, ces rocs, ces cascades, ces ascenseurs, ces lianes administratives, ces terriers pour chemins de fer métropolitains, ces hôpitaux remplis de rats et de courtilières, ces halles où s'engouffre la bise puante avec ses chauves-souris. Lorsqu'on nous arrache un bras, c'est de l'huile purulente qui sort de la blessure. Les empires hérissés se toisent toujours. On sait désormais qu'on est entre deux guerres. La foule du Colisée veut ses martyrs. Les yeux ne se ferment pas mais blanchissent comme ceux des statues antiques décolorées que l'on admire dans nos galeries et jardins publics.

    Les grues au milieu des ruines élèvent des tiges de fer incandescent. Notre jeunesse a été enfermée dans la boue dégoulinante. L'ange du foyer s'échappe de la cuisine familiale pour piétiner les cendres des nuits de cristal de sa danse d'extermination. L'orgue des quartiers pauvres gronde dans les préliminaires de la tuerie. Les charbonniers depuis longtemps ne sont plus les maîtres chez eux. Les postes de radio égrènent leurs slogans. Les sirènes ont perdu leurs queues et leurs ailes pour hurler à tous vents l'alerte et l'horreur.
 

d) L'Europe après la pluie

    Tout a recommencé. Des hordes mécaniques chantaient de nouveau leurs rengaines dans les canyons des rues. Les techniques de la mort s'étaient raffinées : chars plus rapides, faux multipliées, vaisseaux expulsant leurs oeufs de ténèbres. Il a fallu abandonner les futaies des villes vrombissantes, filer jusqu'au port saccagé, traverser la mer, aborder d'autres forêts pétrifiées, étudier d'autres mannequins dans les vitrines, en robes de mariées, manteaux de fourrure, dessous élastiques. Duchesses dévêtues, policières désarmées, ouvrières délicieuses, elles portaient leurs propres têtes dans des sacs ou sur des plats avec leurs chevelures de serpents ou de flammes.

    Tout a recommencé comme avant, pire qu'avant. Les grues au milieu des ruines sifflantes élèvent des tiges de fer. Encore des aigles impériales, des arcs de triomphe, des obélisques et coupoles. J'ai beau avoir mis mon masque, je ne parviens plus à trouver mon chemin parmi ces troncs, ces rocs, ces ascenseurs. Inépuisable contemplation de la tête oracle aux yeux clos; l'épée doit continuer; il faut débusquer les autres coupables. Les nouvelles suintent le long des câbles et des ondes depuis le continent perdu d'où sont venues les statues, orgueil des musées, les tableaux impressionnistes ou de la renaissance italienne. On sait que là-bas c'est le couvre-feu, que les flammes lèchent les inscriptions des mausolées. Ce qui risque de nous manquer maintenant, c'est l'eau qui tombait autrefois du ciel ou jaillissait en geysers.

    Tout a recommencé, mais à grande vitesse. Elles défilent : policières hilares, ouvrières décharnées, duchesses aveugles. Il a fallu chercher le sentiment de la paix et d'une vie sauvage mais lumineuse dans les déserts des hauts plateaux avec leurs colonnes d'agate, les échos de leurs horizons avec cônes volcaniques, ravins et arches. Puis le retour et de nouveau les grues au milieu des ruines élevant des tiges de fer, les hordes de vautours pillant les gravats et chantiers.
 

e) La tentation de saint Max

    En bordure du désert quelques palmiers, quelques colonnes, quelques voiles sur le Nil, quelques paysans derrière leurs ânes. Termitières et fourmilières sous des nids de guêpes devant le halo du soleil noir. Quelques herbes qui germent, montent, ouvrent des yeux, des gueules, des bras et des jambes, montrent des poitrines, exposent des gorges et des ventres. L'ermite s'enfonce dans sa peinture.

    En bordure du désert illuminé, tout a recommencé mais à l'envers. Près d'observatoires qui cataloguent de nouvelles planètes, nouvelles étoiles et galaxies, l'ermite accueille d'anciens dieux qui lui apportent chacun leur talisman : scarabée, roseau, papyrus, silex, écaille. Près de laboratoires qui étudient cristaux, équations, virus, bactéries, protozoaires, coquillages, méduses, insectes, reptiles, dinosaures, oiseaux-mouches, fauves et humains, l'ermite contemple grappes, épis, soufre et phosphore, mercure et verre. Près d'ateliers où d'autres silencieux élèvent sculptures et gravures, près de bibliothèques où se multiplient les livres libérateurs ou mortels, il écoute le chant des bédouins et les hurlements des chacals.

    En bordure du désert souillé, les grues au milieu des ruines ensablées élèvent des tiges de fer. Quand vient le soir, l'ermite se laisse emporter par un centaure vers la montagne du sabbat dans son Allemagne natale où l'accueillent Arnold et Georges qui lui disent : vrille-toi en notre compagnie dans la forêt des astres en abandonnant les siècles de ces labyrinthes que nous avons tant aimés mais où nous avons tant souffert ! Les techniques de la mort se sont raffinées encore : chars multipliés, vaisseaux plus rapides expulsant leurs larves de ténèbres. Alors un centaure leur crie en se retournant dans sa triple fugue : la forêt perdue, la douceur des villes vous appellent à l'aide. Salut pour mille ans !
 
 
 
 
 

LE SOIR SUR LA PLAGE À HENDAYE
pour Anne Walker
 

Après frénésie
de bains et de jeux
toutes les familles
replient leur fatras
pour rentrer chez elles

Quelques solitaires
marchent dans les vagues
les oiseaux reviennent
fouiller dans le sable
reliefs des repas

Des traces d'avions
sur les flots du ciel
parmi des récifs
de braise et de vins
fouettés par la brise

Plumes de flamants
poudre de corail
éclats de rubis
adieux de grenats
lèvres de la nuit

Une vieille femme
grogne entre ses dents
une phrase en basque
avant de filer
vers la vieille ville

Hortensias rouillés
teintures de cuivre
sur fond d'indigo
rosiers magnolias
souvenirs d'érables

Glaces de lavande
murmures de mûres
alanguissements
couples à l'essai
aveux incomplets

Sillages d'encens
voile entre deux eaux
une bouffée d'iode
la claque du large
la boucle d'une algue

Degrés d'horizons
terrasse de nuages
sentiers d'émotions
bougainvilléas
détours de patience

Il y a longtemps
j'ai vécu ici
tout s'est transformé
tout s'est conservé
par-delà l'oubli

Derniers cerfs-volants
derniers voltigeurs
sur chevaux marins
rentrant au pacage
dans les profondeurs

Derniers beuglements
des automobiles
derniers battements
d'écume et de cendres
tout est apaisé
 
 
 
 

LE MOULIN DU SANG
pour Arthur Aeschbacher

 
Entre deux accès de fureur
éruptions tremblements de terre
les dieux nous ont au moins donné
le grain merveilleux pour emplir
de boyaux de nerfs et de muscles
les sacs de peau que nous serions
s'ils ne nous avaient pas trouvé
certaine utilité pour eux

Nous leur fournissons la boisson
qui les enivre en leurs festins
quand ils s'invitent fastueux
aux sommets de leurs pyramides
pour célébrer naissance ou noces
plus on est de dieux plus on rit
dans l'apaisement du sommeil
ils nous font partager leurs songes

Nous sommes le raisin des dieux
lorsque nous broyons le maïs
c'est nous-mêmes que nous pressons
nous exorcisons notre sort
et quand nous pétrissons la pâte
c'est l'ameublissement du sol
où nous enfonçons nos racines
pour gonfler nos yeux et nos grappes

La farine fermentera
dans l'alambic de notre corps
et nous monterons en dansant
brisant la flûte de nos tiges
pour servir aux astres sauvés
si fragiles dans leur splendeur
en échansons divinisés
le ruissellement de nos jours
 
 
 
 
 

LES PLUMES DU LAC
pour Pierre Caran

 
Dans la corolle des montagnes
les brouillards matinaux se lèvent
sur les miroirs de la rosée
où le carnaval des oiseaux
cygnes mouettes et voiliers
comme étamines et pistils
s'ébroue pour tenter de gravir
les flots des cimes renversées

Dans l'écart des lampes sereines
les brouillons vespéraux s'agitent
sur l'éclaboussement des pages
où le débordement des phrases
échangeurs et débarcadères
parmi vignobles et vergers
se canalise pour franchir
les écluses de l'interdit
 
 
 
 

LES SEPT CADRANS
au dix-millionième de seconde
pour Patrice Pouperon

 
1

LONDRES * BRUXELLES * OSLO

Qu'en sais-je ?

Le balancier de la lune
animant le cadran solaire
l'hiver de Mars
tempérant l'été de Vénus
au jardin céleste

Qu'y puis-je ?

Ce sont les litanies du miel
le miel est l'ambre des forêts
le miel est le cristal des fleurs
le miel est blond comme les femmes
il est l'onguent de nos misères
procure-nous rayons de miel
je t'aimerai toute ma vie

IAROSLAV * FRANCFORT * XIAN

Le monde révèle à mon âme
l'énergie de sa création
sont-ils tracés par main divine
ces caractères qui dévoilent
les mystères de la Nature
lève-toi et va te baigner
parmi les caresses d'aurore

ATHENES * FLORENCE * VALPARAISO

Coeur doré de céleste rose
s'épanouissant en parfum
vers un printemps naissant toujours
si ton début déjà recueille
tant de flambeaux que de splendeurs
mûriront aux pointes ultimes

QUIMPER * GUERNESEY * GASPÉ

JOURNÉE
HEURE
 

un à un noir sur blanc
pas à pas mot à mot
peu à peu ligne à ligne
point par point mot pour mot
proche en proche tête à tête
grain par grain seul à seule

regarder
MINUTE
tendrement

terre à terre nez à nez
brin par brin cil à cil
pied à pied nu à nue
coude à coude corps à corps
loin en loin coup par coup
d'heure en heure plus en plus

SECONDE
INSTANT

Tout cherche tout sans trêve ou cesse
la fange vers le ciel se dresse
l'arbre faune ardent et les astres
sont remplis d'immenses soupirs
 

2

DUBLIN * LONDRES * BRUXELLES

Dans une imprimerie d'enfer
j'ai appris par quelles méthodes
sont transmises les connaissances
des lions de feu rageant autour
fondent les métaux en rosée
puis leur donnent forme de livres
qu'ils rangent en bibliothèques

Qui se souvient ?

La vague du matin
mord sur la plage de la nuit
la vague du soir
caresse la dune du jour

Qui prévoit ?

OULAN-BATOR * IAROSLAV * FRANCFORT

L'oiseau phénix en mon empire
se tresse un nid dans la nuit noire
et l'embrase et s'y brûle aussi
le fleuve Eden en mon empire
baigne la pierre impératrice

KHARTOUM * ATHENES * FLORENCE

Les humains étaient des aveugles
jusqu'au jour où nous leur apprîmes
la science du parcours des astres
nous mîmes des ailes de toile
aux navires pour explorer
et pour prix de nos découvertes
les jaloux nous ont enchaînés

SEMAINE
MOIS

bord sur bord porte à porte
vague à vague vis à vis
blanc sur blanc gré à gré
clair-obscur tac au tac
découpure bouche à bouche
éclairage tête à queue

découvrir
ANNÉE
calmement

projection volte-face
délivrance ventre à terre
alternance nuit sans nuit
drôlerie goutte à goutte
tragédie coeur à coeur
fantaisie lueur sur lueur

SIECLE
MILLÉNAIRE

MEXICO * SALAMANQUE * NEW BEDFORD

Boîteux ont laissé leurs béquilles
cadavres ont quitté leurs suaires
tous ressuscités sains et libres
dans le temps des miséricordes
 

3

BRUXELLES * OSLO * HELSINKI

Tout en bas le serpent se love
tordant sa queue autour du monde
les géants tentent l'escalade
par l'arc-en-ciel qui tombe en ruines
l'océan recouvre la terre
plus de soleil étoiles pleuvent

HONOLULU * PATMOS * DJAKARTA

D'où viens-tu ?

La ligne de changement de date
la ligne de partage des eaux
la ligne de la marée sur le sable

Où vas-tu ?

Les douze portes de la ville
chacune formée d'une perle
restent toujours grandes ouvertes
car il n'y aura plus de nuit
sur les places d'or transparent
les fantômes des anciens temples
sourient aux nations lumineuses
qui font circuler leurs trésors

BÉNARES * ISPAHAN * ZIMBABWE

SILENCES
ABSENCES

équilibre aidez-moi
balancier aimez-moi
contrepoids prenez-moi
équité pressez-moi
charité lèchez-moi
abondance lavez-moi

deviner
ERRANCES
doucement

majesté serrez-moi
ridicule baisez-moi
invention brûlez-moi
solution bercez-moi
prophétie comblez-moi
guérison laissez-moi

SOMNOLENCES
NAISSANCES
 

Sans toi délices de mon âme
l'univers entier ne m'est rien
tu fais fleurir tous mes déserts
planant au-dessus des étoiles
tu brilles mieux que le soleil
tu changes le monde en caresse

VANCOUVER * QUIMPER * GUERNESEY

Douze signes pour douze mois
l'avant-dernier le sagittaire
décoche sa flèche le sang
coule en ruisseaux la trompe sonne
feu et tonnerre pluie et vent
rien plus rien plus d'autre série
 

4

ANCHORAGE * THULÉ * DUBLIN

Si vous saviez ô étrangers
l'épouvante que quelquefois
nous sentons vous comprendriez
pourquoi nous aimons les festins
les chants la musique et la danse

FRANCFORT * XIAN * KYOTO

Semble un corps mais n'en suis pas un
le jour et le feu me révèlent
je me dissous dans les ténèbres
et le monde alors me découvre
le fourmillement de sa vie

Quelle heure est-il ?

Les ombres s'allongent
ou se rétractent
selon la position du soleil
celle des fenêtres
ou des projecteurs

Quel temps fait-il ?

AGITATIONS
MÉCHANCETÉS

colonnades bleu de lin
galeries jaune d'or
perspectives noir d'ivoire
obélisques écarlate
escaliers outremer
pyramides émeraude

désirer
NOIRCEURS
savamment

labyrinthes vermillon
mausolées bleu de prusse
souterrains vert anglais
minarets amarante
gratte-ciel mordoré
colisées blanc de neige

FIEVRES
APPROCHES

ZIMBABWE * KHARTOUM * ATHENES

Quand le garçon commence à battre
le tambour la maison commence
à se balancer lorsqu'il bat
et chante de toute sa force
la maison bondit dans les airs
au coeur de la rose des voix

SALAMANQUE * NEW BEDFORD * VANCOUVER

Bien que la blancheur soit symbole
d'un pouvoir miséricordieux
et que les robes des amants
soient blanches comme vierge laine
il rôde au fond de la blancheur
sans trêve cesse ni repos
un principe élusif qui frappe
l'âme d'une terreur panique
 

5

THULÉ * DUBLIN * LONDRES

Dans une imprimerie d'enfer
nous publierons nos déchéances
serpents mordant nos propres queues
au milieu des lamentations

XIAN * KYOTO * HONOLULU

AUBE
AURORE

roseraies bleu lavande
espaliers vert de gris
frondaisons orangé
solitudes blanc nacré
carrefours ocre jaune
pépinières noir de poix
 

caresser
ÉMERGENCES
librement

palmeraies incarnat
pergolas purpurin
palissades acajou
miroirs d'eau citron vert
pavillons indigo
mosaïques anthracite

ASSURANCES
SAVEURS

Toute l'énergie des phénix
dans l'empire calligraphié
conflue aux perles de la ville
qui fleurissent les douze portes
quand l'impermanence nous mène
à quitter ce palais céleste
pour aller visiter les hommes

ALICE SPRINGS * BÉNARES * ISPAHAN

Qui es-tu ?

Les tressautements
de l'aiguille des secondes
accélèrent les battements
de notre coeur troublé

Que me veux-tu ?

Auprès d'une femme qui chante
rouge noire blanche s'étend
un mâle chanteur lui aussi
qui jouit d'elle en chantant toujours
et leur tresse un nid dans la nuit
plus petit et plus grand que tout
leurs deux corps sont d'or transparent
arbre faune jouissant du ciel

CUZCO * MEXICO * SALAMANQUE

Il y a très longtemps les dieux
s'étant réunis demandèrent
qui doit gouverner les humains
car ceux-ci font tout à l'envers
qui doit leur servir de soleil
sans qui délices de nos âmes
le monde entier ne nous est rien
mais lorsque naquit ce soleil
les dieux se sentirent mourir
 

6

OSLO * HELSINKI * MOURMANSK

Connaissance cristal des fleurs
miel transmis des générations
dans les profondeurs le serpent
se love parmi l'épouvante
par l'arc-en-ciel qui tombe en ruines
les géants de glace reviennent
apportant une lueur de miel
qui les embrase et les embrasse
le feu étant comme les femmes
vous comprendrez ô étrangers
que l'impermanence nous fasse
incendier les palais célestes

FRAICHEURS
COULEURS

écritures préhistoire
caractères égyptien
paragraphes archaïque
mise en pages hellénique
impressions impérial
citations byzantin

embrasser
ÉCLATS
largement

traductions médiéval
parodies flamboyant
transcriptions renaissance
résumés maniériste
commentaires dix-septième
signatures rococo

PARFUMS
SENTEURS

PATMOS * DJAKARTA * NOUMÉA

Toutes les portes sont ouvertes
tous les navires ont des ailes
les caractères nous dévoilent
les forces vives de Nature
au plein jour nous nous étendons
auprès d'une femme qui chante
rouge blanche noire et dorée

ISPAHAN * ZIMBABWE * KHARTOUM

Dans le printemps naissant toujours
je leur ai enseigné la science
des trajectoires des maisons
aussi quand le garçon commence
à battre le tambour les astres
commencent à se balancer
entraînant les déserts du ciel

Que me dis-tu ?

Dans un autre endroit
les villes des points cardinaux
se distribueraient autrement
chanteraient d'autres strophes

Que t'en dirais-je ?

NEW BEDFORD * VANCOUVER * QUIMPER

La mer est un immense fleuve
qui ruisselle vers le Nord-Ouest
où s'ouvre parmi les béquilles
que les boîteux ont déposées
l'entrée du monde souterrain
des morts lorsque la marée baisse
dans le crépuscule des lunes
se ferme quand elle remonte
les signes décochant leurs traits
 

7

HELSINKI * MOURMANSK * ANCHORAGE

RUMEURS
NUANCES

un sur deux romantique
trois sur quatre refusés
cinq à sept mil neuf cent
dix sur dix modern style
douze à treize avant-garde
quatre-vingts arts-déco

déborder
CHALEURS
ardemment

cent pour cent surréel
mille fleurs minimal
arc-en-ciel conceptuel
nuancier fin de siècle
catalogue voyageur
éventail précurseur

AROMES
SURSAUTS

Si nous aimons festins et danses
qui gouvernent notre univers
festins mâles danses femelles
dans les blancheurs de nos ténèbres
multiplions les jouissances
dans les battements de nos voix
en remontant fleuves immenses
pour renaître au séjour des dieux

KYOTO * HONOLULU * PATMOS

Au beau milieu de notre empire
les métaux fondent en ivresse
les laves chantent sur les champs
les temples changés en navires
avec ces ailes transparentes
filent sur océans de miel
pour capter l'esprit du tonnerre
fils du soleil de pluie et vent
tous ressuscités sains et libres

VALPARAISO * ALICE SPRINGS * BÉNARES

Lève-toi et va te baigner
dans le miel onguent des misères
si tes débuts déjà recueillent
tant de flambeaux que de désirs
mûriront à tes arbres faunes
dans les antres pleins de soupirs
gravitant plus haut que les roses
suaires que dépouillent les morts
que de splendeurs vous mûrirez
si le garçon bat assez fort
quand les maisons s'élèveront
vers le temps des dieux repentants

NOUMÉA * CUZCO * MEXICO

Que reste-t-il ?

Le temps qui passe
froisse la surface de la Terre
au fil de nos voyages
tel un drap de lit
lors de nos songes

Que se trame-t-il ?

La fange veut marquer le blanc
parmi les douze aveugles signes
car sous la royauté du blanc
les yeux et les mains sont en guerre
le son coule à feu et à sang
le choeur des lions descend du ciel
en vêtements de blancs soupirs
dans les antres des océans
qu'envahit la marée des flammes
procurez-nous rayons de miel
pour rendre nos corps transparents
dans les ténèbres de blancheur
s'épanouissant en parfums
dans la perle des nuits sans nuits
sans trêve cesse ni repos
festins battements chants et danses
le bondissement des maisons
 
 
 
 
 

L'ARCHE DE LA VISITATION
pour Pierre Caran

 
Comme j'ai déjà réalisé de nombreux livres avec des artistes plus ou moins fameux, d'autres viennent me montrer ce qu'ils font, me proposent des projets.

La rencontre se fait chaque fois différemment : lettre, vernissage, éditeur, atelier d'un collègue, repas, brouhaha d'après-lecture, etc.

Parfois cela me donne des idées; la machine mentale se remet en marche; je rajeunis. Je me dis : "avec ce genre de choses je pourrais mettre telle sorte de texte, aller dans telle direction". Pendant quelques instants au moins, cela semble clair; c'est un signal qui clignote dans la forêt. Cela m'invite et même me convoque. Je ne puis m'y dérober.

Mais le temps passe; il y a toujours un délai. Le sentier aperçu s'encombre de ronces et je suis perdu, je ne distingue plus rien jusqu'à ce que cela revienne enfin d'une façon souvent tout autre, avec détours inattendus qui me découvrent des terres ignorées. Quel soulagement! Quelle reconnaissance!

Souvent ce n'est qu'un épisode. Les deux chemins se sont croisés. On érige une sorte de stèle pour marquer l'événement. Puis chacun va de son côté. On se revoit à l'occasion.

Mais parfois c'est un véritable filon qu'on a repéré, qu'il faut approfondir, qu'on ne peut quitter. Les oeuvres s'enchaînent. Les relations deviennent quasi-familiales. Tout y passe. Tout y parle. Tout se regarde et nous regarde.

Passager semi-clandestin admis par l'équipage à participer aux manoeuvres, tous m'enseignent leur pertinence. C'est le compagnonnage héroïque maintenant son cap en dépit des vagues de pollution, ouragans boursiers, marchés aux esclaves esthétiques, proliférations, éruptions et protubérances de tentations sordides et discours brillants, vestes retournées, triples jeux, trafics d'armes, poisons et virus.

C'est la galère de Noé préservant les espèces menacées dont la nôtre. C'est le navire Argo longeant les côtes de Colchide, ou les caravelles tombant sur les Antilles sans même s'en apercevoir dans leur recherche du Cathay.

Merci, marins fidèles, chacun dans sa hune ou sa soute, généreux géomètres sur l'horizon des pages, venant de partout, vous rendant partout, nous sauvant partout...
 
 
 
 


CHANT DES PTOLÉMÉES

pour Constantin Xénakis

 
Ptolémée, c'est-à-dire belliqueux, premier pharaon de ce nom, distingué par l'épithète "soter", le Sauveur, l'époux de ma mère s'appelait Lagos, le meneur, mais on dit qu'elle était la maîtresse de Philippe, le cavalier, et que donc je serais non seulement un capitaine mais le demi-frère d'Alexandre, le protecteur, j'ai aménagé mon palais dans la ville qu'il avait fondée; j'y ai construit la bibliothèque et le musée.

Roulant depuis très loin dans le sud, formée dans des temples déjà millénaires, une voix accueille le nouveau venu :
Sauveur, sauveur de qui, seras-tu mon sauveur ?
Je puis te faire durer dans ma demeure et accomplir des miracles pour toi.
Je puis te donner la force de vaincre tous les pays.
Je puis montrer ta gloire et inspirer ta terreur à tous les pays jusqu'aux piliers du ciel.

Fils du Sauveur, Belliqueux 2 dit "philadelphe", le Fraternel, j'ai en effet fait assassiner deux de mes frères. Deux autres ont été rois de Macédoine, notre pays d'origine, et le dernier "magas", le Pétrisseur, est devenu le beau-père de mon fils aîné. J'ai construit le phare et encouragé la traduction de la Bible en grec par les Septante. Après avoir épousé une première Arsinoé, j'ai repris la coutume des pharaons en épousant ma propre soeur Arsinoé 2.

Veux-tu que j'enchaîne les méridionaux dans leurs cavernes par mille et dix mille, ceux du nord par cent mille ?
Que je fasse tomber tes adversaires sous tes sandales ?
Veux-tu piétiner tes ennemis, les méchants ? Car je suis prêt à te donner tout ce pays.
Et pourtant...

Petit-fils du Sauveur et fils du Fraternel, Belliqueux 3 dit "évergète", le Bienfaisant, j'ai rapporté de mon expédition en Perse d'immenses trésors et les statues des dieux égyptiens pillées par Darius et Cambyse.

Avec moi ceux de l'ouest et ceux de l'est seront sous ton contrôle.
Tu pourras considérer tous les pays étrangers avec assurance.
Car aucun ne pourra mettre en danger notre grandeur.
Et pourtant tes pères...

Petit-fils du Fraternel, fils du Bienfaisant, Belliqueux 4 dit "philopator", le Fils à papa, j'ai fait assassiner celui-ci, et aussi ma nièce Bérénice 2, mon frère Magas, ma soeur-épouse Arsinoé 3, mon hôte le roi de Sparte et bien d'autres encore, mais j'admirais Homère et lui ai fait ériger un temple.

Je vais faire que tes victoires parcourent tous les pays car mon serpent flamboyant sera le tien.
Nul sous l'orbe du ciel ne pourra refuser de courber devant toi son dos chargé des tributs que j'aurai ordonnés.
Je vais faire que si les méchants approchent leurs coeurs brûlent et leurs genoux tremblent.
Et pourtant tes pères venaient d'un pays lointain..

Petit-fils du Bienfaisant, fils du Fils à papa, Belliqueux 5 dit "épiphane", le Manifeste, j'ai ceint la double couronne à l'âge de 5 ans, un peu plus d'un siècle après le grand-père de mon grand-père. J'ai épousé la première Cléopâtre et me suis fait assassiner par mes courtisans.

Je viens à toi, comme j'étais allé vers Ahmosis plus de mille ans auparavant
Je te fais piétiner les grands de la Syrie; je les étale sous tes pieds dans leurs terres lointaines.
Je leur montre ta majesté semblable à la mienne, tes rayons image des miens.
Heureusement il y a déjà quelque temps que tes pères sont venus des pays lointains.

Petit-fils du Fils à papa, fils du Manifeste, Belliqueux 6 dit "philomètor", le Fils à maman, j'ai épousé ma soeur Cléopâtre 2 à l'âge de 14 ans. J'ai donné notre fille Cléopâtre 3 en mariage au roi de Syrie et je suis mort lors d'une bataille sur les bords de l'Oronte.

Je viens à toi comme j'étais allé vers Aménophis fils d'Ahmosis.
Je te fais piétiner les grands de la Carie et tu abats les têtes des bédouins.
Je leur montre ta majesté, tes armes semblables aux miennes.
Heureusement tes pères sont de plus en plus de ce pays-ci.
 

Petit-fils du Manifeste, fils du Fils à maman, Belliqueux 7 dit "eupator", le bon Père, jadis oublié dans leur numérotation par les historiens, j'ai été assassiné sur l'ordre de mon oncle qui venait d'épouser ma mère.

Je viens à toi, comme j'étais allé vers Thoutmosis bâtard et gendre d'Aménophis.
Je te fais piétiner les grands de l'Arabie, et tu marches sur les gardiens de notre origine.
Je leur montre ta majesté, constellation de flamme et de rosée.
Heureusement tes pères sont depuis de plus en plus longtemps de ce pays-ci.

Frère du Fils à maman, oncle du bon Père, Belliqueux 8 (ou 7 selon certains) dit "évergète 2", le second Bienfaisant, mais aussi par mes nombreux ennemis "physcon", l'Enflé, ou "kakergète", le Malfaisant, j'ai répudié ma soeur Cléopâtre 2 qui était en même temps ma belle-soeur pour épouser ma belle-fille Cléopâtre 4 qui était en même temps ma nièce. La troisième Cléopâtre était l'aînée de mes nièces, mariée au roi de Syrie; c'est elle que votre Corneille met en scène dans sa Rodogune. Quant à la seconde, comme elle avait jugé bon d'usurper le double trône pendant quelque temps, j'ai fait assassiner pour me venger notre fils Belliqueux le memphite.

Je viens à toi, comme j'étais allé vers le second Thoutmosis bâtard et gendre du premier.
Je te fais piétiner les grands de l'Occident, et tu marches sur les gardiens de notre destinée.
Je leur montre ta majesté, taurillon vif aux cornes acérées.
Et pourtant quelque chose fait trembler ma voix.

Fils de l'Enflé, cousin du bon Père, Belliqueux 9 (ou 8) dit "neos philopator", le nouveau Fils à papa, j'ai été roi de Chypre mais associé seulement peu de temps au double trône si bien que je suis moi aussi souvent oublié par les historiens dans leurs listes.

Je viens à toi, comme j'étais allé vers Hatchepsout veuve du second Thoutmosis et fille du premier.
Je te fais piétiner les grands des îIes; leurs marins frissonnent devant toi.
Je leur montre ta majesté, crocodile maître des eaux douces.
Et pourtant quelque chose dans ton écoute ne me comprend plus.

Fils du Malfaisant, demi-frère et en même temps neveu du nouveau Fils à papa, Belliqueux 10 (ou 9 ou 8 selon les historiens), surnommé "soter 2", le second Sauveur, et aussi "philomètor 2", le second Fils à maman, et encore "lathyre", le Pois chiche, j'ai épousé ma soeur Cléopâtre 5 qui m'a donné Cléopâtre 6 qui m'a succédé, puis en secondes noces mon autre soeur Cléopâtre 7 dite "séléné", la Lune.

Je viens à toi, comme j'étais allé vers le troisième Thoutmosis, bâtard et gendre du second, beau-fils d'Hatchepsout, lequel a fait graver ces lignes dans mon temple.
Je te fais piétiner les grands des autres îles; leurs plages entendent tes fanfares.
Je leur montre ta majesté, ange maîtrisant un taureau furieux.
Et pourtant quelque chose dans ton regard est brouillé du sel de la nostalgie.

Demi-frère et en même temps neveu du nouveau Fils à papa, frère du Pois chiche, Belliqueux 11 (ou 10 ou 9) dit "alexandre" (comme Alexandre le grand avait régné quelque temps sur le double royaume, puis son fils posthume Alexandre Aegos, certains historiens me donnent le chiffre 3), le troisième Protecteur, j'ai fait assassiner ma mère Cléopâtre 4 qui m'avait fait ceindre la double couronne à peu près deux siècles après le premier Sauveur, en expulsant son fils aîné, mon frère aîné.

Je viens à toi, comme j'étais allé vers le second Aménophis fils du troisième Thoutmosis.
Je te fais piétiner les grands de la Libye. Tu règnes sur les oasis.
Je leur montre ta majesté, lion sur des monceaux de charognes.
Et pourtant ton attention n'est plus la même que celle de tes lointains prédécesseurs.

Neveu du second Sauveur, fils du troisième Protecteur, Belliqueux 12 dit "alexandre 2 (ou 4)", le second ou quatrième Protecteur, j'ai épousé ma cousine Cléopâtre 6 que j'ai fait assassiner peu après.

Je viens à toi, comme j'étais allé vers le quatrième Thoutmosis, fils du second Aménophis.
Je te fais piétiner les extrémités de la terre, tu prends les océans dans ta main.
Je leur montre ta majesté, le faucon qui fond sur sa proie.
Et pourtant je te sens faiblir, je te sens trembler comme si tu n'étais pas devenu d'ici.

Neveu adultérin du troisième Protecteur, cousin adultérin du quatrième, Belliqueux 13 dit "aulète", le Joueur de flûte, je n'ai pu me maintenir au pouvoir que par l'appui des romains.

Je viens à toi, comme j'étais allé vers Aménophis le troisième fils du quatrième Thoutmosis.
Je te fais piétiner les grands des temps anciens, ceux qui erraient parmi les sables.
Je leur montre ta majesté, chacal filant d'un horizon à l'autre.
Et pourtant je te sens vieillir.

Lointain neveu adultérin du quatrième Protecteur, fils du Joueur de flûte, Belliqueux 14 dit "neos dionysos", le nouveau Dionysos, j'ai épousé ma soeur Cléopâtre 8, l'illustrissime.

Je viens à toi alors que je m'étais écarté d'Aménophis le quatrième fils et gendre du troisième, lequel entraîné sans doute par le vizir Joseph venu de Palestine, m'a renié au point d'effacer mon nom dans le sien.
Je te fais piétiner les grands fantômes. Je t'ouvre leurs cavernes les plus profondes.
Je leur montre ta majesté, les deux frères ennemis réunis dans la gloire.
Et pourtant je me sens vieillir.

Fils du Joueur de flûte, frère du nouveau Dionysos, Belliqueux 15 dit "pais", l'Enfant, j'ai épousé ma soeur et belle-soeur Cléopâtre 8 qui m'a fait assassiner pour plaire à César.

Je ne peux plus venir à toi, comme je n'ai pas pu revenir auprès de Toutankhaton, son bâtard et gendre, même lorsqu'il a remis mon nom dans le sien, plus de mille ans auparavant.
Je n'ai plus de voix pour toi; tu n'as plus d'oreilles pour moi.
Je ne puis leur montrer que tes ruines et ta corruption.
Et pourtant j'avais cru un assez long moment...

Beau-fils adultérin du nouveau Dionysos et de l'Enfant, tout en étant leur neveu à tous deux, Belliqueux 16 dit "césarion", le petit César, car je ressemble à mon père comme deux gouttes d'eau du Nil, ma mère Cléopâtre 8 a obtenu de son nouvel amant Marc-Antoine qu'il reconnaisse mes droits aux deux couronnes; mais c'était un allié peu sûr et son vainqueur Octave m'a fait assassiner, mettant ainsi fin à l'aventure des Ptolémées 264 ans après que le Sauveur ait été reconnu maître des deux pays. C'est lui, sous le nom d'Auguste, qui sera nommé nouveau pharaon, mais ce sera tout autre chose.
 
 


 

BALLADE DES TRADUCTEURS FIDELES

pour Toru et Michiko Shimizu

 
Les personnages de la comédie napolitaine et française
ont revêtu leurs déguisements de velours
lors d'une escale dans la Venise d'automne
avant de franchir toute la Sibérie en montgolfière
pour confier à l'atelier de l'Archipel
des instruments de musique occidentale
qui sonneront de manière toute nouvelle
dans la fidélité des transcriptions et traductions

Parfums et saveurs annonces et traces
dessinent la nostalgie de châteaux futurs
flottant sur le temps comme des caravelles
transportant Colomb Magellan ou François Xavier
sur les océans atlantique et pacifique
à la recherche du nouveau Zipangu
lui-même en quête d'occidents perdus
dans l'ingéniosité des reconstitutions et compositions

Objets-idéogrammes et récits-partitions
dans le concert des gratte-ciel et des rizières
oiseaux apportant dans leur bec au soir du déluge
la branche de lierre de la retraite fertile
le bouquet de thé de la méditation
les fruits de la patience et de l'audace
pour organiser le tournant du siècle
dans l'imagination des analyses et repérages

Couple princier déchiffrant depuis quarante ans
les ruelles rues avenues et autoroutes de votre ville
puis les lignes aériennes autour de la planète
poursuivez votre chasse sur les pages et les toiles
vers la pénétration des âges et des mondes
 
 

LIGNE DE MIRE
pour Jacques Leclercq-K
Un cil de ciel
tombé sur l'eau
vibrant au pouls
des Antipodes
ouvrant les yeux
du jour prochain

Le fil qu'Ariane
a dévidé
pour que Thésée
prince volage
puisse échapper
aux traquenards

Nous le cherchons
dans les détours
du palais sombre
pour nous guider
parmi les pièges
trappes et mines

Des terrains vagues
où vient rouiller
la fin du siècle
monceau d'épaves
rapacités
et déceptions

Vieilles usines
désaffectées
aéroports
tout en lézardes
salles des fêtes
grouillant de rats

Les souterrains
et les égouts
proliférant
sous les jardins
derniers vestiges
d'anciens régimes

Evolutions
dévastations
réparations
restaurations
circulations
prémonitions

Sueur d'horizon
lueur magnétique
pour figurer
libération
de nos galères
et pesanteurs

Paratonnerres
éclairs et foudre
traits de couteau
estafilades
électrisées
cicatrisées

Alphabet neuf
lettres liquides
transmutation
des méridiens
lançant leurs ponts
sur les détroits

Vents et marées
champs et marais
monts et vallées
galets poussières
mers et déserts
villes et vignes

La capitale
se balançant
entre les vagues
mâts et coupoles
faisant des signes
à d'autres mondes

Ruée vers l'or
des nuits d'été
moissons de neige
semis d'odeurs
visée d'éveil
brassées d'avril

Délicatesse
justice exquise
chaude justesse
répartition
baiser des voix
rumeur des sèves

Ruissellement
fécondité
méditation
impermanence
magnificence
diversité

De proche en proche
de loin en loin
fourmillements
germinations
palpitations
d'années-lumière

Comment tracer
comment filer
comment décrire
comment tourner
comment dormir
comment veiller

Comment savoir
et quand on sait
quand on se doute
comment le dire
et demander
la clef des astres
 
 
 
 

PASSAGE AU DÉCLIC
pour François Garnier

 
    On fait courir le crayon, le pinceau, la plume sur une feuille de papier, sur une toile ou sur un mur. Itinéraires, boucles, réseaux; on s'y promène, on s'y installe. Voici des routes et de l'herbe, des vagues et des cailloux, des arbres et des maisons. ici on croirait rencontrer quelqu'un qui marche ou mange ou dort ou écrit ou dessine. on pourrait presque lui donner un nom. Alors on regarde tout autour de soi tout autrement. On épie l'herbe, l'eau, les nuages, les toits et les gens pour leur arracher leurs secrets, pour qu'ils apparaissent encore mieux sur la toile ou sur le papier où il leur arrivera des aventures inouïes. On travaille sur le motif; on apprend l'alphabet des choses et de leur lumière. On en arrive amoureusement passionnément jusqu'au portrait. Les croquis ne suffisent plus; pour étudier ces branches, boucles et regards, on en prend des photographies. Et de même que l'on procédait couche par couche dans de patientes sédimentations, on superpose les déclics pour faire apparaître dans le laboratoire des bains, entre noirs et moires, ce que l'on cherchait de tout temps.

 
 

UNE MER D'ENCRE

pour François Garnier

 
Au lever du jour
les velours de houille
plongent sous l'écume
pour cacher les pièges
palais et grimoires
des rois de la mer

Observant les quilles
des vaisseaux brisés
savantes sirènes
tressent paragraphes
pour réanimer
leurs amants fantômes
 
 
 
 

LA COLONIE DES HORLOGERS
pour Patrice Pouperon
A Ferney, 11 mai 177O, faubourg de Versoix

Voltaire écrivait à la duchesse de Choiseul :
 

Mademoiselle,

Nous autres capucins nous ressemblons aux amoureux dans les comédies, ils s'adressent toujours aux demoiselles suivantes pour s'introduire auprès de la maîtresse du logis. Je prends donc la liberté de vous importuner par ces lignes, pour vous demander si nous pourrions prendre l'extrême liberté d'envoyer de notre couvent à Mme la duchesse de Choiseul les six montres que nous venons de faire à Ferney; nous les croyons très jolies et très bonnes, mais tous les auteurs ont cette opinion de leurs ouvrages.

Nous avons pensé que dans le temps du mariage et des fêtes, ces productions de notre manufacture pourraient être données en présent, soit à des artistes qui auraient servi à ces fêtes, soit à des personnes attachées à madame la dauphine. Le bon marché plaira sans doute à M. l'abbé Terray puisqu'il y a deux montres qui ne coûteront que onze louis chacune, et que la plus chère garnie de diamants n'est mise qu'à quarante-six louis. Celle où est le portrait du roi en émail avec des diamants n'est que de vingt-cinq, et celle où est le portrait de monseigneur le dauphin, avec une aiguille en diamants n'est que de dix-sept. Tout cela coûterait à Paris un grand tiers de plus. Nous servons avec la plus grande économie, et par là nous méritons la protection du ministère.
...
C'est une terrible chose, Mademoiselle, qu'une colonie et une manufacture; nous espérons que votre maîtresse indulgente aura pitié de nous, malgré les injures que nous lui avons dites. Nous sommes importuns il est vrai, mais nous savons qu'il faut faire violence au royaume des cieux, comme dit l'autre. Ainsi, Mademoiselle, nous demandons votre puissante protection auprès de madame la duchesse, et nous prierons Dieu pour elle et pour vous, ce qui vous fera grand bien.

Je vous supplie en mon particulier, Mademoiselle, de me mettre à ses pieds longs de quatorze pouces de roi; j'ai l'honneur de demeurer en Christ, Mademoiselle, votre très humble et très obéissant serviteur


FRERE FRANCOIS CAPUCIN INDIGNE
 

A l'Ecart, le 18 septembre 1997, Lucinges chef-lieu
 

Navigateurs du temps
avec un balancier
pour assurer nos pas
sur les cordes tendues
tout autour de la Terre
c'est notre gouvernail
sur l'océan des âges

Autour du patriarche
allègre et souffreteux
nous aiguisions nos lames
et refaisions nos comptes
en rêvant d'automates
pour libérer nos bras
dans l'opéra des coeurs

Minutes diamantées
et rubis sur les ongles
lettres en marcassite
émaux sous les couvercles
secrets chargés de perles
serrures minuscules
gazouillements de clefs

Danseurs des parallèles
entre fuseaux horaires
penchés sur l'établi
tel un ordinateur
les yeux écarquillés
pour établir le point
des mille et une nuits

Sur les seins des duchesses
palpitaient nos bijoux
nous faufilant ainsi
dans fastes et châteaux
sans que nul s'aperçoive
que les révolutions
amassaient leurs orages

En se précipitant
de seconde en secousse
vers la fin du régime
le giclement du sang
le métronome fou
les fuites éperdues
les fureurs et les glas

Aujourd'hui en écho
respiration du quartz
entre soleil et neige
réfléchis par le lac
sous le bruit des avions
les craquements du monde
le gong du millénaire


FRERE FRANCOIS CORRESPONDANT INFIME


 
 

FABRIQUE A LITANIES

pour Joël Leick
        Chaque année, pour l'anniversaire de notre mariage, j'offre à Marie-Jo un objet inscrit, jouant avec le nombre atteint. Cette fois il s'agit d'un ensemble de roues concentriques proposant des mots à travers des lucarnes. Tout cela résonnant autour du chiffre 39, on peut lire de nombreuses strophes dont voici quelques échantillons :
 
 
Silence svelte
architecte légère
miroir aérien

Emoi vert
jonquille céleste
concert délicieux

Alcool indigo
adresse mauve
arum soyeux

Glaïeul tremblant
distance ruisselante
rempart ocre

Feu moiré
marguerite onduleuse
alcool noir

Elan perpétuel
jardinière mordorée
coeur discret

Printemps somptueux
ténacité musicale
éclat outremer

Bégonia lointain
couturière fauve
narcisse azur

Cerisier marin
caresse multiple
buisson sorcier

Trésor cristallin
colchique sombre
écho chaleureux

Eventail roux
écoute frémissante
miroir vert

Arbre liquide
verveine angélique
sommeil brûlant

Navire jaune
pianiste jaspée
fruit incarnat

Songe vibrant
digitale nocturne
pays indigo

Portail blanc
infirmière exquise
nuage devin

Baiser matinal
cuisinière émeraude
chemin perpétuel


 

ÉNERGIE SYLVESTRE

pour Joël Leick
 
Au miroir de la forêt
les motocyclistes perdent
leur fureur de bruit rouillé
tonnerres apprivoisés
qui compensent leurs malheurs
dans les faubourgs écrasants
et entrouvrent leurs narines
aux senteurs qu'ils ignoraient

Au détour de la forêt
les fabricants de papier
s'étonnent du sort des arbres
s'émerveillent de ces feuilles
qu'ils ne savaient regarder
et rêvent littérature
comme tombeau de ces oncles
qu'ils fauchaient sans y penser

Au trésor de la forêt
s'amassent baies et brindilles
concentrations de saveurs
et pédalier qui palpite
au moindre pas des enfants
ou des animaux farouches
qui se croient en sûreté
quand nous marchons en silence

Au revers de la forêt
les torrents et les ravins
fouillent les bibliothèques
des millénaires enfouis
avec des millions de doigts
les racines se faufilent
entre pages et reliures
cherchant des mots oubliés

Au sexe de la forêt
les étamines s'embrasent
et les antennes s'embrassent
en caressant les cheveux
des lianes et lichens
se chuchotant dans l'émoi
se balançant dans l'haleine
des saisons entrecroisées

Au secret de la forêt
les paupières des écorces
clignent devant les rayons
qui écartent les rideaux
des brumes et des fougères
pour leur apporter souhaits
de bonne nuit murmurante
d'effervescence tranquille

Aux rumeurs de la forêt
des siècles de préhistoire
viennent mêler leurs fumées
migrations et découvertes
taillés comme des silex
les cris deviennent des mots
qui trempent leur âpreté
dans des hammams de ramures

A l'orée de la forêt
l'électricité voyage
pour porter aux amoureux
séparés par la distance
balbutiements et baisers
sèves ronflant dans les branches
dévalements d'écureuils
et battements de piverts

A l'écart de la forêt
avec son chapeau de paille
le barbu méditatif
cherche la fin d'une phrase
commencée l'année passée
et même au siècle dernier
se ramifiant obstinée
à travers générations


 
 

LES JUMELLES ASYMÉTRIQUES

pour Joël Leick
1
RIVAGE

Les rochers repassent les plis de leur pantalon dans les embruns. Attentif aux stries du béton, le dessinateur se penche sur sa plage de papier. L'air du large glisse ses doigts dans les aisselles de la houle pour chercher le trésor des circonvolutions.

L'horizon se renverse et rit à criques déployées, agitant algues et galets jusqu'aux orteils du promeneur qui ferme les yeux pour écouter la déclamation de la gueule de pierre inondée de salive effervescente et musicale.

2
PHILTRES

Voilà ce qui germe et tremble dans la marmite abandonnée par les sirènes imprévoyantes lors du reflux. La question est de savoir si les hommes peuvent profiter de cette nourriture vivante. Même si elle n'est pas un poison pour eux, ne leur fera-t-elle pas pousser des écailles à la place des poils ?

Viviers autour de l'antre luxueux dans le parc aux allées sablées qui vont de la rotonde aux oursins jusqu'aux coupoles des astéries. Le couvercle de la mer s'est soulevé pour que nous puissions régler nos aventures, mais nous savons bien qu'en plongée tout prendra d'autres couleurs et charmes.

3
MEULE

C'est le dôme des Invalides que nous surprenons dans son escapade incognito. Si ses visiteurs habituels pouvaient se douter de son goût pour le carnaval, quelles sambas agiteraient ses cryptes ! Il a beau s'habiller de foin, brindilles et tuyaux, sa majesté n'en resplendit que mieux au soleil gong.

Fétiche de la fertilité, il cligne des yeux aux passages de toutes les femmes qu'il dénude d'un coup de rayons. Il avale toutes les moissons, les armées, les empereurs et leurs tombeaux de porphyre pour étinceler en arrosage de sperme qui règle les problèmes de tous les couples qui ne parvenaient pas à engendrer leur descendance.

4
BRIBES

Une écale de la presse quotidienne laissant s'exhaler sa rumeur en attendant que le vent la cueille pour la transporter sur une haie, un talus, l'aisselle d'un muret autour d'un jardin bien tenu, ou qu'un amateur d'art s'extasie en déchiffrant le prénom du Vinci.

Une oreille de pierre spongieuse captant les échos et sous-entendus, tapie comme un micro de surveillance parmi flottaisons et galets. Jusqu'à son lobe les ondes charrient des messages échappées de bouteilles brisées, illisibles mais audibles encore quelque temps pour les harpes et clavecins de son labyrinthe.

5
ÉPAVES

La mâchoire du mouton mort retrouvant fureur de bélier, ne veut plus lâcher la roue de la voiture dénonciatrice, coquille que le maffieux doit abandonner pour s'enfuir à travers chaumes et genévriers. Même plus de paupière pour voiler au moins de temps en temps l'oeil inquisiteur qui fait tomber documents, vêtements et mensonges dans le même lac révélateur.

Plus moyen de débloquer les freins. Les nouvelles races de vautours vont venir déchiqueter la carrosserie séductrice, démonter, disperser toutes les pièces de la serrure, puis s'acharner sur la laine qui rembourre les coussins, la carder, la cracher par les brèches des vitres parmi les amas de petits cubes transparents.

6
DEMEURE

Un frisson dans les cheveux, des anneaux autour du bassin, elle longe des parois rugueuses dont les lichens lui donnent des idées pour ses tissus, et les anfractuosités des solutions d'aménagement pour son logis, celui où elle va retourner, lequel n'est que trop encombré, pétrifié, mais surtout celui dont elle rêve, immense, aéré, changeant, avec des recoins et des perspectives.

Ici l'aquarium, la piscine, les fontaines; un peu plus loin le salon de musique avec acoustique modulable, le débarcadère avec ses arcades, pistes, tours de contrôle; par là l'observatoire, la pinacothèque, la cave munie de navires démâtés, se balançant pour faire vieillir les vins plus rapidement, leur donner le parfum retour des îles, les roseraies, les pépinières et les haras où l'on sélectionne les races amphibies.

7
PIERRE

Dans la serre aux lézardes on suit amoureusement leur progression. Il faut les arroser, tailler, les étayer parfois. De même que le jardinier japonais isole dans les arbres les branches les plus émouvantes pour accentuer leur sentiment, les accompagner, les promouvoir; ici nous surveillons l'avancée des fêlures, encourageant ou freinant leurs bifurcations, ramifications, floraisons de salpêtre ou d'arbres nains.

Nos ancêtres pratiquaient les espaliers, appliquant leurs poiriers ou pommiers aux murs ensoleillés; nous avons le sentiment de réaliser leur rêve avec ces murs qui fructifient eux-mêmes, où nous pouvons cueillir des briques juteuses, des moellons exquis, des grappes de gravats transparents d'où nous tirons des vins à goût de pierre à fusil, qui nous rendent invulnérables, qui nous permettent de traverser les parois les plus épaisses comme des taillis plus ou moins épineux.

8
MENACE

Méfiez-vous de ces branches mortelles qui se détendent brusquement à votre passage pour vous assommer ou vous étrangler, pour vous injecter, avec leurs épines ou échardes, des venins qui vous paralysent et transforment peu à peu vos membres en planches très recherchées par les ébénistes de la région pour leurs nervures figuratives, leurs couleurs sanguines, les mélancoliques regards qu'ils éveillent en soulevant des paupières de copeaux.

Méfiez-vous de ces routes mortelles qui se fendent brusquement si vous ralentissez, et vous engloutissent dans des ravins de boue et de lave, cuisant votre véhicule et vous-même, transformant l'ensemble en gazelles très recherchées par les restaurateurs de la région, non seulement pour la saveur relevée de leurs filets, la résistance de leur cuir, la finesse de leurs cornes, mais aussi les mélancoliques regards dont elles accueillent les clients derrière les barrières de leurs enclos.

9
LUMIERE

La main du nuage est venue saisir le hublot pour en faire une bouée de sauvetage optique et le lancer vers tous les aspects négligés, les envers, les marges, les oublis. Grâce à lui les enfants abandonnés, les laissés pour compte, les voués à la destruction, déportation, à la négligence, au terrain d'épandage, au pourrissement, à l'incinération, s'épanouissent dans les vasques délicieuses de la visibilité.

Ils sont vus, ils voient, ils se voient. Des yeux se sont ouverts sur tout leur corps à tous; ils se baignent dans la couleur, dans l'ombre, le miroitement, dans les mains, les fronts et les yeux de leurs camarades; les touristes eux-mêmes deviennent piscines pour leurs jeux; ils plongent dans les cerveaux des étrangers pour en extraire opales et coraux qui attendaient depuis toujours leur découverte.

10
APPROCHE

La main du nuage s'est retirée après avoir passé l'anneau du hublot sur le doigt de la montagne qui s'allonge et se redresse à la fois, se pavane dans le miroir d'eau, s'ébroue, se coiffe, soupire et gronde, adopte tous les enfants de la région dans son énorme famille bourdonnant de baisers, d'envols d'oiseaux et de clapotis.

Nous cherchons notre ombre et notre image dans le miroir des vagues douces qui nous berce et nous étire, nous déplie, déploie comme les pages de livres souples dont nos colonnes vertébrales seraient les coutures. Ainsi nous nous feuilletons, épelons, traduisons, commentons les uns les autres et tout ce qui nous entoure et fait que nous sommes cette obscurité quêtant le talisman du soir.

11
ENSEMENCEMENT

Dans l'angle et le coin, dans l'impasse. Il n'y a d'issue que dans l'invasion lente, le soulèvement par secousses distantes d'un nouveau continent où des oiseaux perdus, incapables de retrouver le chemin de leurs îles natales à cause des tempêtes, viendront déposer à l'intérieur de leurs fientes des graines qui germeront peu à peu pour former forêts et savanes.

Un jour, chassés par le séisme et la famine, le dessèchement des fleuves et des coeurs, des piroguiers aborderont sur ces rives rocheuses, trouveront refuge dans des cavernes auprès de sources claires, allumeront les premiers feux en rendant grâces à leurs divinités peu sûres, prendront au piège certains oiseaux, pêcheront poissons et crustacés, puis se hasarderont vers le plateau intérieur à l'horizon vertigineux.

12
PISTES

Au bout de sa manche d'écorce rainurée, le rameau dénudé agite ses feuilles comme un mouchoir pour dire adieu sur un embarcadère tandis que le navire s'éloigne derrière la ceinture des marais salants. Nervures et filigranes dessinent emblèmes licencieux et devises contestataires que le vent d'automne dissipera dans les préaux des internats.

Au bout de la piste de lancement le papillon largue ses amarres une à une : ligne de vie, ligne de chance, ligne d'ombre. Dans l'éventail des traces, il cherche le chemin avec ses antennes, enregistrant sous tous les angles dans les magnétoscopes de ses yeux à facettes. Ecailles et ocelles dessinent sur ses ailes armoiries et légendes que son envol déposera comme une poussière lumineuse sur les pupitres des études et bibliothèques.

13
TÔLES

L'hiver industriel a dénudé ces tiges de métal patiemment forgées au début du siècle qui s'achève dans des usines que l'on proclamait alors temples du progrès. Les bulldozers de la crise et les tanks du libéralisme à tous crins ont traîné, puis brisé ces morceaux d'abri tandis que les haut-parleurs hurlaient sur les forêts dévastées et les gravats des rues : "croissance, croissance" comme des corbeaux.

Les épines forment des échelons que les gnomes désespèrent de franchir pour aller se cueillir des capes tout juste prêtes à se détacher dans l'atelier des roses. La falaise édifiée par les géants souffreteux enfonce fièrement son coin dans l'azur, son poing de tôle ondulée qui essaie de racler les nuages pour en entourer son col frileux.

14
SEUIL

Grimpant du noir au blanc dans la pluie des aiguilles, la main alpiniste déchiffre en braille sur les écailles incurvées les phrases des rumeurs de la forêt. Les caractères sont comme les touches souples d'un orgue à paroles, sifflements, gazouillements et tonnerres, qui exécute la partition choisie avec, chaque fois, des ornements nouveaux.

La main devient tête de pivert qui heurte avec son bec à la poterne du donjon rempli de sacs de blé, tonneaux, soudards à demi débarrassés de leurs élytres et cuirasses, de dragons minuscules et de chevaux ailés. La cloche de l'orage en fait ouvrir les deux battants à grand fracas et les referme juste avant le martèlement de la grêle dont on observe déjà les dégâts à travers les lucarnes déchiquetées.

15
ORACLES

Offrir un caillou en hommage aux déchiffreuses de la forêt venues depuis Dodone pour nous dévoiler l'éclair dans la branche. La réponse sera tatouée dans la paume; il ne nous sera plus possible de nous en débarrasser. Si malheureux nous parvenions à l'oublier, les autres pourraient la lire à notre premier moment de relâchement et nous serions à leur merci. Mais ce qu'il faut trouver à tout prix, c'est quelle était notre question parmi les milliers que nous nous posions. Sinon ce ne sont que marmonnements visuels, une couche supplémentaire de brouillard.

Lâcher le caillou qui provoquera une flaque dans la terre gorgée d'eau, un puits avec margelle et vis d'escalier s'enfonçant jusqu'à la surface avec ondes et bulles, jusqu'aux antres où la pythie dort encore et qu'il nous faudra réveiller après douloureuses reptations souterraines, car elle seule a la clef de la question dont la réponse est imprimée sur notre paume; et elle ricane parfois si fort en nous attendant, au long de ses rêves de racines et dragons, que nombre d'entre nous renoncent dépités.

16
PASSAGE

Une boucle de cheveux, un anneau de lianes, un chaînon de ronces, ou bien le nombril d'un atlante de ciment qui soutient le tablier du pont bordé, brodé de balustres, ourlé de parapets qui donnent sur le fleuve hurleur, gémisseur, pollueur et exaspéré.

La crevette de la frontière dans tous ses états, dans tous ses ébats à l'intérieur des nappes de la vitre qui se replient sur les bouleaux et les algues. Les essuie-glaces de notre sous-marin perturbent des squales aux gros yeux, sacoches battantes, ceinturons et bottes, car comme tout est pluie ici, nul intérêt à essayer de la chasser, pensent-ils; c'est qu'ils oublient qu'il faut séparer la chaude et la froide, la douce et la salée, l'acide et la cicatrisante.

17
ÉTAL

Sur la voûte la gueule du requin projette sa découpure moirée. Son oeil se transforme en crochet pour y suspendre les carcasses. D'énormes thons s'étalent sur les comptoirs carrelés; des montagnes de moules ou d'huîtres entre lesquelles passent les marins débarqués avec leurs cirés ruisselants, cherchant la ville et la nuit pour y frotter leurs mains devant des radiateurs en ingurgitant des chopes de bière.

Le vent laboure le pare-brise à coups de poings. Malgré les talismans les éclats vont tomber sur le volant, la poignée du changement de vitesse, le cendrier, les genoux du conducteur. Des centaines de voitures parsèment soudain l'autoroute de brillantes aiguilles tranchantes qui perforent les pneus et les semelles, si bien que tout est paralysé jusqu'au sauvetage qui ne pourra intervenir qu'après la nuit.

18
CHÂTEAU

L'écrivain fantôme fait flotter ses pages au long des coursives du château errant. Les draperies glissent au long de ses ailes le long des flaques phosphorescentes qu'a déposées la Lune. Des nuages de phrases tournent dans des escaliers de fumées; des cascades de dentelles se retournent dans les cheminées où quelques braises se raniment parmi les cendres et les nacres. Les yeux des fontaines se ferment et les lames des parquets grincent et claquent en arrachant leurs clous.

Loup-garou en transformation-désolation, l'oreille attentive à l'autobiographie du vent que reprennent échos et tunnels pour y déceler les passages où il serait question de sa vie antérieure, de ses erreurs sans doute, de ses crimes, qui sait ? de tout ce qui s'est enfoncé sous un miséricordieux oubli, mais qu'il faut déterrer, dénicher, débusquer; à grand danger certes, mais c'est le seul moyen de détresser les chaînes, de soulever la dalle et délivrer son coeur.

19
HORLOGES

Jouer à la balle avec un trou, une bulle de vide qui raie l'émail de l'air avant de franchir le filet vibrant. Chaque rebond marque une seconde sur le cadran de la montre-bracelet. Si l'on relâche son attention, le temps ralentit; si l'on s'excite, il s'accélère. Il en résulte des journées interminables ou des nuits aussi courtes que dans les étés du grand Nord, des saisons détraquées, des âges à vau-l'eau. C'est pourquoi les foules s'intéressent tant aux championnats d'exactitude. Les stades sont en réalité des horloges.

Les fesses de la grue barbouillées de pommade pour faciliter son pivotement sur les fauteuils administratifs. Lever un bras pour trouver une attache parisienne dans sa soucoupe, puis effectuer une rotation pour fixer les feuilles de la note de service qu'il convient d'étendre dans le panier du courrier prêt au départ. Dans la cabine le pilote songe aux vacances passées déjà si lointaines, à celles qui mettront si longtemps à venir, et pivote pour manoeuvrer les leviers qui feront osciller le balancier géant. Ainsi tous ces travaux assurent la régularité du temps qui se déferait autrement comme les mailles d'un filet ou d'un bas. Un jour les grues s'envoleront comme les oiseaux qui leur ont donné leur nom, pour une migration jusqu'à l'envers du temps.

20
BRÈCHE

Arrête ici ta croissance, ombre d'arbre célibataire, toi que seul a permise le mur de la prison. Applique-toi désormais à fissurer ce damier de parpaings pour que s'y faufilent les esprits infra-minces qui dorment entre les pages des dictionnaires, entre les dossiers des ordinateurs. Nous en avons vu des murs s'écrouler, pourtant hérissés de barbelés et miradors !

Mais il en reste encore partout, balafrés de dégoulinages sanglants, et même à l'intérieur de notre tête où les étoilements de la délivrance commencent par donner d'effroyables migraines avant que la transparence arrive, et la respiration.

21
ENREGISTREMENTS

Rubans de brume, gouttes d'arbre. Le marcheur ferme ses oreilles à l'approche d'une automobile dont la note baisse brusquement lorsqu'elle le double pour disparaître au prochain tournant. A chacun de ses pas ses entrailles roulent comme ses épaules, et des profondeurs de ses labyrinthes remontent des chansons anciennes dont il lui faut reconstituer les paroles, car seules quelques épaves surnagent dans la naufrage de son enfance.

Ténia qui émerge des ulcères de la Terre, conservant en ses gribouillages tous les changements de la température ambiante depuis sa naissance. Si on l'enroule avec suffisamment de soin, on peut éviter le décrochement d'avec le père ou la mère et par conséquent enrouler celui-ci (celle-ci) à sa suite avec tous les renseignements qu'il ou elle conserve sur le climat de son temps. Ainsi d'ancêtre en ancêtre, de cadavre en cadavre lisible jusqu'au premier ténia dans quel animal ? dans quelle ère ? Nous ne sommes qu'au début de nos investigations et pour l'instant fort maladroits.

22
TERRAIN

Le passage à niveau n'est plus. Après tant d'accidents l'administration s'est laissé ouvrir les yeux et a décidé la construction d'un pont. L'ancienne maison du garde-barrière est abandonnée depuis des années, pillée, couverte de graffiti politiques ou obscènes. Plus un carreau, plus un volet. Il reste un évier, mais le robinet a été arraché; les lambeaux de tuyaux se dressent comme les boyaux d'un mouton décapité. Bientôt il n'y aura même plus de toit; presque toutes les tuiles ont déjà été emportées. On en trouve encore quelques débris çà et là.

La voie n'est plus utilisée. Le pont sur lequel passe la route ne sert plus à rien. Par les hivers de grand froid, on vient arracher les traverses pour les brûler. Les herbes et les buissons ont considérablement facilité le travail, descellant tout cela avant de le recouvrir. Mais parfois les ronces se sont tellement développées qu'il faudrait toute une équipe pour en venir à bout. Un boulon demeure çà et là, parmi les mégots récents, les missives déchirées délavées, les emballages en loques. Dans certaines classes des collèges proches les écoliers en font collection.

23
SURVIVANCE

Le monument à la forêt détruite dresse ses pointes au-dessus des cabanes de tôle ondulée. Les vieux s'y rassemblent et se racontent des histoires de frondaisons, de fourrés, de champignons, de pistes, de rencontres, d'apparitions, d'écureuils sautant d'arbre en arbre, auxquelles les enfants ne parviennent pas à croire, et que parfois ils ne comprennent même plus, mais qui hantent leurs rêves avec des taches vertes, des traces, des mugissements et des bourgeons. Ainsi la nuit, dans le faubourg inquiétant, à tous les étages se reconstitue et se multiplie la forêt.

Le monument à la mer détruite dresse ses bords au-dessus de la seule prairie qui subsiste dans la province, entourée par le parc et ses serres, lui-même entouré par le faubourg omniprésent. Les vieux s'y rassemblent et se racontent des histoires de marées, de sel, de pêches miraculeuses, de barques renversées et d'écueils, auxquelles les enfants ne prêtent qu'une attention amusée, mais qui hantent leurs rêves avec des écailles, des vagues, des algues et des dauphins. Ainsi la nuit, dans le faubourg carcéral, à tous les étages se reconstituent et se multiplient les royaumes sous-marins.


 
 
Sommaire n°13 :
ÉTIQUETTE LIRAC
CONTRE-ÉTIQUETTE
LES MESSAGERS DU FROID
TRIO VERTIGINEUX
LE SOIR SUR LA PLAGE À HENDAYE
LE MOULIN DU SANG
LES PLUMES DU LAC
LES SEPT CADRANS
L'ARCHE DE LA VISITATION
CHANT DES PTOLÉMÉES
BALLADE DES TRADUCTEURS FIDELES
LIGNE DE MIRE
PASSAGE AU DÉCLIC
UNE MER D'ENCRE
LA COLONIE DES HORLOGERS
FABRIQUE A LITANIES
ÉNERGIE SYLVESTRE
LES JUMELLES ASYMÉTRIQUES


Page d'accueil                                             Table des index