Poésie au jour le jour 7
1) MENACE POLAIRE
Les vagues énormes
sur les brisants de la mer antarctique
répondent à celles qui font l'assaut du Groenland
ou du Spitzberg
dessinent des monstres apocalyptiques
se faufilant parmi les icebergs
qui éclatent
sous des tempêtes de rires électriques
Et tout au long des méridiens
se propagent les commentaires
parmi les troupes de cétacés
que poursuivent les massacreurs
sur ce conciliabule de cataclysmes
des deux côtés de l'équateur
pour organiser la vengeance
et préserver les innocents
Il s'agirait donc de remplacer
notre race humaine par une autre
meilleure nageuse
et mieux adaptée aux intempéries
qui n'aurait donc nul besoin
de s'emmitoufler de fourrures
et pourrait participer aux conversations
des animaux volcans et nuages
2) LA FORTERESSE ENTRE LES FLEUVES
C'est aujourd'hui une ville pour soldats de plomb où déferlent les cars de touristes qui examinent les vitrines pour se choisir des souvenirs. Mais au temps de sa splendeur stratégique, lorsque du haut des tours on guettait les flottes de drakkars ou de jonques qui cherchaient à s'infiltrer dans l'Empire pour faire main basse sur les minerais déjà extraits, les étoffes déjà tissées, les céréales déjà moissonnées, ce n'étaient pas seulement les généraux qui faisaient sonner leurs bottes, sabres et ceintures, mais le moindre novice dans ce monastère militaire. Quand ils descendaient aux parades ou se délassaient aux tavernes, les femmes les plus réservées les accompagnaient de leurs cils. Les fanfares brillaient aux créneaux toutes les heures et les torches remplaçaient les oriflammes toute la nuit. Des canaux maintenaient fraîcheur et propreté dans les caravansérails, écuries, étables. Mais qui trouverait un cheval aujourd'hui dans ces avenues et faubourgs? Il règne une étrange paix grise, à la fois bruyante et vide. Les capitales se sont déplacées. Les langues et techniques sont oubliées. Ce sont les étrangers désormais qui connaissent le mieux l'histoire de ces murs.
3) LE TREMBLEMENT DES GRILLES
Les intempéries les plus violentes ont secoué l'ancienne ordonnance. Le bonnet phrygien s'accroche aux piques tordues. Les rubans flottent au fil du fleuve qui garde pour l'instant son calme en attendant l'inondation. Les visages grincent dans les mailles distendues du côté de la grande ville dont les fumées s'épaississent parmi les nuages, et les enfants privilégiés dans les salons où tintent les cristaux autour des chandelles qu'il avait fallu allumer déjà, interrompent leur leçon d'histoire naturelle pour demander à leurs institutrices ce qui peut bien provoquer ce glas, ces rumeurs et cette agitation de toute la domesticité.
4) NEPTUNE À MARSEILLE
Cela a dû fort mal se passer lors du dernier festin dans l'Olympe. Avec son trident dédoublé le dieu furieux aiguillonne ses chevaux dégoulinant d'arcs-en-ciel. Crinières et barbe sont hérissées d'embruns et de feux Saint-Elme. Le sel saupoudre les vieilles rues. Des poissons frétillants glissent le long des toits sans que les familles affamées puissent les retenir au passage. On promet des neuvaines à Notre-Dame de la Garde qui se souvient soudain qu'elle était Amphitrite, agite ses voiles pour fabriquer un chemin d'écume et fait briller toute sa ville dans un sourire de nacre tandis que son époux calmé retourne et se retourne dans son lit d'algues parmi voiliers, dauphins, cargos et plongeurs.
5) NOUVEAU BRABANT
Le siècle d'or dialogue avec ses antipodes: fougères arborescentes oscillent parmi les ailes des moulins sur les canaux; geysers et glaciers naviguent au-dessus des beffrois. Des maoris tatoués en spirales déchargent des caisses de porcelaine ou de jade en abordant les quais de brique avec leurs pirogues. Cygnes noirs et blancs prennent leur essor sur des vagues de bière au son des flûtes et carillons. Les astronomes observent le transit de Vénus, les naturalistes remplissent leurs cages et leurs herbiers. Quant aux compagnies de gardes installant leurs bivouacs sur les atolls, comment interdiraient-elles aux beautés ruisselantes de draper leurs poitrines dans les plis de leurs oriflammes?
6) LES TISONS DES SOULEVEMENTS
On aura beau détruire, aplanir, araser, creuser pour des étages de parkings, puis reconstruire en nouveau style, aguicheur ou sévère, post- ou pré-; rôderont toujours dans ces avenues et parvis les escarbilles incandescentes, attendant la moindre accumulation de déchets, guettant la moindre négligence ou grogne de la force publique pour embraser foules et greniers, saper les socles des idoles du jour avec leurs psaumes de millions dans toutes les monnaies de la planète. En dépit des métaux et vitres, des haut-parleurs et des enseignes, des protestations d'abondance et de progrès, des jeux du cirque sur les ondes et des distributions de rubans, la révolte couve, les poings se préparent, les torches passent de fin de siècle en tournant de millénaire, de plus en plus grondantes et désinvoltes, de plus en plus instruites et voyageuses, pour essaimer au vent des migrations remémorées ou entrevues les pétales du livre des rues, incendier l'horizon, ébranler l'univers.
7) TEMPS DE GUERRE
Les vieux champs, les vieilles plages, les vieilles villes et même les vieilles montagnes, tout cela s'est recroquevillé sous l'orage de fer et de cendres. Un filet d'amertume et de résignation empiège tous les survivants terrés dans les caves. Parfois ils rampent jusqu'aux soupiraux pour assister à la dissolution en fumées et poussière des dernières épaves de bâtiments célèbres. Au milieu des moignons et des râles on compare les projets pour les nuits qui viennent, sans oser regarder plus loin, sans parvenir à espérer qu'un jour on pourra de nouveau respirer sans masque sous le ciel dégagé de sa tourbillonnante ordure et commencer enfin l'inventaire des vestiges.
8) L'AMÉRIQUE LATINE EN PROIE AUX LAVES
Salut, cordillères de fumées, plateaux de braises, fibres nerveuses en pleine excitation d'étincelles, ganglions en samba torride! Les forêts d'hévéas font couler leurs latex parmi les ruines cyclopéennes où l'or fleurit dans les failles. C'est comme une orange que l'on pèle pour en extraire pulpe historique et jus musical. Caméras en plein fonctionnement les escadres journalistiques reconnaissent les nouvelles côtes, sondent leurs fonds. Les cloches sonnent à toute volée dans les églises coloniales qui penchent sans rompre, déployant chandeliers, cantiques et tentures. Avec leurs lassos siffleurs les gauchos arrêtent les boeufs en pleine course pour les sacrifier sur le barbecue général qu'alimentent monnaies dévaluées et drogues désuètes. Le ciel s'éclaircit en nous découvrant économies et politiques surprenantes, aurore qui va gagner les autres continents enlisés dans leurs miasmes et mensonges.
9) LA DÉRIVE DES CONTINENTS
Depuis les hublots électroniques de notre satellite à orbite variable, nous suivons à travers les nuages les mouvements de nos anciennes patries. Non seulement elles ont largué leurs amarres et sillonnent les océans méconnaissables, mais leurs proportions ont changé. D'immenses villes se sont développées où il n'y avait que villages, et les montagnes ont grandi en proportion, dépassant largement l'ancien Himalaya. Par contre certains déserts se sont amenuisés jusqu'à devenir des terrains de jeux parmi vignes et vergers arrosés par les nouveaux courants. L'évolution des espèces végétales s'est furieusement accélérée. Botanistes et jardiniers s'épuisent dans leurs essais de classement et d'utilisation. Les animaux vont sûrement suivre. Quant aux hommes de la surface leurs réactions diffèrent de plus en plus des nôtres. C'est chez eux l'aventure et chez nous la stabilité.
10) L'ARCHIPEL SUISSE
Battus par l'écume, cantons rocheux sommés de glaciers escaladés par de longues cordées de touristes qu'attend leur somptueux navire enguirlandé d'ampoules multicolores dans sa crique brumeuse. Vallées et détroits jonchés d'arbres morts au pied des forêts tourmentées avec leurs cascades, téléphériques et rapaces, abritent les énormes demeures à balcons chantournés fleuris de géraniums. D'une île à l'autre se répondent les trompes enluminées, sonnailles des troupeaux, clarinettes des pâtres marins. La république édifie des ponts très élevés sous lesquels passent à l'aise les plus lourds navires et même, certains jours de vent favorable, les plus gros avions quittant ou rejoignant les pistes des aéroports sur pilotis. Comme claquent les étendards à ces passages! çà et là de téméraires gratte-ciel qui servent de phares et d'horloges. Et il y a des oasis de calme autour de leurs lacs d'eaux chaudes bordés de rivieras à palmiers et agrumes.
11) L'ÉCHELLE DE LA FLORAISON
Lorsque le jardinier municipal de Brunswick, après une si longue attente, a vu son bouton s'ouvrir, il n'imaginait certes pas que l'orchidée impériale -ne communiquant bientôt plus avec sa mousse d'origine que par un mince pédoncule extraordinairement résistant au travers duquel passait une intense circulation de sève ultra-rapide, franchissant une brèche sans cesse élargie dans le vitrage à cause de l'agitation provoquée- allait déployer ses pétales d'abord sur tout le parc et le palais, puis sur la ville entière et peu à peu sa campagne, remplaçant les nuages avec leurs ocelles et nervures, tout le ciel avec leurs phosphorescences, ni qu'un blizzard polaire devait les arracher pour les disperser dans l'espace, voiles à la recherche de leurs navires, signaux d'adieux se renversant en bienvenue.
12) LES COLIS EN SOUFFRANCE DEVANT LE PASSAGE NORD-OUEST
Les vantaux de glace se s'ouvriront-ils jamais? N'entendra-t-on jamais grincer les gonds de roc? Toute la flotte immobilisée contemple sa cargaison sous la neige, désespérant peu à peu de l'échange prévu. Où sont-elles ces fourrures contre notre sucre? Et ces métaux contre nos bois, cristaux contre nos céréales? Sans doute les impressionnants indigènes que l'on apercevait vaguement à travers les brumes lors des expéditions précédentes, que l'on entendait hennir et cliqueter dans leur parler plus obscur encore que leur hiver, ont-ils trouvé d'autres sources et passages plus avantageux. Ils se gaussent de nous dans leurs igloos immenses avec aurores boréales captives, brasiers d'encens polaires, piscines thermales et jardins d'escarboucles, curieux de savoir quels détours nous serons capables d'accomplir pour les aborder par un autre détroit, mériter enfin leur conversation.
13) L'ÉTHIOPIE EN LIASSES
Anthracites et granits repliés sur leurs trésors d'empreintes, sur les pistes des premiers hommes, leurs campements, leurs cavernes, leurs entrepôts, temples, cimetières et cités. Des improvisations sur la lyre font retentir les parois des canyons. Aux objurgations des muezzins répondent les glas des églises. Des fumées de torréfaction obombrent les abords des cultures. Dans sa boutique l'ancien poète de sept ans, l'ancien marcheur et navigateur, l'ancien photographe et contremaître compulse lettres et factures en se demandant si cette douleur qu'il ressent à la jambe n'est pas en train de s'aggraver. Le mugissement des buffles à la tombée de la nuit est comme une lamentation sur l'Histoire, tyrannie bousculant tyrannie dans un retournement convulsif d'ères fiévreuses à la fois obsédantes et englouties.
14) LA SERRE DES ENVIRONS
Tous les murs sont couverts de capteurs solaires. A tous les angles des antennes paraboliques, et sur les places d'immenses corolles de miroirs. Les laves chauffent des piscines balsamiques. Alors que déferlent dans les hauteurs la grêle et la neige, nous nous rafraîchissons entre des palmiers en admirant une coulée qui va sculpter la banquise en falaises incarnadines. A un premier niveau les aras, les quetzals. Plus haut les condors et même, dit-on, quelques archéoptéryx ayant échappé au désastre. Dans certaines rues les dalles sont des touches commandant des tuyaux d'orgue; dans d'autres elles mettent en branle carillons ou magnétophones; dans certaines ce sont les parfums. Enfants et vieillards allument des veilleuses devant les niches de leurs idéogrammes préférés avant d'aller joncher de fleurs les escaliers des cosmonautes.
15) VÉRITÉ EN DECA DU PACIFIQUE ERREUR AU-DELA
La carte qu'on m'a montrée
au palais de l'Empereur
celles que j'ai étudiées
dans les galeries du Pape
nominations dédoublées
s'entrecroisent dans ma tête
îles et détroits possibles
tourbillons d'incertitudes
rades où navigateurs
confrontent leurs ignorances
gestes vêtements produits
à renfort de mots obscurs
et dans déserts et vallées
ce que les Indiens errants
décrivent aux Franciscains
venus porter la Parole
qu'ils perdent la traduisant
des deux côtés cités d'or
que cherchait l'aventurier
gênois payé par l'Espagne
cèdres palmiers cerisiers
cérémonies éclatantes
ou troubles sous le soleil
la neige la pluie la brume
les archipels des caresses
les galions sur les sargasses
les ombres des cormorans
et l'endurance partout
moi j'aurai beau revenir
jamais je ne reverrai
la Terre de mon enfance
ni le Ciel de mes parents
ballotté par grandes vagues
malmené sur les courants
de l'Océan mal nommé
je cherche le grand passage
d'un paradis entrevu
à des enfers constatés
écoutant toutes rumeurs
chantant veille et lendemain
quand le calme s'établit
je replie voiles et câbles
et m'enferme en la cabine
avec plumes et compas
un peu de thé sous la lampe
et des rames de papier
pour travailler à l'atlas
qu'enfants et petits-enfants
corrigeront bifferont
pour découvrir la formule
des explorations nouvelles
et le lieu où résider
16) LE MERCURE DES GORGES
Dans les caves des vignerons l'or du lac est mis en bouteilles. Les oiseaux tournent de village en village en collectant des brins de laine pour leurs nids. Le chemin de fer s'enfonce dans son tunnel. Sur l'autoroute les camionneurs cherchent leur voie. Forêts et glaciers, nuages et navires.
Les anges se retrouvent aux tavernes des premières constellations pour discuter sur les moyens de mieux nous protéger contre nous-mêmes le lendemain. Navrés de leur impuissance ils se consolent par quelques arrangements de plumes incandescentes qui nous arrachent parfois des cris d'admiration nostalgique.
17) PARADE MÉTÉOROLOGIQUE
Empreintes digitales de la planète qui en change chaque jour. Pas seulement les pluies, grêles et neiges, mais aussi les cyclones d'informations, ouragans d'images, dérives cinématographiques ou télévisuelles, raz-de-marée publicitaires, migrations touristiques, et les exodes, menaces, terreurs, les hurlements. Dans leurs observatoires calfeutrés les spécialistes décodent les messages et s'efforcent de les rassembler en graphiques de prévoyance. Mais il est toujours trop tard. Une trombe imprévue fait voler en éclats les écrans que d'autres vents dispersent et combinent pour d'autres surprises.
18) OPÉRATION LOTHARINGIE
A force de regarder parois et frontières, les photons renvoyés par mes yeux les ont perforées de mille pores par lesquels j'ai pu me faufiler, filtrer, transvaser, transfuser de couleur en couleur et de langue en cuisine, de montagnes en plaines et de cascades en fleuves, de zone en zone, enfin de mer en Océan. Royaumes d'antan, je vous retrace de nos jours, multipliant les ambassades et les présents dont j'orne les salles de vos palais rendus à leur fonction de faste. Les gouvernements actuels s'agitent et recroquevillent sous cette bénéfique invasion de fantômes, et l'on sent que bientôt les armées si lourdement subsistantes les auront rejoints dans leurs nuages.
19) BITUMES DANS LE PROCHE-ORIENT
Limons du Nil, baumes de Judée, quelles tourmentes remuent vos marécages en agitant roseaux et papyrus, sagaies et hallebardes, étendards et haut-parleurs, mitrailleuses et lance-grenades! Sur le sommet du Sinaï ne nous est plus révélée que la loi noire: tu devras tuer ou être tué, voler ou être dépossédé, mentir ou être ridiculisé, que les scribes enchaînés transmettent par tous leurs ordinateurs. O ville de Minieh ma nourricière que je retrouve sous l'encre, comment réussis-tu à respirer dans ces miasmes que les vents du désert ne parviennent plus à disperser?
20) LA VILLE DES LAMENTATIONS
Hélas toutes les voies ne sont-elles pas devenues douloureuses? Quelle épaisseur de ruines, quels tourbillons de bruits, quel conservatoire de plaies! Gibets à tous les carrefours, poteaux de torture sur toutes les éminences; et l'on a beau avoir déblayé parpaings et barbelés dans la vallée de la géhenne, fumées, râles et puanteurs hantent ses jardins aux exquises roses. Des dieux déchiquetés tordent leurs lambeaux dans les piscines sèches parmi gravats et immondices. Le soir l'enchanteresse lumière se met à saigner sur le sable. Heureusement les pierres de la nuit escaladent et recouvrent peu à peu les murailles écorchées en escaliers vertigineux pour nous faire accéder aux psaumes, palmes et torrents des plantations célestes que sauront développer nos descendants, oasis tant cherchés où les orgues et harpes vibreront à toutes nos misères, leur donnant enfin le sens dont elles manquent si horriblement.
21) COURBES DE NIVEAU
Le long du lac le givre sur les vignes en terrasses avec les logis semi-troglodytes qui enfoncent leurs longues caves entre les replis du terrain. Les routes serpentent parmi les cascades, et les aubergistes profitent du moindre plateau pour aménager des parkings. Quelques piétons aussi, havresac sur le dos, poussent la porte pour venir trinquer au comptoir, comparer les crus et les années. Pendant les quelques jours de grosse chaleur on met les bouteilles au frais dans les torrents sous les glaciers, et le soir on regarde brûler sarments et bruyères en coupant le son de la télé où le reflet des flammes lèche le visage des présentateurs.
22) BRISE-GLACES
L'étrave, sous le brouillard saumâtre, fait jaillir des gerbes de ténèbres grumeleuses. Ici et là des hordes de cétacés -les anglais diraient des "écoles"- saluent nos harpons avec leurs évents. Les nations féroces nous suivent en criant le long de rivages presque indiscernables. Certaines, croit-on, n'ont pas encore la maîtrise du feu, et ne se préservent de l'engourdissement et du gel, à part la chaleur de leurs congénères -comme ils se serrent dans leurs yourtes de fourrures!- et celle des animaux vivants ou fraîchement tués, que grâce à l'irradiation des sources thermales, solfatares et laves. Leurs migrations les mènent de volcans en geysers à travers des toundras sans un arbre. Ils parviennent à déplacer d'énormes pierres pour aménager cratères et bassins. S'ils ont des prêtres, ceux-ci doivent décrire le paradis dans leurs oraisons comme une rose de flammes; s'ils ont des prophètes, ils leur promettent un messie qui leur en apprivoisera quelque pétale.
23) PLAQUE TOURNANTE
Corolle de câbles attirant, captant puis relançant des messages par-delà murailles, moissons et déserts. Tout un grouillement de conversations parmi les essaims d'abeilles humaines, frottant leurs antennes en fouillant les cargaisons de sucs, archives et sillons, rayons d'écumes, collections de sables et galets, briques et coquilles. Un fleuve d'encre électrique abreuve toutes ces étamines calculatrices d'arômes. Au cliquetis des anciens télégraphes est venu s'ajouter celui des compteurs de radiations. Autrefois c'étaient les planètes, croyait-on, qui influençaient nos conduites. On sait bien que maintenant ce sont les ondes rebondissant de satellites en paraboles. Les instituts de sondage nous proposent leurs horoscopes, et nous avons le plus grand mal à démêler les écheveaux de ces filatures nouvelles.
24) TROMBES D'ORCHIDÉES SUR LE PACIFIQUE
Marquises, Maréchales, Mariannes, Carolines, vos robes de récifs à paniers, vos perruques à palmes se soulèvent en tumulte pour une énorme ronde. Vos joues sont poudrées de pollen, vos éventails sont les ailes vivantes d'oiseaux dont vous tenez délicatement la gorge entre vos doigts, et vous délacez vos corsets pour l'émerveillement des beaux sauvages tatoués de spirales et d'entrelacs. Sillages de parfums et de goélettes autour de vos orteils qui s'éclaboussent dans les passes et lagons. Vous distribuez langoureusement vos moires et brocarts aux enfants qui vous apportent sorbets à la vanille et lait de coco dans vos ottomanes de corail pour qu'ils en fassent des cerfs-volants pouvant rivaliser avec les ornithoptères dans les canyons et les pélicans sur les vagues. Les explosions lointaines sur l'autre côté de la Terre troublent à peine votre sieste. Il y a déjà des années que vous avez quitté toute illusion de retour.
25) LA DISPERSION DES FILS DE NOÉ
Il y avait déjà des mois que les eaux du déluge s'étaient retirées. Dans leurs explorations les rescapés butaient sur des squelettes exhumés des cimetières d'antan près des villes où séchaient des algues. Ils déblayaient les ruines pour s'y installer, étayaient leurs murs ravinés, reconstituaient leurs toits, y allumaient des feux pour se réchauffer, cuire leurs viandes et fondre des métaux pour leurs instruments de musique. Bientôt ce fut comme si rien n'avait interrompu les constructions; et le seigneur du ciel se mit à douter de lui-même, à se demander s'il était bien cet unique dieu tout-puissant qu'il croyait, et c'est pourquoi, lorsqu'il vit s'élever la tour de Babel, il fut pris d'une telle inquiétude.
26) LA RÉVÉLATION DU SAPHIR
Les irisations des ténèbres se sont multipliées en émail. Les vagues, les nuages, les dunes palpitent sur le plat de la reliure qui protège et célèbre les inscriptions des voix prophétiques. Reniflements, grondements, froissements de hautes herbes et de palmes se faufilent entre les lignes où les points et accents s'éparpillent en envols d'oiseaux. Le tambour scande la déclamation tandis que trompes et flûtes prolongent les appels dans la nuit lumineuse où passent les anges pour conduire nos multitudes altérées vers les sources des quatre fleuves arrosant les forêts du savoir et de l'émerveillement. Toboggans de soies et senteurs font communiquer les eaux secrètes de la Lune avec le berceau de l'humanité pour aider nos balbutiants ancêtres à dresser l'échine, allumer des feux, diversifier leurs cris et marques jusqu'à ce palimpseste en parchemin qui se replie et déploie inépuisablement entre ces vantaux frissonnants de marbre liquide et d'encens frais. Invitation à parcourir ces escaliers et colonnades, claviers et registres pour retrouver la clef perdue, le mot qu'on avait depuis des années sur la langue, et le sourire de l'être enfant.
27) LA PECHE AUX ÎLES DES NUAGES
Avec des foules sur leurs bastingages comme des navires au retour d'expéditions lointaines, en saluant d'autres sur les quais oscillant au point qu'on ne sait plus ce qui est vaisseau, ce qui est rivage, pavoisées de flammes et vapeurs, escortées de mouettes et dauphins pour le congrès des archipels, les terres translucides rivalisent de chants et saluts, acclamations et salves en accrochant leurs grappins aux mailles des méridiens et parallèles, comme les mousses leurs mains dans les haubans. Les gardiens écailleux des rois des profondeurs allument leurs torches glauques pour examiner ces nouvelles venues dont ils couvrent les ponts d'algues et de perles, échangeant avec leurs équipages les gibiers de terre et de mer, les nouvelles des diverses strates et des procédés de résolution pour des équations exotiques.
28) LE PAPILLON RUGISSANT
Dans les miroirs des quatre points collatéraux les détroits accélèrent leurs tourbillons au grand dam des navigateurs assez imprudents pour tenter l'épreuve. De gigantesques antennes explorent les courants et les migrations. La sève des forêts tropicales s'accumule en ocelles tandis que les volcans répercutent leurs explosions. Des yeux réticulés enregistrent raz-de-marée, séismes, naufrages et sauvetages pour l'instruction des générations futures, et les ailes barattent les cyclones pour émulsionner l'or du temps, l'élixir de métamorphose et la nourriture des nouveaux dieux.
29) LA CITADELLE DES FANTÔMES
Dans le cliquetis de leurs chaînes et le crissement de leurs suaires métalliques, ils montent encore fièrement la garde sur les remparts, faisant sonner les voûtes avec leurs hallebardes ajourées. Au lever du jour ils se réfugient dans des souterrains aux parois gluantes et festoient autour des puits, sifflant des airs de leur siècle en grignotant racines, branches salpêtrées, anguilles et cristaux qu'ils arrosent de grandes rasades de bière verte dont on voit briller les bulles entre leurs côtes. Mais les murailles s'effritent, la poussière s'accumule, les ronces élargissent les brèches, les douves se comblent. Dans quelques dizaines d'années ils ne garderont plus qu'une citadelle fantôme et ne pourront plus déguster dans leurs orgies blêmes que des racines et anguilles fantômes arrosées de bière fantôme, n'étant eux-mêmes bientôt plus que des fantômes de fantômes.
30) L'ÉBLOUISSEMENT DU DÉSERT
Les feux du sable et des pierres dans les pyramides qui creusent le ciel cru, ont tellement calciné mon regard qu'au retour dans la vallée, dans ses villages bourdonnant de mouches malgré la ventilation des palmiers, dans les ruelles de la ville qui ne sait pas encore qu'elle n'est que le germe splendide d'une autre énorme et décourageante, dans le cube d'azur de ses mosquées, j'ai importé mes colonnes de ténèbres, mes ouvertures sur l'abîme où tout renaît incandescent.
31) L'EXIL DU BOURREAU
Je n'ai gardé de mon ancien état que ma cagoule qui oscille au vent des tropiques, tel un drapeau de pirates déchiqueté par les corbeaux. Que d'îles j'ai abordées avant qu'un vaisseau hollandais me dépose dans une crique de celle-ci où j'espère trouver l'apaisement aussi loin que possible non seulement des commerçants européens qui m'ont d'abord toléré, doivent maintenant m'avoir oublié, mais aussi des naturels aimables que ma conduite étonne. Sans m'avoir jamais dit un seul mot ils font de longs trajets pour venir m'apporter respectueusement et régulièrement de quoi manger, comme si j'étais un de leurs dieux condamné à la relégation parmi eux pour quelque insigne faute. J'ai brûlé tous mes vêtements et en ai dispersé les cendres dans la mer. Je tisse maintenant les toiles dont je me couvre avec des fibres d'écorce que je teins en les éclaboussant d'huile de palme, mais la température est si douce que je n'en ai guère besoin. Je passe le plus clair de mes journées accroupi devant ma grotte à me frotter les mains avec du sable pour les laver d'un sang imaginaire dont je ne parviens pas à me purifier, tandis que dans la nuit les cauchemars ressassent mes anciennes exécutions.
32) LES PIONS DU MONDE
Les dieux inférieurs chargés de la fabrication de notre planète ont dû jouer aux dés la figure de nos continents dans leurs cavernes de pirates stellaires. Chaque jet nouveau faisait changer l'ensemble. C'était parfois assez heureux; le plus souvent l'assemblée s'esclaffait. Certains cherchaient le plus habitable, d'autres le plus drôle, biscornu possible. Bientôt ils se sont organisés en deux camps, les uns pour, les autres contre les terriens futurs que nous sommes. Les océans montaient et descendaient selon que les calottes glaciaires fondaient ou se reconstituaient. Un peu plus de dérive par-ci, une déchirure par-là. Plissements et volcans, quelques météores bien ajustés. Trafiquant l'or des nébuleuses en trinquant le saké de l'espace, ivres-morts ils ont abandonné la partie nous laissant avec ces rivages.
33) LA TENTURE DES AUSTRALIES
Les habitants de Melbourne et Sidney sont pour la plupart bien loin de se douter qu'il existe une autre île aussi grande que la leur et de même figure à quelques centaines de kilomètres dans une doublure du Pacifique. Le régime des vents et courants, la nature même des approches en masque les rives, montagnes et déserts aux navigateurs aériens et marins. Seuls les spécialistes du parapente ou deltaplane peuvent passer de l'une à l'autre lors de coups de vent favorables. Tous les citoyens ont leur répondant à quelques détails près: nuance de cheveux différente, quelques centimètres de plus ou de moins, une autre lettre dans leur nom, une chambre supplémentaire ou manquante dans leur maison. Et ces habitants de Melbuirne ou Sodney sont eux-mêmes pour la plupart bien loin de se douter qu'à quelques centaines de kilomètres de leurs côtes de l'autre côté il existe encore une autre Australie qui déploie ses splendeurs sur les pages de l'espace où se retourne perpétuellement notre planète dans ses songes en essaimant de nouvelles variantes de ses continents. Et ainsi de suite dans la vibration des mines du temps.
34) AUX PLOMBS DE VENISE
Sous les jours de souffrance inondant le salpêtre des moirures du Styx, les clous et les ongles sèment les graines des gazons lointains, cueillent les fruits dans les vergers des montagnes. Ces stries, ce sont les rames des galères que nous aurions dû commander; ces ondulations, les oriflammes qui auraient dû claquer pour nous. C'est toute la ville qui est devenue prison; un filet aux mailles de fer s'est abattu sur les canaux. Le conseil des dix n'est plus formé que de tortionnaires et geôliers. C'est dans nos greniers que les moisissures préparent la lèpre qui les dévorera, rouvrant nos quais aux navires de la Chine, et le trésor de notre Basilique à l'or venu d'outre-Atlantique.
35) TIRS DE BARRAGE
Il y a si longtemps que nous sommes en guerre et l'on nous dit toujours que la guerre va venir. Il y a des années que c'est de pire en pire et ceux qui ont le front de prétendre nous représenter, nous menacent d'un pire encore. Plus une rue reconnaissable, plus un logement où se réfugier. Tout est déchiré. Tout est à refaire. Retailler, rapetasser, ravauder. Les routes se rouvrent et se referment. Parfois les camions, plus souvent les tanks. Plus moyen de dormir la nuit. Tout ce qui reste de la ville s'est transformé en hôpital précaire tandis que les milices et contre-milices rechargent leurs canons avec des obus dont le transport défie tous les embargos et blocus et dans lesquels s'engouffre tout ce qui reste de finances. Pendant ce temps les diplomates remplacent les observateurs; les délégations se succèdent. Les commissions d'enquête installent leurs bureaux avec vue sur la mer ou le fleuve. Les discours continuent; on filme des poignées de main; et les intellectuels apposent leurs vaines signatures au bas de semblants de protestation. Quels ouragans réussiront à laver le ciel au-dessus de chez nous? Il n'y a plus que dans les sursauts des éléments que nous puissions mettre quelque espoir. Mais que font ces cyclones dans la ceinture équatoriale à terroriser des îles, alors que chez nous ils n'auraient plus qu'à déblayer, rien à détruire?
36) SOUCOUPES VOLANTES SUR L'INDONÉSIE
Ces forêts, ces montagnes, ces temples, ces ports avec leurs flottilles, quelle vie délicieuse nous y attend! Nous installerons nos aires de débarquement avec leurs tours et souterrains en dérangeant le moins possible ces populations primitives dont nous viendrons observer les pittoresques cérémonies depuis nos balcons invisibles. Sans évidemment leur permettre d'entrer dans nos quartiers proprement dits, nous leur fournirons du travail dans nos entrepôts; nous les utiliserons pour le service de nos banquets dans nos jardins; et les plus aventureux d'entre nous pourront devenir gouverneurs pour les empêcher de trop s'écarter de leurs usages traditionnels. Ils auront des amours exotiques et nous les feront partager dans leurs mémoires. Ce havre que nous avons tant cherché d'astre en astre, se peut-il que nous l'ayons enfin trouvé pour une éternité de tranquille domination? L'essentiel est de réussir à nous protéger d'une éventuelle invasion. Il s'agit donc de boucler notre conquête entière dans une immense bulle de verre impénétrable qui semblera désert de glace aux navires éclaireurs.
-Nous sommes venus bien avant vous, et nous vous avons attirés sans que vous vous en doutiez. Nous facilitons votre approche et favoriserons votre installation. Nous ne chercherons nullement à pénétrer dans vos quartiers proprement dits, car toutes vos parois sont transparentes pour nos techniques de rêve. Ainsi vos prétentions seront pour nous une inépuisable source de comique d'autant plus que nous communiquerons nos virus d'éveil à vos gouverneurs qui deviendront nos alliés les plus sûrs. C'est grâce à eux que nous aménagerons des cratères dans la surface nouvelle pour attirer une troisième vague d'envahisseurs qui transformera le spectacle que vous nous aurez donné au moment où il risquerait de devenir monotone.
37) LA CHINE AUX PIEDS DU TIBET
Les femmes ont descendu les ravins vertigineux, lavant leurs pieds dans les bassins d'eau glaciale sous le soleil poignardant, étanchant leur faim et leur soif aux pis des yaks, dormant dans des monastères ou cavernes, rejoignant aux confluents leurs amies revendicatrices inconnues. Le chant des trompes les accompagne relayé par échos et cascades. Les jeunes militaires les admirent dans les vallées, préférant s'abstenir d'interroger leurs supérieurs dans les villes basses sur l'attitude à adopter. Ceux-ci s'étonnent de tels rassemblements, mais se disent qu'ils sont sûrement autorisés par les responsables de la province pour avoir atteint cette ampleur. Bientôt les offrandes se multiplient, les hébergements, les adhésions. Les officiels s'inclinent. C'est une immense vague de femmes qui déferle jusqu'à Pékin pour y rappeler, devant la cité interdite, ce que signifient les mots "paix céleste".
38) LE SEXE D'ARTÉMIS OU LA DÉVOREUSE DE NAUFRAGÉS
Entre ces marais et ces vignes ensanglantés par tant de guerres, les étrangers perdus dans le brouillard cherchent le fameux sanctuaire de la déesse cannibale. Comme la nuit tombe ils se hâtent d'édifier une cabane de roseaux devant laquelle ils allument un grand feu pour se sécher avant de s'endormir. A leur réveil l'un d'eux raconte que sa soeur Iphigénie qu'il croyait morte, lui est apparue en songe et qu'elle serait dans les parages. L'autre se tait car il l'a vue aussi mais comme sacrificatrice devant la statue colossale couchée de cette déesse nue dont elle arroserait le sexe avec le sang de ses victimes humaines. Comme le soleil dissipe les brumes, ils s'aperçoivent qu'ils ont dormi près d'un charnier dans lequel ils identifient indubitablement le squelette d'Iphigénie par un bracelet d'ambre qui lui avait été attaché au bras dans l'île d'Eubée, avant la guerre de Troie, lors d'un sacrifice à la même déesse dont elle devait être alors la victime, mais auquel elle avait miraculeusement échappé. Le majestueux temple de bois a été détruit par un incendie il y a déjà fort longtemps, et ses vestiges sont déserts. Il ne reste plus de l'immense icône de terre que les deux pieds et des fragments de chevelure épandue. Après avoir fouillé les décombres et découvert des fragments de vêtements et d'autres bijoux, ils réparent tant bien que mal leur navire et s'embarquent avec leurs trouvailles pour porter la nouvelle dans la ville natale de l'infortunée.
39) LES PLAIES DE L'ÉGYPTE VIENNENT JUSQU'À L'INDE
Ici aussi l'eau des fleuves s'est changée en sang avec des caillots et des croûtes. Les grenouilles sont arrivées, énormes et coassantes. Les chaussées en étaient pleines et les voitures en écrasaient par milliers. Les moustiques se sont répandus en nuages tels qu'il faisait nuit en plein midi; dès qu'on allumait une lampe, ils tournoyaient autour avec un bruit d'hélicoptère. Les insecticides rendaient l'air irrespirable bien avant qu'on en vienne à bout. Puis ce furent les taons qui ont couvert les murs et les meubles, la peste du bétail et la rouille des machines, les ulcères qui déchiquetaient le cuir et la peau; taons et moustiques y venaient boire. Heureusement la grêle les a exterminés, mais il ne reste rien de nos vitres ni de nos champs, et ils ont été relayés par les sauterelles métalliques dévastatrices qui ont éliminé nos quelques réserves, puis les épaisses ténèbres où nous nous débattons. Certains prétendent qu'une fois mort le premier-né de chaque famille nous serons délivrés de tout cela; mais nous ne pouvons admettre qu'un de nos dieux veuille vraiment chose pareille et préférons croire qu'ils ont tous péri dans la tourmente. Nous espérons que leurs enfants survivent et qu'ils seront plus efficaces; mais quand pourrons-nous connaître leurs noms pour commencer à leur rendre hommage?
40) À LA RECHERCHE DE L'ATLANTIDE
Platon la situait au large des Colonnes d'Hercule et la déclarait plus vaste que la Libye et l'Asie mineure tout ensemble. Le capitaine Nemo l'explore au fond de la mer. Un certain nombre d'archéologues actuels imaginent qu'il s'agissait d'un satellite transparent dont l'orbite n'était pas tout à fait géostationnaire d'où des oscillations complexes que l'on n'a pas réussi encore à calculer de façon satisfaisante, qui lui permettaient de monter et descendre un peu comme l'île de Laputa; mais il ne projetait pas d'ombre. C'était un astéroïde de verre en forme d'immense bulle, capté doucement par notre planète et qui se serait rempli d'air en s'enfonçant dans l'atmosphère, d'un peu d'eau en plongeant dans l'Océan. Des navigateurs auraient pénétré à l'intérieur presque sans s'en apercevoir lors de la haute antiquité, auraient conservé des relations épisodiques avec les riverains des deux côtés, ce qui résoudrait certaines énigmes historiques. Quelque collision, avec une grosse météorite sans doute, a produit son explosion en morceaux si petits que les courants les ont charriés sur toutes les plages. Il subsiste quelques fragments d'étoffes qui tournoient dans la stratosphère et que l'on ne sait pour l'instant expliquer autrement.
41) L'ÉVOLUTION DU CIEL
Les fantômes des aviateurs tués lors de cette guerre que l'on croyait bien naïvement la dernière, viennent tournoyer au-dessus des lieux de leur naissance et parmi les nuages rencontrent tous les Indiens de père en fils qui chassent des fantômes de chevreuils. Les dernières générations montées sur des fantômes de chevaux font partager les plaisirs de l'équitation céleste aussi bien à leurs ancêtres qu'à leurs successeurs. Le soir, autour des feux de bûches transparentes, ils se transmettent enseignements et découvertes en essayant d'en faire passer quelques reflets dans les rêves de leurs descendants.
42) L'ARCHIPEL DES MONTGOLFIERES
C'est l'immémorial dessein de toutes les îles que de s'arracher à leur ancrage. Le plus difficile n'est pas de fabriquer les sphères de soie auxquelles se suspendre avec leurs filets et haubans, ce qui nécessite pourtant des années d'élevage, dévidage, filage et tissage, mais de creuser correctement les souterrains indispensables en réservant une épaisseur de roc suffisante pour que l'envol s'effectue sans fracture. Certains peuples imprudents ont dû ainsi abandonner une partie de leur territoire désormais irrémédiablement dévasté par la secousse. Un jour certes on viendra récupérer ces vestiges qui, bien aménagés, remplaceront les navires d'antan pour aller d'un rivage à l'autre, bien plus sensibles aux caprices des vents, bien mieux adaptés pour les déjouer avec leurs voiles orientables, pour descendre aussi jusqu'aux continents qui pourront difficilement suivre notre exemple. Ainsi croisant sur Paris ou Londres nous y expédierons les enfants des écoles pour y visiter les musées.
43) LE PÔLE DES VENTS
Filer au long de ces pentes vertigineuses au travers desquelles nous devinons le Groenland et les îles britanniques. La rotation de la Terre nous entraîne dans sa valse avec toutes ces oriflammes d'averses et d'éclairs dont la palpitation accompagne le moindre de nos virages. Dans les clameurs de ces canyons mobiles, les éruptions de ces cratères et les crissants forages de ces puits, aucun tumulte urbain ne saurait parvenir, aucune explosion même nucléaire. Nous écoutons les nouvelles avec nos casques, regardons les images sur les écrans en grappes qui sont comme l'écume de nos vagues, et nous essayons de crier à nos frères dans leur geôle de géhenne: "pourquoi ne venez-vous pas nous rejoindre sur notre planète de paisibles orages, beaucoup plus vaste que la vôtre qu'elle entoure, dont nous voyons que les rivages ont été dessinés par les musiciens d'une autre ère pour produire lors de nos passages l'hymne d'un orgue souverain? Mais ils font tant de bruit à leur niveau que seuls quelques adolescents nous entendent que les adultes ne comprennent pas.
44) LA NOIRCEUR DES SOURCES
Dans ce profond miroir au fond de la ravine, agité par tous ces courants, algues et monstres, mais seulement au-dessous de la surface qui reste inaltérablement huileuse et lisse, nous découvrons le visage de l'aborigène que notre pâleur habituelle ne réussit plus à masquer. Nos vêtements se dissolvent dans notre image et plus rien ne nous empêche de constater notre faiblesse, la maigreur de nos bras, la hideur de notre ventre enflé, la fatigue de notre sexe. Heureusement quelques poissons compatissants nous prêtent leurs écailles pour moins frissonner. Comme nous voudrions aussi le pelage des lièvres et les plumes des mouettes! Il faut boire quelques gorgées pour que malgré les vêtements qui naturellement nous couvrent toujours, malgré cette pâleur que nous retrouverons dans les autres miroirs, nous conservions intacte la conscience de notre noirceur intime. Le dieu modeleur qui nous a insufflé la parole, a imprégné son argile de naphte et de poussier. Le sang fondamental est noir et ce n'est que dans la blessure qu'il prend la couleur de la braise.
45) LA PYRAMIDE DES ÂGES
Parmi les couturières de l'Apocalypse qui tranchent dans le tissu de nos vies pour nous faire des ailes, le cygne du déluge enroule la sienne autour de l'Amérique du Sud, va chercher au-delà de l'arête ruisselante les pyramides de Tikal et Teotihuacan pour les rabattre sur celles de Djeser et de Snefrou. De même Tihuanaco et Pisac viennent entourer le grand Zimbabwe; les orgies paradisiaques de l'Inde envahissent nos cathédrales. Ainsi l'esprit de l'Histoire planait sur le pentaèdre des eaux dont un Chinois d'Amérique a implanté l'icône dans la cour de notre Louvre. Ainsi les défilés de mode, à l'insu de tous leurs auteurs, acteurs, assistants et clients, convoquent dans leur liturgie, parmi nos chantiers et nos ruines, des hiéroglyphes venus de partout qui s'installent pour banqueter dans notre sommeil, remplissant leurs verres avec nos soucis quotidiens et se racontant leurs souvenirs d'enfance dont nous saisissons quelques bribes par le trou d'une serrure dont nous n'avons jamais vu la clef.
46) LE PARADIS DES VIKINGS
Depuis les plateformes de neige noire ou blanche, nous descendons tour à tour pour accompagner Leif l'heureux dans son voyage perpétuellement recommencé depuis la Norvège, les Hébrides ou le Groenland, à la recherche des terres qu'il avait découvertes et qu'il n'est plus jamais sûr de retrouver. Pendant des siècles cela n'avait pour ainsi dire pas changé: toujours les pierres plates avec les renards argentés, les forêts giboyeuses, les fleuves poissonneux, la vigne et le froment, les superbes falaises et les tribus étranges. Mais depuis les derniers quelle invasion de lumières, d'énormes maisons, de navires de métal dont certains volent avec un bruit de tonnerre! Rêveur il longe les côtes en invoquant non seulement le crucifié dont il était un sectateur, mais les anciens dieux de ses pères, espérant des explications. Jamais ils ne se sont montrés et il continue inlassablement à nous faire parcourir l'énigme changeante, invisible comme nous à ces foules modernes, sans vouloir nous accompagner quand nous remontons à nos banquets pour y chanter nos émerveillements.
47) LE PARAPHE DE CORAIL
Nous ne conserverons pas longtemps ces îles en coup de fouet. Les puissances du Sud vont les atteler à leurs chars pour leur faire balayer les rivages de l'Antarctide à la grande joie des épaulards et des pingouins, puis remonter au long des cordillères et Californies avec un butin d'iceberg pour fertiliser les déserts. Cognant aux vitres du réel comme des moustiques pris au piège, nous assisterons aux noces des blizzards et des alizés, devenant îles nous-mêmes en coup de fouet sur l'océan des foules exaspérées, refuges pour les uns, récifs pour d'autres, occasions de naufrage ou salut, traversant la frontière du siècle pour nous faire inonder de paix.
48) LE DRAGON ET SA FAMILLE
Toujours planant entre les strates, entre les siècles, toujours explorant les moindres recoins pour en extraire les réfugiés avec leurs manuscrits et carnets d'esquisses, faire sauter les cadenas de leurs terreurs, leur proposer monts et merveilles, leur déchiffrer glaciers, moraines et constellations, leur donner des griffes et des ailes, leur enseigner l'art des flammes et des tourbillons pour les adopter enfin, les faire participer aux migrations de la smala, aux perpétuelles opérations de sauvetage, aux chants de la rescousse et de la guérison.
49) EN PENTE DOUCE
Une flûte de Pan pour charmer ces falaises, les claviers d'un orgue pour les renverser. Une gaze sur ces ravins, ces rochers, ces villages pour les faire mijoter dans la marmite de nos lacs sorciers. Les filles de l'arc-en-ciel essaient les pistes pour leurs atterrissages à la poursuite des chevreuils et des adolescents solitaires qui fuient l'école. Des fleurs adoptent leurs couleurs à leur passage et il leur suffit de toucher les murs pour que les affiches les pavoisent avant que la pluie les adoucisse au cours des longues soirées d'automne. Le sari de la Terre se relève en plis soyeux dans un abandon provisoire avant les prochaines tempêtes.
50) LA DERNIERE FOIS
C'est promis; nous ne recommencerons plus. La cueillette de ces champignons est trop dangereuse. Il suffit d'une fausse manoeuvre. Nous n'avons que trop d'exemples. D'ailleurs, vous le savez bien, nous les avons ramassés, mais c'était en jurant de n'y pas goûter. Si d'autres veulent nous en acheter, nous ne pouvons les en empêcher; les temps sont durs; et s'ils ne sont pas capables de s'apercevoir qu'ils sont mortels, tant pis pour eux; nous avions d'excellents manuels à leur disposition. De même nous mettons au point des bombes, mais c'est pour ne pas les faire éclater. Sauf dans quelques années naturellement, car il faudra bien s'en débarrasser si nous n'avons pas trouvé preneur d'ici là. Serait-il juste que seuls nos territoires soient interdits à la navigation? Bientôt ce seront tous les océans. Alors, c'est promis; nous ne recommencerons plus.
Dans un jardin de jeunes fillesbonjour!
qui se laissaient photographier
chemins
au bord des cascades et lacs
cheveux
devant le vitrail de l'automne
érables
en compagnie d'un vieux héron
rayons
tel un indien méditatif
reflets
une exposition de beaux livres
sourires
en américain et français
Une autre en la ville à côté
plus tard
dans un autre jardin d'études
questions
purement féminin jadis
fêlures
lui aussi mais dorénavant
fissures
lui aussi dédale d'amours
secrets
où muse une minorité
lectures
de jeunes hommes ne sachant
miroirs
dans quels regards perdre les leurs
Dans une séduisante auto
espace
avec bar près du conducteur
azur
louée à Boston mais marquée
détours
d'une plaque du centre nord
valises
Minnesota état de lacs
oiseaux
ce qui nous caractérisait
envers
comme gens venus de fort loin
misères
excusant un peu nos impairs
Après mainte solennité
soirées
festivités d'ébriété
photos
trinquant vins de Californie
essence
et même des Côtes du Rhône
regards
nous avons enfilé les routes
clochers
comme aiguilles perçant les plis
silos
du paysage forestier
colonnes
à clairières de beaux villages
Nous arrêtant à l'un d'entre eux
jardins
bâti par une secte ancienne
fraîcheur
furieusement célibataire
détails
et féministe en même temps
salut
adoptant les enfants d'autrui
maïs
pour les éduquer dans le goût
fenêtres
de l'ouvrage simple et bien fait
lumières
jusqu'à la proche fin du monde
Aussi un musée dans les bois
virages
avant de franchir la rivière
drapeaux
tandis que le soir descendait
affiches
rapidement sur la banlieue
camions
entre Albany et Troy la neuve
enseignes
où nous avons trouvé refuge
homards
pour notre voiture et nous-mêmes
sommeil
aux limites d'une cité
Au matin faisant infuser
faubourgs
les sachets de thé dans nos tasses
usines
nous considérions les dégâts
chaleur
laissés par la passion d'un match
boissons
qu'avait retransmis la télé
tabac
au milieu du décor fluo
moirures
évoquant les splendides villes
étoiles
avant de reprendre la route
Nous enfonçant toujours vers l'Ouest
serpents
dégustant raisonnablement
torrents
les vins délicats du New York
chevaux
nous avons fini par atteindre
tableaux
la pauvre bourgade où Mark Twain
barrières
a écrit Huckleberry Finn
fumées
et nous rêvions à la frontière
déserts
en longeant la prison vétuste
Nous avons profité d'un jour
feuillage
encore de liberté pour voir
vitrail
l'étincelant musée du verre
dédale
c'était là notre pointe extrême
aiguilles
puis après devoirs de colloque
discours
il a fallu se séparer
automne
deux par deux par divers chemins
adieux
vers nos gîtes cisatlantiques
ALLER-RETOUR D'AUTOMNEUn arc-en-ciel de cheveluresvoguant d'un bâtiment à l'autre
parmi les derniers chrysanthèmes
et les étoiles écarlates
des feuilles d'érable tombant
sur les trottoirs et les pelouses
Un arc-en-ciel d'yeux grands ouverts
fouillant la montée du matin
en révisant dans les manuels
les séminaires de la veille
où les souvenirs de vacances
estompaient la voix magistrale
Un arc-en-ciel de pull-overs
d'écharpes et de pantalons
en conversations et fous rires
en mélancolie de saison
passant de gymnase en piscine
en frôlant les bibliothèques
Un arc-en-ciel de sports et jeux
souvent les plus inattendus
photos d'équipes souriantes
victoires et trophées d'antan
libertés durement conquises
autour des ballons et maillots
Un arc-en-ciel d'années passées
évolution des vêtements
des coiffures et des boissons
danses plaisanteries chansons
qu'on répétait sans se lasser
fermentant au fumier d'oubli
Un arc-en-ciel d'événements
campagnes inaugurations
les guerres de l'autre côté
des océans bombardements
des nouvelles à n'y pas croire
occupations libérations
Un arc-en-ciel de glas et deuils
commémorations testaments
retour des quelques survivantes
rides blancheurs et tremblements
hochements de tête ironiques
avec sourires attendris
Signal du départ: bien protégé dans son tabernacle de toile préparée pour la peinture, le ciboire avec l'hostie-soleil brouillé parmi les volutes d'encens.
Érables et trembles.
L'aéroport de Luxembourg, vols directs pour New-York; timbre: paysage de Joseph Kutter, pressentiment de l'hiver avec traces de voitures dans la neige fondante, et ciel plombé; tampon: protégeons les poissons d'eau douce; devise: (heureux) comme un poisson dans l'eau.
Galoches et capuchons.
Pause au bar-restaurant la Promenade à Toulon-sur-Arroux, Saône-et-Loire, en direction de Clermont-Ferrand, avec vue sur l'église XIXème.
Un rayon lavé dans l'écume.
L'Auvergne pittoresque: vue aérienne sur la chaîne des dômes; la voix cherchant sa voie - la voie trouvant sa voix.
Les bulles des volcans réveillent les chansons.
Leçons de flûte à Paris avec un concertiste anglais de renommée internationale.
Pan réchauffe Syrinx avec son souffle indien.
Piétinement créatif d'oeuvres en gestation, sur le puy de Lassolas, tel le foulage des grappes autrefois après la vendange.
Bourrée en bourrasques, martèlement d'encre et de moût.
Un vieux bureau catalan assailli de paille récente; l'administration des chaumes et chômages.
L'effervescence des glaneuses sous l'averse des formulaires.
Empreinte avec arborescences, accompagnant les quatre exemplaires encore vides d'écriture, de l'ouvrage au retour de New-York. Sur la couverture un poisson à la recherche de sa forme. A l'intérieur un nuage entre deux fleurs plus ou moins couvertes de rosée. Puis le confort de l'âtre au retour de la chasse avec un sceau de cire blanche juste tombée de la bougie.
La rose des vents nous conduit au port moussu de fourrures salées.
Se dégageant à grand-peine du cauchemar des négriers, le coeur ouvre une fenêtre dans la serrure nantaise. C'est le chemin de la maison.
Sûrement je l'ai rencontréce personnage quelque part
m'interpellant insolemment
comme si nous étions intimes
Narquois fredonnant dans sa barbe
il veut défaire mes cheveux
habitant miroirs et silences
cherche à m'attirer dans leurs draps
Maintenant je suis protégée
par les honneurs du vernissage
mais quand Michel s'endormira
je le rejoindrai sous la vitre
Après tant d'efforts pour changerl'accablant train de nos affaires
merci aux pierres d'être là
pour la pause qu'elles proposent
Les révolutions maritimes
fouillent les menhirs de mon crâne
pour activer le feu Saint-Elme
explorant l'âtre des cavernes
Et je traduis les labyrinthes
du salpêtre divinatoire
arpenteur d'astre terraqué
ours transformant l'énigme en miel
Comme dans le septième cerclede l'Enfer au second giron
s'échappent des arbres humains
sang et paroles à la fois
Ainsi tout au long des parois
du château des livres blessés
perlent des lames et des souffles
venus d'avant les alphabets
Mais des pétales d'inscriptions
s'ouvrant dans les bourgeons poisseux
montent les parfums des rivages
par tant de naufrages rêvés
Idole de zinc vénéréedans les buanderies d'antan
sur les braises entretenues
par les vestales tournoyant
dans les bras des brouillards acides
ombilic de la propreté
tressaillant aux bouillonnements
comme sur un ventre danseur
dont les entrailles emmêlées
fouillaient leurs douleurs et noirceurs
Puis la chaleur s'adoucissait
les sages-femmes enfonçaient
leurs mains dans les eaux maternelles
pour dégager tordre et détordre
linges rideaux et vêtements
vieillards décrépits rajeunis
dans la fontaine des soupirs
se balançant dans les vergers
souriant comme des bébés
aux baisers de l'astre phénix
Si je sors par la porte je vais jusqu'à la villeje reviens par derrière pour apporter les provisions
Si je contourne le décor j'admire la machinerie
quand je me retrouve à ma place j'imagine un autre spectacle
Si je traverse l'horizon je trouve mers forêts déserts
ainsi poursuivant le matin je me baigne dans le miroir
Après océans d'horizons forêts de patries foules de déserts
je découvre mon origine avec les yeux du lendemain
CHEMIN DE TABLE1)Je lève mon verre
au jour qui passe
au soir qui tombe
à la nuit qui vient
au bon matin
au lendemain
à la semaine qui tourne
au jour suivant
à la semaine qui s'achève
au mois qui s'effeuille
à la saison qui passe
à la semaine prochaine
au mois qui s'achève
à la saison qui tourne
à l'an qui passe
à la semaine suivante
au mois prochain
à la saison qui s'effeuille
à l'an qui tourne
au siècle qui passe
à la saison qui s'achève
à l'an qui s'effeuille
au siècle qui tourne
au millénaire qui vient
2)
A la santé
des nouveau-nés
des nouveaux rieurs
des nouveaux marcheurs
des nouveaux parleurs
des nouveaux joueurs
des nouveaux écoliers
des nouveaux lecteurs
des nouveaux étudiants
des nouveaux conducteurs
des nouveaux voyageurs
des nouveaux découvreurs
des nouveaux amoureux
des nouveaux enlacés
des nouveaux parents
des nouveaux grands-parents
des nouveaux sages
3)
Pour célébrer
la distillation
l'agriculture
la verrerie
la cartonnerie
l'impression
la passementerie
la teinture
la peinture
l'écriture
l'encadrement
l'exposition
4)
En attendant
l'annonce
le signal
le démarrage
l'essor
l'envol
l'inspiration
la guérison
la délivrance
la libération
la transformation
la métamorphose
Depuis les cuisines profondesnous parviennent les processions
de jeunes filles aux seins nus
apportant des coeurs de palmier
Dans les citrouilles évidées
pour un potage à la cannelle
frétillent encore hippocampes
harnachés de noix et piments
Marmitons au pagne ocellé
la queue de renard sur l'oreille
comme dans Riquet à la houppe
font rôtir daims et phacochères
Accordéons et marimbas
encouragent leurs mouvements
parmi les orages de plumes
et les batteries embrasées
De petits wagons pour les sauces
tirés par des locomotives
où l'on fait brûler de l'encens
sous des chaudières de genièvre
Depuis les vignobles ambrés
roulent doucement des tonneaux
que percent jeunes échansons
pour emplir gobelets d'étain
Une fois le soleil couché
ci-devant serveurs et convives
échangeront leurs tabliers
pour le chapitre des douceurs
Tandis que les instrumentistes
s'approcheront du bord du lac
relayant chanteurs et diseurs
aux échos des feux d'artifice
Le sommeil se mêle aux vapeurs
tous les fantômes s'attendrissent
la Lune emporte les reliefs
pour paître les troupeaux du ciel
L'ange de la gastronomie
passe entre deux arrière-goûts
et les chiens de l'astronomie
pourlèchent leurs mathématiques
Par une belle journée de la fin du dix-septième siècle à Delfttandis que Jan Vermeer peignait son Astronome et son Géographe
que d'aucuns appellent philosophe, géomètre, astrologue ou mathématicien
Antoni van Leeuwenhoek découvreur du spermatozoïde
eut l'idée d'adapter à l'un de ses microscopes à lentille unique
pour lesquels il a conservé son secret de fabrication
l'oeil d'une libellule à travers lequel il observa la vieille église
qui se multiplia sous son regard comme si elle agitait ses ailes et s'envolait
Par une belle journée de la fin du vingtième siècle à Lucinges
arpenteur de la planète et de ses interrogations
nommé par d'aucuns oiseau des marais, ermite à mi-hauteur, antifantôme ou quasimodo
j'ai adapté à l'un de mes stylos des morceaux de cartes postales plus ou moins anciennes
perforés de trous circulaires sonde acoustique
pour tenter de décrire quelques-unes au moins des surprenantes réminiscences éparses dans la langue et l'air
qui venaient tournoyer autour de mes oreilles devenues mobiles et sensibles comme celles des chiens
obsédantes et caressantes, illuminatrices et incitatrices
comme si elles m'adoptaient
AU FIL DES ANNÉESSi loin que je sois alléalgues archipels et barques
dans mes périples sur Terre
colonnes filets et nuages
d'un océan dans un autre
bulles tiges et triangles
en longeant les continents
visages torses et lustres
sous toutes constellations
plumes chevaux gouttes verres
Dans mes périples sur Terre
archipels rochers empreintes
en longeant les continents
gouttes nodosités fleurs
réchappant de maint péril
pédoncules chants et voiles
au cours de mes aventures
danses nacres et chevaux
je n'ai jamais rencontré
tels détours vagues fourrés
D'un océan dans un autre
barques masques et bouquets
sous toutes constellations
verres écorces rosées
en longeant les continents
cordes vagues et sentiers
au cours de mes aventures
coquilles rouilles et soies
je n'ai jamais navigué
parmi tels éclairs et dômes
En longeant les continents
nuages plages et fenêtres
dans mes périples sur Terre
orgues rochers et cristaux
réchappant de maint péril
rouages fourrés signaux
je n'ai jamais déchiffré
tels dômes perles vapeurs
sous toutes constellations
refuges bourgeons filets
Je n'ai jamais pu nager
parmi tels rayons et flûtes
en longeant les continents
cordes empreintes et mains
au cours de mes aventures
masques épines cadrans
d'un océan dans un autre
plages lames et reflets
je n'ai jamais retrouvé
tels ombres ailes passages
Dans mes périples sur Terre
tiges trilles et murailles
réchappant de maint péril
nodosités déchirures
je n'ai jamais exploré
tels fourrures et bouquets
sous toutes constellations
flûtes écritures foules
au cours de mes aventures
bourgeons envols et drapés
En longeant les continents
triangles fougères braises
au cours de mes aventures
fleurs lichens algues échelles
d'un océan dans un autre
rosée houilles et torrents
je n'ai jamais pu plonger
parmi tels lagons fenêtres
si loin que je sois allé
parmi nageoires et palmes
Réchappant de maint péril
torses feuilles et regards
je n'ai jamais rencontré
tels chants ongles et virages
sous toutes constellations
écorces moires sursauts
au cours de mes aventures
astéries orgues ivoires
en longeant les continents
émaux chevelures bruits
Je n'ai jamais contemplé
tels échos miroirs et lustres
au cours de mes aventures
voiles anémones jades
en longeant les continents
cordes émeraudes algues
je n'ai jamais débarqué
parmi tels archipels pluies
dans mes périples sur Terre
cristaux filets barques nuages
Je n'ai jamais délivré
tels oiseaux tiges triangles
sous toutes constellations
chevaux torses lustres bulles
au cours de mes aventures
sentiers gouttes dômes verres
en longeant les continents
cavalcades et signaux
si loin que je sois allé
chants fenêtres mains sursauts
PULSATIONUn petit réveillon campagnardpour aider à fermer la porte
de l'an passé
où l'on nous a tant répété
que frémissait la reprise
mais en se gardant bien
de préciser laquelle
Bûches dans l'âtre
tintements de verres
bêlements au petit matin
De retour dans notre métro
nous voyons se précipiter
la fin du siècle
tandis que la paix
craque de partout
Un fil de notre sang suture
les blessures du calendrier
Voici nos voeux pour de justes machines
qui aboliraient le fouet du travail
après des millénaires de tuerie
un frémissement différent
IN ICTU OCULILa nuit le jour la nuittrois cent soixante-cinq fois
la ville se remplit et se vide
les vagues du rêve
lissent les plages du cerveau
lueurs et plaisirs
puis le millésime tombe
comme un glas
in memoriam Gustave Flaubert et Juan Valdès Léal
I)
S'étalant toute une longue vie
qu'on aimerait plus longue encore
la paresse déroule ses tentations
Crissements
Du côté du désert
comme des plages
qui se succéderaient
La nappe de byssus striée
comme les bandelettes des sphinx
produit d'elle-même
D'immenses ondulations
parallèles
d'un blond cendré
Débordement de convoitises
viandes vins étuves
esclaves et honneurs
S'étirent
les uns derrière les autres
en montant toujours
Les lions passent et reviennent
d'un rapide mouvement
continu
Au-delà des sables tout au loin
la chaîne libyque
forme un mur
Au ras du sol des feuilles
des pierres des coquilles
des branches d'arbres
Couleur de craie
estompées légèrement
par des vapeurs violettes
Etendu comme un nageur
deux grandes ailes ouvertes
semblant un nuage
Le soleil s'abaisse
le ciel dans le Nord
est d'une teinte gris perle
Des phosphorescences brillent
à la moustache des phoques
aux écailles des poissons
Au zénith des nuages de pourpre
disposés comme les flocons
d'une chevelure gigantesque
Chuchotements
Brusquement
le couperet tombe
au milieu d'un soupir
II)
Ruisselant toute une longue minute
qu'on espérerait plus durable
la gourmandise distille ses salives
Craquements
Des ondulations lumineuses
d'énormes quartiers
de viandes rouges
Banquets parfums
des femmes nues
et des foules applaudissant
De grands poissons
des oiseaux avec leurs plumes
des quadrupèdes avec leurs poils
Le plus grand lion
se met à rugir
une vapeur sort de sa gueule
Des fruits
d'une coloration
presque humaine
Des idoles de toutes les nations
et de tous les âges
les plus vieilles antérieures au déluge
Des morceaux de glace blanche
et des buires de cristal violet
se renvoient leurs feux
Le foudre éclate
l'horizon s'élargit
les fleuves s'entrecroisent
Au milieu de la table
un sanglier fumant
par tous ses pores
Des oursins
tournent
comme des roues
Les pattes sous le ventre
les yeux à demi clos
et l'idée de pouvoir manger
S'allongeant sous la voûte bleue
les rais de flammes
se rembrunissent
Des choses jamais vues
des hachis noirs
des gelées couleur d'or
Roucoulements
Traîtreusement
le verre se brise
au milieu d'une gorgée
III)
Thésaurisant toute une longue respiration
qu'on désirerait inépuisable
l'avarice attise ses braises
Grincements
Des barreaux
font des lignes noires
sur un fond bleu
D'autres lions un ours trois panthères
qui se dispersent
comme un troupeau dans la prairie
Le bourdonnement d'une foule
et la splendeur d'un jour d'été
des voix aiguës
En bois en métal en granit
en plumes en peaux cousues
avec de hauts panaches
Des pastèques de l'eau
des boissons à la glace
des coussins d'herbe pour s'asseoir
Cette tache blonde
c'est le désert
cette flaque d'eau l'Océan
Un long mugissement
fort et caverneux
comme le bruit de l'eau dans un aqueduc
Des cornes d'Ammon
se déroulent
comme des câbles
Une ligne de sandales
des jambes nues
et des franges de pourpre
Les parties d'azur
prennent un pâleur nacrée
les buissons les cailloux la terre
Des couronnes de mondes
étagées symétriquement
vont s'élargissant
Des ragoûts où flottent des champignons
comme des nénufars
sur des étangs
Des escaliers qui rayonnent vers le centre
coupent à intervalles égaux
les grands cercles de pierre
Tintements
Sournoisement
le coffre se vide
au milieu d'un chiffre
IV)
Tonitruant tout un long moment
que l'on penserait séculaire
la colère brandit ses fureurs
Rugissements
Une plaine aride et mamelonneuse
comme on en voit
autour des carrières abandonnées
Des yeux en boules
des bras terminés par des griffes
et des mâchoires de requins
Des formes blanches
plus indécises que des nuages
entre les tombes
Voici les pays noirs
qui fument
comme des brasiers
Des yeux brillent
dans la fente des longs voiles
au-dessus des pas nonchalants
Des huîtres
font crier
leurs charnières
Le front dans les mains
le corps tout à plat
les bras étendus
Tout
paraît dur
comme du bronze
Les sanglots qu'ils retiennent
soulèvent leur poitrine
à la briser
Des mousses si légères
qu'elles ressemblent
à des nuages
Parfums qui s'exhalent
ils se racontent les histoires
de leurs martyres
Chevaliers sénateurs
soldats plébéiens
vestales et courtisanes
La douleur s'exalte
les libations redoublent
on balbutie d'ivresse et de désolation
Éclatements
Impitoyablement
le fouet claque
au milieu d'un cri
V
Épiant toute une longue seconde
que l'on voudrait croire millénaire
l'envie électrise ses aiguilles
Aboiements
Devant des dieux
on égorge des hommes
sur des autels de pierre
Voici la zone des neiges
toujours obscurcie
par des brouillards
D'autres broyés dans des cuves
écrasés sous des chariots
cloués dans des arbres
Des polypes
déploient
leurs tentacules
La vallée devient
une mer de lait
immobile et sans bornes
Et dans l'espace
flotte une poudre d'or
tellement fine qu'on en respire
Au milieu se balance un berceau
composé par les enroulements
d'un long serpent
L'arome de tout cela
apporte l'odeur salée
de l'Océan
Toutes les têtes
s'inclinant à la fois
ombragent un dieu endormi
En capuchons de laine
en manipules de soie
en tuniques fauves
Un jeune dieu imberbe
plus beau qu'une fille
et couvert de voiles
Peu à peu
les yeux noyés de larmes
se fixent les uns sur les autres
Une femme
accroupie devant ses pieds
attend son éveil
Balbutiements
Insidieusement
le câble se rompt
au milieu d'un mot
VI)
Se pavanant tout un long instant
que l'on voudrait bien perpétuel
l'orgueil agite ses éventails
Grésillements
La Terre une boule d'azur
qui tourne sur ses pôles
en tournant autour du Soleil
Des méduses
frémissent pareilles
à des boules de cristal
La Lune morceau
de glace tout rond
plein d'une lumière immobile
Le ciel est rouge
la Terre est complètement noire
sous les rafales du vent
Des bords du Soleil s'échappent
de hautes flammes à étincelles
qui se dispersent en mondes
La fraîcheur des fontaines
le grand parfum des bois
les vins se mettent à couler
Les astres se multiplient
la Voie lactée se développe
comme une immense ceinture
Avec des aigrettes de pierreries
des panaches de plumes
des faisceaux de licteurs
Des trous par intervalles
des espaces de ténèbres
des pluies d'étoiles
Les mains se touchent
les lèvres s'unissent
les voiles s'entrouvrent
Des traînées de poussière d'or
des vapeurs lumineuses
qui flottent et se dissolvent
Se décuplent se multiplient
des bras au bout de leurs bras
des mains tendant des étendards
La Croix du Sud et la grande Ourse
le Lynx et le Centaure
la nébuleuse de la Dorade
Applaudissements
Implacablement
le navire sombre
au milieu du rire
VII)
Transpirant tout un long clin d'oeil
que l'on ne peut croire éternel
la luxure diversifie ses caresses
Grondements
Des éponges flottent
des anémones
crachent de l'eau
Des traînées de sable se lèvent
comme de grands linceuls
puis retombent
Des mousses des varechs ont poussé
toutes sortes de plantes
s'étendent en rameaux
Le sang dans les plats bouillonne
la pulpe des fruits s'avance
comme des lèvres amoureuses
Se tordent en vrilles
s'allongent en pointes
s'arrondissent en éventails
Grouillant criant
tumultueux et furieux
comme une immense cuve bouillonnante
Des courges ont l'air de seins
des lianes s'enlacent
comme des serpents
On se mêle sur les tombes
entre les coupes et les flambeaux
le ciel commence à blanchir
Des cailloux ressemblent
à des cerveaux
des stalactites à des mamelles
Des haches des boucliers des épées
des parasols et des tambours
des fontaines jaillissant des paupières
Des fleurs de fer
semblables à des tapisseries
ornées de figures
Toutes les planètes tous les astres
que les hommes plus tard
découvriront
Les diamants clignent
comme des yeux
et les minéraux râlent
Gémissements
Ironiquement
le courant cesse
au milieu d'un spasme
Toute la volière en ébullitionplumes graines gouttes partout
pépiements et criailleries
sur le sable de la page sautillements
Derrière le rideau du bruit pétillant
on établit un refuge de silence
pour préciser les plans en affûtant les gestes
c'est le conciliabule de la libération
Il faut tendre l'oreille à tous les murmures
s'exercer sans relâche à toute résistance
identifier espions et traîtres
et tenter de les réconcilier
Quelques-uns seulement entrouvriront la grille
et trouveront le chemin de la fenêtre
pour prendre leur essor au-delà des murs
et renouer enfin avec la migration
Mais tous les autres jusqu'aux plus
défavorisés auront senti passer
l'aile de l'aventure et la plume du récit
tournant comme les gonds du temple de Janus
Le rayon s'est laissé prendreau piège des escaliers
de l'autre côté des poutres
il fouille les espaliers
où les pommes des années
mûrissent leur connaissance
Un arc-en-ciel de poussière
enrobe les souvenirs
au paradis de l'enfance
des parents et grands-parents
jouets brisés tableaux crevés
les vieux cahiers d'écriture
Tandis que le rossignol
s'installe sur la croisée
dans les ténèbres nacrées
volètements et stridences
des chauves-souris fidèles
au-dessous la maison dort
La mer de sable au milieu du Valoisdes phrases de plage se faufilent
entre les bourgeons mouillés
le désenchantement s'enchante
en roulant parmi les clochers
le silence au loin se décline
en contrepoint des souvenirs
des philosophes téméraires
dans leurs académies lunaires
Le mer de blé au milieu des rochers
les mots de farine s'insinuent
entre coquelicots ardents
renversement des déceptions
en flânant parmi les collines
l'innocence au loin se récite
en confidence les extraits
des alchimistes littéraires
dans leurs labyrinthes solaires
La mer du soir au milieu des roseaux
les lettres d'écume se dispersent
entre les frondaisons rousses
l'enchanteur détourne les sorts
en voguant parmi les rayons
l'ignorance enfin se dénude
au miroir des polyphonistes
dans leurs cavalcades stellaires
La mer de neige au milieu des nuages
les signes de sel se déposent
entre les pages déchiquetées
givre et dégel des éventails
se poursuivant dans les ténèbres
l'impermanence ouvre ses ailes
au blizzard des actualités
vers les horizons réfractaires
où germent les flammes polaires
De même que le monde visible, selon Jacob Boehme, en la préface du Mysterium magnum, est symbole du monde invisible, ainsi l'oiseau de l'encre, lorsqu'il se pose sur la page, y fait chanter toute la forêt de l'atelier, et par le poignet de l'artiste, agitant calame ou pinceaux, passe tout le reste de son corps et jusqu'aux tréfonds de son coeur où il ne pénètre lui-même qu'avec tremblement,tout ce qu'il pouvait voir et aurait pu nous montrer si nous avions été avec lui, mais aussi ce qui s'étendait de l'autre côté de la fenêtre ou attendait sur le seuil, ce que fermait la veille, ce qui devait s'ouvrir le lendemain, abandons du matin, sursauts du soir, ce que cachaient le sol et la Terre, le plafond et le Ciel, protubérances et protozoaires, galaxies violentes et combats virulents;
et puis le messager assoiffé repart pour lamper une nouvelle gorgée d'élixir noir ou blanc, ou de toutes les autres nuances dans l'inépuisable pharmacothèque des écritures.
J'ai laissé deux yeux d'encre sur le dur pré de bétonoù séchait la lessive d'un livre
c'est comme s'il était devenu un miroir grossissant à mémoire
voulant y conserver une partie de mon regard pendant mon voyage
non certes pour m'empêcher de voir mais au contraire
donner à la lumière d'Espagne méditerranéenne
un arrière-fond d'Ardenne sylvestre et brumeuse
pour me permettre de découvrir la fleur noire
dont l'odeur brise les verrous
à travers les pièges de la clarté
et donc d'ouvrir la porte du jardin des buissons ténébreux
où la vérité appelle à tous les sombres échos
pour retrouver son sourire énigmatique enfoncé
sous tant de sanglants oripeaux
tandis que la croix redevenue instrument de supplice aux carrefours
creuse le ciel de sa phosphorescence renouvelée
au-dessus de la vallée des ombres
grouillements suies myriades refletsSommainre n° 7 :routes baves siècles bûchers
tombeaux sèves flambeaux fleuves
Je ne me suis jamais enfoncé dans les grouillements de l'Inde, mais ses vaches taciturnes hantent mes rêves.
Dans la nuit des bouses je cherche mon chemin vers les flambeaux.
routes myriades siècles baves
tombeaux bûchers flambeaux sèves
villages fleuves fenêtres grincements
Je n'ai jamais parcouru les routes de l'Inde, mais le tremblement de ses camions secoue mon sommeil.
Les plis des tuniques captent la lumière des fenêtres.
tombeaux baves flambeaux bûchers
villages sèves fenêtres fleuves
voiles grincements salons forêts
Je n'ai jamais vu les tombeaux de l'Inde, mais les étoiles de leurs écrans tournent dans mon ciel.
Les ombres dévorées par les rayons longent les salons funèbres.
villages bûchers fenêtres sèves
voiles fleuves salons grincements
palais forêts plumes respirations
Je n'ai jamais erré dans les villages de l'Inde, mais leurs vautours déchirent mon foie.
Les vaches les plus saintes finissent par s'effondrer parmi leurs plumes.
voiles sèves salons fleuves
palais grincements plumes forêts
tapis respirations arcades brumes
Je n'ai jamais soulevé les voiles des automobiles de l'Inde, mais le ronflement de leurs moteurs habite mon silence.
Le nain princier nous invite à nous courber pour franchir les hautes arcades.
palais fleuves plumes grincements
tapis forêts arcades respirations
labyrinthes brumes kiosques tintements
Je n'ai jamais visité les palais de l'Inde, mais les troupeaux qui les entourent broutent mes instants de répit.
Le marchand de pneus attend le passage du conducteur dans son kiosque bigarré.
tapis grincements arcades forêts
labyrinthes respirations kiosques brumes
murs tintements couleurs rêves
Je n'ai jamais traîné les pieds sur les tapis de l'Inde, mais leurs jardins se réfléchissent dans mes ruisseaux.
Le racloir et la pluie ravivent les couleurs.
labyrinthes forêts kiosques respirations
murs brumes couleurs tintements
pelages rêves verrous sommeils
Je n'ai jamais cherché l'issue des labyrinthes de l'Inde, mais certains signes déjà m'éclaircissent la voie.
La parque nous épie appuyée au verrou.
murs respirations couleurs brumes
pelages tintements verrous rêves
haleines sommeils ombres ruines
Je n'ai jamais longé les murs de boue de l'Inde, mais je retrouve leurs reliefs dans mainte région de ma peau.
Le dromadaire peint salue l'ombre de son modèle.
pelages brumes verrous tintements
haleines rêves ombres sommeils
citadelles ruines poils courses
Je n'ai jamais caressé les pelages de l'Inde, mais leurs éclairs éclatent dans ma fatigue.
L'épine dorsale dispose ses montagnes au-dessus des forêts de poils.
haleines tintements ombres rêves
citadelles sommeils poils ruines
regards courses départs palmes
Je n'ai jamais respiré les haleines de l'Inde, mais ses bijoux tintent dans mes surprises.
Les fantômes se hissent derrière le mur pour saluer celle qui part.
citadelles rêves poils sommeils
regards ruines départs courses
pépites turbans glacis soies
Je n'ai jamais approché les citadelles de l'Inde, mais leurs briques me télégraphient leurs lézardes.
La procession fait rouler ses malheurs sous les glacis.
regards sommeils départs ruines
pépites courses glacis palmes
étables turbans cérémonies soies
Je n'ai jamais plongé mes regards dans ceux de l'Inde, mais ses chauves-souris volettent autour de ma tête.
Le jeune marié serre son poignard au terme de la cérémonie.
pépites ruines glacis courses
étables palmes cérémonies turbans
étoiles soies pierrailles sandales
Je n'ai jamais flairé les étables de l'Inde, mais leurs mugissements accompagnent mes randonnées.
L'ombre s'approfondit dans les portes des cours.
étables courses cérémonies palmes
étoiles turbans pierrailles soies
bouges sandales cours mugissements
Je n'ai jamais observé les étoiles de l'Inde, mais les rayures de son ciel enveloppent ma peau.
La main caresse les cuves des sciences.
étoiles palmes pierrailles turbans
bouges soies cours sandales
vapeurs mugissements sciences franges
Je n'ai jamais flâné dans les bouges maritimes de l'Inde, mais les épices de leurs comptoirs relèvent mes attentes.
Les tours des Portugais surveillent les vagues.
bouges turbans cours soies
vapeurs sandales sciences mugissements
faubourgs franges vagues charognes
Je n'ai jamais baigné dans les vapeurs de l'Inde, mais les torsions de ses lessives essorent mes nuages.
Les linges mijotent dans leurs chaudières vibrantes.
vapeurs soies sciences sandales
faubourgs mugissements vagues franges
hôtels charognes chaudières ordures
Je n'ai jamais fait de rencontres dans les faubourgs de l'Inde, mais ses saris et blouses me font miroiter des conversations inouïes.
La route file entre les enseignes brûlantes.
faubourgs sandales vagues mugissements
hôtels franges chaudières charognes
bébés ordures enseignes sueurs
Je ne me suis jamais douché dans les hôtels de l'Inde, mais ses geckos grattent les stores de mes étés.
La goutte illuminera les yeux dans les brouillards.
hôtels mugissements chaudières franges
bébés charognes enseignes ordures
spectacles sueurs brouillards suies
Je n'ai jamais tenu dans mes bras les bébés de l'Inde, mais l'angoisse au fond de leurs yeux ronge mes pages.
Les pêcheurs hissent leurs filets pleins d'écailles.
bébés franges enseignes charognes
spectacles ordures brouillards sueurs
rivages suies écailles myriades
Je n'ai jamais assisté aux spectacles de l'Inde, mais leur maquillage ensorcelle mes miroirs.
La tête peinte tourne sur le torse ruisselant.
spectacles charognes brouillards ordures
rivages sueurs écailles suies
religions myriades torses baves
Je n'ai jamais suivi les rivages de l'Inde, mais le clapotis de leurs ondes ourle mes méditations.
La lampe maintient la nuit sur les voiles du jour.
rivages ordures écailles sueurs
religions suies torses myriades
fruits baves jours bûchers
Je n'ai jamais pratiqué les religions de l'Inde, mais les merveilles de leurs offrandes brûlent mes yeux.
Le danseur terrible fait couler ses baumes sur les dévotions.
religions sueurs torses suies
fruits myriades jours baves
trains bûchers dévotions sèves
Je n'ai jamais cueilli les fruits de l'Inde, mais leurs couleurs teignent les cuivres de mes soirs.
Le pied cherche le coeur des itinéraires de craie.
fruits suies jours myriades
trains baves dévotions bûchers
illuminations sèves itinéraires fleuves
Je n'ai jamais utilisé les trains de l'Inde, mais leurs secousses tamisent mes graviers.
Les mains dessinent le visage d'or.
trains myriades dévotions baves
illuminations bûchers itinéraires sèves
enceintes fleuves visages grincements
Je n'ai jamais contemplé les illuminations de l'Inde, mais elles envoûtent celles de nos palaces balnéaires.
L'éclat des perles de métal fait ressortir celui des yeux.
illuminations baves itinéraires bûchers
enceintes sèves visages fleuves
stèles grincements yeux forêts
Je n'ai jamais escaladé les enceintes de l'Inde, mais le sang de leurs ruelles coule sur mes mains.
Le bus traverse l'esplanade rouge dans la désolation des souvenirs.
enceintes bûchers visages sèves
stèles fleuves yeux grincements
jeux forêts souvenirs respirations
Je n'ai jamais poli les stèles grasses de l'Inde, mais leur fermeté redresse mes membres.
Les doigts se multiplient comme des branches d'arbres.
stèles sèves yeux fleuves
jeux grincements souvenirs forêts
oiseaux respirations arbres brumes
Je n'ai jamais participé aux jeux de l'Inde, mais les fuseaux de ses sanctuaires filent le coton de mes jours.
L'irrésistible fraîcheur convie les plongeurs à l'infini.
jeux fleuves souvenirs grincements
oiseaux forêts arbres respirations
sables brumes infini tintements
Je n'ai jamais apprivoisé les oiseaux de l'Inde, mais leur plumage balaie mon écriture.
Toute une famille prête à gravir les pyramides funèbres.
oiseaux grincements arbres forêts
sables respirations infini brumes
sages tintements pyramides rêves
Je ne me suis jamais étendu sur les sables de l'Inde, mais leurs grains crissent dans tous les rouages de mon cerveau.
Les buffles joueurs roulent dans les vagues le père et l'enfant.
sables forêts infini respirations
sages brumes pyramides tintements
chevaux rêves enfants sommeils
Je n'ai jamais interrogé les sages de l'Inde, mais leur patience prolonge mes questions.
La foule endimanchée agite ses prières.
sages respirations pyramides brumes
chevaux tintements enfants rêves
grèves sommeils ruines prières
Je n'ai jamais galopé sur les chevaux de l'Inde, mais leur hennissement creuse mon horizon.
Les éventails tournent comme des éoliennes.
chevaux brumes enfants tintements
grèves rêves prières sommeils
antres ruines éoliennes courses
Je n'ai jamais traversé les grèves de l'Inde, mais leurs immensités entretiennent mes orages.
La foule se disperse dans les reflets lunaires.
grèves tintements prières rêves
antres sommeils éoliennes ruines
grouillements courses reflets palmes
Je n'ai jamais pénétré dans les antres de l'Inde, mais leur géométrie profonde multiplie mes images.
Les fleurs de l'effleurement engendrent les siècles futurs.
antres rêves éoliennes sommeils
grouillements ruines reflets courses
routes palmes siècles turbans
GÉOGRAPHIE PARALLELE
CITY LIMITS
IRIS AMÉRICAIN
ALLER-RETOUR D'AUTOMNE
SURPRISE
L'OMBRE D'UN DOUTE
LA FLEUR DE L'ÂGE
SOLEIL MÉNAGER
POINT DE FUITE
TOASTS
CHEMIN DE TABLE
LA DEMOISELLE À LA SERRURE
GLANES SUR LA GRANDE BARRIERE
AU FIL DES ANNÉES
PULSATION
IN ICTU OCULI
BECS ET ONGLES
LE DIAMANT DU GRENIER
DÉCHANT
DE LA SIGNATURE DES CHOSES
LA PORTE ESPAGNOLE
L'EMPIRE DU REDOUBLEMENT