Poésie au jour le jour 9
LE RADEAU DE L'ENFANCEGlissant le long du manchepour chercher les accords
bâtir la mélodie
faire vibrer la note
avant de la signer
par une griffe d'or
Dans les rues du faubourg
de bistrot en bistrot
roulant sur le trottoir
en évitant les bornes
cueillant dans les vitrines
une inspiration neuve
Les reflets sur les jeans
les couleurs des enseignes
les numéros gagnants
les affiches brûlées
la donne de la pluie
sur le tapis des vitres
Les rayons dans l'orage
le choral des camions
les clochers le beffroi
sur le clavier des toits
la chanson des marchés
le murmure des chambres
Dans l'ombre qui mûrit
les trilles des fantômes
au verso des discours
les joyaux de la grève
l'étoile des arpèges
et l'ongle du bonheur
et Jean Miotte
Ces maisons, comme elles nous paraissaient immenses avec leurs escaliers, caves, placards interdits, leurs miroirs, avec ces vieilles personnes surtout qui nous faisaient sauter sur leurs genoux, souriaient, s'émerveillaient! Leurs cheveux blanchissaient en se raréfiant.
Un jour il y eut un deuil. On chuchotait, on nous écartait. Tout le monde s'est habillé de noir. On s'est retrouvé donnant la main dans un cimetière sous la pluie, écoutant des discours auxquels on ne comprenait rien. Pendant quelque temps, cela n'a pas changé grand chose. La maison était toujours là, un peu plus silencieuse, un peu plus sombre, un peu moins grande, mais avec des profondeurs nouvelles, des recoins où l'on n'était jamais allé, des autorisations inattendues. Et puis il y avait l'autre.
Pourtant sur l'horizon de notre jeune vie s'amassaient déjà nombre de nuages. Il y avait des fissures dans notre navire et nous sentions que l'équipage n'avait plus sa belle assurance. Les autres ne se maintenaient plus à distance respectueuse. Il a fallu rivaliser dans les écoles, parvenir à se revigorer dans les cours dites de récréation. Comme nos bras étaient toujours trop faibles devant ceux des aînés, il fallait aiguiser paroles et ricanement, réussir à blesser pour se faire craindre.
Un nouveau coup de tonnerre a tout secoué. Les meubles que l'on avait crus définitivement arrimés comme aux quais d'un port tranquille où l'on pourrait toujours se réfugier après les tumultes, ont été dispersés çà et là, en vomissant de leurs tiroirs toute une écume de documents qu'on nous a demandé d'examiner. Certains ont définitivement disparu, emportés par une lame de fond. Les vêtements d'antan avec leurs odeurs si prononcées n'habillaient plus personne. Il a fallu en retourner les poches avant de les empiler dans des cartons pour les donner à de plus pauvres que nous.
En même temps toutes sortes d'envers et d'arrière-fonds se découvraient dont nous ne nous serions pas douté. Nous ne pouvions en croire nos yeux. Ces correspondances, ces tractations, ces comptes. Et tout ce que cela suppose: ces dessous, ces angoisses, ces haines! Ratures et déchirures, factures et reçus, brûlures et signatures, pansements et médications. Nous en parlions entre nous. Certains savaient ou prétendaient savoir. Ils préféraient le plus souvent jeter tout cela par dessus bord ou dans la cheminée, l'ensevelir en vrac dans la cendre et le brouillard.
Tandis que nous errions dans cette forêt d'échardes et d'étincelles vieillies, parfois des effluves de baumes. Étions-nous les seuls à les sentir? Quelques épaves surnageaient énigmatiques, fascinantes. Nous avons essayé d'en sauver certaines, de nous renseigner. Mais à qui s'adresser désormais? Quel dommage de n'y avoir pas pensé plus tôt! Que ne donnerait-on pour pouvoir poser la question à ce vieux visage dont les traits ne se précisent plus que grâce à des photographies jaunies dont nous savons toute l'insuffisance? Quelle beauté engloutie, quelle perte!
L'orage menace; les coups de tonnerre se multiplient. Le vent s'est levé; les vagues déferlent. Quelle noirceur, tout à coup, percée de rayons qui nous révèlent écueils et vestiges! On ne peut même plus parler de navire. Parmi les craquements et soubresauts nous avons réussi à consolider quelques parties du pont supérieur, y empiler des coffres avec provisions et trésors.
C'est la lutte pour la vie, nous annoncent de stridents prophètes, la concurrence impitoyable, la guerre économique à outrance. Si donc nous ne sommes pas capables d'arracher à ces villes entières qui deviennent fantômes en tremblant, tanguant et sombrant, quelques gouttes d'élixir, faudra-t-il vraiment s'entredévorer?
La mer d'huile est devenue furieuse. Les vernis d'antan se craquellent dans la gueule de notre athanor flottant qui cherche un cap sous les flèches de la grêle. Si seulement, saints langoureux, nous pouvions faire fleurir nos blessures en auréoles! Mais, démons noircis et tannés plutôt, nous rassemblons fiévreusement tout le plomb des anciennes quilles, jointures et gouttières pour le faire fondre et mijoter dans notre cornue à la dérive -du moins ceux d'entre nous que les maladies virales, environnementales ou monétaires n'ont pas encore terrassés.
Autour de notre désastre relativement calme se multiplient coups de canons, rafales, déflagrations, gémissements et râles. Des avions perdent sur les atolls devinés leurs chapelets de bombes. Pourtant nous persistons dans notre fumée pacifique pour faire appel à ces autres navigateurs que nous apercevons dans une éclaircie, apparemment mieux lotis que nous, à qui nous pourrons peut-être apporter la pépite qui leur manque, la boussole qu'ils ont perdue, pour trouver enfin le nouveau continent, la vigueur mûre, le génie des lectures et peintures, la liberté des mers.
Le train passe à toute vitesseà travers la forêt des pins
emportant le bruit des usines
et leurs fontaines de goudron
le voyageur entre les branches
aperçoit hangars et lessives
puis dans la gueule des tunnels
compte les caries des rochers
Il se souvient des trains d'antan
avec leurs basses de boogie
les escarbilles dans les yeux
quand on baissait la vitre lors
des virages qui permettaient
d'admirer la locomotive
et le point d'interrogation
qui sortait de sa cheminée
Maintenant l'électricité
nous emporte avec ses arpèges
enluminant les partitions
caressées par les pantographes
ainsi nous tentons de recoudre
les déchirements de l'enfance
les effilochements du temps
qui s'agite entre nos deux rails
J'ai cherché dans les cataloguesdes musées de spectroscopie
la signature de l'intrus
venu perturber les cadrans
de mon observatoire intime
après nombreux feuillettements
qui m'ont entraîné jusqu'aux plus
invraisemblables galaxies
j'ai dû me rendre à l'évidence
qu'il s'agissait d'un astre neuf
Accumulation de poussières
au ponant d'un siècle déçu
tourbillons de peurs et rancoeurs
protubérances de fureurs
tordant les barreaux de la geôle
des publicités mensongères
tandis que la guerre perdure
malgré les proclamations vaines
des diplomates et prélats
des gouvernants en leurs palaces
Agglomération de souffrances
boules d'épines et d'angoisses
au bruit des canons et des bombes
tandis que tintent les cocktails
de l'autre côté de la mer
sur l'autre versant des montagnes
de l'autre côté de la rue
sur la page d'un autre livre
sur l'écran d'une autre télé
ricanement du même crâne
Étoile absinthe macérée
aux flaques des ultimatums
avec tes rayons de furoncles
tes tentacules endormeurs
fouille nos marais et fractures
avant de t'abattre sur nous
absorbe la paix des espaces
capte le feu des millénaires
pour que le plomb s'aère en or
et que tes éclats nous guérissent
1)A l'intérieur du noir
le blanc de l'insomnie
à l'intérieur de l'orage
le jaune des steppes
le soir de laque
coule sur les colonnes
le bruit des vélos
caresse les réverbères
l'étoile des soies
tourne sur les marchés
la nuit des monnaies
roule dans les blessures
la marche affamée
est devenue si longue
qu'on ne sait plus
quand elle a commencé
ni si on a vraiment réussi
à changer de place
après avoir tant tourné
on espère la brèche et le port
2)
Les germes des nuages
à l'intérieur de la Terre
le fruit des pioches
mûri dans les wagons
un trésor de braises
attend l'étincelle
pour adoucir l'hiver
fondre la raideur
des armes et des règlements
des bottes et tampons
projectile pour briser
les vitres administratives
que le givre et la suie
ont rendues impénétrables
et faire bourgeonner
les barbelés des camps
en églantines et framboises
dans les sentiers de l'évasion
la vapeur du bain
plane sur la neige
3)
Les crocs du carbone
sur les poings du Penseur
l'oeil des mines
entrouvrant sa paupière
sur les faubourgs où crissent
les freins des voitures
entre espoirs de famille
et peur des restrictions
ancestrale timidité
devant les intrus arrogants
nostalgie de l'expansion
dans les îles du monde entier
un profil méditatif projette
son ombre sur le mur du ciel
un silence interrogatif
envahit ravines et ruelles
une odeur de suie et de thé
poursuit le flâneur vespéral
tandis que les oiseaux s'exercent
pour une ultime sérénade
4)
Si je prends ce caillou sombre
dans mes mains d'occidental
il me faudra les laver
en revenant à l'hôtel
une pétrification d'encre
à l'intérieur du brouillard
roulant sur les champs de papier
pour ensemencer les images
une montagne miniature
à disposer sur une planche
pour y voir sonner les reflets
les ombres se développer
comme des chants ou des pétales
pour signaler et protéger
le trésor des générations
crâne friable et salissant
promis à l'enfer domestique
dirige ma méditation
avant de t'évanouir en cendres
dans le tiroir du temps qui passe
5)
Animal en hibernation
le museau caché sous les pattes
frissons de rêves parcourant
les éventails de sa fourrure
tandis que des gémissements
soulignent sa respiration
ventre creusé de corridors
où se poursuivront les flammèches
en proposant leurs attentions
aux étrangers venus du froid
tandis que la neige recouvre
les murailles et les palais
les fantômes et rescapés
les dynasties et paysans
la rumination de l'oubli
dans les ténèbres minérales
parcourent les tranchées des fouilles
où se réveillent les guerriers
cherchant à reprendre parole
dans la jungle des tractations
6)
Borborygmes phosphorescents
perturbant l'abdomen des âges
sous le pressoir des continents
extrayant goudrons et pétroles
dans les cavernes et replis
sous les édredons de l'humus
poissons des grandes profondeurs
de l'écorce moirée de schistes
dans les draperies des montagnes
sous les gouffres des océans
boutons de roses calcinés
qui s'épanouissent en pétales
de braise avant de se faner
en cendres dispersées aux vents
des ports des faubourgs et des steppes
emportant le velours des gongs
les carillons de l'occident
les proclamations des muezzins
à travers atolls et déserts
dans la consommation des siècles
7)
Caillot du réseau ferroviaire
galet parmi les aiguillages
des cascades énergétiques
dévalant au milieu des foules
qui retrouvent leurs domiciles
après l'usine et le bistrot
après la caserne et l'école
bibliothèque d'escarbilles
archives de la destruction
depuis les forêts de fougères
où broutaient les lézards géants
jusqu'au pourrissement des princes
aux veilles des révolutions
inévitablement ratées
dont les soubresauts se prolongent
sous les apparences de paix
dans les cauchemars que distille
la contemplation des foyers
ou les battements lancinants
des wagons dans la nuit glacée
8)
Genou de la tempête
enfoncé dans la boue
comme au bord d'un étang
strié de tourbillons
concentré de la crasse
de toutes nos familles
arrachée aux lessives
par le savon des craintes
ossement de l'Histoire
dans lequel s'enracinent
les arbres de tuyaux
où circulent domptées
les eaux propres ou sales
dans nos villes d'abois
noix d'où naît la caverne
mordorée chaleureuse
où déplier les mains
engluées par le gel
et déchiffrer les runes
des stèles incarnées
9)
Le vrai trésor de l'empereur
n'est pas de l'or mais de la houille
de vastes galeries de stèles
où la chaleur des temps anciens
s'est amassée en inscriptions
que nous ne pouvons déchiffrer
sauf dans l'explosion de la flamme
où le savoir est dissipé
mais que nos arrière-neveux
réussiront à déguster
lentement pour vaincre le temps
pour les dissoudre en océan
où nos navires partiront
à la découverte de mondes
bourdonnant d'arbres musiciens
rayonnant en pentes menant
à la fontaine de jouvence
jaillissant au fond de la mine
à ciel ouvert abandonnée
par les explorateurs passés
1O)
Glaçon de la mer noire
échoué sur la rive
au plus profond du golfe
où le soleil prépare
les nouvelles éclipses
et d'autres éruptions
huître de la mer grise
baillant en méditant
la perle des marais
où la lune s'inspire
pour d'autres floraisons
et nouvelles méduses
silex de la nuit douce
couvant ses étincelles
pour allumer les yeux
des étudiants avides
qui trempent leurs pinceaux
dans les cheveux de l'ombre
pour réchauffer les noms
des charmeuses frileuses
11)
Des embryons d'incendies jouent
dans les antres des vieux dragons
dans les ventres des millénaires
les plis des forêts englouties
escarboucles et fumerolles
tournent autour de leurs naseaux
explosions de cris et de griffes
ruissellements de sable sec
sur les roselières de lave
envol des oiseaux électriques
depuis les rives des chaudières
où mijotent les talismans
pour le confort des nuits d'hiver
et les légendes de l'été
12)
Les pétales de cendres s'ouvrent
sur les buissons ardents serrés
derrière les barreaux de l'âtre
comme les fruits de la corbeille
quand l'on s'en revient du verger
dans le vent du soir et l'éveil
des parfums et des confidences
les enfants en baignent leurs yeux
leurs mains et leurs pieds leurs cheveux
avant de monter dans leur chambre
et de les givrer dans la Lune
en fermant volets et rideaux
puis de s'enfoncer dans un livre
luisant aux rayons d'une lampe
pour retrouver jardins de flammes
et navigations dans l'espace
13)
L'oeuf des ténèbres se fendille
pour laisser fuser les signaux
inscrits sous la presse des siècles
comme les aiguilles d'un phare
au bord d'une mer tourmentée
indiquant l'heure et les écueils
montrant le chemin du retour
vers les images de l'enfance
émerveillements turbulences
la craie sur les doigts comme cendres
blanchissant tisons et boulets
devenant drapeaux réclamant
la trêve aux gros yeux des parents
aux grosses voix des professeurs
aux sifflements des policiers
et aux hurlements des fantômes
14)
Concentration de l'amertume
de toute une mer de patience
d'années de marches contremarches
déceptions suspicions retards
obstinations et tentations
séductions corruptions mensonges
fermentations irritations
colères secrets nostalgies
de l'avenir qu'on pressentait
et qui s'est désarticulé
comme une usine abandonnée
comme un irréparable jouet
il suffira d'un étincelle
de quelques bribes de forêt
de morceaux de papier froissé
pour que tout respire à nouveau
15)
Ulcère ou chancre sur la peau
d'un monde qu'on désirait lisse
comme celle d'un mannequin
fruit des discordes du silence
offert par le serpent fouisseur
qui se réfugie aux lézardes
et se nourrit dans les vestiges
grain de la vigne du malheur
qui se précipite au pressoir
pour mûrir dans les souterrains
en révélations de saveurs
faisant la roue au crépuscule
du grand soir lavé de ses crimes
dans les gémissements des vieux
les interrogations des dieux
et les inventions des enfants
16)
Empreinte d'un trou de serrure
dont nous devons forger la clef
pour ouvrir la porte murée
dans les remparts de la cité
dégradée en prison et ruines
sur le chemin de triste ronde
drogués par les airs et slogans
que distillent les haut-parleurs
les geôliers relâchent leur veille
fermant à demi leurs paupières
ils rêvent à notre existence
si nous pouvions leur échapper
nous inventant des stratagèmes
qu'ils nous livrent à demi-mot
et se mettant à notre école
pour explorer l'autre côté
17)
Cratère s'ouvrant dans l'Islande
découvrant sous les champs de glace
des celliers de fruits minéraux
et des icebergs de métaux
flottant sur le magma central
reproduisant le cours des astres
et projetant sur les parois
de ses cavernes vrombissantes
schémas formules et calculs
permettant la fabrication
de navires d'exploration
avec atlas et dictionnaires
pour entrer en conversation
transmutation transmigration
de race en race et d'âge en âge
forant la croûte de la mort
18)
Palpitant entre les poumons
dans la brûlante obscurité
du torse le coeur obstiné
projette quand il est blessé
soupirs giclures flamboiements
cavalcades raz de marée
sur les plages de neige et sable
sur les peaux de toutes couleurs
sur les toiles et les papiers
sur les portées et les claviers
et le reflux de tout cela
l'écho renvoyé par les sens
vient illuminer les ogives
où pompe la machinerie
du sang noir qui ne devient rouge
que lorsqu'il se répand au jour
19)
Une flaque d'encre jaillie
des veines de l'astre cadavre
dont nous sommes la pourriture
vers grouillants transportant leurs oeufs
et leurs possessions innombrables
le long des sombres galeries
où l'air manque pour animer
les respirations et les braises
une inscription sur la surface
de la stèle que nous dressons
à la mémoire des ancêtres
dont nous ne connaissons les noms
sur le linteau de l'ouverture
que nous voulons pour nos enfants
où passent les vents de l'espace
et les appels aventureux
20)
Les gnomes sortent de leurs trous
pour nous proposer des joyaux
ruisselant des éclats de l'ombre
et des couteaux du ciel tranchant
la nuit sans Lune et sans nuages
sous leur écorce de noirceurs
nous disent-ils en ricanant
c'est la pourpre qui va germer
l'écarlate et tout l'arc-en-ciel
comme un arbre d'automne qui
repartirait en floraison
chaque feuille en est venimeuse
pis que morsure de serpent
si l'on essaie de la toucher
mais si l'on sait l'apprivoiser
le brasier devient un foyer
1PARADE
Le vent se prépare dans les coulisses du paysage. Les étendards gonflent sur leurs mâts. Dans la forêt de treuils la fanfare accorde ses instruments. Les vagues de foule gagnent les ruelles.
La fête murmure dans toutes les chambres. Le vent s'anime sur les tuiles et les roseaux. Les étendards déploient leurs armoiries. La forêt envoie une délégation de rumeurs et la fanfare imite le réveil des oiseaux.
CASQUE
Je pends à mon fil
comme une araignée
j'ai bec et antennes
comme un scarabée
avec des élytres
autour des cheveux
métal et fourrure
machine en sueur
des pieds et des mains
des yeux et des crocs
je grimpe aux barreaux
tendus par la nue
Le champ de foire se couvre de tentes et boutiques. La fête envahit les conversations. Le vent fait grincer les girouettes. Les étendards entonnent leurs claquements. La forêt frémit dans ses profondeurs.
Les ailes s'ajustent aux épaules rousses. Sur champ de bronze tournoient les aigles stupéfaits. La fête étalonne ses premiers essais. Le vent fait chanter les ramures et les étendards proclament leurs devises.
Les ténèbres se tapissent aux recoins des celliers. Les ailes scintillent. Les champs de blé frissonnent en lâchant leurs alouettes. La fête piétine d'impatience dans tous les quartiers. Le vent fait battre les volets sur les façades.
2
TOURNOI
La fête est maintenant officiellement ouverte. La forêt de cordages monte à l'assaut du ciel. Les fanfares encouragent les concurrents. Les vagues de fumets déferlent sur les places. Les remparts se hérissent des poings des assistants.
Les champs relaient leurs moirures jusqu'à l'horizon. La fête essaime ses éclats d'un faubourg à l'autre. La forêt des nuages étale ses volutes. La fanfare fait cascader les pavillons de ses cuivres. Des vagues d'enthousiasme baignent les escaliers.
ÉPINES
Roseaux dans l'exil
des marais célestes
ronces enroulées
dans les courants d'air
lianes enlacées
autour des cactus
qui ouvrent leurs paumes
aux cendres d'encens
lingerie du temps
accrochée aux cordes
depuis les lavoirs
jusqu'aux mausolées
Les ailes bruissent en se frôlant. Dans les champs contrapuntiques bouillonnent les clameurs. La fête bat son plein dans les jardins et les vignes. La forêt des saveurs éclaircit ses halliers. La fanfare dialogue avec les rugissements.
Les ténèbres fleurissent dans les nefs des églises. Les ailes des aéroscaphes clignent dans les hauteurs. Les champs de houille réfléchissent l'émail des fontaines. La fête des essors égrène ses poursuites. La forêt des souvenirs fait sourire les vieux.
Le vent rumine ses sortilèges et farces. Les ténèbres s'insinuent entre plumes et rubans. Les ailes se replient et bondissent. Les champs se tatouent de zébrures métalliques. La fête des armures astique ses rinceaux.
3
SUSPENS
Le champ de course explose en applaudissements. La fanfare annonce une première pause. Les vagues s'attendrissent en tourbillons plus calmes. Les remparts se couvrent d'enfants des écoles. Les étendards sont remplacés par des enseignes.
Les ailes sont lissées dans l'attente d'un nouveau départ. Les champs magnétiques réorganisent leur limaille. Les fanfares détaillent des mélodies en mineur. Les vagues d'élixirs enivrent les torrents. Les remparts proposent leurs tourelles aux amoureux.
COURSE
Le halètement
d'une étape à l'autre
le moutonnement
des foules ravies
les enroulements
autour des colonnes
les escarpements
entre les virages
les débordements
de langues et cornes
et les ralentis
pour l'atterrissage
Les ténèbres distillent leurs alcools dans la fatigue. Les ailes palpitent sous la surveillance de leurs bergers. Les champs moissonnés s'ouvrent aux glaneuses. Les fanfares visitent cours et tours. Des vagues de mélancolie se glissent entre les rires.
Le vent change de direction et de timbre. Les ténèbres se faufilent dans les fissures. Les ailes de soie se teignent de sèves. Des champs de sable courtisent les vergers. Les fanfares se rassemblent devant les porches de brocatelle.
La fête va reprendre avec ses proclamations. Le vent répand l'ambre et le miel sur les collines. Les ténèbres dispensent leur fraîcheur pourpre. Les ailes des anges brillent sur les eaux. Les champs élyséens rouvrent leurs roseraies.
4
CÉLÉBRATION
Les ailes des moulins multiplient leurs signaux. Des vagues de pétrole s'embrasent dans les brumes. Sur les remparts balayés de bouffées capiteuses les étendards mêlent leurs langues de velours tandis que la forêt des orgues rivalise avec les glaciers.
Les ténèbres font retentir leurs gongs entre les éclairs. Les ailes des apprentis d'Icare luisent dans les trouées. Les vagues d'acier submergent des escadres d'abeilles. Les remparts se rehaussent d'échafaudages de tisons. Les étendards activent les retardataires.
SEMENCE
Avant de crever
sa dure coquille
l'apprenti sorcier
redit les formules
que lui ont transmises
les arbres fantômes
pour ouvrir les portes
et gagner le large
monter les degrés
sans perdre son souffle
jusqu'à la fontaine
de pérennité
Le vent ouvre ses pétales pour faire jaillir ses étamines. Les ténèbres fourmillantes répercutent les hourras. Les ailes mordorées caressent les chevelures. Des vagues délicieuses font respirer les granges. Les remparts s'illuminent sous les percussions de l'orage.
La fête découvre de nouvelles perspectives. Le vent raffine ses voyages parmi les archipels déchaînés. Les ténèbres émergent du lit des vallées. Les ailes emportent les dernières hésitations des invités. Des vagues d'échos rapprochent les astres.
Le champ des tombes libère ses morts pour la révision des procès. La fête des orchestres reprend celle des sports. Le vent du large commente les nouvelles des étoiles. Les ténèbres se réconcilient avec les flammes. Des ailes poussent aux demeures pour les emporter vers les pôles.
5
RÉSONANCE
Les ténèbres prennent la parole pour déclarer que c'est leur tour. Les remparts deviennent transparents. Les étendards épellent leurs enluminures. La forêt ferme ses antres et paupières. La fanfare met ses sourdines et continue diminuendo.
Le vent célèbre maintenant les vertus de la rouille. Les ténèbres accueillent les ancêtres pour leur présenter les vainqueurs. Les remparts sont parcourus d'étincelles. Les étendards annoncent la venue du sommeil. La forêt des intempéries plane au long des rives.
PLUIE
Battant sur les vitres
lavant les cadrans
charmant les poussières
pleurant dans les bois
chantant sur les lacs
ruisselant au long
des toits et gouttières
cheveux et chevaux
noyant nos soucis
pansant nos blessures
rafraîchissant l'or
dans nos perspectives
La fête de l'écume conclut celle des câbles. Le vent se lamentant énumère ses deuils. Les ténèbres viennent le consoler en lui promettant de nouvelles escales. Les remparts se capitonnent de neige tiède. Les étendards s'unissent aux phosphores chanteurs.
Les champs voient s'épanouir les rêves des enfants. La fête les prend par la main pour une lente ronde. Le vent les couronne de brindilles et de grappes. Les ténèbres vagissent comme des nouveau-nés. Les remparts se mettent en chemin vers la mer entraînant les gares avec eux.
Les ailes des mouches s'accumulent en immenses meules irisées. Les champs soupirent doucement dans leurs gestations. La fête ferme son ultime page en méditant l'année prochaine. Le vent renverse les cantilènes des berges dans les miroirs du futur. Les ténèbres s'enfoncent et nous enfoncent vers l'origine d'une autre nature.
Tandis que je parcourais le Portugal du Nord au Sud sous la pluie fouettant les azulejosdans les chambres des hôtels qui m'hébergeaient je regardais de temps en temps la télévision
zappant de chaîne en chaîne jusqu'à un programme de langue française ou des images suffisamment prenantes pour approfondir ma solitude entre les draps
ainsi passaient décourageantes nouvelles de notre triste fin de siècle
publicité naïvement ou astucieusement mais toujours plus ou moins mensongères
longs baisers langoureux ou poursuites de truands ponctuées inépuisablement de coups de revolvers inexplicablement rechargés
quelques mots émergeaient des dialogues et commentaires qui me faisaient dériver sur des pistes méditatives
ramassant au passage quelques instantanés ou conversations de la veille qui apparaissaient au bord de ma conscience comme des gares brûlées par un train à grande vitesse
aboutissant inévitablement aux soucis laissés à mon domicile et à la conférence prévue pour le lendemain
me hâtant alors d'éteindre pour passer le relais aux démons du sommeil et leurs fours de maturation
Depuis tant de siècles qu'ils m'examinent, m'interrogent en s'interrogeant, j'ai réussi à m'installer dans leur ombre et à les suivre dans leurs déplacements. Je me projette sur les murs ou le plafond de leur chambre lorsqu'ils rêvent, ou sur les pages blanches qui les défient, sur les écrans de leurs ordinateurs lorsque leur attention se défait et qu'ils respirent soudain une longue bouffée d'ennui.
A la fin de la semaine certains de ceux qui étaient venus me chercher au Louvre le dimanche précédent, me conduisent sans le savoir dans un autre musée de l'autre côté du petit fleuve sous les verrières et horloges d'une ancienne gare. Alors je me faufile entre les arbres d'une forêt franc-comtoise ou parmi les assistants d'un enterrement à Ornans. Je déjeune sur l'herbe ou dans l'atelier, m'installe au balcon, regarde passer les heures et les jours sur la façade de la cathédrale de Rouen, visite Barbizon, Etretat, Honfleur, Arles, Auvers-sur-Oise et la Polynésie.
J'emprunte les ascenseurs et les escaliers mécaniques parmi lesquels je fais ruisseler mon paysage de montagnes et d'eaux cascadantes, ma Chine à la fois toscane et milanaise. Je passe d'un visiteur à l'autre, choisissant surtout les plus jeunes; mais les barbes blanchissantes ne me déplaisent pas. J'enlace des broderies de clavecin autour des gorges soutenues par de souples armatures invisibles et fais passer l'appel du large entre les boucles des cheveux, les perles des colliers, les plis des manteaux et des robes.
A l'intérieur des portes j'en ouvre d'autres. Je déplie et replie les salles que je fais rentrer les unes dans les autres, couvrant fenêtres et corsages d'impressions d'automne ou soleil levant. Je fais glisser la terrasse Rodin sur celle de Lille. J'insère le restaurant dans la librairie. Je débauche le salon de thé pour l'emmener voguer avec moi au long des bateaux-mouches, monte dans les bulles de la bière et me rajeunis inlassablement dans son écume blonde comme mes mains croisées.
Comme les Français sont bavards devant la peinture! Et que de gestes: index et petit doigt, clins d'yeux, trémoussements. On cite, on discute, on s'excuse, réplique, s'éloigne, se bouscule, on se rapproche; tout cela sur fond d'embouteillages, grèves, problèmes de retraite et santé, discours électoraux patelins, dérobades et ricanements. Bientôt, sous ma discrète influence malicieusement suave, des oasis de silence magnétique naissent, gagnent, se multiplient dans ce désert encombré. Les conversations s'intériorisent et changent de nature. Comme se sont éloignés pour l'instant les soucis d'avancement, querelles de préséance, jalousies, ressentiments, les angoisses des fins de mois! Félicitations à tous; une flambée de bonnes nouvelles et de voyages sans précipitation! Du commentaire on passe à la sérénade et toutes les statues s'écartent harmonieusement pour laisser entre elles jaillir des fontaines, frémir des ormes et des peupliers, gémir des ifs, sonner luths ou madrigaux, gronder les orgues et la trompette marine. Ou voici les voiles qui claquent, les fruits qui s'offrent, et l'or de leur corps bat le rappel de ses parfums.
On va fermer. Les gardiens s'agitent, houspillent obliquement les visiteurs qui s'attardent, risquent un dernier coup d'oeil çà et là, comme en fraude -car quand reviendra-t-on?- avant de se presser vers les rues, les quais, le métro, leurs voitures; je ne parviens pas à les suivre tous parmi les vitrines, enseignes clignotantes, feux de circulation, phares et réverbères, urgence et lassitude. Certains me perdent jusqu'à la prochaine rencontre. Il ne leur reste que le sentiment confus d'avoir oublié quelque chose. Mais quand ils me retrouvent, quelle illumination, quelle tendresse! Quelques gouttes de baume supplémentaires aplaniront les pires de leurs rides. Ce ne sera pas nécessairement derrière ma vitre dans la grande galerie, car ils s'imaginent pour la plupart me connaître toute déjà; plutôt dans les coulisses de quelques autres oeuvres que j'aurai suffisamment imprégnées de mon haleine lors d'une escapade antérieure, entre deux cadres, entre deux étiquettes, deux marches, étages, siècles, entre deux portes, entre deux eaux. Ange ironique atmosphérique, je me coule dans leurs humeurs avec mes enfances italiennes pour naviguer aux ports nouveaux.
J'entraîne aussi dans mon sillage quelques échos de jeunes saint Jean-Baptiste ou Bacchus dans des solitudes, de vierges aux rochers, de bambins délurés, très en avance sur leur âge évidemment, avec mère inconfortablement mais affectueusement assise sur les genoux de la grand-mère, et fouillant plus loin dans ma mémoire d'ateliers, quelques linéaments de traducteurs anachorètes, adorations de mages, ombres de cènes, ramures entrelacées, dessins d'anatomie, projets de fortifications et machines; le feuillettement de ces manuscrits en miroir, album, catalogues et monographies, se grave inépuisablement dans les nuages et plâtras.
Maintenant n'oubliez pas que tout cela dépend de mon bon plaisir. C'est une grâce que je vous souhaite. Si jamais vous vouliez forcer brutalement, policièrement ma réserve, m'arracher mes secrets, m'inquisitionner, je saurais prendre à l'improviste, pour vous échapper, les déguisements les plus inattendus, comme celui-ci, par exemple :
Après une journée de révision sévèreet de courrier urgentissime
privilégié certes privilégié
tranquillement assis près de la cheminée
où crépitent quelques bûches
j'écoute les nouvelles du monde
toujours aussi décourageantes
avant de me détendre
en suivant un concert
Ici la grève ici la guerre
les épidémies la famine
les déclarations fracassantes
l'impuissance des gouvernants
tandis que les milliards
passent de banque en banque
dans la lenteur des tribunaux
et qu'en chaque flocon de neige
infuse une perle de sang
Les notes qui vont s'ouvrir
comme des bourgeons ou boutons
n'empêcheront pas la résonance
des combats et tractations
chacun crispé sur sa machine
plus ou moins directement meurtrière
téléscripteur ou mitraillette
et les convois de réfugiés
se faufileront dans les fugues
Pourtant parmi les monnaies folles
et les soubresauts éperdus
de la compétitivité
dans la jungle de plus en plus
vénéneuse de la croissance
les archets construisent des ponts
les claviers taillent des clairières
et loin des urnes mortifères
les voix redeviennent humaines
Suivant la trace de nos pas
le long de la grande muraille
serpent rampant après sa queue
du moyen à l'extrême orient
se renversant en occident
accumulations de contrats
créneaux de factures fantômes
mirages d'actions et devises
qui nous séparent du tiers-monde
Comme du quart comme du nôtre
les haut-parleurs itinérants
talismans dans notre brouillage
anges gardiens dans nos enfers
marais de falsification
creusent des lucarnes donnant
sur les envers des échéances
sur les voyages au long cours
sur le pays des signatures
LES DEUX JUMEAUX CHERCHENT LEUR PERE
1)Il y a bien longtemps déjà que je ne suis allé en Arizona. Quand y reviendrai-je ?
Je m'imagine dans un hogan octogonal avec ses poutres dans le soleil couchant tandis que les moutons bêlent en se préparant pour la nuit froide.
Madame Change et Madame Sel avaient la vie dure. Monsieur Crotale et Monsieur l'Ours étaient leurs gardiens. Tous les jours elles allaient ramasser des graines pour se nourrir et de l'herbe pour se faire habits et sandales; mais il y avait danger partout: des monstres si cruels qu'ils rendaient la vie impossible.
Je suis Changement et Serpenten chantant pour le déchiré
respectant mesure et accent
inventant la nouvelle strophe
en charmant les dangers de l'Est
les armes la monnaie l'alcool
pour en extraire médecine
et cicatriser la blessure
La main prend le sable ocre pour en faire couler un filet et constituer le fond de toutes les images.
Le déclenchement de la maladie a révélé un mauvais fonctionnement non seulement dans le corps de l'individu, mais dans la société et même le monde qui l'entourent.
A l'aube le Vent dieu parleur les éveilla. Ils lui firent hommage avec les flèches qu'il leur avait données. Il habilla Fils Nettoyeur premier-né de mocassins, jambières et tunique blanches, Fils Aquatique second-né de couleurs variées, puis il lança un arc-en-ciel couvert de baumes qu'ils empruntèrent pour commencer leur quête du Soleil.
2)
J'imagine le malade sous ses couvertures Pendleton à triangles de couleurs vives et profondes, la tête soutenue par un ancien tapis roulé.
Il y a si longtemps déjà que je n'ai pas revu le Grand Canyon; quand pourrai-je y descendre encore ?
Monstre Géant se tenait aux Sources chaudes, Monstre Fouisseur au pied du mont Taylor. Il y avait Monstre Lance-rocs, Monstre Ours-traqueur, Monstre Pierre-marcheuse, quatre Monstres Antilope-rôdeuse et bien d'autres, chacun trop fort pour que les humains puissent lui résister. Madame Change chercha comment les éliminer pour rendre le monde habitable.
Je suis Mer lointaine et Fourrureme souvenant pour l'égaré
respectant les générations
inventant la nouvelle porte
en charmant les malheurs du Nord
le blizzard la neige et la grêle
pour en extraire la douceur
et réconforter le transi
Le mauvais fonctionnement est lié à l'oubli d'une histoire longue et compliquée. Actuellement les morceaux de ce récit fondamental luttent comme ces microbes et globules dont parlent les médecins blancs.
La main prend le sable noir pour le faire couler en très mince filet afin de dessiner une image de monstre.
Les jumeaux parvinrent chez Madame Araignée et sa compagne Oiseau-moqueur qui leur opposèrent quatre toiles: noire, blanche, bleue et jaune." D'où venez-vous petits-enfants? -Nous cherchons notre père, grand-mère. -Vous allez au-devant d'épreuves." Ils furent repoussés par les toiles, et virent à leurs pieds de nombreux ossements, les uns tout secs, les autres enrobés de chair, certains si récents que les visages souriaient encore. Alors ils détruisirent les toiles à coups de silex noirs, blancs, bleus et jaunes. Le Vent dieu parleur leur conseilla de réparer leurs dégâts en échange d'un don de plumes; puis, reprenant leurs arcs et flèches, ils repartirent à la recherche de leur père le Soleil.
3)
Il y a bien longtemps déjà que je ne suis allé au point de rencontre des quatre Etats: Utah, Colorado, Arizona et New Mexico. Quand m'y arrêterai-je pour faire le plein d'essence ?
Madame Change pensa qu'il lui faudrait engendrer qui pourrait éliminer les monstres, mais ne savait comment s'y prendre. Après plusieurs tentatives elle accueillit Eau-de-source qui la rendit déjà enceinte, puis le Soleil, pour compléter. Elle accoucha ainsi de deux jumeaux au neuvième jour: le premier, Fils Nettoyeur, tandis que frappaient les éclairs, le second Fils Aquatique, tandis que roulait le tonnerre. Elle les protégea de six couvertures: ténèbres, bleu ciel, bleu nuit, jaune crépuscule, mirage et chaleur.
J'imagine les tentures de laine avec leurs éclairs de teintures végétales, qui protègent de l'air glacé tandis qu'on aperçoit à l'extérieur le métier à tisser dont les fils de chaîne gémissent comme une harpe éolienne, en attente de meilleurs jours.
Je suis Eau courante et Soleilen écoutant pour l'étouffé
en respectant les résonances
inventant nouvel instrument
charmant les menaces de l'Ouest
l'inondation la pourriture
pour en extraire la fraîcheur
et tranquilliser le fiévreux
La main prend le sable jaune pour en faire couler un mince filet qui dessinera l'image du Soleil.
Les deux jumeaux passèrent sur un autre arc-en-ciel qui aboutissait devant un torrent pas plus large qu'un doigt mais qui débordait et engloutissait dès qu'on tentait de le franchir. Au quatrième essai le Vent dieu parleur prit sa forme chenille pour leur apporter un arc-en-ciel de la bonne longueur pour passer outre. Fils Aquatique chanta pour le remercier; puis, reprenant leurs arcs et flèches, les jumeaux repartirent à la recherche de leur père le Soleil.
Il s'agit de surmonter l'oubli; et comme il est si profond que nous ne saurions dans quelle région trouver les fragments à ranimer, le malade devient certes digne de tous nos soins, de notre vénération même, car c'est son mal qui nous indique où nous devons chercher le nôtre.
4)
Madame Change, la Terre, et Madame Sel, la Mer, parties quatre jours, retrouvèrent les jumeaux dans un triste état. Les gardiens dirent qu'ils n'avaient pas pu manger la soupe qu'elles leur avaient laissée. Madame Sel l'avait tournée avec sa main et elle était bien trop salée. "Aussi, dit Monsieur l'Ours, je leur ai donné de ma propre nourriture: pollen et rosée de montagne", et Monsieur Crotale: "et moi du pollen de toutes les fleurs", ce qui n'était pas de leur âge, mais ils s'en remirent fort bien et quand ils eurent douze jours, le Vent dieu parleur vint les voir, leur donna un arc et une flèche à chacun et leur annonça grand destin.
Il y a bien longtemps déjà que je n'ai revu le roc vaisseau-fantôme comme un mont Saint-Michel au péril du désert; quand un avion s'abaissera-t-il pour m'en faire admirer les détails ?
J'imagine les camions parqués de travers entre les cactus et les peupliers dénudés, les chevaux pies cherchant quelques touffes sous la neige qui recommence à tomber.
Je suis le Langage et le Souffleen regardant pour l'aveuglé
respectant les duvets les rides
inventant de nouvelles cartes
en charmant souffrances du Sud
la sécheresse la famine
pour en extraire nourriture
et enseigner les descendants
Les deux jumeaux passèrent sur un autre arc-en-ciel qui aboutissait entre deux montagnes qui se refermaient en claquant lorsqu'on tentait de passer entre elles. Au quatrième essai le Vent dieu parleur leur enseigna un arrangement de leurs armes qui leur permit de passer outre; puis, reprenant leurs arcs et flèches, ils repartirent à la recherche de leur père le Soleil.
La main prend le sable rouge pour en faire couler un mince filet qui dessinera l'image de flammes.
Le chant doit faire remonter des pans entiers d'une histoire engloutie, nous faire comprendre pourquoi c'est tel nom qui désigne tel lieu; car le peuple est venu de si loin à travers tant d'épreuves et réussit à survivre au milieu de conditions si difficiles.
5)
Les jumeaux ne furent pas plus tôt sortis de la maison que les monstres flairèrent leur existence, et Monstre Géant vint en demander raison à Madame Change qui le chassa avec son tisonnier. La nuit suivante, enveloppés dans leurs couvertures, les enfants commencèrent à se demander qui était leur père. Leur mère prétendit n'en rien savoir et leur enjoignit de se rendormir.
J'imagine les assistants avec leurs chapeaux noirs à larges bords, avec leurs fichus et bijoux, leurs yeux passant du malade au chanteur, se levant parfois pour franchir la porte, aller se soulager ou manger.
Il y a bien longtemps déjà que je n'ai revu ni le mont Taylor, ni les mesas hopi, ni la vallée des monuments naturels où ne fume pas le moindre cow-boy. Quand m'arrêterai-je dans un restaurant amovible juché sur des pierres au bord de la route pour y déguster quelque steak saignant ?
Je suis Découvreur et Torrenten dessinant pour l'estropié
respectant courbes et couleurs
inventant nouveaux placements
en charmant démons du Zénith
éclipses et météorites
pour en extraire la voyance
et illuminer l'angoissé
Les deux jumeaux passèrent sur un autre arc-en-ciel qui aboutissait à des roseaux tranchants qui se mirent à crisser à leur approche, et le Vent dieu feu essaya de les dissuader mais voyant leur détermination leur tailla un chemin par ses flammes. Puis il y eut la dune ensevelisseuse, et le Vent dieu parleur les fit planer au-dessus. Puis il ne resta plus que des chaînes de montagnes inoffensives: rouge, étincelante, irisée, blanche et turquoise. Au sommet de cette dernière ils virent la maison du Soleil leur père en quatre couleurs avec ses quatre gardiens dont le Vent dieu parleur leur souffla les noms pour qu'ils les laissent passer.
Le chant ne suffirait pas; il faut les images qui en émanent et dans lesquelles il s'enracine. Chaque épisode se projette non seulement sur la terre comme un film des gringos sur un écran, mais dans de la terre sableuse que l'on peut ramasser, manier et disperser.
La main prend le sable turquoise pour en faire couler un mince filet qui figurera la mer lointaine presque oubliée, revenant avec ses bruits, son sel et ses vagues.
6)
J'imagine le sourire qui revient peu à peu sur tous les visages, comme si la chair refleurissait sur leurs ossements, tandis que la cérémonie perdure avec la guérison du malade et du monde au Soleil levant.
La quatrième nuit Madame Change leur avoua enfin que leur père vivait fort loin, au-delà d'innombrables périls. Un bruit les empêcha de se rendormir et Fils Aquatique dit à son aîné: "notre mère chante un drôle de chant. -Je ne chante pas, interrompit-elle; comme si j'avais la tête à chanter, chanter! A la quatrième fois ils comprirent que c'était leur couverture de ténèbres qui leur chuchotait que leur père était le Soleil; et ils adoptèrent ce chant en décidant de partir.
Il y a bien longtemps que je n'ai revu ni le canyon de Chelly, ni Chaco canyon, ni les habitations troglodytes des Anasazi bien antérieures à l'arrivée des Navajos, et je ne sais si je pourrai un jour allumer de nouveau un feu dans un des ravins.
Je suis les Monstres et leur Mortguérissant le convalescent
respectant la respiration
inventant de nouveaux voyages
en charmant terreurs du Nadir
les éruptions et les séismes
pour en extraire le silence
et rajeunir le monde entier
Après la cérémonie du rappel il faut rappeler la venue de l'oubli. C'est pourquoi toutes les images seront effacées comme les souffrances du patient doivent l'être, mais dans la certitude que ces diagrammes de migration et d'installation pourront de nouveau être rappelés, car si jamais on oubliait ce fil, la déchirure du monde ne pourrait que s'envenimer, fermenter, s'infecter, nous détruire.
Le Soleil fit subir aux jumeaux mainte épreuve et finit par les reconnaître pour ses enfants. Il leur demanda ce qu'ils étaient venus chercher: chevaux, moutons, ânes ou mulets magiques, eaux merveilleuses, pierres insignes. Ils répondirent que les gens de la Terre aimeraient certes avoir tout cela, mais qu'ils voulaient d'abord une armure d'obsidienne et des flèches d'éclairs pour éliminer les monstres. Alors le Soleil baissa la tête et pleura car les monstres aussi étaient ses enfants. Mais il revêtit d'obsidienne Premier-né Nettoyeur en lui donnant une flèche d'éclairs, revêtit de silex bleu Second-né Aquatique, flèche de rayons. Puis, leur faisant fermer les yeux il leur mit sa main sur leur coeur et leur expliqua; "j'ai installé en vous un homme d'agate qui vous fera vaincre vos pires ennemis; ce que j'ai chanté est sa nourriture comme tout ce que je vous ai donné à manger." Il leur offrit casques et lances d'éclairs, les fit monter au milieu du ciel pour leur enseigner les noms de la Terre. Dès lors ils étaient prêts pour faire tourner la page du monde.
La main prend le sable arc-en-ciel pour en faire couler un mince filet qui figurera la paix, la santé, la fécondité, l'audace, le chant, la vigilance et la mémoire.
Il y a bien longtemps déjà que je ne suis allé en Arizona. Quand y reviendrai-je ?PORTRAIT DE L'ARTISTE EN JONGLEUR À MIDI
Je m'imagine dans un hogan octogonal avec ses poutres dans le soleil couchant tandis que les moutons bêlent en se préparant pour la nuit froide.
Le déclenchement de la maladie a révélé un mauvais fonctionnement non seulement dans le corps de l'individu, mais dans la société et même le monde qui l'entourent.
J'imagine le malade sous ses couvertures Pendleton à triangles de couleurs vives et profondes, la tête soutenue par un ancien tapis roulé.
Il y a si longtemps que je n'ai pas revu le Grand Canyon; quand pourrai-je y descendre encore ?
Le mauvais fonctionnement est lié à l'oubli d'une histoire longue et compliquée. Actuellement les morceaux de ce récit fondamental luttent comme ces microbes et globules dont parlent les médecins blancs.
Je suis Changement et Serpenten chantant pour le déchiré
respectant mesure et accent
inventant la nouvelle strophe
en charmant les dangers de l'Est
les armes la monnaie l'alcool
pour en extraire médecine
et cicatriser la blessure
Il y a bien longtemps déjà que je ne suis allé au point de rencontre des quatre Etats: Utah, Colorado, Arizona et New Mexico. Quand m'y arrêterai-je pour faire le plein d'essence ?
Je suis Mer lointaine et Fourrureme souvenant pour l'égaré
respectant les générations
inventant la nouvelle porte
en charmant les malheurs du Nord
le blizzard la neige et la grêle
pour en extraire la douceur
et réconforter le transi
J'imagine les tentures de laine avec leurs éclairs de teintures végétales, qui protègent de l'air glacé tandis qu'on aperçoit à l'extérieur le métier à tisser dont les fils de chaîne gémissent comme une harpe éolienne, en attente de meilleurs jours.
Je suis Eau courante et Soleilen écoutant pour l'étouffé
en respectant les résonances
inventant nouvel instrument
charmant les menaces de l'Ouest
l'inondation la pourriture
pour en extraire la fraîcheur
et tranquilliser le fiévreux
Il s'agit de surmonter l'oubli; et comme il est si profond que nous ne saurions dans quelle région trouver les fragments à ranimer, le malade devient certes digne de tous nos soins, de notre vénération même, car c'est son mal qui nous indique où nous devons chercher le nôtre.
Je suis le Langage et le Souffleen regardant pour l'aveuglé
respectant les duvets les rides
inventant de nouvelles cartes
en charmant souffrances du Sud
la sécheresse la famine
pour en extraire nourriture
et enseigner les descendants
Il y a bien longtemps déjà que je n'ai revu le roc vaisseau-fantôme comme un mont Saint-Michel au péril du désert; quand un avion s'abaissera-t-il pour m'en faire admirer les détails ?
Je suis Découvreur et Torrenten dessinant pour l'estropié
respectant courbes et couleurs
inventant nouveaux placements
en charmant démons du Zénith
éclipses et météorites
pour en extraire la voyance
et illuminer l'angoissé
J'imagine les camions parqués de travers entre les cactus et les peupliers dénudés, les chevaux pies cherchant quelques touffes sous la neige qui recommence à tomber.
Je suis les Monstres et leur Mortguérissant le convalescent
respectant la respiration
inventant de nouveaux voyages
en charmant terreurs du Nadir
les éruptions et les séismes
pour en extraire le silence
et rajeunir le monde entier
Le chant doit faire remonter des pans entiers d'une histoire engloutie, nous faire comprendre pourquoi c'est tel nom qui désigne tel lieu; car le peuple est venu de si loin à travers tant d'épreuves et réussit à survivre au milieu de conditions si difficiles.
J'imagine les assistants avec leurs chapeaux noirs à larges bords, avec leurs fichus et bijoux, leurs yeux passant du malade au chanteur, se levant parfois pour franchir la porte, aller se soulager ou manger.
Il y a bien longtemps déjà que je n'ai revu ni le mont Taylor, ni les mesas hopi, ni la vallée des monuments naturels où ne fume pas le moindre cow-boy. Quand m'arrêterai-je dans un restaurant amovible juché sur des pierres au bord de la route pour y déguster quelque steak saignant?
Le chant ne suffirait pas; il faut les images qui en émanent et dans lesquelles il s'enracine. Chaque épisode se projette non seulement sur la terre comme un film des gringos sur un écran, mais dans de la terre sableuse que l'on peut ramasser, manier et disperser.
J'imagine le sourire qui revient peu à peu sur tous les visages, comme si la chair refleurissait sur leurs ossements, tandis que la cérémonie perdure avec la guérison du malade et du monde au Soleil levant.
Il y a bien longtemps que je n'ai revu ni le canyon de Chelly, ni Chaco canyon, ni les habitations troglodytes des Anasazi bien antérieures à l'arrivée des Navajos, et je ne sais si je pourrai un jour allumer de nouveau un feu dans un des ravins.
Après la cérémonie du rappel il faut rappeler la venue de l'oubli. C'est pourquoi toutes les images seront effacées comme les souffrances du patient doivent l'être, mais dans la certitude que ces diagrammes de migration et d'installation pourront de nouveau être rappelés, car si jamais on oubliait ce fil, la déchirure du monde ne pourrait que s'envenimer, fermenter, s'infecter, nous détruire.
Toutes les bagues de mes doigtsje les fais voler vers les cintres
où les projecteurs les abreuvent
de torrents d'électricité
tourbillonnant dans les miroirs
où c'est mon visage lui-même
qui rajeunit dans leurs méandres
pour quelques instants de mirage
Tous les cercles de mes chapeaux
je les expédie vers les toiles
où les musiciens les saluent
de leurs valses marches fanfares
telles des fusées d'artifice
me baignant de leur arc-en-ciel
où je me sens pousser des ailes
pour quelques heures de voyage
Tous les cercles de notre Terre
je les fais rouler vers les nuages
où les pilotes les accueillent
avec les anges arlequins
qui les transforment en jardins
de sourire et métamorphose
effervescence d'auréoles
pour des années d'apprentissage
Soleil qui dessine et traverse
mes ombres jongleur comme moi
tresse les anneaux et orbites
de tes planètes pour changer
les lois de notre éternité
Notre astronef a fait naufragesur une plage de galets
au bord d'un océan de rouille
sous un ciel en ébullition
avec des cumulus de soufre
roulant sur des îles trouées
où le vent siffle gronde et brame
comme à travers des tuyaux d'orgue
C'était une erreur d'aiguillage
dans le réseau d'hyperespace
un caillot dans un capillaire
un grain de sable dans les rouages
de la mécanique céleste
qui nous a lancés dans l'orbite
de cette planète rugueuse
où nous avons dû nous poser
Nos ordinateurs secoués
ont besoin de quelque répit
et mainte vérification
avant de pouvoir indiquer
au bord de quelle galaxie
nous installons notre bivouac
allant détordre les antennes
au péril des gaz étrangers
A travers casques et hublots
nous admirons les tourbillons
de sables de couleurs intenses
qui teignent les dragons d'écume
crachant des flammes et des laves
sur les étages des falaises
les dallages de flottaisons
et les radeaux cristallisés
Nul moyen d'appeler à l'aide
dans une direction précise
il faut attendre des signaux
de qui ne savent où chercher
donc profiter de notre exil
inventer de nouveaux moyens
de goûter sentir et palper
changer notre respiration
Nous devinons de longues algues
jaillissant du creux des rochers
se balançant au gré des vagues
comme voluptueusement
pour capter les rayons de l'astre
que nous n'osons nommer soleil
par les lucarnes des orages
et le miroitement des nues
Certains lorsqu'ils rentrent le soir
s'il est possible de parler
de soir ou de journée ici
car nous n'avons jamais de nuit
rapportent des photographies
de ce qui semble bien des ruines
de châteaux ou même de villes
avec des objets dispersés
Ils parlent aussi d'animaux
d'ailes et d'yeux de mains et griffes
mais on ne peut rien distinguer
de certain nous organisons
des expéditions méthodiques
d'angoisse et de curiosité
je vous en dirai plus peut-être
en risquant un autre message
Plonger parmi bulles et gouttespour cicatriser nos blessures
absorber les sels et les sucs
pour retrouver notre vigueur
apprivoiser flammes liquides
pour engendrer explorateurs
capables de signer le pacte
avec les espèces mutantes
Trouver la fissure et la nuance
mesurer le pas décisif
fabriquer le visa la clef
le talisman l'incantation
pour le festin des millénaires
où s'ouvriront dans la jouissance
les écailles d'Ouroboros
océan cherchant son répit
Les chiffres de nos indicescourent après ceux de nos années
ils ont encore du retard
mais vont bientôt le rattraper
le 93 est en 95
demain sera 96
cela durera douze mois
en septembre j'aurai 70
combien à votre anniversaire?
quant aux signes de notre piste
j'ai déjà le 94
le 95 viendra vite
nous devons aller jusqu'à cent
puis nous regarderons passer les millésimes
jusqu'au triple zéro tant attendu
D'ici là beaucoup de courage
et d'obstination
UNE PETITE ARCHE SUR L'ADRIATIQUE DÉBORDÉE
1Le photographe au miroir
Dans le fin fond de ma cambuse
je poursuis la pêche aux images
tendant mon filet sur les ombres
qui viendront repeupler la terre
2
Les vaches marines
Monta doucement le déluge
entre les vaisseaux encornés
réclamant la traite et le quai
broutant les algues dans les prés
3
Les pigeons effervescents
Dans le jardin du roi des mers
rayons plongeant parmi les branches
les poissons roucouleurs s'ébattent
supputant l'heure du reflux
4
Le chat tendu
Seigneur de la savane humide
s'étendant d'une lame à l'autre
évitant toute éclaboussure
il guette les rats de la soute
5
Le cochon inquiet (1)
Moi qui voudrais tant vous aimer
humains qui m'apportez le grain
je décèle en votre sourire
une gourmandise funèbre
6
Le cochon en fleur (2)
M'abreuvant au bac des ténèbres
j'offre mes soies à la lumière
faisant éclore mes oreilles
pour profiter du moindre bruit
7
Le canard et le chien
Les tourbillons de la fourrure
voluptueusement flottante
abritent mainte friandise
pour le bec de l'ami nageur
8
La jument à revers
Si j'étais cheval au printemps
les fouettements de l'oriflamme
apporteraient à mes naseaux
le galop grêle des poulains
9
Les colombes exploratrices
sur les vagues de la façade
commençant à se pétrifier
messagères immaculées
trouvent un rameau d'olivier
10
Le librettiste à la portière
J'ai bien la barbe de Noé
mais nullement son pied marin
surveillant radar et compas
je cherche le plancher des vaches
(en outre)
Le cochon rêveur (3)
De la fenêtre de ma bauge
j'aspire le vent matinal
réveillant l'homme qui sommeille
au coeur de chaque porc sensible
Le cochon curieux (4)
Messieurs qui chuchotez le soir
je vous épie et vous devine
Mesdames qui les rejoignez
je rince mon oeil dans les vôtres
Le cochon goguenard (5)
Vous vous croyez si supérieurs
quand vous passez entre nos auges
mais un beau jour vous trébuchez
et vous roulez dans notre fange
Le cochon amoureux (6)
Suaves sont tes grognements
comme le bout de tes oreilles
si je ne te sentais si proche
toutes mes soies deviendraient suies
Le cochon vorace (7)
Belles victimes innocentes
de mon groin je hume vos fibres
malaxant en gourmet vos phrases
pour les engloutir en ma panse
Le cochon rebuté (8)
J'avais pourtant des avantages
pourquoi m'ont-elles méprisé?
frappant mon groin contre les murs
je veux deviner leurs griefs
Le cochon faune (9)
Ces nymphes je les veux poursuivre
en traversant nos murs de fange
dialoguant parmi les roseaux
paradis d'un après-midi
Le cochon sagace (10)
Téméraire librettiste
qui veux faire traduction
de nos mille grognements
tes efforts nous font sourire
Le cochon jazz (11)
Dans les spirales de ma queue
je capte la mélancolie
que je module en reniflant
dans le dernier rayon de lune
Le cochon penaud (12)
J'ai sûrement fait une erreur
ma mémoire me joue des tours
l'insulte va dégringoler
il faut me glisser sans un bruit
Le cochon Pigalle (13)
Noeud sur le nez noeud sur la queue
tutu par-dessous le nombril
pour briller aux Folies-Porchère
en levant un jambon léger
Le cochon gargouille (14)
Mes oreilles comme des tuiles
sur le toit de la cathédrale
où l'eau des orages ruisselle
pour se déverser par mon groin
Le cochon crocodile (15)
Rêvant de marais tropicaux
j'ouvre ma gueule dentelée
pour y engouffrer des oiseaux
dont j'entends l'appel éperdu
Le cochon conteur (16)
Vous n'en croirez pas vos oreilles
j'en ai vu de toutes couleurs
j'ai traversé tant de barrières
couché dans tant de porcheries
Le cochon dormeur (17)
Contre la vaine agitation
des cochons du siècle voyez
comme il est doux de s'en remettre
aux leçons du porcher Morphée
Le cochon guetteur (18)
Certes je ne vois rien venir
mais je compte que Barbe-bleue
s'assoupissant nous livrera
la clef des forêts et des sources
Comme une algue délicatement abandonnéesur les rives de la circulation urbaine
qu'elle transfigure en miroitant fleuve limpide et silencieux
avec Hugo
flaques . brouiller . souches . fouiller . ronces . briller . tiges . respirerainsi dans le sommeil notre âme d'effroi pleine
nervures . nager . orties . remplir . osiers . mourir . traces . naître.
parfois s'évade et sent derrière elle l'haleine
lianes . gémir . gouttes . crier . reflets . rire . épaves . mouiller
Hugo
branches . veiller . boues . rêver . chutes . dormir . sables . s'étendre
Comme des mains qui applaudissent
articulées au bout des bras
dans la foule presque immobile
au passage des victorieux
ronces . plonger . tiges . germer . nervures . brouiller . orties . fouiller
de quelque noir cheval de l'ombre et de la nuit
osiers . briller. traces . respirer . lianes . nager . gouttes . remplir
on s'aperçoit qu'au fond du rêve on vous poursuit
reflets . mourir . épaves . naître . branches . gémir . boues . crier
la légende
chutes . rire . sables . mouiller . éblouissements . veiller . toiles . rêver
Comme des étoiles tombées
devenues naines s'efforçant
de s'extraire pour retrouver
leurs compagnes d'immensité
osiers . courir . traces . sombrer . lianes . plonger . gouttes . germer
Angus tourne la tête il regarde en arrière
reflets . brouiller . épaves . fouiller . branches . briller . boues . respirer
Tiphaine monstrueux bondit dans la clairière
chutes . nager. sables . remplir . éblouissements . mourir . toiles . naître
des siècles
vagues . gémir . signes . crier . fouillis . rire . galets . mouiller
Comme une vannerie défaite
laissant échapper ses trésors
sur la grève où s'est échoué
le navire pris dans l'orage
reflets . tomber. épaves . couler . branches . courir . boues . sombrer
o terreur et l'enfant blême égaré sans voix
chutes . plonger . sables . germer . éblouissements . brouiller . toiles . fouiller
court et voudrait se fondre avec l'ombre des bois
vagues . briller . signes . respirer . fouillis . nager . galets . remplir
avertissements
herbes . mourir . racines . naître . graviers . gémir . fourrés . crier
Comme une broderie couvrant
la soie d'une écharpe entourant
épaules torse frissonnants
au sortir d'un concert l'hiver
branches . pousser . boues . surgir . chutes . tomber . sables . couler
l'un fuit l'autre poursuit acharnement lugubre
éblouissements . courir . toiles . sombrer . vagues . plonger . signes . germer
rien ni le roc debout ni l'étang insalubre
fouillis . brouiller . galets . fouiller . herbes . briller . racines . respirer
et châtiments
graviers . nager . fourrés . remplir . bourgeons . mourir . chatons . naître
Comme un gong dans le grand silence
à l'entrée d'un temple ou palais
faisant retentir ses échos
le long des galeries désertes
éblouissements . pourrir . toiles . crouler . vagues . pousser . signes . surgir
ni le houx épineux ni le torrent profond
fouillis . tomber . galets . couler . herbes . courir . racines . sombrer
rien n'arrête leur course ils vont ils vont ils vont
graviers . plonger . fourrés . germer . bourgeons . brouiller . chatons . fouiller
l'aigle du casque
rivages . briller . ruissellements . respirer . rencontres . nager . clairières . emplir
Comme un archipel en dérive
un bloc de granit liquéfié
qui disperserait son mica
dans des vergers cristallisés
fouillis . bruire . galets . vibrer . herbes . pourrir . racines . crouler
ainsi le tourbillon suit la feuille arrachée
graviers . pousser . fourrés . surgir . bourgeons . tomber . chatons . couler
d'abord dans un ravin tortueuse tranchée
rivages . courir . ruissellements . sombrer . rencontres . plonger . clairières . germer
o sinistres forêts
gerbes . brouiller . chevelures . fouiller . moirures . briller . semis . respirer
Comme une épingle dans les plis
d'un velours parsemé d'élytres
prête à s'arracher pour ouvrir
les replis de la tentation
herbes . dresser . racines . creuser . graviers . bruire . fourrés . vibrer
ils serpentent parfois se touchant presque puis
bourgeons . pourrir . chatons . crouler . rivages . pousser . ruissellements . surgir
n'ayant plus que la fuite et l'effroi pour appuis
rencontres . tomber . clairières . courir . gerbes . sombrer . chevelures . plonger
vous avez vu ces ombres passer
moirures . germer . semis . brouiller . flots . fouiller . rayons . briller
Comme un serpent fossilisé
conservant assez de verdeur
pour nous proposer des bouquets
afin de concocter nos philtres
bourgeons . laver . chatons . courber . rivages . dresser . ruissellements . creuser
rapide agile et fils d'une race écuyère
rencontres . bruire . clairières . vibrer . gerbes . pourrir . chevelures . crouler
l'enfant glisse et sautant par-dessus la bruyère
moirures . pousser . semis . surgir . flots . tomber . rayons . courir
l'une après l'autre
halliers . sombrer . témoins . plonger . oublis . germer . soulèvements . brouiller
Comme un lustre où l'on a pendu
des branches de gui pour la nuit
de la saint Sylvestre éclairant
les baisers d'espoirs interdits
rivages . menacer . ruissellements . user . rencontres . laver . clairières . courber
se perd dans le hallier comme dans une mer
gerbes . dresser . chevelures . bruire . moirures . vibrer . semis . pourrir
ainsi courait avril poursuivi par l'hiver
flots . crouler . rayons . pousser . halliers . surgir . témoins . tomber
et parmi vos décombres
oublis . courir . soulèvements . sombrer . ruines . plonger . échardes . germer
Comme un satellite jouant
avec un anneau tournoyant
dans l'éther des astres géants
qui grelottent loin du soleil
gerbes . attendre . chevelures . craindre . moirures . menacer . semis . user
comme deux ouragans l'un après l'autre ils passent
flots . laver . rayons . courber . halliers . dresser . témoins . bruire
les pierres sous leurs pas roulent les branches cassent
oublis . vibrer . soulèvements . pourrir . ruines . crouler . échardes . pousser
vos ruines
écorces . surgir . résines . tomber . sèves . couler . flammes . courir
Comme un éventail de varech
dans la main d'une enchanteresse
attisant les braises discrètes
d'un brûle-parfum capiteux
flots . grandir . rayons . vivre . halliers . attendre . témoins . craindre
l'écureuil effrayé sort des buissons tordus
oublis . menacer . soulèvements . user . ruines . laver . échardes . courber
oh comment mettre ici dans des vers éperdus
écorces . dresser . résines . creuser . sèves . bruire . flammes . vibrer
vos lacs
ténèbres . pourrir . labyrinthes . crouler . ratures . pousser . antres . surgir
Comme les yeux d'un enchanteur
métamorphosé par les fées
pour une insulte très ancienne
qui vont retrouver leur vigueur
halliers . ouvrir . témoins . cacher . oublis . grandir . soulèvements . vivre
les bonds prodigieux de cette chasse affreuse
ruines . attendre . échardes . craindre . écorces . menacer . résines . user
le coteau qui surgit le vallon qui se creuse
sèves . laver . flammes . courber . ténèbres . dresser . labyrinthes . creuser
vos ravins
ratures . bruire . antres . vibrer . encres . pourrir . cavernes . crouler
Comme un sexe dans une grotte
illuminée par les éclats
des nuages crépusculaires
parmi les duvets et les mousses
ruines . enfoncer . échardes . luire . écorces . ouvrir . résines . cacher
les précipices l'antre obscur l'escarpement
sèves . grandir . flammes . vivre . ténèbres . attendre . labyrinthes . craindre
les deux sombres chevaux le vainqueur écumant
ratures . menacer . antres . user . encres . laver . cavernes . courber
vos halliers
gouffres . dresser . tourbillons . creuser . poussières . bruire . cendres . vibrer
Comme une migration d'oiseaux
survolant détroits et vallées
s'interrogeant mutuellement
pour le prochain atterrissage
sèves . relever . flammes . disperser . ténèbres . enfoncer . labyrinthes . luire
l'enfant pâle et l'horreur des forêts formidables
ratures . ouvrir . antres . cacher . encres . grandir . cavernes . vivre
il n'est pas pour l'effroi de lieux inabordables
gouffres . attendre . tourbillons . craindre . poussières . menacer . cendres . user
vous avez vu courir ces deux noirs chevaliers
brindilles . laver . amas . courber . jonchées . dresser . sentes . creuser
Comme les ossements rongés
d'un moment de délassement
qui reviennent à la mémoire
avec de souriants reproches
ratures . polir . antres . écarter . encres . relever . cavernes . disperser
et rien n'a jamais fait reculer la fureur
gouffres . enfoncer . tourbillons . luire . poussières . ouvrir . cendres . cacher
comme le cerf le tigre est un ardent coureur
brindilles . grandir . amas . vivre . jonchées . attendre . sentes . craindre
vous avez vu l'immense et farouche aventure
touffes . menacer . rouilles . user . sources . laver . ruses . franchir
Comme une bouteille à la mer
dont le message s'est perdu
parmi des fantômes de bulles
crevant aux portes du cerveau
Le monument se présente comme une dalle ou lame tendue de tissu noir frappé du sigle blanc du ver ou rat rongeur. Si l'on réussit à la soulever on s'aperçoit qu'il s'agit en fait d'une trappe qui mène dans un somptueux caveau où l'on trouve d'abord, étendues dans les suaires transparents d'une vaste chambre à très basse voûte, les 27 feuilles d'un tarot funèbre,
trois fois neuf images liant semaines saintes et corridas, couteaux et velours, silex et murmures, avec rage et délicatesse,
27 arcanes majeurs de notre misère à savoir :
1) deux visages écrasés après un instant d'assouvissement, guettant l'approche de l'indétournable vedette policière fendant la mer d'asphalte sous le ciel de plomb,
2) une femme, sa chemise à ourlets de dentelles relevée jusqu'au cou, affalée sur une méridienne tapissée de reps élimé, certaine de l'arrestation, essayant d'apaiser ses tourbillons d'angoisse,
3) un archevêque mitré s'extirpant de sa bière, quelques lambeaux de chairs et poils tenant encore à ses pommettes, sous les yeux d'une bande d'angelots bavards à ailes mi-parties corbeaux et cygnes, de vraies pies de columbarium, effarés devant cette résurrection ratée,
et liant aussi l'armet de Mambrin à l'Heure de Tous, sarments et serments, joyaux et blessures, avec sarcasme et langueur :
4) le visage un peu inquiet d'un commentateur à col et capuchon de fourrure, se disant que ce n'était pas du tout ce qu'il avait prévu, se demandant si ce ne sera pas son tour d'y passer la prochaine fois, se ressaisissant aux barreaux du code, mais attendant encore quelques instants pour reprendre son souffle avant de condamner,
5) le visage gras, blafard, à pustules, d'un autre qui préfère ne pas trop s'approcher du poële de faïence de peur de fondre, s'étaler sur les carreaux du prétoire, se perdre à l'égout,
6) quant à celui-ci, c'est plutôt le prévenu qui suppute son tour, prévenu bien trop tard d'ailleurs, pris au dépourvu; des yeux lui bourgeonnent sur les joues et les tempes, sur la nuque aussi sans doute, cherchant la faille et l'issue,
enchaînant aussi les baraquements des gitans aux projecteurs des studios, sueurs et pâleurs, jungles et bavures, avec fougue et retenue :
7) l'antichambre de l'inquisition avec alguazils, spadassins, séminaristes, secrétaires, appariteurs, assesseurs qui s'agitent autour des suspects traînés dans leurs chemises de chanvre avec de grands crochets,
8) le contrôleur de profil avec la goutte de morve chargée de nicotine et poivre, qui s'attarde sur son menton rugueux en galoche, pivotant sur le cou maigre semblable au manche d'une massue,
9) les taches de moisissure sur la soutanelle, ou bien celles de clair de vieilles lunes sur la poussière du cachot fouillée par les rayons coupants des lanternes grillagées,
et aussi les divines Paroles aux farces de Lazarillo, les fouets et les grâces, les nains et les grils, avec acharnements et replis :
10) les trois juges infernaux: le général Minos, le supérieur Eaque et le frère Rhadamante, goguenards, grivois et goulus,
11) la pleureuse avec sa tresse de jais, les genoux souriant un peu sous la bure laiteuse,
12) serait-ce la même couchée maintenant sur le dallage, Olympia des soupiraux, une grosse flaque reliée par un large visqueux filet à son cou tranché, la chair tremblant encore dans l'émotion du viol?
juxtaposant les Commentaires royaux à la brévissime Relation de la Destruction des Indes, aiguières et charognes, glaciers et brasiers, avec vengeance et pardon :
13) le premier procureur avec sa toque, son regard ennuyé, sa voix traînante nasillarde, les gouttes de transpiration sur son front qu'il essuie d'un ample balayage de sa manche à revers,
14) un cheval saluant celui de Guernica, hennissant, mâchoires ouvertes, langue en poignard, le visage d'un palefrenier bouffon apparaissant soudain par une brèche de l'écurie calcinée,
15) conversations de vestibules, remarques à l'emporte-pièce dentelé sur les réquisitoires et plaidoiries, chuchotis et suçotements,
et aussi la Tentation de Saint Antoine au Chemin de Saint Jacques, odeurs des jasmins, barbelés des camps, avec effervescence et distance :
16) l'inévitable crucifix sur la paroi, la couronne d'épines enfoncée dans les yeux,
17) l'avocat du diable, comme si celui-ci en avait besoin, qui ne laisse passer nulle intonation, nulle hésitation, boutonné jusqu'aux dents, les billes de ses pupilles roulant dans le goudron de ses orbites,
18) le président tordant sa gueule pour proférer l'inintelligible mais inéluctable sentence,
superposant le Festin de Pierre au Retable de maître Lézard, plafonds étoilés et blizzards de suie, avec violence et ruses :
19) les loges de la presse avec les téléphones, téléscripteurs, caméras, microphones, cuves à révélation, agrandisseurs, tables de montage et massicots, l'extermination en direct,
20) la liesse de la foule à l'annonce du supplice, les écoliers lançant en l'air leurs encriers, déchirant leurs cahiers et tendant des pièges pour les vieillards indulgents,
21) le greffier soulagé d'avoir enfin transcrit le dernier attendu, soignant ses points d'exclamation et d'imprécation,
et enchaînant aussi les portraits de famille aux haillons de brocard, leçons de ténèbres et jeux olympiques, avec arrachements et glissements :
22) le plongeon de la tête du sorcier, de l'hérétique, de l'inventeur, à l'intérieur de sa propre poitrine, comme pour chercher son coeur afin de pouvoir le vomir, lorsqu'il a compris que tout était perdu (mais comment diable -ou plutôt légions des insondables ricanants abîmes célestes-, pouvait-il espérer encore?),
23) le peintre et son modèle, celui-ci transformé en insecte, mais à vrai dire le peintre aussi,
24) l'épouse, tout son corps marbré de frissons, dénudé presque écorché à l'intérieur de la geôle des tissus houille et neige sous la mantille,
et mariant aussi les lichens des toundras aux beuveries des cloîtres, étaux, étals, étoles et âtres, avec crissements et réverbérations :
25) le paysage de l'exécution à l'aube livide; une fusillade mais réglée de telle façon qu'elle dure aussi longtemps qu'un bûcher; on devine des battements d'ailes mais sans pouvoir décider si ce sont encore celles des archanges ou celles des vautours déjà,
26) bousculade à la procession pour baiser surplis, chiper reliques, se barbouiller de cendres,
27) l'enfant rescapé qui connaîtra bientôt l'étendue de ses tares.
Lorsqu'on a refermé le vantail sur cette galerie-galère à 27 voiles, apte à naviguer dans les flots de lave sous toutes nos villes, on descend d'un étage encore pour trouver dans une autre cave plus petite, sous une liasse de méditations vénérables, tout au fond, telle une fleur sèche oubliée, la relation d'une visite antérieure.
En 1585 le père Luis Frois, jésuite portugais, après avoir passé trente ans au Japon, rédigea un petit traité sur les différences entre "eux et nous".
Au cours de mes voyages j'ai pu profiter de la diversité du monde légèrement voilée par sa superficielle uniformisation.
De décennie en décennie j'ai vu changer musiques et moeurs, modes médicales ou religieuses, les théories scientifiques moduler, les cotes des peintres fluctuer, dans l'universelle respiration des générations.
Modeste Don Juan, comment ne me serais-je pas laissé charmer par l'arc-en-ciel des regards, chevelures, teints, démarches, sourires, galbes, timbres de voix, intonations?
Je voudrais connaître toutes les langues, toutes les îles, toutes les villes pour pouvoir montrer la nécessité de chacune, tous les déserts pour déployer leur imagination, fouiller leur tessiture; et je suis très heureux de savoir que je n'y arriverai jamais, que nul n'y arrivera jamais, qu'on n'y arrivera jamais, qu'un nouveau siècle va s'ouvrir et que l'espace nous attend.
Ni grand seigneur, ni méchant homme, j'ai cette supériorité sur Alexandre de savoir qu'il y a d'autres mondes où nous pourrons étendre nos explorations amoureuses.
Et même sous le laminoir de l'économie de supermarché, j'ai vu des éditeurs maintenir leurs distances contre vents et marées.
Aussi je vous invite à déguster les crus diversifiés dans la bouteille de cet ouvrage, ruisselants aux verres de ces pages, dans le souvenir des vingt premières années de la Différence, mais surtout en heureux augure des vingt prochaines.
Passent les minutes les vents les cavaliers les pollens les jours les bruits les désirs les traces les tremblements les armées les nuits les exodes les travois les aboiements les admonestations les jours les cérémonies passent
Les rectangles de bois
autour des orbites noires
les poteaux modulés
sous la balustrade fragile
l'horizon flamboyant
Passent les heures les explorations les camions les fumées les nuits les fatigues les attentes les plissements les églises les massacres les jours les chariots les rugissements les élections les enterrements les nuits les prospections passent
Les dollars enfoncés dans le sac à main
comme les mèches sous le foulard
les rides soulignent le sourire
les bijoux sautant sur les raies
l'horizon masqué
Passent les secondes les migrations les automobiles les parfums les jours les fureurs les neiges les races les érosions les sermons les nuits les incantations les wagons les mugissements les conversations les jours les initiations passent
Des échelles pour escalader le ciel
de la vaisselle au pied du mur
l'ombre tournant avec les heures
les terrasses des astronomes
l'horizon tranchant
Passent les journées les empires les ondes les nuages les nuits les amours les récapitulations les traditions les invasions les discours les jours les cauchemars les roulottes les miaulements les traductions les nuits les baptêmes passent
Les portes les cailloux les herbes
l'inconnu à travers la vitre
les épaules dans le soleil
le silence émaillé
l'horizon virulent
Passent les nuits les ronces les chants les échos les jours les vengeances les destructions les informations les inondations les prophéties les nuits les murmures les déménagements les feulements les mariages les jours les empires passent
Une rude caresse
laisse des bleus
dans la peau de la pierre
qui les chérit
l'horizon cassé
Passent les saisons les avions les récits les grondements les nuits les bruits les danses les oublis les soulèvements les apocalypses les jours les superstitions les chimères les éructations les recommandations les nuits les vents passent
Les chutes pétrifiées
nourrissent les pylônes
qui distribuent leurs étincelles
dans les parlements des fantômes
l'horizon écartelé
Passent les soirs les poussières les cavaliers les menaces les jours les fatigues les appels les brumes les effondrements les révélations les nuits les expéditions les monstres les soupirs les interjections les jours les explorations passent
Ceux d'autrefois
escaladant les fractures
dans les blessures de la Terre
ruisselant de sang minéral
l'horizon retourné
Passent les semaines les prospections les camions les pollens les nuits les fureurs les hordes les pluies les redressements les visions les jours les exploitations les dragons les râles les injonctions les nuits les ordinations passent
Les boucles du fleuve intermittent
sous les chevelures d'humidité
que l'été peigne dans l'haleine
des architectes disparus
l'horizon tressé
Passent les mois les rêves les automobiles les odeurs les jours les amours les désirs les famines les feuillettements les enseignements les nuits les exécrations les fantômes les explosions les disséminations les jours les migrations passent
Les yeux traversant la paroi
les cheveux frémissant aux traces
pour l'exploration des cavernes
où cuisent fauves et rayons
l'horizon fouetté
Passent les années les sables les ondes les ombres les nuits les vengeances les attentes les évangiles les retournements les révolutions les jours les méditations les obsessions les battements les interrogations les nuits les ronces passent
La population des épines
s'embarquant sur l'arche des neiges
pour survivre aux lapidations
des déluges de sécheresse
l'horizon craquelé
Passent les siècles les oiseaux les chants les orages les jours les bruits les fièvres les traces les glissements les épidémies les nuits les éboulements les angoisses les fugues les tourbillons les jours les concours passent
Le vaisseau fantôme
bloqué dans sa banquise rouge
où tournoient les pillards
captant les images lointaines
l'horizon martelé
Passent les saisons les vents les poussières les sommeils les nuits les fatigues les cavaliers les grondements les menaces les récapitulations les jours les destructions les races les traditions les tremblements les nuits les plissements passent
Le chariot grondeur
étalant son élégance
dans les coulisses du désert
où se trament les éclairages
l'horizon bloqué
Passent les phases de la Lune les explorations les prospections les conquérants les jours les fureurs les camions les pollens les fumets les danses les nuits les informations les érosions les invasions les sermons les jours les massacres passent
Les couvertures et les peaux
sèchent dans la brèche du four
avant la tombée des frissons
qui font gicler les aboiements
l'horizon balafré
Passent les veilles les migrations les rêves les motos les nuits les amours les automobiles les fumées les odeurs les appels les jours les hordes les oublis les brumes les inondations les nuits les soulèvements passent
Cavalcadant parmi les orgues
ou virant parmi les gravats
d'une planète abandonnée
par ses dieux en villégiature
l'horizon éclaté
Passent les vacances les empires les sables les trains les jours les vengeances les ondes les parfums les ombres les anges les nuits les désirs les pluies les famines les effondrements les jours les révélations passent
Les troncs de pierre plongeant leurs racines
dans les époques englouties
tendent leurs branches enneigées
aux bûcherons taillant les nuages
l'horizon labouré
Passent les pèlerinages les ronces les oiseaux les cultes les nuits les bruits les chants les nuages les orages les attentes les jours les fièvres les évangiles les traces les feuillettements les nuits les révolutions passent
Les chambres éventrées
dans le giron des grottes
avec les meurtrières épiant toujours
les envahisseurs
l'horizon enfoui
Passent les jeûnes les avions les vents les récits les jours les fatigues les sommeils les échos les grondements les neiges les nuits les récapitulations les vestiges les races les glissements les jours les tremblements passent
Les maisons crânes
soulevant leurs suaires
tandis que les dalles s'ouvrent
à l'appel du jugement
l'horizon vibrant
Passent les processions les poussières les explorations les cavaliers les nuits les fureurs les conquérants les menaces les pollens les destructions les jours les danses les traditions les informations les plissements les nuits les érosions passent
La vie s'est arrêtée
dans la bulle de silence
où roulent les cailloux
parmi les racines
l'horizon double
Passent les calendriers les prospections les migrations les camions les jours les amours les motos les fumets les fumées les appels les nuits les hordes les oublis les brumes les invasions les jours les inondations passent
Le conquistador a noué ses lacets
avant de revêtir sa cuirasse
pour plonger dans la fosse des âges
où va fondre le souvenir de son iniquité
l'horizon de flammes
Passent les programmes les rêves les empires les automobiles les nuits les vengeances les trains les odeurs les parfums les anges les jours les désirs les pluies les famines les soulèvements les nuits les effondrements passent
Lance et tromblon
pour décider l'oiseau de l'averse
à couvrir de ses ailes
les régions dévastées
l'horizon inondé
Passent les propositions les sables les ronces les ondes les jours les bruits les cultes les ombres les nuages les attentes les nuits les fièvres les évangiles les traces les redressements les jours les feuillettements passent
Du fond de notre résistance
nous remontons sur le plateau
où les briques des conquérants
sont devenues la proie du gel
l'horizon usé
Passent les échéances les oiseaux les avions les chants les nuits les fatigues les récits les orages les échos les neiges les jours les récapitulations les vestiges les races les retournements les nuits les glissements passent
Au théâtre des découvertes
les arbres spectateurs palpitent
amours d'antan plaisirs perdus
pistes vers les trésors d'énigmes
l'horizon couronné
Passent les pauses les vents les poussières les explorations les jours les fureurs les cavaliers les conquérants les camions les pollens les nuits les fumées les fumets les destructions les danses les jours les appels passent
La flûte sait apprivoiser
la vannerie du labyrinthe
barbe et cheveux nuage et buissons
signaux de naissance d'un nouveau dieu
l'horizon s'ouvrant
Passent les mesures les prospections les migrations les rêves les nuits les amours les motos les automobiles les trains les odeurs les jours les parfums les ombres les hordes les anges les nuits les désirs passent
Chapelets de sapins et perles
croisées de chemins et maisons
jardins de ferveurs et d'espaces
stèles des vivants et des morts
l'horizon feuilleté
Passent les soupirs les empires les sables les ronces les jours les vengeances les ondes les cultes les chants les nuages les nuits les orages les échos les attentes les fièvres les jours les neiges passent
Les grilles de la camionnette
les poutres sortant des parois
les barreaux devant la fenêtre
sous les lampadaires et clochers
l'horizon chimérique
Passent les battements les oiseaux les avions les vents les nuits les bruits les récits les sommeils les cavaliers les grondements les jours les menaces les pollens les récapitulations les destructions les nuits les danses passent
Les chiens devant l'abside
entre les contreforts
semblables à des fours à pain
dans l'odeur des feux de pignons
l'horizon multiplié
Passent les silences les poussières les explorations les prospections les jours les fatigues les conquérants les camions les motos les fumets les nuits les fumées les odeurs les appels les hordes les jours les anges passent
L'éclairage des murs de terre
qu'il faut repolir à la main
après chaque pluie
dans le concert des aboiements
l'horizon apaisé
Passent les délais les migrations les rêves les empires les nuits les fureurs les automobiles les trains les ondes les parfums les jours les ombres les nuages les désirs les attentes les nuits les fièvres passent
Les balafres d'ombres et planches
les caresses d'argile et d'épines
une fumée dans l'azur noir
la conversation des croyances
l'horizon déroulé
Passent les retards les sables les ronces les oiseaux les jours les amours les cultes les chants les récits les orages les nuits les échos les grondements les neiges les récapitulations les jours les destructions passent
Les seins couvant un lait de braises
avec l'odeur du pain roussi
les cheminées et les gouttières
les réserves et les outils
l'horizon dévalé
Passent les périodes les avions les vents les poussières les nuits les vengeances les sommeils les cavaliers les conquérants les menaces les jours les pollens les fumets les danses les appels les nuits les hordes passent
Au loin la découpure des terrasses
comme des lingots d'or dans le soir
avec le hennissement des chevaux
et la cloche du cimetière
l'horizon liquide
Passent les époques les explorations les prospections les migrations les jours les bruits les camions les motos les automobiles les fumées les nuits les odeurs les parfums les anges les désirs les jours les attentes passent
Les croix devenant mâts et vergues
la terre un océan démonté
brusquement immobilisé
par un sourire en deuil
l'horizon sorcier
Passent les ères les rêves les empires les sables les nuits les fatigues les trains les ondes les cultes les ombres les jours les nuages les orages les fièvres les neiges les nuits les récapitulations passent
Le diapason de la kiva
sert d'antenne pour diffuser
les messages des souterrains
pour les arpenteurs du plateau
l'horizon attentif
Passent les commémorations les ronces les oiseaux les avions les jours les fureurs les chants les récits les sommeils les échos les nuits les grondements les menaces les destructions les danses les jours les agonies passent
La musique venue de l'autre côté
de la frontière pour les vieux pilotes
en faisant fleurir les vrombissements
arrache enfin les barbelés
sur l'horizon déchiqueté
Sommaire n°9 :LES MAINS DU GUITARISTE
LE RADEAU DE L'ENFANCE
AIGUILLAGE
L'ÉTOILE GRISE
VINGT BLOCS DE CHARBON
LE JEU DES ÉLÉMENTS
PETIT ÉCRAN
LA JOCONDE AU PALAIS D'ORSAY
MODULATION DE FRÉQUENCE
LES DEUX JUMEAUX CHERCHENT LEUR PERE
LA GUÉRISON PAR L'OEIL
PORTRAIT DE L'ARTISTE EN JONGLEUR À MIDI
AU HASARD DES ORBES
LA BAVE DU DRAGON
VOEUX
UNE PETITE ARCHE SUR L'ADRIATIQUE DÉBORDÉE
L'EAU PURE
L'AISSELLE DE LA FORET
LAMES
VINGT ANS D'AGE
LA FLECHE AU COEUR