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DESCRIPTION DE SAN MARCO
 
 

L’HISTOIRE DE JOSEPH
 

(I)

    Mais un nouveau développement s’amorce avec la décoration du bras nord, dont le thème essentiel sera l’Égypte.

    Voici les trois coupoles de Joseph, dont la première peut être datée des environs de 1240, car on en retrouve la main dans les figures de Saint Paul Martyr et saint Paul Ermite à l’intérieur, dont les cendres furent transportées à Venise entre 1220 et 1240:
 

 “Or Joseph eut un songe: ...lier des herbes dans les champs... J’ai fait encore un rêve: il me paraissait que le Soleil, la Lune, et onze étoiles...”

 Joseph dans son nid de couvertures sur le champ d’or.

 “Qu’il raconta à ses frères.”

 Onze frères et quatre moutons. Les longues manches de Joseph, les manches courtes de ses frères.

 “Son père le gronda et lui dit: en voilà un rêve que tu as fait!”

 Les bandes molletières des frères, les sandales fines de Joseph semblables à celles de son père.

 “Un homme le rencontra errant dans la campagne, et cet homme lui demanda: que cherches-tu?”

 Il répondit; “Je cherche mes frères.”

 Le panier accroché à son bâton.

 “Voici l’homme aux songes qui arrive! Maintenant venez, tuons-le!”

 Reconnaissable à sa moustache, l’aîné Ruben.

 Dix frères seulement; Benjamin est resté près de Jacob.

 “Le jetèrent dans la citerne... Puis ils s’assirent pour manger. Comme ils levaient les yeux, voici qu’ils aperçurent une caravane.”

 Joseph nu. La courbe du paysage, détour, montagne sommée de rocs, les deux longs cous des dromadaires, une lézarde fêlant leurs têtes, les marchands armés de leurs lances, la nappe rayée frangée pour le repas, le grand plateau rond, les pains, le poisson. Neuf frères seulement car Ruben s’est absenté pour pouvoir délivrer Joseph.

 “Ils retirèrent Joseph de la citerne.”

 Des agrafes pour empêcher la mosaïque de se décoller.

 “Ils vendirent Joseph aux Ismaélites pour vingt pièces d’argent.”

 Point la tunique aux longues manches, un simple pagne. Torses nus des marchands, leur teint sombre.

 “Et ceux-ci le conduisirent en Égypte.”

 Joseph, marchandise précieuse, assis sur l’un des dromadaires, tenant sa bride.

 “Lorsque Ruben retourna à la citerne, voici que Joseph n’y était plus!”

 Une danse de lamentation.

 “Avec ces mots: voilà ce que nous avons trouvé! Regarde... Et son père le pleura.”

 Architectures et trône. Jacob les deux mains levées. Sa femme effacée, celle qui a succédé à Rachel. Les deux messagers tenant la tunique à longues manches, à longues taches de sang.
 

 “Israël aimait Joseph plus que tous ses autres enfants, car il était le fils de sa vieillesse, et il lui fit faire une tunique à longues manches.”

        L’or de la coupole devenant vibration du ciel nocturne.
“Ses frères virent que son père l’aimait plus que tous   ses autres fils et ils le prirent en haine.”
        L’or de la coupole devenant moissons.
“Allons-nous donc, moi, ta mère, et tes frères venir nous prosterner à terre devant toi?”
        L’or de la coupole devenant tentures.
“Ils l’aperçurent de loin, et avant qu’il n’arrivât près   d’eux, ils complotèrent...”
        L’or de la coupole devenant lointains.
“Mais Ruben l’entendit et il le sauva de leurs mains.”
        L’or de la coupole devenant fourmillement menaçant des prés.
“Ismaélites qui venaient de Galaad. Leurs chameaux   étaient chargés de gomme adragante, de baume, de    laudanum, qu’ils allaient livrer en Égypte.”
        L’or de la coupole devenant roches pailletées.
“Vide où il n’y avait pas d’eau” (Joseph remplaçant   l’eau dans la citerne).
        L’or de la coupole devenant fascinant scintillement de pièces d’or.
“Ils prirent la tunique de Joseph...”
        L’or de la coupole devenant rayonnement fabuleux de l’Égypte.
“Et ayant égorgé un bouc, ils trempèrent la tunique   dans le sang...”
        L’or de la coupole devenant sables du désert.
“L’enfant n’est plus là! Et moi où vais-je aller?”
        L’or de la coupole devenant larmes.
"Ils envoyèrent la tunique à longues manches, ils la    firent porter à leur père.”
        L’or de la coupole devenant peau de fauves, remuement de fauves autour du palais.
 
 

(II)

    Les coupoles suivantes sont du même style que la niche du portail d’extrême gauche sur la façade, certainement terminée en 1275.

    Arcs et colonnes au centre. Un pavage vert clair et vert sombre court tout autour.
 

 “Putiphar, eunuque de Pharaon et commandant des gardes, un Égyptien, l’acheta des Ismaélites qui l’avaient amené là-bas.”

 Le turban du premier marchand, les boucliers et les casques des gardes.

 “Qui l’institua majordome et lui confia tout ce qui lui appartenait.”

 Joseph tout jeune encore prenant les clefs. Ouvrant les portes marquetées d’un pavillon à terrasse, la femme de Putiphar, somptueuse, son manteau formant ceinture sous sa poitrine, faisant ressortir un beau sein, et ses cheveux dénoués retenus par un cercle d’or.

 “La femme de son maître jeta les yeux sur Joseph et lui dit: couchez avec moi!”

 Seuls dans une galerie à colonnes. Joseph a maintenant un superbe manteau bleu.

 “Mais il abandonna le vêtement entre ses mains, prit la fuite et sortit.”

 Luxueuse maison vide: colonnes de marbre gris, base, anneaux et chapiteau d’or, petits créneaux sur la terrasse, étage, fenêtre sous un arc, toit bleu, belvédère, lambris de pierre mauve, portes teintes d’écarlate. Le sein rond sous la robe bleue. Le pantalon collant de Joseph, vert, brodé de soie rouge et or.

 “Voyant qu’il avait laissé son vêtement entre ses mains et qu’il s’était enfui dehors, elle appela ses domestiques et leur dit...”

 Les servantes au bandeau blanc bleuté rayé d’or et de rouge, le serviteur aux jambes nues, chaussettes roulées sur ses sandales; la galerie dont on ne voit qu’une travée, couverte de tuiles roses.

 “Le maître de Joseph le fit saisir et mettre en geôle.”

 La cuirasse à l’antique du garde qui saisit Joseph.

 “Pharaon s’irrita contre ses deux eunuques, le grand échanson et le grand panetier, et il les mit aux arrêts chez le commandant des gardes.”

 Le palais du pharaon, ses tours, ses coupoles.

 “Or une même nuit, tous deux eurent un songe.”

  Dans les nids de leurs couvertures, vert pour l’échanson qui, les yeux fermés, voit le cep de vigne à trois sarments chargés de grappes dont il presse la plus épaisse dans la coupe de Pharaon, rose pour le panetier qui, les yeux fermés, voit trois corbeilles au-dessus de sa tête contenant tout ce que mange Pharaon en fait de pâtisseries, un oiseau bleu, un oiseau noir, et un vautour les dévorant.

 “Joseph lui dit: voici ce que cela signifie...”

 Le mur de la prison et la porte qui va s’ouvrir.

 “Égypte...”


        L’or de la coupole devenant agitation de marché.

 “Joseph avait une belle prestance et un beau visage.”
        L’or de la coupole devenant réverbération du Nil.
 “Or, ce jour-là, Joseph vint à la maison pour faire son   service, et il n’y avait là, dans la maison, aucun des   domestiques.”
        L’or de la coupole devenant poussière étincelante tourbillonnante au soleil de l’après-midi.
 “Bien qu’elle parlât à Joseph chaque jour...”
        L’or de la coupole devenant torpeur de jardin irrigué à l’heure de la sieste.
 “Voyez cela! Il nous a amené un Hébreu pour badiner avec nous! Il m’a approchée pour coucher avec moi, mais j’ai poussé un grand cri, et en entendant que j’élevais la voix et que j’appelais, il a laissé son vêtement près de moi, il a pris la fuite et il est sorti...”
        L’or de la coupole devenant silence ruisselant dans lequel se serait noyé le cri de la femme.
 “Où étaient détenus les prisonniers du roi.”
        L’or de la coupole devenant cliquetis d’armes, nielles, ciselures de boucliers, écailles et plaques.
 “Le commandant des gardes leur adjoignit Joseph    pour qu’il les servît.”
        L’or de la coupole devenant splendeur de la maison du roi.
 “J’ai rêvé, dit-il...” (de songe en songes).
        L’or de la coupole devenant respiration des dormeurs et communication des songes.
 “Moi aussi, j’ai rêvé...”
        L‘or de la coupole devenant espoir de libération, miroitement de la faveur.
 
 

(III)

  La bordure de la coupole.
  Les quatre pendentifs:
 

  “Il rétablit le grand échanson dans son échansonnerie, et celui-ci mit la coupe dans la main de Pharaon.”

  La rose gothique, les colonnes torses.

  “Quant au grand panetier, il le pendit comme Joseph l’avait expliqué.”

  Sur une croix, les bras passant derrière la barre, plus becqueté d’oiseaux que dés à coudre.

  “Il advint que Pharaon eut un songe: sept vaches de belle apparence et grasses de chair...”

  L’oreiller à coins brodés.

  “Et les vaches laides d’apparence et maigres de chair dévorèrent les sept vaches grasses et belles d’apparence.”

  Les joncs. Les bandes verticales du Nil avec les rides horizontales qui viennent y jouer.

  “Dans trois jours...”

   Luxe.
  “Le troisième jour, qui était la fête de la naissance de   Pharaon...”
  Charogne.
  “Il me semblait que je me tenais sur la rive du Nil...”
  De songe en songes.
  “Je n’en avais jamais vu d’aussi laides dans tout le    pays d’Égypte.”
   La porte qu’entrouvrent les songes.  Sous l’arc, sur le mur de la nef:
 “Un second rêve: sept épis montant d’une même tige, gros et beaux. Mais voici que sept épis grêles...”

 Le drap blanc sur lequel il repose.

 “Pharaon fit appeler tous les devins et tous les sages d’Égypte et il leur raconta son rêve.”

 Les plumets sur les casques des gardes. L’agrafe du manteau royal incrustée de nacre. La perplexité des trois sages.

 “Alors le grand échanson adressa la parole à Pharaon: ...un jeune Hébreu. Nous lui avons raconté nos songes...”

 Le roi sur le même trône, mais dans l’intimité, le manteau noué, sceptre posé, plein d’espoir.

 “Brûlés par le vent d’est...”

  Cascade de songes.
  “Au matin, l’esprit troublé...”
  Murmures.
   “Maintenant que Pharaon discerne un homme    intelligent et sage et qu’il l’établisse sur le pays d’Égypte...”
  Le vent de la faveur et la roue de fortune. Et voici comment se finit l’histoire de Joseph. Au centre, une roue d’entrelacs végétaux.
 “Joseph emmagasina le blé comme le sable de la mer.”

 Les trois grandes pyramides, greniers avec lucarnes; derrière, deux pyramides à degrés.

 “Il naquit à Joseph deux fils que lui donna Asnat...Quant au second il l’appela Ephraïm.”

 L’abside avec sa coquille à fines rainures. La table basse avec la bouteille de vin.

 “Et le peuple demanda à grands cris du pain à Pharaon, mais Pharaon dit à tous les Égyptiens; allez à Joseph.”

 Un tapis sous les pieds de Joseph, collier de barbe, moustaches, au milieu de ses gardes, casques à pointe, gorgerins, grands boucliers bombés.

 “Alors Joseph ouvrit tous les magasins à blé et vendit du grain aux Égyptiens.”

 Les trois grandes pyramides, les deux pyramides à degrés. Les deux grands boucliers derrière le trône de Joseph. Celui qui tient le sac ouvert avec ses dents, tandis qu’un autre soulève avec peine le boisseau qu’il va y vider.

 “Du grain à vendre en Égypte. Descendez-y et achetez-nous du grain là-bas.”

 La feuille d’acanthe au coin du palais de Joseph. Les chaussures de voyage des fils.

 “Dès que Joseph vit ses frères, il les reconnut, mais... leur parla durement... et il les mit en prison pour trois jours.”

 Celui qui croise les bras dans son affliction.

 “Ils se dirent l’un à l’autre: en vérité nous expions ce que nous avons fait à notre frère... Joseph s’écarta d’eux et pleura.”

 Un rideau sépare le pavillon où Joseph essuie ses larmes, de la cour où sont ses frères avec le petit interprète.

 “Il prit d’entre eux Siméon et le fit lier sous leurs yeux.”

  Les variations sur le pavillon de Joseph, le même et pas tout à fait le même chaque fois, une architecture que l’on ne peut dessiner telle quelle, dont il faut donner une suite d’approximations: colonnes torses, colonnes à cannelures droites, colonnes torses de nouveau, coquille.
 

   “Il le revêtit d’habits de lin fin et lui passa au cou un collier d’or.” (Ici le texte s’écarte de celui de la Vulgate    pour reprendre le mot manipulos, gerbes, et faire de cette scène la réalisation du premier rêve).

         L’or de la coupole devenant profusion de grains de blé.
  “Asnat, fille de Putiphar, prêtre d’On.”
         L’or de la coupole devenant luxueuses réjouissances de noces et nativités.
  “Joseph donna à l’aîné le nom de Manassé, car, dit-il,   Dieu m’a fait oublier toute ma peine et toute la famille de   mon père.”
         L’or de la coupole devenant houle de foule dans la sécheresse et dans la chaleur.
  “Quant au second, il l’appela Ephraïm, car, dit-il, Dieu   m’a rendu fécond au pays de mon malheur.”
         L’or de la coupole devenant promesse de pain.
 “Car la famine s’aggravait sur toute la Terre.”
         L’or de la coupole devenant sol brûlé.
  “Joseph se souvint des songes qu’il avait eus à leur    sujet, et il leur dit: vous êtes des espions!”
         L’or de la coupole devenant souvenir et projet de tout le vain chemin sec éblouissant à reparcourir.
  “Ils ne savaient pas que Joseph les écoutait, car, entre   lui et eux, il y avait un interprète.”
         L’or de la coupole devenant souvenir des pâturages, des paysages d’autrefois, des songes de Joseph pleins de grains de blé et d’étoiles, du chemin sec éblouissant parcouru par lui autrefois.
  “Ils chargèrent le grain sur leurs ânes et s’en allèrent.   Mais lorsque l’un d’eux, au campement pour la nuit, ouvrit   son sac...”
         L’or de la coupole devenant hantise du blé, terreur devant l’or, foudre envahissant tout le ciel.
  Sur le mur de la nef, le retour des frères avec Benjamin.


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