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Poésie au jour le jour 19a
(enregistré en septembre 2012)
SOUVENIR DU DÉLUGELa nappe de papier entre les cylindres de la rotative qui imprime les dernières nouvelles.Sur le faîte du toit le rossignol dialogue avec sa compagne perchée dans le poirier voisin.
Le bras d'une femme à l'appui de la fenêtre dans le clair de lune.
Les tissus pliés entassés sur le rayon du placard attendent l'inspiration et les ciseaux de la couturière.
Le rebord de la table de marbre avec les franges d'un tapis léger qui la recouvre en partie.
La stratigraphie des périodes préhistoriques avec leurs grumeaux de vestiges dans une fouille en pleine activité.
Des touffes d'herbes marines piquantes et bleutées ourlant le chanfrein de la falaise creuse.
Une longue branche de bouleau étalée parmi les feuilles mortes.
Une escouade de nuées cavalcade parmi les écheveaux de profils aux lointains des hauts plateaux.
L'inondation du sable à chaque repli de vagues laisse un peu de varech et d'écume.
Les doigts du flûtiste rêveur sur les clefs de son instrument.
La démarche des pigeons sur les créneaux du château-fort.
Les rails du chemin de fer sous la bruine de l'aube.
Les talus de part et d'autre du ruban d'asphalte à l'approche du port.
Le titre courant sur la double page d'un roman du dix-neuvième siècle.
Les nageoires dorsales d'une délégation de dauphins qui jouent dans la houle de l'anse.
Les lichens et les mousses transforment en peinture le sommet du mur de pierres sèches.
La méditation de l'ermite au balcon de sa thébaïde suivant les fumées des villages dans la vallée.
Le sillage du traversier Reine de la Nuit ponctué de mouettes criardes au long du Passage Intérieur entre des îles battues d'averses et d'éclaircies.
Les rides et les échos provoqués par les ricochets d'un galet à la surface d'un lac d'Irlande.
La nostalgie qui vous envahit soudain à la vue d'un brin de paille ou d'un pétale de pivoine.
Les points d'exclamation et suspension quand on arrive au col.
Le brouillard d'interrogations quand on parcourt des épaves ou des ruines.
Les touches du clavier d'un orgue ancien jaunies comme les dents d'un fumeur.
Le balayage de la tombée du soir depuis la côte est jusqu'à la côte ouest des États-Unis.
Le mouvement des yeux du silencieux dur Cortez découvrant le Pacifique depuis un pic en Darien.
L'épaisseur d'un velours damassé relevé de broderies d'argent.
Ce qui reste de cendres dans l'âtre après qu'on l'a nettoyé pour y allumer un nouveau feu.
Les toisons des moutons en transhumance laissant des flocons aux ronces jaillissant des ravins.
Le passage d'un siècle à l'autre avec carillons insomnies désarrois et feux d'artifice.
BLUES DES MONDES PERDUSQuand les îles et continents
se furent asséchés un peu
et que les couleurs des poissons
eurent imprégné l'arc-en-ciel
avant d'allumer le bûcher
préparé pour le sacrifice
Noé fut pris de nostalgie
pour l'immensité disparueJ'aurais voulu sentir notre arche
s'enfoncer parmi les courants
et des branchies s'organiser
dedans nos cages thoraciques
sans endommager nos poumons
pour que nous puissions respirer
des deux côtés de la surface
de l'univers réconcilié
POSTE-FRONTIERELes géants antédiluviens
les civilisations martiennes
les cérémonies des incas
les élégies des pharaons
nagent comme de grands poissons
dans les flots de notre sommeil
dans les rayons du crépuscule
et dans la rotation des ombresBras ouverts à tous les exclus
oracles pour les oubliés
repères tenant tête aux vents
des invasions et mascarets
proues divisant les horizons
des océans et dynasties
vers systèmes et millénaires
battements de la nuit des temps
Mon cher Julius,AMIS AU LOINj'ai devant les yeux une de vos oeuvres de petit format. Comme à l'accoutumée elle me remplit d'une nostalgie de départ et fait s'accumuler dans ma tête toute une effervescence de mots prêts à se déverser en écume. Mais cette fois, comme vous voulez que je parle de peinture, je vais en quelque sorte jeter l'ancre, m'amarrer dans le regard pour décrire avec plus de précision.
D'abord il y a un travail sur le fond; la toile est recouverte de nappes irisées, de brossages aux fibres horizontales mais plus ou moins incurvées, creusant l'espace en multipliant les lointains. Impossible de décider une limite stable entre cieux et océans, sables et nuées, steppes et brouillards. Ce n'est plus un point de fuite comme dans la perspective classique, mais une ligne et même plusieurs superposées comme un spectre d'appels. Nous escaladons ainsi les étages de la distance. On pense à Turner ou Tanguy.
Là-dessus sont venues se déposer des poussières, noires dans l'exemple que j'interroge mais que peuvent déployer d'autres teintes, en agglomérats, pistes ou ramures, apportées par des flots où l'on devine l'activité de quelque savant cocktail d'épices ou de poisons, dont l'écoulement est plus ou moins contrôlé dans un moment de curiosité intense. Que va-t-il se passer ? Auparavant c'était la préparation du voyage, la consultation des cartes et de leurs lacunes, l'avitaillement dans les cales; maintenant c'est la réponse de l'élément liquide, lequel peut mimer d'ailleurs tous les autres, et qui apporte ses rivages et végétations.
Puis le pinceau se gorge d'encre blanche ou noire, avec ici ou là quelque flamme; et c'est l'intervention décisive, la construction d'un navire non pas dans la fermeté d'un chantier en terre tranquille, mais en pleine traversée souvent tumultueuse, par frimas et tornades. Les traits se tendent comme des cordes, les taches se creusent comme des planches ou des voiles. On est dans l'urgence; il faut parer au plus pressé. Les fantômes de tous les naufrages tournent en essaims autour des échafaudages qui télégraphient dans leur écroulement et redressement, avec des ombres de matelots qui dévalent des croquis d'échelles. On navigue dans l'idéogramme.
Et ce n'est pas seulement la représentation qui abrège; c'est l'objet même, l'être qui s'y débat, germe et résiste, ruisselant de sueur et d'embruns, qui s'émerveille en criant : "Terre !" et découvrant derrière cette nouvelle terre un autre océan, d'autres archipels, d'autres cieux, l'être qui cherche à devenir humain, qui cherche ce que ce pourrait être que d'être humain dans le passage d'un siècle à l'autre, de l'autre côté de tout ce qu'on a toujours appelé humain, trop humain, l'être qui ossifie son combat en signature de telle sorte que c'est tout naturellement que peut s'introduire, entre ces deux moments d'écriture, dans des radeaux plus calmes, les complexes rides d'un texte épique.
Malgré mes précautions oratoires et autres, je n'ai pu m'empêcher de prendre le large. Maintenant je repose votre peinture pour pouvoir faire sécher mon texte, le débrouillonner quelque peu, et j'ai l'impression de fermer une fenêtre. Je vais le confier au courrier pour lui faire traverser une première fois l'Atlantique. J'espère qu'il n'arrêtera plus de courir les fuseaux horaires.
Bonne escale! Votre
LES INSINUANTSParmi mes correspondants
il y en a dont je n'ai
jamais pu voir le visage
d'autres que j'ai rencontrés
mais il y a si longtemps
déjà que je ne sais pas
comment leurs traits ont changéIls n'en sont pas moins présents
par leurs envois attendus
leur écriture surtout
qui est comme leur empreinte
et souvent c'est leur accord
qui m'est le plus nécessaire
pour prendre une décisionCertains sont morts maintenant
je n'aurai plus de messages
de leur part je ne pourrai
utiliser les remarques
avec lesquelles souvent
le plus délicatement
ils amélioraient mes textesSouvent l'envie me reprend
de leur demander conseil
je m'arrête juste à temps
mais parfois c'est comme s'ils
m'avaient déjà répondu
à travers silence et deuil
en fantômes bienveillantsChers amis qui respirez
écrivez et regardez
encore pour des années
que je souhaite nombreuses
les progrès des médecins
nous offrant quelque espérance
pour notre longévitéSurtout ne vous lassez pas
si vous trouvez le retour
trop lent si je laisse trop
le courrier s'accumuler
malgré toutes les prouesses
de vitesse que proposent
nouvelles technologiesChacune de vos missives
apporte en l'aridité
de notre tournant de siècle
une communication
avec le réseau servant
la fontaine de jouvence
et d'intemporalité
COMMÉMORATIONS FUTURESDans les fissures de la paroi
les insinuants se précipitent
avec leur panoplie de piolets
pour escalader effrontément
l'envers des livres et des tableaux
monter sur les corniches épiant
les habitants de la maison loin
d'approuver une occupation
qu'ils subissent depuis des annéesIls enregistrent toutes paroles
prononcées lors des conversations
et tiennent le journal des odeurs
qu'ils expédient à leurs officiers
en surveillance depuis des mondes
parallèles avec des replis
et des recoins à bifurcations
dont nous n'avons pas la moindre idée
chevauchant des dragons en orbiteLeurs ongles nous déchirent la nuit
aménageant des blessures propres
pour s'abreuver langoureusement
tandis qu'ils nous distraient par des rêves
de cavalcades et de conquêtes
vampires goulus ils apprécient
les différences de bouquets entre
nos sangs selon les années le sexe
le climat l'éducation la langueA notre réveil ils cicatrisent
tout cela en utilisant baumes
dont nous ne connaissons les secrets
il ne nous reste que quelques bleus
et un grand sentiment de faiblesse
que les plus honnêtes médecins
s'avouent incapables de soigner
ou d'expliquer les plus astucieux
parlant de transcontaminationImpossible de les supprimer
ils sont trop sournois et volatils
ils vivent sans doute plus longtemps
que nous doivent deviner un peu
mieux l'avenir et si nous pouvions
parler avec eux il y aurait
sans doute moyen de mettre au point
quelque arrangement pour obtenir
la clef que nous cherchons pour le large
AU CARBONIFÈRE1 centenaire de l'arrivée sur Mars
2 de la percée du canal transsaharien
3 de l'ouverture de la tombe de l'empereur Qin
4 du retour de la première expédition galactique
5 de la découverte d'une vie extraterrestre
6 de l'édification des tours de Babel polaires avec leurs jardins suspendus
7 de l'inauguration du premier hôtel en orbite
8 de l'implantation des ailes organiques amovibles
9 de la fermeture du dernier puits de pétrole
10 de la cérémonie du dernier soldat déposant les armes
11 de la déclaration universelle de la gratuité des soins
12 du dernier timbre payant
13 de la naissance de Maurice Cohen
14 de Commémorations futuresL'administration se réserve le droit de célébrer à sa fantaisie les cinquantenaires, bicentenaires, millénaires, etc.
DANS LES FUMÉES DU CATHAYLa mer était moins salée qu'aujourd'hui
un peu plus chaude elle émettait plus de vapeurs
qui formaient d'énormes cyclones
ceinturant l'équateur d'alors et secouant
les forêts de cryptogames sur les continents
qui dérivaient comme des radeauxLes montagnes étaient plus hautes et ravinées
de nombreux volcans faisaient couler leurs laves
jusqu'aux rivages qu'elles redessinaient
en faisant bouillir les nouvelles flaques
les séismes disloquaient les plaques et provoquaient
d'effroyables fissures et ras de maréePas un seul oiseau sur les frondes ou palmes
sur les vagues et rochers
pas un seul rongeur pour gravir les pentes
pas même lézards ou grenouilles
pas un insecte mais parmi les algues
déjà d'inépuisables volées de poissonsDes fourrés de coraux avec astéries anémones
et méduses des bosquets d'éponges
des vers immenses des crustacés de toutes nuances
des antennes vibrant partout
cherchant tâtant et comparant
des yeux pédonculés se hissant jusqu'à la surfaceAvec un instant le désir de respirer dans l'air
comme dans la mer de voler comme l'on nageait
avant de replonger dans les ténèbres vertes
en broutant happant broyant et dévorant
fuyant des ombres menaçantes
frissonnant parmi les frissonsMais aussi explorant l'Arcadie pélagique
en lâchant son sperme ou son frai
lors de la rencontre d'un congénère aimable
moirures ou tentacules danses ou grognements
interprétant déjà les signes et tentant d'en donner
avant de s'endormir pour des générations et générations
BERCEUSEDe la Chine à Chinon
mon sang n'a fait qu'un tour
la nef de Rabelais
glisse parmi les nuagesInfatigablement
le géant généreux
étudie les lointains
avec ses compagnonsAbordant archipels
ou survolant déserts
déchiffrant écritures
en écoutant le ventCalculant trajectoires
avec leurs astrolabes
faisant sonner leurs gongs
dans les forêts des stèlesEt je les ai rejoints
dans l'émerveillement
de planer sur les siècles
et les fuseaux horairesDevisant Devinière
devinant destinées
décrivant millénaires
dégustant vins et thés
AUTRE BERCEUSEBienvenue Clara chérie
dans ce monde où nous avons
hélas fort mal préparé
l'arrivée de ton sourireAu milieu de nos ténèbres
épidémies et massacres
il suffira que tu dormes
bien sagement pour que luiseL'espoir du soulagement
pour toutes les maladies
et de pacification
dans tous les pays brûlantsNous voudrions t'apporter
l'air des plus pures montagnes
l'eau des sources les plus vives
la sécurité des ruesLa facilité d'apprendre
le plaisir de découvrir
les parfums de l'aventure
l'espace multipliéMais quand tu t'éveilleras
c'est toi qui sauras trouver
progressivement les mots
qui nous manquent pour t'aider
LE TAROT DES ÈRESBienvenue Lidia chérie
sur ce nouveau continent
traversé des grondements
de toutes circulationsTes cris ne pourront couvrir
tous ceux qui sont étouffés
dans les prisons et les coeurs
les hôpitaux et les campsMais ton silence ouvrira
une chambre pour l'écoute
des chants de ton origine
des appels du lendemainDans le concert familial
ton balbutiement saura
faire entendre les énigmes
de la reine de SabaEt celles du voyageur
attiré par les épices
au pays du prêtre Jean
photographiant des vertigesQuand ta voix s'envolera
dans le battement des langues
les anciennes dissonances
fleuriront en harmonies
A MINUIT TOMBE L'AN 2000Le rayonnement nous ramène à des temps très anciens
à la fabrication des soleils et des planètes
avant l'apparition des regards animaux
et la dorure des nimbes autour des archangesLe rayonnement nous promet des temps vraiment nouveaux
où les constellations se disposeront en espace
où langues et races dialogueront en paix
l'apocalypse heureuse et la rémission de nos fautes
...vous voyez, cela va déjà
mieux, un peu mieux, il ne fallait pas s'attendre à l'arrivée
du père Noël, une lessive totale d'un seul coup, la page vraiment
tournée, la table mise, un joyeux big bang, une création
repensée, non, patience, il faut encore de la patience, pendant
longtemps les virus vont encore muter, les maffias se répandre,
les multinationales nous étrangler, les gouvernements favoriser
les ventes d'armes et même utiliser celles-ci, il y aura encore des
exodes, massacres, famines, mais un peu moins, je vous assure, il faut
me croire, je veux le croire; tout au long de ce nouveau siècle
on s'embarquera vers les lointaines îles de la patience, où
l'on ne perd jamais patience, une nouvelle patience heureuse que nous attendons
depuis si longtemps, mais vous voyez...
LA
SEMAINE DES CERFS-VOLANTS
festival pour la fin du siècle
HEBDOMADAIRElundi
phases
lait
miroirsFaisant à chaque marée
le lit pour de nouveaux jours
en glissant parmi les nuages
son reflet dans les lagunes
où se baignent les beautés
de la Nouvelle-Cythère
en ruissellements d'argent
mardi
armes
sang
brûluresLes inscriptions pacifistes
sur les frontières fumantes
où parmi les explosions
et les hordes affamées
on agite drapeaux blancs
en espérant éveiller
les gouvernements ronfleurs
mercredi
chiffres
encre
sciencesSinueux comme un serpent
dans les broussailles célestes
distillant ses élixirs
dans les alambics du vent
calculant éphémérides
et décimales de pi
dans l'amphithéâtre bleu
jeudi
couronnes
larmes
rempartsMajestueux comme un aigle
avec sa cape de plumes
contemplant globe terrestre
et le sceptre dans ses mains
qui tremblent sous leurs joyaux
tandis qu'orages menacent
et s'aiguisent les tranchants
vendredi
caresses
sperme
cheveluresÉternellement naissante
sur l'écume des glaciers
sous les palmes des atolls
ou filant sur les traineaux
emmitouflée de fourrures
que l'on abandonne aux plages
où viennent mûrir les grappes
samedi
battements
sueur
secretsS'enfonçant aux profondeurs
des pages noyées de brumes
la phrase cherche fortune
entre veille et lendemain
tournant autour du noyau
pour amasser l'énergie
qui permettra le départ
dimanche
lumières
vin
gongs
OUTRE-NORVEGE1) du 1 au 7 janvier (1999)Le gel du ciel précipite ses idéogrammes sur la page de la toundra.
2) du 8 au 14 janvier
Dans le secret du sol reprend sournoisement l'agitation des rhizomes.
3) du 15 au 21 janvier
L'hydre faufile ses tentacules voraces dans les cheminées de l'humus.
4) du 22 au 28 janvier
Un essaim de chromosomes survole une fourmilière affolée.
5) du 29 janvier au 4 février
Peu à peu les jours allongent et l'humidité se condense en flaques.
6) du 5 au 11 février
En dépit de la vrille obstinée des heures le givre appose de nouveau sa signature.
7) du 12 au 18 février
Des lèvres de parfums acides viennent baiser les vitres des prés.
8) du 19 au 25 février
Les souvenirs d'anciennes floraisons perturbent les écoulements de la boue.
9) du 26 au 4 mars
Les torrents ouvrant leurs vannes donnent le signal pour la migration des oiseaux.
10) du 5 au 11 mars
Avec leurs plumes les saules éventent les insectes futurs qui s'ébattent dans le glissement des eaux.
11) du 12 au 18 mars
De légères trombes viennent semer dans les sillons des ondes les promesses de giboulées.
12) du 19 au 25 mars
A l'intérieur du tronc des barrissements sourds lancent des appels aux racines.
13) du 26 mars au 1er avril
Le sablier végétal invite les brumes à répandre leur lait sur les feuilles
mortes de l'an passé.14) du 2 au 8 avril
Un peu décalée sur l'arche de l'équinoxe la noix de la Lune entrouvre sa coque.
15) du 9 au 15 avril
Les dauphins et les squales tressent les trajets de leurs ombres entre les rochers
16) du 16 au 22 avril.
Après les grandes marées les épaves remuent sur les grèves leurs sémaphores de détresse.
17) du 23 au 29 avril
Un éclaboussement d'algues au long d'une canalisation abandonnée.
18) du 30 avril au 6 mai
Des poignées de pollen saupoudrent la houle des pétales.
19) du 7 au 13 mai
Les premières fèves jaillissent de leurs gousses pour nourrir les tribus nomades.
20) du 14 au 20 mai
Les torches illuminent les palmiers sur les inondations qui les redoublent.
21) du 21 au 27 mai
Les bulbes des jacinthes passent la main aux caïeux des glaïeuls.
22) du 28 mai au 3 juin
Les neumes des reflets escaladent la portée de l'orgue liquide.
23) du 4 au 10 juin
Dans l'obscurité des épis les grains à peine formés songent à leur germination.
24) du 11 au 17 juin
Le concert des grenouilles salue l'envol des fantômes couronnés de lierre.
25) du 18 au 24 juin
Finie la nuit de la Saint-Jean les roseaux lancent leurs astérisques vers les fumées et les cendres.
26) du 25 juin au 1er juillet
Le souvenir des lilas blancs plane sur les nénuphars de Giverny.
27) du 2 au 8 juillet
La tempête de sable fait valser les frondes sur les landes.
28) du 9 au 15 juillet
Avant-coureur de l'orage un claquement de vent fait tomber dans la piscine des pommes de pin de l'été dernier.
29) du 16 au 22 juillet
Les battements des tonnerres antédiluviens assaillent les tympans des écorces.
30) du 23 au 29 juillet
Sur le pont des tergiversations l'essaim des projets bondit à l'assaut du mur des siècles.
31) du 30 juillet au 5 août
L'inondation défait les barrages dérisoires qui lui sont opposés sur les rives du fleuve.
32) du 6 au 12 août
Des îles de branchages dérivent comme un troupeau de nuages ou de pachydermes.
33) du 13 au 19 août
Le geste du chef d'orchestre qui déclenche la déchirure du paysage.
34) du 20 au 26 août
Le ruban se replie comme une anguille qui se cherche et se découvre soudain dragon.
35) du 27 août au 2 septembre
La conversation se poursuit dans la volière tandis que les bambous se balancent autour de l'île mélancolique.
36) du 3 au 9 septembre
Le rideau de la rentrée des classes s'ouvre sur de nouvelles taches d'encre.
37) du 10 au 16 septembre
Les graines qui se diffusent font vibrer la toile de la princesse métamorphosée.
38) du 17 au 23 septembre
Les coquillages dévalent dans la brèche de la dune couronnée de buissons épineux.
39) du 24 au 30 septembre
En démontant soigneusement les grilles de notre prison nous obtiendrons les éléments d'un radeau.
40) du premier au 7 octobre
La feuille qui se rêvait courant d'air étincelle hirondelle ou lièvre se recroqueville épuisée.
41) du 8 au 14 octobre
Le couple de vieux paysans cherche dans une meule de foin les aiguilles qui leur ressemblent.
42) du 15 au 21 octobre
En une nuit les champignons ont poussé comme des villes dont les odeurs seraient suaves.
43) du 22 au 28 octobre
Les bouffons végétaux soulèvent leur chapeau d'opium pour libérer une vague de rêves et de résolutions.
44) du 29 octobre au 4 novembre
Des braises dans l'aisselle de la montagne avec la neige en tourbillons qu'on devine derrière la porte.
45) du 5 au 11 novembre
Les palpitations du coeur sont relayées par les craquements des charpentes et les soubresauts des tuiles sur les toits.
46) du 12 au 18 novembre
Les portes de l'année commencent à tourner sur leurs gonds.
47) du 19 au 25 novembre
Par une fissure de l'enceinte se faufile la fée de la vapeur.
48) du 26 novembre au 2 décembre
Une cascade d'hermine couvre les épaules des massifs.
49) du 3 au 9 décembre
Les rennes préparent leurs invraisemblables largesses en venant flairer les lichens.
50) du 10 au 16 décembre
De tous côtés les sans-logis cherchent les entrées de la citadelle où sont thésaurisées nourritures et monnaies.
51) du 17 au 23 décembre
Au-dessus de la pyramide grouillante et rauque d'immenses mains diffusent leurs pardons.
52) du 24 au 31 décembre
Le geste du donateur envahit peu à peu la nuit de gel avec son sabbat de fantômes tournoyant dans un désespoir qui se transmue en allégresse de réjuvénation savante.
RONSARD À SA GUITAREUn léger brouillard blanc couvre les vallées et les montagnes du fjord dont les sommets étincelants comme des étoiles, le percent en lui donnant l'apparence d'une Voie lactée en marche. Pour parler depuis la France vers la Norvège d'un peintre éminemment français amoureux de la Norvège, j'ai choisi d'emprunter quelques touches au seul grand texte littéraire français consacré à la Norvège, le Séraphîta de Balzac, lequel utilise d'ailleurs dans sa première édition la belle orthographe ancienne : Norwège, avec un W qui évoque la découpure non seulement de son horizon, mais de ses côtes et de ses églises de bois.Le soleil se voit à travers cette fumée terrestre comme un globe de fer rouge. Un léger brouillard blanc. De nombreux éléments dans cette description d'une Norvège rêvée, s'appliquent merveilleusement aux toiles du peintre réalisées dans la Norvège réelle.
Malgré ces derniers jeux de l'hiver, quelques bouffées d'air tièdes chargées des senteurs du bouleau déjà paré de ses blondes efflorescences, et pleines des parfums exhalés par les mélèzes dont les houppes de soie sont renouvelées, ces brises réchauffées par l'encens et les soupirs de la terre attestaient le beau printemps du nord, rapide joie de la plus mélancolique des natures. Un léger brouillard rouge couvre les vallées blanches. S'appliquent également à celles réalisées dans la Touraine où est né le romancier. Salut !
Le vent commence à enlever ce voile de nuages qui dérobe imparfaitement la vue du golfe. Un léger brouillard orangé couvre les vallées rouges et les montagnes blanches. A celles réalisées dans le Paris natal, à celles réalisées pour des opéras lointains. Salut, foyer brûlant d'amour!
Les oiseaux chantent. Un léger brouillard jaune couvre les vallées orangées et les montagnes rouges. Pour accentuer cela il suffit presque d'y faire passer d'autres couleurs. Salut, toi qui, courbé sur un sillon arrosé de ta sueur, te relèves un moment pour interroger le ciel !
L'écorce des arbres, où le soleil n'avait pas séché la route des frimas qui en étaient découlés en ruisseaux murmurants, égaie la vue par de fantastiques apparences. La lumière enfante la mélodie. Un léger brouillard vert couvre les vallées jaunes et les montagnes orangées. Tout un arc-en-ciel d'autres couleurs, qui se trouve déjà dans la description. Salut, toi qui recueilles les enfants pour les nourrir de ton lait !
Le torrent s'échappe entre les rochers, au bout de la longue avenue bordée de vieux sapins que son cours a onduleusement tracée dans la forêt, sentier couvert en arceaux à fortes nervures comme ceux des cathédrales. La mélodie enfante la lumière. Un léger brouillard bleu couvre les vallées vertes et les montagnes jaunes.
Quel petit nuage au matin plane
parmi les cheveux des sapins ?J'ai tout mis au présent de la peinture dans la description. Salut, toi qui noues les cordages au fort de la tempête !
De là le fjord se découvre tout entier, et la mer étincelle à l'horizon comme une lame d'acier. Les couleurs sont lumière et mélodie. Un léger brouillard indigo couvre les vallées bleues et les montagnes vertes.
Ce qui s'agite à l'intérieur
c'est un essaim d'esprits enfants.J'ai enlevé toute présence humaine dans la description primitive, à part le village. Salut, toi qui restes assise au creux d'un rocher attendant le père !
En ce moment le brouillard dissipé laisse voir le ciel bleu. Le mouvement est un nombre doué de la parole. Ailleurs le léger brouillard violet couvre encore les vallées indigo et les montagnes bleues.
Enfants nés du dernier minuit
esprits éveillés mais à peine.Paysage, oui. Si j'ai enlevé la présence humaine d'un côté, les personnages de ce roman si peu roman, c'était naturellement pour la réintroduire autrement, d'une façon mieux adaptée. Salut, vous tous qui tendez la main après une vie consumée en d'ingrats travaux !
Partout dans les vallées, autour des arbres, voltigent encore des parcelles étincelantes, poussière de diamants balayée par une brise fraîche, magnifiques chatons de gouttes suspendues au bout des rameaux en pyramide. Tout est à la fois sonore, diaphane, mobile. Un léger brouillard gris couvre les vallées violettes et les montagnes indigo.
Sitôt perdus pour vos parents
aussitôt gagnés pour les Anges.Paysage enraciné dans nos paysages. J'ai donc pris un autre passage, mais en le renversant complètement. Salut, soldat mourant qui crie inconnu !
De la nappe du torrent qui roule au-dessus s'échappe une vapeur teinte de toutes les nuances de la lumière par le soleil dont les rayons s'y décomposent en dessinant des écharpes aux sept couleurs, en faisant jaillir les feux de mille prismes dont les reflets se contrarient. Chaque chose se pénétrant l'une l'autre, l'étendue est sans obstacle et peut être parcourue par les Anges. Un léger brouillard noir couvre les vallées grises et les montagnes violettes.
C'est l'amour qui vous accompagne
ressentez-le rapprochez-vous..Paysage enraciné dans nos paysages les plus proches mais à la recherche des plus lointains. Une voix. Cet autre passage est en effet un adieu au monde proféré par l'étrange héros avant sa mort-transfiguration. Salut, homme trompé qui pleure et clame dans le désert !
Ce quai sauvage est tapissé par plusieurs espèces de lichens, belle étoffe moirée par l'humidité, qui figure une magnifique tenture de soie. Le Séraphin replie légèrement ses ailes pour prendre son vol. Un léger brouillard couvre les vallées noires et les montagnes grises.
Les rudes chemins de la Terre
chanceux vous les ignorez tous.Talismans pour voir les paysages. Une autre voix. J'ai renversé l'adieu en un salut au monde, à toutes ces présences et à tous ces regards pour lesquels se fait la peinture. Salut, vous qui mourez pour les rois de la terre, mais aussi peuples sans patries, terres sans peuples qui vous souhaitez les uns les autres !
Des bruyères déjà fleuries couronnent les rochers de leurs guirlandes habilement mélangées. Des myriades d'Anges accourent tous du même vol. Un léger brouillard couvre les vallées et les montagnes noires.
Installez-vous dedans mes yeux
adaptés au monde inférieur.Talismans qui nous montrent ce qu'il y a de lointain dans les paysages les plus proches. Quelle est cette autre voix qui s'est mêlée aux nôtres ? La peinture est une façon de saluer le monde. Salut, toi qui ne sais où reposer ta tête, proscrit sublime !
Tous les feuillages mobiles attirés par la fraîcheur des eaux laissent pendre au-dessus leurs chevelures. Le scintillement de leurs diadèmes réunis s'allume dans les espaces, comme les feux du ciel au moment où le jour paraît. Un léger brouillard couvre les vallées et les montagnes.
Utilisez-les comme vôtres
découvrez-nous nos paysages !Talismans qui nous montrent ce qu'il y a de fantastique dans les paysages que nous avions crus les plus proches. Cette nouvelle voix a été appelée par le mot ”séraphin”. La peinture est une façon de transmettre un salut de génération en génération. Salut, chères innocentes traînées par les cheveux pour avoir trop aimé !
Ces mélèzes agitent leurs dentelles en caressant les pins immobiles comme des vieillards soucieux. De leurs chevelures sortent des ondes de lumière et leurs mouvements excitent des frémissements onduleux semblables aux flots d'une mer phosphorescente. Un léger brouillard couvre les vallées et montagnes.
Voici des arbres des rochers
un torrent qui se précipite
avec des virages inouïs
pour finir son parcours abrupt.Talismans, c'est pourquoi j'ai voulu chercher dans d'autres pages encore quelques échappées vers le fantastique. Cette nouvelle voix c'est celle du pater seraphicus à la fin du second Faust. Le texte ancien de cet adieu-salut se baigne à toutes les couleurs de l'arc-en-ciel peinture. Salut, pauvres, petits et faibles, vous tous qui gravitez dans la sphère de l'instinct en y souffrant pour autrui !
Cette luxuriante parure contraste avec la gravité des vieilles colonnades que décrivent les forêts étagées sur les montagnes et dans la grande nappe étalée du fjord où le torrent noie sa fureur. Le Séraphin tout obscur au milieu des légions immortelles dont les ailes sont comme l'immense panache des forêts agitées par une brise. Un léger brouillard couvre ses vallées.
Magnifique à regarder
mais nous trouvons ça trop sombre
nous tremblons nous frissonnons
artiste délivre-nous !Un fantastique enraciné dans notre enfance en souffrance, enraciné dans les paysages les plus proches en navigation vers les plus lointains. Avec les voix des enfants nouveau-nés, mort-nés qui lui répondent. La peinture nous baigne dans les irisations de sa fontaine de jouvence. Salut, navigateurs qui cherchez l'Orient à travers les ténèbres épaisses, à travers les sphères studieuses où nous entendons la plainte du génie insulté, le soupir du savant éclairé trop tard !
Enfin la mer encadre cette page et le village est un point perdu dans cette immensité. Des lignes de feu sans ombre. Un léger brouillard.
Vers un cercle supérieur
croissez toujours en secret
vers la pure éternité
force du divin présent.Voici le pain des esprits
don de l'éther le plus libre
l'amour dans l'éternité
nous découvrant le bonheur.Anges qui transmettent le salut-adieu d'enfance en enfance. Toutes les voix s'éloignent peu à peu. La peinture baigne le monde dans son adieu-salut qui nous montre la voie. Salut, granit qui deviendras fleur, fleur qui deviendras colombe qui deviendra femme qui deviendra souffrance, homme qui deviendra croyance, qui deviendrez foyer brûlant d'amour perçant à travers un léger brouillard comme un soleil en train de se renouveler !
CHAMPS D'ACTIVITÉMa guitare, je te chante,
par qui seule je déçois,
je déçois, je romps, j'enchante
les amours que je reçois.Nulle chose, tant soit douce,
ne te saurait égaler,
égaler toi qui repousse
le souci ensorcelé.Au son de ton harmonie
je rafraîchis ma chaleur,
ma chaleur, flamme infinie,
naissante d'un beau malheur.Plus chèrement je te garde
que je ne garde mes yeux,
avec mes yeux je regarde
peint dessus en mille lieux,Le beau nom de ma Déesse
en maint amoureux lien,
en lien d'amour qui se laisse
joindre en chiffre avec le mien;Le beau Phébus qui se baigne
avec ses Muses dorées,
les voix dorées qui m'enseignent
tes énigmes honorées.Son laurier prête l'oreille
si bien que le vent qui vient,
le premier vent s'appareille
à siffler ce qu'il retient.Ici les forêts compagnes
suivent Orphée et les vents,
les grands vents dans les campagnes
font chanter les bois vivants.Depuis son Ida branchu
Jupiter envoie son aigle,
son aigle en son bec crochu
enlever l'enfant espiègle;Ganymède délectable,
petit chasseur délicieux,
délicieusement à table
sert le nectar pour les Dieux.Ses chiens après l'aigle aboient
et ses compagnons aussi
crient aussi quand ils le voient
par l'air emporter ainsi.Mercure aux Dames pensives
guitare t'a consacrée,
consacré tes voix lascives
qui jour et nuit leur agrée.Ton originel office
c'est non les assauts cruels,
mais les assauts en délice
des soupirs continuels.Encore qu'au temps d'Horace
les armes de tous côtés,
de tous les côtés sonnassent
les barbares indomptés,Et que le romain empire
se vît chargé de soldats,
ces soldats avec leur lyre
n'ont point chanté leurs exploits;Mais bien ceux de la riante
et de son enfant moqueur,
l'enfant devant qui fuyante
la nymphe allume son coeur.Quand sur toi je chanterais
d'Hector les combats divers,
les combats toujours refaits
par les Grecs en dix hivers,Cela ne peut satisfaire
au soin qui l'esprit me mord,
au soin qui mord que peut faire,
le grand Hector qui est mort ?Mieux vaut donc de ma maîtresse
chanter les beautés afin,
chanter pour qu'à ma détresse
daignent mettre heureuse finCes yeux autour desquels semble
qu'Amour vole ou que dedans,
dedans ces yeux qu'il assemble
cent traits pour les regardants.Chantons donc sa chevelure
de laquelle Amour vainqueur
Amour noua la ceinture
qui m'encordela le coeur,Et son sein, rose naïve,
qui va et qui vient ainsi,
ainsi deux flots à leur rive
poussés d'un vent adouci.
d'après l'ode 19 du deuxième livre (1550), retranchée en 1584
[J'ai introduit ici l'interprétation
du Premier ordre tout entier du Premier livre de pièces de clavecin
de François Couperin
(précédé du troisième prélude de L'Art
de toucher le clavecin) par Scott
Ross et à l'intérieur du poème diverses interprétations
des pièces soulignées disponibles séparément
sur la Toile]
Au fil du sol un caillou. Se chante un air d'allemande. Ma rêverie rejoint celle de Senancour : "seul, sans lumière, dans une nuit pluvieuse, auprès d'un beau feu qui tombe en débris, j'aimerais à me dire : je vois les sables et les mers et les monts." Une ancolie. Je me promène dans les jardins de Paul et Virginie : "à l'âge de douze ans, plus robuste et plus intelligent que les Européens à quinze, j'embellis ce que le noir Domingue ne fait que cultiver." Je me souviens d'un lever du jour vu d'un train entre Montpellier et Nîmes, il y a plus de 50 ans. Le vol d'une pie, le bruit d'un avion. Je marche doucement. L'odeur d'un lilas. La voix violette ou demi-voix, à peine audible, pour les confidences à la nuit tombante avec des tremblements, des silences, des sifflements qui sont presque des souffles.NE BOUGEONS PLUS !Au fil des heures se chante un air de courante. Ma rêverie accompagne celui qui monte jusqu'à la région des glaces perpétuelles sur la dent du Midi : "je vois les capitales et les déserts, les nuits du tropique et les nuits boréales." Une marguerite. Je me promène sur le côté oriental de la montagne qui s'élève derrière le Port-Louis de l'Ile-de-France : "je vais avec Domingue dans les bois voisins déraciner de jeunes plants de citronniers." Je me souviens de cette catastrophique tentative de conduite en jeep dans le désert rouge du côté d'Alice Springs en compagnie de mon cher Michael Spencer. Le vol d'un corbeau, le bruit d'un hélicoptère. Je regarde attentivement. L'odeur du foin. La voix indigo entre chien et loup, pour l'attente, les rendez-vous décisifs, le retour au pays natal à travers les forêts, les tunnels et les gares, par monts et par vaux, par quatre chemins, à la belle étoile et au point du jour. Une touffe d'herbe.
Au fil des jours ma rêverie accompagne celui qui est déjà parvenu sur le massif de roc qui domine la ville, avant que le Soleil paraisse dans la vallée : "je vois la Croix-du-Sud et la petite-Ourse." Une violette. Je me promène au milieu d'un bassin formé par de grands rochers, qui n'a qu'une seule ouverture tournée au nord : "je vais déraciner de jeunes plants d'orangers et de tamarins dont la tête ronde est d'un si beau vert." Je me souviens de la première fois où j'ai pris l'avion; c'était pour retrouver mon poste de lecteur à Manchester. Le vol d'une corneille, le bruit d'une automobile. J'écoute silencieusement. L'odeur de la fumée. Une flaque. Se chante l'air de la Majestueuse. La voix bleue pour l'ombre, le vent, l'écume, l'embarquement, le claquement des écharpes et des mouchoirs, le salut aux îles et aux montagnes, les cent pas le long du bastingage ou des coursives, la rencontre au bar, le baiser, la sieste.
Au fil des semaines je me promène en apercevant à gauche la montagne appelée le morne de la Découverte, d'où l'on signale les vaisseaux qui abordent dans l'île : "déraciner des plants d'attiers dont le fruit est plein d'une crème sucrée qui a le parfum de la fleur d'orange." Je me souviens de notre voyage vers Berlin-Ouest peu après l'érection du mur, avec nos trois filles, dans un wagon-lit soviétique d'époque tsariste : poële à bois, marqueteries, et verres à thé en monture argentée avec l'aigle à deux têtes. Le vol d'un milan, le bruit d'une motocyclette. Je m'arrête brusquement. L'odeur des chevaux. La voix verte, au moment même de la mue, avec ses sauts de registre, ses acidités, brèches, crissements, frôlements, caresses, fécondations, germinations, accouchements, hourrahs. Une souche. Se chante l'air d'une gavotte. Ma rêverie accompagne celui qui continue par une pente rapide, à travers d'épaisses forêts de sapins dont plusieurs parties ont été couchées par d'anciens hivers : "je souffre une chaleur de 145 degrés Fahrenheit, un froid de moins 130." Une pensée.
Au fil des mois je me souviens de notre retour en Albuquerque, Nouveau-Mexique, avec nos quatre filles, et de notre déception à voir au-dessus de la ville un voile de pollution ternir un ciel naguère beaucoup plus pur que le fond de mon coeur. Le vol d'un geai, le bruit d'un train. Je me baisse lentement. L'odeur d'une femme. La voix jaune charriant le plein midi, la ruée vers l'or, les ruissellements d'huile ou d'alcool dans les officines et les caves, l'encens des déclamations et des prônes, les arias, cavatines et motets. Une épine. Se chante l'air de la Milordine. Ma rêverie accompagne celui qui atteint le sommet découvert qui surplombe la pente et forme le premier degré remarquable de la masse étonnante dont la cime reste si loin de lui : "je marche dans les neiges de l'Equateur et je vois l'ardeur du jour allumer les pins sous le cercle polaire." Une gueule de loup. Je me promène en apercevant au bas de cette montagne la ville nommée Port-Louis : "avec Domingue je plante ces arbres déracinés déjà grands autour de notre enceinte."
Au fil des saisons le vol d'un pivert, le bruit d'un camion. Je me relève allègrement. L'odeur des fraises. La voix orangée fruitée, pulpeuse, veloutée, soyeuse, palpitante avec des passages d'haleines animales, des broderies de chants d'oiseaux : roucoulements, ululements, mugissements, pépiements et appels. Une plume. Se chante l'air d'un menuet. Ma rêverie accompagne celui qui renvoie son guide, s'essaie avec ses propres forces, voulant que rien de mercenaire n'altère sa liberté alpestre et que nul homme de la plaine n'affaiblisse l'austérité de cette région sauvage : "je compare les formes simples du Caucase avec les anfractuosités des Alpes, et les hautes forêts des monts Félices avec le granit nu de la Thébaïde." Une gentiane. Je me promène apercevant à ma droite le chemin qui mène du Port-Louis au quartier des Pamplemousses : "je sème en notre jardin des graines d'arbres qui, dès la seconde année, portent des fleurs ou des fruits." Je me souviens de ma visite à l'Exposition Coloniale à Paris quand j'avais six ans : impression d'innombrables pieds dans la poussière.
Au fil des années le bruit d'un carillon. Je siffle délicatement. L'odeur d'un tilleul. La voix rouge avec ses rugissements de fournaise, rythmes de soufflets, martèlements de forge, grésillements, déflagrations, ronflements, vrombissements, jaillissements de laves, écroulements de braises, cinglements de flammes et soupirs de fièvres. Un nid. Ma rêverie accompagne celui qui sent s'agrandir son être ainsi livré seul aux obstacles et aux dangers d'une nature difficile, loin des entraves factices et de l'industrieuse oppression des hommes : "je vois l'Irlande toujours humide et la Libye toujours aride." Un chardon. Je me promène apercevant ensuite l'église des Pamplemousses qui s'élève avec ses avenues de bambous au milieu d'une grande plaine : "je sème des arbres qui portent des fruits tels que l'agathis où pendent tout autour, comme les cristaux d'un lustre, de longues grappes de fleurs blanches." Je me souviens des brouillards charbonneux sur Manchester au temps jadis. Le vol d'un martin-pêcheur.
Au fil des eaux je compte mes pas calmement. L'odeur d'un laurier. La voix noire des manifestations, protestations, résistances, fermentations, superstitions, fureurs contenues, creusements de puits et de souterrains, accumulations de trésors, maturations de vins et plissements de chaînes profondes. Un épi. Se chante l'air des Sylvains. Ma rêverie accompagne celui qui voit avec une sorte de fermeté voluptueuse, s'éloigner rapidement le seul homme qu'il doive trouver dans ces vastes précipices : je passe le long hiver d'Edimbourg sans souffrir du froid, et je vois des chameaux gelés dans l'Abyssinie. Une pervenche. Je me promène apercevant plus loin une forêt qui s'étend jusqu'aux extrémités de l'île : je sème le lilas de Perse qui élève droit en l'air ses girandoles gris de lin. Je me souviens de mon arrivée nocturne sous la pluie à l'aéroport de Wellington, Nouvelle-Zélande, où l'on ne m'attendait plus. Le vol d'une hirondelle, la sonnerie d'un téléphone.
Au fil des pluies voluptueusement l'odeur du thym. La voix grise des nacres et délicatesses, draps et tweeds, nuées et flaques, la distinction même, l'urbanité, les élégances, les vieux murs, les cascades, le frétillement des anguilles, les cheveux ou la barbe des sages, le sommeil des enfants. Un scarabée. Se chante l'air des Abeilles. Ma rêverie accompagne celui qui laisse à terre montre, argent, tout ce qui était sur lui, et à peu près tous ses vêtements, et s'éloigne sans prendre soin de les cacher : "je mâche le bétel, je prends l'opium, je bois l'ava." Un millepertuis. Je me promène distinguant devant moi, sur les bords de la mer, la baie du Tombeau : "je sème ou plante en notre jardin le papayer dont le tronc sans branches, formé en colonne hérissée de melons verts, porte un chapeau de larges feuilles semblables à celles du figuier." Je me souviens de mes marches dans les dunes fixées par les pins, non loin des bassins d'ostréiculture de la Tremblade. Le vol d'une mésange, le bruit d'un orage lointain. J'ouvre les bras.
Au fil des nuages l'odeur de la menthe. La voix blanche de la visite aux fantômes, regrets et remords, affres et aveux, gémissements et râles, passages, glissements, faufilements, effilements, filatures à travers la porte, le trou de la serrure, le chas de l'aiguille, le miroir, le clin d'oeil, l'horizon et les points d'orgue de toutes les fugues. Une source. Se chante l'air de la Nanète. Ma rêverie accompagne celui qui convient qu'il y a bien quelque puérilité dans son empressement de tout abandonner dans son accoutrement nouveau, mais qui enfin en marche plus à son aise, et tenant le plus souvent entre les dents la branche qu'il a coupée pour s'aider dans les descentes, se met à gravir avec les mains la crête de rocs qui joint ce sommet secondaire à la masse principale : "je séjourne dans une bourgade où l'on me cuirait si l'on ne me croyait empoisonné, puis chez un peuple qui m'adore parce que j'y suis venu dans un de ces globes dont le peuple d'Europe s'amuse." Un tournesol. Je me promène distinguant un peu sur la droite le cap Malheureux : "je plante encore en notre jardin des pépins et des noyaux de badamiers, de manguiers, d'avocats, de goyaviers, de jaques et de jameroses." Je me souviens de mon difficile passage du permis de conduire à Philadelphie lors de la naissance de ma fille d'Agnès. Le vol d'un pinson, le bruit du vent. Je ferme les poings passionnément.
Au fil des pages la voix violette ou demi-voix. Une cascade. Se chante l'air des Sentiments. Ma rêverie accompagne celui qui se traîne entre deux abîmes dont il n'aperçoit pas le fond : "je vois l'esquimau satisfait avec ses poissons gâtés et son huile de baleine, je vois le faiseur d'affaires mécontent de ses vins de Chypre ou de Constance...
Alice, en traversant le miroir de la Manche, se dédouble et passe des bizarreries de la langue anglaise aux curiosités de la française. Que de recoins à découvrir, de labyrinthes à explorer dans une lumière naturellement différente mais aussi tout autrement travaillée ! Que d'arômes à identifier, de saveurs à poursuivre, d'échos à faire lever ! Le photographe saisit le passage entre le verbe et sa terminaison temporelle, le moment où l'imparfait devient soudain plus-que-parfait, cueille avec son obturateur la rose de l'épithète sur la tige du substantif, réveille avec son déclic la fée qui sommeillait dans le vestibule joignant la préposition à l'article dans la galerie des glaces grammaticales, la montreuse à la foire du dictionnaire en fête, l'ordonnatrice de la cérémonie des proverbes. Attention ! la moindre allusion déplacée, la moindre erreur de protocole, et la vérité risque de replonger dans son puits. Sourires et soupirs se retournent dans leurs lits d'allusions. Le croquemitaine du passé antérieur apporte un échantillonnage d'amuse-gueules et de douceurs; la fée Carabosse d'un claquement de doigts fait démarrer le défilé des nouvelles modes scolaires, avec manuels, réformes et vacances. Il ne reste plus qu'à franchir d'autres frontières pour aller y ramasser d'autres lauriers, d'autres parures et d'autres gestes. Changez la pause !LE GUERRIER PAISIBLE
Levant dans sa main droite la hache avec laquelle il l'a tranchée, il tient respectueusement dans la gauche la tête de son ennemi qui lui ressemble comme un frère. Les yeux fermés, elle est nettement plus petite que la sienne, mais rien ne dit qu'elle ait été réduite; elle semble au contraire délicieusement intacte. C'est plutôt lui, l'exécuteur, qui a été magnifié par son acte, qui est sorti de son adolescence, tandis que de celui qu'il était auparavant, extériorisé dans cet ennemi, ne subsiste plus que cette tête-jouet qui rêve, dont il pourra faire l'offrande à ces divinités auxquelles il ne croyait pas tellement auparavant, mais qui l'ont certainement aidé dans ce combat puisqu'il a vaincu et qu'il ne s'en serait pas cru capable auparavant, offrande à leur transmettre par le bûcher sacrificiel ou l'abandon sur quelque aire sacrée où quelque oiseau de proie viendra la dévorer laissant aux fourmis le soin de la nettoyer jusqu'à l'os. Il a maintenant le droit de tresser ses cheveux en calotte tout autour de son crâne dont il connaîtra bientôt avec précision l'apparence intime, d'arborer la ceinture brodée, les bandes genouillères, de prendre femme, d'engendrer des fils qui deviendront bientôt semblables à l'adolescent qu'il n'est plus, jusqu'au jour du combat décisif où ils pourront tenir respectueusement la tête de l'ennemi dans lequel ils se seront extériorisés, et des filles pour les aider à franchir tous ces pas difficiles, pour séduire, aimer, couver, allaiter, maintenir, calmer, le droit de parler dans les assemblées, de participer quelque peu à la paix de ces dieux qui ont cru en lui, cette paix dans laquelle il retrouvera son jumeau décapité, sa jeunesse qui l'interpelle au-delà du miroir du sang.ÉLOGE D'UN VERT
Il ne s'agit évidemment pas seulement d'une longueur d'onde sur l'arc-en-ciel, quelque part entre jaune et bleu, mais de la façon dont le pigment développe ses harmoniques, ses arômes comme un grand vin, sa roue de paon, lorsqu'il est étendu sur la toile ou le papier, coule ou sèche, bave ou s'enfonce, reçoit la lumière du jour ou des projecteurs.LA COUPE DU MONDEIl y a d'abord ces algues semblables à des chevelures de très fins serpents, la plus séduisante Méduse, ces perruques nuageuses qui tapissent les anfractuosités épargnées par les marées noires. Elles tissent comme des cocons végétaux pour la métamorphose de l'écume en Vénus, agitées à chaque reflux de palpitations comme un torse ému.
Puis cela se stabilise en feuilles de nénufar ou lotus sur les étangs de Giverny ou de Suzhou, attendant le soir pour réfléchir la Lune non seulement dans les interstices de leurs lobes mais sur leurs surfaces émaillées ou mates. Ce sont des réserves de verdeur pour la veille et la vieillesse, des réserves de rire et de curiosité.
Autrefois les bandes dessinées proposaient de petits hommes verts venant de la planète rouge, volontiers gluants de mousse effervescente, avec antennes et tentacules, des yeux globuleux et des poches à secrets dans les replis de leurs peaux. Maintenant leurs phosphorescences semblent s'être éloignées à des années, des siècles-lumière, dans un sillage de comète effarée; mais leur voix continue de nous intriguer dans le comportement de certaines couleurs qui sont comme les larmes de la distance, l'envers du noir des trous stellaires, la ligne qui se faufile dans l'interstice entre les millénaires, la bouée de sauvetage quand le sol et le ciel se dérobent au même instant.
Mon cher Jean-Luc,THÉÂTRE D'OMBRESLes boules ont roulé sur le billard de la Terre comme des gouttes de rosée sur des feuilles de capucine au lever du jour.
Chargées d'énergie telles des météorites frappant à la surface de la Lune, elles provoquent des cratères mais qui, contrairement à ceux qui brodent notre satellite, conservent leur mouvement d'expansion et leur souplesse de paupières autour de ces pupilles qui n'en finissent pas de s'éveiller pour interroger l'espace et ses orbites, les approfondissements de la forêt alentour, les vagues sur les plages, les roseaux striant les scintillations de l'étang.
Ce sont des cercles humides qui se rejoignent et s'entrecroisent en provoquant des irisations dont nos pauvres yeux ne perçoivent qu'une mince bande. Mais leur danse et palpitation nous entraînent dans une interminable quête qui serait désespérante si nous ne sentions qu'elle nous fortifie.
Roulant comme des scarabées nos fardeaux de sottise et rancoeur sur les pentes des volcans qui s'éteignent les uns après les autres après quelques sursauts, siècles et millénaires croulant avec eux dans l'indifférence et même l'oubli, nous apprenons peu à peu à voir comme des oiseaux, comme des lézards ou des mouches, comme les dinosaures disparus.
Bientôt nous accéderons à la vision des arbres dont les yeux nous sont invisibles pour l'instant,
à celle des vagues dont les configurations ne sont guères plus passagères que celles de nos corps, dont les générations se succèdent avec moins de frictions et gémissements que les nôtres, dont les râles se transmuent perpétuellement en vagissements suaves ou furieux,
à la vision des déserts avec l'irritation de leurs yeux de sable imperturbablement se renvoyant les uns aux autres comme des jongleurs intrépides les poignards solaires et les stalactites des nuits transies,
à celle même de l'espace avec les iris de ses anneaux, cils et sourcils, avec ses miroirs, avec ses armoires à doubles-fonds, avec ses serrures à combinaisons musicales, avec ses mains effervescentes qui balaient brusquement des mèches tourbillonnantes devant le front de ses trous noirs, prolongeant les bras de ses galaxies en roues de paons, futaies d'orgues, archipels amoureux, points d'exaltations et de suspension.Comme les empereurs d'autrefois se faisaient portraiturer avec un globe dans la main, nous pesons et soupesons le talisman que vous nous proposez, emblème où s'inscrivent tour à tour les rivages des océans, les chaînes des montagnes, les croisillons des méridiens et parallèles, les systèmes des vents, les constellations d'autrefois et les itinéraires futurs, tandis que sur tous les stades les foules médusées applaudissent des prêtres-champions qui se disputent avec acharnement mais sans savoir vraiment pourquoi, des approximations sommaires de boules fabriquées en cuir ou en caoutchouc, en vue de conquérir allégoriquement au milieu des cris le graal de réjuvénation qui ne sera pour eux efficace qu'en rêve.
Continuez à semer ces graines dans les sillons de notre vieillissement, et profitez de cette fissure entre l'arrivée de l'an 2000 et celle du XXIème siècle pour y fourrer comme des trésors vos simulacres de tous les pépins de toutes tailles qui nous harcèlent et qui, grâce à cet enseignement-transmutation, renversement-fermentation, germeront en vignes de phrases libératrices accrochant leurs vrilles à toutes les coordonnées de l'univers.
Deux mille et un voeux de moissons et semailles.
Votre fidèle visiteur dans la distance
Dans les villages les uns après les autres, au long d'une ligne tracée par les anges, après maint bourdonnement de leurs ordinateurs spectraux, on a rouvert les volets soigneusement fermés lors de l'éblouissement de midi; car c'était soudain comme si d'épais nuages d'orage menaçaient en dépit de l'atmosphère exceptionnellement pure.Et comme la couleur de la lumière changeait, se refroidissait, l'on s'est amassé sur la place de l'église ou de la mosquée pour s'interroger les uns les autres à propos de cette troublante évolution; mais peu à peu une chape de silence s'est appesantie et les regards d'abord fuyants se sont cherchés de plus en plus inquiets.
On tentait bien d'interroger vers le haut; on aurait presque voulu - à peine avouable témérité - fixer le Soleil pour l'intimider, lui demander raison de son comportement déconcertant; mais on y renonçait vite, car sa brûlure était trop vive, même si parmi ses rayons se faufilaient en contrebande de longues aiguilles de glace.
Alors la nuit a lourdement coulé comme par la margelle d'un puits effondré dans la voûte métalliquement terne où même quelques étoiles frauduleusement réapparaissaient. Ce n'était aucunement la délicieuse caresse vespérale rafraîchissante au-dessus de l'horizon écumant de braises puis d'émeraudes, mais le déversement implacable et presque instantané, d'un degré sur l'autre, d'une fumée grise brusquement plus sombre, puis encore plus sombre en accélérant. Le Soleil noir de la mélancolie diffusait son brouillard cristallin sur des lointains blêmes tandis que, dans toutes les régions proches, les ombres s'étaient dissoutes dans une stupeur ébahie.
Un instant la couronne du roi des ténèbres a déployé ses lueurs de supplication, puis miséricordieusement la paupière du jour s'est rouverte avec étincelles et clignotements.
Comme des pétales s'encourageant mutuellement à se déplier, notes se succédant ou chevauchant aux rives d'une mélodie, tout est sorti de son évanouissement comme la Belle en son château sylvestre protégé de fourrés armés de ronces, et de chausse-trappes masquées de lierre, chacun de nous devenant pour un instant le prince qui s'est fait attendre si longtemps; et les ânes ont recommencé à braire, les chevaux à hennir, les humains à rire, les ombres à se dessiner au cordeau, les reflets à tinter et tourner lentement en renvoyant leur balle de miroir en miroir.
Et c'est plus loin, dans d'autres villages, dans des forêts, dans des villes où les astronomes professionnels ou amateurs avaient préparé leurs caméras et lunettes protectrices, que les astres ont continué de poser leurs questions, puis dans les déserts et les océans, puis dans les gouffres célestes s’étendant de toutes parts dans l'ombre immense qui entoure et renouvelle toute lumière.
Sommaire n°19a :HORIZONTALES
SOUVENIR DU DÉLUGE
BLUES DES MONDES PERDUS
POSTE-FRONTIERE
AMIS AU LOIN
LES INSINUANTS
COMMÉMORATIONS FUTURES
AU CARBONIFÈRE
DANS LES FUMÉES DU CATHAY
BERCEUSE
AUTRE BERCEUSE
LE TAROT DES ÈRES
A MINUIT TOMBE L'AN 2000
LA SEMAINE DES CERFS-VOLANTS
HEBDOMADAIRE
OUTRE-NORVEGE
RONSARD À SA GUITARE
CHAMPS D'ACTIVITÉ
NE BOUGEONS PLUS !
LE GUERRIER PAISIBLE
ÉLOGE D'UN VERT
LA COUPE DU MONDE
THÉÂTRE D'OMBRES