Poésie au jour le jour 4
(enregistré le 30 janvier 2001)
AU GRAND BONHEUR LA CHANCE
Mains promenées sur le clavier
comme sur un tendre visage
pieds flânant sur le pédalier
comme au long d'un itinéraire
depuis Tokyo jusqu'à Venise
depuis Damas jusqu'à Séville
cueillant les graminées au vent
mordillant menthe ou chèvrefeuille
à la recherche des clochers
des gratte-ciel et des pagodes
rivalisant avec les anges
pour répondre aux voix des enfants
répercutant l'écho des gongs
dans les ruelles ou ravines
pulvérisant flûtes d'écume
au creux des sables et rochers
grondant avec trompes et fauves
entre les radeaux et les lianes
filant avec les échangeurs
dans les archets des autoroutes
brûlant dans les dunes de neige
ou sifflant sur les archipels
tandis que la lampe s'allume
de l'autre côté de la vitre
où se réfléchissent nuages
dans les rayons du crépuscule
arbres agitant leurs mouchoirs
au tournoiement des hirondelles
foules oubliant leur misère
dans les oripeaux de la fête
sous avalanche de pétales
au plus secret de la nuit verte
avant de tomber de fatigue
dans les chambres ou sur les quais
et de poursuivre grâce aux rêves
chatouillés du petit matin
par explorations et lectures
les jeux de l'orgue vagabond
Le bonheur, c'est d'apprendre la fin de la guerre.
- C'est les nuages, les merveilleux nuages...
- Gravir les pyramides de Teotihuacan en plein midi avec un panama sur la tête.
- Que la France soit terre d'asile.
- Embarquer sur le navire de la Reine de Saba dans le tableau de Claude Lorrain.
- Qu'un milliardaire un peu poëte donne l'intégralité de sa fortune à un hôpital moyennant qu'on lui réserve une chambre séparée, avec naturellement un droit de regard sur la comptabilité, ce qui conduit les autres émerveillés par cet accès de lyrisme à s'empresser d'en faire autant.
- C'est l'invention des automobiles silencieuses.
Le bonheur, c'est le retour de l'enfant prodigue.
- C'est l'oiseau qui parle, l'arbre qui chante et l'eau couleur d'or.
- Siroter du thé à la menthe en attendant le lever du soleil sur Pétra.
- La lecture dans un journal de droite d'un compte-rendu sur un livre qu'on vient de publier qui ne soit pas un éreintement fielleux et témoigne même de quelque sensibilité.
- Marcher le long d'une plage interminable en ramassant des coquillages.
- Qu'un éditeur passionné découvrant soudain ce que sont payés les joueurs de tennis, améliore substantiellement nos contrats.
- C'est l'invention des motocyclettes silencieuses.
Le bonheur, c'est voir que se remet un frère que l'on croyait perdu.
- Ce sont les lichens figurant les haleines, humeurs, pierres et flammes.
- Ecouter le rossignol en dînant sur sa terrasse.
- Improviser au piano en bonne compagnie jazzistique sur le thème "body and soul".
- Voler de ses propres ailes.
- La capacité d'espérer encore que le XXIème siècle soit moins atroce que le XXème (sans même parler des précédents).
- C'est l'invention des hélicoptères silencieux.
Le bonheur, c'est lire dans les yeux d'une femme qu'on aime qu'elle a envie que vous le lui disiez.
- Ce sont les cinq doigts de la main avec les ongles, les six faces du dé avec leurs chiffres, les sept pulsions capitales avec leurs emblèmes.
- Tomber sur la retransmission d'un opéra à la télé tandis que le programme annonçait celle d'un match de foot.
- Tenir la partie de récitant dans la première d'un compositeur ami.
- Faire des progrès en chinois classique.
- L'accueil enthousiaste des étrangers aux aéroports par les remplaçants de l'actuelle police, conscients de leurs ressources qu'ils ignorent souvent eux-mêmes.
- C'est l'invention des avions silencieux.
Le bonheur, c'est découvrir que la brouille avec un ami très cher qui durait depuis des années, provenait d'un absurde malentendu.
- C'est l'ouverture du monde que l'on veut toujours nous cadenasser.
- L'abandon de l'audimat par les chaînes publiques.
- Réussir à écrire sans une rature sur l'eau-forte ou la gouache d'un peintre complice.
- Trouver pour un voisin chômeur un travail bien payé qui lui plaise.
- La floraison du cactus cierge, la seule nuit du 15 août, dans un jardin de Nice.
- C'est l'invention des tondeuses à gazon silencieuses.
Le bonheur, c'est vous savez bien...
- C'est l'astronautique bien tard, mais bientôt, vous verrez, bientôt, cela va reprendre...
- Rendre concrète la notion de vitesses transluminiques.
- Débusquer enfin l'adjectif qui se dérobait depuis six semaines.
- Serrer la joue d'un bébé contre sa barbe.
- "Une fois, par un minuit lugubre, tandis que je m'appesantissais, faible et fatigué, sur maint curieux et bizarre volume de savoir oublié, tandis que je dodelinais de la tête, somnolant presque, il se fit un heurt, comme de quelqu'un frappant doucement à la porte de ma chambre..."
- C'est l'invention de la construction silencieuse.
Le bonheur, c'est la suite et la série et le reste et les autres, et les refusés et les oubliés, les imprévus, les j'en passe, et j'en passe...
- C'est le désert qui retrouvera ses bruits propres.
- Qu'on vous demande d'en parler dans Libération.
- La critique enfin sérieuse par un jeune philosophe audacieux de la notion de croissance en économie.
- Ouvrir dans la modeste demeure que l'on vient d'acheter la petite porte imprévue qui donne sur d'immenses caves comme celles de la maison natale de Rabelais à la Devinière.
- Trouver autre chose.
- "Sa dent, douce à la mort, m'avertissait au chant du coq -ad matutinam au Christus venit, - dans les plus sombres villes..."
- C'est un jour, on ne sait quel jour, après tous ces fracas et secousses, un peu de silence entre amis autour de quelque boisson.
LES RÉVÉLATIONS DE L'ATRE
Ouvrez les yeux
tournez autour
des yeux d'autrui
des feux de joie
d'amour ou de mélancolie
des jeux d'autrui
des feux de bois
des yeux des roses
des iris au bord des étangs
de rage ou de divination
des yeux des choses
du bois d'autrui
des feux d'iris
des yeux des murs
des jeux des rois
ouvrez les bois
tournez autour
des feux d'autrui
de leurs étangs
de rage ou de mélancolie
plongez au fond
des yeux des roses
iris d'autrui
feux des étangs
ouvrez les murs
autour des yeux
d'amour ou de divination
réchauffez-vous
éclairez-vous
enivrez-vous
aux rois des jeux
aux feux des choses
C'est le laboratoire des braises. Les fours optiques nous découvrent des images de plus en plus prometteuses dans les derniers clichés que viennent de nous ramener, à si grands frais et périls, nos furtives caméras automatiques accompagnées depuis leurs sinueux périples entre goules et météores, trous et tourbillons. Enfin une planète habitable! Nous l'avions cherchée depuis si longtemps que nous n'osions plus y croire. Car la nôtre, il vaut mieux dire celle d'où nous venons, d'où nous fuyons, elle devait bien l'être plus ou moins dans un jadis déjà presque oublié, pour avoir permis notre développement titubant; mais depuis des siècles au moins l'horreur l'a envahie, et nous ne parvenons plus à imaginer quand cessera, même quand se ralentira sa précipitation vertigineuse vers une toujours plus vrillante et stridente acuité d'enfer. Miracle, avec nos yeux écarquillés, l'esprit vacillant, nous entrevoyons désormais la délivrance. Que de théories il nous aura fallu patiemment démonter, détruire, si pompeusement, si impérieusement inculquées, et qui certes semblaient aussi sûres que celles de la scolastique au temps de Galilée; que d'appareils élaborer, expérimenter, améliorer avec une ingéniosité, une obstination comparables à celles des chasseurs d'antant que de gouvernements séduire, pour le financement bien sûr, mais ne serait-ce que pour la tolérance, en leur faisant miroiter d'illusoires possibilités d'utilisations militaires! Cela valait toutes ces flammes et peines, toutes ces déchirures et sutures. Voici un paysage à défricher, aménager pour nous y installer afin d'en repartir vers d'autres cieux vraiment nouveaux.
Le dieu Lug dont nous ne savons pas grand chose, mais du moins qu'il est le Mercure gaulois et galant, a trouvé dans les Voirons un de ses reposoirs préférés entre deux de ses nombreux voyages de grande ville en grande ville où ses anciens temples, monastères et palais sont devenus des universités, et aussi de désert en désert, car il est photographe et botaniste à la recherche d'espèces particulièrement résistantes pour les greffer, croiser, forcer, transnaturer. Il est honoré dans l'église du chef-lieu sous les doubles espèces de Saint Etienne protomartyr en dalmatique de satin mordoré tirant vers le cramoisi, capable de changer les pierres meurtrières en nuages porteurs, et de Saint François de Sales toujours chastement amoureux de la bouquetière Glycéra qu'il désire initier à des dévotions nouvelles. Celle-ci est un avatar de son épouse Rosmerta la noire, celle qui subjugue les serpents, dans le costume et la pause de l'apparition de la Salette. Ils parcourent la forêt en charmant les animaux qu'ils emmènent à leur suite dans de profondes cavernes aux stalactites ferrugineuses avec incandescences et phosphorescences, plongeant dans des lacs étincelants dont l'eau leur donne la parole. Quelle variété dans leurs voix, quelle souplesse dans leurs phrases! Ils en profitent dans de longs colloques passionnés, mais ils en oublient l'usage en remontant vers le jour tandis que leurs guides reprennent leurs attributs de jardiniers tranquilles: tablier avec sécateur sortant à demi de la poche ventrale, fouillis de raphia, bêche ou trident et chapeau de paille. Ils prennent ainsi toutes sortes de formes jusqu'à devenir dans leurs étreintes nuages et montagnes, étoile filant au travers d'une constellation, jet d'eau dans la rade, enlacements d'autoroutes, pommiers dans les prés, épis dans les champs, trains dans les tunnels, avions sur les pistes, et leur naît une descendance d'ombres et d'échos de toutes les nuances d'un catalogue de soies, de toutes les hauteurs des sirènes, de toutes les subtilités des langues, qui accompagnent les rires des enfants dans le préau de l'école.
*
Le dieu polytechnicien aiguise ses canifs, ciseaux et cisailles aux meules du vieux moulin avec sa passerelle et ses auvents. Son épouse tisserande et couturière lui confectionne des salopettes avec la laine des moutons qui paissent sur les pentes les plus douces, ou les poils des chèvres qui escaladent les ravines, ou encore le chanvre et le lin, sans oublier les fibres des clématites et prêles. Il passe ainsi aperçu-inaperçu dans plusieurs carrefours à la fois. Lui qui ne savait pas conduire, le voici à l'aise derrière un volant. Parfois il est lui-même automobile et c'est Rosmerta qui change les vitesses. Un virage suffit pour qu'ils deviennent jument et cavalier (ou bien amazone sur un étalon, branche et fleurs, flamme et bûches, alambic et flacon. Tous les paysans leur offrent des chaudrons de teintures végétales qu'ils font mijoter sur des réchauds de braise au fond des impasses pour qu'ils viennent y plonger leurs écheveaux. Les frontaliers les imitent depuis belle lurette, apportant des accents exotiques avec les épices achetées sur les rives du Léman, et les vacanciers s'y mettent, mais restent encore maladroits. Tout cela parce qu'il s'agit de dieux heureusement et généreusement distraits, qui laissent traîner leurs couvertures ou châles dans les jardins qu'ils favorisent de leurs promenades. Les naturels s'en affublent et en font parade en de grands défilés dotés de nombreux prix. Lors des années de grande piété les couleurs sont à la fois éclatantes et profondes, les motifs attrapent les attitudes de la vie courante comme des instantanés; toute la chronique de la région se poursuit d'un tissu à l'autre. Lors des relâchements trop fréquents certains solitaires parviennent à d'émouvantes délicatesses qui s'épanouissent en scènes intimes.
*
Une des fêtes principales de ce dieu guetteur, c'est la nuit des étoiles filantes. On cherche les cimes les plus dégagées en se munissant de miroirs pour multiplier les effets. Bien sûr, nulle flamme, par contre beaucoup de lampes éteintes où l'on espère que les météorites viendront s'enfouir comme des semences pour se développer au cours de l'année suivante en arbres de lueurs invisibles de jour. On les descend le soir en processions silencieuses pendant lesquelles on découvre progressivement leurs détails et teintes, saluées à chaque borne kilométrique par des fanfares de fifres, gongs et triangles, pour qu'ils illuminent enfin les clairières creuses où l'on dispose les délices des médianoches sur des jonchées de fougères et lavandes. Les graines célestes qui se laissent surprendre par les premiers rougeoiements des petites heures, peuvent néanmoins donner naissance à des arbres d'ombres qui, malgré leur parfaite pénétrabilité, protègent efficacement contre les rayons torrides.
*
Lug est le mainteneur des jeux. Il jongle avec les anneaux des rencontres olympiques. Les coupes souvent géantes que les vainqueurs brandissent au-dessus de leur tête aux applaudissements des foules en délire, sont destinées en fait à recueillir leur abondante sueur qui lui est bière délectable et désaltérante et qu'il redistribue filtrée en averses, cascades et rosée. Chaque année il doit prouver sa supériorité aux échecs, bridge et golf; sinon la corruption s'installe dans les gouvernements auxquels il ne participe jamais ouvertement, mais dont il est, dans les rares meilleurs années, l'éminence couleur de nacre; sinon les maffieux rançonnent les banlieues élégantes et les pirates interdisent pratiquement la navigation aérienne. Lors de ces tournois essentiels, il cache sa barbe légendaire et prend l'apparence d'un jeune homme, toujours d'une identité différente, qui n'arrive plus à comprendre, quand il se réveille de sa transe, comment il a pu si bien jouer.
*
Discret et roublard, Lug est le fossoyeur et l'embaumeur des dieux périmés. Chaque tombe, dans le petit enclos en contrebas de la place, est aussi celle d'une croyance. La nuit de la Toussaint, on pose sur le rebord des fenêtres des citrouilles évidées en forme de crânes rieurs, la flamme d'une bougie vacillant dans leurs orbites. Les fantômes des vénérés d'antan viennent les animer. Quand tout est endormi dans le village, ils se rendent visite et se rassemblent autour de l'un ou l'autre pour se raconter leurs exploits de jadis, leurs combats, leurs puissances, les sacrifices qu'ils inspiraient, le sang, la graisse et les larmes dont ruisselaient leurs images, en remontant ainsi jusqu'à la nuit des temps. Lug inlassablement les écoute et trouve les mots pour les consoler de leurs malheurs de vieux dieux au rancart.
*
Lug est aussi surnommé l'oiseleur. Nombre de spécialistes estiment aujourd'hui qu'il est à l'origine du mythe de Dédale et d'Icare. Vraisemblablement c'est sur un de ses anciens sanctuaires qu'a été édifiée à Paris l'église Saint Martin des Champs intégrée maintenant au Conservatoire National des Arts et Métiers. Il est considéré comme l'inventeur des instruments à vent, lesquels ont tous été conçus comme des appeaux destinés à attirer les hommes cachés sous les plumes. Ainsi les orgues remplissent les volières à vitraux lors des offices. Après avoir bien tournoyé au long des falaises, on dépose ses ailes, son deltaplane ou parapente, dans les vestiaires du transept.
1)(John Armleder)
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2
(Martin Disler)
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(Hervé Graumann)
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Le clavier des races futures
1) La Mer morteLa nappe huileuse qui a recouvert Sodome et Gomorrhe était nommée lac asphaltite. Les branches sèches des rares arbres riverains, quand elles s'y effondrent, se recouvrent rapidement, en flottant, de cristaux jaunâtres (on dirait le cadavre du soufre) qui deviennent gris taupe en quelques semaines à cause de la poussière charbonneuse que le vent arrache aux montagnes abruptes alentour. Les ruines englouties sont enrobées d'une carapace qui alourdit tous les détails jadis raffinés et les cache bientôt comme sous un épais tapis de feutre rugueux. Quant aux squelettes, emmitouflés de pelisses de pierre, ils enlacent maladroitement leurs membres raides et patauds en attendant la foudre.
2) Le Trajet scolaire
L'enfant se remémorant, avec de plus en plus de lacunes, la fable qu'il s'est efforcé d'apprendre la veille au soir: Le Loup et le Chien, Les deux Pigeons, ou Les Animaux malades de la Peste, compte les pierres en bordure du trottoir dans le petit matin brumeux du quartier Saint-Sulpice à la mi-novembre. Très peu de différence de luminosité entre le haut et le bas. Aussi, quand il arrive au chiffre trente-trois, c'est comme s'il marchait sur une mer de nuages en calme plat. Les maisons qu'il devine, sont des flancs de navires peut-être aériens. Toute une flotte militaire moderne avec les cheminées devenues canons dressés, croise dans l'effacement des bus et camionnettes; mais çà et là ce doit être des proues de galions d'autrefois avec fenêtres à petits carreaux, balustrades, lanternes et oriflammes, même des
cerfs-volants de grande taille, en figures d'aigles, abeilles et dragons, capables sans doute de les emporter, pour partir à la découverte d'îles où les animaux parlent parmi des trésors à foison.3) Le Jardin des Banlieues
Les géraniums, les pétunias, les oeillets d'Inde, c'est de l'autre côté de l'autoroute, avec les platanes et lilas, les haies de troènes, les grottes de Lourdes, nains de Blanche-neige, moulins à vent miniature, et aussi les pelouses à tondeuses et arrosage, même tout un golf où les élégants ajustent leurs tirs puis traînent leurs luxueuses sacoches à roulettes d'où émergent les poignées de leurs cannes numérotées, jusqu'au petit drapeau suivant. Ici nous n'avons que le gravier, le mâchefer, un peu de sable et ces larges étendues entre les grillages, où nous pouvons taper de toutes nos forces le plus souvent bâillonnées, shooter dans un ballon de cuir, ou dans ce qui nous en tient lieu, gueuler tout notre saoul, frapper sauvagement avec des marteaux ou des clefs anglaises sur des fonds de bassines percées et rouillées, et lancer nos pieds obstinément, rageusement vers tous les points de cette rose dont nous parlent les voyageurs, en scandant nos imprécations, nos accusations, nos réclamations, nos propositions tandis que nos soeurs plus jeunes, tout en sautant à cloche-pied sur leurs marelles de case en case vers un ciel de jeux, en retenant leurs jupes à demi, gloussent en nous montrant du doigt.
4) L'Agonie de la Route
Après des heures de conduite soyeuse, joyeuse, traversant le paysage fabuleux comme la déchirure d'un drapier, enfilade-estafilade en caresse, les cheveux légèrement ondulés par le vent de la vitesse qui fait vibrer les vitres aux trois quarts baissées, tel un archet la scie musicale, voici à la fois lacets et cahots qui nous obligent à ralentir entre les talus qui bouchent l'horizon. Quelques demeures de plus en plus misérables. Les poteaux et les fils de l'électricité n'arrivent pas jusqu'aux dernières, une sur deux désertée, carreaux cassés, volets branlant, toits hâtivement réparés avec un morceau de linoléum. Quelques clôtures de barbelés s'effilochent en paraphes macabres; un panneau publicitaire délavé en lambeaux, quelques sacs de plastique roulant et voletant à notre approche, boîtes de conserves à couvercles dentelés, tronçons de tuyaux, squames de pneus. Des lézardes s'élargissent et se creusent. Reprise du volant de justesse. Flaques et nids de poules. Il devient difficile d'éviter les cailloux, même les rocs. Encore quelques ornières dans l'herbe épineuse et rare, pour une centaine de mètres; puis c'est la désorientation.
5) Le Tableau des Démunis
A l'ombre de l'église désaffectée, il essaie des craies de couleurs pour améliorer non seulement ses copies de l'Angélus de Millet, de la Cène de Léonard ou d'une Madone du Guide, mais des études d'écorchés, des cartes géographiques légendées d'archipels tentateurs à parfums, mines et vestiges, des problèmes classiques de géométrie: théorème de Pythagore, construction de l'heptagone, cercle des neuf points, aussi des projets d'automobiles, sous-marins, astronefs. Quittant la foule indifférente, les gamins du faubourg s'assemblent, les yeux brillant, pour lui demander des explications qu'il leur détaille sans se lasser. Mais dès que la nuit tombe au long des chéneaux, après généralement un sandwich au jambon et une dernière lampée de son kil de rouge, il s'enroule et s'endort dans une couverture effrangée sur un soupirail de métro, et selon le temps, sous une bâche, le visage caché par son galurin, tandis qu'il les entend effacer soigneusement tout son travail du jour par le frottement de leurs espadrilles, comme chez les Navajos on disperse le sable de la peinture thérapeutique une fois le chant terminé.
6) Le Tremplin des Révoltes
Monté sur ressorts, dirait-on, maigre et musclé, sourcils en barre, il rebondit comme une balle de tennis après avoir sauté du rebord d'une fenêtre au rez-de-chaussée d'une tour lépreuse, abreuvant d'insultes ce sol qui n'est ni terre ni mère, cette dureté où pas moyen d'enfoncer des racines, ce refus constant, cette bastonnade à chaque pas, cette éviction, relégation, extradition, cette râpe où l'on s'écorche en s'étalant, cette dénégation, déréliction, dégradation, impossible à creuser pour y enfouir ses morts entre soi, cette injustice. Il trépigne dans les aiguilles du froid, loin de tout bistrot ou bibliothèque, loin de toute poitrine ou oreille consentante, sous son T-shirt où l'on distingue encore le sigle orgueilleux d'une université des Etats-Unis à laquelle il est impensable qu'il appartienne jamais, s'acharne comme un marteau-piqueur pour essayer de crever ce mutisme, cette cécité, cette surdité, rêvant d'un chalumeau pour les fendre et les fondre, retrouver les dessous, le possible et l'envers, sabrer cette aire à l'abandon, cet épiderme devenu vernis opaque et mat, y tatouer sa signature et ses adieux.
7) Le Miroir de la Déception
C'est seulement par temps de grande pluie que je puis y voir mon reflet. Nulle végétation ne pourra profiter de cette eau vaine qui se précipite aux égouts chargés de nos poisons inépuisables. Je reconnais vaguement mes vêtements avec leurs couleurs ternies, mais les traits du visage sont brouillés dans un tremblement d'ondes entrecroisées. Lorsque le temps s'éclaircira quelque peu, mon image, loin de se préciser, disparaîtra comme si ce fantôme horizontal de moi-même ne m'était apparu que pour m'effrayer par la menace d'une interminable noyade en punition d'erreurs présentes ou passées que je cherche à identifier, peut-être simplement la nuance de mes yeux, ou mon oubli de celle des yeux d'autrui. Par chance l'inversion de la droite à la gauche fait que mes gestes de panique ou de résignation se renversent en encouragements. Aussi, quand je verrai mon ombre finement découpée par les ciseaux du grand soleil, artiste en silhouette, je saurai que la libération est proche, que mon apparence m'est pardonnée, que mes ambitions les plus folles sont justifiées à perte de souffle et de vue.
1Construite, nous disait-on, par Blanche de Castille au moment même où le roman passe au gothique, l'église formait pour moi, avec l'ancien petit cimetière accolé (il y en a un plus spacieux dans les champs en contrebas), une autre île de la Cité, sans fleuve, bien sûr, mais se détachant sur l'horizon à cause du tertre de son nom. C'était comme un bourgeon de Notre-Dame de Paris, avec la fraîcheur de ses moisissures vertes tel un ruissellement constant de sève.
2
Les colonnes flûtées sous les chapiteaux madrépores soutenant les arcs à grecques et zigzags. La langue allemande emploie le mot "fagott" pour désigner le basson, et cela évoque bien son aspect, semblable à ces faisceaux, quand il est démonté. On a l'impression que des doigts de flammes exercent leur virtuosité sur tous ces trous, mais flammes si claires sous la conduite du vent piqueté de pétales au printemps, qu'elles n'ont déposé nulle cendre ou suie. L'orgue absent dans la tribune (il n'y a toujours qu'un harmonium en bas) étale ici et tout au long des bas-côtés ses gammes d'ultrasons, chacun des tuyaux formant tout un jeu.
3
Le portail donne sur la place quasi-ronde avec château en face, très simple, joli dix-neuvième sans prétention, mais dont les grandes fenêtres me faisaient rêver rencontres à la Marivaux, déjà propriété des frères de Saint-Jean-de-Dieu qui ont installé dans le parc autour toute une cité pour handicapés, et à sa gauche le chemin blanc qui descend d'abord à de magnifiques allées de tilleuls, puis un pont sur la tranchée ferroviaire, enfin d'anciens moulins et lavoirs au fond de la vallée avec étangs et cressonières. Les processions sortaient avec ostensoir, encensoirs et bannières, enfants de choeur à surplis brodés et soutanelles rouges, et l'on avait beau s'époumoner, le vent dispersait les cantiques dont on ne percevait plus que quelques hoquets, tels des chants d'oiseaux.
4
Certains de nos ancêtres, choqués par les chapiteaux qu'ils jugeaient "gothiques", les avaient pudiquement revêtus de plâtre, ce qui a eu l'avantage de les conserver assez bien. Cette couverture est tombée par plaques, mais c'est loin d'être entièrement dégagé. Il faudra vraisemblablement les plus grandes précautions pour continuer sans dommage le travail hasardeux de l'usure. La nef ayant été jugée trop étroite, on ne sait plus à quel siècle, les colonnes ont été raclées à l'intérieur, ce qui ne semble pas avoir trop compromis leur solidité et donne le sentiment qu'on est dans une carrière, dans une église troglodyte, ou monolithique comme en Ethiopie, et qu'en raclant encore on pourrait trouver des niches naturelles, de minces puits s'enfilant vers tout un réseau de cavernes.
5
La palmette orientale, en montant à travers les forêts de la Gaule, y est devenue fougère. Le cercle par elle s'épanouit en carré aux angles de qui s'enroulent les crosses. Et ce sont en même temps des replis d'algues immobilisées autour du trésor englouti qu'elles enserrent: amphore ou graal, coffre ou apocalypse. Ces broderies répondaient à celles de l'aube ou de la chasuble sacerdotales, aux ciselures des vaisselles, aux enluminures des psautiers. Enfin c'est le départ des branches et frondaisons dans cette futaie minérale où les taches de vitraux font éclore des fruits.
6
Dans la nef il y a toujours les bancs à mince pupitre sur lesquels une étiquette de cuivre affichait le nom des familles importantes auxquelles ils étaient réservés. Ma grand-mère avait le sien où nous nous entassions. Elle avait le privilège d'offrir le pain béni le jour de la Nativité de la Vierge, fête du village qui s'animait d'une petite foire avec tirs et manèges. C'étaient des brioches en forme de couronnes que l'on débitait en morceaux vaguement cubiques dans la sacristie et que les enfants de choeur nous offraient dans des corbeilles lingées de blanc. Elles étaient encore chaudes et remplissaient toute l'église d'un parfum de viennoiserie. Il y avait aussi, naturellement, des chaises et prie-dieu mobiles pour les fidèles de passage.
7
Quel nuage est passé devant le transept pour l'éteindre comme avec un interrupteur? C'est la fin de l'après-midi. Les tomettes du sol en nids d'abeilles sont englouties dans des ténèbres fluides. Les chaises délaissées semblent suspendues dans le vide, et c'est comme si chacune des colonnes accolées en faisceaux, en fagots, allait se détacher, dégageant un espace intérieur fantôme, certainement très obscur d'abord, mais dans lequel nos yeux, s'habituant peu à peu, découvriraient phosphorescences et fontaines d'où jailliraient des femmes à cantilènes et miroirs.
8
Une sobriété romane dans un drapé baroque. Qui a mutilé la mère et le jeune garçon? Qui leur a coupé à chacun la main droite comme pour diminuer à jamais leur puissance? Révolutionnaires exorcisant leur attachement d'avant-hier, mais de quelle révolution? La forme de son socle fait penser qu'elle était au sommet de quelque monument, une chapelle peut-être qui se serait écroulée sous les fureurs d'un nouveau ciel triomphant. Persistante, cachant et protégeant dans les replis de son manteau toutes les ténèbres de son ascendance, toutes les macules de sa conception, elle transmet à notre vieille enfance la douceur des espoirs anciens que nous pensions avoir perdus.
9
Les marches montent vers la tribune où, les jours de grande fête, se rassemblaient les chanteurs. Elle est décorée du côté de la nef par trois grands angelots baroques en bois sombre, mutilés eux aussi, qui volent autour de la partition qui les inspire. Lieu de vertige et d'exception, d'où l'on peut voir sans être vu, le choeur d'en-haut renversant celui d'en bas où devraient s'accomplir les mystères. A l'abri de la balustrade on peut se moquer à son aise, chuchoter entre les cantiques. Toutes les farces de la sacristie s'épanouissent en jeux de nuages; toutes les hontes, lors d'une toux intempestive par exemple, se détendent en duos séraphiques et brûlants. On chante à perdre son visage et ses mains; on chante à perdre tous ses membres pour n'être plus qu'haleine et pulsations, vision et caresse.
10
Le jeune singe devenu vieux étale sa barbe en fronde de fougère sur les drapés de son imperméable doublé d'intellectuel frileux. Assis de travers sur une chaise qu'il ne reconnaît pas, il se dore au soleil d'un voyage dans le temps. Il aimait cette église, ce village, mais il lui a fallu courir au bout du monde pour comprendre que c'était si beau. Il voudrait qu'autrefois il ait remarqué tout ce qu'il détaille aujourd'hui, débusquer un souvenir à chacun des obscurs recoins. C'est comme s'il se prenait par la main sans pouvoir rien se dire; et chacun montre quelque chose à l'autre en silence sur chaque rive d'un demi-siècle fort agité.
S'introduire dans cette blessure dont le pansement ligneux vient de s'entrouvrir pour retrouver l'émotion première: douceur, pudeur, frayeur, ferveur, lors d'un cheminement qui ne se terminera que dans la torpeur électrique d'un silence enluminé de chants d'oiseaux, de bris de branches mortes et d'éclatements de bourgeons. Bien sûr elle avait un visage, celle qui présidait à ces circulations forestières, même si elle le dérobait, mais je ne m'en souviens plus. Elle avait des yeux, mais je n'osais les regarder que lorsqu'ils se fermaient; elle devait avoir un nom, même si elle était fée ou déesse, mais ne me l'a jamais dit. Je me souviens de son rire, mais non de sa voix, de sa disparition mais non de sa venue. Eberlué, je vis la trace d'un pas; j'essayai de refermer la porte. Tout ceci est maintenant rasé pour la construction d'une résidence secondaire.
1Dedans
une présence en train de se coaguler
le foyer de la danse accueille ses fureursau secours! la maison sombre
la main creuse son ombre sur la feuille
l'imprégnant d'une effervescence funèbredehors
l'encre du dessin ruisselle dans les cheveux
les ailes battent dans la découverteà la frontière
le corbeau plante ses plumes dans les circonvolutions
la mèche de l'archet caresse les hanchesà la limite
la pince minutieuse agrippe les nuages
progressant prudemment sur le sentier des tracesplus près
les doigts tranquillement dirigent le roseau
au-delà des paumes les palmes s'ouvrent sur le papierplus loin
2
Dehors
le foyer de la danse accueille ses rumeurs
les phalanges se replient pour former le bûcherà la frontière
les imprégnant d'une effervescence lunaire
la poutre dans les yeux devient rayon de cendresau secours! la maison brûle
les ailes battent dans la dérision
les signes du fard explicitent ceux des fuméesà la limite
la mèche de l'archet caresse les cordes
des paysages vus d'avion frissonnent dans leurs incendiesplus près
progressant prudemment sur le sentier des ténèbres
Béatrice nous guide à travers les sphères des affresplus loin
le jour se lève sur la mer des braises
les heures glissent au long des montagnes de lavesmaintenant
3
A la frontière
au-delà des paumes les palmes s'ouvrent sur le vent
l'après-midi s'étale sur la plaine des fauvesà la limite
les phalanges se replient pour former la charpente
le soir descend sur les cratères de Vénusplus près
la poutre dans les yeux devient rayon de miel
la planète s'enrobe de lancers de soiesau secours! la maison divague
les signes du fard explicitent ceux de l'épiderme
l'atmosphère virulente attire les audacesplus loin
des paysages vus d'avion frissonnent dans leur complicité
l'averse de limaille couvre les astronautesmaintenant
Béatrice nous guide vers les sphères des astres
dans l'anneau du miroir elle interroge anxieusebientôt
4
A la limite
le jour se lève sur la mer des angoisses
le geste se développe en pétale d'auroreplus près
les heures glissent au long des montagnes martiennes
la méfiance passe derrière la vitreplus loin
l'après-midi s'étale sur la plaine des masques
la beauté prise au piège essaie de se noircirmaintenant
le soir descend sur les cratères des regards
le boomerang s'incarne au puits de libertéau secours! la maison se renverse
la planète s'enrobe de lancers de parfums
à la recherche de son apparence dans une perlebientôt
sur l'échiquier de la fenêtre la reine assure ses atours
son gnome secret enfle sur la pisteplus tard
5
Plus près
l'atmosphère virulente attire les poussières
l'espion fasciné s'est tapi dans l'âtredernier jour
l'averse de limaille couvre les continents
l'écume blanchit sur le roc de la têteplus loin
dans l'anneau du miroir elle interroge silencieuse
nous invitant à partager ses inquiétudesmaintenant
le geste se développe en pétale de lys
c'est la dissolution de la Fée Morganebientôt
la méfiance passe derrière l'épaule
les herbes gagnent sur les ruesau secours! la maison accuse
les ronces envahissent les cours
les branches s'accumulent sur les toitsou encore
6
Plus loin
la beauté prise au piège essaie de s'échapper
les iris cherchent leur floraison entre les grillesmaintenant
le boomerang s'incarne au puits de vérité
une souche au bord de l'étang se veloute de lierredernière heure
à la recherche de son apparence dans un diamant
à corps perdu dans le tourbillon des ramuresbientôt
sur l'échiquier de la fenêtre la reine assure sa retraite
sur son ongle à la fois l'appel et la questionplus tard
son gnome secret enfle sur le mur
les pores de la peau conjuguent leurs respirationsou encore
les vestiges des vêtements cherchent à se multiplier
l'eau cascadant de lèvre en lèvredésormais
7
Maintenant
l'espion fasciné s'est tapi dans l'éclipse
l'épave se souvient de l'ivresse des fleursbientôt
l'écume blanchit sur le roc du songe
le rossignol improvise après l'orageplus tard
nous invitant à partager ses problèmes
c'est l'échange des solitudes en plein sommeildernière minute
c'est la dissolution de la Loreley
une présence en train de se disséminerou encore
les herbes gagnent sur la plage
la main creuse son ombre sur le seuilà l'horizon
les ronces envahissent les dunes
l'encre du dessin ruisselle dans les ravinesà l'écart
8
Bientôt
les branches s'accumulent sur la rive
le corbeau plante ses plumes dans les recoinsplus tard
les iris cherchent leur floraison entre les algues
la pince minutieuse agrippe les instantsou encore
une souche au bord de l'étang se veloute de mousse
les doigts tranquilles guident les ciseauxà l'horizon
à corps perdu dans le tourbillon des essences
le foyer de la danse accueille ses langueursdernière seconde
sur son ongle à la fois l'appel et l'adieu
les imprégnant d'une effervescence amoureuseà l'écart
les ailes battent dans l'exaltation
la mèche de l'archet caresse les fruitsaux antipodes
9
Plus tard
les pores de la peau conjuguent leurs murmures
progressant prudemment sur le sentier des trésorsou encore
les vestiges du vêtement cherchent à disparaître
au-delà des paumes les palmes s'ouvrent sur les casesà l'horizon
l'eau cascadant de lèvre en paupière
les phalanges se replient pour former la grotteà l'écart
l'épave se souvient de l'ivresse d'antan
la poutre dans les yeux devient rayon vertaux antipodes
le rossignol improvise après le naufrage
les signes du fard explicitent ceux des astresdernier soupir
l'échange des solitudes en pleine foule
des paysages vus d'avion frissonnant dans la guérisonà jamais
Brique à brique en famille
on peut construire sa maison
et le berger solitaire
sélectionnant caillou après caillou
peut couvrir la montagne entière
d'un réseau de muretsMais lorsqu'il s'agit de pierres énormes
il faut que tout un peuple s'accorde
et transpire pour les dresser
ou les soulever sur deux autres
ou les assembler en pyramides
tous ces corps n'en formant qu'un seulEt l'on imagine à la fois
l'enthousiasme et le fouet
des dieux avides à qui voulaient
s'identifier les chefs
tremblant devant leurs icônes
comme le peuple devant euxAussi une merveilleuse ingéniosité
talus rouleaux cordes et treuils
canaux signaux et mesures
les repas apportés par les femmes
le sommeil dans les tentes
cavernes ou cabanesLorsque les graveurs et sculpteurs
se sont attaqués à ces masses
ils en ont détaché délicatement
les graviers populaires
pour donner à la puissance un visage
auquel pouvait s'identifier le plus humbleNous ne dressons plus ni ne taillons
de telles pierres à réflections
nos dieux se sont perdus
dans la poussière du béton
sans pouvoir passer le relais
à une autre générationNous sommes devenus poussière
ludions montant et retombant
dans les tourbillons de notre monnaie
dérisoires alchimistes
maîtres en détransmutation
réducteurs de l'or en papierDe bloc en bloc répartis sur la Terre
se propagent heureusement encore
des ondes anguleuses d'excitation
dans notre limaille rouillée
pour encourager notre résistance
à la seigneurie du profitOracles nous serons
à la fois masse et flamme
blocs erratiques polis
par les glaciers des villes
sur le monolithe convulsif
qu'est notre astronef
LA TRAVERSÉE
DE LA MER ROUGE
mosaïque
L'Oeil précédait les errants le jour sous la forme d'une colonne de poussière ténébreuse et, la nuit, d'un jet de lumière.Arrivés au bord de la Mer rouge ils furent rejoints par les chars des Dominateurs. La barque de la Lune glissait à l'horizon. Et ils dirent au Métis nourri dans les merveilleux jardins de ses adopteurs:
"Manquait-on vraiment tellement de décharges au pays d'Humiliation pour que tu aies mis tant d'acharnement à nous mener sécher dans ce désert? Ne t'avions-nous pourtant pas fait comprendre que nous admirions les ruses de nos surveillants."
Mais l'Oeil multiplia la trombe de tourbe ténébreuse qu'il interposa entre les poursuiveurs et poursuivis.
Alors le Privilégié étendit un doigt sur la Mer rouge dont les flots se fendirent si bien que les exilés purent s'engager dans un lit asséché avec une muraille d'eau de chaque côté; et parmi eux le professeur Aronnax, bien loin de son cabinet d'histoire naturelle, qui pouvait néanmoins continuer d'admirer, identifier, classer les genres et les espèces, comme s'il était resté dans le salon du Nautilus.
Des fongies agariciformes, des actinies de couleur ardoisée, entre autres le thalassianthus aster, des tubipores disposés comme des flûtes et n'attendant que le souffle du dieu Pan.
Les chars des Dominateurs s'y engagèrent à leur suite, mais la colonnade de poussière et d'étincelles apporta dans leurs essieux une telle confusion qu'ils n'avançaient plus qu'à grand peine.
Au point du jour, une fois tous les exilés passés sur l'autre rive, le Privilégié métis étendit à nouveau le doigt et les courants retrouvèrent leur lit avec fracas, engloutissant toute l'escouade.
Puis il escalada une éminence pour montrer à son confident la direction du pays de torrents et fontaines, d'eaux qui sourdent de l'abîme dans les montagnes comme dans les vallées, ce pays dans lequel il ne devait jamais vivre, mais où vivrait ce confident qui préparait déjà ses fanfares destinées à détruire la forteresse dressée pour le lui interdire.
*
Le lendemain soir, les exclus arrivés au bord de la Mer de boue rouge, furent rejoints par les catapultes des Conquérants, et dirent au Mulâtre nourri dans les superbes cloîtres:
"Manquait-on vraiment à ce point de charniers au pays de Discrimination pour que tu aies voulu nous mener souffrir dans cette pénurie? Nous t'avions pourtant fait savoir que nous respections les ordres de nos gardiens. Les seigneurs de la guerre aiguisent leurs couteaux."
Mais l'Oeil élargit les barreaux d'anthracite qu'il interposa entre les pourchasseurs et pourchassés.
Alors l'Obstiné étendit la main sur la Mer de boue rouge dont les vagues s'écartèrent si bien que l'on put s'engager sur un lit solide avec une muraille de boue transparente de chaque côté; et il y avait là le valet Conseil, bien loin de son office et de ses espérances, qui continuait d'inventorier la faune océanique.
Des coquilles particulières à cette mer, qui s'établissent dans les excavations madréporiques et dont la base est contournée en courte spirale.
Les catapultes s'y engagèrent aussi mais l'arborescence d'anthracite et d'étincelles ténébreuses apporta dans les rouages une telle confusion qu'elles n'avançaient plus qu'à grand effort.
Au point du jour, une fois tous les exclus passés, la main à nouveau étendue fit retrouver aux torrents de boue rouge leurs pentes avec claquements, absorbant tout le bataillon.
Puis l'Obstiné mulâtre escalada une colline pour montrer à son interprète le chemin du pays de froment et d'orge, de vignes, de figuiers et de grenadiers, ce pays dans lequel il ne devait jamais respirer, mais où s'établirait cet interprète qui préparait déjà ses tambours afin de démolir le donjon érigé pour l'en empêcher.
*
Le mercredi, arrivés au bord de la Mer de sang, les condamnés rejoints par les canons des Oppresseurs, dirent au Sang-mêlé nourri dans les somptueux parvis:
"Manquait-on vraiment d'ossuaires au pays de Mépris pour que tu nous aies forcés à venir râler dans cette impasse? Nous t'avions pourtant répété que nous nous amusions des ricanements de nos sentinelles."
Mais l'Oeil anima les piliers d'obsidienne qu'il interposa entre les traqueurs et traqués. Les messagers déployaient leurs ailes sur les ravines et les serpents s'enroulaient autour de leurs glaives.
Alors le Bois-brûlé étendit l'avant-bras sur la Mer de sang dont les artères se séparèrent si bien que l'on put s'engager sur un lit de sable avec une muraille de sang lumineux de chaque côté; et il y avait là le harponneur Ned Land, bien loin de son Islande et de ses projets familiaux, qui continuait de guetter sa subsistance.
Là croissaient des éponges de toutes formes, des éponges pédiculées, foliacées, globuleuses, digitées. Elles justifiaient assez exactement ces noms de corbeilles, de calices, de quenouilles, de cornes d'élan, de pied de lion, de queue de paon, de gant de Neptune que leur ont attribués les pêcheurs.
Les canons s'y engagèrent, mais la gerbe d'obsidienne et d'étincelles ténébreuses apporta dans les mécanismes une telle confusion qu'ils n'avançaient plus qu'à grande difficulté.
Au point du jour, tous les condamnés passés, l'avant-bras étendu de nouveau fit retrouver aux veines leur écoulement avec gargouillis, avalant tout le régiment.
Puis il escalada un promontoire, le Bois-brûlé, le Sang-mêlé, pour montrer à son traducteur les premiers signes avant-coureurs du pays des oliviers, de l'huile et du miel, ce pays dans lequel il ne devait jamais pénétrer, mais où prospérerait ce traducteur qui préparait déjà ses orgues afin de démonter la bastille prévue pour son châtiment.
*
Au bord de la Mer de feu, les épuisés rejoints par les bombardiers des Envahisseurs, dirent au Bâtard nourri dans les vastes portiques:
"Manquerait-on de cimetières au pays de l'Esclavage pour que tu continues à nous mener brûler dans cette horreur? Nous t'avions pourtant avoué que nous léchions les bottes de nos contremaîtres."
Mais l'Oeil enlaça les poutres de rouille qu'il interposa entre persécuteurs et persécutés.
Alors le Miraculé étendit les deux bras sur la Mer de feu dont les langues se nouèrent si bien en un pont de braise fraîche que l'on put s'y engager entre deux gouffres grondants. L'usurpateur tonnant réparait son Olympe. Et il y avait là le capitaine Nemo, après tant de lieues sous les mers, qui continuait de ruminer sa vengeance.
Des raies parmi lesquelles des limmes de forme ovale, de couleur brique, au corps semé d'inégales taches bleues et reconnaissables à leur double aiguillon dentelé, des arnacks au dos argenté.
Les bombardiers voulurent les poursuivre, mais les déflagrations de la rouille et des étincelles ténébreuses apportèrent dans les moteurs une telle confusion qu'ils ne volaient plus qu'en soubresauts.
Au point du jour, les deux bras de nouveau étendus firent retrouver aux flammes leur ronflement en s'incorporant toute l'escadrille.
Miraculé bâtard du haut d'une falaise il tenta de montrer à son commentateur les premières marges du pays où le pain ne te sera pas mesuré, où tu ne manqueras de rien, pays qu'il ne devait jamais approcher, mais où ce commentateur planterait ses vergers ce continuateur qui préparait déjà ses orchestres afin de dissoudre la citadelle organisée pour sa neutralisation.
*
Au bord de la Mer de pierres rouges, les exilés éreintés par les hélicoptères des Inquisiteurs, dirent au Frontalier nourri dans les illustres écoles:
"Pas assez pour toi de tombeaux au pays de l'Abjection pour que tu persistes à nous mener agoniser dans cette déréliction? Nous t'avions pourtant assuré que nous chérissions les aboiements de nos geôliers."
Mais l'Oeil tordit les frontons de ferraille et les interposa entre les rapaces et leurs proies.
Le Franc-tireur étendant ses deux bras s'éleva sur la Mer de pierres dont les rocs se superposèrent si bien que l'on put s'engager dans une rue dallée entre deux murs d'aquariums rouges. Et il y avait là le héros Ulysse, après tant d'erreurs et d'épreuves, qui continuait de noter le chant des Sirènes.
Des pastenagues à la queue pointillée, et des bockats, vastes manteaux longs de deux mètres qui ondulaient entre les eaux, des aodons absolument dépourvus de dents, sortes de cartilagineux qui se rapprochent du squale.
Les hélicoptères voulurent les poursuivre mais les gifles de la ferraille et des étincelles ténébreuses apportèrent dans les pales une telle confusion qu'elles ne tournaient plus qu'avec des hoquets. Les séductrices prodiguaient leurs consolations.
Les deux pieds reposés de nouveau sur le sol, les vitres écrasèrent bruyamment toute la division.
Depuis les pentes d'une montagne, le Franc-tireur frontalier essaya de montrer à son successeur les premiers signaux du pays où il y a des pierres de fer et de bronze -mais à vrai dire il ne faisait que les deviner- à ce successeur qui préparait déjà ses choeurs afin de renverser l'arsenal mis au point pour sa mutilation.
*
Rejoints au bord de la Mer de laves par les mirages des Liquidateurs, les oubliés dirent à l'Amphibie nourri dans les secrets des sérails:
"Avec tant de mausolées au pays de la Censure, n'as-tu pas honte de nous laisser périr dans cet abandon? Nous t'avions pourtant bien montré que nous baisions les fouets de nos tortionnaires."
Mais l'Oeil lança une grêle d'épines qui s'interposa entre les furieux et fuyards.
L'Echangeur s'éleva sur la Mer de laves dont les nappes s'organisèrent en un tunnel où l'on fut aspiré entre deux hublots d'arc-en-ciel. Et il y avait là le navigateur solitaire Personne à qui l'on avait volé même son nom, et qui continuait de déchiffrer le texte des ombres.
Des ostracions-dromadaires dont la bosse se termine par un aiguillon recourbé, long d'un pied et demi, des ophidies, véritables murènes à la queue argentée, au dos bleuâtre, aux pectorales brunes bordées d'un liséré gris, des fiatoles, espèces de stromatées, zébrées d'étroites raies d'or et parés des trois couleurs de la France.
Les mirages voulurent les poursuivre mais les éruptions d'épines et d'étincelles ténébreuses apportèrent dans leurs lueurs de telles confusions qu'ils ne se dirigeaient plus que comme des aveugles.
A peine un soupir et les coulées laminèrent toute la flotte. Le vieux roi détrôné faisait sonner ses anneaux.
A la frontière des neiges et des cendres, sous le cratère du volcan, l'Echangeur amphibie ne pouvait plus prétendre cette fois montrer à son héritier la direction du pays des belles maisons croissantes et fleurissantes avec du bétail à foison, cet héritier qui préparait déjà ses partitions afin de charmer la capitale acharnée à le corrompre.
*
Enfin, au bord de la Mer de nuit, rejoints par les vampires des exterminateurs:
"O toi qui fus nourris dans les palais en ruines, dirent les enterrés, ne connaissais-tu pas assez les pyramides au pays du Mensonge, pour nous avoir menés mourir dans cet absence? Nous t'avions pourtant dit que nous n'attendions plus que les rafales de nos bourreaux."
Mais l'Oeil ferma ses paupières qui s'interposèrent entre les tueurs et leurs victimes.
Le Multiple alors s'enfonça dans le cratère de la nuit dont les constellations devinrent une échelle. Et il y avait là N'importe-qui l'astronaute lequel, contre toute attente et avertissements, continuait de chercher la formule et le lieu.
Des blémies-garamits longs de quatre décimètres, de superbes caranx décorés de sept bandes transversales d'un beau noir, de nageoires bleues et jaunes et d'écailles d'or et d'argent, des centropodes, des mulles oriflammes à tête jaune, des scares, des labres, des balistes, des gobies et mille autres...
Les vampires voulurent les poursuivre, mais les suaires de paupières et d'étincelles ténébreuses apportèrent une telle confusion dans leur survie qu'ils se hâtèrent de retrouver leurs rêves.
Et le multiple Passage, toujours plus loin du pays de l'abondance non seulement de l'argent et de l'or, mais de la science et de la bonté, en laisse la quête à son survivant qui prépare déjà ses livres pour métamorphoser les mégalopoles qui devaient l'étouffer.
Le soleil de l'Oeil déborde la nuit.
On baptise en général les cyclones
de séduisantes appellations féminines
comme Daisy Ava Marilyn ou Betsy
mais celui qui se promène en ce moment
sur le golfe du Mexique secouant
ses mèches de serpents et tresses de tempête
a un sobriquet un peu abrupt
qui convient bien à sa fureur
de superbe dieu sanguinaire précolombienNous sortions d'un pèlerinage rapide
au rez-de-chaussée du Musée d'Anthropologie
où nous avions salué avec émotion les vestiges
de quelques unes de ces grandes civilisations
qui se sont succédé sur le torse du continent
comme des tornades lentes ou des frissons d'émoi
et nous étions descendus au sous-sol
pour recharger les batteries de nos enregistreurs
par un repas léger dans la cafétériaQuand nous nous sommes sentis enfermés par le ciel
qui fulminait ses lances d'arrosage en faisceaux
grilles et palmes plus drues que celles du parc alentour
faisant ruisseler les escaliers en chutes de velours
phosphorescent et recouvrant les terrasses
d'une épaisse peau brillante un cuir de verre
entièrement rongé d'éruptions à gicleurs
meurtrier feu d'artifice continu
liquidant au loin des villages entiersEt je pensais aux enfants dans les cours des écoles
pataugeant et s'éclaboussant pieds nus
coiffés de capuchons pour se protéger les yeux
ponchos sérapés ou chapeaux de paille ou feutre
comme si c'étaient de grandes corolles
riant et chantant dans ce paradis de Tlaloc
où les accueilleraient les anciennes jeunes victimes
transfigurées dans chaque goutte d'eau
comme une étincelle dans une larme
Les mains croisées sur leur nombril
parfois des chaussettes aux pieds
la peau semblable à du carton
avec un rictus tendre ou las
dans leurs cercueils tendus de verreTels des wagons l'un après l'autre
immobilisés aux coursives
du monastère-paquebot
échoué sur un promontoire
au bord du gouffre des vivantsQui montent les voir en famille
les vieux pour étudier les poses
qu'ils prendront aux derniers instants
sentir ce qu'est ne plus sentir
cheveux collés contre les osLes jeunes pour bien préparer
les gestes et cérémonies
qu'il leur faudra exécuter
quand le déroulement du fil
de la souffrance aura cesséLes enfants pour qu'ils exorcisent
la peur qui pourrait les saisir
en voyant changer le visage
de ceux qui les aimaient le plus
et qu'ils pensaient trouver toujoursPour atténuer l'amertume
de cette vie qui les attend
ponctuée de deuils et de drames
on leur offre menues momies
en sucre d'orge à dégusterEt quand viendra le jour des morts
on leur fera croquer leur crâne
parfois fourré de chocolat
leur nom inscrit de couleur suave
sur les arcades sourcilièresAinsi leur squelette devient
saveur et tendresse et celui
de leurs camarades de jeux
ils le cherchent ingénument
derrière vêtements et chairsDans leurs lits quand ils seront grands
recommençant leurs épousailles
à chaque sonnerie de cloche
ils tenteront d'entremêler
leurs douces cages thoraciquesEt leurs deux coeurs navigueront
enlaçant artères et veines
dans les tourbillons de leur sang
en attendant que leurs épaves
sèchent au vent des ouragansSur l'océan du haut plateau
les tours de la Valenciana
s'allumant dans le crépuscule
croisent leurs feux libérateurs
au monument de PipilaProméthée de l'outre-Caucase
momie coulée de vif-argent
toujours fourbissant contre-foudres
pour éliminer les vautours
remplaçant les aigles d'antanPortant sa pierre sur son dos
couverte de brandons croulant
pour crever dans un incendie
le coffre échoué d'un naufrage
incarcérant le cri germant
Il s'agissait de faire un voeu
au moment même où l'on verrait
la première étoile filante
cette nuit où elles seraient
selon tous les bons astronomes
particulièrement nombreusesUn seul voeu naturellement
vraiment pas le temps d'un de plus
la légende garantissait
qu'en dépit de tous les obstacles
le sort le réaliserait
dans un délai d'un an au plusCiel dégagé temps doux les cloches
on distinguait très bien Persée
d'où devait provenir l'essaim
parmi ses compagnons de Fable
Andromède Céphée Pégase
et les autres constellationsLes enfants s'étaient installés
emmitouflés dans leurs duvets
enivrés des senteurs nocturnes
au beau milieu de la prairie
et ils écarquillaient les yeux
pour ne rien manquer du spectacleMais un seul voeu comment choisir?
les envies pleuvaient dans ma tête
des plus simples jusqu'aux plus folles
aussi pour ne manquer ma chance
j'ai résolu de faire voeu
de faire un voeu l'année prochaineDans la nouvelle nuit des étoiles filantes
Bombant le torse
cambrant les reins
portant monocle
ou bien lorgnon
lissant leur barbe
fin dix-neuvième
et leurs moustaches
à longues pointes
la main sur le
bord du chapeau
pour l'enlever
d'un geste large
en rencontrant
senoritas
bien camouflées
sous leurs mantilles
peignes d'écaille
les éventails
les yeux valseurs
souliers à boucles
bas en résille
ourlets tintants
frémissements
talon glissant
sur le carreau
pour frôler bottes
à éperonsVentres sanglés
vestes brodées
de militaires
boutons dorés
gilets rayés
pour les valets
palefreniers
maîtres d'hôtel
grooms de palaces
garçons hissant
sur les cinq doigts
formant corolle
plateaux laqués
pour les cafés
mokas liégeois
anis et bières
puis ils se penchent
pour extirper
de leur gousset
briquets d'émail
et allumer
cigarillos
habanitos
papelitos
pipes d'écumes
ou Romeo
y JulietasD'où ces messieurs
tyrans en herbe
hommes d'affaires
restaurateurs
distillateurs
horticulteurs
collectionneurs
ou balayeurs
et mêmes les
ecclésiastiques
protonotaires
séminaristes
les archiprêtres
les archevêques
tirent bouffées
de fumée douce
avant d'aller
choisir leur place
ombre ou soleil
dans le cratère
de la plaza
pour applaudir
le matador
dont les portraits
couvrent les murs
barbouillés de
colle et de sang
au métissage des gauchos
1
L'apôtre furieux
Menaces partout les fantômesEffleurant barbes des épis
négocient leurs itinéraires
broyant les grains entre leurs dents
enroulant les fils d'horizon
autour de leurs coudes flambant
d'épines et d'ocelles vertes
avec des auréoles blanches
sur l'azur qui s'approfondit
en crânes de boeufs et d'humains
en squelettes sur leurs chevaux
d'écume de sable ou de sangApproche la locomotiveFaisant tournoyer feux et fouets
avec les hurlements du vent
sur les villages qui se terrent
sous leurs toits de tôle ondulée
l'apôtre clame ses menaces
contre les trafiquants du soir
qui creusent leurs voies tortueuses
pour anéantir les moissons
ou dérober les grands troupeaux
que lassos chercheraient en vain
dans la nuit fermant la pampaLes étoiles au crépuscule2
loin des campements des humains
L'apôtre phareEntre falaises et récifsLes gauchos du feu caracolent
ventilateurs et parasols
de l'autre côté des ruisseaux
les rares arbres s'épanouissent
en nuages d'explosions bronzées
les enfants grimpent comme singes
au long des branches escaliers
pour guetter l'essor des fumées
qui cavalcadent en fuyant
parmi les champs de canne à sucre
et les roseaux à grands plumetsSur l'azur qui s'approfonditOù hérons et condors tournoient
cherchent le tango des saisons
cherchant l'écume ou le sanglant
très loin montent les cordillères
avec les chemins des Incas
d'un autre côté les détroits
avec les hurlements du vent
où l'apôtre essaie d'avertir
les navigateurs imprudents
qui essaient de renouveler
les exploits des siècles passésCertains de trouver des lambeaux3
d'ivoire d'écaille et d'argent
L'apôtre musicienFanfares de soldats anciensSacs de cuir pantalons à franges
en squelettes sur leurs chevaux
étriers d'argent boucles d'or
aux ceintures cloutées d'acier
selles et rênes incrustées
d'améthystes et de turquoises
lamas tissés dans les ponchos
qui virevoltent dans le vent
tandis qu'approchent les orages
qui coucheront toutes les herbes
sous les batteries de leurs grêlesDe l'autre côté des ruisseauxOrgues roulant dans la distance
qu'ils reviendront fouiller demain
leurs tuyaux comme des fétus
alors que des traînées d'avions
tracent finement dans le ciel
les signaux de nos industries
les étoiles au crépuscule
cherchent le tango des saisons
sous la protection dérisoire
des porches où les chiens épient
l'approche du futur apôtreBrandissant cravache incrustée4
que nous verrons glisser du ciel
L'apôtre campeurEnroulant les fils d'horizonsLa rose des lointaines villes
les rares arbres s'épanouissent
tourne dans les flammes du feu
comme nuages crépusculaires
emportés par un ouragan
pourtant le vent murmure à peine
on entend le crépitement
des bûches tombant en joyaux
puis en cendres parmi les herbes
et les longs soupirs des chevaux
attachés aux plus basses branchesEtriers d'argent boucles d'orD'une explosion de feuilles lisses
de chaque côté de la selle
où sont endormis les oiseaux
à l'exception des chats huants
que l'odeur de la fumée trouble
et qui cherchent d'autres perchoirs
loin des campements des humains
qu'ils reviendront fouiller demain
certains de trouver des lambeaux
de viande sur les ossements
quand chevaucheront les apôtresCherchant depuis tant de semaines5
dans les ténèbres frémissantes
L'apôtre sauveurParmi les champs de canne à sucreDans le gel du petit matin
tandis qu'approchent les orages
le trottinement des rongeurs
les renards le nez à la porte
du terrier où les renardeaux
une fois taries les mamelles
attendent leur leçon de chasse
et une fille courageuse
au grand chapeau bleu arrimé
au cou par une vieille écharpe
de soie s'effilant en lambeauxComme nuages crépusculairesAvec bottes à éperons
parmi promontoires de songes
enfoncées dans les étriers
de chaque côté de la selle
fait bondir son cheval anglais
brandissant cravache incrustée
d'ivoire d'écaille et d'argent
fuit la vengeance paternelle
pour retrouver l'apôtre amant
dans sa ferme à peine installée
sous sa couverture de tôleIl fallait fermer les volets6
avec des bouquets d'orchidées
L'apôtre guetteurLamas tissés dans les ponchosL'oeil qui s'enfuit jusqu'aux montagnes
emportés par un ouragan
que l'on commence à deviner
par un basculement léger
de l'horizon de velours vert
et le changement de couleurs
épis et fleurs se décalant
l'argent incrustant la turquoise
et le matin est plus soudain
tandis que le soir s'éternise
on espère ainsi chevaucherEt une fille courageuseJusqu'aux pâturages de nuages
qui a fait briller nos façades
parmi promontoires de songes
pour regarder les basses terres
auxquelles sommes condamnés
cherchant depuis tant de semaines
des promontoires pour trouver
les prés dont les nôtres sont nuages
les troupeaux d'en-bas et leurs hommes
qui nous verront glisser du ciel
comme des averses d'apôtresDont les barbes vont se baigner7
devant les enfants ébahis
L'apôtre architecteDes bûches tombent en joyauxCailloux cueillis après cailloux
les renards le nez à la porte
construisant murets et murets
pour protéger le vieil abri
avec les cendres toutes chaudes
et puis on a trouvé
suffisamment d'argile
pour cuire quelques briques
et bâtir une maison
avec des portes et fenêtres
et l'on allait chercher des arbres fort loinL'argent incrustant la turquoisePour les abattre et les tailler
rives s'écartant peu à peu
en poutres pour le toit
en planches pour le vantail
mais quand le vent soufflait
il fallait fermer les volets
et vivre même en plein midi
dans les ténèbres frémissantes
jusqu'à la venue de l'apôtre vitrier
qui a fait briller nos façades
Et multiplié le soleilAu-dessus des lignes de cornes8
où filent des vents d'outre-Terre
L'apôtre nageurLe trottinement des rongeursLes averses laissent des flaques
tandis que le soir s'éternise
où les tiges se prolongent
vers un autre ciel entrevu
elles s'écoulent très lentement
dans tout un réseau de ruisseaux
qui se faufilent silencieusement
entre des murailles de graminées
puis se réunissent en rivières
boueuses presque stagnantes
aux contours rayés de roseauxPour protéger le vieil abriBrodés de racines tordues
il déchiffre une des légendes
de basses branches à lichens
dont les barbes vont se baigner
avec des bouquets d'orchidées
d'où s'envolent des oiseaux-mouches
touffes s'écartant peu à peu
avec des radeaux naturels
qui se détachent dérivant
d'un méandre à l'autre selon
les caprices du vent apôtreHululant comme des grands-ducs9
qui parlaient langues inconnues
L'apôtre conteurEpis et fleurs se décalantColporteur d'outils et nouvelles
avec les cendres toutes chaudes
cherchant le vivre et le couvert
pour lui-même et pour son cheval
des indications sur les fermes
nouvelles depuis l'an passé
où s'adresser la nuit prochaine
un peu plus d'argent dans sa bourse
quelques aiguilles et rubans
de moins dans ses sacs et valises
avec un almanach en primeDans tout un réseau de ruisseauxPour pouvoir y marquer les foires
en arrangeant quelques cailloux
dans les bourgs lointains avec moines
militaires et cinémas
et tandis que la Lune monte
au-dessus des lignes de cornes
qui se penchent sur l'abreuvoir
à la lumière de la lampe à pétrole
devant les enfants ébahis
il déchiffre une des légendes
des apôtres de la pampaParmi racines emmêlées10
les boeufs pataugent sur la piste
L'apôtre dormeurAvec des portes et fenêtresQuelle ombre annonce de l'orage
entre des murailles de graminées
vient déborder notre horizon
des vagues de nuit déferlant
tout autour de notre île plate
comme celle de Laputa
aux Voyages de Gulliver
menaces partout les fantômes
se faufilent parmi les herbes
leurs suaires sont tissés de lianes
des crânes flambent en flottantQuelques aiguilles et rubansAu milieu des averses d'ongles
escaladent les monts de l'Ouest
hululant comme des grands-ducs
leurs plumes devenues des clous
et l'on retourne son sommeil
en arrangeant quelques cailloux
qui s'incrustaient en instillant
leurs cauchemars cristallisés
dans les galeries de nos membres
où filent des vents d'outre-Terre
feuilletant lichens et filonsEn faisant claquer leurs lassos11
contre les trafiquants du soir
L'apôtre interprèteVers un autre ciel entrevuAu Nord les ténors 1900
cherchant le vivre et le couvert
font crouler d'applaudissements
les opéras en pleine jungle
au Sud les voiliers romantiques
négocient leur itinéraire
entre falaises et récifs
sur les traces de Magellan
à l'Est on attend sur les quais
les passagers transatlantiques
réfugiés ou explorateursDes vagues de nuit déferlantEt les sentiers des vieux Incas
tandis que gauchos caracolent
escaladent les monts de l'Ouest
au Zénith les constellations
et si nous creusons dans la Terre
nous trouverons des ossements
parmi racines emmêlées
de ceux qui nous ont précédés
émigrants sans chevaux ni boeufs
qui parlaient langues inconnues
apôtres du déplacementQui creusent leurs voies tortueuses12
cherchant l'écume ou le sanglant
L'apôtre moderneLes indications sur les fermesRumeurs d'incendies et de villes
se faufilent parmi les herbes
fanfares de soldats anciens
approche la locomotive
qui tire ses 25 wagons
pendant des heures et des jours
avec bestiaux et missionnaires
pianos mécaniques charrues
ventilateurs et parasols
le paraphe de la fumée
signant le drapeau de l'apôtreLes opéras en pleine jungleDevant le passage à niveau
sous leurs toits de tôle ondulée
dont les barrières sont baissées
les boeufs pataugent sur la piste
tandis que gauchos caracolent
en faisant claquer leurs lassos
sonner leurs pièces dans leurs poches
qu'ils dépenseront aux bistrots
de l'agglomération lointaine
avec sa gare et son église
ses dentelles et ses tangosLes navigateurs imprudents
les signaux de notre industrie
Sommaire n°4 :L'ORGUE VAGABOND
AU GRAND BONHEUR LA CHANCE
REGARD REGARDS
LES RÉVÉLATIONS DE L'ATRE
LUG A LUCINGES
L'EFFERVESCENCE DE L'AIDE
ASPHALTE
SOUVENIR DE LA VILLETERTRE
LA PORTE DANS LE FEUILLAGE
EXTERNE-INTIME
LE TRAQUEUR DE MÉGALITHES
LA TRAVERSÉE DE LA MER ROUGE
DANS LA CHEVELURE DE GERT
LES MOMIES DE GUANAJUATO
LA NUIT DES ETOILES FILANTES
CABALLEROS
LES APOTRES DE LA PAMPA