Page d'accueil
Table des index
Poésie au jour le jour 32
(enregistré en juillet 2014)
Dans mon enfance nous prenions
avec nos sacs et nos valises
sous les vitres de Saint-Lazare
chargées de fumées et vapeurs
le train dans la direction Dieppe
où je ne suis jamais alléPour nous rendre dans la maison
de ma grand-mère à la campagne
en écoutant les sifflements
et la batterie des pistons
je dévorais le paysage
à travers les vitres secouéesCertes je connaissais par coeur
le nom de toutes les stations
d’abord les ravins de la ville
puis les immeubles diminuaient
pavillons à petits jardins
enfin la traversée de l’OiseAlors c’étaient les champs les bois
les villages les horizons
les chevaux tirant leurs charrettes
les berges des Impressionnistes
c’était là que s’ouvraient les grilles
nous étions lâchés dans la joie
BAVURES BAVARDES
(14 novembre 1980)
L’escargot d’Indonésie
rencontre le serpentaire
et l’invite à partager
son petit gâteau marbréL’escargot de l’Arabie
rencontre le dromadaire
et lui offre pour goûter
deux petits gâteaux sablésL’escargot de Tunisie
rencontre la libellule
et lui offre pour le thé
trois petits gâteaux dorésL’escargot de l’Australie
rencontre l’ornithorynque
et lui offre pour goûter
quatre petits gâteaux ajourésL’escargot de l’Atlantide
rencontre le basilic
et lui offre pour souper
les gâteaux qu’il a rêvésLa limace ambassadrice
leur propose ses services
en étalant sur les prés
ses dentelles de saliveDans le palais des coquilles
parmi les tonneaux d’écume
lors du festin des lenteurs
vacillent les mandibulesEt tandis que les antennes
tournent au vent des sourires
l’escargot d’anthologie
leur propose ses moirures
Notre réunion aura lieu
sous les racines du grand chêne
parmi les toiles d’araignées
où sont brodées les armoiries
des représentants éminents
de notre club aux temps passés
pour vous adjoindre à nos poussières
il faudra montrer patte griseNous installerons le théâtre
dans un tunnel sous l’autoroute
dont les moteurs nous fourniront
avec les klaxons et sirènes
une tapisserie sonore
sur laquelle nos sifflements
aboiements et glapissements
ressortiront superbementNous préparerons pour l’entracte
la bonne soupe à la grimace
des cotylédons en saumure
des canapés beaucoup trop chauds
sur lesquels il faudra souffler
comme sur les bougies de fête
et dans des bouteilles variées
l’alcool des rendez-vous manquésNous arrêterons le programme
lambeaux de quelques opéras
nous attendons vos suggestions
puis il y aura l’élection
des interprètes pour les rôles
les plus importants il faudra
recueillir les candidatures
et préparer les auditionsNous aménagerons les trous
avec pupitres et lucioles
tout autour de la scène pour
venir en aide aux débutants
qui doubleront les vieilles stars
et chacun soufflera sa place
car on soufflera aux souffleurs
sous les ouragans de l’oubli
1Nous nous souvenons de l’époque
où nous roulions le long des routes
nous avalions des kilomètres
enlaçant amoureusement
la roue qui nous faisait tourner
nous ajoutions au ronflement
du moteur qui nous entraînait
le crissement de notre gommeNous descendions vallonnements
pour les remonter en triomphe
nous faisions chanter les virages
cymbales aux arrêts brutaux
et tambours rageurs aux freinages
pour éviter les imprudents
qui brûlaient la priorité
ou doublaient sur les autoroutesEt quand on avait saupoudré
le macadam de gravillons
nous en gardions aux boutonnières
de nos rainures compliquées
des échantillons éclatants
qui finissaient par se briser
dans l’usure de nos mâchoires
comme des roses qui se fanent
2
La pluie qui nous rafraîchissait
nous permettait d’autres glissades
la neige qui disparaissait
à peine tombée ou restait
transformant la route en rubans
d’abord tout blanc puis couleur crème
où nous imprimions notre marque
nous apprenait d’autres dérivesAvec leurs skis sur la toiture
nos conducteurs en grand costume
heureux de retrouver bientôt
leurs remonte-pentes leurs pistes
rêvant à leurs évolutions
lançant des gerbes de poudreuse
dans le soleil éblouissant
nous en donnaient un avant-goûtEt le soir paresseusement
épuisés par leurs prestations
posant leurs lunettes fumées
sous le pare-brise enlevant
écharpes et passe-montagnes
ils s’efforçaient de prolonger
leur ivresse dans la douceur
d’une route crépusculaire
3
Le long des canaux et des fleuves
sur les quais aux pavés rugueux
vieux quelquefois de plusieurs siècles
défoncés en nombreuses flaques
où la boue se sédimentait
nous bondissions en martelant
des marches joyeuses lançant
des étendards de gouttelettesParfois nous allions dans les bois
et la route s’évanouissait
en sentier sur les feuilles mortes
nous faisions craquer les brindilles
nous évitions souches et ronces
lesquelles s’enroulaient malignes
autour de notre front couvert
de pétales et de bourgeonsOu bien c’étaient des champs des landes
écrasant des chaumes des mousses
des genêts ou genévriers
même des déserts nous goûtions
le sable et le roc dans le vent
les dunes brûlantes les nuits
glaciales comme dans le Nord
des étendues de taïga
4
Je me souviens de notre enfance
lorsque nous étions flambant neufs
juste au sortir du magasin
on nous avait mis sur les roues
avec les outils les plus propres
en défaisant nos emballages
délicatement pour ne pas
endommager notre épidermeComme nous arborions l’enseigne
de notre fabriquant ! les lettres
parfaitement immaculées
les jantes brillaient de peinture
on voyait encore les traces
des moules de notre naissance
nous avions fait nos premiers tours
de roue sur tapis ou carreauxDe l’autre côté de la vitre
nous apercevions des voitures
à plus ou moins grande vitesse
avec nos frères ou cousins
qui nous précédaient sur la route
comme nous voulions les rejoindre !
et un beau jour le démarrage
nous pénétrons dans l’aventure
5
Mais comme tout cela est loin !
nos voitures sont devenues
trop vieilles rouille et déchirures
bien vite on les a reléguées
dans des camps pour le démontage
tous les morceaux utilisables
ont été vendu çà et là
et les carcasses compresséesOn nous a privés de nos roues
triés empilés entassés
entreposés couverts de bâches
pour que les moins endommagés
puissent par un rechapement
commencer une autre carrière
tout à fait modeste à vrai dire
sur les marchés de l’occasionMais l’usure est venue à bout
de tous ces efforts trop souvent
il s’est agi d’accidents graves
parfois nous avons vu nos frères
périr dans d’immondes bûchers
dégageant d’énormes fumées
nauséabondes et noirâtres
sur les horizons des faubourgs
6
Les enfants qui nous admiraient
tant lors de notre adolescence
qui nous caressaient et flattaient
comme des poneys ou des chiens
nous insultent à coups de pied
s’amusant de nos résonances
nous font rouler sur les gravats
comme les cerceaux d’autrefoisOu bien nous pendant par des cordes
à quelque poutre ou branche d’arbre
ils pénètrent dans notre trou
assis sur nos lèvres les jambes
de part et d’autre et se balancent`
s’imaginant qu’ils sont les maîtres
de ces voitures fabuleuses
dont nous étions un élémentPrès des rivages nous servons
de barques ou plutôt de bouées
mais nous flottons médiocrement
il faudrait nous mettre des fonds
comme aux culottes déchirées
c’est l’amirauté de misère
qui découvre les continents
où poussent nos arbres ancêtres
7
Le long des coques des péniches
on nous suspend pour amortir
les chocs des abordages les
frottements et les raclements
d’autres sont accrochés aux murs
des écluses ou des bassins
pour protéger les bâtiments
leurs peintures et leurs vernisImpitoyablement frappés
nous répondons par un cri sourd
nous ne pouvons fermer les yeux
nous ne sommes que des orbites
un halo de stupéfaction
nous ne pouvons nous habituer
sur l’enclume de notre cuir
le métal essaie son marteauImperturbablement fragiles
perdant nos lambeaux peu à peu
quand il ne restera que bribes
on nous remplacera c’est tout
mille candidats sont offerts
dans les déchetteries sauvages
ou les dépôts spécialisés
dans l’abondance des épaves
8
Certains d’entre nous réussissent
à s’en aller au fil de l’eau
à quitter ces lieux de supplice
et d’humiliation devenant
les yeux des marées et tempêtes
ils voguent parmi les dauphins
les radeaux et les chalutiers
parfois revenant vers les plagesS’enfonçant parmi les poissons
dans l’usure des échouages
faisant eau de toutes leurs brèches
ils deviennent rochers marins
recouverts d’algues et coquilles
étonnements pour les plongeurs
qui remontent pour vérifier
que leur voiture les attendQuand aurons-nous courage ou chance
de larguer nos pauvres amarres
d’errer dans l’émerveillement
pendant des siècles d’abandon
vers l’heureuse dissolution
ressassant nos années de liesse
en distillant nos performances
en alcool de tranquillité ?
Ligne après ligne les mots
amalgame amalgamer
n’oublions pas les noms propres
Alcala de Hénarès
germent pour nous proposer
bélinogramme bélître
significations multiples
Barberini BarberousseAvec leurs définitions
calembredaine calendes
nous découvrons des régions
Chantemerle Chantemesse
totalement imprévues
dégazoliner dégât
un perpétuel renouveau
Douai Douala DouarnenezLes adjectifs les adverbes
énergumène énervant
les verbes les conjonctions
Extrême-Orient Exupère
les titres noms de famille
fantaisiste fantasia
prénoms et localités
Ferdinand de PortugalLes gravures d’autrefois
grammaticalisation
les photos en noir et blanc
Guantanamo Guaranis
maintenant c’est la couleur
hiérarchiser hiératique
les cartes et les tableaux
Hokkaïdo HokusaïHistoire et géographie
indéchirable indécis
zoologie botanique
Iphicrate Iphigénie
physique mythologie
javelliser javelot
mathématiques chimie
Jébuséens JeffersonToutes les technologies
kilotonne kilowatt
médecine mécanique
Kant Kantara Kan-Tchéou
menuiserie jardinage
laminage laminaire
politique horlogerie
Lesage Lesbie LesbosLittérature beaux-arts
mandoliniste mandorle
architecture musique
Matamoros Matanzas
économie linguistique
nocivité noctambule
gymnastique ethnologie
Nausicaa NavacellesNous filons de siècle en siècle
optométrie opulence
nous abordons des rivages
Orissa Orizaba
dans les cinq parties du monde
patronesse patronyme
nous flânons dans les cités
Palestrina PalestroEntre les mots bien français
quinola quinoléine
nous observons des touristes
Quevedo y Villegas
qui viennent de maintes langues
rajeunissement rajout
en apportant leurs parfums
Rabelais Racan RachelNous caressons la toison
sarcastiquement sarcelle
de ces troupeaux de vocables
Samothrace Samoyèdes
qui laissent quelques flocons
tiraillerie tirailleur
aux ronces de nos études
Tamatave TamayoSoudain c’est une fenêtre
ultra-son ultra-violet
qui s’ouvre dans la muraille
Utique Utopie Utrecht
de nos discours quotidiens
vernaculaire vernal
affiches télévision
Vivarais VivariniUn rayon s’en va chercher
wassingue water-ballast
dans les plus sombres recoins
Wolverhampton Wommelgem
un aiguillage nous guide
xylocope xylographe
vers une chambre secrète
Xénophane XénophonVers un paradis rouvert
yoga yogi yogourt yole
où les mots se rajeunissent
Yellowknife Yellowstone
où les mots nous rajeunissent
zénithale zéolite
où le monde est rajeuni
Zwolle Zworykin Zyriane
Nous venions de passer une année au Far West qui avait été vraiment pour nous le pays de l’enchantement. J’avais été invité pour un an au département des langues romanes de l’université du Nouveau-Mexique à Albuquerque. Je devais retrouver un poste à la nouvelle université de Vincennes aujourd’hui transportée à Saint-Denis. Nous nous demandions comment nous réussirions à nous réacclimater à la banlieue parisienne quand un ami nous a écrit qu’il venait d’être nommé professeur à la faculté des lettres de Nice. Je lui ai répondu : “heureux homme ! C’est une des seules régions de France où nous pourrions maintenant vivre !” Je n’en parlais que de réputation. J’avais longé la côte avec des amis quelques années plus tôt. J’étais allé faire une conférence à Cannes. Mais j’avais trouvé le paysage vaste, les horizons clairs et la végétation surprenante.Or la Faculté des lettres de Nice venait de se voir attribuer un poste de professeur invité. Il me suffisait de poser ma candidature. Le poste était prévu pour trois ans, mais il pourrait se transformer en un autre plus stable. Je devais m’astreindre à faire pour cela une soutenance de thèse sur dossiers en utilisant les tomes de Répertoire, ce que j’ai fait grâce à d’autres amis à la faculté de Tours. Nous avons tenté notre chance, et la lumière, les lointains ne nous ont pas déçus.
Nous nous sommes d‘abord installé dans le sous-sol d’une villa à l’ouest de la ville, corniche fleurie; sous-sol mais au-dessus d’un long jardin en terrasses. Puis nous avons loué deux appartements qui communiquaient par le palier et le balcon au dernier étage d’un immeuble à Saint-Laurent-du-Var, à peine achevé. Heureusement l’ascenseur marchait, mais la cage d’escalier n’était pas encore fermée. Le vent la transformait en tuyau d’orgue. Cela me faisait penser aux statues sonores qui gardent l’entrée d’Erewhon dans l’oeuvre de Samuel Butler. D’un côté l’aéroport qui ne faisait pas encore trop de bruit, de l’autre les montagnes du Mercantour que le matin illuminait.
Après avoir beaucoup cherché, surtout dans l’ouest de la ville pour n’être pas trop loin de mon lieu de travail, nous avons fini par découvrir “aux antipodes” (c’est nous qui lui avons donné ce nom), une villa un peu bizarre, chemin de Terra Amata, tout près du vieux port. Il fallait beaucoup monter dans les jardins de la propriété Mira Monti pour arriver, avant la grande maison 1900, propriété jadis princière divisée en appartements, à la grille de ce qui avait été l’écurie, complètement réaménagée par les propriétaires successifs dont le dernier n’avait rien trouvé de mieux que d’en faire un hôtel pour séjours très brefs, curieusement nommé Villa Saint-Joseph. Il a fallu faire quelques adaptations.
Pour une maison niçoise elle n’avait pas de vue. Pourtant nous apercevions le Cheiron au-dessus des toits du vieux port. Il y avait un petit jardin à chaque étage, avec oliviers centenaires et divers agrumes, et une petite terrasse ombragée par un immense datura qui embaumait les soirs de sa floraison avant de laisser tomber ses pavillons de gramophone fanés. Nous nous y sommes immédiatement sentis chez nous. Nos filles qui n’avaient que trop déménagé jusqu’alors, l’appelaient “notre maison de toujours”.
Il a pourtant fallu la quitter. Les épaisseurs de l’administration française m’ont amené à devenir professeur à Genève. Après avoir longtemps fait la navette, j’ai dû me rapprocher considérablement de mon lieu de travail et suis donc devenu montagnard. Mais quand je reviens à Nice, je me retrouve dans mon élément. J’y ai de nombreux amis. J’aime les vieux quartiers, les villas 1900, l’arrière-pays que nous avons exploré tant que nous avons pu.
Pour acheter cette maison des Antipodes, il nous a fallu vendre celle que nous possédions à Sainte-Geneviève-des-Bois dans la banlieue sud de Paris, donc faire enfin un déménagement complet avec toute la bibliothèque déjà considérable. Comme nous savions bien qu’elle allait encore augmenter, cela posait un vrai problème. C’est pourquoi j’ai demandé à Guy Rohou, alors directeur de la bibliothèque municipale, s’il ne serait pas intéressé par des dons de livres. “Oui, m’a-t-il répondu, mais à condition qu’il y ait aussi des livres d’artistes et des manuscrits. Ainsi est né ce “fonds” qui s’est augmenté à chaque printemps. Nous fêtons son trentième anniversaire.
Mon enfant, ma soeur,
songe à la douceur
d’aller là-bas vivre ensemble !
Aimer à loisir,
aimer et mourir
au pays qui te ressemble !
Les soleils mouillés
de ces ciels brouillés
pour mon esprit ont les charmes
si mystérieux
de tes traîtres yeux
brillant à travers leurs larmes.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
luxe, calme et volupté.
...
Vois sur ces canaux
dormir ces vaisseaux
dont l’humeur est vagabonde;
c’est pour assouvir
ton moindre désir
qu’ils viennent du bout du monde.
- Les soleils couchants
revêtent les champs,
les canaux, la ville entière,
d’hyacinthe et d’or;
le monde s’endort
dans une chaude lumière.
Là, tout n’est qu’ordre et beauté,
luxe, calme et volupté.
L’amateur
lointain
SENTENCES POUR LA CORRIDA
PRÉSENTATIONJe ne fais pas partie des aficionados. Je préfère qu’il y ait l’écran de la peinture entre le mystère et moi-même. Alors je peux approfondir ma fascination, remonter aux couches profondes, devenir enfin minotaure et Thésée, réveiller dans l’alambic de l’arène l’alcool des millénaires enfouis.
in memoriam Michel Leiris
1
Soleil des morts
oeil des volcansCorne de Lune
soupir de fauve2
Flamme de gestes
cercle en silenceBrasier d‘émois
sang de l’attente3
Gouttes du temps
roses de sueurFer lumineux
ronces de sable4
Yeux embrasés
instant fatalPoussière d’ombres
geste infernal5
Ovation lente
éclair tremblantAgonie douce
bûcher funèbre
1
En plein midi comme une éclipse
le fauve teint de sa noirceur
l’élégance du matador
déchiré d’innombrables cornes2
La foule retenant son souffle
dans les naseaux de l’animal
qui concentre entre ses deux cornes
la colère du peuple entier3
Sur son orbite éblouissante
la planète noire secoue
la bave de tous les volcans
se précipitant vers sa mort4
Dans sa solitude éclatante
l’insecte chatoyant mesure
l’angle exact qui lui permettra
d’éliminer le minotaure5
Dans le labyrinthe brûlé
où tous les murs ne sont que cendres
le jeune Thésée flamboyant
arbore un masque de taureau6
Roulant des épaules de ruines
le monstre examine l’arène
où sa mort va électriser
les éventails des demoiselles7
Dans son envol la cape effleure
l’échine courbée sous la crainte
qui se redresse en un sursaut
de respiration lumineuse8
Les chevaux ont quitté la place
où le pianiste minuscule
va plaquer un accord sanglant
dans un point d’orgue interminable9
Les gestes prennent des lambeaux
du Soleil pour en habiller
la peau carbonisée du monstre
avant de l’offrir en encens10
La foule fait rouler son cri
d’un bout à l’autre de l’arène
comme une boule effervescente
tirant après soi les marées11
Le porche de l’après-midi
referme ses vantaux de liesse
sur la cérémonie funèbre
où chacun retrouve son deuil12
Les parfums des dames répandent
les souvenirs de leurs voyages
dans les battements d’éventails
apprivoisant l’air de la mer13
C’est une montagne vivante
qui envahit tout l’horizon
pour l’ouvrir il faut une clef
pénétrant la serrure vive14
La blessure offre son cratère
pour offrir un toast à la foule
toute l’arène se remplit
d’un vin lourd aux accents d’étable15
La fissure entre ses vantaux
éclate précipitamment
devant le galop de la bête
cherchant vainement son issue16
Une île sur la mer de vin
une voile sur l’horizon
un phare au centre de la baie
un raz-de-marée de dentelles17
Entre les nuages de poussière
un rayon de soleil soudain
lève un arc-en-ciel de chemises
sur la rade où jouent les géants18
Vastes portiques où longtemps
j’ai vécu pour approfondir
mon secret douloureux soudain
vous vous écroulez sous la foudre19
Cible dont la bordure entière
est vivante une chevelure
de dentelles et de regards
convergeant vers l’impact obscur20
L’ovation fait tourner la roue
tout autour du moyeu de sable
d’où l’on retire le cadavre
qui se visse jusqu’aux enfers21
Le cuir devient peau mordorée
les cornes douce chevelure
les sabots les mains et les pieds
la blessure sexe en aurore22
Dans les yeux tout près de s’éteindre
perce un instant la nostalgie
de prés sur des flancs de montagne
et de génisses dans leur fleur*
Prés d’autrefois
je ne vous verrai plus
La gueule de la nuit
grignote le bucraneC’est une épée de rayons x
qui s’enfonce dans la chair noireLa résonance magnétique
éteint l’arc-en-ciel du publicLes anges de la mort transforment
l’arène en un vantail battantComme un roulement de tambour
la cape ferme les paupièresLe cercle de sable devient
sciure et son pour la guillotineLe galop des doigts sur le gong
l’appel de la corne du froidLe sang si rouge tout à l’heure
retrouve la noirceur de l’encreLa dalle d’ombre se soulève
pour absorber le dernier râleDans sa rumination le gouffre
imagine une autre genèseLe centre de la galaxie
fait tourner les voiles d’IrisEn un coup de tonnerre muet
la pleine Lune a pris le cielLes gradins se sont reculés
en une immensité d’abîmeLe fantôme du matador
marche sur des grains de vertige
1
La flamme roussit les naseaux
puis s’imprègne de bave rose
pour se déployer sur les cornes
et caresser l’échine creuse2
Drapeau flottant au vent d’haleine
tremblant du trépignement sec
sur le sable taché d’écume
dans un ciel de foule assoiffée3
Nuée de soie dans le couchant
qui s’insinue par les vallées
avec les rayons miroitants
de l’épée proclamant sa croix4
Un flot de vin sur la fureur
qui s’accumule entre les cornes
pour précipiter les sabots
qui dérapent de déception5
Voile pour la bave et le sang
qui sèchent sur les poils dressés
dans la poussière lumineuse
broyant les yeux des combattants6
Suaire pour cette charogne
encore dressée sur ses pattes
en sursis pour quelques instants
de lamentation foudroyante
5
RAFRAÎCHISSEMENTS POUR LA CORRIDALes pépins de l’orange
dans le ciel de son jusUne gorgée de vent
une pincée de poivreLes olives des yeux
dans le pressoir du sableL’invitation des ombres
au banquet des adieuxLes lambeaux de nos vies
sur le gril des frissonsL’épée de Damoclès
sur l’abreuvoir du tempsDans le sang du dragon
le rajeunissementUn bouquet de dentelles
au balcon des corsagesLes larmes du citron
sur les écailles sombres
1
La virgule ponctue la strophe
que psalmodie le matador
dans le silence de l’attente
et les grondements du poitrail2
Crochets pour pendre la dépouille
à l’étal de la boucherie
dans les dentelles de papier
où vrombissent mouches d’épées3
Cil énorme sur l’oeil minime
écarquillé dans la fureur
sur le sable de la planète
fusant dans l’éblouissement4
Guidon de la motocyclette
tourbillonnant sur la paroi
verticale qu’est devenu
le piège du parking taurin5
Des bourgeons d’ailes qui s’entrouvrent
sous la sève du sang d’été
dans la forêt des remuements
de feuilles pour se rafraîchir6
Poignée pour le couteau qui va
trancher l’oreille du cadavre
parmi les applaudissements
délivrant de l’expectative7
Soc pour labourer d’un sillon
la glèbe de sable arrosée
d’une pluie de sang dessinant
les pétales d’une moisson8
Appel qui va retentissant
d’un portique à l’autre des cimes
à travers les torrents brûlants
qui dévalent des gradins muets9
Un serpent redressant la tête
de chaque côté du regard
préparant ses crocs à venin
pour méduser le téméraire10
Remplie d’une bière mortelle
qui écume sur les naseaux
la coupe allongée fait le tour
pour enivrer les assistants
1
Le jeune sacrificateur
prépare humblement son esprit
demandant pardon aux puissances
qu’il révère officiellement
Vierge Marie saints du village
de descendre les yeux brillants
dans la mine du temps passé
pour le sacre d’autres printemps2
Toute l’obscurité de l’âme
se condense dans l’animal
comme l’humidité de l’air
en nuages de plus en plus
menaçants qui vont à la fois
faire éclater le feu du ciel
et lapider de leurs grêlons
l’imprudent resté découvert3
Un amphithéâtre de lave
humaine traversée de vagues
autour du combat d’un autre âge
sur un cratère de soleil
une licorne adolescente
affrontant le mugissement
qui vient du profond de la Terre
et du pourrissement des dieux
PRÉLUDE À L’APÉRITIF D’UN FAUNE
Roseaux de métal chantourné
sur des marais de vieux pétrole
où des nymphes à peau de fauve
exposent leurs épaules vivesPour les arrêter dans leur fuite
j’ai besoin de toutes vos notes
en élevant à leur santé
le philtre de leur innocence
Sur les rives du temps qui passe
l’arbre de Noël a pris feu
guirlandes semées d’escarbilles
enrobent souches et rochersDans la torpeur des ministères
les oiseaux de malheur croassent
mais le long de la mer les braises
préparent liesse de Saint-Jean
Une poignée de photons danseurs
nous conduit par le chemin de crête
jusqu’aux glissières de lancement
où nous revêtirons nos plumages
Monument de ma lassitude
arbre déchiqueté des vents
je t’offre l’ombre d’un caillou
ricochet de calendrier
Dans la ville qui devrait être
celle de la paix mais où crient
anathèmes lamentations
parmi détonations et flammes
voici qu’en un jour d’accalmie
au sortir de quelque boutique
de tourisme ou de dévotionDeux pèlerins venus chercher
chacun depuis son bout du monde
quelque réponse à leurs problèmes
des consolations pour leurs deuils
s’arrêtent soudain comme si
leurs visages leur rappelaient
scènes de leur lointaine enfanceC’est loin c’est si loin tout cela
nos deux mères se détestaient
notre père les visitait
tour à tour et nous apportait
des amandes figues et dattes
en nous disant du mal de l’autre
nous interdisant de nous voirMais nous quittions nos campements
en secret pour nous retrouver
dans une région du désert
que nous nommions notre patrie
où nous bâtissions sur le sable
des villes en imitation
de celles de nos servitudesParfois nous jouions à la guerre
nous tirions au sort qui serait
le conquérant le défenseur
une fois fixés sur nos rôles
nous déterrions les oriflammes
le roi du jour plantait le sien
au sommet de la citadelleCaracolant élégamment
sur un cheval imaginaire
l’autre devait le déloger
pour y substituer le sien
l’un était bleu l’autre était vert
couleur de la mer et du ciel
couleur des palmes d’oasisLe soir nous rangions ces drapeaux
puis avant de rentrer chez nous
évoquions des villes futures
mobiles comme nos smalas
qui pourraient se superposer
ruisselantes et transparentes
selon le mouvement des astresIsraël Ismaël c’est toi
mon demi-frère sois mon frère
je sais que ma mère t’aimait
en dépit de tous ses discours
j’adopte la tienne et bientôt
tous nos souvenirs flamboieront
éveillant des échos partoutUn si profond malentendu
alors qu’il suffisait d’un rien
éternel compagnon comment
avons-nous pu nous laisser prendre
aux mécanismes de nos jeux
que nous savions si bien suspendre
lors de nos réconciliationsMais voici que tes yeux me fuient
comme si tu craignais l’accueil
que te feraient les tiens là-bas
dans ton campement d’aujourd’hui
enraciné dans son béton
avec ses cuves de pétrole
s’ils apprenaient nos retrouvaillesJe ne suis plus sûr que c’est toi
je n’ose plus te regarder
la vitre s’obscurcit les cris
recommencent nuées de poussière
bousculades les ambulances
la police de nouveaux murs
trop tard l’occasion est manquée
Le sentier se rétrécissait
je voyais à travers les arbres
une vallée qui m’attirait
entre deux éminences doucesJe voulais trancher dans le vif
dégringoler par les ravines
pour escalader les rochers
entre les torrents et sapinsMais je m’empêtrais dans les ronces
qui déchiraient mes vêtements
un fil par ici un par là
de quoi sortir du labyrintheCar j’avais perdu mon chemin
j’essayais de garder le cap
de grands rideaux de froid tombaient
dans les ténèbres des fourrésBientôt ce furent des lambeaux
je m’égratignais tant et plus
le sang me perlait sur les jambes
je dus enlever mes souliersLes racines et les cailloux
m’arrachaient des plaintes le vent
me débarrassait des dernières
couches de mon habillementIl m’aurait fallu des sabots
comme aux cerfs ou aux sangliers
quant à mes bribes de toison
pas moyen de les épaissirMais je ne pouvais m’empêcher
de poursuivre c’était un chant
comme d’une sirène clair
un rayonnement de silenceCes supplices m’étaient délices
car j’attendais je ne sais quoi
je me transformais en fontaine
ruisselant de sueur et de sangEt c’est alors que la dryade
s’est délivrée de son écorce
coulant comme un ruisseau d’aubier
pour m’enlacer de ses nervuresEt je l’étreignis pour la teindre
quand elle eut fini d’absorber
toutes mes taches magnanime
elle me couvrit de ses feuillesDont les fibres se sont croisées
les lianes faisant les coutures
j’ai retrouvé mon apparence
mais je suis un arbre qui marche
Ruisseaux couleront sous la neige
où soupiraux s’entrouvrirontSous les doigts du vent diffusant
des parfums de pays lointainsTraits du soleil adolescent
iriseront les blocs de glaceFondant aux bordures des toits
faisant tinter le luth des flaquesLa sève recirculera
dans les troncs et dans les rameauxFaisant éclater ses bourgeons
entre leurs sépales vernisLes lycéens écraseront
leurs cigarettes sur les bancsPour délivrer les giboulées
qui s’agiteront dans leurs voixArbres sortiront leurs pastels
pour esquisser les frondaisonsEt les piverts entameront
leur dactylographie lyrique
LES
ARRONDISSEMENTS DU TENDRE
ou la capitale des coeurs
On entre par la pente douce
des souvenirs d’enfance
ou la fissure des coups de foudre
ou les vestibules
des rencontres professionnelles
ou les chicanes
des arrangements familiauxTout cela mène
par les vernissages dans les galeries
les queues devant les expositions
les petits concerts
dans les auditoriums
les opportunités
des salles obscures
les bousculades dans le métro
les secousses dans les bus
les bancs pour la remémoration
des poètes disparus
les jardins publics
pour les flâneries silencieuses
les pavillons
pour la lecture des romans
les petits bars
pour les dégustations exotiques
jusqu’aux carrefours
des émotions partagéesAprès avoir longuement fréquenté
les labyrinthes des questions
les ruelles des déclarations timides
les avenues des aveux
ou les cascades des entreprises brusquées
on débouche à droite
sur la rotonde de Monsieur le Maire
à gauche vers les véhicules
des aventures multiplesEngagez-vous
dans les serres des petits soins
les ateliers de l’imagination
les marchés aux puces
des cadeaux inattendus
et vous parviendrez aux escaliers
des noces métalliquesMais prenez garde aux impasses des oublis
aux coupe-gorges des scènes de ménage
aux grilles des déceptions
aux illusions des pharmaciesVous risqueriez de dériver lamentablement
vers les tentations des amanites phalloïdes
les tavernes de l’ivrognerie
les tabagies des habitudes
les parkings du papillonnement
les terrains vagues des indifférences
les caméras de la jalousie
les rideaux de fer des rancunes
les entrepôts du dessèchement
les égouts du relâchement
les champs d’épandage de la veulerieEn dernier recours
depuis la tour de la nostalgie
vous pourrez choisir les officines
des thérapeutes
les confessionnaux
des directeurs spirituels
les terrains de rééducation
sentimentale et sportiveMais devant les embûches
de ces programmes
parviendrez-vous à éviter
les quais du désespoir
les souterrains de l’abandon
les balcons des suicidesPour vous reposer enfin
sous l’arc-de-triomphe
de la longévité amoureuse
1) La rage au coeurLe peintre est en rogne. Toutes ces toiles, l’une à côté de l’autre dans son atelier, lui déplaisent. Pourtant certaines avaient assez bien commencé. Toutes avaient bien commencé; certaines avaient été passionnantes à poursuivre. Mais non. Quelle déception ! Rien à sauver. Il ne reste plus qu’à brandir son arme de peintre, brosse ou pinceau, fusain, graphite, et à refuser tout cela de deux grands gestes qui se croisent.
Alors se retourner vers ce qu’il y avait avant la peinture, ce paysage qu’on aimait tant, dans lequel on a si respectueusement aménagé sa maison. Mais non. Rien de ce qui est dans une des fenêtres ne tient. Le monde est à refaire. Il faudrait balafrer toutes les vitres.
Mais ce geste même, il reste assez satisfaisant. Il s’installe dans une résonance. On a envie de le commenter, de le prolonger par des inscriptions. Il tient dans l’espace comme une possibilité de recommencer ce qu’on a manqué, ce nous-même que la nature et la société ont manqué. En outre il a vertu de transparence; ce qu’on a refusé un instant subsiste dans sa qualité non seulement de passé, mais d’avenir imaginé. Le paysage, le dessin reniés reprennent vie. On se retrouve au moment même où les choses se sont gâchées, à l’aiguillage fatal à partir duquel il faut remonter pour retrouver les bons signaux. Ce que l’on croyait connaître devient inconnu. L’inconnu semble à portée de la main.
2) Les moulins à vent
Les x qui raturent le paysage et l’oeuvre antérieure, tournaient autrefois pour moudre le blé. Mondrian a médité sur eux dans sa Hollande avant d’en arrêter définitivement le mouvement dans le signe plus, pour construire son échelle de Jacob afin de gagner son ciel.
Si leur mouvement s’emballe, ils deviennent ces géants contre lesquels essaie de lutter Don Quichotte afin d’en débarrasser sa Manche natale. Mais il y a possibilité d’immobiliser leur croix dans le moment de sa question. Les moulins deviennent alors la chambre de méditation, cet atelier du peintre dans lequel n’importe qui, n’importe quoi peut entrer, qui peut faire de tout grain farine et pain.
3) Le temps qu’il fait
Les moulins sont la réponse au vent qui souffle où il veut, d’où il veut. Il faut pouvoir les orienter pour le capter. Aujourd’hui les éoliennes font monter l’eau, ou fournissent de l’électricité. Hier encore elles fleurissaient comme des marguerites couleur de tôle ou de bois, maintenant elles ont grandi, blanchi, et se sont simplifiées en trois pales étincelantes comme les hélices des premiers temps de l’aviation.
Ce vent qui fait rage et qu’incarne le peintre dans sa rogne, qui parfois déracine les arbres, fait voler les toits, il n’est nullement simple appel d’esprit, élément d’une respiration pure. Il charrie des traces de tous les territoires sur lesquels il a passé. Même dans les déserts il forme des tourbillons de poussière. Sur l’océan ce sont des brumes, des nuages, des orages bientôt, parfois des ouragans. Ainsi le geste du peintre se diffuse en brouillons; la grande rature se raffine en trames, fumées ou tissus, de plus en plus fines. Le geste primitif revient comme un rayon de soleil sur cette rosée.
4) Le temps qui passe
Les nuages passent. Voici la pluie. L’arc-en-ciel annonce le beau temps. Souvent les peintres pour figurer leurs interrogations cherchent des couleurs indéfinissables, les mauves des impressionnistes, ou bien s’enfoncent dans les bitumes, les ténèbres, les lividités. Mondrian avait déjà prêché un retour à une sorte d’origine de la couleur, aux trois primaires, bleu, jaune, rouge qu’il pouvait faire tourner autour de sa croix fondamentale en subtils dosages. Mais il refusait le vert comme trop chargé de nature.
Rechargeons donc de nature toutes les autres. Attention ! il s’agit d’une nature oubliée, perdue, souillée, que l’on s’efforce toujours de retrouver par-delà nos erreurs. Le bleu peut bien redevenir la couleur du ciel, car qu’est devenu le ciel pour nous ? Il n’est même plus bleu. Le rouge celle du feu, mais le feu de nos âtres est si loin de celui des astres. Les couleurs se présentent comme une gamme qu’il s’agit de bien tempérer pour que le vent du refus les traverse en continuant de souffler, blutant le grain de notre voix et de notre vue. Les ailes des moulins deviennent celles d’hélicoptères silencieux qui parcourent les territoires déjà nommés pour apprivoiser leur sauvagerie nouvelle.
5) Le balancier sensible
L’horloge des couleurs répartit ses cadrans sur la Terre entière, pouvant concentrer le temps de celle-ci dans une salle où toutes les heures s’équilibrent : le jour et la nuit, les deux crépuscules. Des balanciers invisibles marquent la mesure.
Un balancier visible vient s’ajouter aux cadrans avec les ailes de leurs aiguilles, figurant comme les échelles de meunier de ces moulins à temps, comme les échelles de ce Jacob et Don Quichotte que nous sommes tous, luttant perpétuellement contre les géants et les anges, pour acquérir leurs forces et leurs ailes, profiter de leurs trésors, de leurs savoirs et de leurs chants; un balancier qui n’a pas de mouvement propre, mais répond comme un sismographe à toutes les secousses qui nous traversent.
Telle une soucoupe volante
préparant son atterrissageTelle une griffe d’ampélopsis
au plus ardent de son automneTel un bras de bronze retrouvant
sa souplesse pour enlacerTelle une main fermant les paupières
des lunettes du crépusculeTel un lancer de graines
dans les planches du cielTelle une brochette de langues
sur le gril du tracTel un moulin à vent
au balcon d’une ruelleTelle une ferronnerie sinueuse
où faire circuler la roséeTelle une larme de peinture
parmi les écailles d’un murTel un arbre prêtant sa sève
à son frère pour le ranimer
I
Le vent est entré dans mes mains
voici qu’apparaissent des balles
des boules des sphères des bulles
que je fais rouler sur le sol
de la boule où nous habitons
que je fais rouler sur mes bras
sauter d’une main dans une autre
c’est comme si j’avais trois mainsJe suis présent sur cette scène
vous êtes présents dans la salle
je lance des boules présentes
mais avant qu’elles vous arrivent
voici qu’elles ont disparu
elles sont revenues vers moi
elles se roulent contre moi
m’enlacent comme des serpentsDont on ne verrait que les yeux
roulant dansant tournant rampant
dessinant l’arbre du savoir
avec ses branches qui se courbent
vers la Terre ou vers les étoiles
chargées de fruits que nous présente
le roi des serpents à deux têtes
bondissant par enchantementLes fruits de l’arbre du savoir
dont les pelures se déroulent
pleines d’inscriptions décisives
que nous cherchons à déchiffrer
tandis que les parfums s’en mêlent
dans la distillation des sucs
tout cela nous monte à la tête
nous jonglons avec nos deux yeuxLe vent fait s’entrouvrir les branches
dans le soir où le soleil roule
sur les échines des collines
nous tentons de le rattraper
mais il nous échappe toujours
il s’enfonce en son Occident
nous déléguant son crépuscule
où d’autres astres apparaissentJe l’ai perdu voici la nuit
parviendrai-je à le retrouver
de l’autre côté de la Terre
quand il enflammera l’Orient
mais est-ce lui qui tourne ou bien
la Terre qui danse avec lui
est-ce moi qui jongle ou les boules
qui me font danser autour d’ellesLes fruits sont devenus étoiles
comment les prendre dans mes mains
il me faut devenir titan
pour me glisser dans leur théâtre
applaudir à leurs inventions
m’introduire dans leurs orbites
respirer le vent de leurs nues
rouler dans l’ombre des éclipsesJ’avais cru les saisir mais non
elles s’envolent vers les cintres
du théâtre des nébuleuses
c’est l’univers en expansion
monnaies lancées pour questionner
les oracles de gravité
sur notre destin de détails
qui roulons d’une époque à l’autre
II
LuminescenceJe me souviens des soirées
de mon enfance l’été
au lieu d’aller dans nos lits
nous restions dans le jardin
les parents parlaient entre eux
de politique ou d’affaires
ils ne nous regardaient plusRéminiscence
Détendus dans leurs fauteuils
ils oubliaient leurs angoisses
nous nagions dans la confiance
ils parlaient plus lentement
multipliant les silences
comme s’ils avaient voulu
apaiser le cours du tempsEffervescence
Quelqu’un chantait quelque part
c’était peut-être un voisin
ou son poste de radio
et le clocher de l’église
comptait sur ses doigts de bronze
tandis qu’un dernier avion
disparaissait dans les nuagesImpermanence
Alors nous nous faufilions
par les sentiers sinueux
parmi buissons et grillages
tout cela semblait immense
après flammes et coraux
le ciel devenait tout vert
et la Lune s’annonçaitArborescence
Nous n’osions pas nous parler
peur d’attirer l’attention
nous nous faisions quelques signes
tant que nous pouvions les voir
puis nous rapprochions des lampes
que l’on venait d’apporter
la conversation mouraitIntelligence
De l’habituel paysage
il ne restait que des masses
accompagnées de parfums
traces pistes et sillages
nos pas que nous n’entendions
jamais pendant la journée
retentissaient dans la nuitReconnaissance
Où sont-ils qui suis-je quand ?
les murs se sont éloignés
le théâtre s’est ouvert
où êtes-vous je m’enfonce
je tourne dans tous les sens
échangeant le haut le bas
l’avenir et le passéPhosphorescence
IIILE JARDIN REMUÉ
(vitrail du soir)
Apparition
disparitionLes cheveux de Vénus
Constellation
intimitéL’avenir et le passé
Prolongation
perturbationLa cuve de Mercure
Éloignement
rapprochementÉchangeant le haut le bas
Apesanteur
incubationLe lièvre de Mars
Effacement
indicationJe tourne dans tous les sens
Cheminement
retournementLa barbe de Jupiter
Accouplement
séparationOù êtes-vous je m’enfonce
Inondation
assèchementLes anneaux de Saturne
Déflagration
respirationLe théâtre s’est ouvert
Horticulture
anthologieLes satellites d’Uranus
Chant des oiseaux
galop dans l’herbeLes murs se sont éloignés
Répétition
transformationLe trident de Neptune
Carrés triangles
cercles ellipsesOù sont-ils qui suis-je quand ?
Vies parallèles
chemins croisésL’empire de Pluton
Renversement
lévitationL’ouverture du testament
IV
V)(Ce qui est en italiques doit être projeté sur un côté de la scène.)C’est comme si j’avais trois mains
Un jour je me suis aperçu
que mon ombre se détachait
nullement comme ce tapis
qu’enroule subrepticement
le tentateur chez Chamisso
mais qu’elle était enracinée
dans le terrain vague désert
où je m’étais trop attardé
Phosphorescence
sauter d’une main dans une autre
Elle s’élevait peu à peu
et je pouvais tourner autour
le soleil virant avec moi
dans une ronde d’autres ombres
Feux de détresse
Elle s’obscurcissait aussi
comme une statue grise et noire
qui me regardait goguenarde
sans plus reproduire mes gestes
Les travaux de janvier
que je fais rouler sur mes bras
Elle devenait plus opaque
je me découvrais transparent
Reconnaissance
J’étais de plus en plus léger
mon poids s’accumulait en elle
Les masques de février
Si j’essayais de la toucher
c’était mon bras qui s’enfonçait
Rétrospective
Dans ma main qui disparaissait
de l’autre côté de l’ardoise
Les giboulées de mars
de la boule où nous habitons
Lorsque le soir est arrivé
Regards des anges
Les lampes se sont allumées
Intelligence
Sans me projeter d’autres ombres
Les brassées d’avril
Ni suivre mes évolutions
Prémonition
Alors je me suis exercé
Les couronnes de mai
À passer vitres et miroirs
Arborescence
Murs et planchers arbres et toits
Les fanfares de juin
Tournant autour de mon ancre ombre
Les vagues de juillet
Car si je m’éloignais par trop
Impermanence
Je sentais que je m’allongeais
Les sables d’août
Sans pouvoir contrôler ma forme
Effervescence
Et que les couleurs s’effaçaient
Les moissons de septembre
Se diluant dans l’atmosphère
Choeur des ténèbres
Me dévoilant muscles et veines
Les vendanges d’octobre
Artères ossements viscères
Astronomie
Qui se dissolvaient à leur tour
Que je fais rouler sur le sol
les fagots de novembre
Il me fallait m’en rapprocher
pour retrouver ma consistance
Réminiscence
M’assurer de mon existence
dans cette conscience en dérive
Les neiges de décembre
Mais quand s’est levé le matin
j’ai vu que dans le terrain vague
Roue de fortune
Toute une population d’ombres
était en pétrification
Des boules des sphères des bulles
l’année prochaine
Mes congénères s’étonnaient
comparant leurs opalescences
et les échos multipliaient
leurs interrogations troublées
Luminescence
Nous passions les uns dans les autres
nous heurtant à nos monuments
qui se remirent à marcher
parler se nourrir et dormir
Voici qu’apparaissent des balles
contemplation
Nous tous adhérant à leurs pas
nous sommes devenus leurs ombres
parlant encor pour quelque temps
puis reproduisant leurs discours
les absorbant en résonance
dans les vibrations de nos gongs
les cavernes de nos émois
le bourdonnement de nos ailes
Le vent est entré dans mes mains
(à disperser aux bons endroits)Une chauve-souris
vient frôler la fenêtre
les cils de l’horizon
se croisent dans la brume*
Les branches se balancent
une dernière fois
pour nous dire au revoir
jusqu’à demain matin*
Les pétales de braise
se retournent dans l’ombre
pour se carboniser
dans les cendres du vent*
Le rossignol se dresse
sur son faîte de tuiles
pour répondre à son frère
parmi les cerisiers*
La face ouest des montagnes
retient un peu de cuivre
dans le bain de mercure
et les rouages de fonte*
Flaques de lait de Lune
dans les marais de rouille
agités par le souffle
qui tourne au coin du bois*
Cramoisi devenant
pourpre de plus en plus
sombre comme en planant
lentement dans un gouffre*
Une goutte de pluie
puis une autre une goutte
de nuit et puis une autre
couvrant tout le jardin*
L’aboiement d’un vieux chien
souligne le silence
qu’il déchiquette comme
une vieille chaussure*
Les doigts du vent soulèvent
un tourbillon de sable
puis viennent chatouiller
les châles et cheveux*
On voit encore un peu
les branches sur la place
l’étoile du berger
brille près de la tour*
L’horizon se recourbe
comme un pont de navire
nous avons pris la mer
sans nous en rendre compte*
Ce tremblement ce n’est
que frissons dans les voiles
nous sommes embarqués
sur le vaisseau planète*
Les pages des minutes
tournent plus lentement
soudain l’horloge sonne
en pleine obscurité*
Craquements dans les branches
une respiration
on devine des yeux
un rideau s’est fermé*
Un rai sous le vantail
la Lune dans la vitre
une goutte qui tombe
un sifflement discret*
Une odeur de lavande
l’enivrement du thé
l’effleurement du sel
sur le bout de la langue*
On ne distingue presque
plus rien il ne demeure
que la contemplation
de lueurs et de soupirs*
Je ne puis plus ni lire
ni écrire j’écoute
avec toute ma peau
l’écho de la distance*
Imperceptiblement
les inscriptions s’enfoncent
dans un bain de questions
qui bouillonne d’urgences
NOTES SUR UNE CIVILISATION FURTIVE
Les habitants de cette île située bien à l’écart des principaux circuits touristiques, rarement visitée jusqu’à présent même par les explorateurs les plus avisés, sont principalement connus par les plaques rectangulaires de tailles diverses, modelées dans une matière légère dont ils gardent le secret, qui flottent au gré des vents et des courants, et s’accumulent en dépôts parfois considérables dans les criques et les roselières. Certains ambassadeurs vêtus de façon toute semblable à la nôtre dans leurs expéditions, en colportent dans leurs poches ou leurs besaces et s’efforcent de les écouler sur les marchés ou autres lieux de foule, mais sans grand succès, car les naturels à qui ils les proposent pour des sommes généralement dérisoires, ne comprennent pas bien à quoi elles pourraient leur servir.Les habitants de cette île dont on dit qu’elle se déforme perpétuellement sur son lac, ce qui explique que l’on n’en ait pas encore de carte satisfaisante, emploient ces plaques comme matériau de construction; ce sont les briques de leurs murs et les tuiles de leurs toits. Non seulement ils en bâtissent leurs maisons, leurs temples, leurs monuments, mais ils en tapissent leurs rues, leurs routes, leurs puits, leurs canaux et leurs quais, les liant par un ciment invisible qu’ils peuvent rendre indestructible pour autrui, pour les éléments les plus déchaînés, tout en restant capables de le défaire doucement avec leurs doigts ou même leur souffle. C’est aussi ce qui leur sert de vaisselle. Ils y déposent leur beurre, leurs fromages, leurs fruits, y découpent leurs viandes, y râpent leurs légumes. Pour leurs liquides, ils utilisent des objets creux de cette même matière flottante, en forme de conque ou de coupe, dont la capacité varie entre celle d’un dé à coudre et celle d’un petit tonneau. On en a signalé d’immenses, qui sont vraisemblablement des citernes.
Les habitants de cette île dont on dit qu’elle se déplace perpétuellement sur son fleuve, ce qui explique que l’on puisse trouver aujourd’hui ce genre de dépôts, plaques et coupes, assez loin de sa position actuelle, près de villages où tout un folklore s’est développé à leur sujet, présentent souvent dans leurs festins, sur des plaques rectangulaires qui prennent alors fonction de plateaux, des corbeilles et des vasques remplies de balles de même matière. On dirait que ce sont des fruits, et on les distribue de la même façon; il n’est pas impossible que cela puisse constituer pour eux une nourriture au sens littéral, alors qu’il n’en est pas question pour nous, mais ce ne pourrait être qu’une réserve à l’extrême nécessité, car nul de nos informateurs n’a jamais réussi à voir l’un d’entre eux en absorber. Par contre, comme ces balles peuvent toujours être refondues pour en faire des plaques ou des coupes, il est certain qu’ils les considèrent non seulement comme la représentation de leur nourriture, mais comme la nourriture même de la matière. Ils disent : “la table aussi se met à table”.
Les habitants de cette île dont on dit qu’elle a navigué sur la mer, qu’elle y naviguera encore, appellent certaines de ces balles “la nourriture de l’amitié”. En effet, alors que la plupart d’entre elles, en quelque sorte célibataires, conservent l’empreinte d’une seule main qui s’est fermée sur la matière encore fraîche, avec toutes ses lignes et replis, ce qui leur permet de servir de sceau ou de signature - les invités d’un banquet en ramènent chez eux comme mementos -, d’autres nommées balles de contrat, sont le résultat d’une poignée de main plus ou moins vigoureuse. Lors des contestations qui peuvent survenir, les juges évaluent la bonne foi des parties en supputant pressions et réticences. Lorsque la tractation implique de nombreux participants, la balle s’allonge en bâton. Les archives parfois ressemblent à des fagots et s’entassent dans de vastes entrepôts que les voyageurs ignorants ont souvent décrits comme des bûchers.
Les habitants de cette île dont on dit qu’elle peut plonger sous les eaux, et que toutes ces plaques, coupes, balles et bâtons y étant pratiquement délivrées de la pesanteur, il faut les arrimer avec des fils solides et souples, sont capables d’extraire de tous ces objets en les plongeant dans les sucs de certaines plantes mijotés à telles dates avec tels cristaux dans tel éclairage avec tel accompagnement musical, les fils nécessaires dont les multiples noeuds et repliements les constituent. La couleur de ces fils pouvant être modulée selon des codes longuement mis au point, on comprend qu’ils peuvent enregistrer tous les discours. Si le détail de la forme du bâton constitue la signature du contrat, ses termes, toutes ses dispositions en sont la matière. Ainsi les maisons sont toujours des bibliothèques, les murs des réserves de livres. On distingue les objets à fibre simple, susceptibles d’une lecture linéaire, à fibres en éventail avec de multiples bifurcations, à fibres entrecroisées ou tissus. On reconnaît aisément les discours simples, les plus usuels, à leur forme de fuseau ou bobine.
Les habitants de cette île dont on dit qu’elle peut glisser sur le sable et même, s’ils concentrent suffisamment leur attention, sur une plaine cultivée sans endommager le moindre brin d’herbe, utilisent comme vêtements ces tissus généralement roulés en cylindres pour leur rangement. Il ne s’agit pas seulement de se protéger du froid ou de la chaleur, la fibre en question étant remarquablement imperméable et isolante, mais aussi de la multiplier, car elle a la propriété de fixer la sueur. Celle-ci, au lieu de se disperser dans l’atmosphère sans profit pour personne, se concentre, lors de son évaporation rafraîchissante, le long d’un fil “mère”. Très mince et fragile au début, ce fil “enfant” grossira peu à peu, deviendra détachable; on le renforcera par divers traitements et teintures, et il sera bientôt capable de retenir discours, informations, de s’enrouler ou s’entasser en objets nouveaux.
C’est pourquoi les vêtements des habitants de cette île dont on dit qu’elle peut se faufiler à travers les forêts, alors que les nôtres s’éliment et se trouent à l’usage, engraissent au contraire de telle sorte qu’il faut les dédoubler à peu près une fois l’année; les nouveaux vêtements, encore vierges, sont roulés en attendant leur affectation. Mais cette virginité n’en fait nullement un terrain neutre, car les fibres, dans leur texture et leur disposition, inscrivent toutes les suées de leur premier porteur. Ainsi ses efforts, ses voyages, ses saisons, ses fièvres, ses colères ou ses terreurs peuvent transparaître en filigrane sous les textes palimpsestes dont on chargera ses produits. De telles analyses se font à l’aide d’objets en forme de pyramides, appelés “filtres”.
Certes la sueur ne suffit pas, il faut aussi de la salive; et c’est pourquoi un fil presque invisible relie toujours le coin des lèvres des habitants de cette île dont on dit qu’elle est capable d’escalader les montagnes, à des disques accumulateurs qu’ils échangent avec leurs modeleurs ou modulateurs lorsqu’ils sont devenus suffisamment lourds. C’est ce qu’on décrit en général comme leur monnaie. Les malades sont précieux : ils engraissent leurs vêtements beaucoup plus vite que les autres. Les bavards sont précieux : on dit qu’ils dorent leur pilule. Il faut aussi de l’eau de mer, d’où tous ces bains, ces linges. On voit parfois sur les plages ou dans la campagne des monceaux de rouleaux, de disques, de fuseaux; ce sont des vêtements “à distance” qui vous réchauffent et qui vous sèchent, mais il y a là une telle déperdition d’énergie que la multiplication est presque nulle. Aussi la nudité est-elle en général réservée aux colloques. On la nomme “le grand costume”. Et l’on encourage les concours d’élégance vestimentaire à la saison chaude. Il n’est pas rare de voir une des gagnantes enlever successivement cinq ou six manteaux à longs poils.
Il y faut aussi de la laine, du crin; les habitants de cette île dont on dit qu’elle peut se creuser des galeries sous nos villes, et que les plaques, coupes, balles, bâtons, fuseaux, rouleaux, pyramides et disques y transforment autour d’eux la terre en air de jadis, coupent souvent leurs cheveux pour qu’ils repoussent d’autant plus, et ramassent toutes leurs boucles pour en fortifier leurs vêtements-livres, leurs vaisselles-livres, leurs maisons-livres, leurs navires-livres. Ce sont de grands éleveurs; ce sont de grands cultivateurs, car il faut aussi du coton, du lin. Ce sont de grands explorateurs, car il leur faut aussi des livres étrangers, des livres de papier qu’ils fondent ou durcissent aux feux de leurs fourneaux profonds. Ils mesurent constamment leur espace et le nôtre par des stèles qui semblent au premier abord des portes ne donnant sur rien, et qui sont des portes en effet, les portes de la vie d’un homme, car toutes les fibres, tous les textes produits dans sa vie par cet homme, tous les contrats qu’il a signés, toutes les poignées de main qu’il a reçues, sont compressés pour constituer cette mince lame, son sarcophage qui a la plus grande hauteur qu’il ait jamais atteinte, la largeur de ses bras croisés, l’épaisseur de l’espace entre ses yeux fermés, car toutes les fibres de son corps y sont aussi entremêlées, et l’on pourrait les en extraire et reconstituer son cadavre au moment de sa mort, étaler toute son histoire sur toute l’île pour des années de lecture.
C’est ainsi que l’on peut dire de cette île qu’elle demeure immobile dans le torrent des âges, car ses habitants se servent de ces étranges tombes comme de gongs, chaque détail de fibre fournissant un détail de l’onde qui, par échos et traductions, s’en va annoncer, tout autour de la Terre et peut-être ailleurs, la persistance de leur civilisation furtive.
(dans Explorations)
APERCEVANT PONTOISE
BAVURES BAVARDES
LE CLUB DES SOUFFLEURS
LE THRÈNE DES PNEUS
LE VELOURS DES DICTIONNAIRES
J’AIME NICE
L’INVITATION AU VOYAGE
L’amateur lointain :
1) ÉVENTAILS POUR LA CORRIDA
2)
BOIS POUR LA CORRIDA
3) COURONNES POUR LA CORRIDA
4) PASSES POUR LA CORRIDA
5) RAFRAÎCHISSEMENTS
POUR LA CORRIDA
6) CORNES POUR LA CORRIDA
7) BANNIÈRES POUR LA CORRIDA
PRÉLUDE À L’APÉRITIF
D’UN FAUNE
LE SAPIN ARDENT
LA SEMENCE D’ICARE
MESSAGE DU NOUVEL AN
LES DEMI-FRÈRES
L’AUBÉPINE
LE PRINTEMPS REVIENDRA
LES ARRONDISSEMENTS DU TENDRE
LES COULEURS DE L’INCONNU
PÉTALES DANS UN MIROIR
LES CHANTS DE LA GRAVITATION
:
I) LE JONGLEUR D’ESPACES
II) CRÉPUSCULE ANCIEN
III) LE JARDIN REMUÉ
IV) LA MULTIPLICATION DES MAINS
V) À LA TOMBÉE DE LA NUIT
NOTES SUR UNE CIVILISATION
FURTIVE