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Poésie au jour le jour 4

(enregistré le 30 janvier 2001)

Sommaire




L'ORGUE VAGABOND

                                                       pour Claude Lepoitevin
 
               Mains promenées sur le clavier
               comme sur un tendre visage
               pieds flânant sur le pédalier
               comme au long d'un itinéraire
               depuis Tokyo jusqu'à Venise
               depuis Damas jusqu'à Séville
               cueillant les graminées au vent
               mordillant menthe ou chèvrefeuille
               à la recherche des clochers
               des gratte-ciel et des pagodes
               rivalisant avec les anges
               pour répondre aux voix des enfants
               répercutant l'écho des gongs
               dans les ruelles ou ravines
               pulvérisant flûtes d'écume
               au creux des sables et rochers
               grondant avec trompes et fauves
               entre les radeaux et les lianes
               filant avec les échangeurs
               dans les archets des autoroutes
               brûlant dans les dunes de neige
               ou sifflant sur les archipels
               tandis que la lampe s'allume
               de l'autre côté de la vitre
               où se réfléchissent nuages
               dans les rayons du crépuscule
               arbres agitant leurs mouchoirs
               au tournoiement des hirondelles
               foules oubliant leur misère
               dans les oripeaux de la fête
               sous avalanche de pétales
               au plus secret de la nuit verte
               avant de tomber de fatigue
               dans les chambres ou sur les quais
               et de poursuivre grâce aux rêves
               chatouillés du petit matin
               par explorations et lectures
               les jeux de l'orgue vagabond
AU GRAND BONHEUR LA CHANCE
49 échantillons
                                                   pour Antoine de Gaudemar

 
"Le bonheur était ma fatalité, mon remords, mon ver.
Arthur Rimbaud"
Le bonheur, c'est d'apprendre la fin de la guerre.
- C'est les nuages, les merveilleux nuages...
- Gravir les pyramides de Teotihuacan en plein midi avec un panama sur la tête.
- Que la France soit terre d'asile.
- Embarquer sur le navire de la Reine de Saba dans le tableau de Claude Lorrain.
- Qu'un milliardaire un peu poëte donne l'intégralité de sa fortune à un hôpital moyennant qu'on lui réserve une chambre séparée, avec naturellement un droit de regard sur la comptabilité, ce qui conduit les autres émerveillés par cet accès de lyrisme à s'empresser d'en faire autant.
- C'est l'invention des automobiles silencieuses.
 

Le bonheur, c'est le retour de l'enfant prodigue.
- C'est l'oiseau qui parle, l'arbre qui chante et l'eau couleur d'or.
- Siroter du thé à la menthe en attendant le lever du soleil sur Pétra.
- La lecture dans un journal de droite d'un compte-rendu sur un livre qu'on vient de publier qui ne soit pas un éreintement fielleux et témoigne même de quelque sensibilité.
- Marcher le long d'une plage interminable en ramassant des coquillages.
- Qu'un éditeur passionné découvrant soudain ce que sont payés les joueurs de tennis, améliore substantiellement nos contrats.
- C'est l'invention des motocyclettes silencieuses.
 

Le bonheur, c'est voir que se remet un frère que l'on croyait perdu.
- Ce sont les lichens figurant les haleines, humeurs, pierres et flammes.
- Ecouter le rossignol en dînant sur sa terrasse.
- Improviser au piano en bonne compagnie jazzistique sur le thème "body and soul".
- Voler de ses propres ailes.
- La capacité d'espérer encore que le XXIème siècle soit moins atroce que le XXème (sans même parler des précédents).
- C'est l'invention des hélicoptères silencieux.
 

Le bonheur, c'est lire dans les yeux d'une femme qu'on aime qu'elle a envie que vous le lui disiez.
- Ce sont les cinq doigts de la main avec les ongles, les six faces du dé avec leurs chiffres, les sept pulsions capitales avec leurs emblèmes.
- Tomber sur la retransmission d'un opéra à la télé tandis que le programme annonçait celle d'un match de foot.
- Tenir la partie de récitant dans la première d'un compositeur ami.
- Faire des progrès en chinois classique.
- L'accueil enthousiaste des étrangers aux aéroports par les remplaçants de l'actuelle police, conscients de leurs ressources qu'ils ignorent souvent eux-mêmes.
- C'est l'invention des avions silencieux.
 

Le bonheur, c'est découvrir que la brouille avec un ami très cher qui durait depuis des années, provenait d'un absurde malentendu.
- C'est l'ouverture du monde que l'on veut toujours nous cadenasser.
- L'abandon de l'audimat par les chaînes publiques.
- Réussir à écrire sans une rature sur l'eau-forte ou la gouache d'un peintre complice.
- Trouver pour un voisin chômeur un travail bien payé qui lui plaise.
- La floraison du cactus cierge, la seule nuit du 15 août, dans un jardin de Nice.
- C'est l'invention des tondeuses à gazon silencieuses.
 

Le bonheur, c'est vous savez bien...
- C'est l'astronautique bien tard, mais bientôt, vous verrez, bientôt, cela  va reprendre...
- Rendre concrète la notion de vitesses transluminiques.
- Débusquer enfin l'adjectif qui se dérobait depuis six semaines.
- Serrer la joue d'un bébé contre sa barbe.
- "Une fois, par un minuit lugubre, tandis que je m'appesantissais, faible et fatigué, sur maint curieux et bizarre volume de savoir oublié, tandis que je dodelinais de la tête, somnolant presque, il se fit un heurt, comme de quelqu'un frappant doucement à la porte de ma chambre..."
- C'est l'invention de la construction silencieuse.
 

Le bonheur, c'est la suite et la série et le reste et les autres,  et les refusés et les oubliés, les imprévus, les j'en passe, et j'en passe...
- C'est le désert qui retrouvera ses bruits propres.
- Qu'on vous demande d'en parler dans Libération.
- La critique enfin sérieuse par un jeune philosophe audacieux de la notion de croissance en économie.
- Ouvrir dans la modeste demeure que l'on vient d'acheter la petite porte imprévue qui donne sur d'immenses caves comme celles de la  maison natale de Rabelais à la Devinière.
- Trouver autre chose.
- "Sa dent, douce à la mort, m'avertissait au chant du coq -ad matutinam  au Christus venit, - dans les plus sombres villes..."
- C'est un jour, on ne sait quel jour, après tous ces fracas et secousses, un peu de silence entre amis autour de quelque boisson.


 
 
 
 

REGARD REGARDS

                                                       pour Ghislaine del Rey
 
                    Ouvrez les yeux
                    tournez autour
                    des yeux d'autrui
                    des feux de joie
                    d'amour ou de mélancolie
                    des jeux d'autrui
                    des feux de bois
                    des yeux des roses
                    des iris au bord des étangs
                    de rage ou de divination
                    des yeux des choses
                    du bois d'autrui
                    des feux d'iris
                    des yeux des murs
                    des jeux des rois
                    ouvrez les bois
                    tournez autour
                    des feux d'autrui
                    de leurs étangs
                    de rage ou de mélancolie
                    plongez au fond
                    des yeux des roses
                    iris d'autrui
                    feux des étangs
                   ouvrez les murs
                    autour des yeux
                    d'amour ou de divination
                    réchauffez-vous
                   éclairez-vous
                    enivrez-vous
                    aux rois des jeux
                    aux feux des choses
LES RÉVÉLATIONS DE L'ATRE
                                                       pour Claude Lepoitevin

 
C'est le laboratoire des braises. Les fours optiques nous découvrent des images de plus en plus prometteuses dans les derniers clichés que viennent de nous ramener, à si grands frais et périls, nos furtives caméras automatiques accompagnées depuis leurs sinueux périples entre goules et météores, trous et tourbillons. Enfin une planète habitable! Nous l'avions cherchée depuis si longtemps que nous n'osions plus y croire. Car la nôtre, il vaut mieux dire celle d'où nous venons, d'où nous fuyons, elle devait bien l'être plus ou moins dans un jadis déjà presque oublié, pour avoir permis notre développement titubant; mais depuis des siècles au moins l'horreur l'a envahie, et nous ne parvenons plus à imaginer quand cessera, même quand se ralentira sa précipitation vertigineuse vers une toujours plus vrillante et stridente acuité d'enfer. Miracle, avec nos yeux écarquillés, l'esprit vacillant, nous entrevoyons désormais la délivrance. Que de théories il nous aura fallu patiemment démonter, détruire, si pompeusement, si impérieusement inculquées, et qui certes semblaient aussi sûres que celles de la scolastique au temps de Galilée; que d'appareils élaborer, expérimenter, améliorer avec une ingéniosité, une obstination comparables à celles des chasseurs d'antant que de gouvernements séduire, pour le financement bien sûr, mais ne serait-ce que pour la tolérance, en leur faisant miroiter d'illusoires possibilités d'utilisations militaires! Cela valait toutes ces flammes et peines, toutes ces déchirures et sutures. Voici un paysage à défricher, aménager pour nous y installer afin d'en repartir vers d'autres cieux vraiment nouveaux.

 
 
 

LUG A LUCINGES

                                                         pour Bertrand Dorny

 
Le dieu Lug dont nous ne savons pas grand chose, mais du moins qu'il est le Mercure gaulois et galant, a trouvé dans les Voirons un de ses reposoirs préférés entre deux de ses nombreux voyages de grande ville en grande ville où ses anciens temples, monastères et palais sont devenus des universités, et aussi de désert en désert, car il est photographe et botaniste à la recherche d'espèces particulièrement résistantes pour les greffer, croiser, forcer, transnaturer. Il est honoré dans l'église du chef-lieu sous les doubles espèces de Saint Etienne protomartyr en dalmatique de satin mordoré tirant vers le cramoisi, capable de changer les pierres meurtrières en nuages porteurs, et de Saint François de Sales toujours chastement amoureux de la bouquetière Glycéra qu'il désire initier à des dévotions nouvelles. Celle-ci est un avatar de son épouse Rosmerta la noire, celle qui subjugue les serpents, dans le costume et la pause de l'apparition de la Salette. Ils parcourent la forêt en charmant les animaux qu'ils emmènent à leur suite dans de profondes cavernes aux stalactites ferrugineuses avec incandescences et phosphorescences, plongeant dans des lacs étincelants dont l'eau leur donne la parole. Quelle variété dans leurs voix, quelle souplesse dans leurs phrases! Ils en profitent dans de longs colloques passionnés, mais ils en oublient l'usage en remontant vers le jour tandis que leurs guides reprennent leurs attributs de jardiniers tranquilles: tablier avec sécateur sortant à demi de la poche ventrale, fouillis de raphia, bêche ou trident et chapeau de paille. Ils prennent ainsi toutes sortes de formes  jusqu'à devenir dans leurs étreintes nuages et montagnes, étoile filant au travers d'une constellation, jet d'eau dans la rade, enlacements d'autoroutes, pommiers dans les prés, épis dans les champs, trains dans les tunnels, avions sur les pistes, et leur naît une descendance d'ombres et d'échos de toutes les nuances d'un catalogue de soies, de toutes les hauteurs des sirènes, de toutes les subtilités des langues, qui accompagnent les rires des enfants dans le préau de l'école.
 

 *
 

Le dieu polytechnicien aiguise ses canifs, ciseaux et cisailles aux meules du vieux moulin avec sa passerelle et ses auvents. Son épouse tisserande et couturière lui confectionne des salopettes avec la laine des moutons qui paissent sur les pentes les plus douces, ou les poils des chèvres qui escaladent les ravines, ou encore le chanvre et le lin, sans oublier les fibres des clématites et prêles. Il passe ainsi aperçu-inaperçu dans plusieurs carrefours à la fois. Lui qui ne savait pas conduire, le voici à l'aise derrière un volant. Parfois il est lui-même automobile et c'est Rosmerta qui change les vitesses. Un virage suffit pour qu'ils deviennent jument et cavalier (ou bien amazone sur un étalon, branche et fleurs, flamme et bûches, alambic et flacon. Tous les paysans leur offrent des chaudrons de teintures végétales qu'ils font mijoter sur des réchauds de braise au fond des impasses pour qu'ils viennent y plonger leurs écheveaux. Les frontaliers les imitent depuis belle lurette, apportant des accents exotiques avec les épices achetées sur les rives du Léman, et les vacanciers s'y mettent, mais restent encore maladroits. Tout cela parce qu'il s'agit de dieux heureusement et généreusement distraits, qui laissent traîner leurs couvertures ou châles dans les jardins qu'ils favorisent de leurs promenades. Les naturels s'en affublent et en font parade en de grands défilés dotés de nombreux prix. Lors des années de grande piété les couleurs sont à la fois éclatantes et profondes, les motifs attrapent les attitudes de la vie courante comme des instantanés; toute la chronique de la région se poursuit d'un tissu à l'autre. Lors des relâchements trop fréquents certains solitaires parviennent à d'émouvantes délicatesses qui s'épanouissent en scènes intimes.
 

 *
 

Une des fêtes principales de ce dieu guetteur, c'est la nuit des étoiles filantes. On cherche les cimes les plus dégagées en se munissant de miroirs pour multiplier les effets. Bien sûr, nulle flamme, par contre beaucoup de lampes éteintes où l'on espère que les météorites viendront s'enfouir comme des semences pour se développer au cours de l'année suivante en arbres de lueurs invisibles de jour. On les descend le soir en processions silencieuses pendant lesquelles on découvre progressivement leurs détails et teintes, saluées à chaque borne kilométrique par des fanfares de fifres, gongs et triangles, pour qu'ils illuminent enfin les clairières creuses où l'on dispose les délices des médianoches sur des jonchées de fougères et lavandes. Les graines célestes qui se laissent surprendre par les premiers rougeoiements des petites heures, peuvent néanmoins donner naissance à des arbres d'ombres qui, malgré leur parfaite pénétrabilité, protègent efficacement contre les rayons torrides.
 

 *
 

Lug est le mainteneur des jeux.  Il jongle avec les anneaux des rencontres olympiques. Les coupes souvent géantes que les vainqueurs brandissent au-dessus de leur tête aux applaudissements des foules en délire, sont destinées en fait à recueillir leur abondante sueur qui lui est bière délectable et désaltérante et qu'il redistribue filtrée en averses, cascades et rosée. Chaque année il doit prouver sa supériorité aux échecs, bridge et golf; sinon la corruption s'installe dans les gouvernements auxquels il ne participe jamais ouvertement, mais dont il est, dans les rares meilleurs années, l'éminence couleur de nacre; sinon les maffieux rançonnent les banlieues élégantes et les pirates interdisent pratiquement la navigation aérienne. Lors de ces tournois essentiels, il cache sa barbe légendaire et prend l'apparence d'un jeune homme, toujours d'une identité différente, qui n'arrive plus à comprendre, quand il se réveille de sa transe, comment il a pu si bien jouer.
 

 *
 

Discret et roublard, Lug est le fossoyeur et l'embaumeur des dieux périmés. Chaque tombe, dans le petit enclos en contrebas de la place, est aussi celle d'une croyance. La nuit de la Toussaint, on pose sur le rebord des fenêtres des citrouilles évidées en forme de crânes rieurs, la flamme d'une bougie vacillant dans leurs orbites. Les fantômes des vénérés d'antan viennent les animer. Quand tout est endormi dans le village, ils se rendent visite et se rassemblent autour de l'un ou l'autre pour se raconter leurs exploits de jadis, leurs combats, leurs puissances, les sacrifices qu'ils inspiraient, le sang, la graisse et les larmes dont ruisselaient leurs images, en remontant ainsi jusqu'à la nuit des temps. Lug inlassablement les écoute et trouve les mots pour les consoler de leurs malheurs de vieux dieux au rancart.
 

 *
 

Lug est aussi surnommé l'oiseleur. Nombre de spécialistes estiment aujourd'hui qu'il est à l'origine du mythe de Dédale et d'Icare. Vraisemblablement c'est sur un de ses anciens sanctuaires qu'a été édifiée à Paris l'église Saint Martin des Champs intégrée maintenant au Conservatoire National des Arts et Métiers. Il est considéré comme l'inventeur des instruments à vent, lesquels ont tous été conçus comme des appeaux destinés à attirer les hommes cachés sous les plumes. Ainsi les orgues remplissent les volières à vitraux lors des offices. Après avoir bien tournoyé au long des falaises, on dépose ses ailes, son deltaplane ou parapente, dans les vestiaires du transept.
 
 
 
 


L'EFFERVESCENCE DE L'AIDE

                                                         pour Jacqueline Peier
                1)

               (John Armleder)

               La fonte des neiges urbaines
                        l'écume
               le clavier des races futures
                        la valse
               la nuit de la curiosité
                        la traversée
               concert de cristallisation
                         la pluie
               photographie de la douceur
                        la germination
               le sceau de la délectation
                        le réveil
               mythologie de la question
                        le sceau
               le réveil de la nature morte
                        le concert
               géométrie de la chaleur
                        le clavier
               germination des guérisons
                        le futur
               le renversement des couleurs
                        la cristallisation
               la pluie du temps sur l'or des fables
                        la délectation
               l'étoile de la délivrance
                        la nature
               la traversée du crépuscule
                        la guérison
               la rencontre des antipodes
                        les fables
               valse des vampires du givre
                        le crépuscule
               le dictionnaire des teintures
                         le givre
                               L'écume de la découverte
 

               2

               (Martin Disler)

               La nuit de la curiosité
                       la valse
               photographie de la douceur
                       la traversée
               l'écume de la découverte
                       la pluie
               le clavier des races futures
                       la germination
               mythologie de la question
                       le réveil
               géométrie de la chaleur
                        le sceau
               concert de cristallisation
                       le concert
               le sceau de la délectation
                       le clavier
               le renversement des couleurs
                       le futur
               l'étoile de la délivrance
                       la cristallisation
               le réveil de la nature morte
                       la délectation
               germination des guérisons
                        la nature
               la rencontre des antipodes
                       la guérison
               le dictionnaire des teintures
                        les fables
               la pluie du temps sur l'or des fables
                       le crépuscule
               la traversée du crépuscule
                        le givre
               la fonte des neiges urbaines
                       la découverte
                                 Valse des vampires du givre
 

               3

               (Franz Gertsch)

               Photographie de la douceur
                       la traversée
               mythologie de la question
                       la pluie
               géométrie de la chaleur
                       la germination
               valse des vampires du givre
                       le réveil
               l'écume de la découverte
                       le sceau
               le clavier des races futures
                       le concert
               le renversement des couleurs
                       le clavier
               l'étoile de la délivrance
                       le futur
               la rencontre des antipodes
                       la cristallisation
               concert de cristallisation
                       la délectation
               le sceau de la délectation
                       la nature
               le réveil de la nature morte
                     la guérison
               le dictionnaire des teintures
                       les fables
               la fonte des neiges urbaines
                       le crépuscule
               la nuit de la curiosité
                       le givre
               germination des guérisons
                       la découverte
               la pluie du temps sur l'or des fables
                       la neige
                                 La traversée du crépuscule
 

               4

               (Jean-Claude Prêtre)

               Mythologie de la question
                        la pluie
               géométrie de la chaleur
                        la germination
               le renversement des couleurs
                        le réveil
               l'étoile de la délivrance
                        le sceau
               la traversée du crépuscule
                        le concert
               valse des vampires du givre
                        le clavier
               l'écume de la découverte
                        le futur
               le clavier des races futures
                        la cristallisation
               la rencontre des antipodes
                        la délectation
               le dictionnaire des teintures
                        la nature
               la fonte des neiges urbaines
                        la guérison
               la nuit de la curiosité
                        les fables
              concert de cristallisation
                        le crépuscule
               le sceau de la délectation
                        le givre
               le réveil de la nature morte
                        la découverte
               germination des guérisons
                        la neige
               photographie de la douceur
                        la curiosité
                                La pluie du temps sur l'or des fables
 

               5

               (Sylvie Fleury)

               Géométrie de la chaleur
                       la germination
               le renversement des couleurs
                       le réveil
               l'étoile de la délivrance
                       le sceau
               la rencontre des antipodes
                       le concert
               le dictionnaire des teintures
                       le clavier
               la pluie du temps sur l'or des fables
                       le futur
               la traversée du crépuscule
                      la cristallisation
               valse des vampires du givre
                       la délectation
               l'écume de la découverte
                       la nature
               le clavier des races futures
                       la guérison
               la fonte des neiges urbaines
                       les fables
               la nuit de la curiosité
                       le crépuscule
               photographie de la douceur
                       le givre
               mythologie de la question
                       la découverte
               concert de cristallisation
                       la neige
               le sceau de la délectation
                       la douceur
               le réveil de la nature morte
                       la question
                              Germination des guérisons
 

               6

               (Samuel Buri)

               Le renversement des couleurs
                        le réveil
               l'étoile de la délivrance
                        le sceau
               la rencontre des antipodes
                        le concert
               le dictionnaire des teintures
                        le clavier
               la fonte des neiges urbaines
                        le futur
               la nuit de la curiosité
                        la cristallisation
               germination des carrefours
                        la délectation
               la pluie du temps sur l'or des fables
                        la nature
               la traversée du crépuscule
                        la guérison
               valse des vampires du givre
                        les fables
               l'écume de la découverte
                        le crépuscule
               le clavier des races futures
                        le givre
               photographie de la douceur
                        la découverte
               mythologie de la question
                        la neige
               géométrie de la chaleur
                        la curiosité
               concert de cristallisation
                       la douceur
               le sceau de la délectation
                        la question
                               Le réveil de la nature morte
 

               7

               (Olivier Mosset)

               L'étoile de la délivrance
                       le sceau
               la rencontre des antipodes
                       le concert
               le dictionnaire des teintures
                       le clavier
               la fonte des neiges urbaines
                       le futur
               la nuit de la curiosité
                       la cristallisation
               photographie de la douceur
                       la délectation
               mythologie de la question
                       la nature
               le réveil de la nature morte
                       la guérison
              germination des guérisons
                       les fables
               la pluie du temps sur l'or des fables
                       le crépuscule
               la traversée du crépuscule
                       le givre
              valse des vampires du givre
                       la découverte
               l'écume de la découverte
                       la neige
               le clavier des races futures
                       la curiosité
               géométrie de la chaleur
                       la douceur
               le renversement des couleurs
                       la question
               concert de cristallisation
                       la chaleur
                                 Le sceau de la délectation
 

               8

               (Claude Sandoz)

               La rencontre des antipodes
                       le concert
               le dictionnaire des teintures
                       le clavier
               la fonte des neiges urbaines
                       le futur
               la nuit de la curiosité
                       la cristallisation
               photographie de la douceur
                       la délectation
               mythologie de la question
                       la nature
               géométrie de la chaleur
                       la guérison
               le renversement des couleurs
                       les fables
               le sceau de la délectation
                       le crépuscule
               le réveil de la nature morte
                       le givre
               germination des guérisons
                       la découverte
               la pluie du temps sur l'or des fables
                       la neige
               la traversée du crépuscule
                       la curiosité
               valse des vampires du givre
                       la douceur
               l'écume de la découverte
                       la question
               le clavier des races futures
                       la chaleur
               l'étoile de la délivrance
                       la couleur
                               Concert de cristallisation
 

               9

               (Hervé Graumann)

               Le dictionnaire des teintures
                       le clavier
               la fonte des neiges urbaines
                       le futur
               la nuit de la curiosité
                       la cristallisation
               photographie de la douceur
                       la délectation
               mythologie de la question
                       la nature
               géométrie de la chaleur
                       la guérison
               le renversement des couleurs
                       les fables
               l'étoile de la délivrance
                       le crépuscule
               la rencontre des antipodes
                       le givre
               concert de cristallisation
                       la découverte
               le sceau de la délectation
                       la neige
               le réveil de la nature morte
                       la curiosité
               germination des guérisons
                       la douceur
               la pluie du temps sur l'or des fables
                       la question
               la traversée du crépuscule
                       la chaleur
               valse des vampires du givre
                       la couleur
               l'écume de la découverte
                       la délivrance
                                 Le clavier des races futures


 
 
 

ASPHALTE

                                                         pour Jacques Clauzel
1) La Mer morte

 La nappe huileuse qui a recouvert Sodome et Gomorrhe était nommée lac asphaltite. Les branches sèches des rares arbres riverains, quand elles s'y effondrent, se recouvrent rapidement, en flottant, de cristaux jaunâtres (on dirait le cadavre du soufre) qui deviennent gris taupe en quelques semaines à cause de la poussière charbonneuse que le vent arrache aux montagnes abruptes alentour. Les ruines englouties sont enrobées d'une carapace qui alourdit tous les détails jadis raffinés et les cache bientôt comme sous un épais tapis de feutre rugueux. Quant aux squelettes, emmitouflés de pelisses de pierre, ils enlacent maladroitement leurs membres raides et patauds en attendant la foudre.

2) Le Trajet scolaire

 L'enfant se remémorant, avec de plus en plus de lacunes, la fable qu'il s'est efforcé d'apprendre la veille au soir: Le Loup et le Chien, Les deux Pigeons, ou Les Animaux malades de la Peste, compte les pierres en bordure du trottoir dans le petit matin brumeux du quartier Saint-Sulpice à la mi-novembre. Très peu de différence de luminosité entre le haut et le bas. Aussi, quand il arrive au chiffre trente-trois, c'est comme s'il marchait sur une mer de nuages en calme plat. Les maisons qu'il devine, sont des flancs de navires peut-être aériens. Toute une flotte militaire moderne avec les cheminées devenues canons dressés, croise dans l'effacement des bus et camionnettes; mais çà et là ce doit être des proues de galions d'autrefois avec fenêtres à petits carreaux, balustrades, lanternes et oriflammes, même des
cerfs-volants de grande taille, en figures d'aigles, abeilles et dragons, capables sans doute de les emporter, pour partir à la découverte d'îles où les animaux parlent parmi des trésors à foison.

3) Le Jardin des Banlieues

 Les géraniums, les pétunias, les oeillets d'Inde, c'est de l'autre côté de l'autoroute, avec les platanes et lilas, les haies de troènes, les grottes de Lourdes, nains de Blanche-neige, moulins à vent miniature, et aussi les pelouses à tondeuses et arrosage, même tout un golf où les élégants ajustent leurs tirs puis traînent leurs luxueuses sacoches à roulettes d'où émergent les poignées de leurs cannes numérotées, jusqu'au petit drapeau suivant. Ici nous n'avons que le gravier, le mâchefer, un peu de sable et ces larges étendues entre les grillages, où nous pouvons taper de toutes nos forces le plus souvent bâillonnées, shooter dans un ballon de cuir, ou dans ce qui nous en tient lieu, gueuler tout notre saoul, frapper sauvagement avec des marteaux ou des clefs anglaises sur des fonds de bassines percées et rouillées, et lancer nos pieds obstinément, rageusement vers tous les points de cette rose dont nous parlent les voyageurs, en scandant nos imprécations, nos accusations, nos réclamations, nos propositions tandis que nos soeurs plus jeunes, tout en sautant à cloche-pied sur leurs marelles de case en case vers un ciel de jeux, en retenant leurs jupes à demi, gloussent en nous montrant du doigt.

4) L'Agonie de la Route

 Après des heures de conduite soyeuse, joyeuse, traversant le paysage fabuleux comme la déchirure d'un drapier, enfilade-estafilade en caresse, les cheveux légèrement ondulés par le vent de la vitesse qui fait vibrer les vitres aux trois quarts baissées, tel un archet la scie musicale, voici à la fois lacets et cahots qui nous obligent à ralentir entre les talus qui bouchent l'horizon. Quelques demeures de plus en plus misérables. Les poteaux et les fils de l'électricité n'arrivent pas jusqu'aux dernières, une sur deux désertée, carreaux cassés, volets branlant, toits hâtivement réparés avec un morceau de linoléum. Quelques clôtures de barbelés s'effilochent en paraphes macabres; un panneau publicitaire délavé en lambeaux, quelques sacs de plastique roulant et voletant à notre approche, boîtes de conserves à couvercles dentelés, tronçons de tuyaux, squames de pneus. Des lézardes s'élargissent et se creusent. Reprise du volant de justesse. Flaques et nids de poules. Il devient difficile d'éviter les cailloux, même les rocs. Encore quelques ornières dans l'herbe épineuse et rare, pour une centaine de mètres; puis c'est la désorientation.

5) Le Tableau des Démunis

 A l'ombre de l'église désaffectée, il essaie des craies de couleurs pour améliorer non seulement ses copies de l'Angélus de Millet, de la Cène de Léonard ou d'une Madone du Guide, mais des études d'écorchés, des cartes géographiques légendées d'archipels tentateurs à parfums, mines et vestiges, des problèmes classiques de géométrie: théorème de Pythagore, construction de l'heptagone, cercle des neuf points, aussi des projets d'automobiles, sous-marins, astronefs. Quittant la foule indifférente, les gamins du faubourg s'assemblent, les yeux brillant, pour lui demander des explications qu'il leur détaille sans se lasser. Mais dès que la nuit tombe au long des chéneaux, après généralement un sandwich au jambon et une dernière lampée de son kil de rouge, il s'enroule et s'endort dans une couverture effrangée sur un soupirail de métro, et selon le temps, sous une bâche, le visage caché par son galurin, tandis qu'il les entend effacer soigneusement tout son travail du jour par le frottement de leurs espadrilles, comme chez les Navajos on disperse le sable de la peinture thérapeutique une fois le chant terminé.

6) Le Tremplin des Révoltes

 Monté sur ressorts, dirait-on, maigre et musclé, sourcils en barre, il rebondit comme une balle de tennis après avoir sauté du rebord d'une fenêtre au rez-de-chaussée d'une tour lépreuse, abreuvant d'insultes ce sol qui n'est ni terre ni mère, cette dureté où pas moyen d'enfoncer des racines, ce refus constant, cette bastonnade à chaque pas, cette éviction, relégation, extradition, cette râpe où l'on s'écorche en s'étalant, cette dénégation, déréliction, dégradation, impossible à creuser pour y enfouir ses morts entre soi, cette injustice. Il trépigne dans les aiguilles du froid, loin de tout bistrot ou bibliothèque, loin de toute poitrine ou oreille consentante, sous son T-shirt où l'on distingue encore le sigle orgueilleux d'une université des Etats-Unis à laquelle il est impensable qu'il appartienne jamais, s'acharne comme un marteau-piqueur pour essayer de crever ce mutisme, cette cécité, cette surdité, rêvant d'un chalumeau pour les fendre et les fondre, retrouver les dessous, le possible et l'envers, sabrer  cette aire à l'abandon, cet épiderme devenu vernis opaque et mat, y tatouer sa signature et ses adieux.

7) Le Miroir de la Déception

 C'est seulement par temps de grande pluie que je puis y voir mon reflet. Nulle végétation ne pourra profiter de cette eau vaine qui se précipite aux égouts chargés de nos poisons inépuisables. Je reconnais vaguement mes vêtements avec leurs couleurs ternies, mais les traits du visage sont brouillés dans un tremblement d'ondes entrecroisées. Lorsque le temps s'éclaircira quelque peu, mon image, loin de se préciser, disparaîtra comme si ce fantôme horizontal de moi-même ne m'était apparu que pour m'effrayer par la menace d'une interminable noyade en punition d'erreurs présentes ou passées que je cherche à identifier, peut-être simplement la nuance de mes yeux, ou mon oubli de celle des yeux d'autrui. Par chance l'inversion de la droite à la gauche fait que mes gestes de panique ou de résignation se renversent en encouragements. Aussi, quand je verrai mon ombre finement découpée par les ciseaux du grand soleil, artiste en silhouette, je saurai que la libération est proche, que mon apparence m'est pardonnée, que mes ambitions les plus folles sont justifiées à perte de souffle et de vue.


 
 
 
 

SOUVENIR DE LA VILLETERTRE

                                                         pour Maxime Godard
1

 Construite, nous disait-on, par Blanche de Castille au moment même où le roman passe au gothique, l'église formait pour moi, avec l'ancien petit cimetière accolé (il y en a un plus spacieux dans les champs en contrebas), une autre île de la Cité, sans fleuve, bien sûr, mais se détachant sur l'horizon à cause du tertre de son nom. C'était comme un bourgeon de Notre-Dame de Paris, avec la fraîcheur de ses moisissures vertes tel un ruissellement constant de sève.
 

2

 Les colonnes flûtées sous les chapiteaux madrépores soutenant les arcs à grecques et zigzags. La langue allemande emploie le mot "fagott" pour désigner le basson, et cela évoque bien son aspect, semblable à ces faisceaux, quand il est démonté. On a l'impression que des doigts de flammes exercent leur virtuosité sur tous ces trous, mais flammes si claires sous la conduite du vent piqueté de pétales au printemps, qu'elles n'ont déposé nulle cendre ou suie. L'orgue absent dans la tribune (il n'y a toujours qu'un harmonium en bas) étale ici et tout au long des bas-côtés ses gammes d'ultrasons, chacun des tuyaux formant tout un jeu.
 

3

 Le portail donne sur la place quasi-ronde avec château en face, très simple, joli dix-neuvième sans prétention, mais dont les grandes fenêtres me faisaient rêver rencontres à la Marivaux, déjà propriété des frères de Saint-Jean-de-Dieu qui ont installé dans le parc autour toute une cité pour handicapés, et à sa gauche le chemin blanc qui descend d'abord à de magnifiques allées de tilleuls, puis un pont sur la tranchée ferroviaire, enfin d'anciens moulins et lavoirs au fond de la vallée avec étangs et cressonières. Les processions sortaient avec ostensoir, encensoirs et bannières, enfants de choeur à surplis brodés et soutanelles rouges, et l'on avait beau s'époumoner, le vent dispersait les cantiques dont on ne percevait plus que quelques hoquets, tels des chants d'oiseaux.
 

4

 Certains de nos ancêtres, choqués par les chapiteaux qu'ils jugeaient "gothiques", les avaient pudiquement revêtus de plâtre, ce qui a eu l'avantage de les conserver assez bien. Cette couverture est tombée par plaques, mais c'est loin d'être entièrement dégagé. Il faudra vraisemblablement les plus grandes précautions pour continuer sans dommage le travail hasardeux de l'usure. La nef ayant été jugée trop étroite, on ne sait plus à quel siècle, les colonnes ont été raclées à l'intérieur, ce qui ne semble pas avoir trop compromis leur solidité et donne le sentiment qu'on est dans une carrière, dans une église troglodyte, ou monolithique comme en Ethiopie, et qu'en raclant encore on pourrait trouver des niches naturelles, de minces puits s'enfilant vers tout un réseau de cavernes.
 

5

 La palmette orientale, en montant à travers les forêts de la Gaule, y est devenue fougère. Le cercle par elle s'épanouit en carré aux angles de qui s'enroulent les crosses. Et ce sont en même temps des replis d'algues immobilisées autour du trésor englouti qu'elles enserrent: amphore ou graal, coffre ou apocalypse. Ces broderies répondaient à celles de l'aube ou de la chasuble sacerdotales, aux ciselures des vaisselles, aux enluminures des psautiers. Enfin c'est le départ des branches et frondaisons dans cette futaie minérale où les taches de vitraux font éclore des fruits.
 

6

 Dans la nef il y a toujours les bancs à mince pupitre sur lesquels une étiquette de cuivre affichait le nom des familles importantes auxquelles ils étaient réservés. Ma grand-mère avait le sien où nous nous entassions. Elle avait le privilège d'offrir le pain béni le jour de la Nativité de la Vierge, fête du village qui s'animait d'une petite foire avec tirs et manèges. C'étaient des brioches en forme de couronnes que l'on débitait en morceaux vaguement cubiques dans la sacristie et que les enfants de choeur nous offraient dans des corbeilles lingées de blanc. Elles étaient encore chaudes et remplissaient toute l'église d'un parfum de viennoiserie. Il y avait aussi, naturellement, des chaises et prie-dieu mobiles pour les fidèles de passage.
 

7

 Quel nuage est passé devant le transept pour l'éteindre comme avec un interrupteur? C'est la fin de l'après-midi. Les tomettes du sol en nids d'abeilles sont englouties dans des ténèbres fluides. Les chaises délaissées semblent suspendues dans le vide, et c'est comme si chacune des colonnes accolées en faisceaux, en fagots, allait se détacher, dégageant un espace intérieur fantôme, certainement très obscur d'abord, mais dans lequel nos yeux, s'habituant peu à peu, découvriraient phosphorescences et fontaines d'où jailliraient des femmes à cantilènes et miroirs.
 

8

 Une sobriété romane dans un drapé baroque. Qui a mutilé la mère et le jeune garçon? Qui leur a coupé à chacun la main droite comme pour diminuer à jamais leur puissance? Révolutionnaires exorcisant leur attachement d'avant-hier, mais de quelle révolution? La forme de son socle fait penser qu'elle était au sommet de quelque monument, une chapelle peut-être qui se serait écroulée sous les fureurs d'un nouveau ciel triomphant. Persistante, cachant et protégeant dans les replis de son manteau toutes les ténèbres de son ascendance, toutes les macules de sa conception, elle transmet à notre vieille enfance la douceur des espoirs anciens que nous pensions avoir perdus.
 

9

 Les marches montent vers la tribune où, les jours de grande fête, se rassemblaient les chanteurs. Elle est décorée du côté de la nef par trois grands angelots baroques en bois sombre, mutilés eux aussi, qui volent autour de la partition qui les inspire. Lieu de vertige et d'exception, d'où l'on peut voir sans être vu, le choeur d'en-haut renversant celui d'en bas où devraient s'accomplir les mystères. A l'abri de la balustrade on peut se moquer à son aise, chuchoter entre les cantiques. Toutes les farces de la sacristie s'épanouissent en jeux de nuages; toutes les hontes, lors d'une toux intempestive par exemple, se détendent en duos séraphiques et brûlants. On chante à perdre son visage et ses mains; on chante à perdre tous ses membres pour n'être plus qu'haleine et pulsations, vision et caresse.
 

10

 Le jeune singe devenu vieux étale sa barbe en fronde de fougère sur les drapés de son imperméable doublé d'intellectuel frileux. Assis de travers sur une chaise qu'il ne reconnaît pas, il se dore au soleil d'un voyage dans le temps. Il aimait cette église, ce village, mais il lui a fallu courir au bout du monde pour comprendre que c'était si beau. Il voudrait qu'autrefois il ait remarqué tout ce qu'il détaille aujourd'hui, débusquer un souvenir à chacun des obscurs recoins. C'est comme s'il se prenait par la main sans pouvoir rien se dire; et chacun montre quelque chose à l'autre en silence sur chaque rive d'un demi-siècle fort agité.


 
 
 
 

LA PORTE DANS LE FEUILLAGE

                                                         pour Maxime Godard

 
S'introduire dans cette blessure dont le pansement ligneux vient de s'entrouvrir pour retrouver l'émotion première: douceur, pudeur, frayeur, ferveur, lors d'un cheminement qui ne se terminera que dans la torpeur électrique d'un silence enluminé de chants d'oiseaux, de bris de branches mortes et d'éclatements de bourgeons. Bien sûr elle avait un visage, celle qui présidait à ces circulations forestières, même si elle le dérobait, mais je ne m'en souviens plus. Elle avait des yeux, mais je n'osais les regarder que lorsqu'ils se fermaient; elle devait avoir un nom, même si elle était fée ou déesse, mais ne me l'a jamais dit. Je me souviens de son rire, mais non de sa voix, de sa disparition mais non de sa venue. Eberlué, je vis la trace d'un pas; j'essayai de refermer la porte. Tout ceci est maintenant rasé pour la construction d'une résidence secondaire.

 
 
 

EXTERNE-INTIME

                                            pour Gregory Masurovsky et Akiko
          1

                  Dedans

          une présence en train de se coaguler
          le foyer de la danse accueille ses fureurs

                  au secours! la maison sombre

          la main creuse son ombre sur la feuille
          l'imprégnant d'une effervescence funèbre

                  dehors

          l'encre du dessin ruisselle dans les cheveux
          les ailes battent dans la découverte

                  à la frontière

          le corbeau plante ses plumes dans les circonvolutions
          la mèche de l'archet caresse les hanches

                 à la limite

          la pince minutieuse agrippe les nuages
          progressant prudemment sur le sentier des traces

                 plus près

          les doigts tranquillement dirigent le roseau
          au-delà des paumes les palmes s'ouvrent sur le papier

                  plus loin
 
 

         2

                  Dehors

          le foyer de la danse accueille ses rumeurs
          les phalanges se replient pour former le bûcher

                  à la frontière

          les imprégnant d'une effervescence lunaire
          la poutre dans les yeux devient rayon de cendres

                  au secours! la maison brûle

          les ailes battent dans la dérision
          les signes du fard explicitent ceux des fumées

                  à la limite

          la mèche de l'archet caresse les cordes
          des paysages vus d'avion frissonnent dans leurs incendies

                  plus près

          progressant prudemment sur le sentier des ténèbres
          Béatrice nous guide à travers les sphères des affres

                  plus loin

          le jour se lève sur la mer des braises
          les heures glissent au long des montagnes de laves

                  maintenant
 

          3

                  A la frontière

          au-delà des paumes les palmes s'ouvrent sur le vent
          l'après-midi s'étale sur la plaine des fauves

                  à la limite

          les phalanges se replient pour former la charpente
          le soir descend sur les cratères de Vénus

                  plus près

          la poutre dans les yeux devient rayon de miel
          la planète s'enrobe de lancers de soies

                  au secours! la maison divague

          les signes du fard explicitent ceux de l'épiderme
          l'atmosphère virulente attire les  audaces

                  plus loin

          des paysages vus d'avion frissonnent dans leur complicité
          l'averse de limaille couvre les astronautes

                  maintenant

          Béatrice nous guide vers les sphères des astres
          dans l'anneau du miroir elle interroge anxieuse

                  bientôt
 

          4

                  A la limite

          le jour se lève sur la mer des angoisses
          le geste se développe en pétale d'aurore

                  plus près

          les heures glissent au long des montagnes martiennes
          la méfiance passe derrière la vitre

                 plus loin

          l'après-midi s'étale sur la plaine des masques
          la beauté prise au piège essaie de se noircir

                  maintenant

          le soir descend sur les cratères des regards
          le boomerang s'incarne au puits de liberté

                  au secours! la maison se renverse

          la planète s'enrobe de lancers de parfums
          à la recherche de son apparence dans une perle

                  bientôt

          sur l'échiquier de la fenêtre la reine assure ses atours
          son gnome secret enfle sur la piste

                  plus tard
 

          5

                  Plus près

          l'atmosphère virulente attire les poussières
          l'espion fasciné s'est tapi dans l'âtre

                  dernier jour

          l'averse de limaille couvre les continents
          l'écume blanchit sur le roc de la tête

                  plus loin

          dans l'anneau du miroir elle interroge silencieuse
          nous invitant à partager ses inquiétudes

                  maintenant

          le geste se développe en pétale de lys
          c'est la dissolution de la Fée Morgane

                  bientôt

          la méfiance passe derrière l'épaule
          les herbes gagnent sur les rues

                  au secours! la maison accuse

          les ronces envahissent les cours
          les branches s'accumulent sur les toits

                  ou encore
 

          6

                  Plus loin

          la beauté prise au piège essaie de s'échapper
          les iris cherchent leur floraison entre les grilles

                  maintenant

          le boomerang s'incarne au puits de vérité
          une souche au bord de l'étang se veloute de lierre

                  dernière heure

          à la recherche de son apparence dans un diamant
         à corps perdu dans le tourbillon des ramures

                  bientôt

          sur l'échiquier de la fenêtre la reine assure sa retraite
          sur son ongle à la fois l'appel et la question

                  plus tard

          son gnome secret enfle sur le mur
          les pores de la peau conjuguent leurs respirations

                  ou encore

          les vestiges des vêtements cherchent à se multiplier
          l'eau cascadant de lèvre en lèvre

                  désormais
 

          7

                  Maintenant

          l'espion fasciné s'est tapi dans l'éclipse
          l'épave se souvient de l'ivresse des fleurs

                  bientôt

          l'écume blanchit sur le roc du songe
          le rossignol improvise après l'orage

                  plus tard

          nous invitant à partager ses problèmes
          c'est l'échange des solitudes en plein sommeil

                  dernière minute

          c'est la dissolution de la Loreley
          une présence en train de se disséminer

                  ou encore

          les herbes gagnent sur la plage
          la main creuse son ombre sur le seuil

                  à l'horizon

          les ronces envahissent les dunes
          l'encre du dessin ruisselle dans les ravines

                  à l'écart
 

          8

                 Bientôt

          les branches s'accumulent sur la rive
          le corbeau plante ses plumes dans les recoins

                  plus tard

          les iris cherchent leur floraison entre les algues
          la pince minutieuse agrippe les instants

                  ou encore

          une souche au bord de l'étang se veloute de mousse
          les doigts tranquilles guident les ciseaux

                  à l'horizon

          à corps perdu dans le tourbillon des essences
          le foyer de la danse accueille ses langueurs

                  dernière seconde

          sur son ongle à la fois l'appel et l'adieu
          les imprégnant d'une effervescence amoureuse

                  à l'écart

          les ailes battent dans l'exaltation
          la mèche de l'archet caresse les fruits

                  aux antipodes
 

          9

                  Plus tard

          les pores de la peau conjuguent leurs murmures
          progressant prudemment sur le sentier des trésors

                  ou encore

          les vestiges du vêtement cherchent à disparaître
          au-delà des paumes les palmes s'ouvrent sur les cases

                  à l'horizon

          l'eau cascadant de lèvre en paupière
          les phalanges se replient pour former la grotte

                  à l'écart

          l'épave se souvient de l'ivresse d'antan
          la poutre dans les yeux devient rayon vert

                  aux antipodes

          le rossignol improvise après le naufrage
          les signes du fard explicitent ceux des astres

                  dernier soupir

          l'échange des solitudes en pleine foule
          des paysages vus d'avion frissonnant dans la guérison

                  à jamais


 
 

LE TRAQUEUR DE MÉGALITHES

                                                         pour Pierre Demarne
          Brique à brique en famille
          on peut construire sa maison
          et le berger solitaire
          sélectionnant caillou après caillou
          peut couvrir la montagne entière
          d'un réseau de murets

          Mais lorsqu'il s'agit de pierres énormes
          il faut que tout un peuple s'accorde
          et transpire pour les dresser
          ou les soulever sur deux autres
          ou les assembler en pyramides
          tous ces corps n'en formant qu'un seul

          Et l'on imagine à la fois
          l'enthousiasme et le fouet
          des dieux avides à qui voulaient
          s'identifier les chefs
          tremblant devant leurs icônes
          comme le peuple devant eux

          Aussi une merveilleuse ingéniosité
          talus rouleaux cordes et treuils
          canaux signaux et mesures
          les repas apportés par les femmes
          le sommeil dans les tentes
          cavernes ou cabanes

          Lorsque les graveurs et sculpteurs
          se sont attaqués à ces masses
          ils en ont détaché délicatement
          les graviers populaires
          pour donner à la puissance un visage
          auquel pouvait s'identifier le plus humble

          Nous ne dressons plus ni ne taillons
          de telles pierres à réflections
         nos dieux se sont perdus
          dans la poussière du béton
          sans pouvoir passer le relais
          à une autre génération

          Nous sommes devenus poussière
          ludions montant et retombant
          dans les tourbillons de notre monnaie
          dérisoires alchimistes
          maîtres en détransmutation
          réducteurs de l'or en papier

          De bloc en bloc répartis sur la Terre
          se propagent heureusement encore
          des ondes anguleuses d'excitation
          dans notre limaille rouillée
          pour encourager notre résistance
          à la seigneurie du profit

          Oracles nous serons
          à la fois masse et flamme
          blocs erratiques polis
          par les glaciers des villes
          sur le monolithe convulsif
          qu'est notre astronef


 
 
 
 

LA TRAVERSÉE DE LA MER ROUGE
mosaïque

                                                         pour Yehuda Lancry
L'Oeil précédait les errants le jour sous la forme d'une colonne de poussière ténébreuse et, la nuit, d'un jet de lumière.

Arrivés au bord de la Mer rouge ils furent rejoints par les chars des Dominateurs. La barque de la Lune glissait à l'horizon. Et ils dirent au Métis nourri dans les merveilleux jardins de ses adopteurs:

"Manquait-on vraiment tellement de décharges au pays d'Humiliation pour que tu aies mis tant d'acharnement à nous mener sécher dans ce désert? Ne t'avions-nous pourtant pas fait comprendre que nous admirions les ruses de nos surveillants."

Mais l'Oeil multiplia la trombe de tourbe ténébreuse qu'il interposa entre les poursuiveurs et poursuivis.

Alors le Privilégié étendit un doigt sur la Mer rouge dont les flots se fendirent si bien que les exilés purent s'engager dans un lit asséché avec une muraille d'eau de chaque côté; et parmi eux le professeur Aronnax, bien loin de son cabinet d'histoire naturelle, qui pouvait néanmoins continuer d'admirer, identifier, classer les genres et les espèces, comme s'il était resté dans le salon du Nautilus.

Des fongies agariciformes, des actinies de couleur ardoisée, entre autres le thalassianthus aster, des tubipores disposés comme des flûtes et n'attendant que le souffle du dieu Pan.

Les chars des Dominateurs s'y engagèrent à leur suite, mais la colonnade de poussière et d'étincelles apporta dans leurs essieux une telle confusion qu'ils n'avançaient plus qu'à grand peine.

Au point du jour, une fois tous les exilés passés sur l'autre rive, le Privilégié métis étendit à nouveau le doigt et les courants retrouvèrent leur lit avec fracas, engloutissant toute l'escouade.

Puis il escalada une éminence pour montrer à son confident la direction du pays de torrents et fontaines, d'eaux qui sourdent de l'abîme dans les montagnes comme dans les vallées, ce pays dans lequel il ne devait jamais vivre, mais où vivrait ce confident qui préparait déjà ses fanfares destinées à détruire la forteresse dressée pour le lui interdire.
 

*

Le lendemain soir, les exclus arrivés au bord de la Mer de boue rouge, furent rejoints par les catapultes des Conquérants, et dirent au Mulâtre nourri dans les superbes cloîtres:

"Manquait-on vraiment à ce point de charniers au pays de Discrimination pour que tu aies voulu nous mener souffrir dans cette pénurie? Nous t'avions pourtant fait savoir que nous respections les ordres de nos gardiens. Les seigneurs de la guerre aiguisent leurs couteaux."

Mais l'Oeil élargit les barreaux d'anthracite qu'il interposa entre les pourchasseurs et pourchassés.

Alors l'Obstiné étendit la main sur la Mer de boue rouge dont les vagues s'écartèrent si bien que l'on put s'engager sur un lit solide avec une muraille de boue transparente de chaque côté; et il y avait là le valet Conseil, bien loin de son office et de ses espérances, qui continuait d'inventorier la faune océanique.

Des coquilles particulières à cette mer, qui s'établissent dans les excavations madréporiques et dont la base est contournée en courte spirale.

Les catapultes s'y engagèrent aussi mais l'arborescence d'anthracite et d'étincelles ténébreuses apporta dans les rouages une telle confusion qu'elles n'avançaient plus qu'à grand effort.

Au point du jour, une fois tous les exclus passés, la main à nouveau étendue fit retrouver aux torrents de boue rouge leurs pentes avec claquements, absorbant tout le bataillon.

Puis l'Obstiné mulâtre escalada une colline pour montrer à son interprète le chemin du pays de froment et d'orge, de vignes, de figuiers et de grenadiers, ce pays dans lequel il ne devait jamais respirer, mais où s'établirait cet interprète qui préparait déjà ses tambours afin de démolir le donjon érigé pour l'en empêcher.
 

*

Le mercredi, arrivés au bord de la Mer de sang, les condamnés rejoints par les canons des Oppresseurs, dirent au Sang-mêlé nourri dans les somptueux parvis:

"Manquait-on vraiment d'ossuaires au pays de Mépris pour que tu nous aies forcés à venir râler dans cette impasse? Nous t'avions pourtant répété que nous nous amusions des ricanements de nos sentinelles."

Mais l'Oeil anima les piliers d'obsidienne qu'il interposa entre les traqueurs et traqués. Les messagers déployaient leurs ailes sur les ravines et les serpents s'enroulaient autour de leurs glaives.

Alors le Bois-brûlé étendit l'avant-bras sur la Mer de sang dont les artères se séparèrent si bien que l'on put s'engager sur un lit de sable avec une muraille de sang lumineux de chaque côté; et il y avait là le harponneur Ned Land, bien loin de son Islande et de ses projets familiaux, qui continuait de guetter sa subsistance.

Là croissaient des éponges de toutes formes, des éponges pédiculées, foliacées, globuleuses, digitées. Elles justifiaient assez exactement ces noms de corbeilles, de calices, de quenouilles, de cornes d'élan, de pied de lion, de queue de paon, de gant de Neptune que leur ont attribués les pêcheurs.

Les canons s'y engagèrent, mais la gerbe d'obsidienne et d'étincelles ténébreuses apporta dans les mécanismes une telle confusion qu'ils n'avançaient plus qu'à grande difficulté.

Au point du jour, tous les condamnés passés, l'avant-bras étendu de nouveau fit retrouver aux veines leur écoulement avec gargouillis, avalant tout le régiment.

Puis il escalada un promontoire, le Bois-brûlé, le Sang-mêlé, pour montrer à son traducteur les premiers signes avant-coureurs du pays des oliviers, de l'huile et du miel, ce pays dans lequel il ne devait jamais pénétrer, mais où prospérerait ce traducteur qui préparait déjà ses orgues afin de démonter la bastille prévue pour son châtiment.
 

*

Au bord de la Mer de feu, les épuisés rejoints par les bombardiers des Envahisseurs, dirent au Bâtard nourri dans les vastes portiques:

"Manquerait-on de cimetières au pays de l'Esclavage pour que tu continues à nous mener brûler dans cette horreur? Nous t'avions pourtant avoué que nous léchions les bottes de nos contremaîtres."

Mais l'Oeil enlaça les poutres de rouille qu'il interposa entre persécuteurs et persécutés.

Alors le Miraculé étendit les deux bras sur la Mer de feu dont les langues se nouèrent si bien en un pont de braise fraîche que l'on put s'y engager entre deux gouffres grondants. L'usurpateur tonnant réparait son Olympe. Et il y avait là le capitaine Nemo, après tant de lieues sous les mers, qui continuait de ruminer sa vengeance.

Des raies parmi lesquelles des limmes de forme ovale, de couleur brique, au corps semé d'inégales taches bleues et reconnaissables à leur double aiguillon dentelé, des arnacks au dos argenté.

Les bombardiers voulurent les poursuivre, mais les déflagrations de la rouille et des étincelles ténébreuses apportèrent dans les moteurs une telle confusion qu'ils ne volaient plus qu'en soubresauts.

Au point du jour, les deux bras de nouveau étendus firent retrouver aux flammes leur ronflement en s'incorporant toute l'escadrille.

Miraculé bâtard du haut d'une falaise il tenta de montrer à son commentateur les premières marges du pays où le pain ne te sera pas mesuré, où tu ne manqueras de rien, pays qu'il ne devait jamais approcher, mais où ce commentateur planterait ses vergers ce continuateur qui préparait déjà ses orchestres afin de dissoudre la citadelle organisée pour sa neutralisation.
 

*

Au bord de la Mer de pierres rouges, les exilés éreintés par les hélicoptères des Inquisiteurs, dirent au Frontalier nourri dans les illustres écoles:

"Pas assez pour toi de tombeaux au pays de l'Abjection pour que tu persistes à nous mener agoniser dans cette déréliction? Nous t'avions pourtant assuré que nous chérissions les aboiements de nos geôliers."

Mais l'Oeil tordit les frontons de ferraille et les interposa entre les rapaces et leurs proies.

Le Franc-tireur étendant ses deux bras s'éleva sur la Mer de pierres dont les rocs se superposèrent si bien que l'on put s'engager dans une rue dallée entre deux murs d'aquariums rouges. Et il y avait là le héros Ulysse, après tant d'erreurs et d'épreuves, qui continuait de noter le chant des Sirènes.

Des pastenagues à la queue pointillée, et des bockats, vastes manteaux longs de deux mètres qui ondulaient entre les eaux, des aodons absolument dépourvus de dents, sortes de cartilagineux qui se rapprochent du squale.

Les hélicoptères voulurent les poursuivre mais les gifles de la ferraille et des étincelles ténébreuses apportèrent dans les pales une telle confusion qu'elles ne tournaient plus qu'avec des hoquets. Les séductrices prodiguaient leurs consolations.

Les deux pieds reposés de nouveau sur le sol, les vitres écrasèrent bruyamment toute la division.

Depuis les pentes d'une montagne, le Franc-tireur frontalier essaya de montrer à son successeur les premiers signaux du pays où il y a des pierres de fer et de bronze -mais à vrai dire il ne faisait que les deviner- à ce successeur qui préparait déjà ses choeurs afin de renverser l'arsenal mis au point pour sa mutilation.
 

*

Rejoints au bord de la Mer de laves par les mirages des Liquidateurs, les oubliés dirent à l'Amphibie nourri dans les secrets des sérails:

"Avec tant de mausolées au pays de la Censure, n'as-tu pas honte de nous laisser périr dans cet abandon? Nous t'avions pourtant bien montré que nous baisions les fouets de nos tortionnaires."

Mais l'Oeil lança une grêle d'épines qui s'interposa entre les furieux et fuyards.

L'Echangeur s'éleva sur la Mer de laves dont les nappes s'organisèrent en un tunnel où l'on fut aspiré entre deux hublots d'arc-en-ciel. Et il y avait là le navigateur solitaire Personne à qui l'on avait volé même son nom, et qui continuait de déchiffrer le texte des ombres.

Des ostracions-dromadaires dont la bosse se termine par un aiguillon recourbé, long d'un pied et demi, des ophidies, véritables murènes à la queue argentée, au dos bleuâtre, aux pectorales brunes bordées d'un liséré gris, des fiatoles, espèces de stromatées, zébrées d'étroites raies d'or et parés des trois couleurs de la France.

Les mirages voulurent les poursuivre mais les éruptions d'épines et d'étincelles ténébreuses apportèrent dans leurs lueurs de telles confusions qu'ils ne se dirigeaient plus que comme des aveugles.

A peine un soupir et les coulées laminèrent toute la flotte. Le vieux roi détrôné faisait sonner ses anneaux.

A la frontière des neiges et des cendres, sous le cratère du volcan, l'Echangeur amphibie ne pouvait plus prétendre cette fois montrer à son héritier la direction du pays des belles maisons croissantes et fleurissantes avec du bétail à foison, cet héritier qui préparait déjà ses partitions afin de charmer la capitale acharnée à le corrompre.
 

*

Enfin, au bord de la Mer de nuit, rejoints par les vampires des exterminateurs:

"O toi qui fus nourris dans les palais en ruines, dirent les enterrés, ne connaissais-tu pas assez les pyramides au pays du Mensonge, pour nous avoir menés mourir dans cet absence? Nous t'avions pourtant dit que nous n'attendions plus que les rafales de nos bourreaux."

Mais l'Oeil ferma ses paupières qui s'interposèrent entre les tueurs et leurs victimes.

Le Multiple alors s'enfonça dans le cratère de la nuit dont les constellations devinrent une échelle. Et il y avait là N'importe-qui l'astronaute lequel, contre toute attente et avertissements, continuait de chercher la formule et le lieu.

Des blémies-garamits longs de quatre décimètres, de superbes caranx décorés de sept bandes transversales d'un beau noir, de nageoires bleues et jaunes et d'écailles d'or et d'argent, des centropodes, des mulles oriflammes à tête jaune, des scares, des labres, des balistes, des gobies et mille autres...

Les vampires voulurent les poursuivre, mais les suaires de paupières et d'étincelles ténébreuses apportèrent une telle confusion dans leur survie qu'ils se hâtèrent de retrouver leurs rêves.

Et le multiple Passage, toujours plus loin du pays de l'abondance non seulement de l'argent et de l'or, mais de la science et de la bonté, en laisse la quête à son survivant qui prépare déjà ses livres pour métamorphoser les mégalopoles qui devaient l'étouffer.

Le soleil de l'Oeil déborde la nuit.


 
 
 

DANS LA CHEVELURE DE GERT

                                    pour Frédéric-Yves Jeannet et Angelica Arce
     On baptise en général les cyclones
     de séduisantes appellations féminines
     comme Daisy Ava Marilyn ou Betsy
     mais celui qui se promène en ce moment
     sur le golfe du Mexique secouant
     ses mèches de serpents et tresses de tempête
     a un sobriquet un peu abrupt
     qui convient bien à sa fureur
     de superbe dieu sanguinaire précolombien

     Nous sortions d'un pèlerinage rapide
     au rez-de-chaussée du Musée d'Anthropologie
     où nous avions salué avec émotion les vestiges
     de quelques unes de ces grandes civilisations
     qui se sont succédé sur le torse du continent
     comme des tornades lentes ou des frissons d'émoi
     et nous étions descendus au sous-sol
     pour recharger les batteries de nos enregistreurs
     par un repas léger dans la cafétéria

     Quand nous nous sommes sentis enfermés par le ciel
     qui fulminait ses lances d'arrosage en faisceaux
     grilles et palmes plus drues que celles du parc alentour
     faisant ruisseler les escaliers en chutes de velours
     phosphorescent et recouvrant les terrasses
     d'une épaisse peau brillante un cuir de verre
     entièrement rongé d'éruptions à gicleurs
     meurtrier feu d'artifice continu
     liquidant au loin des villages entiers

     Et je pensais aux enfants dans les cours des écoles
     pataugeant et s'éclaboussant pieds nus
     coiffés de capuchons pour se protéger les yeux
     ponchos sérapés ou chapeaux de paille ou feutre
     comme si c'étaient de grandes corolles
     riant et chantant dans ce paradis de Tlaloc
     où les accueilleraient les anciennes jeunes victimes
     transfigurées dans chaque goutte d'eau
     comme une étincelle dans une larme


 
 
 

LES MOMIES DE GUANAJUATO

                                                              pour FYJ et AA
               Les mains croisées sur leur nombril
               parfois des chaussettes aux pieds
               la peau semblable à du carton
               avec un rictus tendre ou las
               dans leurs cercueils tendus de verre

               Tels des wagons l'un après l'autre
               immobilisés aux coursives
               du monastère-paquebot
               échoué sur un promontoire
               au bord du gouffre des vivants

               Qui montent les voir en famille
               les vieux pour étudier les poses
               qu'ils prendront aux derniers instants
               sentir ce qu'est ne plus sentir
               cheveux collés contre les os

               Les jeunes pour bien préparer
               les gestes et cérémonies
               qu'il leur faudra exécuter
               quand le déroulement du fil
               de la souffrance aura cessé

               Les enfants pour qu'ils exorcisent
               la peur qui pourrait les saisir
               en voyant changer le visage
              de ceux qui les aimaient le plus
               et qu'ils pensaient trouver toujours

               Pour atténuer l'amertume
              de cette vie qui les attend
               ponctuée de deuils et de drames
               on leur offre menues momies
               en sucre d'orge à déguster

               Et quand viendra le jour des morts
               on leur fera croquer leur crâne
               parfois fourré de chocolat
               leur nom inscrit de couleur suave
               sur les arcades sourcilières

               Ainsi leur squelette devient
               saveur et tendresse et celui
               de leurs camarades de jeux
               ils le cherchent ingénument
               derrière vêtements et chairs

               Dans leurs lits quand ils seront grands
               recommençant leurs épousailles
               à chaque sonnerie de cloche
               ils tenteront d'entremêler
               leurs douces cages thoraciques

               Et leurs deux coeurs navigueront
               enlaçant artères et veines
               dans les tourbillons de leur sang
               en attendant que leurs épaves
               sèchent au vent des ouragans

               Sur l'océan du haut plateau
               les tours de la Valenciana
               s'allumant dans le crépuscule
               croisent leurs feux libérateurs
               au monument de Pipila

               Prométhée de l'outre-Caucase
               momie coulée de vif-argent
               toujours fourbissant contre-foudres
               pour éliminer les vautours
               remplaçant les aigles d'antan

               Portant sa pierre sur son dos
               couverte de brandons croulant
               pour crever dans un incendie
               le coffre échoué d'un naufrage
               incarcérant le cri germant
 


 
 

LA NUIT DES ETOILES FILANTES

                                                                 pour Dorny
               Il s'agissait de faire un voeu
               au moment même où l'on verrait
               la première étoile filante
               cette nuit où elles seraient
               selon tous les bons astronomes
               particulièrement nombreuses

               Un seul voeu naturellement
               vraiment pas le temps d'un de plus
               la légende garantissait
               qu'en dépit de tous les obstacles
               le sort le réaliserait
               dans un délai d'un an au plus

               Ciel dégagé temps doux les cloches
               on distinguait très bien Persée
               d'où devait provenir l'essaim
               parmi ses compagnons de Fable
               Andromède Céphée Pégase
               et les autres constellations

               Les enfants s'étaient installés
               emmitouflés dans leurs duvets
               enivrés des senteurs nocturnes
               au beau milieu de la prairie
               et ils écarquillaient les yeux
               pour ne rien manquer du spectacle

               Mais un seul voeu comment choisir?
               les envies pleuvaient dans ma tête
               des plus simples jusqu'aux plus folles
               aussi pour ne manquer ma chance
               j'ai résolu de faire voeu
               de faire un voeu l'année prochaine

               Dans la nouvelle nuit des étoiles filantes


 
 
 

CABALLEROS

                                                                pour Dorny
                    Bombant le torse
                    cambrant les reins
                    portant monocle
                    ou bien lorgnon
                    lissant leur barbe
                    fin dix-neuvième
                    et leurs moustaches
                    à longues pointes
                    la main sur le
                    bord du chapeau
                    pour l'enlever
                    d'un geste large
                    en rencontrant
                    senoritas
                    bien camouflées
                    sous leurs mantilles
                    peignes d'écaille
                    les éventails
                    les yeux valseurs
                    souliers à boucles
                    bas en résille
                    ourlets tintants
                    frémissements
                    talon glissant
                   sur le carreau
                    pour frôler bottes
                    à éperons

                    Ventres sanglés
                    vestes brodées
                    de militaires
                    boutons dorés
                    gilets rayés
                    pour les valets
                    palefreniers
                    maîtres d'hôtel
                    grooms de palaces
                    garçons hissant
                    sur les cinq doigts
                    formant corolle
                    plateaux laqués
                    pour les cafés
                    mokas liégeois
                    anis et bières
                    puis ils se penchent
                    pour extirper
                    de leur gousset
                    briquets d'émail
                    et allumer
                    cigarillos
                    habanitos
                    papelitos
                    pipes d'écumes
                    ou Romeo
                    y Julietas

                    D'où ces messieurs
                    tyrans en herbe
                    hommes d'affaires
                    restaurateurs
                    distillateurs
                    horticulteurs
                    collectionneurs
                    ou balayeurs
                    et mêmes les
                    ecclésiastiques
                    protonotaires
                    séminaristes
                    les archiprêtres
                    les archevêques
                    tirent bouffées
                    de fumée douce
                    avant d'aller
                    choisir leur place
                    ombre ou soleil
                    dans le cratère
                    de la plaza
                    pour applaudir
                    le matador
                    dont les portraits
                    couvrent les murs
                    barbouillés de
                    colle et de sang


 
 
 

LES APOTRES DE LA PAMPA

                                                        pour Thierry Lambert
au métissage des gauchos


          1
          L'apôtre furieux
 

        Menaces partout les fantômes
          négocient leurs itinéraires
          Effleurant barbes des épis
          broyant les grains entre leurs dents
          enroulant les fils d'horizon
          autour de leurs coudes flambant
          d'épines et d'ocelles vertes
          avec des auréoles blanches
          sur l'azur qui s'approfondit
          en crânes de boeufs et d'humains
          en squelettes sur leurs chevaux
          d'écume de sable ou de sang
        Approche la locomotive
          avec les hurlements du vent
          Faisant tournoyer feux et fouets
          sur les villages qui se terrent
          sous leurs toits de tôle ondulée
          l'apôtre clame ses menaces
          contre les trafiquants du soir
          qui creusent leurs voies tortueuses
          pour anéantir les moissons
          ou dérober les grands troupeaux
          que lassos chercheraient en vain
          dans la nuit fermant la pampa
        Les étoiles au crépuscule
          loin des campements des humains
          2
          L'apôtre phare
        Entre falaises et récifs
          ventilateurs et parasols
          Les gauchos du feu caracolent
          de l'autre côté des ruisseaux
          les rares arbres s'épanouissent
          en nuages d'explosions bronzées
          les enfants grimpent comme singes
          au long des branches escaliers
          pour guetter l'essor des fumées
          qui cavalcadent en fuyant
          parmi les champs de canne à sucre
          et les roseaux à grands plumets
        Sur l'azur qui s'approfondit
          cherchent le tango des saisons
          Où hérons et condors tournoient
          cherchant l'écume ou le sanglant
          très loin montent les cordillères
          avec les chemins des Incas
          d'un autre côté les détroits
          avec les hurlements du vent
          où l'apôtre essaie d'avertir
          les navigateurs imprudents
          qui essaient de renouveler
          les exploits des siècles passés
        Certains de trouver des lambeaux
          d'ivoire d'écaille et d'argent
          3
          L'apôtre musicien
        Fanfares de soldats anciens
          en squelettes sur leurs chevaux
          Sacs de cuir pantalons à franges
          étriers d'argent boucles d'or
          aux ceintures cloutées d'acier
          selles et rênes incrustées
          d'améthystes et de turquoises
          lamas tissés dans les ponchos
          qui virevoltent dans le vent
          tandis qu'approchent les orages
          qui coucheront toutes les herbes
          sous les batteries de leurs grêles
        De l'autre côté des ruisseaux
          qu'ils reviendront fouiller demain
          Orgues roulant dans la distance
          leurs tuyaux comme des fétus
          alors que des traînées d'avions
          tracent finement dans le ciel
          les signaux de nos industries
          les étoiles au crépuscule
          cherchent le tango des saisons
          sous la protection dérisoire
          des porches où les chiens épient
          l'approche du futur apôtre
          Brandissant cravache incrustée
          que nous verrons glisser du ciel
          4
          L'apôtre campeur
        Enroulant les fils d'horizons
          les rares arbres s'épanouissent
          La rose des lointaines villes
          tourne dans les flammes du feu
          comme nuages crépusculaires
          emportés par un ouragan
          pourtant le vent murmure à peine
          on entend le crépitement
          des bûches tombant en joyaux
          puis en cendres parmi les herbes
         et les longs soupirs des chevaux
          attachés aux plus basses branches
        Etriers d'argent boucles d'or
          de chaque côté de la selle
          D'une explosion de feuilles lisses
          où sont endormis les oiseaux
          à l'exception des chats huants
          que l'odeur de la fumée trouble
          et qui cherchent d'autres perchoirs
          loin des campements des humains
          qu'ils reviendront fouiller demain
          certains de trouver des lambeaux
          de viande sur les ossements
          quand chevaucheront les apôtres
        Cherchant depuis tant de semaines
          dans les ténèbres frémissantes
          5
          L'apôtre sauveur
        Parmi les champs de canne à sucre
          tandis qu'approchent les orages
          Dans le gel du petit matin
          le trottinement des rongeurs
          les renards le nez à la porte
          du terrier où les renardeaux
          une fois taries les mamelles
          attendent leur leçon de chasse
          et une fille courageuse
          au grand chapeau bleu arrimé
          au cou par une vieille écharpe
          de soie s'effilant en lambeaux
        Comme nuages crépusculaires
          parmi promontoires de songes
          Avec bottes à éperons
          enfoncées dans les étriers
          de chaque côté de la selle
          fait bondir son cheval anglais
          brandissant cravache incrustée
          d'ivoire d'écaille et d'argent
          fuit la vengeance paternelle
          pour retrouver l'apôtre amant
          dans sa ferme à peine installée
          sous sa couverture de tôle
        Il fallait fermer les volets
          avec des bouquets d'orchidées
          6
          L'apôtre guetteur
        Lamas tissés dans les ponchos
          emportés par un ouragan
          L'oeil qui s'enfuit jusqu'aux montagnes
          que l'on commence à deviner
          par un basculement léger
          de l'horizon de velours vert
          et le changement de couleurs
          épis et fleurs se décalant
          l'argent incrustant la turquoise
          et le matin est plus soudain
          tandis que le soir s'éternise
          on espère ainsi chevaucher
          Et une fille courageuse
          qui a fait briller nos façades
          Jusqu'aux pâturages de nuages
          parmi promontoires de songes
          pour regarder les basses terres
          auxquelles sommes condamnés
          cherchant depuis tant de semaines
          des promontoires pour trouver
          les prés dont les nôtres sont nuages
          les troupeaux d'en-bas et leurs hommes
          qui nous verront glisser du ciel
          comme des averses d'apôtres
        Dont les barbes vont se baigner
          devant les enfants ébahis
          7
          L'apôtre architecte
        Des bûches tombent en joyaux
          les renards le nez à la porte
          Cailloux cueillis après cailloux
          construisant murets et murets
          pour protéger le vieil abri
          avec les cendres toutes chaudes
          et puis on a trouvé
          suffisamment d'argile
          pour cuire quelques briques
          et bâtir une maison
          avec des portes et fenêtres
          et l'on allait chercher des arbres fort loin
        L'argent incrustant la turquoise
          rives s'écartant peu à peu
          Pour les abattre et les tailler
          en poutres pour le toit
          en planches pour le vantail
          mais quand le vent soufflait
          il fallait fermer les volets
          et vivre même en plein midi
          dans les ténèbres frémissantes
          jusqu'à la venue de l'apôtre vitrier
          qui a fait briller nos façades
          Et multiplié le soleil
        Au-dessus des lignes de cornes
          où filent des vents d'outre-Terre
          8
          L'apôtre nageur
        Le trottinement des rongeurs
          tandis que le soir s'éternise
          Les averses laissent des flaques
          où les tiges se prolongent
          vers un autre ciel entrevu
          elles s'écoulent très lentement
          dans tout un réseau de ruisseaux
          qui se faufilent silencieusement
          entre des murailles de graminées
          puis se réunissent en rivières
          boueuses presque stagnantes
          aux contours rayés de roseaux
        Pour protéger le vieil abri
          il déchiffre une des légendes
          Brodés de racines tordues
          de basses branches à lichens
          dont les barbes vont se baigner
          avec des bouquets d'orchidées
          d'où s'envolent des oiseaux-mouches
          touffes s'écartant peu à peu
          avec des radeaux naturels
          qui se détachent dérivant
          d'un méandre à l'autre selon
          les caprices du vent apôtre
        Hululant comme des grands-ducs
          qui parlaient langues inconnues
          9
          L'apôtre conteur
        Epis et fleurs se décalant
          avec les cendres toutes chaudes
          Colporteur d'outils et nouvelles
          cherchant le vivre et le couvert
          pour lui-même et pour son cheval
          des indications sur les fermes
          nouvelles depuis l'an passé
          où s'adresser la nuit prochaine
         un peu plus d'argent dans sa bourse
          quelques aiguilles et rubans
          de moins dans ses sacs et valises
          avec un almanach en prime
        Dans tout un réseau de ruisseaux
          en arrangeant quelques cailloux
          Pour pouvoir y marquer les foires
          dans les bourgs lointains avec moines
          militaires et cinémas
          et tandis que la Lune monte
          au-dessus des lignes de cornes
          qui se penchent sur l'abreuvoir
          à la lumière de la lampe à pétrole
          devant les enfants ébahis
          il déchiffre une des légendes
          des apôtres de la pampa
        Parmi racines emmêlées
          les boeufs pataugent sur la piste
          10
          L'apôtre dormeur
        Avec des portes et fenêtres
          entre des murailles de graminées
          Quelle ombre annonce de l'orage
          vient déborder notre horizon
          des vagues de nuit déferlant
          tout autour de notre île plate
          comme celle de Laputa
          aux Voyages de Gulliver
          menaces partout les fantômes
          se faufilent parmi les herbes
          leurs suaires sont tissés de lianes
          des crânes flambent en flottant
        Quelques aiguilles et rubans
          escaladent les monts de l'Ouest
          Au milieu des averses d'ongles
         hululant comme des grands-ducs
          leurs plumes devenues des clous
          et l'on retourne son sommeil
          en arrangeant quelques cailloux
          qui s'incrustaient en instillant
          leurs cauchemars cristallisés
          dans les galeries de nos membres
          où filent des vents d'outre-Terre
          feuilletant lichens et filons
        En faisant claquer leurs lassos
          contre les trafiquants du soir
          11
          L'apôtre interprète
        Vers un autre ciel entrevu
          cherchant le vivre et le couvert
          Au Nord les ténors 1900
          font crouler d'applaudissements
          les opéras en pleine jungle
          au Sud les voiliers romantiques
          négocient leur itinéraire
          entre falaises et récifs
          sur les traces de Magellan
          à l'Est on attend sur les quais
          les passagers transatlantiques
          réfugiés ou explorateurs
        Des vagues de nuit déferlant
          tandis que gauchos caracolent
          Et les sentiers des vieux Incas
          escaladent les monts de l'Ouest
          au Zénith les constellations
          et si nous creusons dans la Terre
          nous trouverons des ossements
          parmi racines emmêlées
         de ceux qui nous ont précédés
          émigrants sans chevaux ni boeufs
          qui parlaient langues inconnues
          apôtres du déplacement
        Qui creusent leurs voies tortueuses
          cherchant l'écume ou le sanglant
          12
          L'apôtre moderne
        Les indications sur les fermes
          se faufilent parmi les herbes
          Rumeurs d'incendies et de villes
          fanfares de soldats anciens
          approche la locomotive
          qui tire ses 25 wagons
          pendant des heures et des jours
          avec bestiaux et missionnaires
          pianos mécaniques charrues
          ventilateurs et parasols
          le paraphe de la fumée
          signant le drapeau de l'apôtre
        Les opéras en pleine jungle
          sous leurs toits de tôle ondulée
          Devant le passage à niveau
          dont les barrières sont baissées
          les boeufs pataugent sur la piste
          tandis que gauchos caracolent
          en faisant claquer leurs lassos
          sonner leurs pièces dans leurs poches
          qu'ils dépenseront aux bistrots
         de l'agglomération lointaine
         avec sa gare et son église
          ses dentelles et ses tangos
        Les navigateurs imprudents
          les signaux de notre industrie
 
 
Sommaire n°4 :
L'ORGUE VAGABOND
AU GRAND BONHEUR LA CHANCE
REGARD REGARDS
LES RÉVÉLATIONS DE L'ATRE
LUG A LUCINGES
L'EFFERVESCENCE DE L'AIDE
ASPHALTE
SOUVENIR DE LA VILLETERTRE
LA PORTE DANS LE FEUILLAGE
EXTERNE-INTIME
LE TRAQUEUR DE MÉGALITHES
LA TRAVERSÉE DE LA MER ROUGE
DANS LA CHEVELURE DE GERT
LES MOMIES DE GUANAJUATO
LA NUIT DES ETOILES FILANTES
CABALLEROS
LES APOTRES DE LA PAMPA
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