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Poésie au jour le jour 24

(enregistré en août 2013)

Sommaire





CATALOGUE DE JARRES

pour Jean-Pierre Thomas
 
1

Pour conserver les olives
dans l’ombre de nos celliers
qui ponctueront les salades
dans les soirées de juillet
écoutant le rossignol
déployer ses vocalises
entre les gongs et les cloches

Nos fromages notre miel
tandis qu’abeilles bourdonnent
lançant de nouveaux essaims
à la conquête des ruches
commencées par les humains
ou de creux dans les rochers
les troncs d’arbres ou les ruines
 

2

Pour entreposer farines
afin d’en faire le pain
que cuiront les boulangers
dans leurs fournils lumineux
comme des seins embrasés
d’où l’on presserait des gouttes
d’un lait doré croustillant

Notre levain notre sel
qu’ont cueilli dans le damier
de miroirs de leurs marais
les paludiers impeccables
avec leurs longues cuillers
de bois tandis que les mouettes
tournoyaient d’étonnement
 

3

Pour protéger notre sucre
extrait des cannes fauchées
savamment cristallisé
qui transformera les fruits
dans les pots de confitures
en des joyaux transparents
délices de nos enfants

La vanille la cannelle
qui mettront dans la cuisine
un parfum d’explorations
forêts vierges dépliant
leurs volumes de feuillages
ou déserts nous feuilletant
des lexiques d’horizons
 

4

Pour préserver les onguents
qui protégeront la peau
des petits et des vieillards
des outrages du Soleil
dans les caresses duquel
il rouleront à loisir
sans risque de se brûler

Les brindilles le charbon
qui permettra d’allumer
l’encens lovant ses fumées
dans les travées des églises
et de traverser l’hiver
autour de nos braseros
sans grelotter dans nos chambres
 

5

Pour étudier les rouleaux
les registres les carnets
où nous inscrivons nos comptes
et nos généalogies
les journaux de nos voyages
émerveillements soupçons
nos souvenirs et projets

Les règles et les crayons
bâtons d’encres et pinceaux
papiers toiles et tessons
pour dessiner paysages
fleurs animaux surprenants
caricatures visions
trajets secrets talismans
 

6

Pour emmagasiner graines
que nous enfouirons l’automne
dans les sillons préparés
et dont nous surveillerons
la croissance délicate
dans les hasards du printemps
puis la fructification

Les épingles et boutons
qui fermeront nos habits
pantalons ou salopettes
les lacets et fermetures
éclair boucles de ceinture
modelant seconde peau
nous préservant des frimas
 

7

Pour déguster notre lard
le saindoux toutes les graisses
et dedans foies et magrets
qui nous donneront la force
de voyager dans la neige
escalader les montagnes
naviguer dans la tempête

Les lentilles les pois chiches
le riz les noix les amandes
fruits séchés ou champignons
et des jarres plus petites
clairement étiquetées
pour les épices nombreuses
qui varieront nos repas
 

8

Pour thésauriser monnaies
d’argent de cuivre ou de bronze
celles d’or passent par d’autres
quelques liasses de billets
serrés par des élastiques
usés froissés déchirés
mais qui circulent encore

Quant aux cristaux et pépites
que nous trouvons dans le sable
après de longs tamisages
nous les garderons pour nous
sans vouloir les échanger
poussière de notre ciel
que nous filtrons dans nos mains
 

9

Pour observer le mercure
dangereux mais fascinant
venant des vieux thermomètres
qui ne doivent plus servir
mais dont nous brisons la bille
telle une coquille d’oeuf
avec gants et précautions

L’uranium et le phosphore
qui nous permet de marquer
des chemins dans les ténèbres
des cavernes et forêts
et d’inscrire sur les murs
des temples et des prisons
des phrases libératrices
 

10

Pour classer les coquillages
après les avoir grugés
dont nous voulons travailler
la nacre et l’architecture
en bracelets et couronnes
en incrustations fantasques
sur nos meubles et vaisselles

Les serres et les plumages
des oiseaux que nous chassons
avec notre arc et nos flèches
dont nous faisons des coiffures
des plastrons mosaïqués
des manteaux pour les grands froids
des ailes pour nos spectacles
 

11

Pour accumuler rameaux
de laurier ou les pétales
qui parfumeront nos chambres
les salles de nos festins
escaliers des processions
colonnades esplanades
labyrinthes des amours

Les crinières les toisons
des boeufs musqués et vigognes
des chèvres et des moutons
et les peaux des grands ours blancs
où dormiront nos enfants
en rentrant de leurs écoles
au plus triste de l’hiver
 

12

Pour admirer les écailles
des tortues et des tatous
des serpents et des lézards
avant de prendre le temps
d’en fabriquer des guitares
des éventails ou reliures
des ornements d’astrolabe

Les omoplates les crânes
les vertèbres des oiseaux
les dents des hippopotames
les ongles des éléphants
élytres des scarabées
ailes des chauves-souris
hippocampes et scorpions
 

13

Pour répertorier tissus
tapisseries broderies
les satins et les velours
gazes tulles et dentelles
étoles chasubles nappes
chlamydes et dalmatiques
châles ceintures et voiles

Les pelages les fourrures
ragondins visons hermines
isatis astrakan lynx
dépouillés après leur mort
adoucie le plus possible
par savants vétérinaires
dans des zoos de plaisance
 

14

Pour faire mûrir nos vins
exactement fermentés
que nous ferons ruisseler
dans nos festins même pauvres
et qui nous débloqueront
dans nos rancoeurs et mutismes
faisant jaillir notre chant

La moutarde le vinaigre
qui rafraîchiront nos plaies
raviveront notre goût
dans l’ennui des soirs pluvieux
révéleront les images
réveilleront nos regards
dans leur douce acidité
 

15

Pour collectionner bijoux
perles de bois ou de verre
ambre céramique jade
agate opale turquoise
ardoise obsidienne quartz
torsades nielles fleurons
couronnes peignes fibules

Et d’autres pour les poissons
séchés salés ou fumés
ramenés d’expéditions
sur les océans lointains
parmi récifs et baleines
tornades vaisseaux fantômes
sirènes et léviathans
 

16

Pour répartir les cordages
entre deux explorations
d’un océan dans un autre
cherchant rades et passages
et les anneaux les crochets
pour pouvoir tendre les voiles
profiter du moindre souffle

Les alènes les aiguilles
les ciseaux tous les outils
de la couturière avec
les dés et les fermetures
éclair bobines de fil
lacets rubans oeilletons
et les fers à repasser
 

17

Pour distribuer les couleurs
les tubes pour l’aquarelle
les poudres pour les mélanges
les pinceaux et les couteaux
les peignes et les chiffons
bouteilles bidons d’essence
de térébenthine ou d’huile

Tandis que tintent glaçons
recueillis sur les névés
comme des fraises de froid
et descendus dans la plaine
à l’intérieur de manchons
de mousse lichen et paille
pour l’hiver en plein été
 

18

Pour remiser les grelots
qui entoureront nos jambes
pour les danses du solstice
les sistres les maracas
les guimbardes les sifflets
et les bouquets de baguettes
pour tambours et marimbas

Échos enregistrements
des conversations savantes
les chants du vent dans les branches
dans les voiles ou les rues
le clapotement des vagues
sur les coques et rochers
et le réveil des enfants
 

19

Pour affiner les moments
où semble se dissiper
l’antique malédiction
que diffuse le big bang
et se dessiner l’espoir
d’un arrangement des choses
donnant sur un paradis

Les murmures les regards
des animaux et des anges
aperçus au crépuscule
dans les forêts et chapelles
dans les grottes et tombeaux
entre les lignes des livres
et les replis des saisons
 

20

Pour transformer les douleurs
de tous nos enfantements
les arrachements des arbres
s’effondrant sous la cognée
les crissements des voitures
freinant devant une vieille
pressentiments de nos râles

En amplifiant notre rire
comme une flamme flottant
sur l’huile dans une lampe
de verre dans la mosquée
ou comme un appel de trompe
que reprennent les échos
tout au long d’un souterrain


 
 
 
 

LES NOCES ALCHIMIQUES DES LIEUX ET DES YEUX

pour Nicole Lejeune
 
Une image se couche sur une autre
et nous voyons les étoiles en plein jour
Le mur devient transparent une fissure
s’ouvre dans la falaise où nous nous faufilons
comme des mimis australiens pour assister
à l’installation d’un nouveau décor
pour notre fête au milieu des ruines
le sang des sacrifices tourne en fumée d’encens
les halètements des parturientes
tirent la couverture des marées
puis tout se détend dans l’accord de deux paysages
comme celui de la harpe et du pinson
après une course éperdue
les enfants découvrent des archipels
dans les quincailleries et des cascades
effervescentes dans les supermarchés
les économistes se réveillent de leurs cauchemars
et l’ange du bizarre avec son sourire en coin
leur propose d’ouvrir la fenêtre
sur un siècle d’or respirable

 
 
 
 

L’ATELIER DE MAN RAY

pour Maxime Godard

 
1

HAUTE TENSION

     Entrez avec précautions dans ce transformateur où le moindre de vos objets risque des aventures qui le mèneront faire le tour du monde, les parapluies surtout qui deviennent barques, tonnelles, auréoles, moulins, champignons, manèges. Si la pluie menace et que vous désirez retrouver le vôtre pour vous protéger, il vaut mieux le laisser dans ce coin du seuil. Mais n’oubliez pas que n'importe quelle pièce de votre vêtement, et je dirai surtout celle pour laquelle vous vous y attendriez le moins, peut ressentir ici l’appel du large.
 

2

L’INTERRUPTEUR

     Quand on abaissait le bouton, le cours du temps se renversait avec accélération. Les écailles de peinture remontaient du plancher, se recollaient; tout redevenait peu à peu lisse et neuf. Puis on descendait d’une couche; on trouvait une autre couleur de plus en plus fraîche, puis encore une autre jusqu’au moment lointain de la construction même, puis d’une destruction antérieure. On ne pouvait guère aller plus loin, car le phénomène ne se produisait qu’à l’intérieur de l’atelier; or le spectateur qui restait à contre-courant, était naturellement obligé de sortir, de temps en temps, pour faire des courses, des visites, des voyages, donc de retrouver le présent coulant plus ou moins lentement dans son propre sens. Il était alors nécessaire et suffisant de relever le bouton pour tout remettre en place et temps. Aujourd’hui tout est interrompu, et les démolisseurs n’y ont vu que poussière.
 

3

BRICOLAGE

     Les boîtes, les outils, les tubes, les projecteurs avec leurs fils, les pots plus ou moins pleins, les pinceaux, les crayons, les bougeoirs, les papiers froissés, les patères tombées, les tiroirs entrouverts, un nid d’objets sur lesquels la poussière n’ose pas se déposer, constitué au cours de longues années par les mouvements d’une main, la délectation d’un regard, alambic pour extraire l’alcool du plus quotidien, athanor pour mûrir l’élixir de patience.
 

4

ORGANISATION NON-GOUVERNEMENTALE

     Venus de tous les côtés des miroirs les objets représentants se sont réunis en séance fragmentaire pour décider d’une inaction commune contagieuse. Le président par intérim agite les cloches dont les échos se propagent dans les souterrains de tous les métros, aussi bien à Paris qu’à New-York, Lisbonne ou Bilbao, faisant se retourner les jeunes gens qui cherchent où ils ont bien pu rencontrer ce sourire qui leur apparaît sur les vitres frémissantes comme un souvenir lancinant. Il hume en sa bouteille un élixir d’échelle, qu’il fait passer ensuite aux députés de tous les archipels pour en remplir leur menue timbale et porter un toast aux inventeurs d’abîmes.
 

5

CONVERSATION TACITURNE

     Côte à côte les fauteuils pour deux amants, pour deux amis, avec les cendriers à long tube, presque jusqu’au sol, l’un sur le bras droit, l’autre sur le gauche, comme si l’un des deux interlocuteurs, des complices, des joueurs, des fumeurs était gaucher; paire ambidextre pour le silence et pour l’écoute, pour la ruse et pour la déjouer, pour la stratégie des rois et des reines, les idées d’ouverture, les renversements brusques, l’ironie des évêques fous, les rires des éléphants-tours, pour la cavalcade et la promenade presque immobiles et la contemplation des fumées et des cendres.
 

6

INTENSITÉS

     Le fil électrique double sort de la planche, passe devant une énorme attache parisienne blanche suspendue par une ficelle qui s’effiloche, puis devant un câble gainé, mord sur la réimpression élégante d’un ouvrage de théorie esthétique du début du siècle passé en amorçant une large boucle qui le fait remonter au long de la planche où il se coince derrière un anneau ou piton, puis sépare ses deux éléments pour tourner autour de l’instrument qui mesurera l’intensité du courant que l’on y fera passer.
 

7

LE TEMPS SUSPENDU

     A cette potence j’accrocherai un anneau de fil de fer pour figurer la tête d’un de mes ennemis, un ou deux grands trèfles en osier prévus pour frapper les tapis afin d’en faire jaillir en nuages toute la poussière que les souliers ont fait pénétrer jour après jour entre leurs poils, mais qui me serviront à inventer des visages de femmes, des rondeurs d’épaules, et d’autres collets mécaniques pour braconner les lapins des rencontres manquées, déviées, inattendues, inespérées, les liens élastiques pour lier la trouvaille, les tuyaux pour transfuser le sang des heures, les fragments de fémur ou de meuble pour articuler les domaines, la trompe pour la chasse au cours des choses, pour ébranler le train du monde, quelques souples miroirs de douceur, quelques rayures et déchirures choisies.
 

8

LE DIVAN DES ZÉPHYRS

     Que n’avons-nous des jambes de rechange, et tout le reste aussi ! Le Manneken-Pis transparent découvre des sensations nouvelles en contemplant le sofa-baignoire dont les roses vont lui lancer leurs pétales et parfums dès que la belle s’éventera. L’Inde médiévale leur prodigue à tous deux des encouragements et des suggestions. Quelques indications de vergues et de cordages suffisent pour gagner le large tandis que les pigeons marchant sur les verrières se transforment en mouettes rieuses.
 

9

JULIET

     Elle n’est que sourire; elle se renverse et s’appuie au mur dans son sourire qui continue sous son foulard, sous sa blouse, qui se faufile dans la marge et sous le passe-partout, traverse le cadre, sinue jusqu’au bout des ongles, ruisselle sur la poitrine et déborde sur la table, brille en cascades, genoux et jupes jusqu’au sol, rejaillit en fontaines, rayons de Soleil et de Lune, phosphorescences, incandescences, aurores boréales, are-en-ciels, parfums de glycines, jasmins et thyms.
 

10

LE CHARBONNIER DES OMBRES

     Les tuyaux mâchonnés permettent la ventilation des foyers où le foin d’Amérique se transforme en ces piliers de fumée qui montrent dans l’Exode le chemin du retour vers un pays que l’on n’avait jamais connu. A travers le trou d’une planche on aperçoit les premiers linéaments d’une terre promise dont les montagnes changent de profil constamment. On sent leur origine humaine, mais ce ne sont point des pyramides; il s’agit de grandes meules noires hémisphériques remplissant les clairières défrichées entre oasis et forêts-galeries pour les fabricants de journaux. Pour tenter de fixer un peu tout cela, il y a certes ce projet un peu blasphématoire d’ériger un monument à la croissance et à la multiplication, que les orages apprivoisés viendront caresser de leurs éclairs. Si l’on n’y réussit pas la Terre entière se creusera de gouffres prophétisés, l’installation prévue en traversées hasardeuses sous la grêle des pierres.
 

11

A L’ÉCART

     On n’a touché à rien. Le papier continue lentement à se déchirer par son seul poids. A part des mouches qui viennent parfois ajouter leurs taches à celles d’antan. Les pinces à linge inscrivent comme une devise au-dessus des flacons, bidons et godets. On ne monte plus ici, sauf quelque visiteur essayant de capter la lumière, disposant ses pièges pour le temps qui passe, sans toucher à rien, comme s’il était en espadrilles, en collant noir, comme s’il était invisible, impalpable, comme si c’était lui le fantôme, hantise aux aguets.
 

12

AUTREFOIS

     Rien n’a changé, mais tout a changé; c’est l’absence. Rouleau, ardoise, ficelles, pipes, lampes, tout est là, même la photographie aux yeux doubles. Le tabouret que l’on vient d’écarter pour se lever. Manipuler, méditer, crayonner, esquisser, monter, examiner, choisir, sécher, effacer, aplanir, hésiter, comparer, décider, essayer, reprendre, reculer, signer. Et la pluie frappait contre les grandes vitres, la porte claquait au retour de quelqu’un, la musique sortait du poste de radio, puis, à la faveur d’un silence, le chronomètre intime définitivement installé et réglé après tant de pauses, développements et révélations, reprenait sa marche, délicatement funèbre.
 

13

LA NEIGE INTIME

     Le plafond s’écaille sur le vélum. C’est comme un arbre qui perdrait ses feuilles, mais au lieu de tomber jusqu’au sol, celles-ci s’accumuleraient à mi-hauteur du tronc comme un nuage captif qui s’assombrirait peu à peu annonçant un orage inévitable dans quelques années, une déchirure, un écroulement, lors de quelque rafale de cloches pour une grande fête ou un grand deuil, sur les tours de l’église.
 

14

 LA PATINEUSE LITTÉRAIRE

     A la santé de la femme-stylo laquelle, bien tenue dans la main, permet de tracer sur les pistes du papier les arabesques les plus séduisantes. C’est naturellement une spécialiste de la poésie amoureuse. Il suffit de fixer son esprit sur quelque regard enjôleur, et elle multiplie ses prouesses, rimes, allégories, décrochant aux arbres du dictionnaire les mots les plus savoureux, les plus tentateurs. Si elle est à bout d’encre et qu’il n’y ait  pas de fontaine proche pour l’abreuver, qu’à cela ne tienne ! Elle continue son inscription secrète jusqu’à ce que les doigts geignent de courbatures; et l’on se retourne des nuits entières dans son lit à la recherche de ses trouvailles perdues.
 

15

BOUQUET DE CANNES

     Marcher dans les ruelles, sur les pavés la nuit entre les automobiles immobiles aux gros yeux grand ouverts réfléchissant la lumière des réverbères et des enseignes, traverser la place après avoir dîné dans un bistrot bruyant, cliquetis de verres et rires d’amis, tourner autour de la fontaine, longer le portique, poursuivre jusqu’au jardin fermé à cette heure, aspirer une bouffée de senteurs de fleurs d’arbres de l’autre côté des grilles, de plus en plus lentement, de plus en plus pesamment, de plus en plus rêveusement, en s’aidant d’une troisième jambe comme l’homme vieilli du jeune Oedipe répondant à l’énigme du carrefour, trépied humain lançant aux courants d’air ses vapeurs d’oracle amusé.
 

16

LE MIROIR À TROIS FACES

     Quelques cailloux choisis offerts dans une coupe à la triple Diane. Celle du centre est tout à fait capable de vous métamorphoser en cerf bramant comme Actéon si vous la surprenez dans son bain sans avoir auparavant suffisamment célébré ses vertus. A droite clémente, souriante, elle nous propose dans une corbeille au-dessus de sa tête, les mêmes cailloux transformés en pains croustillants. A gauche un bras supplémentaire fleurit pour maintenir un parasol qui nous protégera comme elle. Un énorme coquetier couvert d’écorce de bouleau soutient un oeuf de la taille de ceux des autruches, mais transparent, sans doute celui de l’oiseau-roc qui grandira et forcira, dès son éclosion, pour nous emporter dans les montagnes de la Lune, auprès d’un énorme encrier dans lequel trempe une plume qui paraît être celle d’un faisan - mais qui s’aviserait d’en jurer ? - pour en tirer un interminable fil qui se tresse en dentelles de louanges.
 

17

 LE JUSTICIER

     Ce sont des pinces à linge très différentes de celles en plastique dont nous nous servons aujourd’hui, avec leur ressort métallique, ou même de celles de mon enfance, en bois elles aussi. Elles doivent être américaines, peut-être soigneusement polies par les Shakers dans un de leurs villages doucement apocalyptiques. Elles permettent sans doute d’accrocher au pont de l’arc-en-ciel l’épée ou pique flamboyante qui marquera le front des damnés, comme les bovins à la fesse dans un ranch texan, déterminant les propriétaires. Un tel appartient au tyran des avaricieux, au tsar des luxurieux, à l’empereur des paresseux. Mais en négatif les démons redeviennent archanges; les cicatrices fleurissent en étoiles et les anciens vices en vertus nouvelles.
 

18

UNE ANCIENNE ADRESSE

     Un boîtier d’appareil photographique, ou du moins une partie de boîtier, sans doute un viseur de réflex, puis un parasoleil hors d’usage, un étui à lunettes qui n’est plus à la bonne courbure, un blaireau avec lequel à la rigueur on devrait encore pouvoir se barbouiller de savon pour se raser, mais qui certainement a servi depuis longtemps à tout autre chose, à épousseter des objectifs par exemple, et encore de vieux crayons, de vieux élastiques, de vieilles gommes, le verso d’une photo d’avant le déménagement, tout le fond de tiroir du quotidien, la sédimentation de ce qu’on se promet de ranger depuis longtemps, mais qui s’accumule, forme peu à peu un entrelacement inextricable, un terrain de fouilles où chaque coup de pioche fait jaillir un essaim d’étincelles de mémoire.
 

19

LA PALMERAIE DES REGARDS

     Pris par un autre photographe le maître de céans dans la ruelle, devant sa porte ouverte, encadré par le moteur, le pare-brise et les essuie-glaces d’une automobile dont quelqu’un plus versé que moi dans ces matières réussira peut-être à préciser la marque, et qui me fait penser dans cette image à quelque yacht. Plus bas, pris aussi par un autre photographe sans doute différent, le maître de céans beaucoup plus jeune, pipe au bec, à demi-caché par un pèse-lettres hors d’usage qu’un simple chiffon accroché métamorphose en danseuse, en train de peindre le portrait d’un autre sourire; et Juliet, femme-strelitzia, oiseau de feu, sur l’extérieur d’une boîte d’allumettes.
 

20

 LA PYRAMIDE DES ÂGES

     Quelque temps plus tard (ou plus tôt, mais je crois bien que c’est plus tard), les lunettes fumées accrochées au bocal de plumeaux ne se sont pas déplacées d’un millimètre, mais c’est une autre boîte d’allumettes que l’on voit, deux à vrai dire, mais comme l’angle n’est pas le même, celle où l’on reconnaît la ruelle transformée était peut-être déjà là (sera peut-être encore là), et les images penchent autrement. Surtout en voici de nouvelles qui cachent notamment celle du groupe surréaliste tardif à Saint-Cirq-Lapopie, dans laquelle on découvrirait sans doute le maître de céans et sa femme-sourire, entre autres encore un autre portrait par un autre photographe sans doute différent des deux premiers, de ce maître de céans plus âgé, pipe en main, béret. Sur une feuille blanche les premières lettres du nom de Juliet.
 

21

 L’ENCRE DE SYMPATHIE

     Le petit équilibriste au parasol se penche pour examiner l’écouteur suspendu sous cette espèce d’antenne parabolique attentive à tous les bruits du monde. Les autorités du Conservatoire des Arts et Métiers ont accordé leur médaille d’or à l’inventeur non seulement parce qu’il devait aider les interlocuteurs vieillissants à énoncer du doigt leurs numéros d’appel réciproques, mais aussi parce qu’il annonçait symboliquement l’enregistrement bientôt possible de leurs conversations sur quelque disque, bande ou page, leur apparition quelque jour par le moyen de quelque écran. Ainsi le jus de citron dans les romans policiers des siècles passés attend d’être chauffé pour révéler son message sur la feuille qui semblait vierge; ainsi les entretiens révolus, comme dans l’antre souterrain du roi-Lune, dormiraient dans des réserves électriques inconnues qui attendraient leur Champollion pour remonter au jour.
 

22

 LES DERNIÈRES COULEURS

     Pendant des années on avait appuyé sur le tube pour en faire sortir une larme de visibilité à déposer sur la palette, à transporter par le pinceau ou le couteau sur une toile, un morceau de papier, une larme, un concentré de mimosa, de braise ou de pré. Cela devenait de plus en plus dur; il fallait presser avec un morceau de bois pour extraire les derniers accents, rouler finement la queue aplatie. Un jour le blanc, le noir n’ont plus voulu sortir; ils se sont pétrifiés dans leurs sarcophages, gardant leurs secrets.


 
 
 
 
 

SOUVENIRS ILLUSOIRES D’UN JAPON TRES ANCIEN

pour Geneviève Besse
1

La réalité dans
la profondeur nocturne
révèle n’être rien
qu’un rêve plus précis

2

Le bruit du vent portant
la rosée sur la plaine
me fait ressouvenir
du trèfle sur la lande

3

Devant ces pins fameux
pour leur longévité
honte à me souvenir
de mon impermanence

4

Pour clair que soit son coeur
les ténèbres y roulent
lorsque le père cherche
comment guider son fils

5

Criquet ta sonnerie
d’automne s’est éteinte
trop courte était la nuit
pour suffire à mes larmes

6

Triste chant des insectes
dans les roseaux rosée
tombant plus triste encore
d’au-delà des nuages

7

Leur arbre protecteur
s’est tordu pour mourir
que deviendront les pousses
de trèfle qui demeurent

8

Quel enchanteur pourra
se mettre à sa recherche
pour m’avertir au moins
du lieu de son exil ?

9

Comme oiseaux dans le ciel
volant d’une seule aile
comme arbres sur la Terre
partageant une branche

10

Même au-dessus des nuages
larmes brouillent la Lune
et quelle obscurité
dans la hutte en roseaux

11

Volets clos matin sombre
je n’imaginais pas
que le rêve lui-même
me serait refusé

12

Boucles de la jeunesse
sont maintenant nouées
dans ta maturité
quels liens vont résister

13

Le noeud d’un coeur expert
tiendra toute la vie
l’accord de nos lavandes
qu’il se maintienne ainsi

14

Lavandes ont taché
mes habits en désordre
comme aux plis de mon coeur
nos amours clandestins

15

La blessure d’un doigt
ne pourrait compenser
tout ce qui nous sépare
et tout ce qui me manque

16

Je sais ce qui me manque
mais tous mes doigts blessés
ne pourraient qu’augmenter
la distance entre nous

17

Merveilleuse maison
pour contempler la Lune
jouer de la musique
loin des indifférents

18

Le cruel vent d’hiver
arrache toutes feuilles
si je joue de la flûte
serai-je son complice

19

Même si elle croule
la haie du montagnard
rosée douce repose
sur les oeillets sauvages

20

Sans vouloir diminuer
nulle des fleurs éparses
j’avoue ma préférence
pour les oeillets sauvages

21

La rosée sur ma manche
frôlant oeillets sauvages
préfigure tempêtes
avènement d’automne

22

Tombe nulle poussière
sur les oeillets sauvages
qui parsèment le lit
où coule notre amour

23

L’araignée aurait dû
annoncer ma visite
pourquoi me recevoir
avec cette odeur d’ail ?

24

Si nous pouvions rester
toutes les nuits ensemble
que nous importeraient
les puanteurs du jour ?

25

Comme preuve d’amour
s’il en était besoin
à ceux qui me demandent
dites ne m’avez vue

26

Pourquoi si tôt sonner
les fanfares d’aurore
alors qu’il faut des heures
pour que fonde la glace

27

L’aurore s’est levée
mes pleurs coulent encore
à mes cris de tristesse
se mêlent chants de coqs

28

Je veux rêver encore
mon rêve de la nuit
sinon ma solitude
gémira d’insomnie

29

Comment trouver remède
à ma désespérance
je ne puis plus rêver
car je ne puis dormir

30

Je me suis égaré
dans la lande aux genêts
trop inaccoutumé
à leurs métamorphoses

31

Ici sans être ici
gisant dans ma cabane
je voudrais m’effacer
comme un genêt changeant

32

Genêt tu m’apparais
dans la lande aux mirages
mais dès que je m’approche
je ne te trouve plus

33

Veillant dans la nuit
soupirant le jour
jamais le printemps
n’eut si peu de fleurs

34

Sous l’arbre dépouille
d’une sauterelle
robe qui me reste
d’une femme aimée

35

Aussi transpercée
ma robe que celles
des pêcheurs le soir
aux rives d’Isé

36

La rosée sur l’aile
d’une sauterelle
au milieu des feuilles
ainsi sont mes pleurs

37

Dans tout l’univers
où trouver racine ?
ma seule patrie
c’est un campement

38

Il me faut demander
à la dame lointaine
le nom de cette fleur
brillant si blanc là-bas

39

Pourquoi demanderais-je
à qui est ce visage
si brillant dans le soir
scintillant de rosée

40

Je voudrais que ma mère
puisse vivre mille ans
et qu’il n’y ait jamais
d’adieux définitifs

41

Approchez-vous un peu
et vous pourrez savoir
à qui est ce visage
si obscur dans la brume

42

Sans vouloir avoir l’air
de chercher fleurs nouvelles
comment ne pas cueillir
cette belle de jour ?

43

Impatient de plonger
dans la brume au matin
semblez indifférent
aux fleurs de ce jardin

44

Le bienheureux saura
nous guider sur la voie
quand nous engagerons
pour toutes vies futures

45

Si lourd est le fardeau
que je porte avec moi
comment formulerais-je
des voeux pour l’avenir ?

46

Le gens d’autrefois
les surprenaient-ils
ces chemins d’aurore
si nouveaux pour moi ?

47

Si Lune se méfie
des monts qu’elle rencontre
est-elle condamnée
à errer par les eaux ?

48

Hasardeuse rencontre
sur le bord du chemin
fait ouvrir cette fleur
dans la rosée du soir

49

Plus longtemps que la
patiente rivière
des oiseaux patients
vivra mon amour

50

Ce visage brillait
dans la rosée du soir
mais j’étais ébloui
par les rayons rasants

51

Suis fille d’un pêcheur
je n’ai pas de maison
je vis parmi les algues
qui ne redisent rien

52

Nomment certains pêcheurs
ces herbes c’est ma faute
vous les donne en pleurant
sans pouvoir vous haïr

53

Quand les nuages du soir
ressemblent aux fumées
d’un bûcher funéraire
le ciel semble plus proche

54

Le temps s’en va vous ne
me demandez pourquoi
ne vous demande rien
voilà ma solitude

55

Si vide qu’elle fût
la légère dépouille
me donnait le courage
d’affronter les ténèbres

56

C’est moi qui les ai liés
ces roseaux sur le toit
je viens leur reprocher
leur mauvaise apparence

57

Longues les racines
pour barrer les eaux
plus longues encore
mes nuits inutiles

58

Si doucement que le
vent murmure aux roseaux
le dessous de leurs feuilles
est raidi par le gel

59

Pleurant je noue ce lien
qui sera dénoué
dans le monde inconnu
où nous irons un jour

60

Ce souvenir que je
désirais conserver
jusqu’à nos retrouvailles
mes larmes l’ont rongé

61

A l’automne les ailes
des sauterelles tombent
je retrouve ma robe
et ne puis que pleurer

62

Tandis que l’un s’en va
je dis à l’autre adieu
je ne sais leurs chemins
c’est la fin de l’automne

63

Vont-elles ces herbes tendres
grandir sans que la rosée
qui se retient de tomber
rebondisse vers le ciel ?

64

Va-t-elle se disperser
avant que vienne l’été
la rosée dont a besoin
l’herbe tendre pour pousser ?

65

L’errance du vent descend
des collines terminant
mon rêve répondent larmes
à ces voix frôlant les eaux

66

Vos manches sont trempées
les nôtres sont séchées
nos coeurs sont apaisés
lavés par la montagne

67

Je vais dire à mes amis
de la cité hâtez-vous
de venir goûter les fleurs
le vent peut vous précéder

68

Il ne fleurit qu’une fois
tous les trois siècles mes yeux
qui ont pu s’en rassasier
méprisent les cerisiers

69

Ma porte montagnarde
s’est ouverte une fois
sur une fleur splendide
qu’on n’avait jamais vue

70

Ayant rencontré
un soir une fleur
la brume refuse
l’appel du matin

71

Il nous faut vérifier
si la brume amoureuse
du soir peut refuser
les appels du matin

72

Je voudrais demeurer
près des fleurs des montagnes
car tout ce qui m’importe
s’y trouve emprisonné

73

Aussi rapidement
que l’orage d’automne
a dispersé les fleurs
vous m’avez oublié

74

Redoutant les dégâts
de l’orage nocturne
à l’aube ai vérifié
l’état de mes pruniers

75

S’il est vrai que mon coeur
a quelque profondeur
comment le comparer
à cette haute source ?

76

Si rares sont les rêves
en ces nuits disloquées
celui-ci pourra-t-il
me métamorphoser ?

77

Si je m’engloutissais
dans le plus vil des rêves
mon nom parviendrait-il
à survivre sans honte ?

78

La montagne brumeuse
réfléchie dans la source
brumeuse mais en moi
il n’y a plus de brume

79

Cherchant à suivre l’appel
de la grue qui fait son nid
le bateau plat s’est perdu
dans les pièges des roseaux

80

Comme le bateau plat
retrouvant son canal
je me vois revenir
constamment vers chez vous

81

Je voudrais vous apporter
la lavande sur la lande
qui sait si bien emmêler
ses affectueuses racines

82

Les vagues qui sont venues
cueillir les herbes cachées
doivent-elles retourner
se dissoudre dans la mer ?

83

Les herbes du bord de mer
ont été mal inspirées
de suivre l’appel des vagues
les menant on ne sait où

84

En secret seul je me hâte
vers le lieu de nos rencontres
tant d’années sont écoulées
j’y suis toujours enfermé

85

Bien que je semble perdu
dans les brumes de l’aurore
quand je passe votre porte
je ne puis que m’arrêter

86

Si vous ne pouvez aller
alors franchissez la porte
elle n’est faite que d’herbe
et ne s’opposera pas

87

Si épaisses les herbes
couvertes de rosée
que je ne puis trouver
celle que j’ai laissée

88

Je ne sais ce qui peut
vous faire soupirer
ni quelle est donc cette herbe
que vous cherchez en vain

89

Je soupire à son nom
bien que je ne l’ai vue
je soupire en voyant
ces lavandes galantes

90

Nous avons quitté
le palais ensemble
mais la pleine Lune
garde ses secrets

91

La Lune répand
ses rayons partout
tant pis pour le mont
qui lui fait de l’ombre

92

Si souvent votre silence
m’a condamné au silence
mon espoir est qu’un espoir
se mette à parler pour vous

93

N’ayant aucun moyen
d’imposer le silence
mon unique réponse
sera donc un silence

94

Le silence est l’aîné
de la plupart des mots
benjamin le mutisme
ne peut que nous frustrer

95

Il vaudrait bien mieux me dire
que vous ne me supportez
l’incertitude m’empêtre
dans ses toiles d’araignée

96

Le soir n’a dissipé
la tristesse des brumes
et maintenant la pluie
vient tout désespérer

97

On attend dans mon village
que la Lune vienne ouvrir
les sombres nues autrement
terrible sera la nuit

98

Au soleil du matin
les glaçons du toit fondent
pourquoi ma glace intime
ne peut les imiter ?

99

Mes larmes ont trempé
mes manches comme si
la neige du matin
m’avait couvert la tête

100

Comme la fameuse
montagne des pins
chaque jour la pluie
vient tremper mes manches

101

Les jeunes sont nus
et les vieux ont froid
les sanglots glacés
piquent les narines

102

Quel que soit le temps
toujours mes deux manches
toujours sont trempées
froides comme vous

103

Moi qui n’aime pas
le rouge pourquoi
me suis-je laissée
tacher de safran ?

104

Chère neige s’il te plaît
ne tombe pas aujourd’hui
car ne pourrait plus sécher
mon oreiller plein de larmes

105

Cette robe incarnat
impeccablement teinte
qui voudrait la souiller
irréparablement ?

106

Les nuits sans vous
l’une après l’autre
et ces habits
nous séparant

107

Ce matin nous attendons
le premier chant des fauvettes
annonçant du même coup
l’arrivée de l’an nouveau

108

Avec le printemps voici
d’innombrables chants d’oiseaux
qui disent tout est nouveau
sauf moi qui deviens plus vieux

109

Regardant lors de la fête
vos robes immaculées
je crois franchir dans un rêve
de longues steppes de neige

110

L’écarlate sur un nez
certes ne nous charme guère
même si on la recherche
sur les rameaux du prunier

111

A travers le mouvement
onduleux dansant des manches
ne pouviez-vous deviner
la tempête dans mon coeur ?

112

De ces manches de Chine
comment en dire un mot
chacun des mouvements
m’ayant atteint le coeur ?

113

Quel fardeau traînons-nous
d’une vie antérieure
pour être condamnés
à cette solitude ?

114

Triste à voir son enfant
triste à ne pas le voir
le coeur de père ou mère
nage dans les ténèbres

115

Cet oeillet vous ressemble
sauvage comme vous
cueilli dans la rosée
puis trempé de mes larmes

116

Cet oeillet quel dommage
qu’il vous fasse pleurer
mais il ne changera
rien dans mon attitude

117

Je sais que quand l’oeillet
sauvage fleurira
sur le bord de la haie
je penserai à vous

118

Vous cachez-vous comme l’algue
couverte par la marée
que malgré tous mes soupirs
je vous vois si rarement

119

Je voudrais que vous n’ayez
sentiment de trop me voir
comme les pêcheurs d’Isé
toujours dans les mêmes algues

120

Si piétinées fanées
que soient ici les pousses
si jamais vous venez
régal pour le poney

121

Si m’étaient destinées
vos pousses de bambou
je craindrais concurrence
de vos autres poneys

122

L’herbe est si piétinée
qu’aucun poney ne vient
la brouter nul valet
ne vient pour la faucher

123

Pour dire que ce buisson
est son gîte pour l’été
le coucou s’est décidé
à commencer sa chanson

124

Pourri comme le pilier
qui soutient encor le pont
tandis que je pense à vous
les années rongent mes os.

125

Tandis que la pluie fait rage
tout autour du pavillon
où j’attends en vain au sec
je suis trempé de mes larmes

126

Tu veux que l’on répande
ton surnom par le monde
ainsi tu le provoques
par cet habit voyant

127

Si par ces vêtements
je me ridiculise
que dira-t-on des tiens
flamboyants dans l’été ?

128

Mes robes cramoisies
je les cache aux regards
désirant conserver
le secret de ma vie

129

Je ne vous dirai rien
sur ce que je ressens
vagues venues ensemble
ensemble sont parties

130

Je ne me plaindrai pas
de la fureur des vagues
mais du mauvais accueil
que m’a fait le rivage

131

Pour n’être point tancé
d’avoir pris votre prise
je vous retourne intacte
la ceinture indigo

132

J’ai vu que vous preniez
la ceinture indigo
mais vous voulez aussi
le corps qu’elle enserrait

133

Rumeurs aussi touffues
qu’algues par les pêcheurs
rassemblées mais tant pis
car nous nous aimons tant

134

Fleuve je n’en sais rien
à toutes les questions
pouvant nous concerner
ne répond que ton nom

135

Je la vois disparaître
par derrière un brouillard
et tâte mon chemin
dans mon obscurité

136

Si cette fleur était
comme les autres fleurs
alors nulle rosée
n’embrumerait mon coeur

137

La brume sur la Lune
enchante notre coeur
tard la nuit nulle brume
sur ce qui nous unit

138

Rien ne peut rivaliser
avec la Lune brumeuse
au printemps atténuée
sans que nul nuage la cache

139

Si la solitaire allait
disparaître en la distance
iriez-vous la réclamer
clamant son nom sur la lande ?

140

Je voudrais bien savoir
à qui est ce logis
scintillant de rosée
avant le vent bavard

141

Pour la première fois
soudaine solitude
quand disparaît la Lune
dans le ciel de l’aurore

142

Si mes rameaux n’étaient
que de race commune
insisterais-je tant
pour que vous les voyiez ?

143

Les fleurs de cerisier
perdues dans la montagne
souriront quand les autres
seront déjà fanées

144

Errant dans la montagne
je voudrais voir la Lune
que j’ai bien aperçue
mais si brièvement

145

Seulement les novices
restent à contempler
le ciel quand le croissant
de Lune a disparu

146

Un lointain aperçu
de la froide rivière
de purification
que devient ma tristesse

147

Arrêtez-vous parmi
les bambous de la rive
votre cheval y boive
que je puisse vous voir

148

Je voudrais devenir
nombreux comme les algues
dans la mer insondable
et ses milliers de brasses

149

Océan si profond
mais comment mesurer
tandis qu’il va et vient
sans jamais s’arrêter

150

Inconstante liane
aux feuilles en coeur
qui m’as invité
puis abandonné

151

Inconstante liane
de nos rendez-vous
ouverts à chacun
d’où qu’il soit venu

152

Liane de nos liens
tes coeurs sont menteurs
rien de tes promesses
ne s’est accompli

153

Mon coeur est devenu
semblable à ces canots
de pêcheur qui tressaillent
sans cesse et sans repos

154

Dégringolant la voie
de l’amour en trempant
mes manches parvenant
jusqu’aux champs de la boue

155

Vous plongez seulement
dans des eaux peu profondes
et moi je disparais
prise par le bourbier

156

Dans le puits de la montagne
j’ai découvert si peu d’eau
que j’ai pu mouiller mes manches
mais non me désaltérer

157

Je noue l’ourlet de ma robe
pour y tenir prisonnier
ce fantôme de moi-même
qui divaguait dans les nues

158

Ces nuages seraient-ils
la fumée qui s’échappe
de son bûcher pour faire
battre si fort mon coeur ?

159

Même les herbes folles
suivent certaines lois
ainsi je prends racine
aux puits les plus profonds

160

Que nous resterait-il
de notre bien-aimée
s’il n’était cet enfant
qu’elle nous a laissé

161

Nous allons nous venons
comme de la rosée
la rosée de ce monde
ne devrait nous leurrer

162

En plus il a fallu
qu’il nous quitte en automne
saison qui fait pleurer
même pour ceux qui restent

163

Semblable à la pluie
où dans cet orage
dois-je regarder
pour la découvrir

164

C’est tempête dans mon coeur
les nues où je discernais
son visage bien aimé
sont maintenant emportées

165

Les oeillets qui persistent
dans la haie de l’hiver
font revenir l’automne
disparu dès longtemps

166

A les voir de nouveau
dans la haie dévastée
mes manches de nouveau
sont trempées par mes larmes

167

J’ai connu tant d’automnes
désolés mais jamais
mes larmes n’ont coulé
autant que cette nuit

168

Maintenant que les brumes
d’automne sont parties
c’est au plein de l’orage
que je dois vous chercher

169

Auprès de l’oreiller
du disparu je pleure
voudrais l’accompagner
ne puis me détacher

170

La poussière s’amasse
sur le lit déserté
mais le mien est trempé
rosée de solitude

171

Pendant nombreuses nuits
comme nous avons ri
des rideaux qui devaient
nous tenir séparés

172

Encore une fois
nouveaux vêtements
pour le nouvel an
larmes pour l’ancien

173

En ce nouvel an
tout devrait changer
pourtant mêmes larmes
coulent de mes yeux

174

Mon coeur est persistant
comme ce camélia
qui signale l’entrée
de votre sanctuaire

175

Nul arbre ne signale
l’entrée de ce refuge
et surtout pas le cèdre
de l’hospitalité

176

Pensant vous retrouver
au milieu des prêtresses
j’ai poursuivi l’odeur
de l’arbre consacré

177

Pour trouver ma maison
au pied de la montagne
cherchez donc les deux cèdres
qui vous accueilleront

178

Les adieux dans l’aurore
sont mouillés de rosée
dans ce ciel automnal
plus triste que jamais

179

O criquets de la lande
nul besoin par vos chants
d’augmenter la tristesse
de cet adieu d’automne

180

Madame la prêtresse
dans vos divers domaines
si vous pensez encore
pensez encore à moi

181

Si un seigneur céleste
nous observe ici-bas
il aura remarqué
l’expression de mon mal

182

La rage du tonnerre
piétinant tempêtant
même ne parviendrait
à séparer nos corps

183

Le passé est le passé
je voudrais n’y plus penser
mais je ne puis dissiper
la tristesse qui demeure

184

Vous m’avez rejeté
sur le sable pourtant
quatre-vingts fois les vagues
reviendront vous mouiller

185

Nul n’ira vérifier
si les quatre-vingts vagues
auront laissé la marque
par vous prophétisée

186

Je la vois s’approcher
ô brouillards de l’automne
cette fois ne fermez
la porte des rencontres

187

Le pin qui nous donnait
asile se dessèche
et la fin de l’année
fait tomber ses aiguilles

188

Claires comme un miroir
eaux gelées de l’hiver
vous ne reflétez plus
celle que nous aimions

189

Comme au plein de l’hiver
disparaît le murmure
des sources congelées
ils se sont évanouis

190

On dit que c’est à l’aurore
qu’on est le plus fatigué
mais c'est alors que mes larmes
recommencent à couler

191

Vous me dites ces langueurs
vont-elles jamais finir
tristesses de mon amour
je ne vous veux pas de fin

192

S’il se trouve d’autres jours
comme celui-ci alors
il me faudra vous pleurer
pendant trois transmigrations

193

C’est vous-même la raison
du fardeau que selon vous
nous devrons tous deux porter
dans une prochaine vie

194

Je ne suis en ce monde
que pour voir mes malheurs
augmenter je recherche
les rebords des falaises

195

Dans une cabane aussi
périssable que rosée
il m’a fallu vous laisser
les quatre vents me déchirent

196

Malmené par le vent
comme sur les roseaux
la toile d’araignée
imprégnée de rosée

197

Peut-être que les dieux
ne veulent que j’en parle
mais je pense aux cordages
sacrés de l’autre automne

198

Un autre automne que
voulez-vous dire quel
ramassis des cordages
sacrés de nos secrets

199

N’y a-t-il pas moyen
de remonter le temps
le rouler dérouler
comme écheveau de laine ?

200

Feuilles d’automne qui
tombent de la montagne
lointaine sont brocards
portés dans les ténèbres

201

Neuf fois se sont levées
nuées entre nous deux
c’est encore au-delà
qu’est notre clair de Lune

202

Lune d’automne même
Lune d’un autre automne
cruels sont les brouillards
qui me cachent ta vue

203

Jours d’anxiété jours
d’agitation un coup
de vent et puis un autre
mais nul signe de vous

204

Ne sont ondées d’automne
ces larmes que je verse
dans mon désespéré
désir de vous revoir

205

L’anniversaire encore
du dernier adieu quand
dans quelle neige un jour
pourrons-nous nous revoir

206

Tous ces mois sans lui
tristesse aujourd’hui
semble ramener
les jours d’autrefois

207

Involontairement
j’attends dans le silence
avez-vous attendu
aussi longtemps que moi

208

Mon coeur est avec elle
dans le pur clair de Lune
et pourtant avec vous
dans ce lieu de détresse

209

Bien que j’aie abandonné
cet insupportable monde
mon coeur demeure avec qui
s’y trouve encore empêtré

210

Traversées d’embruns
mes manches sur l’île
des pins comme celles
des ramasseurs d’algues

211

Les vagues arrivent
encore vers l’île
alors que la nef
au loin disparaît

212

Fameux pins de l’île
où sont les pêcheurs
les plus distingués
comment vous revoir ?

213

Voici le premier lys
en ce printemps ma fleur
n’est pas moins surprenante
et pas moins distinguée

214

La plante dont vous parlez
a fleuri brièvement
à l’aurore s’est ouverte
pour périr aux pluies d’été

215

De retour à la haie
où il chanta si peu
le devoir du coucou
est de chanter encore

216

N’est-ce pas ce coucou
que nous avons connu
mais sous ce ciel de pluie
comment s’en assurer

217

Le village où les fleurs
d’oranger se répandent
favorise la traque
des souvenirs perdus

218

Les fleurs des orangers
sous les toits vous emportent
jusqu’à un paradis
oublié par le monde

219

Nous parlions du passé
comment s’en doutait-il
le coucou a chanté
de sa voix d’autrefois

220

Au parfum des fleurs d’orange
en attendant le printemps
on retrouve les senteurs
des vêtements d’autrefois

221

Feux des brûleurs de sel
m’attendant sur la rive
fumerez-vous autant
que ceux des charbonniers ?

222

Plus loin s’en va le jour
de sa disparition
quand vous quittez les cieux
où ses fumées s’en furent

223

Je pars en mon exil
en ce miroir pourtant
quelque image de moi
restera près de vous

224

Si quand vous me quittez
votre image me reste
quelque consolation
soignera ma douleur

225

Quel refuge trouverai-je
quelle cave dans ces rocs
pour être débarrassé
des nouvelles de ce monde

226

Ces manches étroites
dans le clair de Lune
conserve l’éclat
dont je ne me lasse

227

Une nuit la Lune
luira de nouveau
sur cette maison
malgré ces nuages

228

Dans ma méditation
me semblait que la Lune
déposait sur mes manches
des larmes de pitié

229

Échoué sur les fonds
de ce fleuve de larmes
je ne puis plus vous voir
d’autres gouffres m’attendent

230

L’écume de ce fleuve
de larmes va bientôt
disparaître devant
les sables des rencontres

231

Disparu celui
que j’avais servi
et disparaîtra
celui que je sens

232

Le pire de ma peine
devrait être passé
mais il me faut quitter
tous les enfants du monde

233

Coiffés de vigne vierge
menais votre cheval
maintenant cette haie
me porte à blasphémer

234

Abandonnant ce monde
de misère je laisse
mon nom aux bons offices
du dieu qui rectifie

235

Et comment me voit-il
j’ai beau lever les yeux
la Lune se dérobe
au-delà des nuages

236

Quand pourrai-je revoir
sous mes rudes haillons
les fleurs qui m’embaumaient
dans les rues de la ville ?

237

Rapidement les fleurs
tombent fin de printemps
mais je sais qu’à nouveau
ma ville embaumera

238

Au moins pour cette existence
nous pouvons nous engager
aussi nous avons juré
de ne plus nous séparer

239

Je donnerais ma vie
sans en avoir regret
si cela retardait
notre séparation

240

J’en ai peur plus lointain
le lieu de mon exil
que ceux qu’on nous décrit
par-delà l’océan

241

Profonde nostalgie
pour ce que j’ai laissé
comme j’envie les vagues
de revenir sans cesse

242

Les brouillards montagneux
isolent ce village
ancien est-ce le ciel
qui veut le protéger ?

243

Salées d’embruns nos manches
sur la grève et les vôtres
aux abris des pêcheurs
sur les îles d’attente

244

Si quelqu’un voulait
savoir où je suis
dites que j’essuie
les algues d’une île

245

Tant de larmes provoque
notre séparation
que le niveau du fleuve
risque de déborder

246

Sur l’île des sapins
languis incorrigible
mais à quoi rêve-t-elle
cette brûleuse d’algues ?

247

En l’archipel d’attente
nonne brûle ses algues
en nourrissant son feu
des bûches du chagrin

248

La femme du pêcheur
voudrait cacher les feux
d’où elle extrait le sel
mais la fumée l’étouffe

249

Exposée aux embruns
sur cette grève qu’il
compare donc sa manche
à celle de mes nuits

250

Imagine sur l’île
dans les embruns violents
les pêcheuses d’Isé
rassemblant leur varech

251

La mare se retire
sur la rive d’Isé
laissant coquilles vides
du plus petit espoir

252

Avec la dame d’Isé
nous aurions pu éviter
les pires des tourbillons
sur les plus humbles bateaux

253

Combien de temps écume
imprégnant bois flottés
devrai-je contempler
ce rivage en détresse

254

Les mousses de mémoire
pèsent sur les rebords
du toit et la rosée
alourdit nos mouchoirs

255

Les vagues sur la grève
comme gémissements
et les vents messagers
de ceux qui se désolent

256

Si ces oies rejoignaient
ceux que mon coeur désire
leurs cris moins tristement
feraient vibrer les cieux

257

Je ne sais pas pourquoi
ces oies en migration
m’apportent souvenirs
de ce qu’elles n’ont vu

258

Ces oies qui s’en vont
par-delà les nuages
ont su tout quitter
mais moi je ne puis

259

Si triste que soit
leur cri dans leur vol
les oies se consolent
avec leurs amis

260

Je me réconforte
contemplant la Lune
éclairant aussi
ma cité perdue

261

Ce vêtement n’apporte
pas seulement regrets
ses manches sont mouillées
de larmes d’affection

262

Tendue puis détendue
tel mon coeur agité
la corde du koto
se calme en son point d’orgue

263

Si vraiment votre coeur
est comme cette corde
vous passerez la grève
sans que nul vous entende

264

Mon coeur tel un navire
chassé en haute mer
répond au moindre souffle
et l’on n’y pourra rien

265

Je n’aurais jamais pensé
vous quitter pour ces déserts
j’étais pris comme un poisson
par votre ligne ou filet

266

Les paysans alentour
entretiennent leurs feux d’algues
tandis que les citadins
délaissent leurs amitiés

267

Ne m’a mené nulle part
ce voyage à travers nuages
à ma honte vois la Lune
aller toujours son chemin

268

Cris de pluviers dans l’aurore
apportent le réconfort
à celui qui se réveille
dans un lit de solitude

269

Me reviennent les plaisirs
des grands seigneurs de la cour
et des coiffures fleuries
dont le jour est revenu

270

A quelle équinoxe enfin
reverrai-je mon village
je voudrais suivre les oies
revenant à leur départ

271

Triste comme les oies
quand il leur faut quitter
leurs logements d’hiver
je reviens vers la cour

272

Regardez-moi du ciel
grues dépassant les nuages
je suis immaculé
comme le plus beau jour

273

Solitaire cri des grues
qui traversent les nuages
disparus les compagnons
qui volaient à leur côté

274

Errant abandonné
dans une immensité
dont je ne connais rien
poupée perdue en mer

275

Le poney du Tartare
cherche toujours le nord
les oiseaux de l’Annam
nichent au sud de l’arbre

276

Vous les huit cents myriades
de dieux m’aiderez-vous
car vous savez fort bien
que je suis innocent

277

Les vents de vos rivages
parviennent jusqu’ici
chaque retour des vagues
ravive mon chagrin

278

Sans la main protectrice
du Seigneur de la mer
l’assaut des huit cents vagues
nous aurait engloutis

279

Un bateau de pêcheurs
émergeant de ces vagues
nous tenant enfermés
c’est un heureux présage

280

Encore plus loin
sur cette autre plage
pensant à la ville
ne pense qu’à vous

281

Ile de lointaine écume
image de mon chagrin
comme tu m’apparais proche
cette nuit au clair de Lune

282

Ile dans le clair de Lune
surnommée lointaine écume
du haut de ces monts brumeux
soudain tu sembles si proche

283

Connais-tu toi aussi
la tristesse des nuits
seul avec tes soucis
sur ce lointain rivage ?

284

Dans son lit de fortune
le voyageur s’agite
les herbes les plus douces
ne le consolent pas

285

Cherchant dans les cieux muets
n’ai-je pas aperçu
une lueur du jardin
que l’on m’avait promis ?

286

Elle contemple aussi
les cieux où vous cherchez
puissent-ils accorder
ses pensées et les vôtres

287

Ma résolution
de garder pour moi
ce que m’inspirez
s’est évaporée

288

Involontairement
il me faut demeurer
discret sur mon chagrin
car nul ne s’en soucie

289

Comment pourrait-il être
involontairement
discret votre souci
envers une inconnue ?

290

Je me demandais
si même par jeu
pourrais me passer
de vous ne l’ai pu

291

Si seulement je pouvais
montrer à qui saurait les
goûter ces fleurs cette Lune
cette nuit m’aurait sauvé

292

Cheval de nuages
peux-tu m’emporter
dans le clair de Lune
pour la retrouver ?

293

Celle à qui vous parlez
pour toujours dans la nuit
ne saurait distinguer
le rêve et le réveil

294

Ce n’était qu’un balayage
par la brosse du pêcheur
rameau de pin maritime
puis la marée du regret

295

Le jour où je serai
infidèle à mes voeux
que la vague engloutisse
la montagne d’Attente

296

Naïveté sans doute
que nos engagements
car des vagues inondent
la montagne d’Attente

297

Même si nous devons
nous quitter quelque temps
la fumée de ces feux
d’algues nous unira

298

Des pensées qui couvent
comme des feux d’algues
sur la grève à quoi
bon demander plus ?

299

Un mot sans y toucher
le son d’un koto pour
y noyer mon chagrin
qui ne pourra finir

300

Ne changez pas la tonique
de ce koto car moi-même
ne changerai jusqu’au jour
où j’en rejouerai pour vous

301

Les vagues du reflux
s’affligent de quitter
ce rivage m’afflige
de rester là sans vous

302

Vous partie cette hutte
couverte de roseaux
va crouler je voudrais
partir avec les vagues

303

J’ai fait pour vous cette robe
que les embruns ont mouillée
si cela vous déplaît trop
vous pouvez la refuser

304

Prenez cette robe-ci
qu’elle puisse vous parler
de ces journées innombrables
dans ces trop rares années

305

Dégoûté de la vie
salé comme un poisson
pourtant ne me résous
à quitter ce rivage

306

J’ai pleuré en quittant
ma cité au printemps
à l’automne je pleure
en quittant ce rivage

307

Pour moi-même oublié
je n’ai point de souci
mais pour qui m’a voué
longue fidélité

308

Perdu sur la mer
pendant des années
tel l’enfant sangsue
jeté par les dieux

309

Les parents de la sangsue
s’étaient rencontré derrière
ce cèdre où nous oublierons
la raison de nos adieux

310

Les brouillards je me demande
s’ils continuent le matin
à s’élever sur la rive
où je fus seul tant de nuits

311

Un navire de ces rives
une fois vous apporta
des nouvelles de certaine
dont les manches sont trempées

312

Vous ne devriez pas
vous plaindre car mes manches
sont restées détrempées
depuis votre missive


 
 
 
 
 

SOUVENIRS ILLUSOIRES D’UN JAPON TRES ANCIEN
(texte mis au point pour le livre)

pour Geneviève Besse
I

1

La réalité dans
la profondeur nocturne
révèle n’être rien
qu’un rêve plus précis

2

Le bruit du vent portant
la rosée sur la plaine
me fait ressouvenir
du trèfle sur la lande

3

Devant ces pins fameux
pour leur longévité
honte à me souvenir
de mon impermanence

4

Pour clair que soit son coeur
les ténèbres y roulent
lorsque le père cherche
comment guider son fils

5

Criquet ta sonnerie
d’automne s’est éteinte
trop courte était la nuit
pour suffire à mes larmes

6

Triste chant des insectes
dans les roseaux rosée
tombant plus triste encore
d’au-delà des nuages

7

Leur arbre protecteur
s’est tordu pour mourir
que deviendront les pousses
de trèfle qui demeurent

8

Quel enchanteur pourra
se mettre à sa recherche
pour m’avertir au moins
du lieu de son exil ?

9

Comme oiseaux dans le ciel
volant d’une seule aile
comme arbres sur la Terre
partageant une branche

10

Même au-dessus des nuages
larmes brouillent la Lune
et quelle obscurité
dans la hutte en roseaux

11

Volets clos matin sombre
je n’imaginais pas
que le rêve lui-même
me serait refusé

12

Boucles de la jeunesse
sont maintenant nouées
dans ta maturité
quels liens vont résister
 

II

13

Le noeud d’un coeur expert
tiendra toute la vie
l’accord de nos lavandes
qu’il se maintienne ainsi

14

Lavandes ont taché
mes habits en désordre
comme aux plis de mon coeur
nos amours clandestins

15

La blessure d’un doigt
ne pourrait compenser
tout ce qui nous sépare
et tout ce qui me manque

16

Je sais ce qui me manque
mais tous mes doigts blessés
ne pourraient qu’augmenter
la distance entre nous

17

Merveilleuse maison
pour contempler la Lune
jouer de la musique
loin des indifférents

18

Le cruel vent d’hiver
arrache toutes feuilles
si je joue de la flûte
serai-je son complice ?

19

Même si elle croule
la haie du montagnard
rosée douce repose
sur les oeillets sauvages

20

Sans vouloir diminuer
nulle des fleurs éparses
j’avoue ma préférence
pour les oeillets sauvages

21

La rosée sur ma manche
frôlant oeillets sauvages
préfigure tempêtes
avènement d’automne

22

Tombe nulle poussière
sur les oeillets sauvages
qui parsèment le lit
où coule notre amour

23

Comme preuve d’amour
s’il en était besoin
à ceux qui me demandent
dites ne m’avez vue

24

Pourquoi si tôt sonner
les fanfares d’aurore
alors qu’il faut des heures
pour que fonde la glace
 

III

25

L’aurore s’est levée
mes pleurs coulent encore
à mes cris de tristesse
se mêlent chants de coqs

26

Je veux rêver encore
mon rêve de la nuit
sinon ma solitude
gémira d’insomnie

27

Comment trouver remède
à ma désespérance
je ne puis plus rêver
car je ne puis dormir

28

Je me suis égaré
dans la lande aux genêts
trop inaccoutumé
à leurs métamorphoses

29

Ici sans être ici
gisant dans ma cabane
je voudrais m’effacer
comme un genêt changeant

30

Genêt tu m’apparais
dans la lande aux mirages
mais dès que je m’approche
je ne te trouve plus

31

Veillant dans la nuit
soupirant le jour
jamais le printemps
n’eut si peu de fleurs

32

Sous l’arbre dépouille
d’une sauterelle
robe qui me reste
d’une femme aimée

33

Aussi transpercée
ma robe que celles
des pêcheurs le soir
aux rives d’Isé

34

La rosée sur l’aile
d’une sauterelle
au milieu des feuilles
ainsi sont mes pleurs

35

Dans tout l’univers
où trouver racine ?
ma seule patrie
c’est un campement

36

Il me faut demander
à la dame lointaine
le nom de cette fleur
brillant si blanc là-bas
 

IV

37

Sans vouloir avoir l’air
de chercher fleurs nouvelles
comment ne pas cueillir
cette belle de jour ?

38

Impatient de plonger
dans la brume au matin
semblez indifférent
aux fleurs de ce jardin

39

Si lourd est le fardeau
que je porte avec moi
comment formulerais-je
des voeux pour l’avenir ?

40

Les gens d’autrefois
les surprenaient-ils
ces chemins d’aurore
si nouveaux pour moi ?

41

Si Lune se méfie
des monts qu’elle rencontre
est-elle condamnée
à errer par les eaux ?

42

Hasardeuse rencontre
sur le bord du chemin
fait ouvrir cette fleur
dans la rosée du soir

43

Plus longtemps que la
patiente rivière
des oiseaux patients
vivra mon amour

44

Ce visage brillait
dans la rosée du soir
mais j’étais ébloui
par les rayons rasants

45

Suis fille d’un pêcheur
je n’ai pas de maison
je vis parmi les algues
qui ne redisent rien

46

Nomment certains pêcheurs
ces herbes c’est ma faute
vous les donne en pleurant
sans pouvoir vous haïr

47

Quand les nuages du soir
ressemblent aux fumées
d’un bûcher funéraire
le ciel semble plus proche

48

Le temps s’en va vous ne
me demandez pourquoi
ne vous demande rien
voilà ma solitude
 

V

49

Si vide qu’elle fût
la légère dépouille
me donnait le courage
d’affronter les ténèbres

50

Longues les racines
pour barrer les eaux
plus longues encore
mes nuits inutiles

51

Si doucement que le
vent murmure aux roseaux
le dessous de leurs feuilles
est raidi par le gel

52

Pleurant je noue ce lien
qui sera dénoué
dans le monde inconnu
où nous irons un jour

53

Ce souvenir que je
désirais conserver
jusqu’à nos retrouvailles
mes larmes l’ont rongé

54

A l’automne les ailes
des sauterelles tombent
je retrouve ma robe
et ne puis que pleurer

55

Tandis que l’un s’en va
je dis à l’autre adieu
je ne sais leurs chemins
c’est la fin de l’automne

56

Vont-elles ces herbes tendres
grandir sans que la rosée
qui se retient de tomber
rebondisse vers le ciel?

57

Va-t-elle se disperser
avant que vienne l’été
la rosée dont a besoin
l’herbe tendre pour pousser ?

58

L’errance du vent descend
des collines terminant
mon rêve répondent larmes
à ces voix frôlant les eaux

59

Je vais dire à mes amis
de la cité hâtez-vous
de venir goûter les fleurs
le vent peut vous précéder

60

Il ne fleurit qu’une fois
tous les trois siècles mes yeux
qui ont pu s’en rassasier
méprisent les cerisiers
 

VI

61

Ayant rencontré
un soir une fleur
la brume refuse
l’appel du matin

62

Il nous faut vérifier
si la brume amoureuse
du soir peut refuser
les appels du matin

63

Je voudrais demeurer
près des fleurs des montagnes
car tout ce qui m’importe
s’y trouve emprisonné

64

Aussi rapidement
que l’orage d’automne
a dispersé les fleurs
vous m’avez oublié

65

Redoutant les dégâts
de l’orage nocturne
à l’aube ai vérifié
l’état de mes pruniers

66

La montagne brumeuse
réfléchie dans la source
brumeuse mais en moi
il n’y a plus de brume

67

Cherchant à suivre l’appel
de la grue qui fait son nid
le bateau plat s’est perdu
dans les pièges des roseaux

68

Comme le bateau plat
retrouvant son canal
je me vois revenir
constamment vers chez vous

69

Je voudrais vous apporter
la lavande sur la lande
qui sait si bien emmêler
ses affectueuses racines

70

Les vagues qui sont venues
cueillir les herbes cachées
doivent-elles retourner
se dissoudre dans la mer ?

71

Les herbes du bord de mer
ont été mal inspirées
de suivre l’appel des vagues
les menant on ne sait où

72

En secret seul je me hâte
vers le lieu de nos rencontres
tant d’années sont écoulées
j’y suis toujours enfermé
 

VII

73

Bien que je semble perdu
dans les brumes de l’aurore
quand je passe votre porte
je ne puis que m’arrêter

74

Si vous ne pouvez aller
alors franchissez la porte
elle n’est faite que d’herbe
et ne s’opposera pas

75

Si épaisses les herbes
couvertes de rosée
que je ne puis trouver
celle que j’ai laissée

76

Je ne sais ce qui peut
vous faire soupirer
ni quelle est donc cette herbe
que vous cherchez en vain

77

Je soupire à son nom
bien que je ne l’ai vue
je soupire en voyant
ces lavandes galantes

78

Si souvent votre silence
m’a condamné au silence
mon espoir est qu’un espoir
se mette à parler pour vous

79

N’ayant aucun moyen
d’imposer le silence
mon unique réponse
sera donc un silence

80

Le silence est l’aîné
de la plupart des mots
benjamin le mutisme
ne peut que nous frustrer

81

Il vaudrait bien mieux me dire
que vous ne me supportez
l’incertitude m’empêtre
dans ses toiles d’araignée

82

Le soir n’a dissipé
la tristesse des brumes
et maintenant la pluie
vient tout désespérer

83

On attend dans mon village
que la Lune vienne ouvrir
les sombres nues autrement
terrible sera la nuit

84

Au soleil du matin
les glaçons du toit fondent
pourquoi ma glace intime
ne peut les imiter ?
 

VIII

85

Mes larmes ont trempé
mes manches comme si
la neige du matin
m’avait couvert la tête

86

Les jeunes sont nus
et les vieux ont froid
les sanglots glacés
piquent les narines

87

Quel que soit le temps
toujours mes deux manches
toujours sont trempées
froides comme vous

88

Chère neige s’il te plaît
ne tombe pas aujourd’hui
car ne pourrait plus sécher
mon oreiller plein de larmes

89

Cette robe incarnat
impeccablement teinte
qui voudrait la souiller
irréparablement ?

90

Les nuits sans vous
l’une après l’autre
et ces habits
nous séparant

91

Ce matin nous attendons
le premier chant des fauvettes
annonçant du même coup
l’arrivée de l’an nouveau

92

Avec le printemps voici
d’innombrables chants d’oiseaux
qui disent tout est nouveau
sauf moi qui deviens plus vieux

93

Regardant lors de la fête
vos robes immaculées
je crois franchir dans un rêve
de longues steppes de neige

94

A travers le mouvement
onduleux dansant des manches
ne pouviez-vous deviner
la tempête dans mon coeur ?

95

Quel fardeau traînons-nous
d’une vie antérieure
pour être condamnés
à cette solitude ?

96

Triste à voir son enfant
triste à ne pas le voir
le coeur de père ou mère
nage dans les ténèbres
 

IX

97

Cet oeillet vous ressemble
sauvage comme vous
cueilli dans la rosée
puis trempé de mes larmes

98

Je sais que quand l’oeillet
sauvage fleurira
sur le bord de la haie
je penserai à vous

99

Vous cachez-vous comme l’algue
couverte par la marée
que malgré tous mes soupirs
je vous vois si rarement ?

100

Je voudrais que vous n’ayez
sentiment de trop me voir
comme les pêcheurs d’Isé
toujours dans les mêmes algues

101

Si piétinées fanées
que soient ici les pousses
si jamais vous venez
régal pour le poney

102

Si m’étaient destinées
vos pousses de bambou
je craindrais concurrence
de vos autres poneys

103

L’herbe est si piétinée
qu’aucun poney ne vient
la brouter nul valet
ne vient pour la faucher

104

Pour dire que ce buisson
est son gîte pour l’été
le coucou s’est décidé
à commencer sa chanson

105

Pourri comme le pilier
qui soutient encor le pont
tandis que je pense à vous
les années rongent mes os.

106

Tandis que la pluie fait rage
tout autour du pavillon
où j’attends en vain au sec
je suis trempé de mes larmes

107

Je ne vous dirai rien
sur ce que je ressens
vagues venues ensemble
ensemble sont parties

108

Je ne me plaindrai pas
de la fureur des vagues
mais du mauvais accueil
que m’a fait le rivage
 

X

109

Pour n’être point tancé
d’avoir pris votre prise
je vous retourne intacte
la ceinture indigo

110

J’ai vu que vous preniez
la ceinture indigo
mais vous voulez aussi
le corps qu’elle enserrait

111

Rumeurs aussi touffues
qu’algues par les pêcheurs
rassemblées mais tant pis
car nous nous aimons tant

112

Fleuve Je n’en sais rien
à toutes les questions
pouvant nous concerner
ne répond que ton nom

113

Je la vois disparaître
par derrière un brouillard
et tâte mon chemin
dans mon obscurité

114

Si cette fleur était
comme les autres fleurs
alors nulle rosée
n’embrumerait mon coeur

115

La brume sur la Lune
enchante notre coeur
tard la nuit nulle brume
sur ce qui nous unit

116

Rien ne peut rivaliser
avec la Lune brumeuse
au printemps atténuée
sans que nul nuage la cache

117

Si la solitaire allait
disparaître en la distance
iriez-vous la réclamer
clamant son nom sur la lande ?

118

Je voudrais bien savoir
à qui est ce logis
scintillant de rosée
avant le vent bavard

119

Pour la première fois
soudaine solitude
quand disparaît la Lune
dans le ciel de l’aurore

120

Les fleurs de cerisier
perdues dans la montagne
souriront quand les autres
seront déjà fanées
 

XI

121

Un lointain aperçu
de la froide rivière
de purification
que devient ma tristesse

122

Arrêtez-vous parmi
les bambous de la rive
votre cheval y boive
que je puisse vous voir

123

Je voudrais devenir
nombreux comme les algues
dans la mer insondable
et ses milliers de brasses

124

Inconstante liane
aux feuilles en coeur
qui m’as invité
puis abandonné

125

Inconstante liane
de nos rendez-vous
ouverts à chacun
d’où qu’il soit venu

126

Liane de nos liens
tes coeurs sont menteurs
rien de tes promesses
ne s’est accompli

127

Mon coeur est devenu
semblable à ces canots
de pêcheur qui tressaillent
sans cesse et sans repos

128

Dégringolant la voie
de l’amour en trempant
mes manches parvenant
jusqu’aux champs de la boue

129

Vous plongez seulement
dans des eaux peu profondes
et moi je disparais
prise par le bourbier

130

Dans le puits de la montagne
j’ai découvert si peu d’eau
que j’ai pu mouiller mes manches
mais non me désaltérer

131

Je noue l’ourlet de ma robe
pour y tenir prisonnier
ce fantôme de moi-même
qui divaguait dans les nues

132

Ces nuages seraient-ils
la fumée qui s’échappe
de son bûcher pour faire
battre si fort mon coeur ?
 

XII

133

Que nous resterait-il
de notre bien-aimée
s’il n’était cet enfant
qu’elle nous a laissé ?

134

Nous allons nous venons
comme de la rosée
la rosée de ce monde
ne devrait nous leurrer

135

En plus il a fallu
qu’il nous quitte en automne
saison qui fait pleurer
même pour ceux qui restent

136

Semblable à la pluie
où dans cet orage
dois-je regarder
pour la découvrir ?

137

C’est tempête dans mon coeur
les nues où je discernais
son visage bien aimé
sont maintenant emportées

138

Les oeillets qui persistent
dans la haie de l’hiver
font revenir l’automne
disparu dès longtemps

139

A les voir de nouveau
dans la haie dévastée
mes manches de nouveau
sont trempées par mes larmes

140

J’ai connu tant d’automnes
désolés mais jamais
mes larmes n’ont coulé
autant que cette nuit

141

Pendant nombreuses nuits
comme nous avons ri
des rideaux qui devaient
nous tenir séparés

142

Encore une fois
nouveaux vêtements
pour le nouvel an
larmes pour l’ancien

143

N’y a-t-il pas moyen
de remonter le temps
le rouler dérouler
comme écheveau de laine ?

144

Le passé est le passé
je voudrais n’y plus penser
mais je ne puis dissiper
la tristesse qui demeure


 
 
 
 
 
 

ENTRE LES CADRES

pour Bertrand Dorny
 
1

C’est entre les cadres
que les murs respirent
dans les labyrinthes
où nous parcourons
l’Histoire de l’Art
parfois en silence
solitairement
mais le plus souvent
dans la grande foule
et le brouhaha
en nous faufilant
entre chevelures
chapeaux larges manches
savants commentaires
lourdes âneries
frottements de pieds

2

C’est entre les murs
que viennent chanter
toutes les couleurs
en récréation
coulant s’étendant
se vaporisant
essayant des nuances
et des éclairages
comme des actrices
devant leurs miroirs
mouvements et formes
pont de l’arc-en-ciel
trilles vocalises
vibrant au-delà
du spectre visible
pour nous envoûter

3

C’est entre les salles
que les personnages
quittant leurs histoires
vont se rencontrer
pour se raconter
souvenirs projets
et chercher fortune
en vidant les lieux
pour se promener
dans les parcs les rues
les embarcadères
les navigations
mers et continents
ateliers et rêves
les nuages les livres
les autres musées
 

3a

Vous ne savez
ce que je suis
vous n’entendez
ce que je dis
vous persistez
dans votre oubli
vous m’enfoncez
dans votre ennui

Si vous osiez
suivre mon pli
persévériez
le jour la nuit
désespériez
riant aussi
franchissant haies
mutisme et cris
vous mènerais
changeant ici
vers les accès
d’un paradis


4

C’est entre les âges
que mythes et sites
vont se conjuguer
pour nous emporter
dans les galeries
et les escaliers
de la courte Histoire
pleine de recoins
et de souterrains
quelques millénaires
mais si compliqués
où cherchons en vain
comment respirer
briser la vitrine
du signal d’alarme
ou la clef des champs


 
 
 
Sommaire n°24 :
CATALOGUE DE JARRES
LES NOCES ALCHIMIQUES DES LIEUX ET DES YEUX
L’ATELIER DE MAN RAY
SOUVENIRS ILLUSOIRES D’UN JAPON TRES ANCIEN (1)
SOUVENIRS ILLUSOIRES D’UN JAPON TRES ANCIEN (2) et
ENTRE LES CADRES

 
 
 

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