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Poésie au jour le jour 28

(enregistré en janvier 2014)

Sommaire





EXCOMMUNIÉ
(Friedrich Nietzsche)

pour Inge Kresser
Crient les corneilles
tirant soudain
leurs grincements
jusqu’à la ville
bientôt la neige
salut à qui
garde un chez lui

Maintenant plus
un mouvement
le temps passé
déjà si loin
quel fou tu fais
au monde en fuite
devant l’hiver

Monde une porte
donnant sur tant
de déserts muets
et froids qui a
perdu ce que
tu as perdu
n’a plus d’escale

Maintenant blême
errant maudit
dans la toundra
tu es semblable
à la fumée
cherchant toujours
le froid du ciel

Vole oiseau pousse
ta chanson rauque
gazouillis de
stérilité
fou dissimule
ton coeur saignant
sous froid mépris

Crient les corneilles
tirant soudain
leurs grincements
jusqu’à la ville
bientôt la neige
malheur à qui
n’a de patrie


 
 
 

LE ROI DES AULNES
(Goethe)

pour Inge Kresser
Qui si tard chevauche
dans la nuit le vent ?
le père qui porte
son petit garçon
serrant dans son bras
l’enfant qu’il rassure
et tient bien au chaud

Mon enfant pourquoi
tremble ton visage ?
père ne vois-tu
l’empereur des aulnes
avec sa couronne
et sa chevelure
mon enfant ce n’est
qu’écharpe de brume

Mon aimable enfant
viens jouer avec moi
des jeux merveilleux
de nombreuses fleurs
de toutes couleurs
parsèment la rive
ma mère est parée
de vêtements d’or

Mon père ô mon père
tu n’entends donc pas
l’empereur des aulnes
murmurer promesses
calme reste calme
mon très cher enfant
c’est chuchotement
du vent dans les feuilles

Veux-tu beau garçon
venir avec moi
mes filles sauront
s’occuper de toi
elles mèneront
les rondes des nuits
berçant et dansant
et t’embrasseront

Mon père ô mon père
tu ne vois donc pas
les filles des aulnes
dans l’obscurité
mon fils ô mon fils
ce que je vois bien
ce sont les pâtures
qui luisent si grises

Mon amour m’enchante
ta belle prestance
si tu ne veux pas
j’emploierai la force
mon père ô mon père
voici qu’il me prend
l’empereur des aulnes
je suis tout meurtri

Le père effrayé
force la vitesse
il serre en ses bras
l’enfant gémissant
arrive au manoir
au bout de ses forces
mais entre ses bras
l’enfant était mort


 
 
 

LE CATALOGE DES RENCONTRES
Complainte de Magritte

pour Daniel Abadie
        Je veux vous surprendre
             en utilisant
             les mots les plus simples
             souvenirs d’école
La traversée des apparences
             rébus et comptines
                      les heures de la fugue
             fredons tarabustes
l’école de la conversation
             objets quotidiens
                      les ténèbres des cimes
             la table et la chaise
les vacances des ténèbres
             crécelles grelots
                      la conversation des statues
             pour le carnaval
le château des heures
             tubas et tambours
                      les apparences du soir
             orgues et sifflets
             pour les défilés
             bouteilles et verres
             la pomme et la poire
             la feuille et l’oiseau
             rideaux et fenêtres
Les arts de la fugue
             les copies en plâtre
                      le soir des ombres
             des statues antiques
l’appel des cimes
             pour les dessiner
                      les statues des flammes
             dans les classes d’art
l’avenir des statues
             et pour les plus grands
                      les cimes du matin
             le nu féminin
les signes du soir
             dans les ateliers
                      les fugues d’été
         les plaines des Flandres
             avec leurs vergers
             montagnes abruptes
             des pays lointains
             sans végétation
             le bord de la mer
L’étoile des ombres
             les faubourgs tranquilles
                      l’été des soupirs
             des villes pluvieuses
le retour des flammes
             et les employés
                      le matin des erreurs
             d’entreprises banques
les promesses du matin
             avec leurs chapeaux
                      les flammes des grandeurs
             se multipliant
les aventures de l’été
             jusqu’à envahir
                      les ombres des champs
             le ciel tout entier
             chevalets miroirs
             mes chers amateurs
             pour vous délivrer
             et les délivrer
             je vais provoquer
Le pont des soupirs
             un éternuement
                      le champ des apparences
             dans votre regard
le musée des erreurs
             par déplacement
                      les grandeurs de la conversation
             par retournement
la folie des grandeurs
             par renversement
                      les erreurs des ténèbres
             par dédoublement
la clef des champs
             les éblouissant
                      les soupirs des heures
         pour nous faufiler
             avec un clin d’oeil
             dans le paradis
             des enfants farceurs

 
 
 
 

HISTOIRE D’UN BALLON CAPTIF

pour Joël Leick

 
Cela commence dans un sillon
un jour de tempête
avec le mont Saint-Michel vu
dans un point d’exclamation

Apparaît le visage d’une petite fille
à travers le dos de sa tête
accompagné bientôt par ceux
de tous ses frères et soeurs

Dans un envol de ballon roux
qui se réunissent
pour larguer leurs amarres
et s’en aller survoler la Garonne

Se faufilant sous les ponts de la ville rose et grise
à l’ahurissement des constructeurs d’avions
ils atterrissent sur un pavage irrégulier
prenant racines

Et se transforment en palettes de cactus
en figure de feuille de trèfle
ou encore de l’hermine héraldique
souvenir de Bretagne

Ce qui incline l’imagination des enfants
vers les chevaliers de la Table ronde
ils cueillent alors les figues de Barbarie
et s’accrochent au câble du dernier ballon

Pour survoler la France entière
et l’attacher en Brocéliande
sur la colonne millénaire
destinée à l’accueil du Graal


 
 
 

L’OREILLE DU SEXTANT

pour Henri Pousseur
in memoriam Guillaume Apollinaire et le Roi-Lune
 1) ALASKAMAZONIE
 

(Alaska)

Les cimes des conifères
le royaume des corbeaux
la petite et la grande Ourse
les aurores boréales
les restes des chercheurs d’or
les traîneaux sur la toundra
les mâts généalogiques
le cuivre et les dents de morse
 

(Amalaskie)

L’empire des colibris
les aurores boréales
cyclones dévastateurs
les traîneaux sur la toundra
les radeaux sur les grands fleuves
le cuivre et les dents de morse
les auréoles de plumes
le royaume des corbeaux
 

(Alazonie)

Les restes des chercheurs d’or
les récolteurs d’hévéa
les mâts généalogiques
le théâtre abandonné
les cimes des conifères
les lianes dégoulinant
la petite et la grande Ourse
les condors et les pumas
 

(Amazonie)

Les radeaux sur les grands fleuves
le théâtre abandonné
les auréoles de plumes
les lianes dégoulinant
l’empire des colibris
les condors et les pumas
cyclones dévastateurs
les récolteurs d’hévéa
 

2) OCÉAN PAPOUINDIEN
 

(Papouasie)

Cendres laines mouvements
dans l’oscillation des vagues
interrogations dans l’ombre
les frôlements des vampires
les premiers rayons du jour
l’écume sur les récifs
les requins et les tortues
les craquements des branchages
 

(Indéanie)

Prières dans les cavernes
les frôlements des vampires
le lait la corne et le cuir
l’écume sur les récifs
multiplication des dieux
les craquements des branchages
pèlerinages pétales
dans l’oscillation des vagues
 

(Papoucéan)

Les premiers rayons du jour
le barattement des eaux
les requins et les tortues
réverbérations des plages
cendres laines mouvements
dans la foule des rivages
interrogations dans l’ombre
les bousculades le soir
 

(Océasie)

Multiplication des dieux
réverbération des plages
pèlerinages pétales
dans la foule des rivages
prières dans les cavernes
les bousculades le soir
le lait la corne et le cuir
le barattement des eaux
 

3) MONGOLIE TROPICALE
 

(Mongolie)

Sur les replis du terrain
le velours des hautes herbes
dans le glissement du vent
le rugissement du tigre
le galop des grandes hordes
le crépitement du feu
le démontage des yourtes
départ au petit matin
 

(Trogolie)

Dans le froissement des feuilles
le rugissement du tigre
l’envol des oiseaux moqueurs
le crépitement du feu
l’installation des cabanes
départ au petit matin
sur les rives des marais
le velours des hautes herbes
 

(Mongiques)

Le galop des grandes hordes
le clapotis des rivages
le démontage des yourtes
les murmures de la nuit
sur les replis du terrain
les étendards des roseaux
dans le glissement du vent
le feulement des panthères
 

(Tropiques)

L’installation des cabanes
les murmures de la nuit
sur les rives des marais
les étendards des roseaux
dans le froissement des feuilles
le feulement des panthères
l’envol des oiseaux moqueurs
le clapotis des rivages
 

4) CANADA CATHAY
 

(Canada)

Les glaçons à la dérive
entre les forêts d’érable
piétinement dans la neige
patinage sur les lacs
le train régulièrement
sur la plaine immaculée
les croisements des camions
la vibration des pylônes
 

(Cathada)

Brisements dans les allées
patinage sur les lacs
les pinceaux déposent l’encre
sur la plaine immaculée
le pincement de la corde
la vibration des pylônes
céramiques et baguettes
entre les forêts d’érables
 

(Canaday)

Le train régulièrement
sur l’océan de papier
le croisement des camions
le parfum des orchidées
les glaçons à la dérive
entre bambous et pruniers
piétinement dans la neige
la garde sur la Muraille
 

(Cathay)

Le pincement de la corde
le parfum des orchidées
céramiques et baguettes
entre bambous et pruniers
brisements dans les allées
la garde sur la Muraille
les pinceaux déposent l’encre
sur l’océan de papier
 

5) ÉTHIOPIE BRÉSILIENNE
 

(Éthiopie)

Le dimanche des rameaux
l’échappé de Charleville
le triage du café
bondissement des gazelles
un haut-parleur déréglé
la pluie sur les toits de tôle
le passage des nomades
les énigmes de la reine
 

(Brésiopie)

Mélanges de jus de fruits
bondissement des gazelles
jeux de ballon sur la plage
la pluie sur les toits de tôle
les processions en fanfare
les énigmes de la reine
l’approche du carnaval
l’échappé de Charleville
 

(Éthiosil)

Le haut-parleur déréglé
les cascades d’Iguazu
le passage des nomades
l’opéra dans la forêt
le dimanche des rameaux
maracas et tambourins
le triage du café
la démarche des tatous
 

(Brésil)

Les processions en fanfare
l’opéra dans la forêt
l’approche du carnaval
maracas et tambourins
mélange de jus de fruits
la démarche des tatous
jeux de ballon sur la plage
les cascades d’Iguazu
 

6) ÉTATS-ZUNI
 

(USA)

Vrombissement des avions
le tumulte des machines
les cantiques dans les rues
les sirènes policières
les coups de feu dans la nuit
le grésillement des tubes
jaillissement des geysers
contrebasse et batterie
 

(Zuusa)

Les maisons de terre douce
les sirènes policières
maïs de toutes couleurs
le grésillement des tubes
dans le solstice d’hiver
contrebasse et batterie
martèlement des tambours
le tumulte des machines
 

(Usni)

Les coups de feu dans la nuit
vanneries feutres bijoux
jaillissements des geysers
un reflet d’Eldorado
vrombissement des avions
tissages et broderies
les cantiques dans les rues
les masques et les hochets
 

(Zuni)

Dans le solstice d’hiver
un reflet d’Eldorado
martèlement des tambours
tissages et broderies
les maisons de terre douce
les masques et les hochets
maïs de toutes couleurs
vanneries feutres bijoux
 

7) MÉLATLANTIDE
 

(Mélanésie)

Les poitrines les genoux
les mains et les chevelures
les palissades les stèles
gémissements percussions
découpures et forêts
éventails transpirations
caresses baisers soupirs
chasses fumées tatouages
 

(Atlanésie)

Les remparts et les colonnes
gémissements percussions
trières à grandes voiles
éventails transpirations
déclamations perspectives
chasses fumées tatouages
les ventres et les regards
les mains et les chevelures
 

(Mélantide)

Découpures et forêts
halètements discussions
caresses baisers soupirs
peintures perles cristaux
les poitrines les genoux
les lèvres et les chevilles
les palissades les stèles
ébranlements sifflements
 

(Atlantide)

Déclamations perspectives
peintures perles cristaux
les ventres et les regards
les lèvres et les chevilles
les remparts et les colonnes
ébranlements sifflements
trières à grandes voiles
halètements discussions
 

8) JEUX PACIFIQUES
 

(Hawaii)

Les volcans sur l’océan
les poissons dans les coraux
l’écume sur les récifs
les garnitures de fleurs
l’aéroport en sommeil
les croisières de grand luxe
les algues et les coquilles
les dauphins et les méduses
 

(Hawalulu)

Grondements et clapotis
les garnitures de fleurs
Kavai et Lehua
les croisières de grand luxe
pluie dans l’île d’Oahu
les dauphins et les méduses
Molohai Maui
les poissons dans les coraux
 

(Honolii)

L’aéroport en sommeil
la nostalgie des saisons
les algues et les coquilles
vêtements de plume et nacre
les volcans sur l’océan
pirogues de l’une à l’autre
l’écume sur les récifs
la morgue des milliardaires
 

(Honolulu)

Pluie dans l’île d’Oahu
vêtements de plume et nacre
Molohai Maui
pirogues de l’une à l’autre
grondements et clapotis
la morgue des milliardaires
Kavai et Lehua
la nostalgie des saisons
 

9) DALLAGE ARABESQUE
 

(Sultanat)

Les tulipes d’Ispahan
les perles du grand Mogol
les nigelles de Damas
les ramages de Golconde
les ombres des minarets
les fontaines dans les cours
les jalousies d’Istanbul
les sourires sous les voiles
 

(Sultavant)

Les religions en colère
les ramages de Golconde
l’arrivée des caravanes
les fontaines dans les cours
les colonnes de ténèbres
les sourires sous les voiles
les cèdres sur la montagne
les perles du grand Mogol
 

(Levanat)

Les ombres des minarets
les prophètes affolés
les jalousies d’Istanbul
l’arc-en-ciel d’apaisement
les tulipes d’Ispahan
les palmiers des oasis
les nigelles de Damas
les faïences irisées
 

(Levant)

Les colonnes de ténèbres
l’arc-en-ciel d’apaisement
les cèdres sur les montagnes
les palmiers des oasis
les religions en colère
les faïences irisées
l’arrivée des caravanes
les prophètes affolés
 

10) CARAÏBES OURALOCÉANIENNES
 

(Antilles)

Le champ de la canne à sucre
s’étend à perte de vue
par devant les rhumeries
les tambours aidant la danse
Robes à doubles volants
tournent dans le crépuscule
les guitaristes s’arrêtent
pour allumer leurs cigares
 

(Océaliennes)

Sous la barre des montagnes
les tambours aidant la danse
s’enfilent dans les sentiers
tournent dans le crépuscule
lançant leurs incantations
pour allumer leurs cigares
la steppe battue des vents
s’étend à perte de vue
 

(Caracéanes)

Robes à doubles volants
quand les carillons commencent
les guitaristes s’arrêtent
d’horizon en horizon
le champ de la canne à sucre
parcouru de longues vagues
par devant les rhumeries
de grands troupeaux de chevaux
 

(Ouraliennes)

La steppe battue des vents
parcourue de longues vagues
sous la barre des montagnes
de grands troupeaux de chevaux
s’enfilent dans les sentiers
quand les carillons commencent
lançant leurs incantations
d’horizon en horizon
 

11) VIETNAMIBIE
 

(Vietnam)

Les chapeaux des paysans
penchés sur l’irrigation
réfléchissent le soleil
entre les temples de bois
demi-cachés par les brumes
où les cloches et les gongs
font retentir leurs appels
sur les clapotis des champs
 

(Naminam)

Parcourant les alentours
entre les temples de bois
demi-cachés par les sables
où les cloches et les gongs
répètent leurs injonctions
sur les clapotis des champs
les éléphants et girafes
penchés sur l’irrigation
 

(Vietmibie)

Demi-cachés par les brumes
où les ombres des ancêtres
font retentir leurs appels
sur les vallées sinueuses
les chapeaux des paysans
qui recherchent les points d’eau
réfléchissent le soleil
jusqu’aux portes du désert
 

(Namibie)

Répétant leurs injonctions
sur les vallées sinueuses
les éléphants et girafes
qui recherchent les points d’eau
parcourant les alentours
jusqu’aux portes du désert
demi-cachés par les sables
et les ombres des ancêtres
 

12) LABRA D’OR
 

(Naniwut)

Le blizzard vient fustiger
le village des igloos
où les caribous s’endorment
sous une vague de neige
les chiens tirent les traîneaux
jusqu’aux ports de la banquise
où fument les cheminées
des fabricants de conserves
 

(Quéniwut)

Toutes les peaux nettoyées
sous une vague de neige
les loups hurlant sous la lune
jusqu’aux ports de la banquise
en quittant les entrepôts
des fabricants de conserves
le trappeur vient visiter
le village des igloos
 

(Nanibec)

Les chiens tirent les traîneaux
jusqu’aux faubourgs des cités
où fument les cheminées
des trafiquants de fourrures
le blizzard vient fustiger
la cabane de rondins
où les caribous s’endorment
dans la lumière des flammes
 

(Québec)

En quittant les entrepôts
des trafiquants de fourrures
le trappeur vient visiter
la cabane de rondins
toutes les peaux nettoyées
dans la lumière des flammes
les loups hurlant sous la lune
jusqu’aux faubourgs des cités
 

13) GAMELANG CELTIBÈRE
 

(Indonésie)

Sous le théâtre des ombres
les enfants émerveillés
répètent leurs aventures
parmi jungles et cités
dans les marchés surpeuplés
parmi cochons et  canards
mêlant leurs cris et senteurs
aux promesses des marchands
 

(Celtonésie)

Découvrant leur vraie nature
parmi jungles et cités
dans les halles et les foires
parmi cochons et canards
mêlant leurs piétinements
aux promesses des marchands
entre dolmens et menhirs
les enfants émerveillés
 

(Indibérie)

Découvrant leur vraie nature
parmi jungles et cités
dans les halles et les foires
parmi cochons et canards
mêlant leurs piétinements
aux promesses des marchands
entre dolmens et menhirs
les enfants émerveillés
 

(Celtibérie)

Mêlant leurs piétinements
au tintement des monnaies
entre dolmens et menhirs
les héros des anciens temps
découvrent leur vraie nature
parmi grèves et forêts
dans les halles et les foires
parmi vaches et chevaux
 

14) ANDES AFRONIPPONES
 

(Ecuador)

Le condor et l’urubu
vont survoler les rochers
traversant la chute d’eau
propice aux méditations
bondissant dans la ravine
aspergeant de ses écailles
fougères arborescentes
singes serpents papillons
 

(Japuador)

Tandis que l’exclamation
propice aux méditations
éveille tous les échos
aspergeant de ses écailles
baobabs et cerisiers
singes serpents papillons
l’ibis l’aigrette et la grue
vont survoler les rochers
 

(Andafrique)

Bondissant dans la ravine
faisant briller et trembler
fougères arborescentes
les hommes et leurs bestiaux
le condor et l’urubu
s’enfuyant parmi les nuages
traversant la chute d’eau
des amateurs de vertige
 

(Écuasie)

Baobabs et cerisiers
les hommes et leurs bestiaux
l’ibis l’aigrette et la grue
s’enfuyant parmi les nuages
tandis que l’exclamation
des amateurs de vertige
éveille tous les échos
faisant briller et trembler
 

15) CASPERTZIENNE ANTILLAISE
 

(Samarcande)

Reniflements grondements
les tapis et le pétrole
les souvenirs des splendeurs
le temps qui fuit doucement
les chameaux avec leurs charges
les soieries les poteries
ruissellements explosions
les turbans et les poignards
 

(Samanera)

Les langueurs et les épices
le temps qui fuit doucement
les perroquets et les rats
les soieries les poteries
éclaboussements orages
les turbans et les poignards
éternuements ronflements
les tapis et le pétrole
 

(Habarcande)

Les chameaux avec leurs charges
les satins et falbalas
ruissellements explosions
les dentelles et foulards
reniflements grondements
les rumeurs et les éclats
les souvenirs des splendeurs
les heures se précipitent
 

(Habanera)

Éclaboussements orages
les dentelles et foulards
éternuements ronflements
les rumeurs et les éclats
les langueurs et les épices
les heures se précipitent
les perroquets et les rats
les satins et falbalas
 

16) CHAMANES SAHÉLIENS
 

(Samoyèdes)

Le crissement de la glace
les roulements des tambours
pour aller jusqu’à la transe
et trouver le talisman
nous permettant de guérir
les fiévreux et les hagards
et d’assurer les naissances
pour la migration d’été
 

(Sahérie)

Pour pénétrer le secret
et trouver le talisman
permettant de renforcer
les fiévreux et les hagards
en améliorant la vue
pour la migration d’été
les éboulements du sable
les roulements des tambours
 

(Sibéhel)

Nous permettant  de guérir
les enfants et les vieillards
et d’assurer les naissances
jusqu’aux horizons célestes
le crissement de la glace
percussions et rotations
pour aller jusqu’à la transe
et deviner l’élixir
 

(Algérie)

En améliorant la vue
jusqu’aux horizons célestes
les éboulements du sable
percussions et rotations
pour pénétrer les secrets
et deviner l’élixir
permettant de renforcer
les enfants et les vieillards


 
 
 

L’ARRIÈRE-AUTOMNE

pour Anne Walker
 
Ce n’était pas vraiment l’été indien
pas même celui de la Saint-Martin
car il n’y avait pas eu de gelées
auparavant la saison s’étirait
avec beaucoup de nuages et de pluies
qui provoquaient graves inondations

Malgré le réchauffement constaté
on savait bien qu’arriverait l’hiver
avec son blizzard ratissant l’espace
et tous les accidents dus au verglas
on attendait on regardait monter
le brouillard sur les villes des vallées

Et l’on était suspendu aux nouvelles
il y avait des menaces de guerre
dans un autre continent il est vrai
mais s’il y avait mondialisation
c’était bien dans l’appesantissement
de ces ailes ténébreuses partout

Les arbres suffisamment à l’abri
gardaient leurs feuilles approfondissant
leurs couleurs et l’on avait l’impression
qu’elles disaient individuellement
écoutez-moi contemplez-moi sauvez
la formule que je vous ai trouvée

Brûlant sans nous consumer dans le soir
égrenant nos litanies de conseils
pour traverser le tunnel périlleux
avec ses craquements et caquetages
les grains de sable et les flocons de neige
de la foule en tourbillons de détresse

Soeurs développant nos splendeurs ultimes
dans le vent nous annonçant l’imminence
de notre inhumation-pourrissement
où nous nous déferons en protégeant
les germes d’une invention de jouvence
dans un an dans un siècle un millénaire


 
 
 

LE BOEUF ÉCORCHÉ

in memoriam Marc Chagall
C’est un boucher céleste
qui vient de sacrifier
l’animal qui s’abreuve
avec son propre sang
son oeil rouge est ouvert
comme pour nous narguer
sa peau s’est déroulée
pour recouvrir la nuit

A travers les pignons
du village transi
on voit s’interroger
les couples affamés
les oiseaux affolés
cherchent à s’échapper
sur la neige des toits
ou le verglas des ruelles

Les larmes de sa graisse
nourrissent les chandelles
qui répandent leur lueur
de pourpre et de savon
sur les sommeils troublés
dans les chambres étroites
ou devant les autels
des églises désertes

Le martyre animal
crucifié dans la nuit
répand sur notre exil
sa réconciliation
réchauffant notre coeur
dans la déréliction
où nous avaient laissés
prophètes et parents

Nous le dévorerons
pour acquérir sa force
sa patience et ses cornes
qui s’illumineront
et les cieux s’ouvriront
délivrés des couteaux
pour fondre notre neige
et brûler notre sang


 
 
 
 

CE QU’ON VOIT DEPUIS L’ÉCART

pour David Reumaux


                 Ce texte figure déjà dans la partie "Essais du site personnel de l'auteur".
 
 
 
 

FAIRE UN PRINTEMPS
 

A Madame de Grignan, aux Rochers, le 19 avril 1690

...
 Je reviens encore à vous, ma bonne, pour vous dire que si vous avez envie de savoir en détail ce que c’est qu’un printemps, il faut venir à moi. Je n’en connaissais moi-même que la superficie; j’en examine cette année jusqu’aux premiers commencements. Que pensez-vous donc que ce soit que la couleur des arbres depuis huit jours ? Répondez. Vous allez dire : “Du vert”. Point du tout, c’est du rouge. Ce sont de petits boutons, tout prêts à partir, qui font un vrai rouge, et puis ils poussent tous une petite feuille, et comme c’est inégalement, cela fait un mélange trop joli de vert et de rouge. Nous couvons tout cela des yeux. Nous parions de grosses sommes - mais c’est à ne jamais payer - que ce bout d’allée sera vert dans deux heures. On dit que non. On parie. Les charmes ont leur manière, les hêtres une autre. Enfin, je sais sur cela tout ce que l’on peut savoir...

A Madame de Grignan, aux Rochers, le 26 avril 1690

...
 Il fait un temps tout merveilleux. Dieu merci. J’ai si bien fait que le printemps est achevé. Tout est vert. Je n’ai pas eu peu de peine à faire pousser tous ces boutons, à faire changer le rouge en vert. Quand j’ai eu fini tous ces charmes, il a fallu aller aux hêtres, puis aux chênes; c’est ce qui m’a donné le plus de peine, et j’ai besoin encore de huit jours pour n’avoir plus rien à me reprocher. Je commence à jouir de toutes mes fatigues, et je crois tout de bon que non seulement je n’ai pas nui  à toutes ces beautés, mais qu’en cas de besoin je saurais fort bien faire un printemps, tant je me suis appliquée à regarder, à observer, à épiloguer celui-ci, ce que je n’avais jamais fait avec tant d’exactitude. Je dois cette capacité à mon grand loisir et, en vérité, ma chère bonne, c’est la plus jolie occupation du monde...
 

                                                                                                                                                                                     Madame de Sévigné
 
 
 
 
 
 

BAIE DE SOMME

pour Mireille Béra

 
Entre les roseaux de mes cils
j’aperçois des oiseaux planeurs
dont les ventres se réfléchissent
dans les flaques et les ruisseaux

J’aperçois des oiseaux coureurs
qui recherchent des coquillages
et tout d’un coup changent de cap
effrayés par d’autres oiseaux

J’aperçois des oiseaux plongeurs
qui se redressent brusquement
agitant leurs ailes remontent
pour tournoyer parmi les nuages

Ils chantent la géographie
des pays qu’ils ont découvert
quand ils ont appris à voler
dans les environs de leurs nids

Et de ceux qu’ils ont traversés
avant de venir jusqu’ici
de ceux qu’ils s’efforcent d’atteindre
hantés par dure nostalgie

Quand le Soleil recouvrira
tout le sable avec des pétales
de glaïeuls et de dahlias
faisant trembler des flammes fraîches

Et quand la Lune sifflera
ses élégies sur les ourlets
des caresses de la marée
qui remonte les draps du vent

Tous les oiseaux me rejoindront
dans le sommeil d’où je les guette
à travers nos respirations
nous échangerons nos silences


 
 
 

EN  ATTENDANT LE PIRE

pour Gregory Masurovsky
C’est l’hiver de tristes nouvelles
traînent sur journaux et télés
quand approchent certains sujets
la conversation se détourne
car on ne sait plus ce que pensent
ceux qu’on croyait le mieux connaître
ce qui est sûr c’est que la peur
s’insinue dans tous les regards
même chez ceux qui se demandent
quel bénéfice en retirer

Très loin s’amassent des armées
dans des pays plus ou moins chauds
où sévissent des dictateurs
des avions survolent des villes
les diplomates s’entremettent
les présidents frappent du poing
d’anciens ennemis négocient
des amis de toujours se fâchent
les cours des bourses dégringolent
au retour des fusées explosent

Ce n’est pas qu’il fasse très froid
on a connu des hivers pires
les pistes sont bien enneigées
les skieurs pourront s’amuser
pourvu qu’ils ne se risquent pas
hors des pistes autorisées
on annonce des avalanches
dans les vallées verglas brouillards
les automobiles dérivent
en se hâtant vers leurs garages

Licenciements chômage ruines
les sans-logis les sans-papiers
cherchent des abris sous les ponts
ou dans les entrepôts vidés
dont ils calfeutrent les fenêtres
tandis que des adolescents
munis de bombes de peinture
couvrent les parois d’inscriptions
en caractères transformés
où quelques mots crient leur naufrage

De quoi demain sera-t-il fait
le matin va suivre la nuit
les travailleurs vont retrouver
le chemin de leurs entreprises
qui pour la plupart survivront
les ménagères pousseront
aux rayons des supermarchés
leurs chariots remplis de produits
détergents et de provisions
pour les enfants qui s’y accrochent

Dans quelques semaines viendra
le printemps avec les torrents
qui retrouveront leur violence
les oiseaux migrateurs du moins
ceux qui auront pu échapper
aux marées noires et poisons
diffusés par les cheminées
ou répandus sur les cultures
se poseront sur les étangs
avant de partir pour le sud

Et dans les forêts épargnées
les bourgeons rougiront le bout
des rameaux puis viendra le vert
très tendre tandis que les nids
s’installeront au creux des branches
et que les oiseaux chanteront
leurs cantilènes ancestrales
que le bourdonnement des routes
nous empêchera de saisir
sauf dans les écarts protégés

Nous aurons encore un été
avec des fleurs dans les jardins
des moissons et des fenaisons
développeront leurs odeurs
et des fatigues délicieuses
dans d’interminables soirées
prolongées par le clair de lune
où nous raconterons des fables
resurgissant de notre enfance
en oubliant le téléphone

Puis l’automne avec les vendanges
la nouvelle rentrée des classes
les enfants changeant d’une année
nouveaux programmes nouveaux maîtres
hêtres et poiriers flamboieront
chez ceux qui ont le privilège
d’avoir encore un vrai foyer
on rentrera stères de bois
toujours essayant de comprendre
comment on est arrivé là

Quel monde nous accueillera
nous éveillant après la nuit
de Noël avec ses bougies
ses cantiques et ses cadeaux
serons-nous de l’autre côté
d’un tunnel ou d’un cataclysme
ou serons-nous comme aujourd’hui
attendant le pire cherchant
à préserver quelque silence
à transmettre à nos descendants


 
 
 

RIEN NE VA PLUS

pour Bertrand Dorny

 
Les jeux sont faits les yeux rivés
sur la bille dans sa cuvette
qui tourbillonne en lacérant
dans ses sursauts tous leurs espoirs
les élégants désespérés
imaginent dans le suspens
maintes solutions mirifiques
à leurs catastrophes boursières

Les jeux sont faits dans les palaces
des ambassadeurs très aimables
essaient de limiter la casse
et surtout de sauver la face
les yeux rivés sur les écrans
des ordinateurs ou télés
qui leur montrent les mouvements
des porte-avions et des monnaies

Les jeux sont faits l’évolution
avec les multiples étages
de son casino luxuriant
mammifères et dinosaures
virus bactéries parasites
a dessiné les tapis verts
cryptogames phanérogames
sur lesquels nous devons miser

Les jeux sont faits dans nos ébats
un seul des spermatozoïdes
parvient à pénétrer l’ovule
alors les clefs des chromosomes
reproduits dans chaque cellule
ouvrent tel tiroir ou cassette
les yeux bleus ou noirs la santé
ou les maladies génétiques

Les jeux sont faits au casino
le flambard s’il a des réserves
peut décider d’une autre mise
en général aussi fatale
mais dans le bébé qui va naître
cartes sont déjà distribuées
comme au bridge il faut en tirer
le parti le meilleur possible

Les jeux sont faits le dictionnaire
nous propose mots et merveilles
et si nous pouvons ajouter
quelque brillant néologisme
c’est au milieu de l’océan
des phrases et dictions anciennes
où nous tentons de surnager
pour toucher aux libres rivages


 
 
 

AU FIL DE LA PLUME

pour Graziella Borghesi

 
Mademoiselle voulez-vous
que je vous accompagne un brin
cette région n’est pas très sûre
chasseurs et renards vont rôdant

Je connais un petit bosquet
où des branchages vous proposent
coupes de rosées délicates
avec amuse-becs légers

En palpitante solitude
je vous égrènerai mes chants
en vous déployant mes miroirs
pour y multiplier vos yeux


 
 
 
 
 

LA TOISON DE LAIT

pour Graziella Borghesi

 
Sur les prairies de l’océan
petits agneaux se multiplient
les vagues des brebis les lèchent
savonnant leurs tendres museaux

En s’approchant de l’horizon
ils gravissent pentes du ciel
dégustant des fleurs lumineuses
buvant aux torrents capiteux

Ils gambadent parmi les nuages
découvrant de nouveaux amis
et les anges des bergeries
dirigent leurs chants et leurs jeux


 
 
 
 

GALOP VERS LES HESPÉRIDES

pour Marti Pey

 
Le satyre est un pirate
sur la poupe du carrosse
qu’il arrive à piloter
par sa flûte gouvernail
dans la tempête d’automne
où l’averse des monnaies
recouvre d’or la rougeur
des voilures embrasées

Rien ne lui fera quitter
sa situation stratégique
même les plus forts cahots
les éclairs et le tonnerre
ne lui dénoueront les jambes
lui apportant au contraire
des syncopes dramatiques
pour ses tendres mélodies

Le cocher son assistant
s’efforçant de redresser
la barre dans le virage
s’arrange pour secouer
les amoureux dans leur fuite
bien serrés l’un contre l’autre
doucement passionnément
encourageant leurs soupirs

Les rayons des roues penchées
disparaissent en spirales
dans la vitesse et le bruit
en se révélant les flammes
du chariot d’un autre Élie
qui saura les emporter
au paradis des fugueurs
des anges et des satyres


 
 
 
 

ZIGGURAT DE BRAISE

pour Himat
Briques de tourbe
l’une sur l’autre
escaladant
l’horizon vieux

Pour monter plus près
du séjour des dieux
qui nous examinent
depuis leurs terrasses

Suivant chacun de nous
dans les rues de sa ville
ou les pistes arides
dans le désert de sang

Depuis que nous sommes nés
jusqu’à notre premier mot
nos émotions amoureuses
nos étreintes et baisers

Jusqu’à notre premier enfant
qui nous fait ressembler à eux
puis tous les autres qui s’agitent
premiers mots premières amours

C’est alors que nous les vénérons
essayant de capter leur regard
pour qu’ils soient un peu plus indulgents
pour qu’ils ouvrent les voies de la chance

Alors nous sommes prêts à leur offrir
les plus beaux animaux de nos troupeaux
ou de nos chasses les faisant brûler
pour que leurs fumées et fumets apportent

Notre inquiétude et notre vénération
jusqu’à leurs banquets et concours poétiques
afin de provoquer chez eux un sourire
une lumière dans leur obscurité

Car nous savons qu’ils continuent de nous épier
dans notre affaiblissement et nos maladies
ou nos combats qui les distraient de leur ennui
jusqu’à nos morts qu’ils respirent comme des fleurs


















LE CLAVIER DU RIVAGE

pour Joël Leick

 
Sur la plage de la page
la marée des phrases monte
avec ses points et virgules
les galets des mots jaspés
et l’écume des questions

Fouillant dans la moindre crique
entre épaves et rochers
elle remue les chiffons
les citations d’autres livres
les lavant et brandissant

Déplaçant des paquets d’algues
conjonctions et coquillages
elle dessine des rives
puis reprend son matériel
et corrige tout cela

La vague d’une autre langue
vient proposer ses poissons
qui lâchent leur frai d’images
dans les strophes de la houle
aux baisers des traductions

Et des navires paraissent
avec fumées et filets
dictionnaires et manuels
flottant sur les discussions
les remous et les sillages

Une fois tout imprégné
quand le rouleau se retire
la page reste imprimée
avant de flotter au vent
voile de notre lecture


 
 
 
 

COLLOQUE À TAHITI

pour Monique Toupin
Les fruits dans la pirogue
auprès du projecteur
qui peint sur la paroi
l’image de deux femmes
rencontrées par Gauguin

Les coiffures de fleurs
les robes de mission
hibiscus et dentelles
les colliers odorants
se fanant doucement

La chemise est déjà
trempée il a suffi
sortant de l’autocar
de traverser la rue
et monter l’escalier

Conditionnement d’air
ou grands ventilateurs
vols de chauves-souris
caressant les cheveux
dans les amphithéâtres

La voix de l’orateur
ronronnant en lisant
sa contribution lente
devant un auditoire
gagné par le sommeil

Rêves de perles noires
dans les huîtres des yeux
les lignes d’écriture
battent comme des vagues
sur le corail rugueux

On voudrait dépouiller
ses habits d’Occident
revêtir paréos
faire fleurir nos corps
dans la pluie de jouvence

Puis chaussés d’espadrilles
car nos pieds sont fragiles
monter dans la forêt
où trouver des cascades
pour nous rebaptiser

Nous baigner dans le lait
lumineux des lagons
et filer d’île en île
en labourant la mer
au claquement des voiles

C’est la fin du discours
qui nous a réveillés
sagement nous mêlons
nos applaudissements
à ceux de nos voisins

Tentant d’imaginer
l’atelier les châssis
les modèles passant
à travers la fenêtre
les oiseaux et les chiens

Frustrés de ne pouvoir
aller jusqu’aux Marquises
méditer sur la tombe
et la maison du jouir
pieusement rebâtie

Il reste encor des traces
mais il était grand temps
de venir les flairer
grand temps déjà pour lui
de venir y mourir

Tandis qu’à l’extérieur
le soleil écrasant
fait briller le détroit
entre quais et navires
vol du poisson-phénix


 
 
 
 

HYMNE À NÎMES

pour Patrice Pouperon
Près de la Maison Carrée
aux arènes presque rondes
le crocodile sommeille
à l’ombre de son palmier

Près du palmier qui sommeille
tourne en rond le crocodile
entre les arènes d’ombre
et le carré des murmures

Près du sommeil des arènes
la maison murmure en rond
gardée par le crocodile
sous le carré des palmiers

Près du crocodile en rond
tendant de mordre sa queue
l’ombre des palmiers murmure
sur les maisons des haleines

Près des palmiers des arènes
tendant de mordre leurs ombres
le crocodile murmure
dans le carré des haleines

Près des tentations des ombres
la morsure du sommeil
dans la maison presque ronde
où murmurent les haleines

Près du gardien des palmiers
les tentations des haleines
mordent sur les ombres rondes
murmurant dans les arènes


 
 
 
 

CENT INSTANTS JAPONAIS
en 1989

photographiés par Marie-Jo

 
(premier chariot)

Tokyo
5 mai

1) Comme il pleut beaucoup au printemps dans l’archipel, pour aller admirer cerisiers, iris ou glycines, il convient de se protéger.  On trouve donc des parapluies de toutes sortes et de toutes couleurs avec des mécanismes ingénieux pour pouvoir les déployer ou replier le plus facilement et le plus rapidement possible. Dans tous les lieux publics on trouve des vestiaires à parapluies ou au moins des gaines en plastique pour les empêcher de s’égoutter sur les nattes ou les planchers. La date inscrite en bas à droite pour les images horizontales, à gauche pour les verticales, m’a permis d’en retrouver la succession.

2) On met aussi des chapeaux à l’occidentale, car les anciens couvre-chefs coniques en paille que l’on trouve encore dans la campagne, seraient trop incommodes dans la vie quotidienne urbaine. Tous les étalages font un peu penser à ceux des fleuristes. Le objets s’assemblent en bouquets, massifs ou gerbes.

3) Sur les marches du grand sanctuaire d’Amida, le bienheureux qui peut vous accueillir dans son paradis de l’ouest, extrêmement vénéré dans tout l’archipel, les pèlerins venus de tous les quartiers de Tokyo, se photographient courtoisement.

Nikko
9 mai

4) Les collégiens attendent le signal de leurs professeurs pour pénétrer dans la vénérable enceinte des monuments funéraires dressés au dix-septième siècle à Nikko pour les premiers shoguns, on pourrait dire grands vizirs de la dynastie des Tokugawa, héréditaires parallèlement aux empereurs. Ce sont eux qui ont fait passer le pouvoir politique de Kyoto à Tokyo, nommé alors Edo.

5) Comme les enfants à la casquette bouton d’or descendent les degrés du sanctuaire, une vieille américaine se hâte de sortir du cadre.

6) La mâchoire du toit immense broute silencieusement les pentes de la forêt.

7) Dans la brume cette région des monuments semble un refuge contre la foule des pèlerins.

8) La visite des grands monuments classiques, et même des paysages fameux, fait partie de l’éducation. La photographie collective est un moment essentiel de l’événement. C’est une façon non seulement de se souvenir de ses camarades, mais surtout de s’incorporer aux lieux vénérables et bienfaisants.

9) Les monuments de Nikko sont le sommet de ce qu’on pourrait appeler le rococo japonais, même s’ils sont antérieurs à l’époque désignée par ce nom en Europe. Extrêmement chargés, peints de couleurs vives et dorés, ils prennent toute leur beauté dans la brume qui s’élève à l’intérieur de la forêt d’immenses conifères. Tout se met à étinceler à son tour.

10) Les arbres sont considérés comme des individus dont on admire la  physionomie et le développement. Lorsqu’ils parviennent à un certain âge, on les protège, on les assiste. Entouré d’une guirlande aux papiers religieusement repliés, celui-ci pousse une vergue fragile qu’une béquille vient étayer.

11) Les lanternes de pierre ne peuvent servir à éclairer. Ce ne sont que de grandes veilleuses qui dessinent des pointillés dans la nuit, pour nous accompagner dans notre méditation sur nos parents et amis morts, nous traçant le chemin vers l’autre côté du décor.

12) Certains arbres ont tant de pouvoir qu’une pièce de monnaie insérée dans leur écorce en apportera cent dans votre poche tout en allégeant les peines de proches dans les différents enfers de leur attente.

13) Ce qui est neuf doit attendre le verdict des années pour développer son parfum. Une paire, une dizaine, quelques centaines. L’acier bruni caressé par des milliers de mains fleurit en pétales d’argent.

14) Dès que l’on quitte la côte du Pacifique et sa gigantesque conurbation, on est toujours dans des aisselles de montagnes volcaniques abruptes sur lesquelles d’immenses forêts se développent encore, mais qui sont rebelles à tout élevage et toute culture. Les monuments les plus vénérables sont inscrits dans cette confrontation. A Nikko les différentes régions s’étagent reliées par des escaliers ou des pentes douces qu’il a fallu terrasser. La végétation ruisselle sur ces rayonnages verticaux, comme des cascades très lentes.

15) Depuis le balcon d’un tournant, voici une formation de lanternes qui font penser aux pions d’un jeu d’échecs. Ce sont les soldats qui viennent entourer non point l’empereur impuissant, mais le roi véritable qui doit traverser les passes dangereuses de son jugement.

16) Dans leur précipitation soudaine, il ne reste de ces jeunes filles que quelques pétales d’un drapeau.

Tokyo
14 mai

17) Nous voici revenus à Tokyo dans le quartier d’Asakusa. Dans un coin tranquille la fumée de l’encens caresse les petits enfants morts encapuchonnés d’un rouge de liesse. Ils se pressent auprès de leur protecteur Jizo. C’est un bodhisattva, on pourrait traduire par intercesseur, c’est-à-dire un bienheureux qui pourrait parvenir à la béatitude finale, mais qui dans sa surabondante générosité, préfère demeurer en relation avec notre monde d’impermanence et de misère, celui-ci pour suivre la destinée des enfants en souffrance. Il leur distribuera dans leur enfer d’attente le jus d’orange et la crème qu’on lui a offerts pour eux, ce qui leur permettra de patienter jusqu’à leur réincarnation.

18) Pendant la grande fête en l’honneur d’Amida, le bienheureux de l’ouest, qui développe sa béatitude en un paradis dans lequel parviendront à leur mort ceux qui auront placé en lui toute leur confiance, on célèbre aussi les divinités antérieures auxquelles il a donné refuge. On transporte par les rues les lourds tabernacles dans lesquels sont conservés leurs symboles, et sur lesquels parfois des membres de la mafia se juchent pour danser en faisant admirer leurs tatouages.

19) Les tabernacles sont portés et tirés par des groupes de jeunes gens, surtout des garçons mais aussi quelques jeunes filles, couronnés d’un bandeau pour retenir la sueur.

20) Tous les porteurs et porteuses endossent des vestes indigo marquées de signes réservés en blancs qui sont les enseignes des corporations : les maçons, les coiffeurs, les plombiers, les infirmiers... Si certains se donnent tellement à leur office qu’au bout de quelque temps tous leurs vêtements sont froissés et souillés, d’autres, et surtout les jeunes filles réussissent à les conserver intacts. Certaines attachent leurs cheveux de résilles et d’épingles qui rappellent en plus discret les coiffures somptueuses des dames de l’époque d’Edo.

21) Des tabernacles de plus petites dimensions sont réservés aux enfants, à qui leurs parents doivent donner le coup de main nécessaire.

22) Pour rythmer la procession deux petites filles frappent sur une réduction à leur échelle des énormes tambours des adultes.

Kamakura
21 mai

23) Ancienne capitale provisoire dans le Moyen-Age, Kamakura est fameux dans les affiches touristiques par son immense statue en bronze d’Amida, autrefois dans un sanctuaire, aujourd’hui à l’air libre, et par ses nombreux monastères qui se répartissent depuis les plages jusqu’aux vallées profondes. Chacun d’eux possède une cloche suspendue à l’extérieur, et que l’on peut venir frapper grâce à la poutre-bélier qui l’accompagne. L’une des plus fameuses est sur un promontoire d’où l’on voit toute la ville qui écoute ses réverbérations.

24) Depuis les terrasses on découvre les anciens villages à qui l’approche de la ville qui les englobe peu à peu n’a rien changé à leur allure pour quelques années encore.

25) De nombreux monastères sont fameux pour leurs jardins où les fleurs se succèdent régulièrement depuis les pruniers jusqu’aux hortensias. Certains se recommandent par leurs cerisiers, d’autres par leurs glycines, d’autres par leurs iris pour lesquels il faut des bassins qui sont parfois peuplés par des tortues qui se rassemblent en congrès à certains moments de la journée.

26) Certains sanctuaires sont tout petits et très simples, d’autres sont immenses et comportent des centaines de bâtiments. Voici l’entrée d’un de ceux-ci, Engaku-ji, dans lequel est conservé dit-on, dans un reliquaire de quartz, une dent de Shaka, c’est-à-dire Sakyamuni, le bouddha du sud, le bienheureux qui s’est révélé dans notre Histoire et a commencé notre délivrance. D’autres disent qu’il s’agit seulement d’une dent qui a touché la sienne. D’autres qu’il y a eu plus d’intermédiaires encore; ce qui n’a pas d’importance, car ce qui compte c’est l’enracinement d’une tradition, donc une lucarne pour le salut.

27) Le parvis d’un des bâtiments à l’intérieur de l’Engaku-ji comporte une série d’ex-voto populaires anciens représentant Kannon, l’intercesseur de la miséricorde, auquel s’adressent les malades et affligés. De sexe masculin à l’origine, il s’est peu à peu féminisé pour devenir un équivalent de notre vierge Marie à qui on a dressé depuis quelques dizaines d’années des statues géantes.

Tokyo
27 mai

28) La France est renommée pour ses juristes. On l’appelle le Pays du Droit. On apprécie aussi sa boulangerie, ses eaux minérales, ses vins, et naturellement sa couture. On choisira donc souvent des noms français pour les boutiques de vêtements, même si ce qu’on y vend est de fabrication purement locale, les restaurants et aussi les bistrots dans les étages inférieurs des gratte-ciel où des hôtesses compréhensives aident les fonctionnaires ou employés à retrouver leur sérénité après une journée difficile.

Muroo-ji
8 juin

29) Très connu, mais en fait très peu visité à cause de sa difficulté d’accès, le Muroo-Ji est un ensemble de sanctuaires minuscules qui s’échelonnent au long d’un immense escalier tortueux de centaines de marches dans la forêt. Dans un des plus bas, ceux par lesquels on commence le pèlerinage, on trouve des ex-voto d’un type tout différent, extrêmement fréquents dans l’archipel. Ce sont des chapelets de grues, symboles de la longévité, en origami, c’est-à-dire en pliage de papier, enfilées par centaines, de toutes couleurs, et suspendues près des statues des intercesseurs. Plus la grue est petite, plus le travail est méritoire. Chacune est censée apporter une journée de vie à quelqu’un que l’on aime.

30) Les cryptomères, immenses conifères spécifiques du Japon, ont la faculté d’enfoncer leurs racines dans les moindres fissures entre les rocs, ce qui leur permet de se développer en forêts montagneuses où l’assise de l’un peut être au niveau des branches moyennes d’un autre.

31) L’intercesseur Jizo est tellement populaire qu’on le trouve non seulement dans les sanctuaires qui lui sont consacrés, mais dans presque tous les autres, et dans de petits oratoires disséminés. Il est en général représenté comme un mince jeune homme souriant; mais les plus pauvres se contentent de choisir une pierre vaguement cylindrique qu’ils polissent comme ils peuvent, et qu’ils consacrent, si l’on peut dire, en l’ornant d’une petite cape rouge.

32) Après avoir escaladé des marches et des marches glissantes sous la pluie, on débouche sur un bâtiment qui semble immense parce qu’on l’aborde en contre-bas, mais qui est en réalité minuscule, une réduction de ceux que l’on trouve dans les sanctuaires habituels, ce qui naturellement magnifie encore les dimensions de la forêt.

Kobe
11 juin

33) La ville de Kobe avait construit une immense plate-forme gagnée sur la mer avec des ouvrages d’art considérables pour y parvenir. Depuis le grand tremblement de terre, tout a été bouleversé.

34) On pouvait laisser sa voiture au parking et prendre le train monorail pour aller profiter des attractions diverses.

35) Au dernier étage d’un gratte-ciel un restaurant panoramique permettait d’admirer toute la baie.

36)  Le soir, les feux de circulation jouent avec ceux qui sont réfléchis par les eaux du port.

37) D’innombrables bateaux de pêcheurs s’apprêtent à partir pour la nuit afin d’approvisionner les restaurants de poisson cru ou frit.

Kyoto
12 juin

38) Les jardins de Kyoto sont soignés constamment, notamment ceux des grands monastères ou sanctuaires. Une attention particulière est donnée aux feuilles mortes. On se méfie des instruments de métal; tous les râteaux sont en bambou.

39) Toute une forêt se résume, avec son combat pour s’échapper, le nôtre pour la maintenir, dans le tissu d’une clôture.

40) C’est un pays si photographié, où l’on se photographie tellement, qu’il est difficile d’échapper à certains grands classiques sur lesquels il est rare d’apporter du nouveau. Ici la mer et la montagne de sable au Pavillon d’argent.

41) Ces pures sculptures de sable, refaites chaque matin depuis des siècles, - car au moindre orage tout est ravagé - servent d’écran aux ombres des arbres proches. Ici le talus est transformé en vagues.

42) La mer de sable, rayée par des vagues mousseuses rectilignes, enfonce une pointe dans une vallée virtuelle, tandis que l’ombre d’un toit tranche sur la courbe de son anse.

43) La régularité du cône de la montagne de sable est un hommage au Fuji. Son sommet tronqué figure un cratère légèrement incurvé dont le bord s’enflamme au passage du Soleil à certaines heures.

44) Dans cette famille de visiteurs, la femme a mis un kimono en tissu kasuri, dont les motifs sont teints sur les fils de trame avant le tissage. Elle a les socques en bois traditionnels. Sa fille, habillée à la garçonne - on hésite presque -, a des chaussures féminines pointues à l’occidentale.

45) Il pleut beaucoup, mais il y a souvent des coups de soleil entre les nuages, comme des appels de phares, et l’on conserve aux arbres des branches basses pour qu’ils puissent projeter leur ombre sur les murs.

46) Le seuil est constellé de monnaies lumineuses, beaucoup plus légères et volatiles que des plumes, qui ruissellent sur les mains du visiteur.

47) Les cercles du sable ratissé transforment le tronc d’arbre en pierre pour le rendre plus durable; il transforme lui-même le sable en ondes d’irrigation pour le rendre plus fertile.

48) Dans la promenade des philosophes de très jeunes apprentis ont laissé leur vélo près de la buvette pour régler un point de doctrine sur le pont.

49) On se hâte d’admirer les fleurs au printemps les unes après les autres, dès qu’elles sont annoncées, car les ondées les font en général tomber très vite. Les feuillages, surtout ceux des érables à l’automne, ne méritent pas moins d’hommages. On éclaircit minutieusement les bouquets de pins, ne gardant que deux doubles aiguilles sur trois, pour que le regard et la lumière puissent mieux passer au travers.

13 juin

50) Dans certains quartiers de Kyoto, l’architecture moderne s’efforce de rivaliser avec l’ancienne. Verre, métal et béton remplacent le chaume et le bois.

(deuxième chariot)

51) Ce jeune garçon en salopette a confiance dans la protection de Jizo qui lui épargnera des malheurs dans ce monde et dans tous les autres.

52) Dans l’échancrure des rideaux ce jeune homme a l’air de pratiquer un art martial, mais c’est en fait un jardinier qui veille à la propreté du sable et des dalles.

53) Les tentures en fête, le long de la balustrade, répondent au moindre souffle qui agite aussi les bouquets d’aiguilles de pin qu’admire l’ombre humaine devant l’échelle délicate.

54) La blancheur atténuée des deux immenses pervenches accentue l’éblouissement des dalles sous le noeud en croix.

55) La transparence et la réflexion s’échangent dans l’escalade des toits en quart de cercle. Une écaille rouge relève le mercure céleste.

56) L’ancienne ville de Tokyo était un lacis de petites ruelles, tel un plat de spaghetti, ou selon l’expression chinoise, des entrailles de mouton. Après le grand incendie, on y a taillé des avenues toutes droites, mais certains petits quartiers restent avec l’organisation ancienne. Au contraire Kyoto est une ville impériale, décidée d’un seul coup, avec un plan rectangulaire. Mais à l’intérieur des lots ainsi dessinés, les constructions individuelles dans les deux villes refusent de se toucher. Deux gratte-ciel peuvent être séparés d’une faille de quelques centimètres. En général cela forme à Tokyo des ruelles contournées, à Kyoto toutes droites, interdites aux voitures et où se faufilent les vélos.

57) Le ciel des villes japonaises est rayé d’une multitude de fils électriques qui se dispersent dans toutes les directions, récupérés à intervalles réguliers par des espèces de lessiveuses suspendues qui font penser à des tours de contrôle surveillées par des nains.

58) On dirait un vaisseau spatial qui vient de se poser délicatement sur sa base en pleine ville. Quels civilisateurs vont en débarquer, nous apportant des idéogrammes libérateurs ?

14 juin

59) Loin des temples et des couvents la multiplication des bicyclettes et des enseignes autour d’une immense crevette.

60) Sur les stèles de verre habitable des grues métalliques sont prêtes à descendre des laveurs de vitres sur leurs balcons mobiles, au-dessus du porche de métal encore flambant neuf que frôle la foule.

61) Sans parler des cuisines importées, anciennement comme les chinoises, plus récemment comme les occidentales dont les modes se succèdent comme les floraisons dans les jardins monastiques : après la française, l’italienne, puis l’allemande, bientôt la mexicaine, pour revenir à la française, il y a de nombreuses cuisines locales, en particulier autour des produits de la mer : algues, poissons, holothuries, crustacés. Il y a des restaurants entièrement consacrés au crabe-araignée que l’on déguste sous des dizaines de formes.

62) Les modes architecturales occidentales se sont succédé, en s’adaptant plus ou moins, depuis l’ouverture brutale du Japon au milieu du XIXème siècle. Les bâtiments qui ont échappé aux vagues de destruction : incendies, tremblements de terre, guerre, ou la folie des promoteurs, deviennent presque aussi vénérés que les bâtiments plus anciens. Voici un cinéma d’influence américaine, qui date des années 1920. Il annonçait ce jour-là le film “Léviathan”, dont le nom est interprété en caractères syllabiques.

15 juin

63) On doit enlever ses chaussures quand on va chez des amis, ou dans un restaurant à l’ancienne. A fortiori dans le bâtiment d’un sanctuaire. On adopte vite les mocassins. En général il y a des petites étagères dans lesquelles on peut les ranger; mais lorsqu’une classe un peu turbulente est en visite, pas le temps pour ces délicatesses. Ce sont alors comme des flocons de neige noire.

64) Depuis le shintô, la religion des anciens dieux, l’ascèse est considérée comme un moyen d’acquérir des pouvoirs surhumains. Cette croyance existait aussi dans l’Inde ancienne et a marqué fortement le bouddhisme. Un certain nombre des disciples de Shaka ont multiplié les épreuves, les jeûnes, les macérations; ce sont les arhats dont la vie est devenue si semblable à une mort que la mort n’a plus prise sur eux.

65) La carpe blanche saute entre les ombres des fougères et la dispersion des nuages. Les carpes rouges se faufilent entre l’iris et son reflet.

66) Le thé qui accompagne la vie quotidienne, a développé sous une forme légèrement différente, un rituel de grand raffinement autour duquel se sont épanouis des arts très variés. L’architecture est d’une modestie en quelque sorte flamboyante : murs nus, piliers de bois non écorcé, si possible courbés pour faire sentir que l’âge gagne chaque jour, toit de chaume, porte d’entrée qui vous oblige à vous baisser.

67) Lotus et nénuphars couvrent d’immenses bassins. Au fond, l’on dispose des tuiles courbes, des tuyaux pour servir de refuge aux poissons qui craignent le Soleil.

68) Il suffit de quelques décimètres carrés le long d’un trottoir, devant une façade de bois récente mais à l’ancienne, dans un rue parcourue de camions de toutes sortes, transportant déblais ou matériaux, pour que l’on aménage un jardin miniature.

69) Les grands conifères dans la montagne signifient la rectitude, la pureté, la suite dans les idées. Certains chênes nous manifestent la paternité, l’abondance, la stabilité. Certains pins nous apportent l’imagination, l’élégance. D’autres arbres sont la représentation d’un tourment prophétique; ils se tordent en transe pour prononcer un oracle essentiel que nous ne connaîtrons peut-être jamais dans notre condition actuelle, mais qui pourra apporter le salut à des fantômes, ou à des dieux, à nous-mêmes dans un autre existence, dans un autre état.

70) Sur la page de sable, les fleurs de l’azalée dessinent en tombant une constellation idéographique.

71) Dans une allée du grand monastère Myo-shin-ji, pendant une pause, l’acteur d’un film historique fait la conversation avec un technicien.

72) Le balai reste si propre qu’il peut servir à s’asseoir; les chaussures restent très blanches pour ne pas salir le gazon.

Toogoo
16 juin

73) Sur la presqu’île de Toogoo au milieu de son lac circulaire près du rivage de la mer du Japon, face à la Corée, au petit matin brumeux le bassin de la source thermale réservé aux hommes.

74) Celui pour les dames est à quelques pas. Avant de se plonger tout nu dans l’eau brûlante (40 degrés) il convient de se laver soigneusement. On dispose pour cela de petits tabourets et de seaux, en général en bois, mais parfois en plastique. Les autres utilisateurs vous aident volontiers à vous savonner le dos, à charge de revanche.

Izumo
18 juin

75)  Pas très loin de la rade où les dieux ont débarqué au Japon dans la plus haute antiquité, deux arbres de la grande allée du temple d’Izumo se croisent en x, tous deux étayés par des béquilles.

76) Une jeune mère va montrer son enfant aux dieux d’autrefois.

77) Celui-ci a sûrement été montré il y a quelques mois.

78) Ce toit maintes fois reconstruit à l’identique, est assuré contre le vent par ces poutres et ces lattes croisées qui nous font penser à une antenne de télévision.

79) Comme dans tous les temples on interroge les oracles. Les réponses sont inscrites sur de minces bandes de papier. Quand elles ne sont pas favorables, on les noue aux branches des arbres pour les rendre aux dieux antérieurs.

80) On voit parfois dans les sanctuaires des ex-voto sous forme d’objets démesurément agrandis, par exemple des sandales. Ici, c’est la gerbe de paille qui s’est enflée jusqu’à des proportions divines.

19 juin

81) Le Français vu de dos contourne précautionneusement l’annexe que l’on peut trouver dans tout grand sanctuaire ancien pour se rendre favorables les inquiétants renards.

82) Pour se protéger de leurs frasques on offre aux renards divins ou démoniaques de petites statues en porcelaine et des flacons de saké.

83) Les anciens toits sont en paille de riz ou d’autres formes de chaume; parfois ce sont des écorces de bouleau déroulées.

84) Les poutres des charpentes anciennes sont soutenues par des assemblages de corbeaux les uns sur les autres qui leur permettent de se projeter loin à l’extérieur.

85) Les renardes sont particulièrement dangereuses; elles se transforment en femmes exquises pour séduire les jeunes gens et les perdre dans de redoutables pièges. Mais elles sont mères aussi, et le meilleur moyen de se les rendre favorables, c’est de leur souhaiter nombreuse progéniture.

Tokyo
21 juin

86) Retrouvailles de deux vieilles amies dans le vestibule d’un grand magasin de Tokyo.

87) On cherche toutes sortes de ressemblances dans la forme d’un rocher, la courbure d’une branche, attitudes ou caractères. Dans une vieille planche de bois, jadis peinte en vert, délavée, polie par les siècles ou les aventures, on devine des montagnes et des nuages.

Alpes japonaises
24 juin

88) Une porte ancienne dans la ville de Takayama surnommée la petite Kyoto des montagnes.

89) Relégué dans les combles d’une riche maison d’autrefois, le palanquin qui permettait aux dames de franchir les ruisseaux à pied sec.

90) Les deux seaux d’un puits avec leur poulie dans son vêtement de métal.

91) Chaque municipalité choisit la forme de ses lampadaires. Parfois ils sont différents dans chaque quartier.

92) Des vapeurs de sources thermales le long d’un torrent dans les Alpes japonaises.

93) On ne sait si les nuages viennent du ciel ou de la terre. On vit dans un entre-deux.

94) La violence des eaux déchiquette les rochers pour les tailler en formes cristallines.

95) Jizo est particulièrement bienvenu pour les enfants perdus dans ces ravins.

96) Entre deux escalades un repos bien gagné en attendant le prochain train ou prochain car devant la gare.

97) La pente de la route est si forte dans ces montagnes, et les lacets si étroits, qu’on est obligé de rainurer le béton de la route pour aider à l’adhérence des cars qui s’y reprennent souvent à plusieurs fois pour venir à bout d’une épingle à cheveux particulièrement rude.

98) Le vent dominant très violent couche les arbres sous la pente neigeuse qui prend l’allure avec ses taches d’un orque bondissant sur les branches de l’écume.

99) Comme les amateurs d’altitude ont profité d’un rayon de soleil montagnard pour pique-niquer sur la rive d’un large torrent relativement calme, la mère vient rattacher tranquillement la sandale de sa petite fille qui était allée se tremper les pieds.

100) Des vestiges d’arbres élancent leur protestation vers le ciel chargé de dragons.


 
 
 
 

EN ATTENDANT L’ACCALMIE

pour Gregory Masurovsky

 
C’est le printemps le vent de sable
gêne l’avance des armées
des nouvelles contradictoires
viennent de tous les horizons
bombardements de nuit en nuit
sur la ville des mille et une
Haroun al Rachid écorché
croise l’ombre de Saladin
les vivres viennent à manquer
l’eau s’est tarie dans les fontaines

Très loin les administrateurs
dans leurs bureaux climatisés
rédigent des communiqués
en étudiant les statistiques
cherchant comment minimiser
les durs dégâts collatéraux
tandis que les soldats ruissellent
dans la plaine entre les deux fleuves
tremblants de peur et de fureur
en songeant à leurs bien-aimées

Pourtant c’est vraiment le printemps
par ici on est étonné
de la douceur presque l’été
quand on descend dans la vallée
les arbres sont déjà fleuris
dans mon village pas encore
ce sont les tout premiers bourgeons
dans les prés et au bord des routes
des violettes et primevères
et des crocus dans les jardins

Épidémies effondrements
des compagnies et des monnaies
on découvre des trous béants
comme des cratères de bombes
dans mainte comptabilité
il nous faut de nouveaux milliards
quémande-t-on aux assemblées
pour financer la guerre-éclair
qui se traîne dans la fumée
les fleuves sont teintés de sang

Demain tarde bien à venir
on nous parle d’après-demain
on nous exhorte à la patience
à travers le bruit des rafales
mais nous n’arrivons pas à voir
comment fleurira le printemps
dans les jardins de Babylone
pourtant sans doute une tulipe
resplendira sur un balcon
avant de perdre ses pétales

Dans quelques semaines peut-on
espérer que les hôpitaux
retrouveront quelque silence
et que les draps seront changés
pour les blessés et les fiévreux
que des infirmières souriantes
pourront leur apporter à boire
leur soulevant un peu la tête
en donnant les médicaments
capables de les soulager

Et que les soldats survivants
s’interrogeant sur leur destin
et tout ce qu’on leur a fait croire
et tout ce qu’on leur a fait faire
épouvantés et harassés
pourront retrouver le sommeil
et le chemin de leur famille
qu’elle soit de l’autre côté
de la mer ou tout simplement
dans un village très voisin

Où tout sera méconnaissable
où il faudra tout reconstruire
recommencer l’irrigation
et planter à nouveau des arbres
pour que dans les printemps prochains
il y ait des fleurs et des fruits
qu’il y ait des moissons l’été
et que l’on puisse de nouveau
sur la terrasse au clair de lune
chanter les amours des anciens

Et regarder à la télé
les pays au-delà des mers
les nouvelles tours de Babel
les tempêtes dans leurs déserts
la guérison de leurs blessés
leurs dialogues dans leurs jardins
espérant que de leur côté
ces soldats rentrés au pays
regarderont sur leur télé
ce que l’on devient par ici

Dans le pardon mais sans oubli
nous réveillerons-nous enfin
découvrant quel soulagement
un véritable nouveau monde
aux énergies inattendues
où les milliards circuleront
parmi tous les faubourgs des villes
pour couronner par nos voyages
les recherches qu’ont commencées
les astronomes de Chaldée


 
 
 
 
Sommaire n°28 :
EXCOMMUNIÉ
LE ROI DES AULNES
LE CATALOGE DES RENCONTRES
HISTOIRE D’UN BALLON CAPTIF
L’OREILLE DU SEXTANT
L’ARRIÈRE -AUTOMNE
LE BOEUF ÉCORCHÉ
CE QU’ON VOIT DEPUIS L’ÉCART
FAIRE UN PRINTEMPS
BAIE DE SOMME
EN  ATTENDANT LE PIRE
RIEN NE VA PLUS
AU FIL DE LA PLUME
LA TOISON DE LAIT
GALOP VERS LES HESPÉRIDES
ZIGGURAT DE BRAISE
LE CLAVIER DU RIVAGE
COLLOQUE À TAHITI
HYMNE À NÎMES
CENT INSTANTS JAPONAIS
EN ATTENDANT L’ACCALMIE
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