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Poésie au jour le jour 9

Sommaire





LES MAINS DU GUITARISTE

pour Joël Leick

 
Glissant le long du manche

pour chercher les accords

bâtir la mélodie

faire vibrer la note

avant de la signer

par une griffe d'or
 
 

Dans les rues du faubourg

de bistrot en bistrot

roulant sur le trottoir

en évitant les bornes

cueillant dans les vitrines

une inspiration neuve
 
 

Les reflets sur les jeans

les couleurs des enseignes

les numéros gagnants

les affiches brûlées

la donne de la pluie

sur le tapis des vitres
 
 

Les rayons dans l'orage

le choral des camions

les clochers le beffroi

sur le clavier des toits

la chanson des marchés

le murmure des chambres
 
 

Dans l'ombre qui mûrit

les trilles des fantômes

au verso des discours

les joyaux de la grève

l'étoile des arpèges

et l'ongle du bonheur
 
 
 
 

LE RADEAU DE L'ENFANCE
pour Didier Mahieu

et Jean Miotte


 
 
Ces maisons, comme elles nous paraissaient immenses avec leurs escaliers, caves, placards interdits, leurs miroirs, avec ces vieilles personnes surtout qui nous faisaient sauter sur leurs genoux, souriaient, s'émerveillaient! Leurs cheveux blanchissaient en se raréfiant.
 
 

Un jour il y eut un deuil. On chuchotait, on nous écartait. Tout le monde s'est habillé de noir. On s'est retrouvé donnant la main dans un cimetière sous la pluie, écoutant des discours auxquels on ne comprenait rien. Pendant quelque temps, cela n'a pas changé grand chose. La maison était toujours là, un peu plus silencieuse, un peu plus sombre, un peu moins grande, mais avec des profondeurs nouvelles, des recoins où l'on n'était jamais allé, des autorisations inattendues. Et puis il y avait l'autre.
 
 

Pourtant sur l'horizon de notre jeune vie s'amassaient déjà nombre de nuages. Il y avait des fissures dans notre navire et nous sentions que l'équipage n'avait plus sa belle assurance. Les autres ne se maintenaient plus à distance respectueuse. Il a fallu rivaliser dans les écoles, parvenir à se revigorer dans les cours dites de récréation. Comme nos bras étaient toujours trop faibles devant ceux des aînés, il fallait aiguiser paroles et ricanement, réussir à blesser pour se faire craindre.
 
 

Un nouveau coup de tonnerre a tout secoué. Les meubles que l'on avait crus définitivement arrimés comme aux quais d'un port tranquille où l'on pourrait toujours se réfugier après les tumultes, ont été dispersés çà et là, en vomissant de leurs tiroirs toute une écume de documents qu'on nous a demandé d'examiner. Certains ont définitivement disparu, emportés par une lame de fond. Les vêtements d'antan avec leurs odeurs si prononcées n'habillaient plus personne. Il a fallu en retourner les poches avant de les empiler dans des cartons pour les donner à de plus pauvres que nous.
 
 

En même temps toutes sortes d'envers et d'arrière-fonds se découvraient dont nous ne nous serions pas douté. Nous ne pouvions en croire nos yeux. Ces correspondances, ces tractations, ces comptes. Et tout ce que cela suppose: ces dessous, ces angoisses, ces haines! Ratures et déchirures, factures et reçus, brûlures et signatures, pansements et médications. Nous en parlions entre nous. Certains savaient ou prétendaient savoir. Ils préféraient le plus souvent jeter tout cela par dessus bord ou dans la cheminée, l'ensevelir en vrac dans la cendre et le brouillard.
 
 

Tandis que nous errions dans cette forêt d'échardes et d'étincelles vieillies, parfois des effluves de baumes. Étions-nous les seuls à les sentir? Quelques épaves surnageaient énigmatiques, fascinantes. Nous avons essayé d'en sauver certaines, de nous renseigner. Mais à qui s'adresser désormais? Quel dommage de n'y avoir pas pensé plus tôt! Que ne donnerait-on pour pouvoir poser la question à ce vieux visage dont les traits ne se précisent plus que grâce à des photographies jaunies dont nous savons toute l'insuffisance? Quelle beauté engloutie, quelle perte!
 
 

L'orage menace; les coups de tonnerre se multiplient. Le vent s'est levé; les vagues déferlent. Quelle noirceur, tout à coup, percée de rayons qui nous révèlent écueils et vestiges! On ne peut même plus parler de navire. Parmi les craquements et soubresauts nous avons réussi à consolider quelques parties du pont supérieur, y empiler des coffres avec provisions et trésors.
 
 

C'est la lutte pour la vie, nous annoncent de stridents prophètes, la concurrence impitoyable, la guerre économique à outrance. Si donc nous ne sommes pas capables d'arracher à ces villes entières qui deviennent fantômes en tremblant, tanguant et sombrant, quelques gouttes d'élixir, faudra-t-il vraiment s'entredévorer?
 
 

La mer d'huile est devenue furieuse. Les vernis d'antan se craquellent dans la gueule de notre athanor flottant qui cherche un cap sous les flèches de la grêle. Si seulement, saints langoureux, nous pouvions faire fleurir nos blessures en auréoles! Mais, démons noircis et tannés plutôt, nous rassemblons fiévreusement tout le plomb des anciennes quilles, jointures et gouttières pour le faire fondre et mijoter dans notre cornue à la dérive -du moins ceux d'entre nous que les maladies virales, environnementales ou monétaires n'ont pas encore terrassés.
 
 

Autour de notre désastre relativement calme se multiplient coups de canons, rafales, déflagrations, gémissements et râles. Des avions perdent sur les atolls devinés leurs chapelets de bombes. Pourtant nous persistons dans notre fumée pacifique pour faire appel à ces autres navigateurs que nous apercevons dans une éclaircie, apparemment mieux lotis que nous, à qui nous pourrons peut-être apporter la pépite qui leur manque, la boussole qu'ils ont perdue, pour trouver enfin le nouveau continent, la vigueur mûre, le génie des lectures et peintures, la liberté des mers.
 


 
 

AIGUILLAGE

pour Joël Leick

 
 
Le train passe à toute vitesse

à travers la forêt des pins

emportant le bruit des usines

et leurs fontaines de goudron

le voyageur entre les branches

aperçoit hangars et lessives

puis dans la gueule des tunnels

compte les caries des rochers
 
 

Il se souvient des trains d'antan

avec leurs basses de boogie

les escarbilles dans les yeux

quand on baissait la vitre lors

des virages qui permettaient

d'admirer la locomotive

et le point d'interrogation

qui sortait de sa cheminée
 
 

Maintenant l'électricité

nous emporte avec ses arpèges

enluminant les partitions

caressées par les pantographes

ainsi nous tentons de recoudre

les déchirements de l'enfance

les effilochements du temps

qui s'agite entre nos deux rails


 
 
 

L'ÉTOILE GRISE

pour Jacques Clauzel

 
 
J'ai cherché dans les catalogues

des musées de spectroscopie

la signature de l'intrus

venu perturber les cadrans

de mon observatoire intime

après nombreux feuillettements

qui m'ont entraîné jusqu'aux plus

invraisemblables galaxies

j'ai dû me rendre à l'évidence

qu'il s'agissait d'un astre neuf
 
 

Accumulation de poussières

au ponant d'un siècle déçu

tourbillons de peurs et rancoeurs

protubérances de fureurs

tordant les barreaux de la geôle

des publicités mensongères

tandis que la guerre perdure

malgré les proclamations vaines

des diplomates et prélats

des gouvernants en leurs palaces
 
 

Agglomération de souffrances

boules d'épines et d'angoisses

au bruit des canons et des bombes

tandis que tintent les cocktails

de l'autre côté de la mer

sur l'autre versant des montagnes

de l'autre côté de la rue

sur la page d'un autre livre

sur l'écran d'une autre télé

ricanement du même crâne
 
 

Étoile absinthe macérée

aux flaques des ultimatums

avec tes rayons de furoncles

tes tentacules endormeurs

fouille nos marais et fractures

avant de t'abattre sur nous

absorbe la paix des espaces

capte le feu des millénaires

pour que le plomb s'aère en or

et que tes éclats nous guérissent


 
 
 

VINGT BLOCS DE CHARBON

pour Jean-Michel Vecchiet
1)

A l'intérieur du noir

le blanc de l'insomnie

à l'intérieur de l'orage

le jaune des steppes

le soir de laque

coule sur les colonnes

le bruit des vélos

caresse les réverbères

l'étoile des soies

tourne sur les marchés

la nuit des monnaies

roule dans les blessures

la marche affamée

est devenue si longue

qu'on ne sait plus

quand elle a commencé

ni si on a vraiment réussi

à changer de place

après avoir tant tourné

on espère la brèche et le port
 
 

2)

Les germes des nuages

à l'intérieur de la Terre

le fruit des pioches

mûri dans les wagons

un trésor de braises

attend l'étincelle

pour adoucir l'hiver

fondre la raideur

des armes et des règlements

des bottes et tampons

projectile pour briser

les vitres administratives

que le givre et la suie

ont rendues impénétrables

et faire bourgeonner

les barbelés des camps

en églantines et framboises

dans les sentiers de l'évasion

la vapeur du bain

plane sur la neige
 
 

3)

Les crocs du carbone

sur les poings du Penseur

l'oeil des mines

entrouvrant sa paupière

sur les faubourgs où crissent

les freins des voitures

entre espoirs de famille

et peur des restrictions

ancestrale timidité

devant les intrus arrogants

nostalgie de l'expansion

dans les îles du monde entier

un profil méditatif projette

son ombre sur le mur du ciel

un silence interrogatif

envahit ravines et ruelles

une odeur de suie et de thé

poursuit le flâneur vespéral

tandis que les oiseaux s'exercent

pour une ultime sérénade
 
 

4)

Si je prends ce caillou sombre

dans mes mains d'occidental

il me faudra les laver

en revenant à l'hôtel

une pétrification d'encre

à l'intérieur du brouillard

roulant sur les champs de papier

pour ensemencer les images

une montagne miniature

à disposer sur une planche

pour y voir sonner les reflets

les ombres se développer

comme des chants ou des pétales

pour signaler et protéger

le trésor des générations

crâne friable et salissant

promis à l'enfer domestique

dirige ma méditation

avant de t'évanouir en cendres

dans le tiroir du temps qui passe
 
 

5)

Animal en hibernation

le museau caché sous les pattes

frissons de rêves parcourant

les éventails de sa fourrure

tandis que des gémissements

soulignent sa respiration

ventre creusé de corridors

où se poursuivront les flammèches

en proposant leurs attentions

aux étrangers venus du froid

tandis que la neige recouvre

les murailles et les palais

les fantômes et rescapés

les dynasties et paysans

la rumination de l'oubli

dans les ténèbres minérales

parcourent les tranchées des fouilles

où se réveillent les guerriers

cherchant à reprendre parole

dans la jungle des tractations
 
 

6)

Borborygmes phosphorescents

perturbant l'abdomen des âges

sous le pressoir des continents

extrayant goudrons et pétroles

dans les cavernes et replis

sous les édredons de l'humus

poissons des grandes profondeurs

de l'écorce moirée de schistes

dans les draperies des montagnes

sous les gouffres des océans

boutons de roses calcinés

qui s'épanouissent en pétales

de braise avant de se faner

en cendres dispersées aux vents

des ports des faubourgs et des steppes

emportant le velours des gongs

les carillons de l'occident

les proclamations des muezzins

à travers atolls et déserts

dans la consommation des siècles
 
 

7)

Caillot du réseau ferroviaire

galet parmi les aiguillages

des cascades énergétiques

dévalant au milieu des foules

qui retrouvent leurs domiciles

après l'usine et le bistrot

après la caserne et l'école

bibliothèque d'escarbilles

archives de la destruction

depuis les forêts de fougères

où broutaient les lézards géants

jusqu'au pourrissement des princes

aux veilles des révolutions

inévitablement ratées

dont les soubresauts se prolongent

sous les apparences de paix

dans les cauchemars que distille

la contemplation des foyers

ou les battements lancinants

des wagons dans la nuit glacée
 
 

8)

Genou de la tempête

enfoncé dans la boue

comme au bord d'un étang

strié de tourbillons

concentré de la crasse

de toutes nos familles

arrachée aux lessives

par le savon des craintes

ossement de l'Histoire

dans lequel s'enracinent

les arbres de tuyaux

où circulent domptées

les eaux propres ou sales

dans nos villes d'abois

noix d'où naît la caverne

mordorée chaleureuse

où déplier les mains

engluées par le gel

et déchiffrer les runes

des stèles incarnées
 
 

9)

Le vrai trésor de l'empereur

n'est pas de l'or mais de la houille

de vastes galeries de stèles

où la chaleur des temps anciens

s'est amassée en inscriptions

que nous ne pouvons déchiffrer

sauf dans l'explosion de la flamme

où le savoir est dissipé

mais que nos arrière-neveux

réussiront à déguster

lentement pour vaincre le temps

pour les dissoudre en océan

où nos navires partiront

à la découverte de mondes

bourdonnant d'arbres musiciens

rayonnant en pentes menant

à la fontaine de jouvence

jaillissant au fond de la mine

à ciel ouvert abandonnée

par les explorateurs passés
 
 

1O)

Glaçon de la mer noire

échoué sur la rive

au plus profond du golfe

où le soleil prépare

les nouvelles éclipses

et d'autres éruptions

huître de la mer grise

baillant en méditant

la perle des marais

où la lune s'inspire

pour d'autres floraisons

et nouvelles méduses

silex de la nuit douce

couvant ses étincelles

pour allumer les yeux

des étudiants avides

qui trempent leurs pinceaux

dans les cheveux de l'ombre

pour réchauffer les noms

des charmeuses frileuses
 
 

11)

Des embryons d'incendies jouent

dans les antres des vieux dragons

dans les ventres des millénaires

les plis des forêts englouties

escarboucles et fumerolles

tournent autour de leurs naseaux

explosions de cris et de griffes

ruissellements de sable sec

sur les roselières de lave

envol des oiseaux électriques

depuis les rives des chaudières

où mijotent les talismans

pour le confort des nuits d'hiver

et les légendes de l'été
 
 

12)

Les pétales de cendres s'ouvrent

sur les buissons ardents serrés

derrière les barreaux de l'âtre

comme les fruits de la corbeille

quand l'on s'en revient du verger

dans le vent du soir et l'éveil

des parfums et des confidences

les enfants en baignent leurs yeux

leurs mains et leurs pieds leurs cheveux

avant de monter dans leur chambre

et de les givrer dans la Lune

en fermant volets et rideaux

puis de s'enfoncer dans un livre

luisant aux rayons d'une lampe

pour retrouver jardins de flammes

et navigations dans l'espace
 
 

13)

L'oeuf des ténèbres se fendille

pour laisser fuser les signaux

inscrits sous la presse des siècles

comme les aiguilles d'un phare

au bord d'une mer tourmentée

indiquant l'heure et les écueils

montrant le chemin du retour

vers les images de l'enfance

émerveillements turbulences

la craie sur les doigts comme cendres

blanchissant tisons et boulets

devenant drapeaux réclamant

la trêve aux gros yeux des parents

aux grosses voix des professeurs

aux sifflements des policiers

et aux hurlements des fantômes
 
 

14)

Concentration de l'amertume

de toute une mer de patience

d'années de marches contremarches

déceptions suspicions retards

obstinations et tentations

séductions corruptions mensonges

fermentations irritations

colères secrets nostalgies

de l'avenir qu'on pressentait

et qui s'est désarticulé

comme une usine abandonnée

comme un irréparable jouet

il suffira d'un étincelle

de quelques bribes de forêt

de morceaux de papier froissé

pour que tout respire à nouveau
 
 

15)

Ulcère ou chancre sur la peau

d'un monde qu'on désirait lisse

comme celle d'un mannequin

fruit des discordes du silence

offert par le serpent fouisseur

qui se réfugie aux lézardes

et se nourrit dans les vestiges

grain de la vigne du malheur

qui se précipite au pressoir

pour mûrir dans les souterrains

en révélations de saveurs

faisant la roue au crépuscule

du grand soir lavé de ses crimes

dans les gémissements des vieux

les interrogations des dieux

et les inventions des enfants
 
 

16)

Empreinte d'un trou de serrure

dont nous devons forger la clef

pour ouvrir la porte murée

dans les remparts de la cité

dégradée en prison et ruines

sur le chemin de triste ronde

drogués par les airs et slogans

que distillent les haut-parleurs

les geôliers relâchent leur veille

fermant à demi leurs paupières

ils rêvent à notre existence

si nous pouvions leur échapper

nous inventant des stratagèmes

qu'ils nous livrent à demi-mot

et se mettant à notre école

pour explorer l'autre côté
 
 

17)

Cratère s'ouvrant dans l'Islande

découvrant sous les champs de glace

des celliers de fruits minéraux

et des icebergs de métaux

flottant sur le magma central

reproduisant le cours des astres

et projetant sur les parois

de ses cavernes vrombissantes

schémas formules et calculs

permettant la fabrication

de navires d'exploration

avec atlas et dictionnaires

pour entrer en conversation

transmutation transmigration

de race en race et d'âge en âge

forant la croûte de la mort
 
 

18)

Palpitant entre les poumons

dans la brûlante obscurité

du torse le coeur obstiné

projette quand il est blessé

soupirs giclures flamboiements

cavalcades raz de marée

sur les plages de neige et sable

sur les peaux de toutes couleurs

sur les toiles et les papiers

sur les portées et les claviers

et le reflux de tout cela

l'écho renvoyé par les sens

vient illuminer les ogives

où pompe la machinerie

du sang noir qui ne devient rouge

que lorsqu'il se répand au jour
 
 

19)

Une flaque d'encre jaillie

des veines de l'astre cadavre

dont nous sommes la pourriture

vers grouillants transportant leurs oeufs

et leurs possessions innombrables

le long des sombres galeries

où l'air manque pour animer

les respirations et les braises

une inscription sur la surface

de la stèle que nous dressons

à la mémoire des ancêtres

dont nous ne connaissons les noms

sur le linteau de l'ouverture

que nous voulons pour nos enfants

où passent les vents de l'espace

et les appels aventureux
 
 

20)

Les gnomes sortent de leurs trous

pour nous proposer des joyaux

ruisselant des éclats de l'ombre

et des couteaux du ciel tranchant

la nuit sans Lune et sans nuages

sous leur écorce de noirceurs

nous disent-ils en ricanant

c'est la pourpre qui va germer

l'écarlate et tout l'arc-en-ciel

comme un arbre d'automne qui

repartirait en floraison

chaque feuille en est venimeuse

pis que morsure de serpent

si l'on essaie de la toucher

mais si l'on sait l'apprivoiser

le brasier devient un foyer


 
 

LE JEU DES ÉLÉMENTS

pour Michel Roncerel
1

PARADE
 
 

Le vent se prépare dans les coulisses du paysage. Les étendards gonflent sur leurs mâts. Dans la forêt de treuils la fanfare accorde ses instruments. Les vagues de foule gagnent les ruelles.
 
 

La fête murmure dans toutes les chambres. Le vent s'anime sur les tuiles et les roseaux. Les étendards déploient leurs armoiries. La forêt envoie une délégation de rumeurs et la fanfare imite le réveil des oiseaux.
 
 
 

CASQUE
 
 

Je pends à mon fil

comme une araignée

j'ai bec et antennes

comme un scarabée

avec des élytres

autour des cheveux

métal et fourrure

machine en sueur

des pieds et des mains

des yeux et des crocs

je grimpe aux barreaux

tendus par la nue


 

Le champ de foire se couvre de tentes et boutiques. La fête envahit les conversations. Le vent fait grincer les girouettes. Les étendards entonnent leurs claquements. La forêt frémit dans ses profondeurs.
 
 

Les ailes s'ajustent aux épaules rousses. Sur champ de bronze tournoient les aigles stupéfaits. La fête étalonne ses premiers essais. Le vent fait chanter les ramures et les étendards proclament leurs devises.
 
 

Les ténèbres se tapissent aux recoins des celliers. Les ailes scintillent. Les champs de blé frissonnent en lâchant leurs alouettes. La fête piétine d'impatience dans tous les quartiers. Le vent fait battre les volets sur les façades.
 
 

2

TOURNOI
 
 

La fête est maintenant officiellement ouverte. La forêt de cordages monte à l'assaut du ciel. Les fanfares encouragent les concurrents. Les vagues de fumets déferlent sur les places. Les remparts se hérissent des poings des assistants.
 
 

Les champs relaient leurs moirures jusqu'à l'horizon. La fête essaime ses éclats d'un faubourg à l'autre. La forêt des nuages étale ses volutes. La fanfare fait cascader les pavillons de ses cuivres. Des vagues d'enthousiasme baignent les escaliers.
 
 
 

ÉPINES
 
 

Roseaux dans l'exil

des marais célestes

ronces enroulées

dans les courants d'air

lianes enlacées

autour des cactus

qui ouvrent leurs paumes

aux cendres d'encens

lingerie du temps

accrochée aux cordes

depuis les lavoirs

jusqu'aux mausolées


 

Les ailes bruissent en se frôlant. Dans les champs contrapuntiques bouillonnent les clameurs. La fête bat son plein dans les jardins et les vignes. La forêt des saveurs éclaircit ses halliers. La fanfare dialogue avec les rugissements.
 
 

Les ténèbres fleurissent dans les nefs des églises. Les ailes des aéroscaphes clignent dans les hauteurs. Les champs de houille réfléchissent l'émail des fontaines. La fête des essors égrène ses poursuites. La forêt des souvenirs fait sourire les vieux.
 
 

Le vent rumine ses sortilèges et farces. Les ténèbres s'insinuent entre plumes et rubans. Les ailes se replient et bondissent. Les champs se tatouent de zébrures métalliques. La fête des armures astique ses rinceaux.
 
 

3

SUSPENS
 
 

Le champ de course explose en applaudissements. La fanfare annonce une première pause. Les vagues s'attendrissent en tourbillons plus calmes. Les remparts se couvrent d'enfants des écoles. Les étendards sont remplacés par des enseignes.
 
 

Les ailes sont lissées dans l'attente d'un nouveau départ. Les champs magnétiques réorganisent leur limaille. Les fanfares détaillent des mélodies en mineur. Les vagues d'élixirs enivrent les torrents. Les remparts proposent leurs tourelles aux amoureux.
 
 
 

COURSE
 
 

Le halètement

d'une étape à l'autre

le moutonnement

des foules ravies

les enroulements

autour des colonnes

les escarpements

entre les virages

les débordements

de langues et cornes

et les ralentis

pour l'atterrissage


 

Les ténèbres distillent leurs alcools dans la fatigue. Les ailes palpitent sous la surveillance de leurs bergers. Les champs moissonnés s'ouvrent aux glaneuses. Les fanfares visitent cours et tours. Des vagues de mélancolie se glissent entre les rires.
 
 

Le vent change de direction et de timbre. Les ténèbres se faufilent dans les fissures. Les ailes de soie se teignent de sèves. Des champs de sable courtisent les vergers. Les fanfares se rassemblent devant les porches de brocatelle.
 
 

La fête va reprendre avec ses proclamations. Le vent répand l'ambre et le miel sur les collines. Les ténèbres dispensent leur fraîcheur pourpre. Les ailes des anges brillent sur les eaux. Les champs élyséens rouvrent leurs roseraies.
 
 

4

CÉLÉBRATION
 
 

Les ailes des moulins multiplient leurs signaux. Des vagues de pétrole s'embrasent dans les brumes. Sur les remparts balayés de bouffées capiteuses les étendards mêlent leurs langues de velours tandis que la forêt des orgues rivalise avec les glaciers.
 
 

Les ténèbres font retentir leurs gongs entre les éclairs. Les ailes des apprentis d'Icare luisent dans les trouées. Les vagues d'acier submergent des escadres d'abeilles. Les remparts se rehaussent d'échafaudages de tisons. Les étendards activent les retardataires.
 
 
 

SEMENCE
 
 

Avant de crever

sa dure coquille

l'apprenti sorcier

redit les formules

que lui ont transmises

les arbres fantômes

pour ouvrir les portes

et gagner le large

monter les degrés

sans perdre son souffle

jusqu'à la fontaine

de pérennité


 

Le vent ouvre ses pétales pour faire jaillir ses étamines. Les ténèbres fourmillantes répercutent les hourras. Les ailes mordorées caressent les chevelures. Des vagues délicieuses font respirer les granges. Les remparts s'illuminent sous les percussions de l'orage.
 
 

La fête découvre de nouvelles perspectives. Le vent raffine ses voyages parmi les archipels déchaînés. Les ténèbres émergent du lit des vallées. Les ailes emportent les dernières hésitations des invités. Des vagues d'échos rapprochent les astres.
 
 

Le champ des tombes libère ses morts pour la révision des procès. La fête des orchestres reprend celle des sports. Le vent du large commente les nouvelles des étoiles. Les ténèbres se réconcilient avec les flammes. Des ailes poussent aux demeures pour les emporter vers les pôles.
 
 

5

RÉSONANCE
 
 

Les ténèbres prennent la parole pour déclarer que c'est leur tour. Les remparts deviennent transparents. Les étendards épellent leurs enluminures. La forêt ferme ses antres et paupières. La fanfare met ses sourdines et continue diminuendo.
 
 

Le vent célèbre maintenant les vertus de la rouille. Les ténèbres accueillent les ancêtres pour leur présenter les vainqueurs. Les remparts sont parcourus d'étincelles. Les étendards annoncent la venue du sommeil. La forêt des intempéries plane au long des rives.
 
 
 

PLUIE
 
 

Battant sur les vitres

lavant les cadrans

charmant les poussières

pleurant dans les bois

chantant sur les lacs

ruisselant au long

des toits et gouttières

cheveux et chevaux

noyant nos soucis

pansant nos blessures

rafraîchissant l'or

dans nos perspectives


 

La fête de l'écume conclut celle des câbles. Le vent se lamentant énumère ses deuils. Les ténèbres viennent le consoler en lui promettant de nouvelles escales. Les remparts se capitonnent de neige tiède. Les étendards s'unissent aux phosphores chanteurs.
 
 

Les champs voient s'épanouir les rêves des enfants. La fête les prend par la main pour une lente ronde. Le vent les couronne de brindilles et de grappes. Les ténèbres vagissent comme des nouveau-nés. Les remparts se mettent en chemin vers la mer entraînant les gares avec eux.
 
 

Les ailes des mouches s'accumulent en immenses meules irisées. Les champs soupirent doucement dans leurs gestations. La fête ferme son ultime page en méditant l'année prochaine. Le vent renverse les cantilènes des berges dans les miroirs du futur. Les ténèbres s'enfoncent et nous enfoncent vers l'origine d'une autre nature.
 


 
 
 

PETIT ÉCRAN

pour Joël Leick

 
 
Tandis que je parcourais le Portugal du Nord au Sud sous la pluie fouettant les azulejos

dans les chambres des hôtels qui m'hébergeaient je regardais de temps en temps la télévision

zappant de chaîne en chaîne jusqu'à un programme de langue française ou des images suffisamment prenantes pour approfondir ma solitude entre les draps

ainsi passaient décourageantes nouvelles de notre triste fin de siècle

publicité naïvement ou astucieusement mais toujours plus ou moins mensongères

longs baisers langoureux ou poursuites de truands ponctuées inépuisablement de coups de revolvers inexplicablement rechargés

quelques mots émergeaient des dialogues et commentaires qui me faisaient dériver sur des pistes méditatives

ramassant au passage quelques instantanés ou conversations de la veille qui apparaissaient au bord de ma conscience comme des gares brûlées par un train à grande vitesse

aboutissant inévitablement aux soucis laissés à mon domicile et à la conférence prévue pour le lendemain

me hâtant alors d'éteindre pour passer le relais aux démons du sommeil et leurs fours de maturation


 
 

LA JOCONDE AU PALAIS D'ORSAY

pour Dorny

 
 
Depuis tant de siècles qu'ils m'examinent, m'interrogent en s'interrogeant, j'ai réussi à m'installer dans leur ombre et à les suivre dans leurs déplacements. Je me projette sur les murs ou le plafond de leur chambre lorsqu'ils rêvent, ou sur les pages blanches qui les défient, sur les écrans de leurs ordinateurs lorsque leur attention se défait et qu'ils respirent soudain une longue bouffée d'ennui.
 
 

A la fin de la semaine certains de ceux qui étaient venus me chercher au Louvre le dimanche précédent, me conduisent sans le savoir dans un autre musée de l'autre côté du petit fleuve sous les verrières et horloges d'une ancienne gare. Alors je me faufile entre les arbres d'une forêt franc-comtoise ou parmi les assistants d'un enterrement à Ornans. Je déjeune sur l'herbe ou dans l'atelier, m'installe au balcon, regarde passer les heures et les jours sur la façade de la cathédrale de Rouen, visite Barbizon, Etretat, Honfleur, Arles, Auvers-sur-Oise et la Polynésie.
 
 

J'emprunte les ascenseurs et les escaliers mécaniques parmi lesquels je fais ruisseler mon paysage de montagnes et d'eaux cascadantes, ma Chine à la fois toscane et milanaise. Je passe d'un visiteur à l'autre, choisissant surtout les plus jeunes; mais les barbes blanchissantes ne me déplaisent pas. J'enlace des broderies de clavecin autour des gorges soutenues par de souples armatures invisibles et fais passer l'appel du large entre les boucles des cheveux, les perles des colliers, les plis des manteaux et des robes.
 
 

A l'intérieur des portes j'en ouvre d'autres. Je déplie et replie les salles que je fais rentrer les unes dans les autres, couvrant fenêtres et corsages d'impressions d'automne ou soleil levant. Je fais glisser la terrasse Rodin sur celle de Lille. J'insère le restaurant dans la librairie. Je débauche le salon de thé pour l'emmener voguer avec moi au long des bateaux-mouches, monte dans les bulles de la bière et me rajeunis inlassablement dans son écume blonde comme mes mains croisées.
 
 

Comme les Français sont bavards devant la peinture! Et que de gestes: index et petit doigt, clins d'yeux, trémoussements. On cite, on discute, on s'excuse, réplique, s'éloigne, se bouscule, on se rapproche; tout cela sur fond d'embouteillages, grèves, problèmes de retraite et santé, discours électoraux patelins, dérobades et ricanements. Bientôt, sous ma discrète influence malicieusement suave, des oasis de silence magnétique naissent, gagnent, se multiplient dans ce désert encombré. Les conversations s'intériorisent et changent de nature. Comme se sont éloignés pour l'instant les soucis d'avancement, querelles de préséance, jalousies, ressentiments, les angoisses des fins de mois! Félicitations à tous; une flambée de bonnes nouvelles et de voyages sans précipitation! Du commentaire on passe à la sérénade et toutes les statues s'écartent harmonieusement pour laisser entre elles jaillir des fontaines, frémir des ormes et des peupliers, gémir des ifs, sonner luths ou madrigaux, gronder les orgues et la trompette marine. Ou voici les voiles qui claquent, les fruits qui s'offrent, et l'or de leur corps bat le rappel de ses parfums.
 
 

On va fermer. Les gardiens s'agitent, houspillent obliquement les visiteurs qui s'attardent, risquent un dernier coup d'oeil çà et là, comme en fraude -car quand reviendra-t-on?- avant de se presser vers les rues, les quais, le métro, leurs voitures; je ne parviens pas à les suivre tous parmi les vitrines, enseignes clignotantes, feux de circulation, phares et réverbères, urgence et lassitude. Certains me perdent jusqu'à la prochaine rencontre. Il ne leur reste que le sentiment confus d'avoir oublié quelque chose. Mais quand ils me retrouvent, quelle illumination, quelle tendresse! Quelques gouttes de baume supplémentaires aplaniront les pires de leurs rides. Ce ne sera pas nécessairement derrière ma vitre dans la grande galerie, car ils s'imaginent pour la plupart me connaître toute déjà; plutôt dans les coulisses de quelques autres oeuvres que j'aurai suffisamment imprégnées de mon haleine lors d'une escapade antérieure, entre deux cadres, entre deux étiquettes, deux marches, étages, siècles, entre deux portes, entre deux eaux. Ange ironique atmosphérique, je me coule dans leurs humeurs avec mes enfances italiennes pour naviguer aux ports nouveaux.
 
 

J'entraîne aussi dans mon sillage quelques échos de jeunes saint Jean-Baptiste ou Bacchus dans des solitudes, de vierges aux rochers, de bambins délurés, très en avance sur leur âge évidemment, avec mère inconfortablement mais affectueusement assise sur les genoux de la grand-mère, et fouillant plus loin dans ma mémoire d'ateliers, quelques linéaments de traducteurs anachorètes, adorations de mages, ombres de cènes, ramures entrelacées, dessins d'anatomie, projets de fortifications et machines; le feuillettement de ces manuscrits en miroir, album, catalogues et monographies, se grave inépuisablement dans les nuages et plâtras.
 
 

Maintenant n'oubliez pas que tout cela dépend de mon bon plaisir. C'est une grâce que je vous souhaite. Si jamais vous vouliez forcer brutalement, policièrement ma réserve, m'arracher mes secrets, m'inquisitionner, je saurais prendre à l'improviste, pour vous échapper, les déguisements les plus inattendus, comme celui-ci, par exemple :


 
 
 

MODULATION DE FRÉQUENCE

pour Joël Leick

 
 
Après une journée de révision sévère

et de courrier urgentissime

privilégié certes privilégié

tranquillement assis près de la cheminée

où crépitent quelques bûches

j'écoute les nouvelles du monde

toujours aussi décourageantes

avant de me détendre

en suivant un concert
 
 

Ici la grève ici la guerre

les épidémies la famine

les déclarations fracassantes

l'impuissance des gouvernants

tandis que les milliards

passent de banque en banque

dans la lenteur des tribunaux

et qu'en chaque flocon de neige

infuse une perle de sang
 
 

Les notes qui vont s'ouvrir

comme des bourgeons ou boutons

n'empêcheront pas la résonance

des combats et tractations

chacun crispé sur sa machine

plus ou moins directement meurtrière

téléscripteur ou mitraillette

et les convois de réfugiés

se faufileront dans les fugues
 
 

Pourtant parmi les monnaies folles

et les soubresauts éperdus

de la compétitivité

dans la jungle de plus en plus

vénéneuse de la croissance

les archets construisent des ponts

les claviers taillent des clairières

et loin des urnes mortifères

les voix redeviennent humaines
 
 

Suivant la trace de nos pas

le long de la grande muraille

serpent rampant après sa queue

du moyen à l'extrême orient

se renversant en occident

accumulations de contrats

créneaux de factures fantômes

mirages d'actions et devises

qui nous séparent du tiers-monde
 
 

Comme du quart comme du nôtre

les haut-parleurs itinérants

talismans dans notre brouillage

anges gardiens dans nos enfers

marais de falsification

creusent des lucarnes donnant

sur les envers des échéances

sur les voyages au long cours

sur le pays des signatures


 
 

LES DEUX JUMEAUX CHERCHENT LEUR PERE

pour Jean-Pierre Barou
1)

Il y a bien longtemps déjà que je ne suis allé en Arizona. Quand y reviendrai-je ?
 
 

Je m'imagine dans un hogan octogonal avec ses poutres dans le soleil couchant tandis que les moutons bêlent en se préparant pour la nuit froide.
 
 

Madame Change et Madame Sel avaient la vie dure. Monsieur Crotale et Monsieur l'Ours étaient leurs gardiens. Tous les jours elles allaient ramasser des graines pour se nourrir et de l'herbe pour se faire habits et sandales; mais il y avait danger partout: des monstres si cruels qu'ils rendaient la vie impossible.
 
 
 

Je suis Changement et Serpent

en chantant pour le déchiré

respectant mesure et accent

inventant la nouvelle strophe

en charmant les dangers de l'Est

les armes la monnaie l'alcool

pour en extraire médecine

et cicatriser la blessure


 

La main prend le sable ocre pour en faire couler un filet et constituer le fond de toutes les images.
 
 

Le déclenchement de la maladie a révélé un mauvais fonctionnement non seulement dans le corps de l'individu, mais dans la société et même le monde qui l'entourent.
 
 

A l'aube le Vent dieu parleur les éveilla. Ils lui firent hommage avec les flèches qu'il leur avait données. Il habilla Fils Nettoyeur premier-né de mocassins, jambières et tunique blanches, Fils Aquatique second-né de couleurs variées, puis il lança un arc-en-ciel couvert de baumes qu'ils empruntèrent pour commencer leur quête du Soleil.
 
 

2)

J'imagine le malade sous ses couvertures Pendleton à triangles de couleurs vives et profondes, la tête soutenue par un ancien tapis roulé.
 
 

Il y a si longtemps déjà que je n'ai pas revu le Grand Canyon; quand pourrai-je y descendre encore ?
 
 

Monstre Géant se tenait aux Sources chaudes, Monstre Fouisseur au pied du mont Taylor. Il y avait Monstre Lance-rocs, Monstre Ours-traqueur, Monstre Pierre-marcheuse, quatre Monstres Antilope-rôdeuse et bien d'autres, chacun trop fort pour que les humains puissent lui résister. Madame Change chercha comment les éliminer pour rendre le monde habitable.
 
 
 

Je suis Mer lointaine et Fourrure

me souvenant pour l'égaré

respectant les générations

inventant la nouvelle porte

en charmant les malheurs du Nord

le blizzard la neige et la grêle

pour en extraire la douceur

et réconforter le transi


 

Le mauvais fonctionnement est lié à l'oubli d'une histoire longue et compliquée. Actuellement les morceaux de ce récit fondamental luttent comme ces microbes et globules dont parlent les médecins blancs.
 
 

La main prend le sable noir pour le faire couler en très mince filet afin de dessiner une image de monstre.
 
 

Les jumeaux parvinrent chez Madame Araignée et sa compagne Oiseau-moqueur qui leur opposèrent quatre toiles: noire, blanche, bleue et jaune." D'où venez-vous petits-enfants? -Nous cherchons notre père, grand-mère. -Vous allez au-devant d'épreuves." Ils furent repoussés par les toiles, et virent à leurs pieds de nombreux ossements, les uns tout secs, les autres enrobés de chair, certains si récents que les visages souriaient encore. Alors ils détruisirent les toiles à coups de silex noirs, blancs, bleus et jaunes. Le Vent dieu parleur leur conseilla de réparer leurs dégâts en échange d'un don de plumes; puis, reprenant leurs arcs et flèches, ils repartirent à la recherche de leur père le Soleil.
 
 

3)

Il y a bien longtemps déjà que je ne suis allé au point de rencontre des quatre Etats: Utah, Colorado, Arizona et New Mexico. Quand m'y arrêterai-je pour faire le plein d'essence ?
 
 

Madame Change pensa qu'il lui faudrait engendrer qui pourrait éliminer les monstres, mais ne savait comment s'y prendre. Après plusieurs tentatives elle accueillit Eau-de-source qui la rendit déjà enceinte, puis le Soleil, pour compléter. Elle accoucha ainsi de deux jumeaux au neuvième jour: le premier, Fils Nettoyeur, tandis que frappaient les éclairs, le second Fils Aquatique, tandis que roulait le tonnerre. Elle les protégea de six couvertures: ténèbres, bleu ciel, bleu nuit, jaune crépuscule, mirage et chaleur.
 
 

J'imagine les tentures de laine avec leurs éclairs de teintures végétales, qui protègent de l'air glacé tandis qu'on aperçoit à l'extérieur le métier à tisser dont les fils de chaîne gémissent comme une harpe éolienne, en attente de meilleurs jours.
 
 
 

Je suis Eau courante et Soleil

en écoutant pour l'étouffé

en respectant les résonances

inventant nouvel instrument

charmant les menaces de l'Ouest

l'inondation la pourriture

pour en extraire la fraîcheur

et tranquilliser le fiévreux


 

La main prend le sable jaune pour en faire couler un mince filet qui dessinera l'image du Soleil.
 
 

Les deux jumeaux passèrent sur un autre arc-en-ciel qui aboutissait devant un torrent pas plus large qu'un doigt mais qui débordait et engloutissait dès qu'on tentait de le franchir. Au quatrième essai le Vent dieu parleur prit sa forme chenille pour leur apporter un arc-en-ciel de la bonne longueur pour passer outre. Fils Aquatique chanta pour le remercier; puis, reprenant leurs arcs et flèches, les jumeaux repartirent à la recherche de leur père le Soleil.
 
 

Il s'agit de surmonter l'oubli; et comme il est si profond que nous ne saurions dans quelle région trouver les fragments à ranimer, le malade devient certes digne de tous nos soins, de notre vénération même, car c'est son mal qui nous indique où nous devons chercher le nôtre.
 
 

4)

Madame Change, la Terre, et Madame Sel, la Mer, parties quatre jours, retrouvèrent les jumeaux dans un triste état. Les gardiens dirent qu'ils n'avaient pas pu manger la soupe qu'elles leur avaient laissée. Madame Sel l'avait tournée avec sa main et elle était bien trop salée. "Aussi, dit Monsieur l'Ours, je leur ai donné de ma propre nourriture: pollen et rosée de montagne", et Monsieur Crotale: "et moi du pollen de toutes les fleurs", ce qui n'était pas de leur âge, mais ils s'en remirent fort bien et quand ils eurent douze jours, le Vent dieu parleur vint les voir, leur donna un arc et une flèche à chacun et leur annonça grand destin.
 
 

Il y a bien longtemps déjà que je n'ai revu le roc vaisseau-fantôme comme un mont Saint-Michel au péril du désert; quand un avion s'abaissera-t-il pour m'en faire admirer les détails ?
 
 

J'imagine les camions parqués de travers entre les cactus et les peupliers dénudés, les chevaux pies cherchant quelques touffes sous la neige qui recommence à tomber.
 
 
 

Je suis le Langage et le Souffle

en regardant pour l'aveuglé

respectant les duvets les rides

inventant de nouvelles cartes

en charmant souffrances du Sud

la sécheresse la famine

pour en extraire nourriture

et enseigner les descendants


 

Les deux jumeaux passèrent sur un autre arc-en-ciel qui aboutissait entre deux montagnes qui se refermaient en claquant lorsqu'on tentait de passer entre elles. Au quatrième essai le Vent dieu parleur leur enseigna un arrangement de leurs armes qui leur permit de passer outre; puis, reprenant leurs arcs et flèches, ils repartirent à la recherche de leur père le Soleil.
 
 

La main prend le sable rouge pour en faire couler un mince filet qui dessinera l'image de flammes.
 
 

Le chant doit faire remonter des pans entiers d'une histoire engloutie, nous faire comprendre pourquoi c'est tel nom qui désigne tel lieu; car le peuple est venu de si loin à travers tant d'épreuves et réussit à survivre au milieu de conditions si difficiles.
 
 

5)

Les jumeaux ne furent pas plus tôt sortis de la maison que les monstres flairèrent leur existence, et Monstre Géant vint en demander raison à Madame Change qui le chassa avec son tisonnier. La nuit suivante, enveloppés dans leurs couvertures, les enfants commencèrent à se demander qui était leur père. Leur mère prétendit n'en rien savoir et leur enjoignit de se rendormir.
 
 

J'imagine les assistants avec leurs chapeaux noirs à larges bords, avec leurs fichus et bijoux, leurs yeux passant du malade au chanteur, se levant parfois pour franchir la porte, aller se soulager ou manger.
 
 

Il y a bien longtemps déjà que je n'ai revu ni le mont Taylor, ni les mesas hopi, ni la vallée des monuments naturels où ne fume pas le moindre cow-boy. Quand m'arrêterai-je dans un restaurant amovible juché sur des pierres au bord de la route pour y déguster quelque steak saignant ?
 
 
 

Je suis Découvreur et Torrent

en dessinant pour l'estropié

respectant courbes et couleurs

inventant nouveaux placements

en charmant démons du Zénith

éclipses et météorites

pour en extraire la voyance

et illuminer l'angoissé


 

Les deux jumeaux passèrent sur un autre arc-en-ciel qui aboutissait à des roseaux tranchants qui se mirent à crisser à leur approche, et le Vent dieu feu essaya de les dissuader mais voyant leur détermination leur tailla un chemin par ses flammes. Puis il y eut la dune ensevelisseuse, et le Vent dieu parleur les fit planer au-dessus. Puis il ne resta plus que des chaînes de montagnes inoffensives: rouge, étincelante, irisée, blanche et turquoise. Au sommet de cette dernière ils virent la maison du Soleil leur père en quatre couleurs avec ses quatre gardiens dont le Vent dieu parleur leur souffla les noms pour qu'ils les laissent passer.
 
 

Le chant ne suffirait pas; il faut les images qui en émanent et dans lesquelles il s'enracine. Chaque épisode se projette non seulement sur la terre comme un film des gringos sur un écran, mais dans de la terre sableuse que l'on peut ramasser, manier et disperser.
 
 

La main prend le sable turquoise pour en faire couler un mince filet qui figurera la mer lointaine presque oubliée, revenant avec ses bruits, son sel et ses vagues.
 
 

6)

J'imagine le sourire qui revient peu à peu sur tous les visages, comme si la chair refleurissait sur leurs ossements, tandis que la cérémonie perdure avec la guérison du malade et du monde au Soleil levant.
 
 

La quatrième nuit Madame Change leur avoua enfin que leur père vivait fort loin, au-delà d'innombrables périls. Un bruit les empêcha de se rendormir et Fils Aquatique dit à son aîné: "notre mère chante un drôle de chant. -Je ne chante pas, interrompit-elle; comme si j'avais la tête à chanter, chanter! A la quatrième fois ils comprirent que c'était leur couverture de ténèbres qui leur chuchotait que leur père était le Soleil; et ils adoptèrent ce chant en décidant de partir.
 
 

Il y a bien longtemps que je n'ai revu ni le canyon de Chelly, ni Chaco canyon, ni les habitations troglodytes des Anasazi bien antérieures à l'arrivée des Navajos, et je ne sais si je pourrai un jour allumer de nouveau un feu dans un des ravins.
 
 
 

Je suis les Monstres et leur Mort

guérissant le convalescent

respectant la respiration

inventant de nouveaux voyages

en charmant terreurs du Nadir

les éruptions et les séismes

pour en extraire le silence

et rajeunir le monde entier


 

Après la cérémonie du rappel il faut rappeler la venue de l'oubli. C'est pourquoi toutes les images seront effacées comme les souffrances du patient doivent l'être, mais dans la certitude que ces diagrammes de migration et d'installation pourront de nouveau être rappelés, car si jamais on oubliait ce fil, la déchirure du monde ne pourrait que s'envenimer, fermenter, s'infecter, nous détruire.
 
 

Le Soleil fit subir aux jumeaux mainte épreuve et finit par les reconnaître pour ses enfants. Il leur demanda ce qu'ils étaient venus chercher: chevaux, moutons, ânes ou mulets magiques, eaux merveilleuses, pierres insignes. Ils répondirent que les gens de la Terre aimeraient certes avoir tout cela, mais qu'ils voulaient d'abord une armure d'obsidienne et des flèches d'éclairs pour éliminer les monstres. Alors le Soleil baissa la tête et pleura car les monstres aussi étaient ses enfants. Mais il revêtit d'obsidienne Premier-né Nettoyeur en lui donnant une flèche d'éclairs, revêtit de silex bleu Second-né Aquatique, flèche de rayons. Puis, leur faisant fermer les yeux il leur mit sa main sur leur coeur et leur expliqua; "j'ai installé en vous un homme d'agate qui vous fera vaincre vos pires ennemis; ce que j'ai chanté est sa nourriture comme tout ce que je vous ai donné à manger." Il leur offrit casques et lances d'éclairs, les fit monter au milieu du ciel pour leur enseigner les noms de la Terre. Dès lors ils étaient prêts pour faire tourner la page du monde.
 
 

La main prend le sable arc-en-ciel pour en faire couler un mince filet qui figurera la paix, la santé, la fécondité, l'audace, le chant, la vigilance et la mémoire.


 
 
 

LA GUÉRISON PAR L'OEIL

pour Julius Baltazar

 
 
Il y a bien longtemps déjà que je ne suis allé en Arizona. Quand y reviendrai-je ?
 
 

Je m'imagine dans un hogan octogonal avec ses poutres dans le soleil couchant tandis que les moutons bêlent en se préparant pour la nuit froide.
 
 

Le déclenchement de la maladie a révélé un mauvais fonctionnement non seulement dans le corps de l'individu, mais dans la société et même le monde qui l'entourent.
 
 

J'imagine le malade sous ses couvertures Pendleton à triangles de couleurs vives et profondes, la tête soutenue par un ancien tapis roulé.
 
 

Il y a si longtemps que je n'ai pas revu le Grand Canyon; quand pourrai-je y descendre encore ?
 
 

Le mauvais fonctionnement est lié à l'oubli d'une histoire longue et compliquée. Actuellement les morceaux de ce récit fondamental luttent comme ces microbes et globules dont parlent les médecins blancs.
 
 
 

Je suis Changement et Serpent

en chantant pour le déchiré

respectant mesure et accent

inventant la nouvelle strophe

en charmant les dangers de l'Est

les armes la monnaie l'alcool

pour en extraire médecine

et cicatriser la blessure


 

Il y a bien longtemps déjà que je ne suis allé au point de rencontre des quatre Etats: Utah, Colorado, Arizona et New Mexico. Quand m'y arrêterai-je pour faire le plein d'essence ?
 
 
 

Je suis Mer lointaine et Fourrure

me souvenant pour l'égaré

respectant les générations

inventant la nouvelle porte

en charmant les malheurs du Nord

le blizzard la neige et la grêle

pour en extraire la douceur

et réconforter le transi


 

J'imagine les tentures de laine avec leurs éclairs de teintures végétales, qui protègent de l'air glacé tandis qu'on aperçoit à l'extérieur le métier à tisser dont les fils de chaîne gémissent comme une harpe éolienne, en attente de meilleurs jours.
 
 
 

Je suis Eau courante et Soleil

en écoutant pour l'étouffé

en respectant les résonances

inventant nouvel instrument

charmant les menaces de l'Ouest

l'inondation la pourriture

pour en extraire la fraîcheur

et tranquilliser le fiévreux


 

Il s'agit de surmonter l'oubli; et comme il est si profond que nous ne saurions dans quelle région trouver les fragments à ranimer, le malade devient certes digne de tous nos soins, de notre vénération même, car c'est son mal qui nous indique où nous devons chercher le nôtre.
 
 
 

Je suis le Langage et le Souffle

en regardant pour l'aveuglé

respectant les duvets les rides

inventant de nouvelles cartes

en charmant souffrances du Sud

la sécheresse la famine

pour en extraire nourriture

et enseigner les descendants


 

Il y a bien longtemps déjà que je n'ai revu le roc vaisseau-fantôme comme un mont Saint-Michel au péril du désert; quand un avion s'abaissera-t-il pour m'en faire admirer les détails ?
 
 
 

Je suis Découvreur et Torrent

en dessinant pour l'estropié

respectant courbes et couleurs

inventant nouveaux placements

en charmant démons du Zénith

éclipses et météorites

pour en extraire la voyance

et illuminer l'angoissé


 

J'imagine les camions parqués de travers entre les cactus et les peupliers dénudés, les chevaux pies cherchant quelques touffes sous la neige qui recommence à tomber.
 
 
 

Je suis les Monstres et leur Mort

guérissant le convalescent

respectant la respiration

inventant de nouveaux voyages

en charmant terreurs du Nadir

les éruptions et les séismes

pour en extraire le silence

et rajeunir le monde entier


 

Le chant doit faire remonter des pans entiers d'une histoire engloutie, nous faire comprendre pourquoi c'est tel nom qui désigne tel lieu; car le peuple est venu de si loin à travers tant d'épreuves et réussit à survivre au milieu de conditions si difficiles.
 
 

J'imagine les assistants avec leurs chapeaux noirs à larges bords, avec leurs fichus et bijoux, leurs yeux passant du malade au chanteur, se levant parfois pour franchir la porte, aller se soulager ou manger.
 
 

Il y a bien longtemps déjà que je n'ai revu ni le mont Taylor, ni les mesas hopi, ni la vallée des monuments naturels où ne fume pas le moindre cow-boy. Quand m'arrêterai-je dans un restaurant amovible juché sur des pierres au bord de la route pour y déguster quelque steak saignant?
 
 

Le chant ne suffirait pas; il faut les images qui en émanent et dans lesquelles il s'enracine. Chaque épisode se projette non seulement sur la terre comme un film des gringos sur un écran, mais dans de la terre sableuse que l'on peut ramasser, manier et disperser.
 
 

J'imagine le sourire qui revient peu à peu sur tous les visages, comme si la chair refleurissait sur leurs ossements, tandis que la cérémonie perdure avec la guérison du malade et du monde au Soleil levant.
 
 

Il y a bien longtemps que je n'ai revu ni le canyon de Chelly, ni Chaco canyon, ni les habitations troglodytes des Anasazi bien antérieures à l'arrivée des Navajos, et je ne sais si je pourrai un jour allumer de nouveau un feu dans un des ravins.
 
 

Après la cérémonie du rappel il faut rappeler la venue de l'oubli. C'est pourquoi toutes les images seront effacées comme les souffrances du patient doivent l'être, mais dans la certitude que ces diagrammes de migration et d'installation pourront de nouveau être rappelés, car si jamais on oubliait ce fil, la déchirure du monde ne pourrait que s'envenimer, fermenter, s'infecter, nous détruire.
 
 
 

PORTRAIT DE L'ARTISTE EN JONGLEUR À MIDI
pour Muriel Olesen

 
 
Toutes les bagues de mes doigts

je les fais voler vers les cintres

où les projecteurs les abreuvent

de torrents d'électricité

tourbillonnant dans les miroirs

où c'est mon visage lui-même

qui rajeunit dans leurs méandres

pour quelques instants de mirage
 
 

Tous les cercles de mes chapeaux

je les expédie vers les toiles

où les musiciens les saluent

de leurs valses marches fanfares

telles des fusées d'artifice

me baignant de leur arc-en-ciel

où je me sens pousser des ailes

pour quelques heures de voyage
 
 

Tous les cercles de notre Terre

je les fais rouler vers les nuages

où les pilotes les accueillent

avec les anges arlequins

qui les transforment en jardins

de sourire et métamorphose

effervescence d'auréoles

pour des années d'apprentissage
 
 

Soleil qui dessine et traverse

mes ombres jongleur comme moi

tresse les anneaux et orbites

de tes planètes pour changer

les lois de notre éternité


 
 
 

AU HASARD DES ORBES

pour Julius Baltazar

 
 
Notre astronef a fait naufrage

sur une plage de galets

au bord d'un océan de rouille

sous un ciel en ébullition

avec des cumulus de soufre

roulant sur des îles trouées

où le vent siffle gronde et brame

comme à travers des tuyaux d'orgue
 
 

C'était une erreur d'aiguillage

dans le réseau d'hyperespace

un caillot dans un capillaire

un grain de sable dans les rouages

de la mécanique céleste

qui nous a lancés dans l'orbite

de cette planète rugueuse

où nous avons dû nous poser
 
 

Nos ordinateurs secoués

ont besoin de quelque répit

et mainte vérification

avant de pouvoir indiquer

au bord de quelle galaxie

nous installons notre bivouac

allant détordre les antennes

au péril des gaz étrangers
 
 

A travers casques et hublots

nous admirons les tourbillons

de sables de couleurs intenses

qui teignent les dragons d'écume

crachant des flammes et des laves

sur les étages des falaises

les dallages de flottaisons

et les radeaux cristallisés
 
 

Nul moyen d'appeler à l'aide

dans une direction précise

il faut attendre des signaux

de qui ne savent où chercher

donc profiter de notre exil

inventer de nouveaux moyens

de goûter sentir et palper

changer notre respiration
 
 

Nous devinons de longues algues

jaillissant du creux des rochers

se balançant au gré des vagues

comme voluptueusement

pour capter les rayons de l'astre

que nous n'osons nommer soleil

par les lucarnes des orages

et le miroitement des nues
 
 

Certains lorsqu'ils rentrent le soir

s'il est possible de parler

de soir ou de journée ici

car nous n'avons jamais de nuit

rapportent des photographies

de ce qui semble bien des ruines

de châteaux ou même de villes

avec des objets dispersés
 
 

Ils parlent aussi d'animaux

d'ailes et d'yeux de mains et griffes

mais on ne peut rien distinguer

de certain nous organisons

des expéditions méthodiques

d'angoisse et de curiosité

je vous en dirai plus peut-être

en risquant un autre message
 


 
 

LA BAVE DU DRAGON

pour François Garnier
Plonger parmi bulles et gouttes

pour cicatriser nos blessures

absorber les sels et les sucs

pour retrouver notre vigueur

apprivoiser flammes liquides

pour engendrer explorateurs

capables de signer le pacte

avec les espèces mutantes
 
 

Trouver la fissure et la nuance

mesurer le pas décisif

fabriquer le visa la clef

le talisman l'incantation

pour le festin des millénaires

où s'ouvriront dans la jouissance

les écailles d'Ouroboros

océan cherchant son répit


 
 
 

VOEUX

pour Joël Leick
Les chiffres de nos indices

courent après ceux de nos années

ils ont encore du retard

mais vont bientôt le rattraper

le 93 est en 95

demain sera 96

cela durera douze mois

en septembre j'aurai 70

combien à votre anniversaire?

quant aux signes de notre piste

j'ai déjà le 94

le 95 viendra vite

nous devons aller jusqu'à cent

puis nous regarderons passer les millésimes

jusqu'au triple zéro tant attendu
 
 

D'ici là beaucoup de courage

et d'obstination


 
 
 

UNE PETITE ARCHE SUR L'ADRIATIQUE DÉBORDÉE

pour Maxime Godard
1

Le photographe au miroir
 
 

Dans le fin fond de ma cambuse

je poursuis la pêche aux images

tendant mon filet sur les ombres

qui viendront repeupler la terre
 
 

2

Les vaches marines
 
 

Monta doucement le déluge

entre les vaisseaux encornés

réclamant la traite et le quai

broutant les algues dans les prés
 
 

3

Les pigeons effervescents
 
 

Dans le jardin du roi des mers

rayons plongeant parmi les branches

les poissons roucouleurs s'ébattent

supputant l'heure du reflux
 
 

4

Le chat tendu
 
 

Seigneur de la savane humide

s'étendant d'une lame à l'autre

évitant toute éclaboussure

il guette les rats de la soute
 
 

5

Le cochon inquiet (1)
 
 

Moi qui voudrais tant vous aimer

humains qui m'apportez le grain

je décèle en votre sourire

une gourmandise funèbre
 
 

6

Le cochon en fleur (2)
 
 

M'abreuvant au bac des ténèbres

j'offre mes soies à la lumière

faisant éclore mes oreilles

pour profiter du moindre bruit
 
 

7

Le canard et le chien
 
 

Les tourbillons de la fourrure

voluptueusement flottante

abritent mainte friandise

pour le bec de l'ami nageur
 
 

8

La jument à revers
 
 

Si j'étais cheval au printemps

les fouettements de l'oriflamme

apporteraient à mes naseaux

le galop grêle des poulains
 
 

9

Les colombes exploratrices
 
 

sur les vagues de la façade

commençant à se pétrifier

messagères immaculées

trouvent un rameau d'olivier
 
 
 
 

10

Le librettiste à la portière
 
 

J'ai bien la barbe de Noé

mais nullement son pied marin

surveillant radar et compas

je cherche le plancher des vaches
 
 
 
 

(en outre)
 
 

Le cochon rêveur (3)
 
 

De la fenêtre de ma bauge

j'aspire le vent matinal

réveillant l'homme qui sommeille

au coeur de chaque porc sensible
 
 

Le cochon curieux (4)
 
 

Messieurs qui chuchotez le soir

je vous épie et vous devine

Mesdames qui les rejoignez

je rince mon oeil dans les vôtres
 
 

Le cochon goguenard (5)
 
 

Vous vous croyez si supérieurs

quand vous passez entre nos auges

mais un beau jour vous trébuchez

et vous roulez dans notre fange
 
 

Le cochon amoureux (6)
 
 

Suaves sont tes grognements

comme le bout de tes oreilles

si je ne te sentais si proche

toutes mes soies deviendraient suies
 
 

Le cochon vorace (7)
 
 

Belles victimes innocentes

de mon groin je hume vos fibres

malaxant en gourmet vos phrases

pour les engloutir en ma panse
 
 

Le cochon rebuté (8)
 
 

J'avais pourtant des avantages

pourquoi m'ont-elles méprisé?

frappant mon groin contre les murs

je veux deviner leurs griefs
 
 

Le cochon faune (9)
 
 

Ces nymphes je les veux poursuivre

en traversant nos murs de fange

dialoguant parmi les roseaux

paradis d'un après-midi
 
 

Le cochon sagace (10)
 
 

Téméraire librettiste

qui veux faire traduction

de nos mille grognements

tes efforts nous font sourire
 
 

Le cochon jazz (11)
 
 

Dans les spirales de ma queue

je capte la mélancolie

que je module en reniflant

dans le dernier rayon de lune
 
 

Le cochon penaud (12)
 
 

J'ai sûrement fait une erreur

ma mémoire me joue des tours

l'insulte va dégringoler

il faut me glisser sans un bruit
 
 

Le cochon Pigalle (13)
 
 

Noeud sur le nez noeud sur la queue

tutu par-dessous le nombril

pour briller aux Folies-Porchère

en levant un jambon léger
 
 

Le cochon gargouille (14)
 
 

Mes oreilles comme des tuiles

sur le toit de la cathédrale

où l'eau des orages ruisselle

pour se déverser par mon groin
 
 

Le cochon crocodile (15)
 
 

Rêvant de marais tropicaux

j'ouvre ma gueule dentelée

pour y engouffrer des oiseaux

dont j'entends l'appel éperdu
 
 

Le cochon conteur (16)
 
 

Vous n'en croirez pas vos oreilles

j'en ai vu de toutes couleurs

j'ai traversé tant de barrières

couché dans tant de porcheries
 
 

Le cochon dormeur (17)
 
 

Contre la vaine agitation

des cochons du siècle voyez

comme il est doux de s'en remettre

aux leçons du porcher Morphée
 
 

Le cochon guetteur (18)
 
 

Certes je ne vois rien venir

mais je compte que Barbe-bleue

s'assoupissant nous livrera

la clef des forêts et des sources


 

L'EAU PURE

pour Maxime Godard

 
 
Comme une algue délicatement abandonnée

sur les rives de la circulation urbaine

qu'elle transfigure en miroitant fleuve limpide et silencieux


 
 

L'AISSELLE DE LA FORET

pour Philippe Colignon

avec Hugo


 
 
flaques . brouiller . souches . fouiller . ronces . briller . tiges . respirer

    ainsi dans le sommeil notre âme d'effroi pleine

nervures . nager . orties . remplir . osiers . mourir . traces . naître.

    parfois s'évade et sent derrière elle l'haleine

lianes . gémir . gouttes . crier . reflets . rire . épaves . mouiller

    Hugo

branches . veiller . boues . rêver . chutes . dormir . sables . s'étendre
 
 

    Comme des mains qui applaudissent

    articulées au bout des bras

    dans la foule presque immobile

    au passage des victorieux
 
 

ronces . plonger . tiges . germer . nervures . brouiller . orties . fouiller

    de quelque noir cheval de l'ombre et de la nuit

osiers . briller. traces . respirer . lianes . nager . gouttes . remplir

    on s'aperçoit qu'au fond du rêve on vous poursuit

reflets . mourir . épaves . naître . branches . gémir . boues . crier

    la légende

chutes . rire . sables . mouiller . éblouissements . veiller . toiles . rêver
 
 

    Comme des étoiles tombées

    devenues naines s'efforçant

    de s'extraire pour retrouver

    leurs compagnes d'immensité
 
 

osiers . courir . traces . sombrer . lianes . plonger . gouttes . germer

    Angus tourne la tête il regarde en arrière

reflets . brouiller . épaves . fouiller . branches . briller . boues . respirer

    Tiphaine monstrueux bondit dans la clairière

chutes . nager. sables . remplir . éblouissements . mourir . toiles . naître

    des siècles

vagues . gémir . signes . crier . fouillis . rire . galets . mouiller
 
 

    Comme une vannerie défaite

    laissant échapper ses trésors

    sur la grève où s'est échoué

    le navire pris dans l'orage
 
 

reflets . tomber. épaves . couler . branches . courir . boues . sombrer

    o terreur et l'enfant blême égaré sans voix

chutes . plonger . sables . germer . éblouissements . brouiller . toiles . fouiller

    court et voudrait se fondre avec l'ombre des bois

vagues . briller . signes . respirer . fouillis . nager . galets . remplir

    avertissements

herbes . mourir . racines . naître . graviers . gémir . fourrés . crier
 
 

    Comme une broderie couvrant

    la soie d'une écharpe entourant

    épaules torse frissonnants

    au sortir d'un concert l'hiver
 
 

branches . pousser . boues . surgir . chutes . tomber . sables . couler

    l'un fuit l'autre poursuit acharnement lugubre

éblouissements . courir . toiles . sombrer . vagues . plonger . signes . germer

    rien ni le roc debout ni l'étang insalubre

fouillis . brouiller . galets . fouiller . herbes . briller . racines . respirer

    et châtiments

graviers . nager . fourrés . remplir . bourgeons . mourir . chatons . naître
 
 

    Comme un gong dans le grand silence

    à l'entrée d'un temple ou palais

    faisant retentir ses échos

    le long des galeries désertes
 
 

éblouissements . pourrir . toiles . crouler . vagues . pousser . signes . surgir

    ni le houx épineux ni le torrent profond

fouillis . tomber . galets . couler . herbes . courir . racines . sombrer

    rien n'arrête leur course ils vont ils vont ils vont

graviers . plonger . fourrés . germer . bourgeons . brouiller . chatons . fouiller

    l'aigle du casque

rivages . briller . ruissellements . respirer . rencontres . nager . clairières . emplir
 
 

    Comme un archipel en dérive

    un bloc de granit liquéfié

    qui disperserait son mica

    dans des vergers cristallisés
 
 

fouillis . bruire . galets . vibrer . herbes . pourrir . racines . crouler

    ainsi le tourbillon suit la feuille arrachée

graviers . pousser . fourrés . surgir . bourgeons . tomber . chatons . couler

    d'abord dans un ravin tortueuse tranchée

rivages . courir . ruissellements . sombrer . rencontres . plonger . clairières . germer

    o sinistres forêts

gerbes . brouiller . chevelures . fouiller . moirures . briller . semis . respirer
 
 

    Comme une épingle dans les plis

    d'un velours parsemé d'élytres

    prête à s'arracher pour ouvrir

    les replis de la tentation
 
 

herbes . dresser . racines . creuser . graviers . bruire . fourrés . vibrer

    ils serpentent parfois se touchant presque puis

bourgeons . pourrir . chatons . crouler . rivages . pousser . ruissellements . surgir

    n'ayant plus que la fuite et l'effroi pour appuis

rencontres . tomber . clairières . courir . gerbes . sombrer . chevelures . plonger

    vous avez vu ces ombres passer

moirures . germer . semis . brouiller . flots . fouiller . rayons . briller
 
 

    Comme un serpent fossilisé

    conservant assez de verdeur

    pour nous proposer des bouquets

    afin de concocter nos philtres
 
 

bourgeons . laver . chatons . courber . rivages . dresser . ruissellements . creuser

    rapide agile et fils d'une race écuyère

rencontres . bruire . clairières . vibrer . gerbes . pourrir . chevelures . crouler

    l'enfant glisse et sautant par-dessus la bruyère

moirures . pousser . semis . surgir . flots . tomber . rayons . courir

    l'une après l'autre

halliers . sombrer . témoins . plonger . oublis . germer . soulèvements . brouiller
 
 

    Comme un lustre où l'on a pendu

    des branches de gui pour la nuit

    de la saint Sylvestre éclairant

    les baisers d'espoirs interdits
 
 

rivages . menacer . ruissellements . user . rencontres . laver . clairières . courber

    se perd dans le hallier comme dans une mer

gerbes . dresser . chevelures . bruire . moirures . vibrer . semis . pourrir

    ainsi courait avril poursuivi par l'hiver

flots . crouler . rayons . pousser . halliers . surgir . témoins . tomber

    et parmi vos décombres

oublis . courir . soulèvements . sombrer . ruines . plonger . échardes . germer
 
 

    Comme un satellite jouant

    avec un anneau tournoyant

    dans l'éther des astres géants

    qui grelottent loin du soleil
 
 

gerbes . attendre . chevelures . craindre . moirures . menacer . semis . user

    comme deux ouragans l'un après l'autre ils passent

flots . laver . rayons . courber . halliers . dresser . témoins . bruire

    les pierres sous leurs pas roulent les branches cassent

oublis . vibrer . soulèvements . pourrir . ruines . crouler . échardes . pousser

    vos ruines

écorces . surgir . résines . tomber . sèves . couler . flammes . courir
 
 

    Comme un éventail de varech

    dans la main d'une enchanteresse

    attisant les braises discrètes

    d'un brûle-parfum capiteux
 
 

flots . grandir . rayons . vivre . halliers . attendre . témoins . craindre

    l'écureuil effrayé sort des buissons tordus

oublis . menacer . soulèvements . user . ruines . laver . échardes . courber

    oh comment mettre ici dans des vers éperdus

écorces . dresser . résines . creuser . sèves . bruire . flammes . vibrer

    vos lacs

ténèbres . pourrir . labyrinthes . crouler . ratures . pousser . antres . surgir
 
 

    Comme les yeux d'un enchanteur

    métamorphosé par les fées

    pour une insulte très ancienne

    qui vont retrouver leur vigueur
 
 

halliers . ouvrir . témoins . cacher . oublis . grandir . soulèvements . vivre

    les bonds prodigieux de cette chasse affreuse

ruines . attendre . échardes . craindre . écorces . menacer . résines . user

    le coteau qui surgit le vallon qui se creuse

sèves . laver . flammes . courber . ténèbres . dresser . labyrinthes . creuser

    vos ravins

ratures . bruire . antres . vibrer . encres . pourrir . cavernes . crouler
 
 

    Comme un sexe dans une grotte

    illuminée par les éclats

    des nuages crépusculaires

    parmi les duvets et les mousses
 
 
 
 

ruines . enfoncer . échardes . luire . écorces . ouvrir . résines . cacher

    les précipices l'antre obscur l'escarpement

sèves . grandir . flammes . vivre . ténèbres . attendre . labyrinthes . craindre

    les deux sombres chevaux le vainqueur écumant

ratures . menacer . antres . user . encres . laver . cavernes . courber

    vos halliers

gouffres . dresser . tourbillons . creuser . poussières . bruire . cendres . vibrer
 
 

    Comme une migration d'oiseaux

    survolant détroits et vallées

    s'interrogeant mutuellement

    pour le prochain atterrissage
 
 

sèves . relever . flammes . disperser . ténèbres . enfoncer . labyrinthes . luire

    l'enfant pâle et l'horreur des forêts formidables

ratures . ouvrir . antres . cacher . encres . grandir . cavernes . vivre

    il n'est pas pour l'effroi de lieux inabordables

gouffres . attendre . tourbillons . craindre . poussières . menacer . cendres . user

    vous avez vu courir ces deux noirs chevaliers

brindilles . laver . amas . courber . jonchées . dresser . sentes . creuser
 
 

    Comme les ossements rongés

    d'un moment de délassement

    qui reviennent à la mémoire

    avec de souriants reproches
 
 

ratures . polir . antres . écarter . encres . relever . cavernes . disperser

    et rien n'a jamais fait reculer la fureur

gouffres . enfoncer . tourbillons . luire . poussières . ouvrir . cendres . cacher

    comme le cerf le tigre est un ardent coureur

brindilles . grandir . amas . vivre . jonchées . attendre . sentes . craindre

    vous avez vu l'immense et farouche aventure

touffes . menacer . rouilles . user . sources . laver . ruses . franchir
 
 

    Comme une bouteille à la mer

    dont le message s'est perdu

    parmi des fantômes de bulles

    crevant aux portes du cerveau


 
 
 
 

LAMES

pour Antonio Saura

 
 
Le monument se présente comme une dalle ou lame tendue de tissu noir frappé du sigle blanc du ver ou rat rongeur. Si l'on réussit à la soulever on s'aperçoit qu'il s'agit en fait d'une trappe qui mène dans un somptueux caveau où l'on trouve d'abord, étendues dans les suaires transparents d'une vaste chambre à très basse voûte, les 27 feuilles d'un tarot funèbre,
 
 

trois fois neuf images liant semaines saintes et corridas, couteaux et velours, silex et murmures, avec rage et délicatesse,

27 arcanes majeurs de notre misère à savoir :

1) deux visages écrasés après un instant d'assouvissement, guettant l'approche de l'indétournable vedette policière fendant la mer d'asphalte sous le ciel de plomb,

2) une femme, sa chemise à ourlets de dentelles relevée jusqu'au cou, affalée sur une méridienne tapissée de reps élimé, certaine de l'arrestation, essayant d'apaiser ses tourbillons d'angoisse,

3) un archevêque mitré s'extirpant de sa bière, quelques lambeaux de chairs et poils tenant encore à ses pommettes, sous les yeux d'une bande d'angelots bavards à ailes mi-parties corbeaux et cygnes, de vraies pies de columbarium, effarés devant cette résurrection ratée,
 
 

et liant aussi l'armet de Mambrin à l'Heure de Tous, sarments et serments, joyaux et blessures, avec sarcasme et langueur :

4) le visage un peu inquiet d'un commentateur à col et capuchon de fourrure, se disant que ce n'était pas du tout ce qu'il avait prévu, se demandant si ce ne sera pas son tour d'y passer la prochaine fois, se ressaisissant aux barreaux du code, mais attendant encore quelques instants pour reprendre son souffle avant de condamner,

5) le visage gras, blafard, à pustules, d'un autre qui préfère ne pas trop s'approcher du poële de faïence de peur de fondre, s'étaler sur les carreaux du prétoire, se perdre à l'égout,

6) quant à celui-ci, c'est plutôt le prévenu qui suppute son tour, prévenu bien trop tard d'ailleurs, pris au dépourvu; des yeux lui bourgeonnent sur les joues et les tempes, sur la nuque aussi sans doute, cherchant la faille et l'issue,
 
 

enchaînant aussi les baraquements des gitans aux projecteurs des studios, sueurs et pâleurs, jungles et bavures, avec fougue et retenue :

7) l'antichambre de l'inquisition avec alguazils, spadassins, séminaristes, secrétaires, appariteurs, assesseurs qui s'agitent autour des suspects traînés dans leurs chemises de chanvre avec de grands crochets,

8) le contrôleur de profil avec la goutte de morve chargée de nicotine et poivre, qui s'attarde sur son menton rugueux en galoche, pivotant sur le cou maigre semblable au manche d'une massue,

9) les taches de moisissure sur la soutanelle, ou bien celles de clair de vieilles lunes sur la poussière du cachot fouillée par les rayons coupants des lanternes grillagées,
 
 

et aussi les divines Paroles aux farces de Lazarillo, les fouets et les grâces, les nains et les grils, avec acharnements et replis :

10) les trois juges infernaux: le général Minos, le supérieur Eaque et le frère Rhadamante, goguenards, grivois et goulus,

11) la pleureuse avec sa tresse de jais, les genoux souriant un peu sous la bure laiteuse,

12) serait-ce la même couchée maintenant sur le dallage, Olympia des soupiraux, une grosse flaque reliée par un large visqueux filet à son cou tranché, la chair tremblant encore dans l'émotion du viol?
 
 

juxtaposant les Commentaires royaux à la brévissime Relation de la Destruction des Indes, aiguières et charognes, glaciers et brasiers, avec vengeance et pardon :

13) le premier procureur avec sa toque, son regard ennuyé, sa voix traînante nasillarde, les gouttes de transpiration sur son front qu'il essuie d'un ample balayage de sa manche à revers,

14) un cheval saluant celui de Guernica, hennissant, mâchoires ouvertes, langue en poignard, le visage d'un palefrenier bouffon apparaissant soudain par une brèche de l'écurie calcinée,

15) conversations de vestibules, remarques à l'emporte-pièce dentelé sur les réquisitoires et plaidoiries, chuchotis et suçotements,
 
 

et aussi la Tentation de Saint Antoine au Chemin de Saint Jacques, odeurs des jasmins, barbelés des camps, avec effervescence et distance :

16) l'inévitable crucifix sur la paroi, la couronne d'épines enfoncée dans les yeux,

17) l'avocat du diable, comme si celui-ci en avait besoin, qui ne laisse passer nulle intonation, nulle hésitation, boutonné jusqu'aux dents, les billes de ses pupilles roulant dans le goudron de ses orbites,

18) le président tordant sa gueule pour proférer l'inintelligible mais inéluctable sentence,
 
 

superposant le Festin de Pierre au Retable de maître Lézard, plafonds étoilés et blizzards de suie, avec violence et ruses :

19) les loges de la presse avec les téléphones, téléscripteurs, caméras, microphones, cuves à révélation, agrandisseurs, tables de montage et massicots, l'extermination en direct,

20) la liesse de la foule à l'annonce du supplice, les écoliers lançant en l'air leurs encriers, déchirant leurs cahiers et tendant des pièges pour les vieillards indulgents,

21) le greffier soulagé d'avoir enfin transcrit le dernier attendu, soignant ses points d'exclamation et d'imprécation,
 
 

et enchaînant aussi les portraits de famille aux haillons de brocard, leçons de ténèbres et jeux olympiques, avec arrachements et glissements :

22) le plongeon de la tête du sorcier, de l'hérétique, de l'inventeur, à l'intérieur de sa propre poitrine, comme pour chercher son coeur afin de pouvoir le vomir, lorsqu'il a compris que tout était perdu (mais comment diable -ou plutôt légions des insondables ricanants abîmes célestes-, pouvait-il espérer encore?),

23) le peintre et son modèle, celui-ci transformé en insecte, mais à vrai dire le peintre aussi,

24) l'épouse, tout son corps marbré de frissons, dénudé presque écorché à l'intérieur de la geôle des tissus houille et neige sous la mantille,
 
 

et mariant aussi les lichens des toundras aux beuveries des cloîtres, étaux, étals, étoles et âtres, avec crissements et réverbérations :

25) le paysage de l'exécution à l'aube livide; une fusillade mais réglée de telle façon qu'elle dure aussi longtemps qu'un bûcher; on devine des battements d'ailes mais sans pouvoir décider si ce sont encore celles des archanges ou celles des vautours déjà,

26) bousculade à la procession pour baiser surplis, chiper reliques, se barbouiller de cendres,

27) l'enfant rescapé qui connaîtra bientôt l'étendue de ses tares.
 
 

Lorsqu'on a refermé le vantail sur cette galerie-galère à 27 voiles, apte à naviguer dans les flots de lave sous toutes nos villes, on descend d'un étage encore pour trouver dans une autre cave plus petite, sous une liasse de méditations vénérables, tout au fond, telle une fleur sèche oubliée, la relation d'une visite antérieure.
 


 
 
 

VINGT ANS D'AGE

pour Joaquim Vital et Colette Lambrichs

 
 
 
 
En 1585 le père Luis Frois, jésuite portugais, après avoir passé trente ans au Japon, rédigea un petit traité sur les différences entre "eux et nous".
 
 

Au cours de mes voyages j'ai pu profiter de la diversité du monde légèrement voilée par sa superficielle uniformisation.
 
 

De décennie en décennie j'ai vu changer musiques et moeurs, modes médicales ou religieuses, les théories scientifiques moduler, les cotes des peintres fluctuer, dans l'universelle respiration des générations.
 
 

Modeste Don Juan, comment ne me serais-je pas laissé charmer par l'arc-en-ciel des regards, chevelures, teints, démarches, sourires, galbes, timbres de voix, intonations?
 
 

Je voudrais connaître toutes les langues, toutes les îles, toutes les villes pour pouvoir montrer la nécessité de chacune, tous les déserts pour déployer leur imagination, fouiller leur tessiture; et je suis très heureux de savoir que je n'y arriverai jamais, que nul n'y arrivera jamais, qu'on n'y arrivera jamais, qu'un nouveau siècle va s'ouvrir et que l'espace nous attend.
 
 

Ni grand seigneur, ni méchant homme, j'ai cette supériorité sur Alexandre de savoir qu'il y a d'autres mondes où nous pourrons étendre nos explorations amoureuses.
 
 

Et même sous le laminoir de l'économie de supermarché, j'ai vu des éditeurs maintenir leurs distances contre vents et marées.
 
 

Aussi je vous invite à déguster les crus diversifiés dans la bouteille de cet ouvrage, ruisselants aux verres de ces pages, dans le souvenir des vingt premières années de la Différence, mais surtout en heureux augure des vingt prochaines.


 
 
 

LA FLECHE AU COEUR

pour Gerald Minkoff et Muriel Olesen
côte à côte dans le sud-ouest des Etats-Unis

 
 
Passent les minutes les vents les cavaliers les pollens les jours les bruits les désirs les traces les tremblements les armées les nuits les exodes les travois les aboiements les admonestations les jours les cérémonies passent
 
 

Les rectangles de bois

autour des orbites noires

les poteaux modulés

sous la balustrade fragile

l'horizon flamboyant
 
 

Passent les heures les explorations les camions les fumées les nuits les fatigues les attentes les plissements les églises les massacres les jours les chariots les rugissements les élections les enterrements les nuits les prospections passent
 
 

Les dollars enfoncés dans le sac à main

comme les mèches sous le foulard

les rides soulignent le sourire

les bijoux sautant sur les raies

l'horizon masqué
 
 

Passent les secondes les migrations les automobiles les parfums les jours les fureurs les neiges les races les érosions les sermons les nuits les incantations les wagons les mugissements les conversations les jours les initiations passent
 
 

Des échelles pour escalader le ciel

de la vaisselle au pied du mur

l'ombre tournant avec les heures

les terrasses des astronomes

l'horizon tranchant
 
 

Passent les journées les empires les ondes les nuages les nuits les amours les récapitulations les traditions les invasions les discours les jours les cauchemars les roulottes les miaulements les traductions les nuits les baptêmes passent
 
 

Les portes les cailloux les herbes

l'inconnu à travers la vitre

les épaules dans le soleil

le silence émaillé

l'horizon virulent
 
 

Passent les nuits les ronces les chants les échos les jours les vengeances les destructions les informations les inondations les prophéties les nuits les murmures les déménagements les feulements les mariages les jours les empires passent
 
 

Une rude caresse

laisse des bleus

dans la peau de la pierre

qui les chérit

l'horizon cassé
 
 

Passent les saisons les avions les récits les grondements les nuits les bruits les danses les oublis les soulèvements les apocalypses les jours les superstitions les chimères les éructations les recommandations les nuits les vents passent
 
 

Les chutes pétrifiées

nourrissent les pylônes

qui distribuent leurs étincelles

dans les parlements des fantômes

l'horizon écartelé
 
 

Passent les soirs les poussières les cavaliers les menaces les jours les fatigues les appels les brumes les effondrements les révélations les nuits les expéditions les monstres les soupirs les interjections les jours les explorations passent
 
 

Ceux d'autrefois

escaladant les fractures

dans les blessures de la Terre

ruisselant de sang minéral

l'horizon retourné
 
 

Passent les semaines les prospections les camions les pollens les nuits les fureurs les hordes les pluies les redressements les visions les jours les exploitations les dragons les râles les injonctions les nuits les ordinations passent
 
 

Les boucles du fleuve intermittent

sous les chevelures d'humidité

que l'été peigne dans l'haleine

des architectes disparus

l'horizon tressé
 
 

Passent les mois les rêves les automobiles les odeurs les jours les amours les désirs les famines les feuillettements les enseignements les nuits les exécrations les fantômes les explosions les disséminations les jours les migrations passent
 
 

Les yeux traversant la paroi

les cheveux frémissant aux traces

pour l'exploration des cavernes

où cuisent fauves et rayons

l'horizon fouetté
 
 

Passent les années les sables les ondes les ombres les nuits les vengeances les attentes les évangiles les retournements les révolutions les jours les méditations les obsessions les battements les interrogations les nuits les ronces passent
 
 

La population des épines

s'embarquant sur l'arche des neiges

pour survivre aux lapidations

des déluges de sécheresse

l'horizon craquelé
 
 

Passent les siècles les oiseaux les chants les orages les jours les bruits les fièvres les traces les glissements les épidémies les nuits les éboulements les angoisses les fugues les tourbillons les jours les concours passent
 
 

Le vaisseau fantôme

bloqué dans sa banquise rouge

où tournoient les pillards

captant les images lointaines

l'horizon martelé
 
 

Passent les saisons les vents les poussières les sommeils les nuits les fatigues les cavaliers les grondements les menaces les récapitulations les jours les destructions les races les traditions les tremblements les nuits les plissements passent
 
 

Le chariot grondeur

étalant son élégance

dans les coulisses du désert

où se trament les éclairages

l'horizon bloqué
 
 

Passent les phases de la Lune les explorations les prospections les conquérants les jours les fureurs les camions les pollens les fumets les danses les nuits les informations les érosions les invasions les sermons les jours les massacres passent
 
 

Les couvertures et les peaux

sèchent dans la brèche du four

avant la tombée des frissons

qui font gicler les aboiements

l'horizon balafré
 
 

Passent les veilles les migrations les rêves les motos les nuits les amours les automobiles les fumées les odeurs les appels les jours les hordes les oublis les brumes les inondations les nuits les soulèvements passent
 
 

Cavalcadant parmi les orgues

ou virant parmi les gravats

d'une planète abandonnée

par ses dieux en villégiature

l'horizon éclaté
 
 

Passent les vacances les empires les sables les trains les jours les vengeances les ondes les parfums les ombres les anges les nuits les désirs les pluies les famines les effondrements les jours les révélations passent
 
 

Les troncs de pierre plongeant leurs racines

dans les époques englouties

tendent leurs branches enneigées

aux bûcherons taillant les nuages

l'horizon labouré
 
 

Passent les pèlerinages les ronces les oiseaux les cultes les nuits les bruits les chants les nuages les orages les attentes les jours les fièvres les évangiles les traces les feuillettements les nuits les révolutions passent
 
 

Les chambres éventrées

dans le giron des grottes

avec les meurtrières épiant toujours

les envahisseurs

l'horizon enfoui
 
 

Passent les jeûnes les avions les vents les récits les jours les fatigues les sommeils les échos les grondements les neiges les nuits les récapitulations les vestiges les races les glissements les jours les tremblements passent
 
 

Les maisons crânes

soulevant leurs suaires

tandis que les dalles s'ouvrent

à l'appel du jugement

l'horizon vibrant
 
 

Passent les processions les poussières les explorations les cavaliers les nuits les fureurs les conquérants les menaces les pollens les destructions les jours les danses les traditions les informations les plissements les nuits les érosions passent
 
 

La vie s'est arrêtée

dans la bulle de silence

où roulent les cailloux

parmi les racines

l'horizon double
 
 

Passent les calendriers les prospections les migrations les camions les jours les amours les motos les fumets les fumées les appels les nuits les hordes les oublis les brumes les invasions les jours les inondations passent
 
 

Le conquistador a noué ses lacets

avant de revêtir sa cuirasse

pour plonger dans la fosse des âges

où va fondre le souvenir de son iniquité

l'horizon de flammes
 
 

Passent les programmes les rêves les empires les automobiles les nuits les vengeances les trains les odeurs les parfums les anges les jours les désirs les pluies les famines les soulèvements les nuits les effondrements passent
 
 

Lance et tromblon

pour décider l'oiseau de l'averse

à couvrir de ses ailes

les régions dévastées

l'horizon inondé
 
 

Passent les propositions les sables les ronces les ondes les jours les bruits les cultes les ombres les nuages les attentes les nuits les fièvres les évangiles les traces les redressements les jours les feuillettements passent
 
 

Du fond de notre résistance

nous remontons sur le plateau

où les briques des conquérants

sont devenues la proie du gel

l'horizon usé
 
 

Passent les échéances les oiseaux les avions les chants les nuits les fatigues les récits les orages les échos les neiges les jours les récapitulations les vestiges les races les retournements les nuits les glissements passent
 
 

Au théâtre des découvertes

les arbres spectateurs palpitent

amours d'antan plaisirs perdus

pistes vers les trésors d'énigmes

l'horizon couronné
 
 

Passent les pauses les vents les poussières les explorations les jours les fureurs les cavaliers les conquérants les camions les pollens les nuits les fumées les fumets les destructions les danses les jours les appels passent
 
 

La flûte sait apprivoiser

la vannerie du labyrinthe

barbe et cheveux nuage et buissons

signaux de naissance d'un nouveau dieu

l'horizon s'ouvrant
 
 

Passent les mesures les prospections les migrations les rêves les nuits les amours les motos les automobiles les trains les odeurs les jours les parfums les ombres les hordes les anges les nuits les désirs passent
 
 

Chapelets de sapins et perles

croisées de chemins et maisons

jardins de ferveurs et d'espaces

stèles des vivants et des morts

l'horizon feuilleté
 
 

Passent les soupirs les empires les sables les ronces les jours les vengeances les ondes les cultes les chants les nuages les nuits les orages les échos les attentes les fièvres les jours les neiges passent
 
 

Les grilles de la camionnette

les poutres sortant des parois

les barreaux devant la fenêtre

sous les lampadaires et clochers

l'horizon chimérique
 
 

Passent les battements les oiseaux les avions les vents les nuits les bruits les récits les sommeils les cavaliers les grondements les jours les menaces les pollens les récapitulations les destructions les nuits les danses passent
 
 

Les chiens devant l'abside

entre les contreforts

semblables à des fours à pain

dans l'odeur des feux de pignons

l'horizon multiplié
 
 

Passent les silences les poussières les explorations les prospections les jours les fatigues les conquérants les camions les motos les fumets les nuits les fumées les odeurs les appels les hordes les jours les anges passent
 
 

L'éclairage des murs de terre

qu'il faut repolir à la main

après chaque pluie

dans le concert des aboiements

l'horizon apaisé
 
 

Passent les délais les migrations les rêves les empires les nuits les fureurs les automobiles les trains les ondes les parfums les jours les ombres les nuages les désirs les attentes les nuits les fièvres passent
 
 

Les balafres d'ombres et planches

les caresses d'argile et d'épines

une fumée dans l'azur noir

la conversation des croyances

l'horizon déroulé
 
 

Passent les retards les sables les ronces les oiseaux les jours les amours les cultes les chants les récits les orages les nuits les échos les grondements les neiges les récapitulations les jours les destructions passent
 
 

Les seins couvant un lait de braises

avec l'odeur du pain roussi

les cheminées et les gouttières

les réserves et les outils

l'horizon dévalé
 
 

Passent les périodes les avions les vents les poussières les nuits les vengeances les sommeils les cavaliers les conquérants les menaces les jours les pollens les fumets les danses les appels les nuits les hordes passent
 
 

Au loin la découpure des terrasses

comme des lingots d'or dans le soir

avec le hennissement des chevaux

et la cloche du cimetière

l'horizon liquide
 
 

Passent les époques les explorations les prospections les migrations les jours les bruits les camions les motos les automobiles les fumées les nuits les odeurs les parfums les anges les désirs les jours les attentes passent
 
 

Les croix devenant mâts et vergues

la terre un océan démonté

brusquement immobilisé

par un sourire en deuil

l'horizon sorcier
 
 

Passent les ères les rêves les empires les sables les nuits les fatigues les trains les ondes les cultes les ombres les jours les nuages les orages les fièvres les neiges les nuits les récapitulations passent
 
 

Le diapason de la kiva

sert d'antenne pour diffuser

les messages des souterrains

pour les arpenteurs du plateau

l'horizon attentif
 
 

Passent les commémorations les ronces les oiseaux les avions les jours les fureurs les chants les récits les sommeils les échos les nuits les grondements les menaces les destructions les danses les jours les agonies passent
 
 

La musique venue de l'autre côté

de la frontière pour les vieux pilotes

en faisant fleurir les vrombissements

arrache enfin les barbelés

sur l'horizon déchiqueté
 
 
 
 

Sommaire n°9 :
LES MAINS DU GUITARISTE
LE RADEAU DE L'ENFANCE
AIGUILLAGE
L'ÉTOILE GRISE
VINGT BLOCS DE CHARBON
LE JEU DES ÉLÉMENTS
PETIT ÉCRAN
LA JOCONDE AU PALAIS D'ORSAY
MODULATION DE FRÉQUENCE
LES DEUX JUMEAUX CHERCHENT LEUR PERE
LA GUÉRISON PAR L'OEIL
PORTRAIT DE L'ARTISTE EN JONGLEUR À MIDI
AU HASARD DES ORBES
LA BAVE DU DRAGON
VOEUX
UNE PETITE ARCHE SUR L'ADRIATIQUE DÉBORDÉE
L'EAU PURE
L'AISSELLE DE LA FORET
LAMES
VINGT ANS D'AGE
LA FLECHE AU COEUR


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