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Poésie au jour le jour 15
LA
REINE DE SABA VIENT FAIRE SES ADIEUX AU ROI SALOMON
Dites-moi reine du lointain
quand vous serez rentrée chez vous
dans vos palais de sable et d'ombre
quelle image garderez-vous
de la ville que je bâtisDites-moi roi du lendemain
quand vous vous trouverez bien seul
entre vos colonnes de cèdre
quel cantique chanterez-vous
pour que je revienne en vos rêvesJe voudrais tresser vos cheveux
dans les tentures de mes portes
pour que le vent les agitant
me fasse entendre votre rire
animant les caravaniersJe voudrais laver vos cheveux
pour mêler votre sueur aux huiles
que je répandrai sur les miens
quand je descendrai par les rues
pour caresser les nouveau-nésVoici quelques strophes pour vous
que les gamins pourront redire
en courant dans les palmeraies
tandis que les oiseaux du soir
viendront tournoyer sur vos sourcesVoici quelques regards pour vous
pris dans les bulles d'un miroir
que vos femmes pourront relire
en se dévêtant pour la nuit
avant d'aller vous retrouver
EN PENSANT À TOILes douces draperies des forêts
démultipliant l'horizon
emmitouflées de neige tout l'hiver
brusquement ruissellent au printemps
jusqu'aux lacs allongés entre les fermesOù les vaches pie n'arrivent plus
à soulever leurs énormes mamelles
devant les granges rouges et les tours
des silos couronnés de coupoles brillantes
tels des temples d'une religion agricolePuis tout le paysage devient rouille
comme engrenages d'antan illuminés
transmettant les mouvements des nuages
aux aubes des moulins près des ponts couverts
et des fins clochers blancs à colonnettesAvant que la bise du Nord immense
fasse rentrer les troupeaux dans les étables
et les paysans sous leurs courtepointes armoriées
d'où ils se lèveront pour faire couler
paresseusement le sirop d'érable sur les gaufres
TABLE DES PLANCHES ACCOMPAGNANT LE BRÉVIAIRE D'AUTOMNETu dormais dans un pré bien sec
détendue à l'abri du vent
les nuages passaient détachés
deux pies tournaient sur le pommier
qui sortait ses premiers bourgeons
le torrent giclait sur les pierres
les enfants sortaient de l'école
tandis qu'un avion s'éloignait
de l'autre côté des montagnes
j'aurais voulu l'accompagnerL'iris de ton regard éveille
les pétales sur le ruisseauLes ongles de ta main conservent
l'incarnat du petit matinTu marchais le long d'un vieux mur
qui devenait comme un brouillard
murmurant la rosée d'antan
dans les recoins de tes oreilles
avec l'odeur d'un feu de bois
un guitariste répétait
dans la pénombre d'une grange
et des chevaux en l'entendant
venaient quémander aux barrières
des morceaux de sucre et de painLa gabardine du facteur
ondule aux courbes du sentierSe répercutant sur les verres
les flammes baisent la carafeL'averse brusque t'a forcée
à te réfugier près de l'âtre
en faisant sécher tes souliers
tu mets la nappe sur la table
où bouge l'ombre d'une branche
quand une éclaircie vient fleurir
le lierre le lilas les pierres
l'horloge bat comme ton coeur
les étincelles rejaillissent
et l'écho reprend les arpèges
Note : Ces images n'étant évidemment que des réductions, il convient, pour les admirer à loisir, de se reporter aux originaux.1) Lucarne-graine donnant sur un arbre-route.
2) Danseuse à la chevelure de feux de bois.
3) Le solitaire s'exclame en s'interrogeant.
4) Traces de chariots à voile sur la grande plage après une ondée.
5) Hublot de fusée approchant le cube paradoxal au coeur de la galaxie du fer-à-cheval.
6) Essai de reconstitution du périple originellement rêvé par Magellan.
7) L'appel de la fourmi sur l'écorce du baobab.
8) L'empreinte de la joue de la dormeuse sur le drap de soie grège.
9) Les jumelles sylvestres épiant les soubresauts du crépuscule.
10) Le sourire de l'horizon s'allonge quand il pense aux tempêtes prochaines.
11) Le clocher horizontal fait trembler les sillons à chaque passage du soleil dans un nouveau fuseau horaire.
12) L'hydre se dérobe derrière son tourbillon d'encre sympathique.
1Il faudrait au moins deux écrans pour y projeter cent diapositives qui changeraient alternativement. Il faudrait qu'elles correspondent en gros aux dix décades évoquées. Si l'on pouvait adjoindre à chacune la diapositive d'un de ses détails agrandis, cela serait encore mieux; mais il faudrait alors quatre écrans.
de zéro à dixAdieu prétendue belle époque
entrées du métropolitain
cathédrales impressionnistes
une après-midi à la Grande Jatte
casques coloniaux pantalons
garance cavaliers fringants
défilant aux Champs-Élysées
recevant des bouquets lancés
par jeunes femmes aux fenêtres
devant la ligne bleue des Vosges2
de dix à vingtAdieu ballets russes Rolls-Royce
cage aux fauves cavalier bleu
sur les rives du Pacifique
le jeune cinéma raconte
la naissance d'une nation
arlequins cubistes tranchées
dirigeables avions massacres
de fantassins couleur de ciel
bombardements démembrements
le grand soir le grand désespoir3
de vingt à trenteAdieu génération perdue
Montmartre passe à Montparnasse
concours d'élégance à Deauville
le jazz traverse l'océan
longs colliers fume-cigarettes
nostalgies dodécaphonistes
manifestes psychanalyse
collages frottages délires
la bourse fait des sauts de carpe
c'est l'écroulement de Wall Street4
de trente à quaranteAdieu les danses cambodgiennes
de l'exposition coloniale
jeux olympiques bras tendus
le pas de l'oie la croix gammée
envahissent la Rhénanie
puis l'Autriche et ça continue
les films sont devenus parlants
l'Espagne est à feu et à sang
on essaie d'éviter la guerre
pour aboutir à la débâcle5
de quarante à cinquanteAdieu la ligne Maginot
le froid couvre-feux restrictions
étoiles jaunes dans les rues
elles sont vite disparues
cheminées fumant sur la neige
bombardements débarquements
résistance libération
Hiroshima Nagasaki
serait-ce vraiment la dernière
la SDN devient l'ONU6
de cinquante à soixanteAdieu longue marche be-bop
caves de Saint-Germain-des-Prés
la télévision se répand
où sont passées les colonies ?
des nouvelles nations partout
l'économie fait des miracles
ici et là pas pour longtemps
nouveau roman nouvelle vague
l'art abstrait international
tours de cristal grattant le ciel7
de soixante à soixante-dixAdieu patience guerre froide
érection du mur de Berlin
automobiles japonaises
le cinéma est en couleurs
autoroutes supermarchés
nous arrivent d'outre-Atlantique
pop-art op-art et caetera
de jeunes multinationales
courtisent les gouvernements
mai 68 sonne l'alarme8
de soixante-dix à quatre-vingtAdieu Woodstock et TGV
on dit que la Chine s'éveille
l'informatique se répand
et la miniaturisation
par contre les avions grandissent
et le bruit des aéroports
Hilton Disney Coca-Cola
la guerre continue ailleurs
les Nations Unies à New York
se plaignent de leur impuissance9
de quatre-vingt à quatre-vingt-dixAdieu frémissements promesses
on sait que la Chine s'éveille
on pose le pied sur la Lune
puis après quelques tentatives
on attend le siècle prochain
du côté du Moyen-Orient
les choses ne s'arrangent guère
fissures dans le bloc de l'est
à l'ouest chômage et le sida
montée d'intégrismes partout10
de quatre-vingt-dix à deux milleAdieu nouvelle fin de siècle
on voit que la Chine s'éveille
le mur de Berlin est tombé
on parle toujours du tiers monde
mais il n'en est plus de second
l'Europe se fait à tâtons
économistes médecins
nous bercent de bonnes paroles
il est temps de tourner la page
adieu les stances des adieux
Suggestions pour la mise en scène :
J'aimerais qu'un système acoustique enregistre la voix de l'acteur et la fasse entendre comme un écho, chaque vers entre deux vers dits en vif de la strophe suivante.
Le numéro de chaque strophe devrait être présenté par le nombre de coups de gong correspondant.Mais vous aurez sûrement quantité d'idées
Le long des parois de nacre chaude
le torrent se précipite dans le canyon
jusqu'au buisson ardent qui s'entrouvreDevant la caverne alchimique où frémit
l'alambic habité de jeunes ossements
qui se durciront pour paraître au jourAvec des paupières qui s'ouvriront
bordées de cils mouillés de flammes
sur les creusets de la vision
LE CORBEAU REVIENT VERS LA COTE NORD-OUEST
Une nuit, volant au-dessus de l'Atlantique pour rejoindre Seattle, je regardais distraitement une vieille édition de la traduction du Corbeau d'Edgar Poe par Mallarmé, tandis que je cherchais une position pour ma tête qui roulait d'un côté et d'autre sur le dossier.Une nuit, par un minuit lugubre, tandis que je m'appesantissais, faible et fatigué, sur maint curieux et bizarre volume de savoir oublié - l'étoile du saumon sur la nacre des vagues -, tandis que je dodelinais de la tête, somnolant presque, soudain se fit un heurt, comme de quelqu'un frappant doucement à la porte de ma chambre.
Par un minuit lugubre, mes souvenirs de la côte Nord-Ouest venaient tournoyer dans le bruit des réacteurs.
La pluie par un minuit lugubre, ah! distinctement je me souviens que c'était en le glacial décembre, et chaque tison mourant isolé ouvrageait son spectre sur le sol - les lèvres du cuivre sur l'écume dans la senteur des cèdres -, ardemment je souhaitais le jour.
Tandis que je m'appesantissais, la France s'éloignait de plus en plus; les heures étaient dévorées de fuseau en fuseau.
Les cendres en le glacial décembre, et de la soie l'incertain et triste bruissement me traversait - le hurlement du sable précipité sur les poutres couvertes de lichens -, m'emplissait de fantastiques terreurs pas senties encore.
Tandis que je dodelinais de la tête, sur un petit écran une carte m'indiquait vaguement où nous en étions du trajet.
En l'incertain et triste bruissement du vent, mon âme devint subitement plus forte - le mariage de l'ours et du torrent dans la gorge qui monte aux glaces -, j'ouvris la porte à la rencontre de ce heurt.
Faible et fatigué, je tentais de lire en ce vieux volume, mais les lignes flottaient sous mes yeux, et des voix nombreuses venaient me séduire.
Les ténèbres subitement plus fortes, loin dans l'ombre regardant je me tins longtemps à douter, m'étonner et craindre - les signaux des mouettes sur les plaintes des enfants -, rêvant des rêves qu'aucun mortel n'avait encore osé rêver.
Somnolant presque sur ce curieux et bizarre volume de savoir oublié, j'avais l'impression de naviguer sur le fjord entre Seattle et Vancouver; puis soudain je me retrouvai dans l'avion.
La tempête loin dans l'ombre, rentré dans ma chambre, toute l'âme en feu - les griffes de la nuit dans les rues du village ivre -, j'entendis un heurt plus fort au treillis de ma fenêtre.
Soudain se fit un heurt, comme de monstres roulant dans les nuages sous le clair de lune, frappant doucement au hublot de la carlingue, démons et serpents, dauphins et grizzlys.
Quelque oiseau... toute l'âme en feu, au large poussai le volet; et alors, après maints enjouements et agitations d'ailes - les dents des ombres enfoncées dans la chair des fjords -, entra un majestueux Corbeau des saints jours de jadis.
Cette nuit, par ce minuit lugubre, j'avais l'impression de naviguer sur le passage intérieur entre Port Arthur et Prince Rupert.
Ce majestueux Corbeau d'ébène des saint jours de jadis induisant ma triste imagination au sourire - le tourbillon des écailles sur le tambour des îles -, je lui demandai plaisamment son nom.
Tandis que je m'appesantissais, faible et fatigué, j'avais l'impression d'être invité au potlatch donné par un vieil Indien.
Le Corbeau induisant ma triste imagination au sourire, je m'émerveillai de l'entendre s'énoncer aussi clair - la flûte de l'ivoire au ras des cendres bleues -, dans son dédain apparemment de ma question.
Mais, dodelinant de la tête, j'étais dans l'avion au-dessus des nuages me remémorant confusément des récits sur les frasques du Corbeau et l'origine des hommes.
Dans son dédain apparemment de ma question le Corbeau déroulait ses multiples histoires - chuchotements dans la brume au départ pour les fêtes -, comme si son âme en elles se répandait.
Entre les mots du texte de ce curieux et bizarre volume de traduction oubliée, se glissaient des regards de cuivre, des coassements et des sauts de saumons.
Le Corbeau déroulait ses multiples histoires, tressaillant à ses propres accents - les sourires de la grenouille dans les mains de la Lune -, tout son héritage rescapé des désastres qui l'ont teint de cette unique brume.
Soudain se fit un heurt et le vieux livre s'est échappé de mes mains; je me suis tordu pour le ramasser.
Le Corbeau tressaillant à ses propres accents, je me mis à enchaîner songerie à songerie - les ailes de l'horizon trempées dans le sang des masques -, réfléchissant à ce que pouvait signifier ce sombre, disgracieux, sinistre, maigre et augural oiseau de jadis en me croassant de tels contes.
Quelqu'un frappait au hublot de ma carlingue et mes souvenirs de la côte Nord-Ouest venaient tournoyer dans le bruit soyeux des réacteurs.
Les yeux du sombre, disgracieux, sinistre, maigre et augural Corbeau brûlaient maintenant au fond de ma poitrine - les cornes des navires contournant les récifs -, envahie par la fumée qui tourbillonnait autour de ses contes.
Ardemment je souhaitais le jour; la France s'était éloignée de plus en plus, mais je n'avais pas l'impression que le bout du voyage approchait.
Les yeux du Corbeau brûlant maintenant au fond de ma poitrine, l'air, me sembla-t-il, devint alors plus dense, parfumé selon un encensoir invisible - l'incendie des trésors à l'arrivée des prêtres pâles -, serrant les bras de mon fauteuil j'essayais de m'arracher à l'enivrement de ces traditions brumeuses.
De la soie nocturne l'incertain et triste bruissement me traversait et, sur le petit écran, la carte m'indiquait que nous avions encore plusieurs heures de vol, des heures qui disparaîtraient du calendrier.
Corbeau parfumé selon un encensoir invisible, oiseau-prophète échoué par la tempête sur cette sauvage côte enchantée - les sauts des épaulards dans les replis des détroits -, quels baumes suinteront des rochers et des arbres de tes îles ?
Mon âme devint subitement plus forte; je tentais de lire le curieux poème traduit de l'ancien conteur, mais les lignes flottaient sous mes yeux, et des voix nombreuses revenaient me séduire.
Corbeau-démon-prophète échoué par la tempête sur cette sauvage côte enchantée, au nom de dieux que nous enterrons et déterrons tous deux - le promontoire changeant ses robes de pluies brodées de rayons en fleurs, de fumées et d'algues suaves -, ne laisse pas tarir le torrent de tes contes !
Les ténèbres devenues subitement plus fortes, des monstres roulaient dans les nuages sous le clair de lune, lézards, aigles, renards, castors.
Corbeau-tempête, oiseau-démon, tonnerre-prophète, répands sur nous tes plumes noires - ton rire découvrant les premiers hommes dans une coquille sur la plage -, que je puisse en cautériser ma lèpre blanche !
J'ouvris la porte à la rencontre de ce heurt; me réveillant en sursaut je vis sur le petit écran que ma destination approchait enfin.
Les yeux du Corbeau-tonnerre prenaient la semblance de ceux d'un démon qui rêve - les montagnes dérivant dans le crépuscule de l'aube comme des épaves -, et mes propres plumes couvraient ses ailes.
LES
OMBRES DE MADRID
voyage dans les Caprices de Goya
Le peintre hésite entre la débutante noire et l'annonciateur argenté qui la présente
la débutante se promène entre le croquemitaine noir et le peintre grisonnant qui marmonne
le croquemitaine se faufile entre la nourrice noire et la débutante blême à sa recherche
la nourrice piétine entre la fiancée noire et le croquemitaine crayeux qui ricane en la poursuivantLa fiancée tremble entre le masque noir et la nourrice empesée qui les précède
le masque se soulève entre l'élégant noir et la fiancée livide qui se cache derrière lui
l'élégant salue entre le bandit noir et le masque soyeux qu'il se fixe pour lui échapper
le bandit intervient entre la morte noire et l'élégant laineux qui tourne autour d'elleLa morte retombe entre l'assassiné noir et le bandit lunaire qui s'enfuit
l'assassiné saigne entre le gitan noir et la morte grège qui se relève
le gitan grince entre le pendu noir et l'assassiné parcheminé qui prise en l'accusant
le pendu se balance entre l'aubergiste noire et le gitan cendreux qui la prévientL'aubergiste mange sa soupe entre la prétendante noire et le pendu larvaire qui se souvient encore d'elle
la prétendante se dandine entre le conseiller noir et l'aubergiste lacté qui mijote pour lui
le conseiller palabre entre la brodeuse noire et la prétendante nacrée qui l'utilise
la brodeuse se déplie entre la courtisane noire et le conseiller poussiéreux qui délibèreLa courtisane se dénude entre l'incendiaire noir et la brodeuse perlée qui crie
l'incendiaire gronde entre l'amour noir et la courtisane ivoire qui le caresse
l'amour pleure entre la balayeuse noire et l'incendiaire éblouissant qui l'embrase
la balayeuse se démène entre le griffon noir et l'amour duveteux qui gémit sous elleLe griffon tranche entre le mendiant noir et la balayeuse savonneuse qui le menace
le mendiant s'insinue entre le condamné noir et le griffon étincelant qui le lacère
le condamné transpire entre l'appariteur noir et le mendiant incolore qui le suit
l'appariteur défile entre la lingère noire et le condamné glacé qui l'épieLa lingère se démasque entre la mendiante noire et l'appariteur poudreux qui la repousse
la mendiante s'effondre entre la quémandeuse noire et la lingère immaculée qui la supporte
le quémandeur insiste entre la confidente noire et la mendiante badigeonnée qui hésite
la confidente oscille entre la lectrice noire et la quémandeuse taciturne qui la poursuitLe lecteur murmure entre l'héritier noir et la confidente éhontée qui le trahit
l'héritier se partage entre la servante noire et la lectrice muette qui la dévoile
la servante scintille entre l'abandonné noir et l'héritière frissonnante qui le secourt
l'abandonné gémit entre le charlatan noir et le serviteur diamanté qui se transformeLe charlatan parade entre le gardien noir et l'abandonnée désolée qui se lamente
le gardien siffle entre la barbière noire et le charlatan encapuchonné qui l'aguiche
la barbière crisse entre la tempête noire et le gardien raidi qu'elle fait gronder
la tempête fulmine entre le professeur noir et la barbière crémeuse qui le lacèreLe professeur pontifie entre le singe noir et la tempête phosphorescente qui le fouette
le singe parade entre l'âne noir et le professeur chauve qui le flatte
l'âne se rengorge entre le médecin noir et le singe ressuscité qui le charme
le médecin ausculte entre le chat noir et l'âne vieilli qui agoniseLe chat resplendit entre le joueur noir et le médecin chenu qui pose
le joueur bavarde entre le songeur noir et le chat neigeux qui le frôle
le songeur vogue entre la fileuse noire et le joueur écumeux qui la renverse
la fileuse prophétise entre la cuisinière noire et le songeur tétanisé qui les écouteLa cuisinière se régale entre l'examinateur noir et la fileuse décontenancée qui s'embrouille
l'examinateur bégaie entre le chambellan noir et la cuisinière enfarinée qui le ridiculise
le chambellan s'incline entre le souffleur noir et l'examinateur grelottant qui l'épie
le souffleur tournoie entre le nain noir et le chambellan effaré qui trembleLe nain s'esclaffe entre le serrurier noir et le souffleur violent qui l'applaudit
le serrurier s'affaire entre la couturière noire et le nain ligoté qui ronfle
la couturière se pare entre l'épouvantail noir et le serrurier claquant qui monte
l'épouvantail vocifère entre le perroquet noir et la couturière éclatante qui le supplieLe perroquet préside entre le noir coupable et l'épouvantail drapé qui le dénonce
le coupable s'empiffre entre le miroitier noir et le perroquet givré qui lui répond
le miroitier se rengorge entre l'équilibriste noir et le coupable livide qui s'humilie
l'équilibriste plonge entre l'opticien noir et le miroitier scintillant qui les iriseL'opticien fouille entre l'apothicaire noir et l'équilibriste feutré qui l'accompagne
l'apothicaire officie entre le fantôme noir et l'opticien pailleté qui l'étudie
le fantôme transpire entre le bouc noir et l'apothicaire délicat qui le parfume
le bouc renifle entre la sorcière noire et le fantôme nu qui la câlineLa sorcière plane entre le titan noir et le bouc écru qui la contemple
le titan se déchaîne entre le monstre noir et la sorcière nue qui l'injurie
le monstre se désarticule entre le voyageur noir et l'impitoyable titan qui le nargue
le voyageur nous emporte entre le démon noir et le monstre baveux qui le mèneLe démon déferle entre l'aérostier noir et la voyageuse septentrionale qui l'écrase
l'aérostier exulte entre l'ingénieur noir et le sabbat brumeux qui le brûle
l'ingénieur cuisine entre l'apprentie noire et l'irrépressible aérostier qui la délivre
l'apprentie halète entre le chauffeur noir et l'ingénieur emplumé qui le dirigeLe chauffeur attise entre le bourreau noir et l'apprentie câline qui le nourrit
le bourreau grandit entre l'astronome noir et le chauffeur narquois qui le ranime
l'astronome pérore entre la danseuse noire et le bourreau mélomane qui la caresse
la danseuse s'élève entre l'actrice noire et l'astronome échevelé qui les épieL'actrice se repose entre l'inquisiteur noir et la danseuse décrépite qui l'entretient
l'inquisiteur hulule entre le hibou noir et l'actrice pincée qui le gave
le hibou ronfle entre l'huissier noir et l'inquisitrice enchaînée qui le cajole
l'huissier titube entre le taureau noir et le hibou albinos qui ricaneLe taureau résiste entre la lavandière noire et l'huissier emperruqué qui la persécute
la lavandière s'affaire entre le buveur noir et le taureau Apis qui mugit
le buveur somnole entre l'annonciateur noir et la lavandière évanouie qui s'efface
l'annonciateur tonne entre le peintre noir et le buveur noyé qui disparaît
Boire un verre
avec des amis
qui vous racontent
leurs voyages
qui vous proposent
des projets
en vous montrant
des esquisses
des photographies
des échantillonsBoire encore un verre
avec ceux
dont on se sentait si proche
mais ils sont loinBoire un dernier verre
avec ceux dont on n'a
plus entendu parler
depuis si longtemps
dont on voudrait
tant savoir
ce qu'ils sont devenusMais ils sont morts
Après m'être bien rassasié, avoir bu la dernière gorgée de mon verre de vin, m'être essuyé la moustache, prenant mes distances par rapport aux déclarations, discussions et bruits de fourchettes, je m'enfonce dans la contemplation du paysage déposé par les orages de ma faim. C'est une arène qui devient plus vaste à chaque minute; c'est le Colisée avec des flaques du sang des fauves et des chrétiens; c'est le cirque de Gavarnie avec la bataille de Waterloo qui s'y poursuit sous la pluie jusqu'à ce que la sonnerie de la pendule vienne m'arracher à ce piège avec tous les combattants harassés pour me permettre de me mêler à nouveau aimablement à la conversation.
La feuille de papier se présente d'abord comme une surface plane, blanche, légèrement grenue. Le pinceau s'approche et y dépose une goutte d'eau. Mouillure. La feuille devient un aquarium. Ensablements. Une goutte d'encre de couleur. Coulure. C'est maintenant une piscine. Enlacements. Une autre goutte d'une autre couleur. Bavure. C'est la porte de l'océan.Le pinceau revient. La feuille de papier se présente comme une plage de sable fin. Je m'enfonce peu à peu dans la mer. Éclaboussure. Je foule ce sable ardent, semé d'une impalpable poussière de coquillages. Allongements. La vaste plaine de sable semble sans bornes. Rayure. Nul besoin de scaphandre, je respire tout naturellement, j'ai seulement besoin d'un peu d'effort comme en montagne. J'écarte de la main les rideaux liquides qui se referment derrière moi. Fêlure, allongements. La trace de mes pas s'efface soudain sous la pression de l'eau.
Le pinceau revient, chargé d'encre et d'eau. Sur la feuille de papier quelques formes d'objets, à peine esquissées dans l'éloignement. Je converse familièrement avec le capitaine Nemo qui s'est mis à la peinture. Fissure. Je reconnais de magnifiques premiers plans de rochers, tapissés de zoophytes. Épanouissements. Le Nautilus doit voguer quelque part au-dessus de nous, avec son ventre semblable à celui d'un requin. Les rayons du soleil frappent la surface des flots sous un angle assez oblique. Zébrure, épanouissements. Au contact de leur lumière décomposée par la réfraction comme à travers un prisme, fleurs, rochers, plantules, coquillages, polypes, se nuancent sur leurs bords des sept couleurs du spectre solaire. Balancements violets, zébrure. Polypes et échinodermes abondent sur le sol.
Le pinceau revient chargé de fleurs et de rochers. Sur la feuille de papier des madrépores divers. Le capitaine Nemo est revêtu de soie. Il est entouré de gardiens à cuirasse d'écailles. Balancements bleus. Avec son Nautilus il a dû trouver un passage entre les grands lacs canadiens et l'océan Pacifique. Des cornulaires qui vivent isolément, des touffes d'oculines vierges, désignées autrefois sous le nom de "corail blanc". Chaque fois que j'en ai l'occasion je ne peux m'empêcher de glisser un petit hommage à mon cher Jules Verne. Griffure. Les fongies hérissées en forme de champignons, les anémones adhérant par leur disque musculaire figurent un parterre de fleurs. Ensemencements rouges, blessure. Émaillé de porpites parées de leurs collerettes de tentacules azurés.
Le pinceau revient chargé d'écritures liquides. Sur la feuille de papier des étoiles de mer constellent le sable. Les broderies sur la tunique du capitaine Nemo l'enserrent dans un réseau d'algues et de corail. Son visage se fait de plus en plus soucieux. Égratignure bleue, recommencements verts. Cette fois ce sont plutôt les tribulations d'un Chinois hors de Chine. Astérophytons verruqueux, fines dentelles brodées par la main des naïades, dont les festons se balancent aux faibles ondulations provoquées par notre marche. Des lieues et des lieues sous les mers. C'est un véritable chagrin d'écraser sous mes pas les brillants spécimens de mollusques qui jonchent le sol par milliers. Chevelure jaune, étalements indigo. Les peignes concentriques, les marteaux, les donaces, véritables coquilles bondissantes.
Le pinceau revient chargé de dentelles et de chevelures. Sur la feuille de papier des troques, des casques rouges, des strombes aile-d'ange. Je ne comprends plus ce que me dit le capitaine qui n'est plus le capitaine Nemo; il s'exprime dans une autre langue, mais avec toujours la même amabilité. Les aphysies et tant d'autres produits de cet inépuisable océan. Étalements violets, figure noire. Tribulations, perturbations, révolutions. Voguent au-dessus de nos têtes des troupes de physalies, laissant leurs tentacules d'outremer flotter à la traîne. Brisure violette, étalements bleus. Des méduses dont l'ombrelle opaline ou rose tendre, festonnée d'un liston d'azur, nous abrite des rayons solaires. Recommencements verts, brisure bleue, étalements jaunes. Des pélagies panopyres qui, dans l'obscurité, sèmeraient notre chemin de lueurs phosphorescentes.
Le pinceau revient chargé de coquilles et de méduses. Sur la feuille de papier je parcours une prairie sous-marine. Je commence à trouver mon chemin dans les algues de son langage. Le capitaine en tunique de soie brodée de fleurs, rochers, plantules, coquillages, polypes s'exprime surtout par gestes. Enfouissements rouges, vêture orangée. Ces pelouses à tissu serré, douces au pied, rivaliseraient avec les plus moelleux tapis tissés par la main des hommes. Révélations, évolutions, circonvolutions. En même temps que la verdure s'étale sous nos pas, elle n'abandonne pas nos têtes. Parements orangés, courbure rouge. Un léger berceau de plantes marines, classées dans cette exubérante famille des algues dont on connaît plus de deux mille espèces, se croise à la surface des eaux. Bordure orangée, émerveillements verts. Flottent de longs rubans de fucus, les uns globuleux, les autres tubulés. Enfouissements bleus, bordure verte, parements indigo. Des laurencies, des cladostèphes au feuillage si délié. Voilure bleue, enfouissements violets, bordure indigo. Des rhodymènes palmés semblables à des éventails de cactus.
Le pinceau revient chargé de rubans et d'inscriptions. Sur la feuille de papier la route est bordée d'inextricables buissons formés par l'enchevêtrement d'arbrisseaux que couvrent de petites fleurs étoilées à rayons blancs. Le splendide capitaine qui n'est plus un capitaine prend le pinceau pour écrire sur une feuille d'algue. Je m'aperçois avec stupeur que j'arrive à lire. Pliure noire, émerveillements noirs. Les élaborations d'un Chinois sous la mer de Chine. Il me semble voir ces tubes membraneux et cylindriques trembler sous l'ondulation des eaux. Enfouissements violets, pliure indigo. Je suis tenté de cueillir leurs fraîches corolles ornées de délicats tentacules, les unes nouvellement épanouies, les autres naissant à peine. Architecture bleue, accompagnements bleus. De légers poissons, aux rapides nageoires, les effleurent en passant comme des volées d'oiseaux. Retournements verts, encablure verte, accompagnements jaunes. Si ma main s'approche de ces fleurs vivantes, de ces sensitives animées, aussitôt l'alerte se met dans la colonie. Rature jaune, émerveillements orangés, architecture orangée. Les corolles blanches rentrent dans leurs étuis rouges. Accompagnements rouges, rature rouge, retournements blancs. Les fleurs s'évanouissent sous mon regard.
Le pinceau revient chargé d'exil et de lamentations. Dans les profondeurs de la feuille de papier les buissons se resserrent, les arborisations grandissent. Je comprends maintenant ce que me dit le maître des algues. J'écris moi-même sur les feuilles qu'il me tend, dans des caractères que j'ai l'impression d'inventer mais qu'il reconnaît. Nous sommes au fond des eaux, mais notre encre ne s'efface pas. Retournements blancs, jointure orangée, accompagnements rouges. Sous la mer au-dessous de la mer de Chine. De véritables taillis pétrifiés et de longues travées d'une architecture fantastique s'ouvrent devant nos pas. Couture jaune, retournements orangés, jointure verte. L'empereur des algues s'engage sous une obscure galerie dont la pente douce nous conduit vers les abîmes. Délassements jaunes, couture bleue, remerciements verts. C'est la forêt immense, les grandes végétations minérales, les énormes arbres pétrifiés réunis par des guirlandes d'élégantes plumarias, ces lianes de la mer, toutes parées de nuances et de reflets. Suture indigo, délassements bleus, couture violette. Nous passons librement sous leur haute ramure perdue dans l'ombre des flots.
Le pinceau revient chargé d'ouvertures et divinations. Dans le palais sous-marin de la feuille de papier les tubipores, les mandrines, les astrées, les fongies, les caryophylles, forment un tapis de fleurs semé de gemmes éblouissantes. Je m'aperçois que je converse familièrement avec l'empereur des algues. J'ai maintenant une tunique de soie comme lui, brodée d'algues. Il m'explique que c'est un costume de deuil. Nervure grise, remerciements noirs, suture noire. Au milieu de la clairière, sur un piédestal de rocs grossièrement entassés, se dresse une stèle de corail qui étend ses longs bras qu'on dirait faits de sang pétrifié. Revêtements fauves, nervure violette, remerciements gris. Sur un signe de l'empereur des algues, un des génies s'avance, et à quelques pieds de la stèle, commence à creuser un trou avec une pioche qu'il détache de sa ceinture. Ramure indigo, approfondissements, délassements noirs, plissements, nervure bleue. Cette clairière est un cimetière, ce trou, une tombe, cet objet oblong le corps d'un héros mort dans la nuit. Remerciements gris, bouillonnements, ramure verte, rassemblements, revêtements noirs. C'est là notre paisible cimetière, me dit l'empereur des algues, à quelques centaines de pieds au-dessous de la surface de la feuille. Ecritures jaunes, épaississements, assombrissements violets, éloignements, ramures orangées. Vos morts y dorment, du moins, tranquilles, empereur des algues, hors de l'atteinte des requins. Revêtements indigo, balbutiements, murmures, écritures orangées, murmures, soulèvements, remerciements bleus. Oui, me répond l'empereur des algues, hors de l'atteinte des requins et hors de l'atteinte des hommes. Signature rouge, enchevêtrements verts, écriture blanche.
Sur les rives du Michigan
nous sortons de l'eau pour offrir
nos poitrines au soleil noir
qui fera fleurir leur ivoireEt brûler dans nos ossements
les annonces de la vieillesse
pour que de leurs cendres renaisse
une enfance d'éternité
RÉCLAMATION UNIVERSELLE DES DROITS DE L'HOMME
Il paraît que j'aurais des droits
nous dit l'homme en se réveillant
j'avoue que cela me surprend
durant des siècles d'esclavage
on nous a fait forger des armes
pour les retourner contre nous
en nous payant de beaux discours
plus quelques sous pour nous saoulerEt puis nous voici dans la rue
on nous dit restructuration
technique et mondialisation
on nous promet monts et merveilles
mais nous sommes laissés pour compte
et tout ce qui nous est resté
c'est le droit d'attendre au guichet
pour qu'on fasse valoir nos droitsOn me dit que j'aurais des droits
dit la femme ouvrant ses paupières
à part celui de vous porter
pendant neuf mois et d'accoucher
vous allaiter et vous torcher
avec celui de cuisiner
lessiver trimballer recoudre
outre celui de se parerPour stimuler votre machine
chaque soir un peu plus rouillée
quand vous arrachez notre voile
à peine fendu pour nos yeux
on a seulement toléré
en nous mesurant la parole
que nous partagions vos travaux
sans que vous allégiez les nôtresIls parlent fort peu de mes droits
balbutie l'enfant qui se dresse
l'oeil sur le trou de la serrure
pour voir ce que font ses parents
quand ils ont fermé la lumière
dans ma chambre en s'imaginant
que je m'endors paisiblement
alors que mon âme fermenteSi nous parvenons à poser
les questions qui nous préoccupent
ils se détournent l'air gêné
en nous rappelant nos devoirs
se drapant dans leur héritage
dont ils nous lèguent les lambeaux
sans nous expliquer la manière
dont nous pourrions en profiterQuestionneurs de tous les pays
de tout âge sexe couleur
unissons-nous pour réclamer
le droit de connaître nos droits
pour rappeler à leurs devoirs
ceux qui voudraient nous empêcher
d'ouvrir la fente de nos voiles
d'agrandir le trou des serruresPour établir l'état les lieux
dans une Terre en déshérence
pour rapetasser l'espérance
qui s'effiloche au cours des bourses
pour délivrer notre regard
et multiplier nos travaux
en loisirs de reconnaissance
et concerts d'improvisations
LA RIVIERE D'ARGENT TRAVERSE L'EUROPE ET L'ASIE POUR VENIR SERPENTER DANS LES FORETS D'ÉCHOS
D'abord ce furent les brumes s'élevant doucement des rives au matin, qui devinrent un nuage captant au passage les bruits des autos sur les routes, celui des trains dans les vallées,le ressassement des vagues sur les plages de la mer, les cris des enfants l'été, les éclaboussures de la pluie l'hiver, le coassement des grenouilles, le murmure des lavandes ou des pins dans le vent.
Passer frontière après frontière c'était plonger de langue en langue, changer d'accents et de consonnes, essayer nouvelles écritures nouveaux gestes.
Au-dessus de chaque ville, nuage, il recueillait la respiration de la foule, la plainte de la foule, les sirènes des usines, le tintamarre des embouteillages, les cloches des églises et les gongs des temples.
Festins de mariage, bûchers funèbres, inaugurations, commémorations, les applaudissements au passage des puissants et des stars, et le soulagement lors de leur mort.
Les montagnes lui donnaient la turquoise de leurs glaciers, la braise de leurs orages et les couteaux de leurs vertiges;
les lacs lui envoyaient leurs reflets et leurs îles, les déserts leurs ombres et leurs caravanes, les ruines leurs fouilleurs, pillards et visiteurs.
Il a frôlé les ports avec le crissement des cordages, le clapotis contre les coques, les sauts des poissons et la nostalgie des pays quittés.
Aux aérodromes les vrombissements et tournoiements, les traînées de vapeur, les éclats du soleil et les scintillements du soir.
Nuage, les oiseaux migrateurs l'ont embroché dans tous les sens jusqu'à ce qu'il redevienne rosée, torrent de roc en roc, miroir entre les feuilles mortes, fleuve sillonné de sampans ou péniches transportant céramiques et marqueteries, soies et thés, enregistrements, livres et silences.
MAIS OU SONT LES ROUILLES D'ANTAN ?
1Butin du lundi au fond de la cour :
des clous, des écrous, des grilles et des capsules.
Adieu prétendue belle époque
aujourd'hui voici près d'un siècleUn pas.
2
Butin du mardi sur le terrain vague :
des planches, des branches, des éclats, des écorces,
Adieu prétendue belle époque
entrées du métropolitain
des champs de clous, d'épingles, de tôles et de lames.
Cathédrales impressionnistes
une après-midi à la Grande Jatte
casques coloniaux pantalons
garance cavaliers fringants
défilant aux Champs-Élysées
recevant des bouquets lancés
par jeunes femmes aux fenêtres
devant la ligne bleue des VosgesUn pas, on remarque, un pas.
3
Butin du mercredi au marché aux puces :
des feuilles, des enveloppes, des bribes et des timbres,
Adieu ballets russes Rolls-Royce
cage aux fauves Cavalier bleu
des amas de planches, de tenons, de mortaises, de plateaux,
Il y a quatre-vingt-dix ans
cage aux fauves Cavalier bleu
sur les rives du Pacifique
le jeune cinéma raconte
la Naissance d'une Nation
des collines d'écrous, des vallées de couvercles, des torrents de charnières et des cascades de vrilles.
Arlequins cubistes tranchées
dirigeables avions massacres
de fantassins couleur de ciel
bombardements démembrements
le grand soir le grand désespoirUn pas, on se baisse, on examine, un pas.
4
Butin du jeudi en promenade :
des échafaudages de branches, des charpentes de nervures, des escaliers d'échardes et des navires de noeuds,
Adieu génération perdue
Montmartre passe à Montparnasse
des montagnes de grilles, des glaciers de capsules, des plages d'épingles, des nuages de tôle sur la limaille,
concours d'élégance à Deauville
voici bientôt quatre-vingts ans
concours d'élégance à Deauville
le jazz traverse l'océan
des rameaux de feuilles, de déchirures, de couvertures, de reliures.
Longs colliers fume-cigarettes
nostalgies dodécaphonistes
manifestes psychanalyse
collages frottages délires
la bourse fait des sauts de carpe
c'est l'écroulement de Wall StreetUn pas, on revient, on se baisse, on ramasse, on examine, un pas.
5
Butin du vendredi au bord de l'autoroute :
des océans de lames sur le sable, des orages de couvercles sur l'asphalte, des orchestres de charnières sur le silence, des orgues de vrilles sur le dallage,
Adieu les danses cambodgiennes
de l'exposition coloniale
des éventails d'enveloppes, des écroulements de cartons, des réserves d'étuis, des perspectives de rouleaux,
Jeux olympiques bras tendus
le pas de l'oie la croix gammée
c'est presque soixante-et-dix ans
le pas de l'oie la croix gammée
envahissent la Rhénanie
puis l'Autriche et ça continue
des échelles d'éclats, des barques d'écorces, des navires de tenons, des hangars de mortaises sur la sciure.
Les films sont devenus parlants
l'Espagne est à feu et à sang
on essaie d'éviter la guerre
pour aboutir à la débâcleUn pas, on remarque, on se baisse, on ramasse, on examine, on compare, on combine, on range, un pas.
6
Butin du samedi à l'arrivée dans une ville inconnue :
des anthologies de bribes, des collections de timbres, des galeries de déchirures, des compositions de couvertures sur l'encre,
Adieu la ligne Maginot
le froid couvre-feux restrictions
des cathédrales de plateaux sur la pampa, des gratte-ciel de nervures sur le fleuve, des velours d'échardes sur le désert, des tempêtes de noeuds sur la banlieue,
étoiles jaunes dans les rues
elles ont vite disparu
cheminées fumant sur la neige
cela fait bientôt soixante ans
un homme criblé de clous passant devant les affiches, une femme parée d'écrous, fuyant dans l'avenue déserte, un enfant secouant les grilles au milieu du faubourg délabré, un chien mordillant des capsules dans le parc dévasté par les bombes.
Cheminées fumant sur la neige
bombardements débarquements
résistance libération
Hiroshima Nagasaki
serait-ce vraiment la dernière ?
la SDN devient l'ONUUn pas, on a une autre idée, on remarque, on s'interroge, on se baisse, on ramasse, on retourne, on rejette, on trouve autre chose à côté, un pas.
7
Butin du dimanche au pays des ombres :
Un ouvrier sifflant devant les planches, une hôtesse de l'air cueillant une branche en fleurs, un agent de police composant un arc-en-ciel d'éclats, un chauffeur de taxi déchiffrant des écorces,
Adieu longue marche be-bop
caves de Saint-Germain-des-Prés
un marin ramassant des épingles sur le quai du port aborde une étudiante qui fait sonner une tôle comme un gong tandis qu'un camelot dispose ses lames sur son éventaire et qu'une cuisinière à sa fenêtre vérifie la propreté de ses couvercles,
Où sont passées les colonies ?
des nouvelles nations partout
l'économie fait des miracles
ici et là pas pour longtemps
il y a presque cinquante ans
des allées de reliures entre les murailles menant aux châteaux de carton dans les greniers et les corridors entre les étuis préludant au carnaval des rouleaux fantômes.
Ici et là pas pour longtemps
nouveau roman nouvelle vague
l'art abstrait international
tours de cristal grattant le cielUn pas, on se souvient, on cherche, on déplace, on fouille, on lave, on tord, on redresse, on se redresse, on éclaire, on s'exclame silencieusement, on regarde les alentours, on se hâte vers l'atelier, mais voici quelque chose encore qui vous arrête, un pas.
8
Butin de la semaine suivante à l'intérieur de l'atelier :
Dans la nuit, des clous, des planches, des écrous, des branches, des grilles, des éclats, des capsules et des écorces.
Adieu patience guerre froide
érection du mur de Berlin
Dans la pluie, des champs de clous, de feuilles, d'épingles, d'enveloppes, de tôles, de bribes, de lames et de timbres.
Automobiles japonaises
le cinéma est en couleurs
autoroutes supermarchés
nous arrivent d'outre-Atlantique
pop-art op-art et caetera
cela fait quelques quarante ans
Dans la neige, des amas de planches, des collines d'écrous et de tenons, des vallées de couvercles et de mortaises, des torrents de charnières et de plateaux, des cascades de vrilles.
Pop-art op-art et caetera
de jeunes multinationales
courtisent les gouvernements
mai 68 donne l'alarme
Dans la fureur, des échafaudages de branches, des montagnes de grilles, des charpentes de nervures, des glaciers de capsules, des escaliers d'échardes, des plages d'épingles, des navires de noeuds et des nuages de tôle sur la limaille.
Adieu Woodstock et TGV
On dit que la Chine s'éveille
Dans les flammes, des rameaux de feuilles, des océans de lames et de déchirures sur le sable, des orages de couvercles et de couvertures sur l'asphalte, des orchestres de charnières et de reliures sur le silence, des orgues de vrilles sur le dallage.
L'informatique se répand
et la miniaturisation
Dans la douceur, des éventails d'enveloppes, des échelles d'éclats, des écroulements de cartons, des barques d'écorces, des réserves d'étuis, des navires de tenons, des perspectives de rouleaux, des hangars de mortaises sur la sciure.
Par contre les avions grandissent
et le bruit des aéroports
Hilton Disney Coca-Cola
Dans l'apaisement, des anthologies de bribes, des cathédrales de plateaux sur la pampa, des collections de timbres, des gratte-ciel de nervures sur le fleuve, des galeries de déchirures, des velours d'échardes sur le désert, des compositions de couvertures sur l'encre, des tempêtes de noeuds sur la banlieue.
La guerre continue ailleurs
voilà que c'est bientôt trente ans
les Nations Unies à New York
se plaignent de leur impuissance
Dans l'attente, un ouvrier criblé de clous sifflant devant la palissade, une hôtesse de l'air parée d'écrous cueillant une branche en fleurs dans l'avenue déserte, un enfant déguisé en agent de police secouant les grilles en composant un arc-en-ciel d'éclats au milieu du faubourg délabré, un chien mordillant des capsules aux pieds d'un chauffeur de taxi déchiffrant des écorces dans le parc dévasté par les bombes.
Adieu frémissements promesses
on sait que la Chine s'éveille
Dans le crépuscule, un marin ramassant des épingles dans les allées de reliures débouchant sur les quais du port, aborde une étudiante qui fait sonner une tôle comme un gong entre les murailles menant aux châteaux de carton tandis qu'un camelot dispose ses lames sur son éventaire dans les greniers et corridors entre les étuis tandis qu'une cuisinière à sa fenêtre vérifie la propreté de ses couvercles pour préluder au carnaval des rouleaux fantômes.
On pose le pied sur la Lune
puis après quelques tentatives
on attend le siècle prochainOn regarde, on manipule, on fabrique, on soude, on déchire, on défait, on refait, on se souvient, on cherche, on fouille, on a une autre idée, on essaie, on est assez satisfait, mais non, ce n'est pas encore ça, on essaie encore, on mouille, on encre, on presse, on sèche, on numérote, on signe, on expédie, on expose, on réceptionne, on embarque, on navigue, on tangue, on aperçoit des îles.
9
Et encore une semaine qui passe en roulant de surprise en surprise :
Dans la nuit violette, des clous, des planches, des champs de clous, des feuilles, des amas de planches, des collines d'écrous et des échafaudages de branches au fond de la cour.
Du côté du Moyen-Orient
les choses ne s'arrangent guère
Dans la pluie bleue, des écrous, des branches, des champs d'épingles, des enveloppes, des amas de tenons, des vallées de couvercles et des charpentes de nervures sur le terrain vague.
Fissures dans le bloc de l'Est
à l'Ouest chômage et le sida
voici déjà presque vingt ans
Dans la neige turquoise, des grilles, des éclats, des champs de tôles, des bribes, des amas de mortaises, des torrents de charnières et des escaliers d'échardes au marché aux puces.
A l'Ouest chômage et le sida
montée d'intégrismes partout
Dans la fureur verte, des capsules, des écorces, des champs de lames, des timbres, des amas de plateaux, des cascades de vrilles et des navires de noeuds en promenade.
Adieu nouvelle fin de siècle
on voit que la Chine s'éveille
Dans les flammes jaunes, des montagnes de grilles, des rameaux de feuilles, des océans de lames sur le sable, des éventails d'enveloppes, des échelles d'éclats, des anthologies de bribes, des cathédrales de plateaux sur la pampa au bord de l'autoroute.
Le mur de Berlin est tombé
on parle toujours de tiers-monde
mais il n'en est plus de second
Dans la douceur mordorée, des glaciers de capsules, des rameaux de déchirures, des orages de couvercles sur l'asphalte, des écroulements de cartons, des barques d'écorce, des collections de timbres, des gratte-ciel de nervures sur le fleuve à l'arrivée dans une ville inconnue.
L'Europe se fait à tâtons
Dans l'apaisement rouge, des plages d'épingles, des rameaux de couvertures, des orchestres de charnières sur le silence, des réserves d'étuis, des navires de tenons, des galeries de déchirures, des velours d'échardes sur le désert au pays des ombres.
économistes médecins
nous bercent de bonnes paroles
Dans l'attente grise des nuages de tôles sur la limaille, des rameaux de reliures, des orgues de vrilles sur le dallage, des perspectives de rouleaux, des hangars de mortaises sur la sciure, des compositions de couvertures sur l'encre, des tempêtes de noeuds sur la banlieue entre deux voyages.
Il est temps de tourner la page
adieu les stances des adieux
Dans le crépuscule illuminé, des hommes violets peignant avec des clous des ouvriers bleus sculptant avec des planches des marins turquoise gravant avec des épingles des femmes vertes peignant avec des écrous des hôtesses de l'air dorées sculptant avec des branches des étudiantes mordorées gravant sur des tôles des enfants aurore jouant avec des grilles, avec des arcs-en-ciel d'éclats, disposant des lames sur des éventaires pour annoncer aux fantômes que nous sommes, la bonne aventure de notre réincarnation à l'intérieur de l'atelier des Parques et des Muses.
Près de dix ans que l'on en parle
adieu les stances des adieuxUn pas.
Un jour je me suis aperçu
que mon ombre se détachait
nullement comme ce tapis
qu'enroule subrepticement
le tentateur chez Chamisso
mais qu'elle était enracinée
dans le terrain vague désert
où je m'étais trop attardéElle s'élevait peu à peu
et je pouvais tourner autour
le soleil virant avec moi
dans une ronde d'autres ombres
elle s'obscurcissait aussi
comme une statue grise et noire
qui me regardait goguenarde
sans plus reproduire mes gestesElle devenait plus opaque
je me découvrais transparent
j'étais de plus en plus léger
mon poids s'accumulait en elle
si j'essayais de la toucher
c'était mon bras qui s'enfonçait
dans ma main qui disparaissait
de l'autre côté de l'ardoiseLorsque le soir est arrivé
les lampes se sont allumées
sans me projeter d'autres ombres
ni suivre mes évolutions
alors je me suis exercé
à passer vitres et miroirs
murs et planchers arbres et toits
tournant autour de mon ancre ombre
Car si je m'éloignais par trop
je sentais que je m'allongeais
sans pouvoir contrôler ma forme
et que les couleurs s'effaçaient
se diluant dans l'atmosphère
me dévoilant muscles et veines
artères ossements viscères
qui se dissolvaient à leur tourIl me fallait m'en rapprocher
pour retrouver ma consistance
m'assurer de mon existence
dans cette conscience en dérive
mais quand s'est levé le matin
j'ai vu que dans le terrain vague
toute une population d'ombres
était en pétrificationMes congénères s'étonnaient
comparant leurs opalescences
et les échos multipliaient
leurs interrogations troublées
nous passions les uns dans les autres
nous heurtant à nos monuments
qui se remirent à marcher
parler se nourrir et dormirNous tous adhérant à leurs pas
nous sommes devenus leurs ombres
parlant encor pour quelque temps
puis reproduisant leurs discours
les absorbant en résonance
dans les vibrations de nos gongs
les cavernes de nos émois
le bourdonnement de nos ailes
Palpitant de gravitations
sous le passage de la Lune
la vague frotte grains de sable
l'un contre l'autre pour combler
les creux des rochers et falaisesAlgues roulant et déroulant
leurs chevelures dans les bulles
et coquillages entrouvrant
leurs valves sous flux et reflux
noeuds de poulpes et de médusesAntennes palpant dans la nuit
les migrations phosphorescentes
nuages d'alevins transparents
frissons de draperies d'écailles
quilles des squales et dauphinsArborescences de coraux
plongeons de cormorans et mouettes
sauts des otaries et des orques
valses des tortues et des loutres
fourrures de nacre et ténèbresLa palme d'un bras fend l'écume
une épée sépare des jambes
en dégageant un flot de sang
et le sel fleurit en sourire
sur les lèvres des profondeurs
Avec son nom d'Europe de l'Est, il nous est venu du Nord, y multipliant ses racines pour mieux tenir tête et garder ses yeux vifs dans le tourbillon parisien, apportant avec lui les écailles du groupe Cobra (COpenhague, BRuxelles, Amsterdam) dans lequel se sont illustrés entre autres Asger Jorn et Karel Appel autour de l'animateur-poète, Christian Dotremont lequel a développé son écriture en spectaculaires "logogrammes", et à qui l'a lié jusqu'à la mort de celui-ci, une amitié sans failles en dépit de quelques orages.C'est de ce Nord que vient en particulier un humour caractéristique, rafraîchissant dans le monde un peu guindé des musées d'art moderne et contemporain, que l'on peut faire remonter en peinture jusqu'à Bosch et Breughel le vieux et qui émerge au XXème siècle avec James Ensor et René Magritte.
Au bout d'un certain temps le Nord n'a plus suffi. L'Orient est venu à la rescousse, le Japon surtout, qui lui a enseigné à développer, apprivoiser les serpents de l'encre. Et de l'autre côté, l'Occident, l'aventure américaine, avec l'apparition du cobra emblématique dans les allées de Central Park. Enfin les sifflements aguicheurs de la Méditerranée.
Une des leçons du groupe Cobra avait été l'importance de la collaboration (cobrarelation), de l'oeuvre à quatre ou trente-six mains. Non seulement des expositions de groupes, mais des duos, de la musique de chambre ou d'atelier entre peintres et poètes. D'où l'importance des titres, légendes, bulles, inscriptions de toutes natures souvent détachées du support : cartes géographiques, vieux papiers d'affaires, billets de banque réévalués.
Lui-même excellent écrivain, il est un des maîtres actuels du livre d'artiste, une des régions les plus sensibles de la culture contemporaine, autour de laquelle grouillent aujourd'hui des débats aussi passionnés que féconds.
Avec sa flûte d'encre, il fait onduler le serpent Ouroboros autour du monde, danser les volcans, rire les dragons et les sphinx, fondre quelque peu les plus sinistres de nos bourreaux, les délivrant, nous délivrant de leur fanatisme pétrifié pour nous faire entrer dans un siècle de métal inconnu.
TOMBES
TITUBANTES
(le Père-Lachaise)
1Colonnes obélisques stèles
sarcophages dalles chapelles
dansent lentement sous la neige
qui efface leurs inscriptions
racines des arbres penchés
se faufilent dans interstices
se réchauffant parmi les os
que les années ont décharnés2
Sous cendres et laves glacées
c'est le cratère de Paris
qui a enseveli les rues
de cette Pompéi moderne
blanche et noire striée des traces
de pas des visiteurs fantômes
qui se sont hâtés vers les grilles
le soir avant la fermeture3
C'est comme un port de lourdes barques
heurtées par des vagues de pierre
c'est un refuge de silence
au bord d'un océan de bruits
c'est le monument de l'oubli
dans l'érosion des dédicaces
c'est la galerie des erreurs
sous le rideau des fleurs fanées4
Illustres morts déménagés
d'un champ de ruines à un autre
alors que votre maigre espoir
était de reposer en paix
si jamais quelque faculté
persiste autour de vos débris
aidez-nous à semer nos cendres
dans un tourbillon de salut5
L'humidité qui vient des morts
monte pour peindre paysages
sur les murs des menues maisons
sans portes que couvercle en pierre
brumes cyprès clochers ravins
au clair de lune des lichens
forêts de mousses perspectives
d'abîmes grouillant de venins6
Les touches du clavier de l'orgue
se redressant à mi-parcours
tandis que la marche funèbre
s'est interrompue brusquement
car la foudre froide a frappé
l'instrumentiste entre les yeux
c'est à lui qu'il faut maintenant
trouver aussi refuge ici7
Les arbres avec leurs verrues
ont envahi les corridors
de l'administration macabre
où les fiches sont feuilletées
par les secrétaires des Moires
en bousculant tous les dossiers
qui s'entassent depuis des siècles
dans les rayonnages glacés8
Le torrent de soufre dévale
entre les blocs géométriques
de la montagne fracassée
comme vestiges de Sodome
c'est un escalier de malheurs
avec rambardes et piliers
qui va de l'hiver à l'enfer
dans la lézarde du présent9
Le tampon de l'inquisiteur
pour apposer le grand visa
sur le passeport invisible
à nos yeux de pauvres vivants
mais que nous portons tatoué
dans les replis de nos entrailles
feuille après feuille déchiffrées
par l'échographie des misères10
Les pétales des fleurs d'oubli
jonchent l'entrée de la chapelle
fermée par les croix et les grilles
sous les enlacements du lierre
qui serre les coeurs dans ses griffes
sous les ogives des coquilles
où le vent sonne son tocsin
sur nos commémorations vaines11
Non nul temple ne s'est dressé
ici malgré les apparences
car c'était alors interdit
sauf dans les divertissements
c'était le souvenir d'un temple
que l'on a tenté d'évoquer
pour exorciser les fureurs
d'agonisants désespérés12
Les bras le corps même la tête
sont devenus comme des poutres
en cherchant le dernier sommeil
sous l'édredon paralysant
les éventails des ormes cherchent
à capter une ultime haleine
tandis que déjà les termites
creusent galeries dans leurs troncs13
Sous l'accolade ou la balance
les deux colonnes du tableau
avoir et doit sur le clavier
de l'ordinateur d'échéances
ou de l'ordonnateur des pompes
recueillant les derniers échos
des oraisons et des éloges
pour apurer les successions14
Ses ailes ne pourront jamais
déjà dévorées par des chancres
enlever cette messagère
qui veut lapider par dépit
transformant en pierres les roses
le cadavre de cet enfant
abandonné qu'elle aurait dû
emporter jusqu'au paradis15
Les écailles de la chaussée
imitent celles du serpent
qui fait le tour de notre terre
et de l'arbre de notre vie
proposant pomme empoisonnée
ouvrant la gueule sur des dents
de flamme et de glace luisant
des salives du jugement16
Le texte et son illustration
recueillent des feuilles séchées
entre les chaînes et les fleurs
dans un rayon d'arrière-automne
les signes surmontant les stèles
proclamant leurs interdictions
depuis qu'ils se sont écroulés
se sont changés en clefs des champs17
Comme des lignes d'écriture
blanche sur l'ancien tableau noir
que l'éponge vient d'effacer
mais en partie si bien qu'un mot
surnage ici ou là bavant
en attendant qu'un grand lavage
disperse tout cela au fond
d'un seau dans les eaux de vidange18
Ce sont les chars d'un carnaval
en noir et blanc tous les acteurs
se sont enfuis à l'arrivée
d'un raz-de-marée enfonçant
toutes les roues sous la surface
moirée de sa respiration
banderoles et confetti
se sont engloutis dans les algues19
La tranquille banlieue sans traces
de pneus sans cris d'enfants sortant
de l'école sans aboiements
de chiens des petits pavillons
avec cheminées et antennes
avec jardinières salons
où l'on regarde les programmes
d'un autre temps d'un autre monde20
Le virage fait déboucher
sur une longue cicatrice
dans une forêt encombrée
de cabanes de bûcherons
ou bien de cabines de bains
pour des plages qu'on ne voit pas
en superposition d'images
deux fois l'océan sous la terre21
Un monumental os de seiche
pour les oiseaux du roi des morts
qui plongent parmi les courants
très diversement transparents
traversant le miroir des murs
pour remonter des ossements
afin d'en construire des nids
pour y élever leurs enfants22
Au détour de cette autoroute
on arrive au poste de douane
où il faut montrer patte blanche
en pénétrant dans des guérites
où l'on va vous radiographier
dans ce pays nulle monnaie
n'est admise il faut seulement
une carte de vrai crédit23
Une épée de bois enfoncée
dans des rochers en pyramide
qui attend un Arthur géant
pour l'arracher Excalibur
et devenir le roi des preux
rendant vie aux ensorcelés
en nettoyant toute l'ordure
qui envahissait Brocéliande24
Pour sa niche le chien Cerbère
a fouaillé sous les racines
des grands chênes oraculaires
qui aboient sous l'inspiration
des quatre vents son triple mufle
émergeant au niveau du sol
flaire les nouveaux arrivants
tout prêt à les déchiqueter25
Matériaux dans un entrepôt
attendant que quelque inventeur
en trouve l'utilisation
au début tout était rangé
soigneusement l'un contre l'autre
mais l'abondance a provoqué
chevauchements et brisements
Babylone et Capharnaüm26
Dans les coulisses dos d'un ange
croix au rebut échafaudages
d'urnes de frontons et volutes
amas d'inscriptions et d'écus
éternité fidélité
tombant lettre à lettre en poussière
et la clémence de la neige
voilant cette décrépitude27
Heaume à panache médaillon
enrubanné table servie
pour un festin d'anniversaires
avec gâteaux à trois étages
petits-fours rafraîchissements
galets palets oeufs à la neige
un long soupir de vent annonce
le cliquetis des invités28
Il n'est pas besoin d'un vivant
pour que le guichet vous propose
une excursion aux catacombes
d'où vous ne reviendrez jamais
le sphinx à l'angle du fronton
reprend ses anciennes énigmes
en récapitulant les noms
de ses innombrables victimes29
Dents de granit et pains de glace
bancs de marbre de suie de temps
aérolithes déposés
par quelque expédition secrète
venue du plus noir de l'espace
soudain rappelée vers sa base
avec l'espoir de revenir
un jour effacer tous indices30
Vitrine pour la fin d'année
arbre de Noël où le père
avec sa houppelande blanche
n'a plus les yeux dans ses orbites
mais distingue parfaitement
ses convives pour leur offrir
une maladie dernier cri
et garantie d'inhumation31
Le roi la reine les deux tours
les cavaliers les fous les pions
en attente d'un mouvement
qui parfois prendra des années
les téléphones souterrains
permettent des compétitions
entre cimetières lointains
avec des urnes pour trophées32
S'imaginant impératrice
traitant serviteurs en esclaves
menant famille à la baguette
elle voulait reconstituer
l'antiquité dans son jardin
et rêvait aux orgies romaines
quand dans l'atelier du sculpteur
elle posait pour son tombeau33
La chaise la chaire la chair
les secrets des confessionnaux
dans les recoins des cathédrales
chapelles déambulatoires
les accusations les remords
les galeries des pas perdus
des gares et des tribunaux
les labyrinthes des soupirs34
Flacons de parfums et d'épices
pots de la pharmacie nocturne
où des assassins cuisiniers
concoctent leurs poisons délices
pour capter quelques héritages
ou triompher dans un concours
parfois seulement pour savoir
comment sera l'enterrement35
L'escalier qui mène à la gloire
est parsemé de chausse-trappes
la marche où l'on pose le pied
tremble et vous avez une entorse
la rampe où vous vous retenez
s'écroule et vous voilà tombé
risée de tous vos concurrents
pour qui sont prévus d'autres pièges36
Tambour pour battre le rappel
ici des timbales des gongs
trompettes pour l'Apocalypse
hautbois et cors flûtes et violes
mais les musiciens sont absents
ils se préparent c'est la pause
ils arriveront tous à temps
pour la symphonie des adieux37
Une fontaine suspendue
c'était autrefois la jouvence
avec les cornes du sylvain
guettant la nymphe dans son cours
mais aujourd'hui paralysé
il se recroqueville et fane
en attendant d'autres saisons
où viennent filles attendries38
Les régiments et les légions
les divisions les corps d'armée
les généraux les amiraux
les officiers sous-officiers
les caporaux et les troufions
avec leurs femmes et enfants
tout cela se levant de terre
dans un ricanement géant39
La sinuosité fatale
à quelques automobilistes
les a menés dans ce cellier
où conservés dans fûts de chêne
on espère un mûrissement
pour qu'en leur réincarnation
si jamais elle se produit
ils conduisent plus prudemment40
Le petit obélisque apprend
près de son grand-père obélisque
à se tenir en société
car s'il est suffisamment sage
il grossira en pyramide
pour abriter un pharaon
mais le soleil d'Egypte est loin
et ses empires abolis41
La déchiffreuse agenouillée
a les yeux brouillés par la neige
dans sa mémoire vacillante
elle ne trouve plus les noms
des enfants qu'elle avait perdus
mais la couronne qu'elle tient
vient de fleurir de pensées blanches
qu'elle offre à tous les inconnus42
Le trèfle dans l'oméga
au rendez-vous des triangles
les formes qui évoluent
se recoupent et composent
en embranchements ramures
en murmures et réponses
en siècles d'architectures
superstitions et légendes43
Au carrefour des palmettes
et des cristallisations
au théâtre des regrets
et des incompréhensions
nous devinons qu'à travers
le rideau de brume et d'arbres
la ville s'agite et brûle
avant de verser ici44
Tous les voiles et dentelles
les nappes les draps les suaires
avec broderies de feuilles
de chênes et d'oliviers
sont venus s'accumuler
pour se fondre en élixir
qui lavera les blessures
des familles éplorées45
Les résidents du parc des Parques
sont priés de se conformer
aux règlements des survivants
interdiction de revenir
les tourmenter dans leur sommeil
mais il faut rester dans sa loge
sans manifestations sournoises
attendant sa dissolution46
Petits bateaux sur le rivage
du Styx attendant les touristes
embarcadères préparés
pour la promenade immobile
vers les îles des enfermés
miroirs d'obsidienne et de nacre
tournant dans les heures du jour
et le clair de Lune ou son noir47
La famille des exilés
se cherche le long du chemin
où le petit Poucet jetait
ses cailloux pour s'y retrouver
mais la neige les a couverts
elle efface toutes les traces
il ne reste que les haleines
tels des points d'interrogation48
Sous les ogives dénudées
la suie continue son ouvrage
une contralchimie qui fait
avec de l'or larmes de plomb
avec des sourires des cendres
antitrésors étiquetés
enfermés dans des coffres-forts
dont les serrures ont claqué49
Plus loin plus ancien plus enfoui
on descend dans un puits de mine
avec des centaines d'étages
de colombaires surpeuplés
où sèchent suaires et crânes
dans une fourmilière blanche
où les démons battent des ailes
pour entretenir l'ouragan50
Elle attendait l'ange Azraël
quand les orages de Gomorrhe
l'ont changée en statue de sel
le poids des années l'a penchée
sur une table de la loi
où est inscrite une sentence
qu'elle ne pourra jamais lire
mais que l'ange exécutera51
épaves fichées dans le sable
après centaines de naufrages
sans survivants les sauveteurs
qui entendaient de la falaise
les appels les cris et les râles
ont tout fait pour lancer leurs câbles
mais les vagues sont devenues
lits d'hôpitaux tous feux éteints52
Les pèlerins silencieux
s'éloignent sans se retourner
le bruit des pas s'est étouffé
les coups du glas sont espacés
il faudra bientôt la journée
pour entendre le coup suivant
mais auront déjà commencé
nouveau cortège et nouveau glas
A1
La lune est si loin dans l'espace
le stylite dansant ne peut
espérer que tel Endymion
elle vienne le caresser
aussi les édiles émus
lui font monter depuis la terre
une illumination dévote
que sa torche nous renverra
2
Dans ce tunnel à ciel ouvert
noctambules vont se serrant
le long des grilles et des lampes
l'un contre l'autre murmurant
des proverbes et chansons tendres
mais la fatigue envahissant
progressivement leurs vertèbres
on n'entend plus que les talons
3
La volute d'un violoncelle
maintient l'alambic où s'amasse
la lumière crépusculaire
délaissant le ciel peu à peu
et nous montre que le brouillard
s'épaississant de plus en plus
nous interdira toute étoile
au-dessus des toits et des phares
4
Roseau jailli du marécage
grouillant bruyant d'automobiles
où s'est engloutie la prison
suintant de glas et cliquetis
tige de métal végétal
offrant une quadruple salve
pour la célébration du sylphe
qui fit tourner la clef des champs
5
Les tourelles du Moyen-âge
montent la garde en retenant
leur souffle pour pouvoir entendre
la conversation des fantômes
à la recherche de leurs lieux
d'autrefois aux petites heures
dans l'agitation des branchages
qu'ils frôlent désespérément
6
Le chat flaire de flaque en flaque
dans la jungle des véhicules
immobilisés pour la nuit
dans un territoire conquis
après maints circuits alentour
souplement reprend son errance
après un crissement d'effroi
provoqué par un congénère
7
La succession des réverbères
comme des gardiens de la pluie
assurant la sombre luisance
des pavés témoins d'autrefois
dans les ruelles où s'assemblent
des ombres des brouillards des bruits
dans le velours du temps qui passe
entre les rives d'insomnie
8
L'arche d'anthracite enjambant
le Styx où tout s'est englouti
sous le vol des hiboux urbains
aux yeux lumineux sous la voûte
reprenant leur ululement
tandis qu'approche la vedette
de Charon avec son fanal
pour accueillir les suicidés
9
Les ailes des ponts se caressent
comme celles de cygnes noirs
de l'autre côté de la Terre
où le jour égrène ses heures
dans le tohu-bohu des villes
dans les délassements des plages
ou les sifflements des déserts
sur le passage d'un avion
10
Vélocipédistes nocturnes
vos corps sont volatilisés
dans les gerbes des étincelles
assurant communications
d'une étoile électrique à l'autre
aux quais d'invisibilité
où vainement les troncs des arbres
s'efforcent de vous arrêter
11
Les crânes même plus à vendre
les jambes avec leurs souliers
déposés dans leur exclusion
en attendant que le camion
les emmène au champ d'épandage
en quelque banlieue méprisée
où les enfants iront chercher
de quoi multiplier leurs jeux
12
Un numéro de Minotaure
où des images de Brassaï
glanées sur la place des Vosges
accompagnaient la traduction
de quelques passages des Nuits
d'Edward Young qui avaient donné
au comte de Lautréamont
tant d'adolescentes migraines
13
Sens interdit dans le corail
funèbre protégeant les tombes
des compagnons du Nautilus
contre les requins et les hommes
avec les escaliers d'enfer
qui descendent aux profondeurs
où à ses risques et périls
on peut interroger l'oracle
14
Constellation de globes fixes
dans le murmure perpétuel
de ces espaces limités
où le chuintement des machines
répond au battement des pas
aux faufilements d'animaux
qui survivent entre les pierres
dans leurs tanières de goudron
15
Ce sont les Indes désertées
il ne reste plus que l'odeur
sous les enseignes nostalgiques
qui annoncent à l'exilé
ou son compagnon fureteur
décors épices et langages
toute une bourrasque d'Asie
médusant notre quotidien
16
La croix promet soulagement
pour nos blessures ou malaises
dans la navigation urbaine
où flots de foule se bousculent
parmi repères et récifs
après le divertissement
de quelque spectacle visite
ou déambulation chercheuse
17
Les percussions des lampadaires
accompagnent le pédalier
sous les tuyaux d'orgues des arbres
et les cantiques des reflets
le long de la rampe s'appuient
les fatigues de nos retours
le long du parapet répondent
les grincements de nos vieux os
18
Les moirures de la marée
à l'assaut de l'ancien portail
érodent vantaux et serrures
s'insinuent dans les corridors
les placards et les cheminées
entre les pages des vieux livres
dans les plis des rideaux et draps
pour redonner vie aux sirènes
19
Hélice des marches grimpant
au long de la sombre falaise
régulièrement évidée
de fenêtres illuminées
comme s'il s'agissait d'un phare
qui aurait perdu sa lanterne
et dont le gardien essaierait
de parer quand même aux naufrages
20
La Fontaine des Innocents
nous propose de réveiller
ses naïades enveloppées
dans les draperies du sommeil
pour vaincre leurs timidités
il nous faudra sans doute éteindre
la veilleuse qui les signale
jusqu'aux hésitations de l'aube
21
Les ralentisseurs embusqués
ne concernent pas le piéton
qui flâne en sa méditation
chantonnant les mains dans les poches
s'émerveillant de retrouver
dans le clair-obscur préservé
l'atmosphère Carné-Prévert
du cinéma de sa jeunesse
22
Dans le filet vertigineux
avec ses flotteurs en cristaux
de neige grouille l'avalanche
des réprouvés du quotidien
poussés par l'urgence et l'ennui
vers le portail de la nef nasse
où sonne le glas perpétuel
sur le cercle où sombrent les heures
B
1
Le fantôme de Saint Denis
portant sa tête entre ses mains
les yeux ouverts lèvres fermées
conduit dans les rues pétrifiées
les fantômes de tous les rois
inhumés dans sa basilique
jusqu'à Louis XVI titubant
portant sa tête entre ses mains
2
La grande cloche que Zola
ou son vertueux anarchiste
voulait décrocher sur la foule
dans un superbe écroulement
lors de son inauguration
fait répercuter ses échos
s'inscrivant en imprécations
dans le silence des ruelles
3
Entre les voitures parquées
d'autres viennent pour observer
les globules d'humanité
qui ont dévalé la cascade
en tourbillons d'ébriété
s'aidant des rampes et des grilles
pour ne pas rouler sur les marches
après les discussions du soir
4
Animant les pierres du mur
éclairé par le réverbère
la découpure des immeubles
noirs comme les donjons d'enfer
une fenêtre s'éclairant
encore ou déjà étudiant
qui révise ou rêve ou gardien
de nuit s'installant pour dormir
5
Le pèlerinage des arbres
hissant racine après racine
arrachements enfoncements
scandés par les poteaux de fonte
frappant comme les hallebardes
des anciens Suisses chamarrés
sur le gong de la terre creuse
qui se lézarde sous les coups
6
Une grappe de visiteurs
pressée par le poing de la nuit
fait couler son jus d'insouciance
dans les rigoles du cellier
où mûrissent les souvenirs
de vieilles danses et chansons
le chat noir le bateau-lavoir
absinthe peinture et cancans
7
La balafre d'un ralenti
entre les dés sécuritaires
au croisement de deux canaux
à flots de dallage luisant
sous le château thésaurisant
les torrents qui le lendemain
ruisselleront dans les maisons
les caniveaux et les jardins
8
Le jet d'un arbre véritable
entouré de troncs de béton
les taches de végétation
se propageant sur les murailles
rongeant gouttières et chenaux
escaladant toits et verrières
des ateliers d'art et d'essai
où les ruses piègent les muses
9
Eau et gaz à tous les étages
et voici l'électricité
qui marie confort et danger
inondations déflagrations
un papillon de nuit déplie
ses deux ailes phosphorescentes
pour illuminer les arpèges
du pianiste sur son clavier
10
Comme l'empire des lumières
chez Magritte mais relevé
par les délicates antennes
qui vont agripper les images
pour les distribuer dans les chambres
où le sommeil tarde à venir
et le noir lichen des ramures
qui dévore le mur du ciel
11
Mont des martyrs mont des soupirs
sur la broderie des pavés
parmi traces de beuveries
subsistent figures de cartes
as de carreaux valet d'épées
où pourraient lire l'avenir
ceux qui tremblant de le connaître
essaient de prolonger la nuit
12
Un rideau de givre à l'assaut
de l'aquarium urbain grouillant
de troupeaux d'automobilistes
avec leurs gros yeux clignotants
se faufilant dans les méandres
parmi les métros et les bus
entre les balcons des îlots
et le menu fretin piéton
13
Conciliabule à la sortie
d'un petit bistrot revenir
parmi les arbres menaçants
les façades borgnes les blocs
jaillissant inopinément
jusqu'à l'immeuble où l'on réside
officiellement à quoi bon
autant somnoler au boulot
14
Fuir là-bas fuir on ne sait où
surtout ne pas se laisser prendre
à s'encastrer dans cette file
immobile sous la prison
qui sert de piédestal aux tours
de la basilique saignante
où l'on pourrait se retrouver
paré pour les jeux liturgiques
15
Les bulles des boissons gazeuses
se sont échappées pour perler
les fleurs de lys de la rambarde
qui donne sur la ville entière
avec ses fabriques ses parcs
ses bateaux-mouches ses sirènes
les puits de ses cours ses égouts
et leurs regards au ras du sol
C
1
Le spectre de François Villon
rase les murs en murmurant
quelque strophe du Testament
en s'étonnant de ces lumières
qui crient dans la nuit en l'absence
du martèlement des pavés
par les soldats du guet sur fond
de rumeurs de chars inconnus
2
On fait briller comme en plein jour
le portrait capté dans la nuit
grâce à l'éclat du réverbère
traçant pour chaque noctambule
une ombre qui va se croisant
à celles tracées par ses frères
sur les pavés rendus luisants
par la pluie qui vient de cesser
3
Les trois fenêtres éclairées
sont comme trous dans la façade
donnant sur un proche incendie
ainsi la maison semble vide
image de sa propre ruine
déjà envahie par les lianes
et les globes illuminés
semblent sur le point d'exploser
4
La très belle et très inutile
porte Saint-Denis nous découpe
au-dessus de l'embouteillage
l'icône d'un autre pays
où l'on parlerait même langue
mais très loin de l'autre côté
de la mer Méditerranée
ou de la baie des Trépassés
5
Comme les bras articulés
rendent capables boutiquiers
de chercher des objets perchés
sur des rayons peu accessibles
ainsi les entrailles du pont
se contractent pour projeter
de l'autre côté de la Seine
leur chargement de houille en deuil
6
C'était une entrée triomphale
mais depuis le temps les gardiens
se sont tellement pétrifiés
qu'il n'en reste plus que deux tas
de pierre interdisant encore
toute utilisation malpropre
des recoins de ce vestibule
donnant sur le décor d'un film
7
Le froissement de l'eau remonte
comme les replis d'une robe
dans une reconstitution
des amusements 1900
la surface du petit fleuve
au long de l'île qu'on dirait
dériver comme une péniche
crépitant de feux d'artifice
8
Le théâtre devient donjon
d'un château-fort avec ses douves
et les rares automobiles
utilisant les voies sur berge
sont happées par le Moyen-âge
et se transforment en dragons
qui s'échappent de leur caverne
pour surveiller le pont-levis
9
Dans leur halo d'humidité
ces lanternes ne sont si vieilles
que celle qui donna son nom
à la rue où l'on a trouvé
Gérard de Nerval suicidé
cherchant jusqu'à son dernier souffle
Aurélia reine de Saba
dans son Paris-Jérusalem
10
L'église est devenue cristal
mais ce n'est pas de l'intérieur
que viennent ses feux les vitraux
sont obscurs ce sont les murailles
qui sous les projecteurs croisés
deviennent braises pour changer
en encens poivré les relents
montant depuis le trou des halles
11
Les étoiles de la nuit noire
s'accrochent sur le tronc des arbres
qui se tordent sous la poussée
des flots de sable et de ciment
pour inviter les amoureux
blottis dans le creux des voitures
à venir profiter des bancs
pour savourer le temps qui passe
12
C'est un chat entre lynx et hyène
comme on dit entre chien et loup
pour une heure moins avancée
la pluie des flaques peu à peu
fermente en bouillon de sorcière
qui pénètre dans nos semelles
pour rafraîchir nos pieds lassés
par tant d'errance dans les ruelles
13
Bar de la Lune sous la Lune
à travers l'auto transparaît
le croisillon du vestibule
resté lumineux pour les vieux
cossus titubant en rentrant
d'une virée pour essayer
de retrouver une jeunesse
basculée sous l'horizon noir
14
Les ressorts se sont détendus
après les repas pimentés
qui devaient nous ragaillardir
nous flottons dans une lagune
entre les falots des rivages
rêvant d'yeux d'ondines surgies
dans l'écume des flots stygiens
aux chants de Charon gondolier
15
Les flammes noires du platane
frère de ces arborescences
brûlant notre épine dorsale
caressent le fût lumineux
de la colonne qui nous guide
en notre interminable exode
sur le bitume et les pavés
de nos bastilles éventrées
BALLADE DU NOCTAMBULE PHOTOGRAPHE
Après rendez-vous et travaux
alors que la vieille fatigue
devrait te clouer sur un lit
tu laves tes mains et tes yeux
endosses quelque imperméable
et refermes soigneusement
la serrure de l'atelier
pour suivre l'appel de la nuitD'abord ce sont des milliers d'yeux
qui réfléchissent lampadaires
ou feux de la circulation
les éclats à travers les vitres
des derniers soupers agités
puis les rideaux vont se baisser
les passants se faire plus rares
suivant l'injonction de la nuitIl demeure quelques enseignes
invitant pour une autre fois
phares d'autos qui se poursuivent
comme dans cauchemar télé
quelques animaux soulagés
de retrouver un peu d'espace
et l'eau du fleuve ou de la pluie
répercutant lueurs de nuitPrince des expositions longues
solitaire mineur de fond
dispose encor ta nasse optique
pour capter leçons de la nuit
ÉPITHALAME
(au Maroc)
Je déroule ta ceinture et l'épingle au linteau
pour qu'elle me frôle le visage chaque fois que je rentreraiJe dépose un peu de sel sur ton nombril
et des plumes de cygne entre tes orteilsTu prends un bain avant de t'ouvrir à ma greffe
et moi j'en prendrai un dès que tes cales seront pleinesL'esprit de tes ancêtres grogne de plaisir
quand je pétris ta poitrine avec mes lèvres et mes doigtsTu disposes quelques oranges sur le rebord de la fenêtre
je les change d'ordre pour te répondrePour profiter de l'ombre la plus traversée de lumière
nous nous enlacerons en plein midi dans une anfractuosité du désertL'électricité viendra bientôt jusqu'à nos ruelles
des ampoules nous illumineront à notre gréPour l'instant les lampes à pétrole nous suffisent
nous observons les phases de la Lune entre deux baisersJ'amasserai dans mes tractations des pièces de cuivre
pour en couvrir ton front et les disperser de caressesNous ferons sécher nos deux robes au-dessus des cendres
turban casquette et voile animeront les poutresPeu à peu je t'achèterai de la vaisselle émaillée
pour compléter nos jarres où l'eau reste fraîche sous la torpeurJuste une fente dans le volet pour qu'un rayon du Soleil
détache l'une après l'autre les lettres d'une inscription françaisePlus tard nous appuierons un miroir sur le mur
pour que le pinceau de la Lune puisse psalmodier le CoranUn tapis de palmes sur le carrelage
avant d'en avoir un de laine ou même de soieSi les affaires marchent bien nous mettrons des vitres
à la cuisine pour empêcher les mouches d'entrerLe vent nous éveille parfois avec ses récits de voyage
nous nous hâtons de le saluer par des soupirsJe contemple ton ventre qui gonfle déjà comme un fruit
impatient de voir le lait perler pour calmer les crisAu crépuscule tes mains deviennent transparentes
autour du verre épais plein du thé tentateurQuelques gouttes de parfum dans ton aisselle
et la terrasse devient un embarcadèrePar une fissure la pluie suinte comme moi
ce coin du sol accouchera-t-il d'une menue maison ?Sur la table basse ma main rampe jusqu'à la tienne
alors une langue jaillit dans ma paumeSur une natte un berceau de roseau avec matelas de paille
de petits vêtements brodés en pile à côtéJe n'ai besoin de rien de plus pour peupler mon silence
que du mouvement de ta poitrine qui accompagne l'horizonLe virage d'un oiseau dans le ciel me montre
comment arrondir mon bras autour de tes épaulesFiler tresser tisser couper coudre et découdre teindre et peindre
se laver s'étendre se rouler dans les replis de l'eau et du sableTe palpant comme un médecin acharné
je cherche à préciser la forme de chacun de tes osVoulant t'aimer encore non seulement dans ta vieillesse
mais aussi dans ton ensevelissementEt si je survivais lors de ton incinération suivre
le mouvement de chaque molécule au gré du vent
Les nuques des nuages
se penchent vers les fleurs
pour accompagner leur fécondation
jusqu'au déclic des graines
1Au-dessus du mur le gardien guette l'arrivée du vent les poussières du temps les miroirs des rives
Le sol se transforme en briques crues pour s'escalader lui-même les fumées des heures les deuils
Les chiens semblables à des lions conversent avec les sphinx les plaisirs des jours les fantômes des eaux
Entre les colonnes la poussière tournoie les lampes des soirs les anges des sables les miroirs
2
Le soleil vient rebondir sur un morceau de verre les miroirs des heures les fumées des flots
L'ombre ajoute ses plis à la tunique fauve les deuils des jours les plaisirs
Le visage dévoré laisse apparaître ses soucis les fantômes des soirs les lampes des sables
Dans le village les vivants préparent leurs repas les anges du crépuscule les fibres des murmures les fumées
3
Les ongles brillent comme des scarabées lavés les fumées des jours les deuils des eaux
La mélodie du turban sur la portée des rides les plaisirs des soirs les fantômes
La fumée s'amasse dans les regards les lampes du crépuscule les anges des murmures
Les nuages de l'an passé tournent autour des tempes les fibres des nuits les leçons des souvenirs les deuils
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Les danseurs se suspendent aux fils électriques les deuils des soirs les plaisirs des sables
Ils leur font lancer des étincelles sur les pierres les fantômes des crépuscules les lampes
Les nouvelles de l'Occident croisent la robe noire les anges des nuits les fibres des souvenirs
Le deuil de l'Orient disperse les jonchets les leçons des sommeils le tissu des regards les plaisirs
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L'enfant des pharaons fait démarrer son cycle les plaisirs du crépuscule les fantômes des murmures
La fille des sultanes se faufile dans les ruelles les lampes des nuits les anges
Les oreilles de l'âne devant les vagues de métal les fibres des sommeils les leçons des regards
Le plaisir de rencontrer le photographe étranger les tissus des aubes les palmes des odeurs les fantômes
6
Le fantôme assoiffé houspille le serveur les odeur des nuits les lampes des souvenirs
Il a laissé la chaise vide pour s'enfuir dans le rayon les anges des sommeils les fibres
Escale dans le miroir en forme de pylône les leçons des aubes les tissus des odeurs
Il ne reste qu'un peu de fumée d'encens et de grillade les palmes des éveils les fleurs des traces les lampes
7
L'eau délie les langues et les regards les lampes des sommeils les anges des palmes
Les gestes prolongent les phrases douces les fibres des aubes les leçons
Les obélisques sont devenus transparents les tissus des éveils les palmes des traces
Nous buvons aux fontaines des hiéroglyphes les fleurs des lendemains les grilles des inscriptions les anges
8
Les ombres jouent autour des palmiers les anges des aubes les fibres des odeurs
Les fenêtres amassent les épaisseurs de la nuit les leçons des éveils les tissus
Les chiens hument les pistes à la frontière du désert les palmes des lendemains les fleurs des inscriptions
Un ange sort des tombes pour guider l'égarée les grilles des fêtes les arbres des rêves les fibres
9
Le canard d'écriture patauge d'une page à l'autre les fibres des éveils les leçons des traces
Les vipères à cornes rampent dans les marges les tissus des lendemains les palmes
La guêpe s'éternise sur les drapés du grès les fleurs des fêtes les grilles des rêves
Le soleil s'enfonce entre les fibres sèches les arbres des semaines les roues des ruines les leçons
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La marque du dieu vient animer son effigie les leçons des lendemains les tissus des inscriptions
Le paysan obéit aux leçons silencieuses des parois les palmes des fêtes les fleurs
Devant la ville déchiquetée la paysanne poursuit les grilles des semaines les arbres des ruines
Les guetteurs perfectionnent leur immobilité les roues des mois les briques des ombres les tissus
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Au-dessus de l'enceinte en ruine les falaises barrent l'horizon les tissus des fêtes les palmes des rêves
Le chemin tendu par le pylône comme une corde sur un chevalet les fleurs des semaines les grilles
Assis devant les spectateurs de granit les arbres des mois les roues des ombres
Le tissu de sa robe devient du marbre noir les briques des saisons les fenêtres des braises les palmes
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Les effilochures des palmes saluent celles des toiles les braises des semaines les fleurs des ruines
Les blancheurs rivalisent au sein de la poussière les grilles des mois les arbres
La mince colonnade des bâtons protège le prince exilé les roues des saisons les briques des braises
Le navigateur du sable serre son gouvernail léger les fenêtres des inondations les chevaux des flammes les fleurs
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L'échine de la bufflesse comme une montagne escarpée les fleurs des mois les grilles des ombres
Les fleurs des turbans oscillent sous la brise de la conversation les arbres des saisons les roues
Les cornes et les oreilles cherchent dans la foule les briques des inondations les fenêtres des flammes
Au fond d'un puits aux parois de coton le palabreur les chevaux des tempêtes les navires des reflets les grilles
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Le porteur nocturne dans les phares de l'automobileles grilles des saisons les arbres des braises
Un matelas de bouteilles en plastique pour dormir les roues des inondations les briques
Une allée de sphinx dans le crépuscule les fenêtres des tempêtes les chevaux des reflets
Une palmeraie de lampadaires devant les grilles les navires des années les cendres des portes les arbres
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Les énormes pieds détachés de leur colosse les arbres des inondations les roues des flammes
Un coup de foudre les a interrompus dans leur marche les briques des tempêtes les fenêtres
Les énormes mains cherchant à fouiller la terre les chevaux des années les navires des portes
Les arbres dont les racines font basculer les blocs les cendres des règnes les voiles des vagues les roues
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Les yeux de la montagne regardent par-dessus l'épaule des maisons les roues des tempêtes les briques des reflets
Les ombres des maisons coulent sous les roues des voitures les fenêtres des années les chevaux
Les enfants tels des cailloux roulant parmi les autres les navires des règnes les cendres des vagues
Les puits nous invitant à descendre au royaume des morts les voiles des vies les juges des pierres les briques
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Les chiens reniflent entre les pierres comme des chacals les briques des années les fenêtres des juges
Les maisons naviguent comme des paquebots sur les replis du terrain les chevaux des règnes les navires
Les orbites et les cornes sourcilleuses regardent par-dessus le mur les cendres des vies les voiles des pierres
Les briques en désordre applaudissent au passage de l'actrice dans le cadre de terre les juges des siècles les murs des falaises les fenêtres
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Depuis les fenêtres de la voiture la paroi de bambous les falaises des règnes les chevaux des vagues
On prépare les lampes à pétrole à la tombée du soir les navires des vies les cendres
Maintenant c'est l'heure du sommeil sous les projecteurs les voiles des siècles les juges des falaises
La brise du désert agite les journaux qui sèchent les murs des dynasties les monstres des rues les chevaux
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Serrant la rambarde il laisse un chiffon dire son adieu les chevaux des vies les navires des pierres
De l'autre côté du fleuve une aventure les attend les cendres des siècles les voiles
Les chevaux se reposent avec les cochers les juges des dynasties les murs des rues
Capote ouverte les voitures attendent au débarcadère les monstres des révolutions les cordes des routes les navires
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Les moustiques dans le rayonnement des projecteurs les navires des siècles les cendres des falaises
Les gants des palmiers font des signes dans le soir les voiles des dynasties les juges
A quai le navire qui fait passer sur l'autre rive les murs des révolutions les monstres des routes
Le vieillard et l'enfant se font signe par-dessus les eaux les cordes des empires les rouleaux des respirations les cendres
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La cendre et la poussière dansent avec les habitants les rouleaux des dynasties les voiles des rues
Les palmes éventent les coupoles les juges des révolutions les murs
Un dromadaire se faufile parmi les roues les monstres des empires les cordes des respirations
Les traces des sandales recouvrent celles des sabots les rouleaux des invasions les lueurs des rives les voiles
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Les feuilles entourent la naissance de la tige les voiles des révolutions les juges des routes
L'atlante se repose appuyé sur la base les murs des empires les monstres
La harpe de la voile accompagne les raies de la robe les cordes des invasions les rouleaux des rives
Les observateurs comme les tuyaux d'un orgue mobile les lueurs des religions les échelles des flots les juges
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Anubis en costume de voyage monte prendre son char les juges des empires les murs des respirations
Les juges examinent la culpabilité du dernier mort les monstres des invasions les cordes
L'arrière-arrière-petite-fille de la compagne de Flaubert voit son ancêtre à la télé les rouleaux des religions les lueurs des flots
Les chaises ont changé mais la table était déjà là les échelles des millénaires les oiseaux des eaux les murs
24
Horus a perdu une partie de sa tête les murs des invasions les monstres des rives
Quelque chose dans la course du Soleil est pour toujours gauchi les cordes des religions les rouleaux
Les mains des suppliants frappent la peau du mur les lueurs des millénaires les échelles des eaux
Le procureur dénonce le pillard des tombeaux les oiseaux des religions les sueurs des sables les monstres
25
Les seins roulent dans la corbeille du coude les monstres des religions les cordes des flots
Les bras se plongent dans le lac de pierre les rouleaux des millénaires les lueurs
Le chien vient boire dans le Nil nocturne les échelles des religions les oiseaux des sables
Le regard des monstres se fond dans les sables les sueurs des invasions les grincements des murmures les cordes
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Les cordes et les voiles chantent au vent du barrage les grincements des millénaires les rouleaux des eaux
Les marins se glissent parmi les vergues les lueurs des religions les échelles
Les dromadaires reniflent les fumées des moteurs les oiseaux des invasions les sueurs des murmures
Les guides comparent leurs clients de la veille les grincements des empires les couleurs des souvenirs les rouleaux
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Une inscription dans l'inscription pour dérouter les djinns les rouleaux des religions les lueurs des sables
Des rouleaux d'épines pour aider les anges les échelles des invasions les oiseaux
La barque des morts attend ses clients les sueurs des empires les grincements des souvenirs
Les palmiers télégraphient les dernières nouvelles les couleurs des révolutions les glissements des regards les lueurs
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Le battement des jours et des nuits depuis si longtemps les lueurs des invasions les échelles des murmures
Le changement des odeurs d'un siècle à l'autre les oiseaux des empires les sueurs
Les grincements et les feulements au passage dans le village les murmures des révolutions les couleurs des regards
Les lueurs de la nuit qui se feuillettent comme un livre les glissements des dynasties les montagnes des odeurs les échelles
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Une échelle pour escalader le sol les glissements des empires les oiseaux des souvenirs
Des roues pour parcourir la route des ombres les sueurs des révolutions les grincements
Le rectangle du but comme un pylône gracile les couleurs des dynasties les glissements des odeurs
Le ballon figurant le Soleil cherche le meilleur scarabée les montagnes des siècles les vitres des traces les oiseaux
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Les sandales quittées à la frontière entre deux mondes les oiseaux des révolutions les sueurs des regards
L'anneau céleste portant son messager les grincements des dynasties les couleurs
Le mur nous donne son triple salut de sueur et de sang les glissements des siècles les montagnes des traces
Les yeux de l'enfant libèrent les oiseaux de la paix les vitres des vies les ondulations des inscriptions les sueurs
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Les jarres bavardent comme des femmes à la fontaine les sueurs des dynasties les grincements des odeurs
Les enfants se répandent comme un giclement d'eau les couleurs des siècles les glissements
Le narghilé bouillonne entre les oreilles des mulets les montagnes des vies les vitres des inscriptions
Goutte à goutte la sueur de l'écharpe fait sonner le seau de tôle les ondulations des règnes les rayures des rêves les grincements
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Quelques veilleuses invitent le visiteur à s'enfoncer dans le mausolée les rayures des siècles les couleurs des traces
Les grilles se referment avec un grincement les glissements des vies les montagnes
Les portes que l'on avait cru voir s'ouvrir se confondent avec la paroi les vitres des règnes les ondulations des rêves
Une nouvelle lampe s'allume tandis qu'une autre vient de s'éteindre les rayures des années les tournoiements des ruines les couleurs
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Le triangle se lève au-dessus des gravats les couleurs des vies les glissements des inscriptions
La couleur du ciel ruisselle sur la pente les montagnes des règnes les vitres
Le crâne palpitant fouille entre les gradins les ondulations des années les rayures des ruines
La pyramide se creuse pour mieux nous attirer les tournoiements des tempêtes les méandres des ombres les glissements
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Les souvenirs du pèlerinage à la Mecque au fil des fissures les glissements des règnes les montagnes des rêves
Les remparts de pierre contiennent les glissements du sable les vitres des années les ondulations
Le rideau se lève sur une plaine inattendue les rayures des tempêtes les tournoiements des ombres
Dans les coulisses le cheval et son cavalier se baignent avant leur entrée sur la scène les méandres des inondations les déserts des braises les montagnes
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Les montagnes dévalent jusqu'au temple funéraire les méandres des années les vitres des ruines
Les pylônes se prolongent invisiblement dans le ciel les ondulations des tempêtes les rayures
Les animaux hiéroglyphiques ont quitté les parois les tournoiements des inondations les méandres des braises
Les phrases serpentent aux pieds des maisons les déserts des saisons les hiéroglyphes des flammes les vitres
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A travers les vitres de la voiture le coin d'une rue les vitres des tempêtes les ondulations des ombres
L'artisan prend la pose ancestrale sans s'en douter les rayures des inondations les tournoiements
Les grains de raisin comme ceux d'un chapelet les méandres des saisons les déserts des flammes
La bibliothèque inspire le boniment du séducteur les hiéroglyphes des mois les tractations des reflets les ondulations
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Une fleur de lotus au milieu de la pollution les ondulations des inondations les rayures des braises
Les ondulations de la manche continuées par la toison du bras les tournoiements des saisons les méandres
Le colosse de Ramsès au milieu des embouteillages les déserts des mois les hiéroglyphes des reflets
Les écritures se croisent dans le tumulte des moteurs les tractations des semaines les coulées des portes les rayures
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Les écoliers courent dans les couloirs du métro les rayures des saisons les tournoiements des flammes
Les rayures des robes vibrent comme des cordes les méandres des mois les déserts
Sous la ville paralysée dans son trafic une oasis de silence les hiéroglyphes des semaines les tractations des portes
Un terrain de jeu entre deux invasions de la foule les coulées des fêtes les terrasses des vagues les tournoiements
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Le visage de lumière au-dessus des bras étendus les tournoiements des mois les méandres des reflets
La sveltesse du corps et des jambes serrées les déserts des semaines les hiéroglyphes
Les tournoiements des braises parodient ceux des astres les tractations des fêtes les coulées des vagues
Rien ne risque de s'enflammer dans cette sécheresse métallique les terrasses des lendemains les poussières des pierres les méandres
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Au pied d'un mur que nul ne pourra jamais escalader les méandres des semaines les déserts des portes
Une pause entre deux transports d'objets non identifiés les hiéroglyphes des fêtes les tractations
La chaleur a dilaté la route transpirante les coulées des lendemains les terrasses des pierres
Le goudron fond dans les méandres les poussières des éveils les miroirs des falaises les déserts
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Le petit écran nous emmène de l'autre côté des falaises les déserts des fêtes les hiéroglyphes des vagues
La fumée nous accompagne sur les navires d'autrefois les tractations des lendemains les coulées
Les oiseaux se sont échappés du filet des images les terrasses des éveils les poussières des falaises
Les palmiers jalonnent la voie jusqu'aux paradis proposés les miroirs des aubes les fumées des rues les hiéroglyphes
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Un rectangle de verre pour reconstruire une pyramide les hiéroglyphes des lendemains les tractations des pierres
Une ouverture dans la façade pour retrouver les compagnons les coulées des éveils les terrasses
Les reliefs du repas pour les héritiers des momies les poussières des aubes les miroirs des rues
Les hiéroglyphes du citron sur la colonne transparente les fumées des sommeils les deuils des routes les tractations
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En attendant le train on téléphone aux collègues les tractations des éveils les coulées des falaises
On détaille les petites annonces dans les journaux les terrasses des aubes les poussières
Depuis le train on surprend les tractations les miroirs des sommeils les fumées des routes
Le soleil du soir frise la réserve de canne à sucre les deuils des sommeils les plaisirs des respirations les coulées
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Le coeur et la fleur le visage et le geste les coulées des aubes les terrasses des rues
Les craquelures et les coulées les griffures et les balafres les poussières des sommeils les miroirs
Sur le pont du bateau les barres obliques découpent le quai les fumées des nuits les deuils des respirations
Les paysans descendent les marches pour mieux regarder les touristes les plaisirs des crépuscules les fantômes des rives les terrasses
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Le crocodile se perpétue dans les marécages de plâtre les terrasses des sommeils les poussières des routes
L'éventail de l'imposte rafraîchit le cocher les miroirs des nuits les fumées
Les autocars se disposent pour la nuit parmi les flaques les deuils des crépuscules les plaisirs des rives
Les terrasses des grand hôtels proposent les promenades amoureuses les fantômes des soirs les anges des flots l'arrivée du vent
LA REINE DE SABA VIENT FAIRE SES AIDEUX AU ROI SALOMON
VERMONT
EN PENSANT À TOI
TABLE DES PLANCHES ACCOMPAGNANT LE BRÉVIAIRE D'AUTOMNE
ADIEU AU SIÈCLE
L'INVITATION DE L'ORIGINE
LE CORBEAU REVIENT VERS LA COTE NORD-OUEST
LES OMBRES DE MADRID
AU CABARET DE LA POMME DE PIN
ASSIETTE ANGLAISE
L'EMPEREUR DES ALGUES
LES BAIGNEUSES DE CHICAGO
RÉCLAMATION UNIVERSELLE DES DROITS DE L'HOMME
LA RIVIERE D'ARGENT TRAVERSE L'EUROPE ET L'ASIE POUR VENIR SERPENTER DANS LES FORETS D'ÉCHOS
MAIS OU SONT LES ROUILLES D'ANTAN ?
OMBRES SOLIDES
L'ANNONCIATION DE LA SIRENE
LE CHARMEUR DE SERPENTS
TOMBES TITUBANTES
PARIS VILLE-TÉNÈBRES
BALLADE DU NOCTAMBULE PHOTOGRAPHE
ÉPITHALAME
DES IDÉES DERRIERE LA TÊTE
SUR LES RIVES DES MILLÉNAIRES