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Poésie au jour le jour 14

(enregistré le 4 décembre 2012)
 

Sommaire





POCHETTE-SURPRISE

pour Thierry Lambert

 
 Dans L'oreiller d'automne on trouve :

             un soleil rouillé qui sert de page de titre avec au verso une citation de Victor Hugo :

Vois, mon fils ! cette terre, immobile à tes yeux,
Plus que l'air, plus que l'onde et la flamme est émue,
Car le germe de tout dans son ventre remue.
Dans ses flancs ténébreux, nuit et jour, en rampant,
Elle sent se plonger la racine, serpent
Qui s'abreuve aux ruisseaux de sèves toujours prêtes,
Et fouille et boit sans cesse avec ses mille têtes.
Mainte flamme y ruisselle, et tantôt lentement
Imbibe le cristal qui devient diamant,
Tantôt, dans quelque mine éblouissante et sombre,
Allume des monceaux d'escarboucles sans nombre,
Ou, s'échappant au jour, plus magnifique encore,
Au front du vieil Etna met une aigrette d'or.

           une lune mordorée :

Je glisse de tuile en gouttière
et de vague en algue
pour caresser les poissons
entre leurs draps,

            une feuille encore verte :

Je plane de cime en branche
et de ronce en bruyère
pour rejoindre mes soeurs
dans les flots des racines,

            un fantôme blême :

Je plane de vitrail en rideau
et de stèle en dalle
pour épier les aveux
des fleurs qui fanent,

            un oiseau de feu :

Je vole de chaume en torrents
et de fougères en roseaux
pour collecter les ornements
d'un nid de cantilènes

            un papillon amarante :

Je palpite d'oeil en oreille
et de coeur en chevelure
pour métamorphoser mes armoiries
en neige philosophale

            et un nuage d'orage vieux rose qui sert de colophon et de table des matières.
 


 
 
 

EMPREINTES EN CROISSANCE

pour Gérard Sérée

 
1

Cahin-caha
roulant rampant
creusant fouillant
dans les taillis
dans les ravins
poignets sanglants
genoux en cendres
flairant les pistes
radar au guet
cherchant l'issue

Tandis que les
entrepreneurs
dans restaurants
à trois étoiles
jettent leurs dés
sur les tapis
pour décider
qui sacrifier
aux dieux cruels
d'économie
 

2

Nageant naviguant
au long de l'écorce
recouverte par
les vieux océans
qui joignent leurs mains
autour des deux pôles
propageant frissons
dans les archipels
avec ouragans
et raz de marée

Arbres arrachés
obstruant égouts
routes fissurées
barques éventrées
radeaux de fortune
appels de détresse
les eaux se retirent
les vieux se détendent
le calme revient
on compte ses morts
 

3

Les pneus de la montagne
écrasent les vallées
débordant de goudron
les chaussées se renversent
tandis que l'éruption
lance ses projectiles
à la lueur des laves
les animaux s'enfuient
vers des marais paisibles
irrigués de nervures

Et comme les donjons
s'écroulent dans les douves
les vampires d'antan
consultant leurs grimoires
humant leur délivrance
sortent des souterrains
pour explorer les plages
y cherchant naufragés
à métamorphoser
pour conquérir l'espace
 

4

L'écriture traversant
les fibres des palissades
gravures et graffiti
des affiches déchirées
amarrées dans les ferrures
ont déployé leurs lambeaux
pour attirer l'attention
des passants de tous les âges
sur des causes oubliées
au fond de leur déception

Les doigts du vent s'essayant
sur les harpes électriques
font vibrer cordes et bois
dans les chantiers désertés
pour la pause hebdomadaire
et feuillettent les reliefs
des repas et des journaux
archivistes des misères
sourciers des trésors filtrant
dans les sillons délaissés
 

5

Sur les empreintes de nos pouces
s'inscrit le plan du labyrinthe
que nous ne cessons d'arpenter
pour déjouer les mille ruses
des meurtriers irresponsables
qui nous poursuivent sans savoir
que nous sommes leur seul salut
et qu'ils s'endormiront sitôt
que nous aurons ouvert pour eux
la porte du jardin perdu

Les odeurs glissant dans les cours
les carrefours et les tunnels
nous assurent que les jasmins
les rosiers l'encens et la mer
ne sont qu'à quelques paragraphes
qu'il suffit de trouver la page
la combinaison la serrure
pour que les anges nous accueillent
sous l'arbre de la connaissance
dans le déluge du pardon
 
 
 
 
 
 

DE BUT EN BLANC
pour Joël Leick
 
Depuis plusieurs années déjà
nous nous écrivions fréquemment
échangeant textes et images
fabriquant livres singuliers
mais jamais je le l'avais vu
aperçu seulement un soir
au milieu de la foule à Metz
mais beaucoup trop rapidement
pour avoir pu enregistrer
son apparence dans ma tête

Je savais qu'il devait venir
mais j'ignorais par quel moyen
il arriverait par ici
je lui avais dit quel chemin
il devait suivre pour se rendre
jusqu'à l'Ecart où je travaille
depuis la place de l'église
mais je l'attendais seulement
pour la fin de la matinée

J'estimais donc avoir le temps
d'aller avec le chien Eclair
vif mais noir comme du charbon
frôlé par les cendres de l'âge
voir où en était la cascade
après les pluies des jours derniers
avec mon chapeau sur la tête
comme un artiste impressionniste
panama crasseux maltraité
pour protéger mon crâne chauve
contre les ardeurs du soleil

Revêtu d'une salopette
vieille et tachée avec ceinture
venue d'un séjour au Far West
il y a plus de vingt années
chemise de soie imprégnée
de la transpiration d'hier
les pieds dans des souliers boueux
les pieds rivés sur le terrain
j'écrasais pissenlits et trèfles
en dévalant la pente raide

Dans les marges de mes rétines
passaient montagnes et nuages
les villages de la vallée
les géraniums sur les balcons
des maisons nichées aux aguets
éperviers tournoyant très haut
devant les traînées des avions
écureuils courant sur les branches
lézards filant entre les pierres
guêpes secouant les liserons

Mugissement de l'autoroute
filtré par la rumeur des arbres
et des ruisseaux dans les ravins
grondement d'un hélicoptère
des aboiements se répondant
parmi les sonnailles des vaches
les hennissements des chevaux
onze heures tombant du clocher
les cris des enfants à l'école
les parfums de rose et de menthe

En moi se fredonnaient couplets
de mélodies de mon enfance
bribes de citations flottaient
comme des queues de cerfs-volants
se ressassaient quelques problèmes
tandis que le mur des soucis
faisait signe de ses créneaux
derrière douves de silence
exclamations énigmatiques
et lambeaux d'illumination

Je ne l'avais pas vu soudain
j'entends : "c'est lui cela ne peut
être que lui !" et c'était moi
je lui ai dit que j'étais moi
et j'ai compris que c'était lui
avec l'appareil de photo
le sac léger du voyageur
le regard de rouille et d'exil
et j'ai compris qui c'était moi
je l'ai bien oublié depuis
 
 
 
 
 
 
 
 

LA VOIX LACTÉE
en l'honneur des huit fenêtres d'albâtre
au cloître de la cathédrale de Jaca
pour Inge Kresser
 
L'écume d'anciennes marées
s'est déposée entre les feuilles
des archives géologiques
pour y fermenter en douceur
afin de filtrer les rayons
qui vont nourrir les yeux avides
et renvoyer pour les oreilles
les échos des enluminures

La cathédrale de Jaca
où je ne suis jamais allé
est la plus ancienne en Espagne
selon mon Guide Bleu vétuste
édifiée en style roman
c'était en l'an mille quarante
les Maures n'étaient pas si loin
faisant claquer leurs oriflammes

Dans les mamelles des montagnes
s'est cristallisé l'élixir
de cierges de sueur et de miel
apporté par les quatre fleuves
roulant leurs eaux de contrebande
sous les herses du paradis
d'où nous avons été chassés
par sottise administrative

Neige ou métal dans les cavernes
où se rassemblent les refus
sillons de nacre dans les prés
où germent les épis de nuages
vols de mouettes et d'ibis
franchissant frontières et rives
réanimant les cimetières
les déserts et champs d'épandage

Colonnes d'algues sources d'ombres
déroulements de palimpsestes
fugues parmi forêts et landes
arabesques des horizons
pistes sillages escalades
déchiffrements et psalmodies
fumets des cuisines célestes
émulsions des anniversaires

Les astronomes étonnés
reconnaissent les paysages
de l'inaccessible Vénus
perdue dans ses soufres torrides
les orages de Jupiter
les anomalies des anneaux
autour du vieux roi détrôné
et les tempêtes de Titan

Caravelles et caravanes
font sinuer leurs cargaisons
de dentelles et de miroirs
de soies d'horloges et d'épices
par défilés et par détroits
franchissant barres et chicanes
dans les carreaux de ces fenêtres
comme dans ceux de nos atlas

Et dans notre méditation
nous devenons débarcadères
accueillant sur nos quais tranquilles
les échantillons des merveilles
des quatre coins de l'univers
les récits des explorateurs
les flammes des réformateurs
et les soupirs des oubliés

Maintenant je l'ai visitée
le Somport était enneigé
l'électricité détaillait
les ténèbres de l'intérieur
qui seront bientôt millénaires
sous arabesques séculaires
les romarins tordant leurs branches
dans le jardin sous le ciel gris
 
 
 
 
 
 
 

DÉGEL
pour Julius Baltazar

 
              Sortant de mon igloo j'assiste à la débâcle des valeurs qui se transforment en couleurs. Il me suffit de rayer la neige pour que s'y inscrive l'arc-en-ciel. Entre des falaises émeraude des troupeaux de morses aiguisent leurs défenses et télégraphient leurs amours. Les ouragans ont apporté des flammèches qui fleurissent dans les craquelures. Des rennes indigo emportent à toute allure le vieillard qui lance aux 32 vents jouets, friandises, palimpsestes et fourrures. Les stèles applaudissent à tour de bras; les rochers se hissent les uns sur les autres en tournant la tête et clignant des yeux pour voir passer les nouveaux-venus. Sur le maquis de givre des hélicoptères damasquinés dispersent des nuages de semences. Il suffit du moindre coup de gong pour que les échos déploient leurs épopées qui tournoient sur les pistes, les fleuves et les foules stupéfaites.
 
 
FICHIER FLAMBÉ
pour Dorny
 
Tout ça ce sont
des étrangers
des maghrébins
des ivoiriens

venant manger
notre pain blanc
ou enlever
nos jeunes filles

heureusement
le Ministère
de l'Intérieur
veille à ce grain

modulant les
flux migratoires
contrôlés par
ordinateur

*

Mais il paraît
que c'est plus grave
que tout ce qu'on
imaginait

même derrière
les murs de verre
triple épaisseur
percés de trous

devant lesquels
ces sans aveu
en longues files
vont quémandant

il y a des
français récents
pleins d'indulgence
pour leurs familles

*

Des italiens
des espagnols
des portugais
des polonais

juste bons pour
creuser les sapes
au cher vieux temps
de nos houillères

ou balayer
dans nos salons
sur les trottoirs
ou sur les quais

à la rigueur
on peut admettre
qu'ils agrémentent
nos jeux du stade

*

On nous apprend
sans crier gare
que cela dure
depuis des siècles

ainsi normands
seraient vikings
bretons retour
de l'Angleterre

même les Francs
seraient germains
gallo-romains
n'en parlons pas

magdaléniens
aurignaciens
néanderthal
archanthropiens

*

Nous n'osons plus
nous regarder
tranquillement
dans nos miroirs

car nos cheveux
seraient trop blonds
ou bien trop noirs
ou même roux

tout est suspect
yeux bleus ou bruns
peau basanée
boucles et tresses

des migrations
inattendues
secouent nos rêves
et nos racines

*

Le fichier qui
nous protégeait
avec sa grille
en noir et gris

s'épanouit en
irisations
et fait chanter
tous les accents

les méridiens
les parallèles
entraînent même
nos assemblées

à écouter
flux migratoires
comme sésames
électroniques

*

Américains
indonésiens
russes kirghiz
et mexicains

guatémaltèques
vénézuéliens
chiliens malais
et péruviens

martiniquais
zimbabwéens
finnois slovènes
et guinéens

sud-africains
thaïlandais
maliens flamands
et sélénites

*

Romanichels
traîne-savates
motocyclistes
contrebandiers

pilleurs d'épaves
fouilleurs de ruines
lecteurs de traces
devins sourciers

passe-frontières
ambassadeurs
à l'aventure
explorateurs

cherchant fortune
fuyant famine
cherchant l'issue
fuyant supplices

*

A la sauvette
en grand secret
sous le manteau
rois d'escampette

le grand écart
à la limite
entre deux eaux
entre deux vies

comme un serpent
comme un lézard
comme un termite
comme un vampire

complicité
détournement
subtilité
ductilité

*

Fuyant terreurs
tyrans prisons
en inventant
doubles langages

par le chemin
des écoliers
par les envols
des hirondelles

par escaliers
dissimulés
nuits et brouillards
douves et toits

par souterrains
déguisements
pistes chiffrées
incantations

*

Quant à l'affreux
littérateur
qui ricane en
versiculets

et reconnaît
dans ses ancêtres
basques anglais
et allemands

avec son goût
d'être à l'écart
avec son nom
d'oiseau farouche

est-il indien
turc japonais
sous ses dehors
de parisien
 
 
 
 
 
 
 

COHABITATION
avec Martin Miguel et Raphaël Monticelli
 
A l'orée du bois
le béton fleurit
en effervescences
illuminatrices
ouvrant les impasses
dures froides grises
où brisaient leurs têtes
les adolescents

Dans les corridors
de nos labyrinthes
mûrit le raisin
d'exaspération
qui va fermenter
en coulées brûlantes
pour nous entrouvrir
l'issue du secours

Dans les interstices
entre les panneaux
haleines circulent
encres et métaux
faisant respirer
nos forêts intimes
faisant palpiter
les yeux et les coeurs

Inlassablement
la marée questionne
aux pieds des donjons
gardant prisonniers
nos atermoiements
mines personnelles
silences coupables
parpaings de misères

Briques faites livres
enlaçant leurs phrases
tressent les vaisseaux
qui prendront essor
aux ports de Babel
pour chercher fortune
aux confins des races
et des millénaires
 
 

cet ouvrage réalisé en six exemplaires en 1997-98
est composé de cinq briques pages
fabriquées par Martin Miguel à La Trinité
inscrites par Michel Butor à Lucinges
et par Raphaël Monticelli à Nice

enregistré dans le catalogue de l'écart sous le numéro xxx il est dédié aux squatters de tous les pays
 
 
 
 
 
 
 
 

LE SOMMEIL D'ARIANE
pour Jean-Claude Prêtre


A
La multiplication des voix

1
 

  L'eau, la nuit de naissance, le frémissement de l'eau. - Laissez-moi mourir !

  La noirceur de l'eau, l'Aquilon, la froidure de l'eau. - Quel réconfort pourrais-je avoir ?

  Le murmure de l'eau, la nuit agitée, le mouvement de l'eau. - En telle infortune !

  Le soulèvement de l'eau, la Bise, les discours de l'eau. - En si grand martyre !

  Les abîmes de l'eau.


2
 

  La tranquillité de l'eau, la nuit de mauvaise Lune, le fil de l'eau. - Thésée, mon Thésée ! Le sel. Le violon reprend : - Ne me laissez pas mourir !

  L'écume, le Mistral, la houle. - Thésée toujours mien, Thésée disparu ! La vigne. Ma voix soutenue : - Quelqu'un viendra-t-il me réconforter ?

  La vague, la nuit noire, les algues. - Reviens, mon Thésée ! Les rochers. Une voix redoublée : - Changer mon infortune !

  Les grappes, les Ouragans majeurs, les nuages. - Reviens mon dieu ! Les courants. Des voix brûlantes : - Transfigurer mon martyre !

  Le sable, l'eau.


3
 

  Le battement de l'eau, la nuit de fièvre, le fil de l'eau, ses méandres, une vrille. - Reviens et regarde. Les épaves. - Thésée qui étais mon Thésée ! Les feux. Le luth reprend : - Laissez-moi vivre !

  Les mouettes, la Mousson d'hiver, la mer aux entrailles de raisin. - L'apatride, la déshéritée... Les galets. - Cruel qui n'as pas tout à fait disparu... Les cris. Ma voix transformée : - Reviens me réconforter !

  Les oliviers, l'approche du jour, une outre. - Abandonnée sur cette plage... L'eau. - Viens, qui que tu sois ! Les voiles. Une voix accompagnée : - Transfigurer mon infortune.

  Le sel, le Virtuose éolien des harpes, une tonne. - Au déchiquètement des fauves... L'écume. - Annonçant l'approche d'un dieu... Les mâts. Des voix ruisselantes : - Qui renversera mon martyre.

  La houle, le frémissement de l'eau.


4
 

  Le sommeil de l'eau, l'aube, le fil de l'eau, ses tours, détours et retours, une coupe. - Si tu savais, mon dieu Thésée... La vague. - Qui reviens et qui me regardes... Une chèvre. - Mon Thésée qui s'est transformé... Les cordages. La vielle reprend :  - Laissez-la vivre !

  Un verre, le vent d'Est, les algues. - Comme souffre la pauvre Ariane ! Un âne. - Plus tout à fait apatride ni déshéritée... Le gouvernail. - Non disparition mais transformation... Une amphore. Ma voix transposée : - Voici le réconfort qui vient.

  Les rochers, l'aurore, un tigre. - Sans doute retournerais-tu... La proue. - Vers cette plage mon héritage... La couleur. - Je t'attends, mon nouveau Thésée... Les nuages. Une voix avec son écho varié : - En ma fortune retrouvée.

  Un cygne, le Harmattan humecté, les rames. - Ta proue vers ces tristes rives... Le parfum. - Où les fauves cherchent leur joie... Les courants. - Pour le dieu remplaçant Thésée... Un sabot. Des voix bruissantes : - En mon martyre sublimé.

  Les barils, la noirceur de l'eau.
 

B
Le cortège

5
 

  Le calme de l'eau, le petit matin, le fil de l'eau, ses enroulements et déroulements, le goût, les Alisés, le sable. - Avec les vents sereins... Une corne. - Thésée, mon autre Thésée.. Les filets. - Tu reviens et tu me retrouves... Un thyrse. La viole de gambe reprend : - Fais-moi mourir et vivre !

  L'ivresse, les Haleines fragrantes, les épaves. - Tu t'en vas heureux me laissant pleurer... Une toison. - Mais tu vois comme je t'attends... Les oriflammes. - Riant à travers mes larmes... "Un bâton". Ma voix renversée : - Dieu du réconfort que je devinais à travers Thésée.

  A l'horizon, Paros, le jour, la vigne, le Foehn, les mouettes. - Athènes te prépare des fastes joyeux... Un panier. - Mais tu te retournes vers ces douces rives... Les sillages. - Où les fauves se roulent de volupté... "Un pur bâton". Une voix multipliée : - En tel soulagement !

  A l'horizon, Antiparos, l'heure des saveurs, les grappes, les Souffles capiteux, les galets. - Tes deux vieux parents vont t'embrasser... Une hotte. - Et tu les ramèneras jusqu'ici... Les feux. - Pour leur montrer ma guérison... "Perche à houblon, tuteur de vigne, pur, sec et droit." Des voix grondantes : - En telle gloire.

  A l'horizon Sikinos; la froidure de l'eau.


6
 

  Les pièges de l'eau, l'heure des fraîcheurs, le fil de l'eau, ses embobinements et débobinages, les vrilles, les Zéphyrs majeurs, les oliviers. - Voici donc la foi que tu m'avais jurée ! Une cymbale. La bacchante reprend : - Avec les vents sereins... Les cris. - Toi que je ne sais plus nommer. "Autour de ce bâton, dans des méandres capricieux, se jouent et folâtrent des tiges et des fleurs". - Tu es revenu et tu me regardes... A l'horizon, Ios. - Thésée inconnu, mon dieu !

  L'heure des couleurs. (... rencontre Amour sous un pommier, le monstre fantasque et délicieux...) Le Notus, le vin. - Voici donc le trône ancestral où tu m'as fait monter ! Le sel. - T'approchant joyeux et pleurant...  Un serpent. L'angelot reprend : - Toi qui seul connais ma souffrance intime... Les voiles. - Tu m'as rendu mon héritage et ma patrie... "...des tiges et des fleurs, celles-là sinueuses et fuyardes..." - Incarnation de tout ce qui avait disparu.

  A l'horizon, Iraklia, l'heure des éclats. (...le monstre fantasque et délicieux qui découvrit dans un bois, endormie à l'entrée d'une caverne...) L'Auster, les outres. - Voici donc les couronnes pour parer mes cheveux ! L'écume. - Les îles nous préparent des fastes joyeux... Un taureau. - Toi qui reviens perpétuellement vers mes rives... Les mâts. Le mendiant reprend : - Où tu fais chanter les animaux sauvages... "...des tiges et des fleurs, celles-ci penchées comme des cloches ou des coupes renversées..." - Phénix renaissant !

  A l'horizon, Karos, l'heure des parfums. (...endormie à l'entrée d'une caverne, la princesse au baptême de qui la jeune fée...) Le Sirocco, les tonnes. - Voici donc les sceptres, les ors et les gemmes ! La houle. - Voici donc nos parents qui vont nous embrasser... Les chèvres. - Tandis que nous leur montrerons les îles et les gouffres... Les cordages. - Et que tout notre corps sera devenu transparent... "Et une gloire étonnante jaillit de cette complexité de lignes et de couleurs, tendres ou éclatantes." L'ange en perdition reprend : - Nageant dans l'océan des dieux.

 A l'horizon, Amorgos; le murmure de l'eau.


7
 

  Le labyrinthe des eaux, l'heure des senteurs, le fil de l'eau, ses embrouillaminis et débrouillardises, les Zéphyrs mineurs, l'heure des rumeurs. (...la jeune fée, tandis que le terrible don de la vieille faisait frémir toute la compagnie...) - Tu m'avais abandonnée... Les coupes. La bacchante caressante : - Mais un autre a tenu la foi que tu m'avais jurée... Les vagues. - Avec les vents sereins... Les ânes. - Thésée transfiguré... Les gouvernails. - Thésée Dionysos.

  "Ne dirait-on pas que la ligne courbe et la spirale font leur cour à la ligne droite et dansent autour dans une muette adoration ?" La nuit de naissance, les Respirations empressées, l'Aquilon; à l'horizon, Ikaria. - Thésée que je ne connais plus... (... faisait frémir toute la compagnie (et il n'y eut personne qui ne pleurât), la jeune fée sortit de derrière la tapisserie...) - Voici un autre trône ancestral où un dieu me fait monter ! Les verres. L'angelot méditatif : - Je m'en vais heureux et tu pleures...  Les algues. - Et j'ai pitié de ta souffrance... Les tigres. - Ruisselant Dionysos !

  Les proues, l'heure des nuances, les Alisés variés, l'heure des chaleurs. "Ne dirait-on pas que toutes ces corolles délicates, tous ces calices..." - Tu aurais laissé mourir ta pauvre Ariane ! A l'horizon, Mykonos. - Mais voici une couronne d'étoiles pour parer mes cheveux... (...et la jeune fée dit tout haut au roi et à la reine de se rassurer, que leur fille ne mourrait point...) - Les nuages nous préparent des fastes joyeux... Les amphores. - Je regarde tes aventures et tes remords... Les rochers. Le mendiant aveugle : - Fauve Dionysos !

  Les cygnes, la nuit agitée, les Haleines charmeuses, la Bise, les rames. - Thésée que je voudrais oublier... "...tous ces calices, explosions de senteurs et de couleurs..." - Viendras-tu voir mes sceptres, mes ors et mes gemmes ? A l'horizon, Délos. - Viendras-tu voir mes vieux parents qui m'auront retrouvée ? (...dit qu'elle n'avait pas assez de puissance, à vrai dire, pour défaire entièrement ce que son ancienne avait fait...) - Mèneras-tu tes vieux parents vers les rives de mon bonheur ? Les couleurs. L'ange énamouré des profondeurs : - Brûlant Dionysos !

  Les parfums; dans ce cortège interviennent des enfants de tous âges, garçons et filles; le mouvement de l'eau.


8
 

  La profondeur des eaux, l'heure des arômes, le fil de l'eau, ses farfouillis, enquêtes et éclaircissements, la Mousson d'été, le basculement du jour, les nuages. - Tu ne réponds plus... Les sabots. La bacchante caressante reprend avec son violon : - Toi qui m'avais abandonnée ! Les barils. - Voyant qu'un autre a su tenir la foi que tu m'avais jurée... "...toutes ces corolles délicates, tous ces calices, ne dirait-on pas qu'ils exécutent un mystique fandango autour du bâton hiératique ?" Le mendiant reprend : - Avec les vents sereins... A l'horizon, Bénia. - Dionysos, mon Dionysos !

  (...que la princesse se percerait bien la main d'un fuseau, mais qu'au lieu d'en mourir, elle tomberait dans un profond sommeil...) La nuit de mauvaise Lune, la Brise océane, le Mistral, les goûts. - Serpent sourd à mes plaintes... Les courants. - Tu m'aurais laissée mourir sur la plage... Les cornes. L'angelot méditatif reprend avec son luth : - Mais un autre m'a fait monter sur un trône bien antérieur au tien... Les filets. - Il navigue heureux et tu rages... "Et quel est cependant le mortel imprudent qui osera décider si..." - Si tu savais, mon Dionysos, comme je ris !

  À l'horizon, Tinos; le soir, le vent d'Ouest, la brune. (...un profond sommeil qui durerait cent ans au bout desquels le fils d'un roi viendrait la réveiller au milieu des souffles.) - Nuées, orages, vents... L'ivresse. - Tu te riais de la pauvre Ariane... Les sables. - Mais un autre a paré ses cheveux d'une couronne d'étoiles... Les toisons. Le mendiant aveugle reprend sur sa vielle : - Les cieux nous préparent des fastes joyeux... Les oriflammes. - Dionysos qui te renouvelles à chaque automne !

  "...osera décider si les fleurs et les pampres ont été faits pour le bâton, ou si..." La nuit noire, la Mousson variée de l'automne, les Ouragans majeurs. (...la princesse au Bois dormant couchée sur le côté, le visage tourné vers la terre...) - Engloutissez Thésée ! Les vignes. - A qui j'avais offert mon honneur et ma vie... Les épaves. - Mais un autre m'a couverte d'ors et de gemmes... Les paniers. - émerveillant mes vieux parents et les tiens... Les sillages. L'ange énamouré des profondeurs reprend sur sa viole de gambe renversée : - Dionysos dont le navire danse parmi les îles !

  "...ou si le bâton n'est que le prétexte pour montrer la beauté des pampres et des fleurs ?" (selon le futur Baudelaire). Interviennent des enfants aux sabots de chèvres ou orteils délicats, aux croupes d'ânons ou fesses rebondies, aux rayures de tigres ou teint d'aurore, aux ailes de cygnes ou mains inventives; le soulèvement de l'eau.
 

C
La dissémination des enfants

9
 

  Les gouffres des eaux, le crépuscule interrompu par la nuit de fièvre, le fil de l'eau, ses quenouilles, fuseaux, rouets et ciseaux. (...le visage tourné vers la terre, son mouchoir dessus, et encore un bras sur le mouchoir pour plus grande précaution...) - Précipitez-vous, orques et baleines ! Les grappes. - Il ne répond plus... Les mouettes. - Celui qui m'avait abandonnée... Les hottes. - Mais voici le dieu fidèle... - Avec les vents sereins.

  (...et encore un bras sur le mouchoir, l'autre couché le long de la cuisse, le monstre chaleureux qui s'agenouilla d'abord auprès d'elle...) Le vent de Galerne mêlé à la Mousson d'hiver, les vrilles. - Emplissez les gouffres des fragments immondes... Les galets. - De ce serpent que j'avais cru Thésée... Les cymbales. - De ce monstre dévorant qui m'a trompée... - Mais voici le trône ancestral... (...s'agenouilla, lui souleva une main qu'il étendit sur la sienne, puis usant de l'autorité d'un dieu...) - Je pleure larmes de bonheur.

  Les vins, l'heure entre chien et loup interrompue par l'approche du jour, les oliviers. - Que dis-je hélas en mon délire ? Les serpents. - Nuées, orages, vents ! - Pauvre Ariane trop crédule ! (...l'autorité d'un dieu et d'un mari, y imprima deux baisers, le monstre qui poursuivit son discours à l'Apollon ventripotent à barbe bleue...) - Mais voici la couronne d'étoiles ! Les outres. - L'Olympe nous prépare des fastes joyeux.

  Le sel, les Ouragans mineurs mêlés au Virtuose éolien des harpes, les taureaux. - Que demandè-je en ma misère ? - Engloutissez-moi ! (...poursuivit son discours en disant qu'il voudrait aussi que la figure de l'esclave Esope qui, réjoui de son rêve de Fortune...) - Que je trouve nouvel honneur, nouvelle vie... Les tonnes. - Voici le sceptre des vivants et des morts... Les écumes. - Tous nos ancêtres se rassemblent dans la fête.

  Les chèvres; dans ce cortège des enfants tétant, buvant, bâfrant, pissant, jouant, roulant, caressant, souriant, mordillant, riant, criant, pleurant, chantant; une couronne de feux dans le miroir de l'eau; les discours de l'eau.


10
 

  Les abîmes des eaux, la nuit studieuse interrompue par l'aube, le fil de l'eau, ses rasoirs, poignards, épées et strangulations, ruptures, cassures, coupures, sutures, coutures et cicatrisations. - Dionysos, mon Dionysos ! (... réjoui de son rêve de Fortune, s'éveilla en disant clairement : "qu'est ceci ?" et sa figure à lui, Amour, fussent mises à l'entrée du Labyrinthe...) - Précipitez-vous, orques et baleines ! Les coupes. - Répondez à toutes nos quêtes ! Les houles. - Je ne serai plus jamais abandonnée... - Voici la foi qui ne faillira point.

  Le Norois mêlé au vent d'Est. (...mises à l'entrée du Labyrinthe, l'un comme auteur des fables, l'autre des moralités...) - Ce n'est pas moi qui me plains... Les verres. - Caressez ses merveilleux membres... Les vagues. - De serpent à milliers de lèvres... - Qui me dévore de baisers... - Voici le trône originel.

  (...à l'entrée du Labyrinthe tandis que tourne la pauvre fille, marchant sur des traces de braise, qui souffrait tout avec patience...) La nuit profonde interrompue par l'aurore, les amphores. - C'est mon ancienne douleur qui parle... Les algues. - Faites retentir les gouffres... - Les nuées, les orages, les vents... - De l'aventure de la pauvre Ariane.... (...avec patience et n'osait se plaindre à son père qui l'aurait grondée parce que sa femme le gouvernait entièrement...) - Voici la couronne suprême !

  Les couleurs, les Exhalaisons mêlées au Harmattan humecté, les rochers. - C'est ma langue qui parle et ce n'est pas mon coeur... - C'est l'illumination des plaintes... - Dans l'engloutissement de celle que j'étais... (...qu'il croyait que ces deux figures, l'une d'un jeune garçon aussi beau qu'on a accoutumé de peindre l'Amour...) - Métamorphosée en constellation... Les parfums. - Voici le sceptre des voyages !

  Les nuages; des enfants se dressant, trépignant, sautant, dansant, courant, s'interpellant, se poursuivant, se défiant, se rattrapant, s'atteignant, s'étreignant, s'embrassant, se culbutant, s'escaladant, s'effondrant, s'écroulant, s'endormant; une couronne d'îles dans le miroir de l'eau; les révélations de l'eau.


11
 

  La transparence de l'eau, la nuit d'orage interrompue par le petit matin, le fil de l'eau, ses dentelles, contrepoints, irrigations et circulations, tourbillons, cascades et chutes. - Malheureuse, tu espères encore ! - Dionysos, mon Dionysos ! (...et l'autre d'un homme aussi laid qu'Esope, feraient un contraste qui ne serait pas désagréable (dans le ciel violet qui commence à s'empourprer, de nouveau l'étoile de Vénus)...) - Précipitez-vous, orques et baleines ! - Répondez à nos malheurs ! Les courants. - A l'abandon de nous toutes.

  L'Aquilon mineur mêlé aux Alisés. - Malheureuses sous tant de mépris... (...tandis que tourne le renard avec le singe à qui il a évité d'être couronné roi, et le loup qui n'a pu entrer ni chez la chèvre ni chez la villageoise...) - Ce n'est pas ton Ariane qui se plaint... - Honteuse de son corps ancien... Les sables. - C'est le vieux serpent qui rampe... - C'est le monstre qui se cherche.

  La nuit de paix interrompue donnant naissance au grand matin. (...tandis que le sauvage Chactas quitte les galeries et descend dans les jardins au milieu du fracas des armes...) - Malheureuse, amoureuse encore... - C'est l'ancienne douleur qui parle... Les épaves. - Découvrant de nouveaux délires... - Nuées, orages, vents... - Dionysos, mon vrai Thésée !

  (...rencontre en un souterrain l'éditeur de la Bibliothèque orientale, Antoine Galland, qui le mène dans un autre jardin où la symétrie, la propreté, la disposition admirable...) La Tramontane mêlée aux  Haleines fragrantes. - Malheureuse orpheline trahie.... Les mouettes. - C'est le malheur de toutes mes soeurs.... - Réveillant d'anciennes misères... - Aux gouffres d'engloutissement.... (...la disposition admirable des arbres, l'abondance et la diversité des fruits de mille espèces inconnues, leur fraîcheur, leur beauté...) - Illuminées par ma quête.

  Enfants barbouillés, grimés, masqués, travestis, hantés, inspirés, s'agitant, murmurant dans leurs rêves; une couronne d'étoiles dans le miroir de l'eau; la générosité de l'eau.


12
 

  Le silence des eaux, la nuit claire saluant le jour, le fil de l'eau, ses branchements, embranchements, arborescences, bourgeonnements, noeuds et dénouements, illuminations. - Mes parents et mon royaume... - Malheureuse bienheureuse... - Dionysos qui fus Thésée... (...tout ravit la vue, jardin arrosé d'une manière fort singulière : des rigoles creusées avec art et proportion portant de l'eau...) - Précipitez-vous, orques et baleines ! - Ah tu me réponds enfin !

  Borée mêlé au Foehn. - Palais que je parcourais... - Paradis de l'innocence... (...portant de l'eau abondamment à la racine des arbres qui en ont besoin pour pousser leurs premières feuilles et leurs fleurs...) - Où je me plaignais si délicieusement... - Bras et jambes se métamorphosent... - L'espace ouvre ses oreilles.

  La nuit de neige douce donnant sur l'heure des saveurs. - Serviteurs, amis fidèles... (...d'autres en portant moins à ceux dont les fruits sont déjà noués, d'autres encore moins à ceux où ils ont déjà acquis une grosseur convenable...) - Chaleureux instituteurs... - Qui me réconfortiez par vos chants... - Interprétiez mes délires... - Nuées, orages et tempêtes.

  Le Blizzard mêlé aux Souffles capiteux. (...une grosseur surpassant de beaucoup celle des fruits ordinaires de nos jardins, et n'attendent plus que la maturité...) - Réveillez votre joyau... - Par le vin des découvertes... - J'ai perdu mon ancien coeur pour en trouver un nouveau... - Qui plonge dans tous les gouffres... - Où se sont engloutis les désespoirs anciens.

  (...les autres enfin aboutissant aux arbres dont le fruit est mûr, n'ayant d'humidité que ce qui est nécessaire pour le conserver sans le corrompre...) Des enfants flapis, fourbus, repus ou affamés, ivres ou vifs, cherchant, fouillant, imitant, apprenant, muant, mutant, grandissant, verdissant, triomphant; l'allégresse de l'eau changée en vin.
 
 
 
 
 
 
 

L'ANNONCIATEUR
pour le compagnon horloger
(Patrice Pouperon)

 
Le doigt dressé comme une antenne
pour capter les dits du Ventoux
et les diffuser aux villages
où mûrissent les vins allègres

Envers et contre le Mistral
qui balaie floraisons et tuiles
transformant ruelles en orgues
et nuages en cavalcades

Auscultant le pouls de la Terre
aux artères des méridiens
fuseaux sur les métiers du temps
aiguilles brodant ses tambours

Proclamant la libération
en ouvrant les rideaux du siècle
dénouant les outres des brises
pour la respiration des Muses
 
 
 
 
 
 
 

PERSONNE DÉPLACÉE
pour le batteur du pavé
(Allan Ginsberg)

 
Devant l'océan Pacifique
où sombre le soleil minium
les lumières de la cité
interprètent la Porte d'Or

Et tout au long des autoroutes
motocyclistes nostalgiques
en transmettent leur déchiffrage
jusqu'aux pistes d'aéroports

Ayant traversé l'Atlantique
le marcheur des rues et des grèves
dans la chambre de son hôtel
essaie d'en retenir l'écho

Qui a voyagé jusqu'à lui
dans le labyrinthe des heures
parmi taxis métros rumeurs
hurlements cahots et sifflets


 
 
 
 
 

SUR LE CHEMIN DU RETOUR LA REINE DE SABA SONGE À LA JÉRUSALEM FUTURE

pour Henri Maccheroni

 
Un jour les solives du temple
deviendront nefs sur l'océan
une pyramide turquoise
oscillera pour nous guider

Et les anges des profondeurs
aménageront les courants
selon les suggestions des astres
pour que nous visitions les ports

Où nos descendants les rois-mages
embarqueront l'or et l'encens
pour les délices des enfants
pour les signaux dans les déserts

Et la myrrhe pour embaumer
les victimes des déchirures
permettant de les consulter
dans les miroirs d'éternité


 
 
 
 
 

À LA RECHERCHE DE LA ROSE PERDUE

pour Gregory Masurovsky
 
1

On se réveille
dans la blancheur
qu'avons-nous vu
dans le brouillard
de la forêt
désenchantée

Le long de tes branches
fouillant ton écorce
le long de tes rives
captant tes reflets
le long de ta neige
flairant tes échos

Battement d'innocence
au seuil de ta caverne
bruissement de confiance
dans ta respiration
frissons de tes ramures
au lac de mon attente
 

2

On s'éclabousse
dans la noirceur
la glu la poix
la boue le froid
grilles fermées
grelottements

Dans les souterrains
où sifflent les vents
semant des épines
entre les pétales
les bourgeons brûlants
murmurent leurs cendres

Au glas des effarés
les animaux s'égarent
les morts abandonnés
répandent leurs entrailles
sur les trottoirs crevés
entre les tas d'ordures
 

3

On continue
sans trop savoir
si l'on tiendra
jusqu'à la nuit
si quelque oreille
vous entendra

Une porte s'ouvre
dans le crépuscule
lampe sur la table
vin dans la bouteille
la nappe et la soupe
la chaise et le lit

Comment vous remercier
amis dans ma détresse
vos regards sont un baume
sur mes bouquets d'échardes
votre silence dore
ma fatigue et mon deuil
 

4

On est trop seul
entre ses draps
ressassements
dans l'insomnie
tout s'éparpille
vers les ténèbres

Mes mains de charbon
cherchent vainement
traces de la flamme
qui les ravivait
mes yeux de glaçons
grincent dans leurs trous

Un par un les fantômes
détachent leur silhouette
devant la vitre opaque
où leurs ongles inscrivent
sur l'étendard du givre
leurs revendications
 

5

On se réveille
dans les parfums
inattendus
d'un jour d'été
avec fumées
sur l'horizon

Dans mes deux orbites
veillent des oiseaux
dans mon tabernacle
le pain et le sel
prêts pour le retour
de la bien-aimée

Toutes les élégances
les soupirs les éclats
préparent la rencontre
sur les canaux d'éden
où les ombres m'accueillent
comme leur gondolier


 
 
 
 

CARREFOUR

pour Henri Maccheroni

 
Il nous faut choisir
entre quatre impasses
et les inspecteurs
avec leurs matraques
ne nous laissent pas
le temps d'explorer
parois et recoins
pour y découvrir
dans quelque fissure
l'air annonciateur
d'un couloir secret

Les quatre panneaux
qui ferment les voies
proclament devises
gravées et dorées
pour nous asservir
et nous enrôler
agenouillez-vous
enrichissez-vous
précipitez-vous
exterminez-vous

Il est interdit
de chercher plus loin
de se retourner
de se rassembler
ou de s'isoler
de se réfugier
dans un ermitage
ou dans un silence
ou dans un sourire
ou dans un soupir

Nous faisant semblant
de ne savoir lire
guettons grondements
du feu souterrain
accordant ses cuivres
pour nous annoncer
un vol d'oiseaux-rocs
venant nous saisir
et nous transporter
de l'autre côté
du mur des supplices


 
 
 
 
 

DÉCLARATION D'ORAGES

pour Henri Pousseur
(1989)
1

Une ancienne tradition veut
que les souverains de jadis
aient tourné autour de l'Empire
leur encre métissée de sang
voulant remettre l'ombre à l'heure
mais le présent n'est pas un fil
c'est toute une vague c'est même
un océan de vagues d'où
naissent parfois quelques sibylles
proférant des textes chiffrés
s'organisant en talisman
rétablissant les différences

2

Ils pouvaient bien pendant quatre ans
demeurer dans leur résidence
concentration de l'univers
selon l'ancienne tradition
tous ces souverains de jadis
qui tournaient une année sur cinq
depuis l'Est autour de l'Empire
promulguant le calendrier
suivant la marche du soleil
au progrès d'un camp répondait
la réaction annulatrice
dans un retour intolérable

3

Tant que le maître et les esclaves
réagissaient les uns à l'autre
par une peur insurmontable
ils pouvaient bien pendant quatre ans
demeurer dans leur résidence
promulguée centre de l'espace
figuration de l'univers
répartie en salles chiffrées
résonnant en carrés magiques
l'ellipse la plus allongée
ne pouvait fleurir en spirale
les souverains étaient esclaves

4

Il faut qu'au couple maître-esclave
il succède un tout différent
il nous faut quitter l'ancien cercle
tant que le maître et ses esclaves
réagissent les uns à l'autre
comme en la vieille mécanique
une guerre est inévitable
à tout progrès d'un camp répond
la réaction annulatrice
il n'y a plus que des esclaves
égalité dans l'esclavage
mais la maîtrise nous attend

5

Il y a dans le monde actuel
bien des maîtres et des esclaves
mais les maîtres le sont si peu
il faut qu'au couple maître-esclaves
il succède un tout différent
avènement irréversible
il nous faut quitter l'ancien cercle
l'ellipse la plus allongée
ne convient il faut la spirale
et la maîtrise n'est pas loin
la maîtrise sans esclavage
mais pas de mots sans recoins d'ombre

6

Il faut faire entendre à celui
qui se croit maître qu'il demeure
à bien des égards un esclave
il y a dans le monde actuel
bien des maîtres et des esclaves
et dans nos sociétés nous sommes
tous maîtres un peu mais surtout
esclaves de notre retard
esclaves de l'égalité
beau mot gravé sur nos frontons
car pas de mots sans recoins d'ombre
il n'y a plus que des esclaves

7

Le mot égalité provoque
autant de malentendus que
liberté ou fraternité
il faut faire entendre à celui
qui se croit maître qu'il demeure
à tant d'égards encore esclave
à qui se sait par trop esclave
que la maîtrise n'est pas loin
la maîtrise sans esclavage
une égalité de comptable
est égalité de misère
notre cible est la différence

8

La Déclaration des Droits donne
ostensiblement d'une main
ce qu'elle retire de l'autre
le mot égalité provoque
autant de malentendus que
liberté quant au beau troisième
il a l'air plutôt innocent
mais pas de mots sans recoins d'ombre
surtout ceux inscrits aux drapeaux
chacun soit également centre
et marge mais différemment
pour que le chant noie la fanfare

9

La seule égalité qui vaille
doit permettre à nos différences
de s'épanouir en liberté
la Déclaration des Droits donne
ostensiblement d'une main
ce qu'elle retire de l'autre
subrepticement tous alors
sont égaux dans même misère
c'est l'égalité du comptable
la fanfare des maîtres morts
écrase le chant des esclaves
sous la menace de la guerre

10

Qu'à l'intérieur de l'harmonie
d'une volonté générale
se singularise le chant
la seule égalité qui vaille
doit permettre à nos différences
de s'épanouir nous désirons
la symphonie différenciée
où chacun soit à la fois centre
et marge mais différemment
dans la constance de la guerre
diversifions nos attentions
sur l'océan des prospections

11

La plupart du temps l'extrémiste
celui qui dit mort et détruire
nie la profondeur du désastre
dans la prétendue harmonie
d'une volonté générale
il faut écouter les accents
des mélodies individuelles
sinon la fanfare des maîtres
écrase le chant des esclaves
cet océan de vagues d'où
montent d'innombrables Vénus
accompagnant l'enfant Soleil

12

Notre sang est métissé d'encre
au siècle en retard sur lui-même
le présent c'est toute une vague
la plupart de nos extrémistes
ceux qui disent mort ou détruire
sont enfants gâtés ignorant
toute l'étendue des malheurs
mais qui cherche la fin des guerres
multipliant les précautions
en rénovant les traditions
transforme les calendriers
dans l'univers des différences
 
 

DÉCLARATION D'ORAGES
(face A)

Une ancienne tradition veut
que les souverains de jadis
aient tourné autour de l'Empire
leur encre métissée de sang
voulant remettre l'ombre à l'heure
mais le présent n'est pas un fil
c'est toute une vague c'est même
un océan de vagues d'où
naissent parfois quelques sibylles
proférant des textes chiffrés
s'organisant en talisman
rétablissant les différences

Tant que le maître et les esclaves
réagissaient les uns à l'autre
par une peur insurmontable
ils pouvaient bien pendant quatre ans
demeurer dans leur résidence
promulguée centre de l'espace
figuration de l'univers
répartie en salles chiffrées
résonnant en carrés magiques
l'ellipse la plus allongée
ne pouvait fleurir en spirale
les souverains étaient esclaves

Il y a dans le monde actuel
bien des maîtres et des esclaves
mais les maîtres le sont si peu
il faut qu'au couple maître-esclave
en succède un tout différent
avènement irréversible
il nous faut quitter l'ancien cercle
l'ellipse la plus allongée
ne convient il faut la spirale
et la maîtrise n'est pas loin
la maîtrise sans esclavage
mais pas de mots sans recoins d'ombre

Le mot égalité provoque
autant de malentendus que
liberté ou fraternité
il faut faire entendre à celui
qui se croit maître qu'il demeure
à tant d'égards encore esclave
à qui se sait par trop esclave
que la maîtrise n'est pas loin
la maîtrise sans esclavage
une égalité de comptable
est égalité de misère
notre cible est la différence

La seule égalité qui vaille
doit permettre à nos différences
de s'épanouir en liberté
la Déclaration des Droits donne
ostensiblement d'une main
ce qu'elle retire de l'autre
subrepticement tous alors
sont égaux dans même misère
c'est l'égalité du comptable
la fanfare des maîtres morts
écrase le chant des esclaves
sous la menace de la guerre

La plupart du temps l'extrémiste
celui qui dit mort et détruire
nie la profondeur du désastre
dans la prétendue harmonie
d'une volonté générale
il faut écouter les accents
des mélodies individuelles
sinon la fanfare des maîtres
écrase le chant des esclaves
cet océan de vagues d'où
montent d'innombrables Vénus
accompagnant l'enfant Soleil


DÉCLARATION D'ORAGES

(face B)
Ils pouvaient bien pendant quatre ans
demeurer dans leur résidence
concentration de l'univers
selon l'ancienne tradition
tous ces souverains de jadis
qui tournaient une année sur cinq
depuis l'Est autour de l'Empire
promulguant le calendrier
suivant la marche du soleil
au progrès d'un camp répondait
la réaction annulatrice
dans un retour intolérable

Il faut qu'au couple maître-esclave
en succède un tout différent
il nous faut quitter l'ancien cercle
tant que le maître et ses esclaves
réagissent les uns à l'autre
comme en la vieille mécanique
une guerre est inévitable
à tout progrès d'un camp répond
la réaction annulatrice
il n'y a plus que des esclaves
égalité dans l'esclavage
mais la maîtrise nous attend

Il faut faire entendre à celui
qui se croit maître qu'il demeure
à bien des égards un esclave
il y a dans le monde actuel
bien des maîtres et des esclaves
et dans nos sociétés nous sommes
tous maîtres un peu mais surtout
esclaves de notre retard
esclaves de l'égalité
beau mot gravé sur nos frontons
car pas de mots sans recoins d'ombre
il n'y a plus que des esclaves

La Déclaration des Droits donne
ostensiblement d'une main
ce qu'elle retire de l'autre
le mot égalité provoque
autant de malentendus que
liberté quant au beau troisième
il a l'air plutôt innocent
mais pas de mots sans recoins d'ombre
surtout ceux inscrits aux drapeaux
chacun soit également centre
et marge mais différemment
pour que le chant noie la fanfare

Qu'à l'intérieur de l'harmonie
d'une volonté générale
se singularise le chant
la seule égalité qui vaille
doit permettre à nos différences
de s'épanouir nous désirons
la symphonie différenciée
où chacun soit à la fois centre
et marge mais différemment
dans la constance de la guerre
diversifions nos attentions
sur l'océan des prospections

Notre sang est métissé d'encre
au siècle en retard sur lui-même
le présent c'est toute une vague
la plupart de nos extrémistes
ceux qui disent mort ou détruire
sont enfants gâtés ignorant
toute l'étendue des malheurs
mais qui cherche la fin des guerres
multipliant les précautions
en rénovant les traditions
transforme les calendriers
dans l'univers des différences
 
 
 
 
 
 

ONDULATIONS
pour Joao Frutos
et Geneviève Besse

 
Entre les barques et les îles
poissons remuent nageoires
 

      Je m'imagine découvrir les Antilles où je ne suis jamais allé.
 

Entre les arbres et les ombres
les odeurs du marché
 

      Les fruits exotiques me prennent par surprise.
 

Entre aérogare et poussières
le rugissement tendre
 

      Deux amis camionneurs se saluent en freinant.
 

Entre le silence et la nuit
le baiser des fraîcheurs
 

      Tout s'apaise dans les faubourgs par vagues.
 

Entre les cheveux et les mains
l'électricité passe
 

      Les amoureux se caressent dans les étincelles.
 

Entre les sourcils et les cils
la paupière aux aguets
 

      Les regards se cherchent d'une rue à l'autre.
 

Entre les lèvres et les dents
les premiers mots rieurs
 

      Les enfants surmontent leur timidité pour saluer le voyageur.
 

Entre les draps et la fenêtre
les souvenirs fidèles
 

      Quelques cartes postales punaisées sur le mur au fil des années.
 

*
 

Entre tôle et fibro-ciment
un abri pour l'orage
 

      Presque toutes les toitures sont en matériaux ondulés.
 

Entre le chômage et les fêtes
une chanson tenace
 

      Les sinusoïdes musicaux traînent aux carrefours.
 

Entre les chevaux et les palmes
l'étoile du matin
 

      Les crinières animales et végétales oscillent sur l'horizon.
 

Entre les drapeaux et les vents
un claquement de langue
 

      Voici les signes avant-coureurs d'une belle tornade.
 

Entre les montagnes qui grimpent
les gouffres qui se creusent
 

      Les ondulations du relief reprennent celles des maisons.
 

Entre volcans qui se réveillent
les cyclones défilent
 

      Éole déchaîne l'orchestre de Vulcain.
 

Entre les horizons tremblants
glissements et cascades
 

      Les tremblements de l'Archipel provoquent des raz-de-marée.
 

Entre la France et les Antilles
courriers et sargasses
 

      Le long du fleuve océanique les bateaux croisent leurs sirènes.
 

*
 

Entre les serpents et les ailes
un dragon se redresse
 

      Le dernier nuage après l'averse annonce une soirée paisible.
 

Entre les saveurs et langueurs
couteaux et crissements
 

      Aux terrasses des restaurants les recettes inattendues.
 

Entre carrefours et clochers
les fleurs sur les tissus
 

      Sous l'angélus rassurant le jardin des robes.
 

Entre les embruns et les mouches
empreintes sur le sable
 

      Comment terminer la journée sans enlacements dans l'écume ?
 

*
 

Entre les battements du coeur
le trac et les aveux
 

      Les adolescents s'aventurent dans l'aisselle de la forêt.
 

Entre les mouvements des hanches
les cris des nouveau-nés
 

      Les jeunes parents épuisés arborent un air triomphant.
 

Entre les murs des hôpitaux
l'espoir de guérison
 

      Dans les plus âgés le sommeil poursuit les phases de la Lune.
 

Entre le texte et la peinture
l'amitié voyageuse
 

      Le sens ondule entre les arts dans le dialogue des humeurs.


 
 
 
 
 
 

JARDINS D'ÉPIPHANIE

pour Bertrand Dorny
 
Au lieu d'or je t'apporterai
des citrons et des mimosas
le miel des montagnes du Nord
épis de blé grappes de vigne
truffes morilles et bolets
émaux vitraux marqueteries
velours miroirs enluminures
marbres libellules et lys

Au lieu d'encens je t'offrirai
du thé dans bol de porcelaine
éventails et damasquinages
soieries laques et paravents
des tapis des châles de l'encre
des pinceaux de calligraphie
flûtes lithophones et gongs
tulipes et martins-pêcheurs

Au lieu de myrrhe livrerai
tous les secrets des pharaons
les clefs des palais et des tombes
puis les trésors des caravanes
ayant franchi forêts déserts
harpes marimbas et tambours
indigo bananes cafés
dattes singes mangues panthères
 

 Ici les rois voient apparaître
 des compagnons inattendus


Et moi qui viens d'outre-Atlantique
te découvrirai les tomates
le maïs et le chocolat
les crânes de quartz et de sucre
nos coeurs palpitant dans les cages
de nos poitrines transpercées
entre mosaïques de plumes
sur les pavages de mica

Arrivant de l'autre hémisphère
où les saisons sont renversées
ambassadeur des Antipodes
t'étalerai nos orchidées
nos hibiscus eucalyptus
nos oiseaux-mouches papillons
les peintures sur des écorces
gamelangs et didjeridoos

Ayant traversé la surface
avec mes nageoires et palmes
m'ébrouant sur lit de varechs
déploierai cornes de narval
ivoires de morse ambre perles
bosquets de coraux coquillages
des carapaces de tortue
sabliers opales pirogues

Débarquant d'autres profondeurs
je t'emmènerai visiter
anneaux cratères chevelures
et lors de nos explorations
nous cueillerons météorites
enchâssant bactéries fossiles
des nouvelles d'autres systèmes
sur les revers de la lumière


 
 
 
 
 

ÉLOGE DE PARMENTIER

pour Joël Leick

 
          Originaire des Andes où elle était cultivée dès l'époque précolombienne, la morelle (solanum tuberosum), dite "pomme de terre", fut introduite en Espagne dès 1534 comme plante d'ornement. Elle se répandit en Autriche, Suisse, Allemagne, Angleterre et Belgique où son usage se développa rapidement dans l'alimentation. Mais en France, c'est seulement en 1788, une année avant la prise de la Bastille, que le pharmacien-chef des Invalides, lequel s'intéressait depuis longtemps à cette espèce comme le montrent ses publications :
         Examen chimique de la pomme de terre (1771)
          et Recherches sur les végétaux nourrissants qui, dans les temps de disette, peuvent remplacer les aliments ordinaires (1781),
          - auteur aussi du Parfait boulanger (1777)
            et du Traité de la châtaigne (1780) -
réussit à obtenir l'autorisation officielle de la cultiver à grande échelle sur la plaine des Sablons, dans l'actuel seizième arrondissement de Paris entre Neuilly et la place des Ternes.

          Il eut l'idée d'en offrir un rameau à Louis XVI pour en fleurir sa boutonnière, ce qui la mit immédiatement à la mode. Suivirent le
         Traité sur la culture et les usages des pommes de terre, des patates et des topinambours (1789)
et sous l'Empire le
         Traité sur l'art de fabriquer les sirops et conserves de raisin (1810).

         Ses tubercules favoris règnent depuis sur toutes nos cuisines.

          Les laver, les plonger sans les peler dans l'eau froide salée (10 grammes par litre) que l'on met sur le feu. Laisser bouillir doucement pendant trente minutes, et servir avec du beurre frais.

          Ou bien napper d'une sauce blanche, tomate, brune ou poulette.

          Ou bien les éplucher, couper en rondelles minces dans un saladier au fond duquel on a mis un peu de bouillon ou de lait, et assaisonner à la vinaigrette. Compléter à volonté avec oignon haché, persil, oeufs durs ou betteraves rouges. On peut y ajouter des morceaux de viande froide, des filets de harengs coupés, des morceaux de poisson cuits à l'eau et refroidis.

          Ou bien une fois épluchés et coupés en tranches, en étaler au fond d'un plat à four et recouvrir cette première couche de sauce blanche, bien assaisonnée et de gruyère râpé, puis d'une seconde couche que l'on recouvre de même. Faire gratiner pendant dix minutes.

          Ou encore les faire cuire 35 minutes à la vapeur déjà épluchés, puis égoutter, arroser avec du beurre fondu, saupoudrer de persil, ciboulette ou cerfeuil ou encore menthe.

          Ou les passer au tamis encore chauds, ajouter beurre et lait chaud en battant énergiquement avec une cuillère en bois. On peut faire dorer à four bien chaud cette purée étalée dans un plat à gratin et parsemée de beurre ou de gruyère. Pourquoi ne pas y ajouter des oeufs, de la crème et du fromage ?

          Ou bien on intercale entre deux couches de purée un hachis de viande de boeuf et de lard fumé mélangé à de l'oignon émincé cuit au beurre blanc et à du pain trempé dans du lait chaud, le tout lié avec un oeuf entier. On parsème de beurre et gruyère râpé et l'on fait gratiner un quart d'heure.

          Ou bien on remplace dans cette purée le lait par des oeufs entiers battus en omelette et quelques jaunes supplémentaires; on en étale une couche d'un centimètre d'épaisseur sur un plat beurré et on laisse refroidir en prenant soin de passer d'abord un peu de beurre pour éviter la formation d'une croûte; puis on découpe en losanges, croix, rectangles, petits pains ou petits poissons; on dore à l'oeuf et l'on fait prendre la couleur à four chaud pendant un quart d'heure.

          Ou bien on creuse des trous dans purée et casse dans chacun un oeuf entier que l'on recouvre de crème fraîche. Saler, poivrer, dorer.

          Ou bien façon savoyard, timbale renaissance, gratin dauphinois.

          Pommes de terre sautées, à la boulangère, en ragoût, frites ou Pont-neuf, chips, paille, croquettes, surprise, à la Dubourg, Anna, au chocolat.

         Ou bien...

         Léchez-vous les doigts!
 
 
 
 
 
 

L'IVRESSE DE LA DÉCOUVERTE
pour Julius Baltazar

 
 
  Lorsque Noé descendit de son arche avec tous les animaux deux par deux, il se hâta de mettre en terre le menu plant de vigne qu'il avait cueilli sur le mont Ararat, rescapé du déluge, et précieusement conservé dans un étui en os de cygne, ce qui lui donna la propriété de faire nager, voler et chanter le buveur.

  Lorsque Dionysos débarqua de sa nef avec son cortège de fauves et de faunes, le vieux Silène sur son âne et Ariane couronnée d'étoiles enlevée au passage à Naxos, il s'empressa de repiquer le cep de vigne déterré en Ionie, confortablement emballé dans un fémur de lion, ce qui lui procura le pouvoir de faire flairer, gronder, rugir, bondir et disserter le goûteur.

  Lorsque Christophe Colomb et ses successeurs eurent fait aborder leurs caravelles avec cavaliers, artilleurs et missionnaires, ils n'oublièrent pas de préparer, dès la première installation, des vignobles avec grand soin pour y élever les cépages sélectionnés en Andalousie et Corse, entretenus dans des crânes d'éléphants, ce qui leur permit de s'épanouir en talismans liquides conférant au dégustateur l'envie du franchissement, le secret des serrures, la multiplication des horizons, le don des langues et de l'orientation dans la longévité rieuse.


 
 
 
 
 

MIROIR AUX ALOUETTES URBAINES

pour Dorny

 
 
Tournant de quartier en quartier
le grand huit les chevaux de bois
le train des fantômes voyantes
pizzerias et barbe à papa
le monstre du Lochness le cirque
avec parade et loteries
balançoires jeux de massacre
et la photographie burlesque
voilà j'ai perdu mon chemin

Virant de faubourg en faubourg
démontages wagons montages
haut-parleurs de publicité
les annonces dans les journaux
affichettes dans les bistrots
les barbecues et leurs fumées
les répétitions sur le sable
les repas des chevaux et fauves
indiquez-nous la direction

Roulant de province en province
nuits sur parkings des autoroutes
en rêvant d'un autre métier
les associations culturelles
inaugurations et fanfares
les campagnes électorales
poignées de main sur les marchés
drapeaux et illuminations
quel avenir nous reste-t-il

Volant de pays en pays
compagnies multinationales
délocalisations ravages
diplomatie missions d'urgence
déclarations humanitaires
olympiades et festivals
mouvements d'intimidation
stars et terreurs ténors et strass
la Terre ne tourne pas rond
 
 
 
 
 
 

FREDONS ET TARABUSTES
pour Pierre Bartholomée
et Anne Walker

 
1
      La clef tourne dans la serrure du portail branlant.

2
      Les lianes grimpent jusqu'au radar de l'Amirauté.

3
      La délégation des enfants d'Elseneur approche des remparts de Bois-le-Duc.

4
      La confrérie des renards agite ses crécelles dans la forge vide.

5
      Des lèvres s'ouvrent dans la terre pour se plaindre aux nuages paralysés.

6
      Le long d'un ravin, des girolles proposent leurs urnes.

7
      Est-ce vraiment la Lune qui entre en éruption derrière le rideau d'ormes, ou bien, sur le Mont chauve, la longue jument aveugle qui fait crépiter sa crinière ?

8
      Dans la crique, sous les saules, quelques bulles et le dos des carpes.

9
      Les troupeaux joignent leur haleine aux reflets et brouillards de l'écluse.

10
      A reculons, admirant les plongeons et envols des grèbes, en fermant la barrière qui disparaît derrière le fouillis des glycines.

11
      Entre les cheminées des usines de lutherie depuis longtemps désaffectées, les araignées processionnaires à cymbales tissent d'immenses toiles en forme de hamac .

12
      Le carnaval passé, les échos des ruelles reprennent les rires et les grondements tandis que la reine du sabbat s'éloigne avec un dernier signe.

13
      C'est l'été de la Saint-Martin; parmi les feuilles mortes se faufile un sourire de porcelaine.

14
      L'haleine de l'automne soulève la laine des landes.

15
     Les nuances du terroir grimpent au long des tiges pour coudre des manteaux et déployer des bouquets.

16
      Une tache de miel sur un carreau de nacre.
 
 
 
 
 
 
 

RECYCLAGE
pour Paolo Boni
 
1

Butin du lundi au fond de la cour :

          des clous, des écrous, des grilles et des capsules.

          Un pas.

2

Butin du mardi sur le terrain vague :

          des planches, des branches, des éclats, des écorces,
          des champs de clous, d'épingles, de tôles et de lames.

          Un pas, on remarque, un pas.

3

Butin du mercredi au marché aux puces :

          des feuilles, des enveloppes, des bribes et des timbres,
          des amas de planches, de tenons, de mortaises, de plateaux,
          des collines d'écrous, des vallées de couvercles, des torrents de charnières et des cascades de  vrilles.

          Un pas, on se baisse, on examine, un pas.

4

Butin du jeudi en promenade :

          des échafaudages de branches, des charpentes de nervures, des escaliers d'échardes et des navires de noeuds,
          des montagnes de grilles, des glaciers de capsules, des plages d'épingles, des nuages de tôle sur la limaille,
          des rameaux de feuilles, de déchirures, de couvertures, de reliures.

          Un pas, on revient, on se baisse, on ramasse, on examine, un pas.

5

Butin du vendredi au bord de l'autoroute :

          des océans de lames sur le sable, des orages de couvercles sur l'asphalte, des orchestres de charnières sur le silence, des orgues de vrilles sur le dallage,
          des éventails d'enveloppes, des écroulements de cartons, des réserves d'étuis, des perspectives de rouleaux,
          des échelles d'éclats, des barques d'écorces, des navires de tenons, des hangars de mortaises sur la sciure.

          Un pas, on remarque, on se baisse, on ramasse, on examine, on compare, on combine, on range, un pas.

6

Butin du samedi à l'arrivée dans une ville inconnue :

          des anthologies de bribes, des collections de timbres, des galeries de déchirures, des compositions de couvertures sur l'encre,
          des cathédrales de plateaux sur la pampa, des gratte-ciel de nervures sur le fleuve, des velours d'échardes sur le désert, des tempêtes de noeuds sur la banlieue,
          un homme criblé de clous passant devant les affiches, une femme parée d'écrous, fuyant dans l'avenue déserte, un enfant secouant les grilles au milieu du faubourg délabré, un chien mordillant des capsules dans le parc dévasté par les bombes.

          Un pas, on a une autre idée, on remarque, on s'interroge, on se baisse, on ramasse, on retourne, on rejette, on trouve autre chose à côté, un pas.

7

Butin du dimanche au pays des ombres :

          Un ouvrier sifflant devant les planches, une hôtesse de l'air cueillant une branche en fleurs, un agent de police composant un arc-en-ciel d'éclats,  un chauffeur de taxi déchiffrant des écorces,
          un marin ramassant des épingles sur le quai du port aborde une étudiante qui fait sonner une tôle comme un gong tandis qu'un camelot dispose ses lames sur son éventaire et qu'une cuisinière à sa fenêtre vérifie la propreté de ses couvercles,
          des allées de reliures entre les murailles menant aux châteaux de carton dans les greniers et les corridors entre les étuis préludant au carnaval des rouleaux fantômes.

          Un pas, on se souvient, on cherche, on déplace, on fouille, on lave, on tord, on redresse, on se redresse, on éclaire, on s'exclame silencieusement, on regarde les alentours, on se hâte vers l'atelier, mais voici quelque chose encore qui vous arrête, un pas.

8

Butin de la semaine suivante à l'intérieur de l'atelier :

          Dans la nuit, des clous, des planches, des écrous, des branches, des grilles, des éclats, des capsules et des écorces.

          Dans la pluie, des champs de clous, de feuilles, d'épingles, d'enveloppes, de tôles, de bribes, de lames et de timbres.

          Dans la neige, des amas de planches, des collines d'écrous et de tenons, des vallées de couvercles et de mortaises, des torrents de charnières et de plateaux, des cascades de vrilles.

          Dans la fureur, des échafaudages de branches, des montagnes de grilles, des charpentes de nervures, des glaciers de capsules, des escaliers d'échardes, des plages d'épingles, des navires de noeuds et des nuages de tôle sur la limaille.

          Dans les flammes, des rameaux de feuilles, des océans de lames et de déchirures sur le sable, des orages de couvercles et de couvertures sur l'asphalte, des orchestres de charnières et de reliures sur le silence, des orgues de vrilles sur le dallage.

          Dans la douceur, des éventails d'enveloppes, des échelles d'éclats, des écroulements de cartons, des barques d'écorces, des réserves d'étuis, des navires de tenons, des perspectives de rouleaux, des hangars de mortaises sur la sciure.

          Dans l'apaisement, des anthologies de bribes, des cathédrales de plateaux sur la pampa, des collections de timbres, des gratte-ciel de nervures sur le fleuve, des galeries de déchirures, des velours d'échardes sur le désert, des compositions de couvertures sur l'encre, des tempêtes de noeuds sur la banlieue.

          Dans l'attente, un ouvrier criblé de clous sifflant devant la palissade, une hôtesse de l'air parée d'écrous cueillant une branche en fleurs dans l'avenue déserte, un enfant déguisé en agent de police secouant les grilles en composant un arc-en-ciel d'éclats au milieu du faubourg délabré, un chien mordillant des capsules aux pied d'un chauffeur de taxi déchiffrant des écorces dans le parc dévasté par les bombes.

          Dans le crépuscule, un marin ramassant des épingles dans les allées de reliures débouchant sur les quais du port, aborde une étudiante qui fait sonner une tôle comme un gong entre les murailles menant aux châteaux de carton tandis qu'un camelot dispose ses lames sur son éventaire dans les greniers et corridors entre les étuis tandis qu'une cuisinière à sa fenêtre vérifie la propreté de ses couvercles pour préluder au carnaval des rouleaux fantômes.

          On regarde, on manipule, on fabrique, on soude, on déchire, on défait, on refait, on se souvient, on cherche, on fouille, on a une autre idée, on essaie, on est assez satisfait, mais non, ce n'est pas encore ça, on essaie encore, on mouille, on encre, on presse, on sèche, on numérote, on signe, on expédie, on expose, on réceptionne, on embarque, on navigue, on tangue, on aperçoit des îles.

9

Et encore une semaine qui passe en roulant de surprise en surprise :

          Dans la nuit violette, des clous, des planches, des champs de clous, des feuilles, des amas de planches, des collines d'écrous et des échafaudages de branches au fond de la cour.

          Dans la pluie bleue, des écrous, des branches, des champs d'épingles, des enveloppes, des amas de tenons, des vallées de couvercles et des charpentes de nervures sur le terrain vague.

          Dans la neige turquoise, des grilles, des éclats, des champs de tôles, des bribes, des amas de mortaises, des torrents de charnières et des escaliers d'échardes au marché aux puces.

          Dans la fureur verte, des capsules, des écorces, des champs de lames, des timbres, des amas de plateaux, des cascades de vrilles et des navires de noeuds en promenade.

          Dans les flammes jaunes, des montagnes de grilles, des rameaux de feuilles, des océans de lames sur le sable, des éventails d'enveloppes, des échelles d'éclats, des anthologies de bribes, des cathédrales de plateaux sur la pampa au bord de l'autoroute.

          Dans la douceur mordorée, des glaciers de capsules, des rameaux de déchirures, des orages de couvercles sur l'asphalte, des écroulements de cartons, des barques d'écorce, des collections de timbres, des gratte-ciel de nervures sur le fleuve à l'arrivée dans une ville inconnue.

          Dans l'apaisement rouge, des plages d'épingles, des rameaux de couvertures, des orchestres de charnières sur le silence, des réserves d'étuis, des navires de tenons, des galeries de déchirures, des velours d'échardes sur le désert au pays des ombres.

          Dans l'attente grise des nuages de tôles sur la limaille, des rameaux de reliures, des orgues de vrilles sur le dallage, des perspectives de rouleaux, des hangars de mortaises sur la sciure, des compositions de couvertures sur l'encre, des tempêtes de noeuds sur la banlieue entre deux voyages.

          Dans le crépuscule illuminé, des hommes violets peignant avec des clous des ouvriers bleus sculptant avec des planches des marins turquoise gravant avec des épingles des femmes vertes peignant avec des écrous des hôtesses de l'air dorées sculptant avec des branches des étudiantes mordorées gravant sur des tôles des enfants aurore jouant avec des grilles, avec des arcs-en-ciel d'éclats, disposant des lames sur des éventaires pour annoncer aux fantômes que nous sommes, la bonne aventure de notre réincarnation à l'intérieur de l'atelier des Parques et des Muses.

          Un pas.


 
 
 
 
 

RÉCAPITULATION  2000

pour Henri Maccheroni et Jacques Clerc

 
A
 
 Les rois-mages sont repartis
 à travers sables et montagnes


1

Sur l'étable de Bethléem
le soleil se lève à nouveau
les rois-mages sont repartis
tandis que les soldats d'Hérode
cherchent les enfants innocents
le gouverneur de la Judée
lave ses mains sur son balcon
les légionnaires font parade
devant le temple reconstruit
dont le voile s'est déchiré
 

Par siècle une strophe
dix octosyllabes
j'ajoute un quatrain
pour atteindre cent


2

Depuis les ateliers chinois
les caravanes se succèdent
chameaux relayant dromadaires
à travers sables et montagnes
soufflant blizzards et siroccos
pour transvaser leurs cargaisons
aux quais méditerranéens
sur les galères des césars
qui se prennent pour pharaons
dans les palais d'Alexandrie
 

Il y aura donc
deux mille syllabes
qui navigueront
sur ces quelques pages


B
 

 Des peuples se poussent l'un l'autre
 se forgeant des épées nouvelles


3

Dans les forêts d'outre-atlantique
on érige des pyramides
dans celles du nord de l'Europe
des peuples se poussent l'un l'autre
jusqu'à buter sur le rempart
qu'on édifie en toute hâte
comme à l'autre bout de l'Asie
on s'efforce de colmater
les trous de la grande muraille
et les capitales frissonnent
 

Certes difficile
de placer ici
les événements
les plus importants


4

Déjà Rome n'est plus dans Rome
tout concourt vers Constantinople
des nomades prennent nos voies
pour venir camper dans nos villes
se forgeant des épées nouvelles
en attendant que nos armées
s'entretuent pour leurs généraux
dans les temples abandonnés
que les évêques reconstruisent
en y ajoutant des clochers
 

Il ne s'agit donc
que d'échantillons
qui voguent au gré
des courants du temps


C
 

 Les vestibules majestueux
 parmi les troupeaux de moutons


5

Nuages de poussière et de bruit
parviennent du fond de la steppe
jusqu'aux villes démantelées
où l'herbe disjoint les gradins
des amphithéâtres vidés
les vestibules majestueux
sont transformés en écuries
les ronces couvrent des morceaux
des voies qu'on ne peut réparer
les pirates règnent sur mer
 

Universitaires
qui me surveillez
prenez en pitié
le pauvre chanteur


6

Tandis que déjà s'assemblaient
pèlerins autour de la pierre
tombée du ciel on ne sait quand
la voix poursuivait sa dictée
notée sur tablettes d'argile
parmi les troupeaux de moutons
cherchant l'herbe toujours plus rase
et chez nous les rois fainéants
méditaient leurs assassinats
dans leurs chariots traînés de boeufs
 

Si le placement
de tel de mes vers
vous semble erroné
mettez une note


D
 

 Les migrations se continuent
 en Égypte en Indonésie


7

Electrisés croissants déferlent
jusqu'au détroit de Gibraltar
de l'autre côté jusqu'aux Indes
et parviennent jusqu'à la Chine
où les poètes s'interrogent
roulant entre luxe et misère
les migrations se continuent
dans les archipels pacifiques
et sur les hauts plateaux des Andes
s'édifie Tihuanaco
 

Si vous préférez
transformez la strophe
ou remplacez-la
par une meilleure


8

Après la mort du roi Arthur
les Bretons franchissent la Manche
on bâtit mosquées en Espagne
en Égypte en Indonésie
les croix arrêtent l'expansion
à la bataille de Poitiers
A Nara on dore les temples
entouré de ses douze pairs
Charlemagne guerroie sans cesse
pour être nommé l'empereur
 

Laissez-vous porter
par les grondements
qui montent vers vous
de ces temps obscurs


E
 

 On recopie les manuscrits
 cependant le blé s'améliore


9

Les Vikings remontent les fleuves
on recopie les manuscrits
dans les monastères d'Irlande
les descendants de la déesse
dessinent l'actuelle Kyoto
à Tikal escaliers s'étirent
par-dessus la vieille forêt
dans les châteaux en Allemagne
on chante les efforts des dieux
pour éviter leur crépuscule
 

Échos et mirages
fantômes chimères
démons et merveilles
trésors et terreurs


10

Dans la capitale des Song
on affine les céramiques
tandis qu'aux villages d'Europe
on attend  que quelque Antéchrist
introduise la fin du monde
sonnant dans un triple zéro
cependant le blé s'améliore
sur les pentes face aux donjons
d'ingénieux meuniers imaginent
de faire travailler le vent
 

Les calendriers
font tourner leurs roues
et les horlogers
forgent leurs aiguilles


F
 

 Mille tribus s'en vont et viennent
 cherchant indices du saint Graal


11

Du Danemark au pays vert
les drakkars poursuivent leur quête
et l'on s'en va jusqu'au Vinland
où l'on ne pourra pas rester
mille tribus s'en vont et viennent
tandis que d'autres fondent villes
les aventuriers de la croix
sous prétexte de Saint-Sépulcre
vont se bâtir des forteresses
et profiter de leur butin
 

Archives éloges
traces monuments
superpositions
de murs et de morts


12

Les arcades se multiplient
autour des cloîtres et fontaines
et les chevaliers se cuirassent
pour sauver dames en détresse
cherchant indices du Saint-Graal
dans la forêt de Brocéliande
tandis que les moines savants
essaiment universités
pour enseigner arts libéraux
et ceux des quatre facultés
 

Sur les océans
les orages grondent
forçant les navires
à chercher un port


G
 

 Résonnant de polyphonies
 dans la cité de Cambaluc


13

Après séculaires errances
les Maoris vont aborder
rives de Nouvelle-Zélande
les cathédrales font pousser
leurs verrières et campaniles
résonnant de polyphonies
abandonnant Chaco canyon
les Anasazi vont fonder
les pueblos de Mesa verde
bienheureux sourient sur Angkor
 

Exilés changeant
de culte et de langue
dont les souvenirs
murmurent cachés


14

Dans la vallée de Mexico
les Aztèques voient apparaître
l'aigle perché sur le nopal
tandis que les premiers Incas
taillent les pierres de Cuzco
les Mongols se sont installés
dans la cité de Cambaluc
où Kubla Khan reçoit Marco
l'acropole de Zimbabwe
garde le Monomotapa
 

Roman de la Rose
flammes et tapis
sables et cordages
enchanteurs et monstres


H
 

 Entre les créneaux des murailles
 un essaim de nouvelles Indes


15

Konrad Witz s'installe à Genève
pour la Pêche miraculeuse
les Van Eyck ouvrent leurs retables
et les rois de la perspective
dans leurs ateliers italiens
donnent le vertige aux danseurs
entre les créneaux des murailles
de la vieille Constantinople
les veilleurs voient se déployer
les étendards des Ottomans
 

Tulipes lilas
palmes citronniers
cyprès cerisiers
écailles et nacres


16

Colomb parti pour le Cathay
est revenu avec de l'or
sans savoir qu'il a découvert
un essaim de nouvelles Indes
Sinan construit dans Istanbul
des coupoles rivalisant
avec les ruines de Byzance
réfléchies par la Corne d'or
tandis que dans le Vatican
les Jugements couvrent les murs
 

Châteaux en Espagne
douce antiquité
motets madrigaux
perles et dentelles


I
 

 Ruines plantations esclavage
 le rococo lance ses lianes


17

Les colonies américaines
s'enrichissent du nord au sud
mines plantations esclavage
les Mandchous remplacent les Ming
et le Japon se barricade
le roi Soleil dans son Versailles
reçoit un légat du Maroc
Guarini construit à Turin
une chapelle pour le suaire
qu'on transporte de Chambéry
 

Pilastres volutes
portiques discours
tabacs et cafés
acajou fourrures


18

Un affreux tremblement de terre
détruit le centre de Lisbonne
un estropié dans le Brésil
dresse prophètes et stations
le rococo lance ses lianes
à l'assaut de tous les miroirs
Bougainville et Cook se poursuivent
sur la face cachée du globe
où colonies pénitentiaires
préludent aux révolutions
 

Nous nous rapprochons
de ce belvédère
d'où nos rêveries
ont pris leur plongée


J

 Vomissant fumées et brouillards
 réchauffement de la planète


19

La république fait le lit
d'une impériale inondation
d'où ressortent les monarchies
singulièrement décoiffées
les réseaux de chemins de fer
se multiplient entre les villes
qui hérissent leurs cheminées
vomissant fumées et brouillards
sur affiches et réverbères
aux portes des grands magasins
 

Symphonies sonates
canons et moteurs
académiciens
bombes et congrès


20

Les dernières guerres se suivent
sans se ressembler les grands soirs
visant à la libération
n'aboutissent rapidement
qu'à des matinées d'esclavage
réchauffement de la planète
des trous dans la couche d'ozone
l'eau va peut-être nous manquer
et devient plus radioactive
il est temps de tourner la page
 

Avions téléphones
on ne s'entend plus
la page nous offre
sa méditation
 
 
STADE TERMINAL
pour Maxime Godard

 
Dans le stade précolombien
le capitaine de l'équipe
victorieuse était sacrifié
en superbe cérémonie

Le cadavre décapité
le crâne en était exposé
convenablement préparé
et dévotement honoré

Ceci n'enlevait paraît-il
au combat nul acharnement
laissant en outre le champ libre
pour la compétition prochaine

Le champion était accueilli
par celui qui l'avait vaincu
pour des compétitions célestes
où le transfert recommençait

Ainsi de gradin en gradin
on gravissait la pyramide
de l'univers en des parties
de plus en plus illuminées

Et pourtant quelques sanguinaires
que ces civilisations fussent
elles-mêmes décapitées
mais cette fois par leurs vainqueurs

Je ne doute qu'un tel usage
ait profondément atténué
le sentiment de déception
chez plus d'un joueur malchanceux

Délicieuse compensation
que profiter quelques semaines
encor du soleil des vivants
celui des morts étant peu sûr

Aussi vous qui applaudissez
le match comme une corrida
souvenez-vous que cette arène
a la forme d'un sarcophage
 
 
 
 
 

PIÈGE EN TOILE
 
pour Joël Leick

 
Le peintre ne peut s'empêcher
d'y prendre ses insectes formes

Le critique de commenter
s'engluant dans ses métaphores

Et les dames d'imaginer
leurs dévoilements amoureux
 
 
 
 
 
 

ÉPAVE
pour Gérard Serée

 
Dans le grouillement des varechs
remués par les palmes des plongeurs
les poutres élèvent leurs supplications
pour trouer la surface agitée par le vent

Les fantômes des noyés farfouillent
dans des coffres-forts éventrés
retrouvant  des bijoux parmi les actinies
et des papiers dans des étuis imperméables

Qui leur permettront d'obtenir un sauf-conduit
pour aborder sur la plage en costume d'époque
afin d'interroger les survivants
sur ce qu'ils ont tiré de leur sursis

Puis les entraîner la nuit dans les coursives
où ils reconnaîtront leurs amies englouties
confidences baisers dans les gargouillements
et les draps de sable se referment sur leurs soupirs
 


 
Sommaire n°14 :
POCHETTE-SURPRISE
EMPREINTES EN CROISSANCE
DE BUT EN BLANC
LA VOIX LACTÉE
DÉGEL
FICHIER FLAMBÉ
COHABITATION
LE SOMMEIL D'ARIANE
L'ANNONCIATEUR
PERSONNE DÉPLACÉE
SUR LE CHEMIN DU RETOUR LA REINE DE SABA SONGE À LA JÉRUSALEM FUTURE
À LA RECHERCHE DE LA ROSE PERDUE
CARREFOUR
DÉCLARATION D'ORAGES
ONDULATIONS
JARDINS D'ÉPIPHANIE
ÉLOGE DE PARMENTIER
L'IVRESSE DE LA DÉCOUVERTE
MIROIR AUX ALOUETTES URBAINES
FREDONS ET TARABUSTES
RECYCLAGE
RÉCAPITULATION  2000
STADE TERMINAL
PIÈGE EN TOILE
ÉPAVE

 
 

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