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Poésie au jour le jour 31

(enregistré en juillet 2014)

Sommaire





LES TRÉSORS DE LA MARÉE BASSE

in memoriam Utamaro

pour Anne Slacik

 
1) L’anémone de mer

A la moindre approche
         je me rétracte
en un gros bouton
         de cuir luisant
puis je m’épanouis

2) Le poulpe

Estomac mobile
         avec mes yeux
et mes tentacules
         je fais la chasse
aux miettes vivantes

3) Le crabe

Marchant de côté
         j’ouvre mes pinces
pour saisir mes proies
         les étudier
puis les absorber

4) L’oursin

Hérisson des mers
         jade ou pourpré
perdant mes épines
         je deviens balle
du ping-pong des vagues

5) L’astérie

Pour me déplacer
         j’arque mes bras
sur sable ou rocher
         cherchant fortune
de crique en bassin

6) L’hippocampe

Cheval de parade
         sur l’échiquier
de filets et d’ombres
         entre deux eaux
porteur de portées

7) La coquille saint-Jacques

Jonchant le chemin
         des pèlerins
qui m’ont dégustée
         noix et corail
entre deux étapes


 
 
 
 

ONZE CENT ONZE

pour Bertrand Dorny

avec un salut à Victor Hugo qui le premier a su nous découvrir les vertus esthétiques du chiffre onze cent onze :

 “Il y avait un certain temps déjà que neuf heures avaient sonné au vieux clocher roman couvert de lierre qui partage avec l’église de Saint-Brelade de Jersey la bizarrerie d’avoir pour date quatre un : IIII; ce qui signifie onze cent onze.”

Les Travailleurs de la mer, III, I, 1


 
Quatre bâtons sur une ardoise
avec la craie pour les romains
c’est quatre mais pour les arabes
cela dépasse mille et un
Une minute se faufile
parmi les styles et calames
une heure vient la relayer
avec ses cloches et cadrans
  En 1111 en France règne Louis le Gros
Quatre barreaux de fer scellés
aux fenêtres de la prison
de l’autre côté de la grille
le temps passé se rit de nous
Une heure tourne les minutes
dans sa marmite de sorcière
un jour s’applique à les filtrer
pour en extraire les alcools
Quatre fissures dans le mur
pour laisser passer les fantômes
des quadrupèdes antérieurs
aux catastrophes planétaires
Une journée tresse les heures
avec leurs à-coups et retards
une semaine les tricote
avec leurs oublis et projets


IIII
un petit empire

450 troufions     450 sous-fifres
75 sergents   75 adjoints
25 capitaines   25 directeurs
5 généraux    5 ministres
1
empereur
_________________________
555     +     1    +     555

Quatre tours autour du château
pour engranger les souvenirs
multiplier les araignées
avec leurs pièges à nouvelles
La semaine compte ses jours
pour en arriver au dimanche
le mois détaille quatre phases
pour programmer fêtes nocturnes
Quatre mâts et leurs pavillons
les marins roulent leurs cordages
les poissons pendus par les ouïes
l’odeur de l’iode et du calfat
Le mois égrène ses semaines
comme un moine son chapelet
la saison passe d’équinoxe
en solstice et vice-versa
Quatre bouteilles dans la cave
pour fêter la fin de la guerre
qu’elles ne vieillissent pas trop
et puis nous les remplacerons
La saison rumine ses mois
tandis que la végétation
feuillette l’agenda de l’an
pour savoir quand pousser ses cris


1111 = 11 x  101

Quatre doigts devant le visage
pour qu’on devine le sourire
ou quatre mèches sur la tempe
sortant de la mer à midi
L’année passe en revue les mois
vérification des couleurs
le siècle trie ses décennies
comptabilisation des chutes


1111  =  (10  x  111)  +  1

Quatre balafres sur la joue
après une journée de rixes
dans les bas-fonds de Buenos-Aires
quatre cigares dans la poche
Le siècle entasse les années
comme un vieil avare ses sous
le millénaire vient ouvrir
des issues dans l’encombrement


Dans le catalogue de l’Écart
arriverons-nous jusqu’au
cent onze cent onze
11111
?

Quatre griffes en signature
sous les jambages et les chiffres
avec les ombres des feuillages
sur les cahiers des écoliers
Le millénaire voit les siècles
s’écrouler les uns sur les autres
les ères passent sur les ruines
attendant leurs archéologues

 
 
 
 
 

L’ABREUVOIR DE LA PRINCESSE

pour Joël Leick
Courant dans les quadrillages
des prairies cruciverbistes
pour se délivrer du taon
qui l’assaille jour et nuit
Io retrouve la baignoire
qui servait en son palais
à ses toilettes intimes

C’est Hermès qui l’encourage
à boire cette eau magique
pour retrouver forme humaine
puis la conduire en Égypte
épouser le pharaon
dans les temples des déesses
qui ont des cornes au front


 
 

LEURRE
 

 Missive qui promettait illusoirement monts et merveilles à ses destinataires
 - et quelques-uns s’y sont laissés prendre sans doute, poissons d’eau douce -,
 missive qui nous parvient rescapée de maints déménagements et décharges,
 porteuse de son élégance intacte d’escroc ingénu

 
 
 

L’ISSUE

pour André Raboud

 
 
C’est la porte du siècle
et l’on ne réussit
pas à l’ouvrir cela
fait déjà des années
que l’on essaie s’acharne
sans aucun résultat

On a bien consulté
toutes sortes d’experts
et cela grince et branle
mais en vain pas moyen
d’ouvrir cette barrière
et traverser le seuil

Et certains imaginent
impatients qu’il faudrait
faire sauter tout ça
terreur et destruction
raser les vieilles tours
crever le mur du temps

Mais après la secousse
les linteaux et verrous
ont repris leurs factions
insensibles aux voix
qui crient dans l’incendie
la famine ou les coups

On aperçoit pourtant
à travers les fissures
les voyages promis
depuis des millénaires
et le renversement
des pouvoirs d’aujourd’hui

Pour ouvrir ce miroir
et nous débarrasser
des ingénieux virus
du siècle précédent
force nous est de fondre
la clef d’incantation


 
 
 

INAUGURATION

pour Joël Leick

 
Ouvrir l’oeil la bouche la main les bras
l’objectif la serrure le coffre la vitre
le ban le bal la fête le festival
l’opéra le concours l’exposition le palmarès
la séance les délibérations les hostilités
les négociations les frontières les échanges
le courrier le testament la succession
les perspectives les horizons les conversations
la saison l’époque le siècle le paradis

 
 
 
 

LE BOIS SACRÉ

pour Joël Leick
          Les profanateurs n’ont pas hésité à tourner leurs lance-flammes sur Brocéliande. A toutes les questions des journalistes ils répondent qu’ils ne savaient rien, qu’ils ont agi sur ordre, et qu’ils sont désolés. Mais leur visage est devenu vert et ils prennent racine dans les marais d’alentour pour contempler, immobiles durant de longues années, le désastre qu’ils ont provoqué.

 
 

RUMINATION
 
 
 

Les sabots sur notre plancher
nous regardons filer les trains
qui sont maintenant si rapides
qu’ils sont devenus des fantômes

Il est désormais inutile
d’essayer de tourner la tête
pour accompagner leur passage
de nos yeux de goudron tranquille

Comme un coup de fouet dans un cirque
sur leurs rails ils se précipitent
vers un destin qu’ils ne connaissent
pas plus que nous qui les aimons

Ces gens qui boivent notre lait
se nourrissent de notre viande
font des sacs avec notre cuir
des fêtes avec notre mort


 
 
 
 

LA MUSE ÉLECTRIQUE

pour Maxime Godard
Il suffit que tu me regardes
pour que des insectes grésillent
dans les disques de mon ordinateur
ils vont chercher des informations
dans bibliothèques et jardins
et composent des bouquets de textes
que je n’ai plus qu’à mettre dans tes mains

 
 
 

AU FOND DU JARDIN

pour Vincent Bioulès

 
De l’autre côté du pré
où brillent des fleurs sauvages
graminées de balançant
pissenlits sous la rosée
l’école de mon enfance
lance toujours ses cris verts
pendant les récréations

Au long des quatre saisons
les ombres des arbres tournent
d’abord le dessin des branches
puis l’estompe des bourgeons
les touches de l’éclosion
les parfums et les pétales
les fruits la pourpre et la pluie

Les ongles d’un clavecin
se faufilent sur les touffes
y aiguisant leurs ciseaux
leurs épingles leurs aiguilles
pour recoudre les accrocs
dans l’écoulement du temps
et les pliages du soir

Quand c’est le temps des oiseaux
l’imagination des merles
cherche les meilleurs endroits
pour disposer ses dialogues
et quand les rayons de Lune
remplacent ceux du Soleil
le rossignol improvise

Le parfum du foin coupé
les murmures des lavandes
l’éveil des fleurs d’oranger
les alcools des bigarades
la douceur des abricots
les dents sur la peau des pommes
le jus coulant sur les doigts

Un tas de sable doré
une plage à domicile
avec récipients divers
que l’on rangera demain
des parasols à rayures
et des meubles de métal
qu’il faudra bientôt repeindre

Les fenêtres se transforment
en rectangles de lumière
sur le mur de la maison
qui s’assombrit peu à peu
on interrompt sa lecture
et l’on referme le livre
qu’on ne peut plus déchiffrer

Et les signes du zodiaque
quand la nuit s’est éclaircie
entre nuages et fumées
accompagnés de planètes
font défiler leurs emblèmes
pour donner inspiration
aux veilles des solitaires


 
 
 

ROTATION

pour Pierre Starobinski

 
1 (janvier)

On l’attendait depuis longtemps
quelques flocons étaient tombés
recouvrant les toits puis fondant
et se transformant en glaçons
le long des troncs et des gouttières
mais maintenant c’est le grand blanc
qui couvre les os de la Terre
de son drap de cérémonie

2 (février)

Les roues grincent les amateurs
sortent des wagons suspendus
avec leurs planches sur l’épaule
et leurs bâtons à leurs poignets
puis ils zigzaguent sur les pistes
et les jeunes gens font des sauts
en se retournant sur les bords
du demi-tuyau préparé

3 (mars)

Le grand blanc va jusqu’au grand bleu
où les avions laissent leurs traces
la découpure s’agrémente
d’ombres et de rayons changeants
on apprend l’alphabet des cimes
en cherchant le moyen d’aller
de l’autre côté de la barre
découvrir les versants intacts

4 (avril)

La couverture s’amincit
des museaux sortent de leurs trous
une marée de langues vertes
monte à l’assaut de la blancheur
qui s’irise sous les éclats
s’insinuant entre les branches
des mélèzes dont les bouquets
s’entrouvrent comme des paupières

5 (mai)

Il faut monter beaucoup plus haut
pour trouver les pistes propices
les machines sont arrêtées
des flaques sur tous les rochers
entourées de touffes de fleurs
qu’insectes viennent visiter
poursuivis par jeunes oiseaux
perfectionnant leurs nouveaux cris

6 (juin)

Depuis le fond de la vallée
les arbres fruitiers s’échelonnent
leurs floraisons se succédant
couvrant les vergers d’une neige
de pétales que le vent lève
en tourbillons dans le soleil
qui réchauffe les forêts noires
jusqu’aux limites des glaciers

7 (juillet)

Les machines étincelantes
déversent maintenant touristes
avec souliers cloutés cordages
suivant les guides vers les cimes
de quelque muraille au-dessus
des prés où tintent les sonnailles
des troupeaux en villégiature
pour se repaître d’horizon

8 (août)

Déjà les parois répercutent
premiers roulements de tonnerre
les escaladeurs se dépêchent
avec leurs piolets et pitons
de redescendre avant l’averse
par les corridors incertains
qui leur permettront de rejoindre
sentiers refuges et foyers

9 (septembre)

Le paysage se transforme
à chaque minute soudain
tel rideau de pluie se déplace
pour nous découvrir une scène
de délices inattendues
inondée par le projecteur
du Soleil qui presque aussitôt
part illuminer autre chose

10 (octobre)

Cailloux bleus devant schistes rouges
avec l’écru de la falaise
les mélèzes deviennent jaunes
et les herbes rousses les arbres
flamboient dans le fond des vallées
où l’on termine les vendanges
dans la station les commerçants
prennent à leur tour leurs vacances

11 (novembre)

On a fleuri les cimetières
les mélèzes n’ont plus d’aiguilles
le vent fait grincer leurs branchages
les corbeaux tournoient sur les pentes
quelques promeneurs solitaires
fendent la pluie pour méditer
les gens regardent la télé
quand déjà quelques flocons planent

12 (décembre)

Tous les professionnels sont là
pour préparer le démarrage
de la saison skis restaurants
les magasins de vêtements
on visse puis on vérifie
que tout baigne dans l’huile et puis
des sapins à bougies partout
et carillons dans les églises


 
 
 
 

TORNADE LÉGÈRE

pour Jean Miotte
1

Les roseaux sur la surface de l’étang
le fouet enlacé au lasso disperse
les brindilles filant à la dérive
la plume d’un geai tombe sur les bulles
près du train d’antan qui part dans la brume
une vague brusque efface l’image

2

le fouet enlacé au lasso escalade
les tuyaux d’orgue pour finir la phrase
barres de mesure à l’assaut des nuages
avec la vibration d’une lame de cuivre
une vague lisse efface l’image
prolonge une fissure dans mes os

3

Le point d’orgue pour finir la phrase
parmi les éventails de ressorts et d’aiguilles
avec le trépignement d’adjectifs acides
le point-virgule relance les dés
prolonge une fougère dans mes os
sur le tapis du silence velouté d’ail

4

Parmi les éventails de ressorts et balanciers
l’archet s’appuyant sur les doubles voies
les secondes culbutent dans la coupelle transparente
puis rebondissent en gerbes d’algues métalliques
sur le tapis du silence velouté d’ambre
pour nous prendre aux pièges de leurs cadrans

5

L’archet s’appuyant sur les doubles cordes
les poings serrés sur les commandes
le chevalet enjambant les tranchées
où les impulsions nerveuses sèment leurs nouvelles
pour nous prendre aux pièges de leurs tremblements
cuisant au soleil de nos industries

6

Les poings serrés sur les outils
les roseaux sur la surface de la plaque
le pied sur la pédale du frein
le damier des cultures qui vire avec l’encre
germant au soleil de nos industries
près du train d’antan qui fond dans les eaux


 
 
 

CARRÉ DES MÉTÉORES

pour Henri Maccheroni

 
Nous avons arpenté les rues
pendant des siècles de jeunesse
le ciel avait des cheveux blancs
le Soleil est devenu noir
nous avons parcouru la Terre

Les poings fermés les dents serrées
nous avons arpenté les rues
les toits devenaient dents de scie
nous cherchions la clef la formule
dans les mâchoires du dragon

Une torche dans notre tête
une forge dans notre coeur
nous avons arpenté les rues
interrogeant les inconnus
déchiffrant graffiti et stèles

La faim tourmentait nos entrailles
grelottant de peur et d’ennui
ruisselant de sueur et d’oubli
nous avons arpenté les rues
perdant nos papiers et nos traces

Nous avons fouillé dans le sable
dans les cendres et les gravats
pour retourner les nécropoles
reconstituant des métropoles
nous avons arpenté les rues

Avec nos caméras et brosses
nous avons fouillé dans le sable
pour relever des inscriptions
le Soleil retrouvant son or
le ciel naviguant outre mer

Les fantômes se rassemblaient
les chacals criaient dans la nuit
nous avons fouillé dans le sable
pour retrouver des ossements
perles ayant perdu leur fil

Campant sous la tôle ou la toile
serrant cordages ou lacets
en imaginant des royaumes
nous avons fouillé dans le sable
dégageant bijoux et monnaies

Nous avons caressé la peau
de momies tombant en poussière
tentant par notre humidité
de raviver couleurs anciennes
nous avons fouillé dans le sable

Parfois soulevant les cheveux
nous avons caressé la peau
de secrétaires d’infirmières
ou de jeunes archéologues
entre sommeil et réflexion

Séduits par regards et sourires
les attendant au crépuscule
nous avons caressé la peau
de leur poitrine et de leur ventre
en essayant de leur parler

Dans le silence traversé
par leur respiration rapide
et la furie de notre sang
nous avons caressé la peau
de leur visage et leur voyage

Nous avons parcouru la Terre
déserts océans toundras villes
et dans toutes nos aventures
incorrigibles solitaires
nous avons caressé la peau

Des animaux et des sirènes
nous avons parcouru la Terre
sur l’hippogriffe du pétrole
perdant le Nord et le trouvant
dans la révolution des ombres

Toutes boussoles affolées
scrutant les signes d’horizons
nous avons parcouru la Terre
forêts marais fleuves montagnes
prenant les empreintes du temps

Branches tordues roseaux saignant
de leur encre sur le papier
nymphes des étangs et faubourgs
nous avons parcouru la Terre
sous le fouet des intempéries

Nous avons arpenté les rues...


 
 
 

TREIZE À LA ONZAINE

pour Bertrand Dorny
Onze est un mètre rarement employé
par nos poètes dans leurs compositions
hendécasyllabe disent les savants
c’est pourtant le vers utilisé par Dante
pour écrire sa Divine Comédie
mais c’est très difficile dans notre langue
où cela donne l’impression de boiter
ce qui certes convient admirablement
à notre âge à notre temps aux catastrophes
qui nous circonviennent dans cet Enfer
cherchant Purgatoire vers un Paradis

 

Cet ouvrage réalisé
à Paris et Lucinges
 pour le 11 novembre
2003
est enregistré à l’avance
dans le catalogue
de l’Écart
sous le numéro
11 x 11 x 11
à savoir 1331


























LE LOUP CHERCHE SA VOIE

pour Kaviiik
      Le loup ne se consolait pas d’être un loup et d’être traité comme un loup. Admirant les hommes il aurait aimé les servir comme un chien. Il aurait égorgé leurs moutons à leur place et les aurait déposés à leurs pieds. Mais ils ne voulaient rien entendre de ce genre et le visaient avec leurs armes dès qu’il s’approchait de leurs bergeries.

     Aussi faisait-il de longs détours pour éviter leurs habitations; mais la haine des bergers ne s’en satisfaisait pas pour autant. Dans les endroits les plus sauvages, où l’on s’y serait le moins attendu, ils avaient disposé d’ingénieux pièges à mâchoires métalliques beaucoup plus tranchantes que celles des loups, et un jour, aveuglé par ses propres larmes, il s’y laissa prendre.

     Ce n’est pas seulement sa patte qui se mit à le brûler, mais le monde entier. Le Soleil ricanait en émettant des flammes qui calcinaient prés et forêts. Tout était devenu sable et roc avec des lacs de lave. Il ne pouvait que fuir et fuir jusqu’au moment où lui apparut l’oasis.

     C’étaient de grands arbres de toutes sortes, palmiers, cèdres, d’autres encore, qui semblaient le reconnaître et l’accueillir. Du plus grand d’entre eux coulait une source miraculeuse qui guérit ses blessures et brûlures, tandis que les feuilles le caressaient. Mais s’il ne souffrait plus de la même manière, chacun de ses pas laissait pourtant des traces de sang, auprès desquelles il en vit bientôt d’autres qui étaient certainement celles d’un oiseau.

     Comme il continuait par dunes et pierriers autour desquels des touffes de fleurs éclosaient à son passage, il sentit que chacune de ces autres traces se transformait en plume pour le précéder; et de leur tourbillon naquit un grand oiseau couleur de pivoine et de pourpre.

     L’oiseau volant et revolant fit monter le loup jusqu’au sommet d’une colline et lui découvrit un lac silencieux dont les rives bordées de roseaux balancés par le vent dessinaient comme un cygne palpitant qui l’invitait à venir se mirer dans ses eaux.

     Mais s’amoncelèrent de terribles nuages qui le menaçaient avec des dents de pièges et des regards d’hommes enragés, double ouragan qui arrachait tout sur son passage tandis que la foudre frappait en tous sens et que le loup perdait sa respiration sous la bourrasque.

     Soudain la gueule de l’orage aspira toute l’eau du lac, et les éclairs devinrent des ailes, les nuages des plumes blanches et le tonnerre un chant d’espoir et de mélancolie. A la place du lac disparu se tenait un cygne bleu transparent qui répandait sur la terre dévastée une bénédiction de bulles.

     La nuit était venue avec sa fraîcheur. Depuis la poitrine du cygne la Lune éclairait les ailes de nuages qui faisaient danser dans leur brise les arbres retrouvant toute leur verdeur et leur énergie de fructification. Le loup s’efforçait de suivre cette enseigne vive en pleurant de tendresse et soulagement devant ce spectacle auquel il ne parvenait pas à croire.

     De plus en plus souvent l’épaisseur des broussailles l’empêchait de voir le cygne céleste, mais chacun des pas ou des battements d’ailes de celui-ci déposait une flaque lumineuse qui permettait au loup non seulement de se désaltérer mais de se voir et de se réconcilier peu à peu avec son apparence.

     Tout le jour suivant et bien d’autres jours il a suivi la voie des flaques. Voulant avidement retrouver cette vision, il allait et montait sans savoir où jusqu’au moment où il dépassa non seulement l’étage des arbres mais aussi celui des arbustes et déboucha sur une lande brusquement interrompue par l’abîme d’une falaise abrupte.

     Dans la blancheur du petit matin où le vent soufflait par rafales, plus trace de cygne; mais depuis les villages des hommes qui s’éveillaient dans leurs vallées, voici que revint le trouver l’oiseau de feu qui grandissait en s’approchant, remontant à travers les trouées entre les nuages, grandissait, grandissait encore jusqu’à ce que son oeil prenne la taille de la Lune.

     Or c’était dans cet oeil de Lune, la même eau lumineuse que dans les flaques de la piste, la même que dans la fontaine de l’arbre; et dans son image au milieu des larmes qui semblaient des cygnes d’eau, il s’aperçut qu’il avait lui-même désormais un regard de cygne.

     Il s’aperçut alors qu’il n’avait plus envie de déchiqueter des moutons, qu’il pourrait vivre de traces et de flaques, de plumes et pluies, qu’il n’avait plus envie de s’approcher des hommes, mais de les attirer en hurlant doucement dans le jour nocturne de l’oiseau rouge et bleu pour leur faire découvrir du haut de la falaise l’immense paysage autour de leur vallée, la multiplication des Soleils et des Lunes qui ruisselait de son propre coeur.


 
 
 
 

À TRAVERS L’ATLANTIQUE

pour René Piniès
      C’était au début des années 70. Je revenais de mon premier séjour au Far West, et je m’installais à Nice où la faculté des lettres m’avait invité comme professeur, poste qui devait durer trois ans, mais en me laissant entendre qu’il pourrait se stabiliser dès que j’aurais soutenu ma thèse sur dossier, ce qui ne s’est pas réalisé à cause d’un changement de vent politique à l’intérieur de l’université française.

     J’ai reçu une lettre de Gaston Puel que je ne connaissais pas encore même si son nom comme poète m’avait déjà frappé. Il me proposait de faire un livre avec une artiste d’origine russe dont je n’avais jamais entendu parler, Ania Staritsky. Or celle-ci était une amie intime d’amis niçois chez qui elle allait souvent, ce qui nous a permis de nous rencontrer et nous apprécier. Nous avons fait depuis de nombreux livres ensemble jusqu’à sa mort.

     Elle voulait utiliser un papier du moulin de la Roque avec des trous préformés pour permettre à certains détails de traverser la page pour se mêler à d’autres; ce qui m’a donné l’idée de faire moi-même un texte en utilisant un système de feuilles trouées, ce qu’avait déjà fait dans leur domaine certains amis musiciens. C’était l’enfance des ordinateurs, grosses machines alors que l’on nourrissait avec des cartes perforées.

     L’alliance de la combinatoire avec la séduction du beau papier artisanal nous a conduits tout naturellement au thème de Don Juan avec son catalogue. C’est ainsi qu’est née ma Chanson pour celui-ci dont les versions se développent encore. Ania Staritsky a voulu faire, outre le livre, une affiche gravée avec mes strophes. Gaston Puel nous a donné pendant toute l’affaire la plus entière liberté.

     Il a fallu pour cela de la correspondance. J’avais pris l’habitude, depuis quelques années, d’écrire mes lettres sur des cartes postales découpées et recollées de toutes sortes de façons. Comme je repartais encore pour un an avec ma famille dans le Far West en 1973-4, Gaston m’a proposé de faire un petit livre pour sa belle petite collection “le bouquet” qu’il composait et tirait lui-même, un livre que j’illustrerais par une de mes cartes. C’était la première fois qu’on me prenait pour un artiste. J’étais ravi.

     J’ai fait le nombre voulu de montages avec des vues représentant le campus de l’université du Nouveau-Mexique ou des avions de compagnies aériennes. On pouvait alors trouver facilement celles-ci dans les pochettes à l’intérieur des appareils, près des magazines et prospectus. Comme ce texte n’a jamais été repris, je pense que c’est le moment que je l’exhume en hommage.


 
 

CARTE COMMENTÉE
 

Albuquerque, décembre 1973
 
Mon cher Gaston Puel
             voici
                      je suis allé interroger pour vous
le loup et les nuages
             pénétrants parcourir
                      les bâtiments des approches
loup moi-même et le bleu
             caressant flairer
                      le feu des silences
loup et vent moi-même
             haletant dévorer
                      les délices des regards
lointains et le bleu
             renversant chanter
                      les approches du feu
les falaises et le vent
             (aidez-moi aimez-moi
                      éclats et falaises
études et silences
             portez-moi délivrez-moi
                      lointains et regards)
le bleu et l’immensité
             murmurante éveiller
                      le feu des études
les éclats et les émois
             naissants ouvrir
                      les déserts et les délices
(aidez-moi) et la contemplation
             persévérante commencer
                      la conquête du temps
- un autre temps
             toute l’épaisseur depuis
                      le chronomètre jusqu’à
l’éternité dont parlaient les pères
             de l’église échouée
                      comme un rocher navire
au milieu de l’immensité sèche
             (aidez-moi portez-moi
                      leçons des rochers) -
Marie-Jo revient du supermarché
             Cécile de sa leçon de russe
                      Agnès de la piscine
Irène de son atelier de couture
             Mathilde d’un anniversaire
                      (femmes de la piscine
délivrez-moi et ateliers
             chantants renversez
                      les chronomètres de l’éternité)
en contemplation et chemins
             dévorants haleter
                      à la conquête des femmes
anniversaires et feux
             flairants caresser
                      le royaume des femmes
épaisseurs et délices
             parcourantes pénétrer
                      le sommeil des femmes
avec tous mes voeux non tant
             pour les fêtes prochaines
                      que
pour celles que nous saurons bien
             inventer ou faire inventer
                      votre Michel Butor

 
 
 
 

CENT PHRASES POUR LES ÉVENTAILS D’ARNOLD SCHÔNBERG
 

I
1) Reposeront dans la question paisible de la paix.
2) Ils n’exigeront plus de savoir le chemin.
3) Amasseront et perdront peu.
a) Brûleront les mots et dans les mots, vénérant tous soupirs, parfums, fourrures, humeurs, pierres, éclairs, ombres, étoiles, vents, sources, chemins et mères.
4) Le ciel les sanglera d’amour invulnérable.
5) Désespérément espoir.
6) Art enchaîné ni par savoir ni par devoir.
b) Inventeurs de membres, élèves des oiseaux.
7) Difficultés comme aiguillon.
8) Leurs yeux ne leur serviront plus à ne point voir.
c) Serres pour orchidées volantes, les mousses s’y associeront, laisseront parfois pendre de longs filaments jusqu’aux montagnes, dénicheront le feu de la Terre dans les fissures de leur coeur.
9) Enfants la mère ne vous dérobera plus le sein.
d) Experts en construction de navires et longs voyages, partageront sagesses et vêtements.
10) Plus de maladie nécessaire.
11) Plus de passeport obligé.
12) N’appelleront plus le feu du ciel pour détruire leur vallée de larmes.
e) Allegro bruciando, sa tombe retourne l’horizon.
13) Pressentiments non préjugés.
14) L’Égypte quittée, la longue marche accomplie, leur terre promise découverte, construisant l’autre Jérusalem.
f) L’espace du suspens, pesée de pensée, matière de rêves.
15) Achèveront leur vie en interrogation.
g) Yeux à neuf, oreilles à vif, lettre de corps, esprit de chair.
16) Reviendront dans leur patrie quittée depuis toujours.
17) S’équilibreront comme les étoiles du ciel.
h) Libéreront leurs nostalgies, redécouvriront les consonances.
18) Le coeur de pierre d’Yaweh leur servira d’enclume.
i) Déchaîneront les fugues, jongleront avec les lois.
19) Cloîtrés dans l’ouvert.
j) Déduiront leur syntaxe du matériau, aimeront les balbutiements.
20) Ne tueront point leurs pères et ceux-ci ne les tueront point.

II
21) Ne compteront plus douze mais treize.
22) N’imposeront plus l’image de l’abîme.
23) Le plus jeune exalté, le plus humble célébré.
k) Fouineront dans les dessous des vieux maîtres, tiendront le nerf de l’écho.
24) La Terre leur édifiera son loisir.
25) Ils se souviendront du Vieux du désert.
26) Ne fuiront plus l’omniprésence de l’oeil.
l) Salueront l’autre, immunité au compromis.
27) Transcriront des silences.
28) Leur parole prendra parole.
m) Hardis en lumière, glace des jours purs, feu pur des nuits.
29) Creuseront la tour de Babel.
n) Rêves gardés de leur enfance, plus du moins.
30) La douceur de leur vie passera la douceur de leur mort.
31) Mots-brandons pour usurpateurs.
32) Mithridatisés des discours.
o) Se laisseront prendre à leur bien trouvé, ne s’en voudront plus.
33) Forçant leur force.
34) Frères du malade et du criminel.
p) Choeurs du coeur, évalueront leur ignorance.
35) Les juges se laisseront juger.
q) Ne laisseront rien perdre du chant, regarderont de tous leurs pores.
36) Plus outre.
37) Personne esclave de personne.
r) Interprétation-transformation, transmettront à leurs ancêtres les traditions de leurs enfants.
38) Ne déclineront point l’hoirie d’antan.
s) École buissonnière, joueront à leurs travaux.
39) Renoncer même au sacrifice.
t) Savants, ouvriers, bergers parleront tous patois, ils se trouveront toujours un peu bêtes.
40) Leurs voies ne seront point les voies du Seigneur.

III
41) Compenseront les genres en leurs dévotions.
42) Marqueront le monde sans laisser de traces.
u) Astiqueront leurs complexes, demanderont ce que c’était qu’une réaction petite-bourgeoise.
43) La bouche pleine de cristaux.
44) Riront de leurs oeuvres.
45) Leur agir et non-agir embellira la Nature.
v) Problèmes en main, sans chiper un fil.
46) Laisseront bruire les bruits.
47) Trouveront leur joie
w) Écouteront toutes cloches, ne craindront pas de déplacer les montagnes.
48) Finie la chasse au temps.
x) Ils apprendront à leurs camarades à jouer du piano, nouvelle neige.
49) Couleur des pierres dans le lit du torrent.
50) Chaleur du Soleil à la fin de l’après-midi.
51) Leur chant ranimera celui de la cigale.
y) Bol de lait frais, leur chant ranimera celui de la cigale.
52) Bol de lait frais.
53) Nouvelle neige.
z) Chaleur du Soleil dans la fin de l’après-midi, couleur des pierres dans le lit du torrent.
54) Ils apprendront à leurs camarades à jouer du piano.
aa) Finie la chasse au temps, trouveront leur joie.
55) Ne craindront pas de déplacer les montagnes.
56) Écouteront toutes cloches.
bb) Laisseront bruire les bruits, leur agir et non-agir embellira la Nature.
57) Sans chiper un fil.
cc) Riront de leurs oeuvres, la bouche pleine de cristaux.
58) Problèmes en main.
dd) Marqueront le monde sans laisser de traces, compenseront les genres en leurs dévotions.
59) Se demanderont ce que c’était qu’une réaction petite-bourgeoise.
60) Astiqueront leurs complexes.

IV
61) Ils se trouveront toujours un peu bêtes.
62) Savants ouvriers bergers parleront tous patois.
ee) Leurs voies ne seront pas les voies du Seigneur, renoncer même au sacrifice.
63) Joueront à leurs travaux.
64) École buissonnière.
ff) Ne déclineront point l’hoirie d’antan, personne esclave de personne.
65) Transmettront à leurs ancêtres les traditions de leurs enfants.
gg) Plus outre, les juges se laisseront juger.
66) Interprétation-transformation.
67) Regarderont de tous leurs pores.
68) Ne laisseront rien perdre du chant.
hh) Frères du malade et du criminel, forçant leurs forces.
69) Évalueront leur ignorance.
70) Choeurs du coeur.
ii) Mithridatisés des discours, mots-brandons pour usurpateurs.
71) Ne s’en voudront plus.
jj) La douceur de leur vie passera la douceur de leur mort, creuseront la tour de Babel.
72) Se laisseront prendre à leur bien trouvé.
73) Plus du moins.
kk) Leur parole prendra parole, transcriront des silences.
74) Rêves gardés de leur enfance.
ll) Ne fuiront plus l’omniprésence de l’oeil, ils se souviendront du Vieux du désert.
75) Glace des jours purs feu pur des nuits.
mm) La Terre leur édifiera son loisir, le plus jeune exalté, le plus humble célébré.
76) Hardis en lumière.
77) Immunité au compromis.
78) Salueront l’autre.
79) Tiendront le nerf de l’écho.
nn) N’imposeront plus l’image de l’abîme, ne compteront plus douze mais treize.
80) Fouineront dans les dessous des vieux maîtres.

V
81) Aimeront les balbutiements.
82) Déduiront leur syntaxe du matériau.
oo) Ne tueront point leurs pères et ceux-ci ne les tueront point, cloîtrés dans l’ouvert.
83) Jongleront avec les lois.
84) Déchaîneront les fugues.
pp) Le coeur de pierre d’Yaweh leur servira d’enclume, s’équilibreront comme les étoiles du ciel.
85) Redécouvriront les consonances.
qq) Reviendront dans leur patrie quittée depuis toujours, achèveront leur vie en interrogation.
86) Libéreront leurs nostalgies.
87) Lettre de corps esprit de chair.
rr) L’Égypte quittée, la longue marche accomplie, leur Terre promise découverte, construisant l’autre Jérusalem, pressentiments non préjugés.
88) Yeux à neuf oreilles à vif.
ss) N’appelleront plus le feu du ciel pour détruire leur vallée de larmes, plus de passeport obligé.
89) Pesée de pensée matière de rêves.
tt) Plus de maladie nécessaire, enfants la mère ne vous dérobera plus le sein.
90) L’espace du suspens.
91) Sa tombe retourne l’horizon.
92) Allegro bruciando.
93) Partageront sagesses et vêtements.
uu) Leurs yeux ne leur serviront plus pour ne point voir, difficultés comme aiguillon.
94) Experts en construction de navires et longs voyages.
95) Dénicheront le feu de la Terre dans les fissures de leur coeur.
96) Serres pour orchidées volantes les mousses s’y associeront laisseront parfois pendre de longs filaments jusqu’aux montagnes.
vv) Art enchaîné ni par savoir ni par devoir, désespérément espoir.
97) Élèves des oiseaux.
98) Inventeurs de membres.
ww) Le ciel les sanglera d’amour invulnérable, amasseront et perdront peu.
99) Vénérant tous soupirs parfums fourrures humeurs pierres éclairs ombres étoiles vents sources chemins et mères.
xx) Ils n’exigeront plus de savoir le chemin, reposeront dans la question paisible de la paix.
100) Brûleront les mots et dans les mots.
 


 
 
 

LA POSE ET LA ROSE

pour Gregory Masurovsky
Le modèle se multiplie
sous les doigts du dessinateur
comme dans les autoportraits
c’est toujours un autre visage
la femme se présente aux yeux
sous de nouvelles perspectives
un paysage inépuisable
pour le Don Juan qui nous habite

Alors sur toutes les coutures
qui se défont dans le regard
une lingerie d’inscriptions
tatouages interchangeables
déploie ses improvisations
parmi pétales et silences
un interminable effeuillage
des parures de l’atmosphère


 
 
 

HEXAGONES EN DÉSARROI

pour Bertrand Théry
Nos antennes s’embrouillent
et nous n’arrivons plus
à trouver le chemin
qui ramène à la ruche
où sommes attendues
par nos soeurs ouvrières

Nos yeux multipliés
ne voient plus que des ombres
comme si la journée
était déjà finie
l’hiver va nous surprendre
égarées dans les champs

Je ne sais quel poison
s’insinue dans nos veines
nos ailes ralentissent
nos pattes maladroites
ne nous permettent plus
d’amasser le pollen

Nous aimons la fumée
que vous venez répandre
avec votre costume
ultra-cérémonieux
lorsque vous récoltez
le miel de nos rayons

Nous vous faisions confiance
nous savions qu’en échange
vous nous apporteriez
tous les soins nécessaires
à nos architectures
et nos nourrissements

Mais que s’est-il passé ?
Le pacte est-il rompu ?
Nous abandonnez-vous ?
N’êtes-vous plus capables
de nous entretenir
et de nous protéger ?


 
 
 

CORPS À CORPS

pour Mathias Pérez

 
Nous n’en aurons jamais fini
de nous émerveiller devant
le corps de la femme depuis
douces cavernes prénatales
jusqu’aux hiéroglyphes des rides
résumant toute une expérience
vêtir dévêtir pénétrer
l’évidemment impénétrable

Changeant les mythes et les poses
l’accompagnement le climat
la proximité l’abstraction
mettant au point des alphabets
pour nous inventer d’autres langues
afin de chanter et nous taire
nous glisser entre les surfaces
de cette chair philosophale

Quant au corps de l’homme il faudrait
devenir femme pour pouvoir
le faire briller s’épanouir
le radiographier le lancer
dans l’espace ou dans la peinture
la contemplation ruisselante
au-delà du sexe et des anges
dans la paix dont nous manquons tant


 
 
 

FLEURS ARTIFICIELLES AU BORD DE LA ROUTE

pour Eric Coisel

 
Indépendamment des saisons
ces pétales vont témoigner
qu’ici s’est arrêtée la vie
de quelqu’un qui nous fut très cher
dans un déchirement de tôles
crissements et gémissements
quelques instants de désarroi
dans la circulation massive

Cette inaltérabilité
n’est certes qu’un leurre bientôt
le vent la pluie gel et poussière
et les rayons ultra-violets
vont flétrir et décolorer
ce qui nous faisait illusion
dans l’incessant vrombissement
qui tient ici lieu de silence

Quand nos souvenirs les plus vifs
feront naufrage avec nous-mêmes
tous ces signes à l’abandon
auront perdu leurs déchiffreurs
si l’on met des fleurs sur nos tombes
très vite elles disparaîtront
tandis que de la route même
les ronces couvriront les traces


 
 
 
 
 
 

CHRONIQUE ROMAINE

pour Serge Assier
 1)
Le compas de la pyramide
mesure la distance exacte
entre les amoureux liseurs
et la voiture dont ils rêvent

2)
En donnant du grain aux pigeons
entre les troncs des séquoias
le flâneur dédie à Vénus
le petit temple funéraire

3)
Les écailles des pins reprennent
les attitudes du repos
entre les signes du zodiaque
sur la valise et le ballon

4)
Les deux mains serrant la cambrure
de la charmeuse sur le banc
qui plane sur les graminées
sous les étoiles des voitures

5)
Le lierre dans l’ombre commente
les tendres baisers protégés
par les consolidations d’angles
du vénérable bâtiment

6)
Devant les églises jumelles
dissymétriques l’océan
de la place vide aux pavés
comme des lignes imprimées

7)
Les anges précisent leurs sexes
autour de l’icône veilleuse
tandis qu’un visage fantôme
recouvre le violon dévot

8)
Sur les berges du fleuve antique
sous les anges de la passion
le saxophoniste imagine
les rives du Mississippi

9)
Le violoniste lui répond
en cherchant des accents de Vienne
devant graffiti sibyllins
qui voudraient franchir l’Atlantique

10)
Cela se passera très vite
vous n’aurez pas besoin d’attendre
les attelages de Neptune
accompagneront votre image

11)
D’où viennent ce voile et ces fleurs
se rafraîchissant à l’écume
que le pape d’un autre livre
a fait jaillir pour les amants ?

12)
Les palmiers ouvrent leurs cordages
comme ses bras la jeune fille
interrogeant le lion qui garde
le dos du grand-homme inconnu

13)
Le chien blanc surveille la rue
entre palmes et oliviers
dont les cicatrices regardent
comme les yeux du temps perdu

14)
Aux thermes de Caracalla
le mélancolique tondeur
se pense cocher d’un quadrige
ou pilote de formule un

15)
Le même ballon qu’à Venise
à New York ou à Saint-Denis
la mondialisation des jeux
précède celle des travaux

16)
Ni l’un ni l’autre ne se doute
que l’autre est de l’autre côté
de la clôture cependant
que la parabole interroge

17)
Sous la glycine défleurie
les jeunes filles pacifistes
se racontent leurs aventures
lors de la manifestation

18)
Les déménageurs font descendre
l’escalier couvert de pétales
au canapé monumental
où d’autres se prélasseront

19)
Les énormes pierres du temps
des empereurs laissent la place
entre les grilles du pouvoir
aux délicatesses baroques

20)
Le ruissellement au travers
de l’anneau forgé par le temps
où l’on amarrait les chevaux
pour le débarquement des vivres

21)
On fait la queue pour pénétrer
dans un autobus déjà plein
qui se faufilant dans l’histoire
nous conduira jusqu’au présent

22)
Entre feuilles multicolores
yuccas cyprès et cheminées
on essaie la vespa d’un frère
déjà casqué pour dévaler

23)
Les appliques de la paroi
transforment la ruelle encombrée
en nef d’un garage sacré
où l’on fait bénir les machines

24)
Ils sont tellement habitués
à passer entre les moteurs
que le défilé des modèles
ne leur arrache aucun regard

25)
Le rémouleur motorisé
sous l’enseigne de l’espadon
surveille le filet d’eau fraîche
qui vient désaltérer sa meule

26)
Il s’agit de rendre la vitre
du café Farnèse aussi claire
que le regard de la serveuse
sur la courbe de la poignée

27)
Coiffé de nouvelles sportives
il énumère ses retards
en attendant pour se raser
que l’appareil soit réparé

28)
Dans le bric-à-brac de la ville
éternellement passagère
entre Flore lustre et poisson
il nage aux fleuves souterrains

29)
Les perruches sur les vélos
ponctuent de leurs criailleries
la conversation des voisines
et les saluts des promeneurs

30)
Il suffit de prendre en ses mains
tel trésor de marché aux puces
pour faire s’élargir une onde
de regards envies et questions

31)
Sous les régimes de bananes
et la danse des ananas
pommes poires en étalage
comme galets sur une grève

32)
Dans le mur des publications
informations romans cuisine
informatique histoire langues
une lucarne pour parler

33)
Dans son atelier adouci
par des nudités consentantes
il ajuste son Colisée
d’anneaux débordant l’établi

34)
A l’intérieur de son tunnel
de brique et béton l’ouvrier
se frotte les mains de plaisir
dans le miroir de son travail

35)
Devant le Musée d’Art Moderne
modernité de plus d’un siècle
l’intrication d’automobiles
apporte un défi futuriste

36)
Les irréductibles déploient
leurs écharpes de supporteurs
en descendant joyeusement
depuis la Trinité-des-Monts

37)
Le personnel au grand complet
devant le musée des bouteilles
vient saluer comme au théâtre
après la représentation

38)
Au fond l’obélisque d’Axoum
auquel nul ne prête attention
sans âge comme lampadaires
dans trafic et conversations

39)
Depuis déjà plus de vingt siècles
on repeint et on rafistole
en installant nouvelles routes
des éclairages des égouts

40)
Interdiction de stationner
il faut dégager le regard
pour l’énigme de ce logis
où tous les matériaux concourent

41)
La cycliste fait irruption
dans ce décor que l’on croirait
fait pour un film hollywoodien
lui rendant sa réalité

42)
Les touristes sont une plaie
mais quand ils tardent quel souci
alors on s’installe à leur place
en se tirant bonne aventure

43)
La lanterne de la calèche
devient vitrine d’un fleuriste
un arum y tient lieu de flamme
auprès d’un rameau d’olivier

44)
Les bucoliques de Virgile
se jouent maintenant dans les rues
entre bergers de mobylettes
sous les ombrages des volets

45)
Les sorcières de propreté
avec leurs balais de genêts
regardent au fond de la fosse
l’orchestre des chats faméliques

46)
C’est le logis des sans-logis
sous l’arche du pont éclairé
par la municipalité
le jeu y fait passer le temps

47)
Les chemises des visiteurs
dans les loges du Colisée
semblent bouquets de roses blanches
pour les jeunes mariés tout neufs

48)
Attention ! danger de glissade
disent les signaux sur les murs
dans le ruissellement des marbres
aux épuisés des galeries

49)
A travers les trois ouvertures
de l’arc de Constantin la vie
quotidienne envoie ses embruns
pour rajeunir l’ecclésiastique


 
 
 
 
 

VINGT ANNÉES-FESTIVAL

pour Serge Assier
1) Les reporters

Une arène de photographes
derrière celui qui les prend
l’autre côté est aussi plein
grésillant de flashs et déclics

Avec leurs boîtiers en tous genres
certains se contorsionnent pour
pêcher l’image inattendue
qui fera rire leur journal

2) Les jeunes stars

Le trac en gravissant les marches
pour la première fois les robes
découvrant de belles épaules
les sourires un peu contraints

Quant aux hommes pour la plupart
ils sont engoncés dans leur frac
noeud papillon obligatoire
sauf pour les poses sur la plage

3) Les vieilles stars

Rien ne les intimide plus
un grand métier dans le sourire
l’usage des mondanités
comme des altesses modestes

On salue la foule en délire
d’un petit geste de la main
et l’on applaudit les plus jeunes
pour capter leur vitalité

4) Les représentants de l’ordre

Accumulation de képis
sur certains endroits stratégiques
dans le palais grand uniforme
fraîchement astiqué brossé

Ils veulent profiter des stars
mais doivent avoir l’oeil partout
se faisant discrètement voir
décoratifs et rassurants

5) Le public

Soigneusement canalisé
il doit souvent se contenter
des emballages de la fête
palissades cordons gardiens

Mais il arrive qu’on lui lâche
quelque entreprenante starlette
qui ne demande qu’à montrer
son anatomie savoureuse

6) Les organisateurs

Ils font sentir leur importance
dans la coulisse et les abords
mais parfois viennent par devant
pour accueillir ou présenter

Dans la somptueuse chambre noire
quand on distribue récompense
c’est eux qui pour la circonstance
font ruisseler les éclairages


 
 
 
 
 

LIVRES TROUVÉS

pour Jane Otmezguine
Gîte après gîte on rencontre
toutes sortes de gens comme
aux auberges des romans
d’autrefois que de visages !
aventures de familles
qu’on désire préserver
mobilier accumulé
depuis des générations

Sur les rayons des salons
ou des chambres quelques livres
oubliés par des clients
mais parfois trésors du père
ou d’un enfant disparu
des guides pour ses voyages
lors de soirées monotones
vers des mondes entrevus


 
 
 

DE LA BELLE MANIÈRE

pour Michel et Monique Roncerel
Apprivoisant les ténèbres
jusqu’au velours bourdonnant
qui sépare les étoiles
nous captons l’apparition
des créatures venues
de la manière et matière
de nos angoisses nos rêves
en leur beauté convulsive
réfléchis par les miroirs
des télescopes mentaux
aux confins de l’univers

Mon cher silence
viens près de moi
pour célébrer
nos découvertes
au labyrinthe
de tes cheveux
qui communique
avec les ombres
du nombre pi
sur nos poitrines
dans le matin

Mon cher soupir
allons chercher
l’autre côté
de nos empreintes
afin d’ouvrir
secrètement
une poterne
dans les remparts
de la lumière
et devenir
maîtres du temps


 
 
 
 

COMPLAINTE DES 15 ANS

pour Pia Assier
Ne sais qui je suis
ni ce que j’étais
je sais encor moins
ce que deviendrai
dans un an d’ici

Ne sais où j’en suis
pas plus d’où je viens
cherchant où je vais
me heurte partout
je trouverai bien

Et chaque matin
mon miroir me montre
un autre visage
auquel je grimace
et puis je souris


 
 
 

LA VILLE ENGLOUTIE

pour François Garnier
Les pêcheurs qui rentrent tard
aperçoivent dans les vagues
les clochers et les tourelles
qui émergent lentement
des lames d’ardoise fine
puis fenêtres et balcons
tandis que sonne le glas
pour avertir du danger

Se hissant sur les terrasses
des jeunes filles marines
lancent comme des appels
cavatines cantilènes
avant de plonger soyeuses
dans la remontée des eaux
tandis que sombrent les toits
sous le couvercle d’écume


 
 
 

AILES DANS LA JUNGLE

pour Claude Viallat

 
 
        Les respirations                                                                              Les parfums des fleurs
        les couleurs des feuilles                                                                   les inspirations
        osciller couler                                                                                 les mouvements lents
        les odeurs du soir                                                                            palpiter dormir
        inlassablement                                                                                les cris dans les branches
        les bruits des torrents                                                                      une aile s’éveille
        une aile frémit                                                                                murmures du vent
 
 

                                                              1
 
 

        Diamants émeraudes                                                                        Les épines vives
        les passages sombres                                                                        cajoler siffler
        les déclarations                                                                                 les venins subtils
        les écorces sèches                                                                             une aile s’enflamme
        une aile s’envole                                                                               corolles et crocs
        les rameaux de gueules                                                                      appeler partir
        délicieusement                                                                                  les pistils gluants
 
 
 
 

        Chaleureusement                                                                               Les taches de ciel
        étamines longues                                                                               une aile s'enrage
        une aile s’embrase                                                                             ocelles moustaches
        les grognements sombres                                                                    bramer éclater
        les accouplements                                                                              fourrures et cornes
        grondements d’entrailles                                                                     les accouchements
        voler soulever                                                                                    pelages de nuages
 

                                                        Une aile triomphe
                                                        les soupirs d’espoir
                                                        audacieusement
                                                        les baisers la nuit
                                                        glapir grésiller
                                                        silences grimaces
                                                        les dévorations
 

        Cascades festins                                                                                 Les explorations
        une aile s’enivre                                                                                 les accords profonds
        fourrés dangereux                                                                               une aile s’enchante
        subrepticement                                                                                   racines crevasses
        les ombres des loups                                                                           solennellement
        roucouler râler                                                                                    cavernes repaires
        les ténèbres vertes                                                                               piailler jacasser
 
 
 
 

                                                        Tremblements des lianes
                                                        les admirations
                                                        bondissements fauves
                                                        une aile se lasse
                                                        les terreurs nocturnes
                                                        musicalement
                                                        les couleurs du vent
 

        Se terrer se taire                                                                                Mouvements très lents
        les odeurs du feu                                                                               renifler ronfler
        les stupéfactions                                                                                les cris dans les herbes
        les bruits des ravages                                                                         les éloignements
        une aile dérive                                                                                   les murmures tendres
        les parfums du sol                                                                              une aile descend
        instantanément                                                                                  passages de cornes
 

                                                        Voluptueusement
                                                        clairières babines
                                                        les queues et les dents
                                                        les écorces grises
                                                        les interdictions
                                                        les rameaux rubis
                                                        une aile s’endort


 
 
 
 
 

        Une aile est visée                                                                              Ruser parcourir
        amoureusement                                                                                une aile est touchée
        les venins sournois                                                                            momentanément
        les cous et les griffes                                                                         les grognements noirs
        corolles volutes                                                                                 les becs et les serres
        les générations                                                                                  les grondements secs
        les pistils brillants                                                                              les pénétrations
 
 

                                                               2
 
 

        Les taches de sang                                                                            Les écorchements
        chercher farfouiller                                                                            les soupirs d’amour
        une aile est blessée                                                                            secouer charmer
        progressivement                                                                                une aile est en sang
        les fourrures grises                                                                            minutieusement
        fumées étincelles                                                                               les silences rouges
        pelages de feu                                                                                   tonnerres orages
 
 
 
 
 

        Cascades coquilles                                                                            Tornades cassures
        les respirations                                                                                  accords préparés
        les fourrés menteurs                                                                          les inspirations
        tourner secourir                                                                                racines ténues
        une aile fiévreuse                                                                              brasiers craquements
        volcans projections                                                                            une aile guérit
        ténèbres vertiges                                                                               éruptions coulées
 

                                                        Tremblements de lueurs
                                                        anges musiciens
                                                        bondissements d’orgues
                                                        les déclarations
                                                        terreurs feulements
                                                        incendies paniques
                                                        une aile atterrit
 

        Flaques fondrières                                                                            Les mouvements souples
        les odeurs du vent                                                                            échos et rumeurs
        dryades et muses                                                                              les cris étonnés
        les bruits des halliers                                                                         vibrations messages
        les rapprochements                                                                           une aile repart
        une aile s’étire                                                                                  les accouplements
        osciller couler                                                                                   les passages d’anges
 
 
 
 
 

                                                        Palpiter dormir
                                                        les clairières douces
                                                        inlassablement
                                                        une aile remonte
                                                        éventails couronnes
                                                        rameaux cavalcades
                                                        les accouchements
 

        Les épines blanches                                                                           Les dévorations
        veiller retentir                                                                                    une aile escalade
        une aile s’exerce                                                                                appeler partir
        monotonement                                                                                  grognements divers
        corolles satyres                                                                                  délicieusement
        diamants émeraudes                                                                           grondements soudains
        les pistils humides                                                                              cajoler siffler
 

                                                        Une aile éblouit
                                                        les explorations
                                                        ocelles antennes
                                                        voler soulever
                                                        fourrures jaspées
                                                        chaleureusement
                                                        les pelages tendres


 
 
 
 
 

        Rugir détaler                                                                                     Les cascades rousses
        soupirs affamés                                                                                 bramer éclater
        les admirations                                                                                  les fourrés charmeurs
        baisers colonnades                                                                             les stupéfactions
        manger s’écrouler                                                                              les ombres errantes
        les silences blancs                                                                              une aile moirée
        une aile soyeuse                                                                                ténèbres crissantes
 
 
 

                                                             3
 
 

        Audacieusement                                                                                Tremblements reculs
        les accords lunaires                                                                            subrepticement
        glapir grésiller                                                                                    bondissements rouille
        racines tordues                                                                                  une aile arc-en-ciel
        une aile changeante                                                                            les terreurs de l’aube
        les cavernes rouges                                                                            les interdictions
        fleurir se faner                                                                                   les couleurs de mort
 
 
 
 

        Germer et vieillir                                                                               Les mouvements brusques
        les odeurs de vase                                                                             une aile ocellée
        une aile brillante                                                                                les cris des petits
        les bruits du matin                                                                             musicalement
        piailler jacasser                                                                                  murmures salives
        les parfums violents                                                                           se terrer se taire
        les générations                                                                                   passages de nuages
 

                                                        Les pénétrations
                                                        les clairières bleues
                                                        une aile tremblante
                                                        les écorces claires
                                                        instantanément
                                                        les rameaux de pourpre
                                                        renifler ronfler
 

        Les épines rouges                                                                              Les queues et les dents
        une aile dansante                                                                               les cous et les griffes
        les venins mortels                                                                              une aile égarée
        déployer saisir                                                                                   les grognements blonds
        corolles et nymphes                                                                           ruser parcourir
        voluptueusement                                                                               grondements d’orgueil
        les pistils luisants                                                                               amoureusement
 
 
 
 
 

                                                        Les taches de suie
                                                        le cous et les griffes
                                                        ocelles miroirs
                                                        une aile exaltée
                                                        fourrures poitrails
                                                        chercher farfouiller
                                                        les pelages d’ocre
 

        Momentanément                                                                              Cascades geysers
        soupirs assoiffés                                                                               progressivement
        les becs et les serres                                                                          les fourrés sensibles
        les baisers rapides                                                                             fumées étincelles
        une aile qui plonge                                                                            ombres fugitives
        les silences verts                                                                               une aile qui freine
        secouer presser                                                                                 les ténèbres pourpres
 

                                                        Tourner secourir
                                                        les accords futurs
                                                        minutieusement
                                                        les racines grêles
                                                        tonnerres orages
                                                        les cavernes rousses
                                                        une aile se pose


 
 
 
 
 
 
        Une aile cuivrée                                                                               Les accouchements
        brasiers craquements                                                                        une aile rieuse
        bondissements d’eaux                                                                       incendies paniques
        volcans projections                                                                           les bruits inquiétants
        les terreurs paniques                                                                         éruptions coulées
        tornades cassures                                                                              parfums électriques
        les couleurs du sang                                                                          anges musiciens
 
 

                                                               4
 
 

        Mouvements divers                                                                          Dryades et muses
        les dévorations                                                                                 clairières peuplées
        une aile curieuse                                                                               les explorations
        osciller couler                                                                                   une aile joueuse
        murmures velours                                                                             palpiter dormir
        flaques fondrières                                                                              les rameaux humides
        passages de fauves                                                                            échos et rumeurs
 
 
 
 

        Épines sanglantes                                                                              Inlassablement
        vibrations messages                                                                           étamines fières
        venins délicieux                                                                                 éventails couronnes
        les admirations                                                                                  grognements d’amour
        une aile séduit                                                                                   les stupéfactions
        veiller retentir                                                                                    une aile s’approche
        pistils tentations                                                                                 appeler partir
 

                                                        Taches de rousseur
                                                        monotonement
                                                        ocelles saphirs
                                                        diamants émeraudes
                                                        une aile rougit
                                                        les éloignements
                                                        pelages de sable
 

        Voler soulever                                                                                  Cascades sanglantes
        soupirs d’amertume                                                                           manger s’écrouler
        délicieusement                                                                                  fourrés d’allégresse
        baisers dans la mousse                                                                       chaleureusement
        cajoler siffler                                                                                     une aile s’étend
        une aile soupire                                                                                 rugir détaler
        les interdictions                                                                                 ténèbres et gouffres
 
 
 
 

                                                        Les générations
                                                        les accords brisés
                                                        s’ouvrir se fermer
                                                        une aile caresse
                                                        délicatement
                                                        cavernes velours
                                                        bramer éclater
 

        Tremblements de fièvre                                                                    Glapir grésiller
        les pénétrations                                                                                 une aile songeuse
        une aile frôleuse                                                                                les écorchements
        fleurir se faner                                                                                  les bruits des massacres
        les terreurs soudaines                                                                        germer et vieillir
        audacieusement                                                                                parfums de la nuit
        couleurs de l’éveil                                                                             subrepticement
 

                                                        Une aile survit
                                                        roucouler râler
                                                        cris dans la savane
                                                        les respirations
                                                        murmures de flûtes
                                                        aimer et mourir
                                                        passages de fleurs


 
 
 
 
 
 
 
        Solennellement                                                                                 Épines pincées
        clairières charmées                                                                            musicalement
        piailler jacasser                                                                                 les venins qui sauvent
        écorces d’encens                                                                               se terrer se taire
        les inspirations                                                                                  corolles vibrantes
        rameaux oriflammes                                                                          une aile en enfance
        une aile en naissance                                                                         les pistils émus
 
 

                                                                 5
 
 

        Déployer saisir                                                                                 Les taches de miel
        étamines vives                                                                                  ruser parcourir
        instantanément                                                                                 ocelles mouvantes
        grognements de cuivre                                                                      une aile en nuances
        une aile en croissance                                                                       fourrures liquides
        grondements de sistres                                                                      les queues et les dents
        les rapprochements                                                                           pelages de nuit
 
 
 
 

        Les accouplements                                                                            Cascades furieuses
        une aile en vacances                                                                          les accouchements
        chercher farfouiller                                                                            une aile en puissance
        baisers cavalcades                                                                             secouer et presser
        amoureusement                                                                                 les ombres propices
        silences complices                                                                              momentanément
        les cous et les griffes                                                                          ténèbres d’asile
 

                                                            Une aile en jouissance
                                                            les accords des plumes
                                                            les dévorations
                                                            racines tressées
                                                            tourner secourir
                                                            cavernes sonores
                                                            progressivement
 

        Tremblements soudains                                                                     Minutieusement
        fumées étincelles                                                                               une aile en errance
        une aile en mouvance                                                                        tonnerres orages
        les explorations                                                                                 les bruits de la pluie
        terreurs solitudes                                                                               les admirations
        brasiers craquements                                                                         parfums des éclairs
        couleurs du désastre                                                                          incendies paniques
 
 
 
 

                                                            Mouvement des cornes
                                                            inlassablement
                                                            cris de retrouvailles
                                                            une aile en souffrance
                                                            murmures des feuilles
                                                            les stupéfactions
                                                            passages de lyres
 
 

        Osciller couler                                                                                   Épines mâchoires
        clairières liquides                                                                               palpiter dormir
        monotonement                                                                                  venins jaillissant
        écorces de cuir                                                                                  délicieusement
        une aile en patience                                                                            corolles nombrils
        rameaux surchargés                                                                            une aile en  partance
        les éloignements                                                                                 les pistils offerts

                                                            Les interdictions
                                                            étamines douces
                                                            veiller retentir
                                                            grognements partout
                                                            chaleureusement
                                                            grondement des antres
                                                            une aile en absence


 
 
 
 
 

        Une aile en métal                                                                             Diamants émeraudes
        les générations                                                                                 une aile en miroirs
        ocelles moirées                                                                                les pénétrations
        appeler partir                                                                                   baisers de serpents
        fourrures givrées                                                                              voler soulever
        délicatement                                                                                    silences de plumes
        pelages d’ébène                                                                               audacieusement
 
 

                                                                  6
 
 
 

        Cascades mousseuses                                                                      Subrepticement
        cajoler siffler                                                                                   accords des ramages
        une aile en rayons                                                                            rugir détaler
        Les écorchements                                                                            une aile en écailles
        ombres en détresse                                                                          les respirations
        manger s’écrouler                                                                            cavernes refuges
        ténèbres heureuses                                                                           s’ouvrir se fermer
 
 
 
 

        Tremblements de gongs                                                                    Fleurir se faner
        solennellement                                                                                  les odeurs des peaux
        bondissements fuites                                                                         musicalement
        bramer éclater                                                                                  les bruits dans les antres
        les terreurs vaincues                                                                          une aile en étoile
        une aile éventail                                                                                les parfums des fleuves
        les couleurs de l’aube                                                                        les déclarations
 
 
 

                                                            Mouvements d’ensemble
                                                            germer et vieillir
                                                            cris dans les roseaux
                                                            instantanément
                                                            murmures partout
                                                            roucouler râler
                                                            une aile amoureuse
 

        Les rapprochements                                                                        Épines tremblantes
        clairières noyées                                                                              les accouplements
        aimer et mourir                                                                                venin goutte à goutte
        écorces brûlées                                                                                lécher mordiller
        une aile vibrante                                                                              corolles de lèvres
        rameaux imbibés                                                                              une aile en émoi
        piailler jacasser                                                                                pistils en attente
 
 
 

                                                            Se terrer se taire
                                                            étamines droites
                                                            les accouchements
                                                            une aile en détresse
                                                            déployer saisir
                                                            grondements d’ivresse
                                                            momentanément
 

        Taches de lichens                                                                             Progressivement
        renifler ronfler                                                                                  une aile souillée
        une aile rouillée                                                                                 les queues et les dents
        les dévorations                                                                                  les baisers timides
        fourrures fougères                                                                             les explorations
        ruser parcourir                                                                                  silences d’attente
        pelages ramages                                                                                chercher farfouiller
 

                                                             Une aile perdue
                                                             minutieusement
                                                             fourrés indigo
                                                             les cous et les griffes
                                                             ombres agitées
                                                             les admirations
                                                             ténèbres mouvantes


 
 
 
 
 
 

        Secouer et presser                                                                           Tremblements frissons
        accords en suspens                                                                          tourner secourir
        inlassablement                                                                                 bondissements chutes
        racines et baves                                                                               monotonement
        les becs et les serres                                                                         les terreurs exquises
        cavernes vivantes                                                                             une aile en ébène
        une aile en ivoire                                                                              les couleurs des nuages
 
 

                                                                7
 
 

        Les éloignements                                                                              Mouvements reptiles
        les odeurs musquées                                                                         les interdictions
        brasiers craquements                                                                         les cris de fureur
        les bruits des galops                                                                           une aile en corail
        une aile de perles                                                                               murmures d’abeilles
        les parfums des sèves                                                                        chaleureusement
        tonnerres orages                                                                                passages de plumes
 
 
 
 
 

        Tornades cassures                                                                            Épines ergots
        une aile en silex                                                                                anges musiciens
        les générations                                                                                 une aile en argent
        écorces de flammes                                                                          les pénétrations
        osciller couler                                                                                   corolles d’écume
        rameaux déployés                                                                             palpiter dormir
        délicatement                                                                                     les pistils secrets
 

                                                            Une aile de harpe
                                                            étamines frêles
                                                            dryades et muses
                                                            grognements rageurs
                                                            les écorchements
                                                            grondements vengeurs
                                                            veiller retentir
 

        Taches de résine                                                                              Appeler partir
        subrepticement                                                                                une aile angoissée
        une aile tremblante                                                                           solennellement
        vibrations messages                                                                          baisers frottements
        fourrures crinières                                                                            éventails couronnes
        les respirations                                                                                 silences de palmes
        pelages de sel                                                                                   les inspirations
 
 
 
 

                                                            Cascades torrents
                                                            voler soulever
                                                            fourrés et ravins
                                                            une aile sirène
                                                            les ombres des rocs
                                                            diamants émeraudes
                                                            ténèbres de soie
 

        Les déclarations                                                                               Tremblements lunaires
        accords instinctifs                                                                             les rapprochements
        manger s’écrouler                                                                             bondissements voûtes
        racines dentelles                                                                                s’ouvrir se fermer
        une aile d’automne                                                                            terreurs vespérales
        cavernes matrices                                                                              une aile d’argile
        cajoler siffler                                                                                     les couleurs des nids
 

                                                            Rugir détaler
                                                            odeurs des poissons
                                                            les accouplements
                                                            les bruits des combats
                                                            fleurir se faner
                                                            parfums capiteux
                                                            une aile de cendres


 
 
 
 

        Une aile de neige                                                                             Momentanément
        bramer éclater                                                                                 une aile de froid
        les cris dans les nids                                                                         glapir grésiller
        les accouchements                                                                           écorces tisons
        murmures poussières                                                                        les dévorations
        germer et vieillir                                                                               rameaux embrasés
        passages d’insectes                                                                           aimer et mourir
 
 

                                                               8
 
 

        Épines de flammes                                                                           Lécher mordiller
        progressivement                                                                               étamines foudres
        une aile de vent                                                                                minutieusement
        roucouler râler                                                                                  une aile de sel
        corolles festins                                                                                  piailler jacasser
        les explorations                                                                                 grondements éclairs
        les pistils tremblants                                                                          les admirations
 
 
 
 
 

        Les taches de boue                                                                          Les stupéfactions
        déployer saisir                                                                                 soupirs enlacés
        ocelles mercure                                                                               ruser parcourir
        inlassablement                                                                                 les baisers volés
        fourrures aigrettes                                                                            une aile de roc
        se terrer se taire                                                                               silences cristaux
        une aile de houle                                                                              renifler ronfler
 

                                                            Cascades falaises
                                                            les éloignements
                                                            fourrés vibratiles
                                                            chercher farfouiller
                                                            ombres menaçantes
                                                            une aile marine
                                                            les ténèbres fraîches
 

        Les queues et les dents                                                                      Tremblements éclats
        les accords vibrants                                                                            les cous et les griffes
        les interdictions                                                                                  bondissements secs
        racines salubres                                                                                  les générations
        une aile d’écume                                                                                terreurs et fureurs
        cavernes lactées                                                                                 tourner secourir
        chaleureusement                                                                                une aile en silence
 
 
 
 

                                                            Délicatement
                                                            odeurs des étangs
                                                            les becs et les serres
                                                            une aile d’alcool
                                                            les pénétrations
                                                            les parfums poivrés
                                                            brasiers craquements
 

        Mouvements des reins                                                                      Incendies paniques
        audacieusement                                                                                une aile de ciel
        une aile d’hiver                                                                                subrepticement
        fumées étincelles                                                                              écorces fissures
        murmures des flots                                                                           tonnerres orages
        les écorchements                                                                              rameaux étendards
        passages des torches                                                                         les respirations
 

                                                            Une aile d’espace
                                                            osciller couler
                                                            venins et vapeurs
                                                            solennellement
                                                            corolles et grappes
                                                            tornades cassures
                                                            pistils en émoi


 
 

Sommaire n°31 :
 

LES TRÉSORS DE LA MARÉE BASSE
ONZE CENT ONZE
L’ABREUVOIR DE LA PRINCESSE
LEURRE
L’ISSUE
INAUGURATION
LE BOIS SACRÉ
RUMINATION
LA MUSE ÉLECTRIQUE
AU FOND DU JARDIN
ROTATION
TORNADE LÉGÈRE
CARRÉ DES MÉTÉORES
TREIZE À LA ONZAINE
LE LOUP CHERCHE SA VOIE
À TRAVERS L’ATLANTIQUE
CARTE COMMENTÉE
CENT PHRASES POUR LES ÉVENTAILS D’ARNOLD SCHÔNBERG
LA POSE ET LA ROSE
HEXAGONES EN DÉSARROI
CORPS À CORPS
FLEURS ARTIFICIELLES AU BORD DE LA ROUTE
CHRONIQUE ROMAINE
VINGT ANNÉES-FESTIVAL
LIVRES TROUVÉS
DE LA BELLE MANIÈRE
COMPLAINTE DES 15 ANS
LA VILLE ENGLOUTIE
AILES DANS LA JUNGLE
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