BOOMERANG
(Le Génie du lieu 3)
COURRIER DES ANTIPODES
FANTÔMES AUSTRALIENS
Dans de district de Monaro, Nouvelles Galles du Sud, on a vu mainte fois passer un cheval noir toujours présage de désastres.
Les habitants de Doonside dans la banlieue de Sydney, ont vu mainte fois les fantômes d’un bagnard et de ses amis hanter Bungaribee house, bâtie par le major John Campbel en 1825, jusqu’à sa démolition en 1957.
Quant aux gens d’Innamicka Crossing dans le Centre, ils entendent le fantôme de l’explorateur Burke loin gémir autour du pub la nuit.
Les gens de Dilga dans l’ouest du Queensland entendent le cri d’un homme à l’agonie. Il s’agit, pensent-ils, du fantôme d’un certain Welford tué par les aborigènes.
Le premier mai 1956, le révérend R.S.C. Blance, prêtre anglican d’Adélaïde, prit une photographie à Corroboree Rock à quelques 100 milles à l’ouest d’Alice Springs, site de cérémonies d’initiation de la tribu arunta. Le développement révéla la figure d’un homme dans une sorte de chemise de nuit, portant chapeau, les mains serrées sous le menton comme en prière.
Les gens du port de Broome, Australie Occidentale, voient passer le Chevreuil, vaisseau fantôme de William Dampier qui ne craignait ni démon ni abîme.
Les gens de Broome racontent aussi que l’évêque anglican Gérard Trower, tandis qu’il séjournait dans un bungalow surnommé aujourd’hui palais de l’évêque, s’est réveillé une nuit en frissonnant avec le sentiment que quelqu’un le regardait. “Qui est là?” Aucune réponse. Il appela de nouveau, imaginant que peut-être un de ses paroissiens voulait le voir; silence. Alors une figure spectrale est sortie de l’ombre et s’est avancée dans le clair de lune. L’étrange visiteur portait une robe de rabbin. Il demeura un instant, puis s’évanouit. Quand l’évêque au matin s’efforça de le décrire, ses ouailles reconnurent un acheteur de perles nommé Davis qui avait autrefois vécu dans ce bungalow et était l’âme de la population juive, disparu dans un naufrage.
Les gens de Devlin’s Pound, Australie Occidentale, racontent que l’énorme Irlandais marchand de vin qui a donné son nom à cette localité, avait coutume de subtiliser des boeufs ou moutons pendant que les conducteurs de troupeaux se saoulaient dans son établissement au bout du monde éblouissant, et que monté sur un cheval blanchâtre il mène ses bêtes fantômes.
Frédéric Fischer, bagnard relâché au bout du monde rouge, disparut de sa petite hutte au milieu de 1826, racontent les gens de Campbelltown, Nouvelles Galles du Sud. George Worall son copain dit à ses voisins que Frédéric était rentré en Angleterre sans espoir de retour et lui avait laissé ses biens. Mais un certain Farley, un soir d’octobre 1826, passant en voiture sur un pont, crut apercevoir Fischer assis sur la rambarde et rapporta ce fait à la police; au jour on découvrit des taches de sang à l’endroit où s’était assis le fantôme. On fit venir un pisteur aborigène qui chercha dans le lit du torrent au-dessous et annonça qu’il flairait de la graisse de Blanc. On découvrit le cadavre de Fisher au fond d’un bassin et Worall fut pendu le 5 février 1827.
Federici, la fameuse basse italienne, racontent les gens de Melbourne de l’autre côté de l’autre bout du monde sans bout, chantait Méphisto dans le Faust de Gounod au Princess Theatre. Au moment où il disparaît dans un nuage de soufre, il manque la marche de la trappe, se brise la colonne vertébrale et meurt dans les coulisses. Depuis on le voit se promener parmi les fauteuils vides après le spectacle.
Les gens de Fingal, Tasmanie, racontent qu’un jeune colon construisit une maison pour s’y installer avec sa fiancée encore en Angleterre. Il était si impatient de la voir qu’il s’embarqua avant d’avoir achevé sa demeure de l’autre côté de l’autre bout du monde. Apprenant qu’il avait été supplanté, il revint en Tasmanie se pendre dans la cour de son logis incomplet auquel personne n’a plus touché. Il le hante mais non plus seul, accompagné par une femme et un enfant imprudents qui sont venus chercher de l’eau dans son puits et s’y sont noyés.
Les gens de Munro, Quennsland, racontent que Dick Grosvenor anglais de l’autre côté de l’autre bout du monde sans bout, est tombé dans un sac de 200 livres de farine et qu’il est mort étouffé; on le voit hanter blanc la plaine rouge.
Les gens de Guyra, Nouvelles Galles du Sud, racontent que la maison d’un ouvrier a été troublée pendant des mois. Des averses de pierres tombaient par les fenêtres, et le bâtiment entier était secoué comme par des mains géantes. La police n’a rien pu trouver. Madame Doran a disparu à cette époque à l’âge de 87 ans sans laisser la moindre trace.
Les gens de Yallourn, Victoria, racontent qu’au siècle dernier un troupeau fou déferla à travers le hameau de Moe dans les collines du Gippsland. Certains fermiers partirent à la recherche du bouvier absent, et découvrirent les traces de son campement de l’autre côté de l’autre bout caché du monde éblouissant, rien de plus. Un autre troupeau passant plus tard par le même endroit, fut pris de la même panique. Le bouvier déclara avoir entendu un troupeau fantôme avec des claquements de fouet. La fois suivante toute une troupe accompagna les bêtes à travers ces collines; commencement d’agitation la nuit, deux hommes furent chargés d’aller voir ce qu’il y avait de l’autre côté, revinrent blêmes de terreur sans avoir rien vu, mais les oreilles pleines encore des bruits extraordinaires qui les avaient poursuivis. Depuis nul bétail ne passe plus par là.
Les gens de Drysdale, Victoria, racontent que Miss Drysdale, soeur d’un caissier d’Edinburgh, arriva dans la région déjà assez âgée, de l’autre côté de l’autre bout du monde, et fit construire sur la péninsule de Bellarine une jolie demeure aux fenêtres armoriées qu’elle appela Coriyule. Trois ans après la fin des travaux, elle mourut et fut enterrée sous un peuplier au sommet d’une colline voisine en compagnie de son cheval favori. Le propriétaire suivant fit transporter le cercueil au cimetière public. On entend depuis un piano sépulcral dans le salon, auquel répond un hennissement ricaneur.
Les gens de Berrima, Nouvelles Galles du Sud, racontent que le 22 octobre 1842 Lucretia Dunkley, tenancière de l’hôtel des trois Jambes, fut pendue dans la prison construite trois ans plus tôt au bout du monde, pour avoir assassiné un riche fermier et lui avoir dérobé 500 souverains. On détacha la tête pour examen scientifique. Pendant des années la décapitée hanta les vieux pins qui ornaient la façade; on finit par les abattre, mais depuis elle hante les ruines d’un vieux pub.
Les gens de Collector, Nouvelles Galles du Sud, racontent que Johnny Gilbert, jeune Canadien qui faisait partie du gang de Ben Hall, avait emprunté le cheval de course d’un fermier au bout du monde, jurant solennellement de le lui rendre. La police le fusilla entre temps. Une nuit, les gens de la ferme entendirent un hennissement sauvage dans les écuries, sortirent et virent le fantôme de Johnny refermer la barrière du ranch. Le cheval était dans son box.
Les gens de Wagga Wagga, Nouvelles Galles du Sud, racontent qu’il y a près de 100 ans les deux frères Pollmann furent assassinés dans leur campement sur les dunes de Deep Creek, affluent du fleuve Murrumbidgee, et leurs corps brûlés. Les meurtriers fouillèrent leur charrette sans y trouver l’argent que des parents découvrirent plus tard caché dans un trou creusé dans l’un des essieux à l’autre bout du monde. Quelque temps plus tard, un enfant de dix ans, ignorant tout de cette histoire, campait dans ce coin avec son père, un grand gaillard qui avait la réputation de ne rien craindre. Comme l’enfant montait la garde à minuit, car ils accompagnaient des moutons, il descendit dans le torrent pour y relever ses lignes et entendit une charrette brinquebaler sur la piste; il courut alors faire un passage à travers le troupeau pour les voyageurs, mais il n’y avait rien, et il n’entendait même pas les sabots des chevaux, seulement le grincement des roues qui diminua et disparut.
Les gens de Wonganilla et de Pine Ridge, Victoria, racontent que dans un village nommé Trotting Cob à l’autre bout du monde, apparaît chaque nuit un cavalier portant sa tête sous son bras.
Les gens de Queanbeyan, Nouvelles
Galles du Sud, racontent que le 28 juin 1876 un berger nommé McCarthy
avait été assassiné au lieu dit Washpen près
de Yeumbra sur le fleuve Murrumbidgee. La police découvrit que le
corps avait été enterré juste à l’entrée
de sa cabane de rondins. Très loin. On rendit un verdict de meurtre
d’auteur inconnu.
Et que la police partit à
la recherche du meurtrier et que dans le lit d’un torrent à sec
non loin de la hutte, ils découvrirent de curieuses empreintes laissées
par quelqu’un qui avait deux bottes gauches. Très nettes elles menaient
au domicile d’un colon employeur de la victime, très loin. Quand
il apprit le meurtre, il suggéra immédiatement que le coupable
devait être un certain Tom le soldat ou Waterloo Tom.
Et que le fermier déclara
à la police que Waterloo Tom avait frappé à sa porte
la veille du crime, et qu’il lui avait donné à coucher,
que Tom lui avait demandé si le berger McCarthy occupait encore
sa cabane et qu’il lui avait dit oui de l’autr côté de l’autre
bout du monde, que le lendemain il avait été soulagé
de constater qu’il était parti, en dépit du fait qu’il eût
volé une couverture, une boîte contenant de la strychnine
et une botte gauche, que Waterloo Tom fut arrêté.
Que la police jugea nécessaire
d’ouvrir la tombe de McCarthy pour y récupérer notamment
une couverture appartenant au fermier de l’autre côté de l’autre
bout du monde, et qu’à deux heures de l’après-midi par beau
temps, au moment où ils commençaient à creuser, un
nuage d’obscurité se répandit soudain.
Que lorsqu’on eut commencé
à creuser la tombe du berger McCarthy, au moment où la bêche
d’un troupier heurta une bûche qui recouvrait le corps de l’homme
assassiné, une terrible explosion ébranla l’atmosphère
et se répercuta dans les collines environnantes de l’autre côté
de l’autre bout du monde sans bout. Le sol trembla et parut s’enfoncer
sous les pieds des assistants comme s’il avait été frappé
d’un monstrueux coup de tonnerre.
Que lorsque le tonnerre se fut
tu lors de l’ouverture de la tombe du berger McCarthy, on entendit un rugissement
dans les collines, et l’on vit se précipiter dans la demi-obscurité
un grand taureau d’une blancheur immaculée de l’autre côté
de l’autre bout du monde rouge inconnu sans bout. Les policiers effarés
cherchèrent des abris et sortirent leurs revolvers, mais l’animal
se dirigea vers la tombe où il s’arrêta pour regarder autour
de lui, grattant le sol de ses sabots, puis se mit à gémir,
se coucha et mourut. Les hommes vinrent l’un après l’autre constater
qu’il était bien mort, puis reprirent leur exhumation et allèrent
camper à plus d’un mille.
Que quatre jours après
l’apparition du taureau blanc, un des policiers revint à la tombe
avec le fermier dans l’intention d’enterrer de la farine empoisonnée.
Plus trace de l’animal. De l’autre côté. Waterloo Tom fut
condamné à mort; gracié, il finit ses jours en prison.
Les gens de Canberra racontent
qu’en 1826 un superbe diamant fut volé à un certain James
Cobbity dans un obscur village du Queensland par un bagnard en fuite qui
fut repris par la suite mais refusa de donner aucune information en dépit
de fouets fréquents. En 1842 il passa son secret à un palefrenier
aborigène avec une carte pour trouver la cache.
Que l’Aborigène qui avait
avalé le diamant, fut enterré dans un terrain très
loin, sur lequel a été construit Yarralumla House qui devint
la résidence principale provisoire du représentant de la
reine lors de l’installation de la capitale fédérale.
Que lorsque Yarralumla House
fut vendue au gouvernement on y découvrit une lettre racontant toute
l’histoire, se terminant par ces mots: “le diamant est parmi les ossements
de l’Aborigène. Il est sans prix. Très loin. Mes mains affaiblies
par l’âge m’empêchent de décrire les épreuves
par lesquelles je suis passé. J’ai perdu ma vie, gaspillé
mon argent, et meurs misérable à quelques pas du but. Je
crois que la tombe est sous un grand déodar. Comme elle a été
creusée par les Aborigènes de cette région, ce doit
être un trou rond. Je lègue cette fortune qui m’échappe
à qui me croira.” Sans signature.
Que le parc de Yarralumla House
a été mainte fois retourné, et que malgré toutes
les dénégations officielles le fantôme de l’Aborigène,
son diamant brillant comme l’étoile du matin à l’intérieur
de sa cage thoracique, très loin, est venu troubler toutes les nuits
le sommeil du représentant de la reine.
Quand l’un d’entre nous meurt,
disent les gens d’Yrkalla, ses parents se rassemblent autour de son cadavre,
gémissant de toutes leurs forces; les femmes coupent leur cuir chevelu
avec des ossements aiguisés jusqu’à ce que le sang ruisselle;
quand l’un d’entre nous meurt,
les hommes s’assemblent et chantent les hymnes et lais de son groupe;
le lendemain matin on frotte
son corps d’ocre rouge et l’on peint sur ce fond son totem;
on fabrique deux figures en
écorce que l’on glisse sous ses bras, et on lui explique que ce
sont ses enfants que l’on a tués et placés près de
lui pour qu’il ne se sente pas trop seul et ne désire pas revenir
hanter les vivants;
on l’emballe dans plusieurs
couches d’écorce d’eucalyptus mince comme du papier, et on l’attache
avec une corde d’herbe; pendant ce temps d’autres fabriquent une plate-forme
de branches et la recouvrent d’une couche de feuillage;
on chante une nouvelle série
d’hymnes et lais appartenant à son groupe, et deux d’entre nous
montent sur la plate-forme et étendent le corps la face vers le
ciel;
une fois qu’il est posé
sur la plate-forme, nous sonnons de la flûte basse afin d’avertir
les anges des morts pour qu’ils viennent le distraire et l'empêcher
de tourmenter ses parents. L’un d’entre nous monte en même temps
sur un arbre élevé pour faire le cri de l’oiseau nocturne
karawak, messager des anges, et dès qu’il entend la toux de ceux-ci,
il se précipite à terre et s’enfuit avec nous tous, car les
anges et les âmes sont dangereux pour les vivants.
Quand l’un d’entre nous meurt,
disent les gens d’Yrkalla de l’autre côté de l’autre bout
caché de l’éblouissant monde sans bout, pendant deux ou trois
mois personne n’approche de sa plate-forme funéraire. Quand les
vers qui se nourrissaient de son corps sont entrés dans le sol et
se sont transformés en mouches, nous venons nettoyer ses ossements.
Nous dansons en chantant longuement avec accompagnement de bâtons
frappés et de flûtes basses, ce qui écarte les esprits.
Le squelette est descendu, étendu sur le sol entre deux hommes assis,
et un troisième enfonce sa lance entre ses côtes en disant
qu’il transperce une tortue.
Quand l’un d’entre nous meurt,
trois jours après avoir lavé ses ossements nos femmes les
déballent, les frottent d’ocre rouge et les placent dans un cercueil
temporaire en écorce sur lequel on a peint son symbole totémique;
pendant que les femmes font
passer les ossements d’un cercueil à l’autre, les hommes font la
danse de l’eau. La soeur du défunt ou sa plus proche cousine creuse
un trou dans le sol; le cercueil de bois y est planté verticalement,
on tasse la terre à sa base, on distribue les petits os des mains
et des pieds aux parents et amis, on démolit le crâne et on
en disperse les morceaux aux quatre vents;
une fois que son cercueil de
bois a été planté dans sa position définitive
et que chacun est retourné chez soi, son âme est enfin démêlée
de ses ossements; et s’il appartient à la moitié Dua de notre
tribu, il entre dans un canot d’écorce mené par l’âme
du premier homme qui mourut et va vers Jurundi, une jungle sur la côte
occidentale de la baie de Melville où il est accueilli par les anges
que les archanges Wuluwait et Bunbulama ont assemblés en son honneur;
lorsqu’il est arrivé
dans la jungle des anges, il danse toute la nuit, les mains pleines de
fleurs;
une fois qu’il a dansé
toute la nuit avec les anges, il part avec son batelier accompagné
par des dauphins pour l’île de Dambalia où ils dansent toute
la nuit suivante, les mains pleines de fleurs rouges d’ignames;
il part avec son batelier au
matin pour la lointaine île de Purelko dans la direction du lever
de Vénus. Nombreuses journées accompagnées par les
dauphins. Un pluvier masqué annonce leur arrivée, et le chef
des morts, Jauakubwura au pénis peint vient les accueillir.
Quand l’un d’entre nous meurt
et qu’il est arrivé dans l’île de Purelko, disent les gens
d’Yrkalla de l’autre côté de l’autre bout du monde sans bout,
s’il est vieux le chef au pénis peint le rajeunit; s’il est malade,
il le guérit; s’il est méchant, le rend vertueux, puis lui
offre festin et femmes;
quand l’un d’entre nous meurt
et qu’il a fait connaissance de ses nouvelles femmes, il retrouve ses vieux
amis. A Purelko ni besoin, ni querelles, ni calamités. Abondance
de nourriture, les marais et la mer sont remplis de poissons, les forêts
d’émeus et de kangouroos, et il n’y fait jamais froid;
quand il est arrivé à
Purelko il n’a pas fini ses épreuves. Un jour, comme il se promène
parmi les arbres, il tombe sur deux femmes qu’il effraie et qui courent
avertir leurs hommes de la présence d’un étranger. Ils se
disposent en ligne, lance en main, et l’attendent. Ce que voyant, il s’efforce
de les distraire par des danses; mais quand il en a terminé, les
hommes-esprits de Purelko l’un après l’autre le transpercent. Les
premières lances pénètrent profondément, mais
à chaque coup le corps durcit et les dernières ne peuvent
même plus l’égratigner. Pendant ce temps, les femmes-esprits
assises sur le sol pleurent en sympathie pour ses souffrances. L’épreuve
terminée, les hommes-esprits mènent leur nouveau frère
dans leur camp, lui enseignent de nouveaux chants, de nouvelles danses,
et le font participer à leurs divines fêtes;
et quand c’est une femme qui
meurt et qu’elle arrive à Purelko, Jaualinwura envoie un petit enfant
à sa rencontre en lui disant d’aller trouver sa mère; il
la rajeunit au besoin, la guérit de toutes ses maladies et la rend
enceinte si elle ne l’est pas, et au bout de quelques mois elle accouche
sans douleur d’un enfant merveilleusement beau qui se mêle aux jeux
des autres dans les forêts des esprits.;
et s’il appartient à
la moitié Jiritja de notre tribu, une fois que le cercueil de bois
a été planté dans sa position définitive et
que chacun est retourné chez soi, son âme enfin démêlée
de ses ossements, guidée par les cris d’oiseaux de la jungle, se
dirige vers la forêt du Nord où elle rencontre les anges Wuluwulu
qui le mènent jusqu’au chef des morts Nalkuma;
celui-ci lui explique comment
fabriquer un canot spécial en bois, et celui-ci terminé ils
embarquent tous deux pour Nakulma munis de graines données par les
anges qui serviront de passeport.
Quand l’un d’entre nous meurt
et voyage vers Nakulma, disent les gens d’Yrkalla très loin, ses
habitants avertis envoient une expédition abattre un dugong pour
en faire festin, tandis que les autres attisent un grand feu d’herbes dont
la fumée guide les voyageurs. A leur apparition sur l’horizon, ils
s’assemblent au rivage et les acclament. Les meilleurs amis du nouveau
l’embrassent, puis c’est l’installation, le repas, les chants et les danses
qui provoquent des nuages de poussière qui s’élèvent
dans le ciel en déclenchant des orages qui retombent sur nous qui
savons alors qu’est clos notre deuil.
LE DOLLAR
Dollar ô ma douleur petit
chiffon de papier vert et noir petit jardin de rêves
de tant de millions d’hommes
non seulement sur le territoire des États-Unis mais dans mon pays
et presque tous les autres
en te frottant entre mes doigts
j’examine à la loupe les inscriptions qui te décorent
papillon vert
Tout en errant à l’intérieur
de tes sentiers mécanographiques la face est celle de Washington
dont Chateaubriand nous déclare
que quelque chose de silencieux environne toutes les actions
à gauche autour d’une
lettre je lis en blanc sur noir banque de la Réserve fédérale
de Philadelphie Pennsylvanie
domaine vert
Et de l’autre côté
surimprimé en vert sur le mot “Un” le sceau du département
du Trésor daté de 1789
avec une balance et une clef
en bas les signatures du grand argentier des Etats-Unis
et du secrétaire du Trésor
des branches d’olivier courent dans les marges et de l’autre côté
tout vert
talisman vert
Voici le grand sceau des Etats-Unis
pile avec une pyramide tronquée datée 1776
que termine dans le ciel le
triangle maçonnique hanté d’un oeil illuminant
“il achève nos commencements”
et dans la banderole “nouvel ordre des siècles”
futur vert
Face l’aigle chauve le corps
recouvert d’un blason à 13 bandes brandissant d’une serre 13 flèches
et de l’autre une branche d’olivier
à 13 feuilles et 13 fruits pinçant dans son bec
le ruban où court “plusieurs
devenant un” sommé d’un ciel où 13 étoiles
dragon vert
A cinq branches disposées
pour former un sceau de Salomon repoussant au-delà de leur azur
figuré
par un rayonnement plurisolaire
une couronne de nuages
et planant sur le nombre planeur
“c’est dans la banque divine que nous déposons nos valeurs”
sépulcre vert ou ver
ou vers
Lorsque la police en 1890 vint
arrêter dans son camp
celui qui se déclarait
le dernier des Indiens
14 ans après sa victoire
contre Custer lors du premier Centenaire
et que la fusillade éclata
le cheval dressé
que lui avait donné Buffalo
Bill lors de leur grande tournée en Europe
se crut à nouveau dans
un cirque et se mit à faire des acrobaties
dans l’aube au-dessus du corps
mutilé de son maître
les Sioux fidèles voulurent
s’enfuir dans le désert
mais furent massacrés
à Wounded Knee
ce fut la mort de la nation
des Sioux dit-on mort qui survit
LE DERNIER DES TASMANIENS
Quand les derniers survivants des Aborigènes de Tasmanie
qui avaient été déportés en totalité dans Flinders Island
et quelques autres îles du détroit de Bass parce qu’ils gênaient
les colons britanniques à qui l’on avait attribué leurs territoires
furent retransportés dans la crique aux Huîtres
parce que tout de même ils mouraient un peu trop vite
malgré la surveillance médicale dont ils bénéficiaient
eux les derniers des TasmaniensLa dernière famille à quitter l’île avait eu la vie
particulièrement difficile parce qu’à son arrivée
après avoir passé quelque temps au bagne de Launceston
parce que ces gens-là devaient être surveillés de près
si l’on ne voulait pas qu’ils disparussent dans le paysage
ses membres non seulement ne savaient pas un mot d’anglais
mais pas un seul mot de la langue parlée par les autres
eux les derniers des Tasmaniens
Langue d’ailleurs on ignore tout aujourd’hui
sauf un vocabulaire d’une vingtaine de termes dressé
par un missionnaire dans on ne sait quelle transcription
derniers représentants d’une tribu disparue avant les autres
qui devaient bientôt disparaître en totalité le père d’une douceur royale
la mère épuisée terrifiée un grand fils une grande fille un ou deux enfants
plus petits on ne sait plus adoraient tous le petit dernier qui devait être
le dernier de tous les TasmaniensC’était un enfant très docile que l’on n’envoya pas en classe
on essaya de lui apprendre le catéchisme mais ça ne l’intéressait pas
s’étant lié avec des marins il partit pêcher la baleine
sur un navire nommé Aladdin lui on l’appelait William Lanne
il était gai chéri des dames il aimait la bière et le rhum
en janvier 1868 comme le fils de la reine Victoria
venait visiter la Tasmanie on l’habilla d’un costume bleu
et d’un chapeau à galon d’or pour marcher à côté du prince
lui le dernier des TasmaniensQuelques mois plus tard il reprit la mer et revint malade
il alla toucher sa dernière paye de 12 livres 13 shillings et cinq pence
puis alla se coucher à l’hôtel du Chien et de la Perdrix c’était le choléra
il n’eut pas la force d’aller à l’hôpital et mourut le 27 février 1869
le dernier des derniers des Tasmaniens
17 janvier , Thaïpusam qui honore notre Seigneur Thaïpusam qui est vertu, valeur, jeunesse, beauté, puissance: on processionne des charpentes semi-circulaires d’acier reposant sur des pointes d’acier enfoncées dans la chair de leur porteur, décorées de fruits, fleurs, plumes de paon et pointes de lances.
Le 3O, veille du nouvel an chinois: on nettoie et repeint les maisons, on colle partout des papiers rouges couverts de voeux dorés. On paie ses dettes.
Le 31, vacance légale, cette année du dragon est saluée avec une grande allégresse: prières à tous les dieux qu’on peut, visites aux amis et parents en habits neufs, échanges de mandarines.
1er février, vacance légale, cela continue avec la Chingay parade: énormes mannequins, danses du lion et du dragon, orchestres, luttes, échasses.
Les 15 et 16, anniversaire du Singe: on écrit des charmes avec le sang de sa langue; marionnettes et processions.
12 mars, naissance de Mahomet: assemblées dans les mosquées, conférences en malais, arabe, tamoul et anglais sur les mérites du Prophète.
Le 22, anniversaire du saint des pauvres, statue portée dans un palanquin.
13 avril, fête siamoise des eaux: aspersions, rires.
Le 16, vendredi saint, vacance légale: Christ en cire, retraite aux flambeaux.
Les 6 et 7 mai, Vesak, vacance légale: des bonzes en robe safran chantent des soutras; bateaux illuminés, distribution de nourriture, lâcher d’oiseaux.
2 juin, commémoration du poète qui s’est noyé pour protester contre l’injustice de l’Empereur: échanges de beignets.
Du 27 juillet au 24 août, marché de gala, opéras dans les rues.
Le 9 août, fête nationale, vacance légale: orchestres militaires, cornemuses, pugilistes, acrobates, danses, feux d’artifice.
Le 10, fête des fantômes affamés: c’est le mois où les démons les laissent sortir du purgatoire, opéras et marionnettes.
Le 24, début du ramadan: prières spéciales dans les mosquées.
8 septembre: les gâteaux de Lune, fourrés de purée de haricot, raines de lotus, oeufs de cane, bien autre chose. Lanternes de papier rouge en forme d’animaux et véhicules.
Les 9 et 10, encore l’anniversaire du Singe.
Le 20 Navarathri: pendant trois jours on célèbre l’épouse de Siva, trois autres jours celle de Vishnou, trois derniers jours celle de Brahma.
Le 25, Haria Raya Pusa, vacance légale: fin de la Lune du ramadan.
12 octobre, Thimithi en l’honneur de la déesse Droba-Devi: marche sur des charbons ardents.
Le 22, Deepavali, vacance légale: fête de la victoire de la lumière sur les ténèbres, de Rama sur Narakasura, de Krishna sur Naragusura.
Du 23 au 31, les neuf Empereurs divins: cymbales et tambours, drapeaux et bannières, opéras et macérations.
Du 23 octobre au 20 novembre, pèlerinage taoïste à l’île de Kusu.
2 décembre, Hari Raya Haji, vacance légale: ceux qui ont fait le pèlerinage de La Mecque, arborent leur bonnet blanc.
Le 25 Noël, vacance légale:
les chrétiens installent des sapins qu’ils décorent de bougies
et guirlandes; les enfants mettent leurs souliers devant la cheminée
le soir quand ils en ont une, et les retrouvent le lendemain matin pleins
de cadeaux; messes de minuit, crèches.
La capitale du cinéma, les stars, les grands studios, tant de films en sont sortis, d’émissions de télévision; elle nous a montré tant de fausses villes; Hollywood est un faubourg de Los Angeles, l’industrie du cinéma s’est d’ailleurs en grande partie déplacée vers d’autres régions; Clio masseuse y perd la mémoire.
Il semble que l’on devrait connaître ce lieu par coeur, qu’en arrivant on devrait tout y retrouver, les moindres carrefours, mais non, c’est comme si personne ou presque ne nous l’avait jamais montré, et l’avait jamais regardé, et les séraphins de plexiglas filent sur le Harbor Freeway, virent et saignent.
Blues.
Immense, changeante, pas moyen d’en faire le tour, se dérobe, on ne peut s’en faire une image comparable à celle de nos villes européennes, la résumer par quelques monuments; c’est que le décor et la réalité y sont toujours inextricablement mêlés; c’est une ville caméléon qui cherche à ressembler à toutes sortes d’autres villes: un quartier s’appelle Venise, un autre Florence; Euterpe hôtesse y perd son ouïe.
On n’est jamais sûr qu’il y ait quelque chose derrière les façades; les maisons se déguisent en châteaux, en chapeaux, en pâtisseries, en chaumières, tel quartier en village de pêcheurs, telle rue en rue mexicaine, et les jardins sont remplis des plus belles fleurs, mais chez les fleuristes la plupart de celles qu’on nous propose sont artificielles, merveilleusement imitées, très difficiles à première vue à distinguer des véritables; et les chérubins de néon sifflent sur le Santa Monica freeway, virent et saignent.
Blues.
Région urbaine qui comprend d’innombrables municipalités différentes, incroyable puzzle d’administrations, maintenant la seconde agglomération du continent américain, la troisième du monde après New York et Tokyo, celle qui a la croissance la plus rapide, celle qui est la plus étendue; on y rencontre les climats les plus variés: le bord de la mer, les collines, les vallées fermées, le désert, - et à bien des égards la plus moderne; Thalie figurante y perd son rire.
On y dit que Khrouchtchev lors de sa visite aurait déclaré: “j’ai vu l’avenir, il ne marche pas”; les gens de Los Angeles aiment à croire qu’ils vivent dans la ville de l’avenir; c’est plutôt la ville du présent, l’emblème de notre temps, et par conséquent ce qu’imitent sans le savoir nos villes quand leurs banlieues commencent à grandir, ce à quoi ressembleront bientôt les couronnes suburbaines de Paris, Londres, Moscou, Pékin même, les problèmes qui risquent de s’y poser, ce qui nous attend, ce qui nous menace, nullement au siècle prochain, mais d’une année à l’autre; et les trônes de chrome crissent sur le Hollywood freeway, virent et saignent.
Blues.
Laboratoire urbain, des faubourgs entiers sont construits d’un coup, d’autres détruits puis reconstruits comme s’il s’agissait de décors pour un film; le désert primitif y est comme un tableau noir sur lequel on trace à la craie des propositions d’habitat pour les effacer quelques instants plus tard comme avec un immense chiffon; Melpomène infirmière y perd ses larmes.
Pas seulement les murs, mais les gens qui y vivent, qui vont donc essayer ici et là des existences, puis en changer, comme des acteurs qui passent d’un rôle à l’autre, un laboratoire de population; et les dominations de béton chantent sur le Ventura feeway, virent et saignent.
Blues.
Les individus soumis à l’obligation de réadaptations constantes, emportés dans l’évolution de l’énorme ensemble, perdus dans un mouvement qui leur échappe, les dépasse de toutes parts, et sur lequel ils ont très peu de prise, constamment à la recherche de leur propre visage, vont lui opposer toutes sortes de tentatives pour se regrouper autrement; Terpsichore monteuse y perd l’usage de ses jambes.
Les jeunes gens en particulier vont s’ingénier à s’inventer des rôles différents de ceux qu’on voudrait leur voir jouer, à s’affubler de costumes qui les distinguent, à mettre au point des conduites de résistance dont l’un des aspects a été l’agitation étudiante, répandue dans tous les États-Unis, mais qui a trouvé à Los Angeles un terrain de choix; et les vertus de formica crient sur le San Diego freeway, virent et saignent.
Blues.
Civilisation de l’automobile, il n’est plus besoin d’en sortir pour aller à la Banque, acheter les journaux, déjeuner au restaurant, se faire bénir par le prêtre de son choix, jeter son courrier dans la boîte. Les trottoirs sont le plus souvent vides, sauf dans les quartiers les plus pauvres. On passe d’un extrême à l’autre, de la solitude à la foule, presque sans intermédiaire; Erato laborantine y perd son coeur.
Mais les gens de Los Angeles n’en sont pas moins obligés de marcher beaucoup, car l’énormité des parkings aux lieux de concentration les oblige à garer leur voiture souvent fort loin de leur atelier dans leur usine, de leur place dans les stades, ou de la boutique de leur choix dans les shopping centers; et les puissances de skai gémissent sur le Golden State freeway, virent et saignent.
Blues.
Provisoire, tout est récent et provisoire, la ville tout entière n’est-elle pas provisoire, ne va-t-elle pas soudain tout entière s’effondrer comme un décor, comme un mirage? Cette faille qui la traverse, venue du golfe de Californie, et se prolonge jusqu’à San Francisco, entièrement détruit, on le sait, en 1906 par le tremblement de terre et l’incendie qui l’a suivi, cette faille qu’étudient soigneusement les sismographes, ne va-t-elle pas s’ouvrir soudain pour l’engloutir? Cette ville sans racines, cette ville d’émigrés, qui n’a vu naître presque aucun de ses habitants actuels, vit dans l’obsession de la sexualité, comme s’il était trop difficile à deux amants faits l’un pour l’autre de s’y trouver à travers tout ce trafic, et l’obsession de la mort, somptueux cimetières, extravagantes pompes funèbres. Quantité de gens sont venus ici pour y mourir, attendant tranquillement leur heure sur les bancs; Polymnie serveuse y perd son feu.
Provisoire, mais pas aussi provisoire qu’on le dit, qu’on le voudrait; les maisons bâties pour 20 ans se délabrent depuis 30; les déchets s’accumulent; et s’il est facile d’effacer tout un quartier comme un dessin de craie sur un tableau noir, les noeuds d’autoroutes sont définitifs; la ville se solidifie; et les principautés de polystyrène doublent sur le Long Beach freeway, virent et saignent.
Blues.
La nuit le brouillard se lève, presque toutes les rues sont désertes, sauf les grands centres de plaisir qui retrouveront eux-mêmes le silence après minuit. Alors, depuis les belles maisons des collines où l’extérieur et l’intérieur s’échangent, si l’on quitte un instant le spectacle télévisé, on voit se déployer le tissu lumineux d la ville, million de points, projet; on imagine alors cette ville future, cette ville-non-ville que n’est pas encore Los Angeles, dernière des villes, cette civilisation d’au-delà de la ville à laquelle nous invitent ces grandes masses noires de désert, conservées en plein milieu de l’agglomération; l’aube nous fera retomber au présent; Uranie secrétaire y perd ses yeux.
Fuir, ailleurs, échapper; les avions dans le ciel, les bateaux dans le port; ce n’est pas encore assez grand Los Angeles; il nous faut nous étendre incomparablement plus loin, apprivoiser l’océan Pacifique entier, aussi bien que le désert derrière nous; et les archanges de rilsan étincellent sur le San Bernardino freeway, virent et saignent.
Blues.
Venus de partout, il n’y a en général pas très longtemps, Blancs, Mexicains, Japonais, Noirs, pauvres ou riches, tous avec le désir de s’enrichir, certains s’enrichissent - belles demeures à piscines et orchidées, - d’autres rencontrant des murs, la plupart vivant dans la déception, - innombrables sectes religieuses, - se frôlant sans se mêler, - chaque quartier correspondant à un revenu bien précis; Calliope la vendeuse y perd sa voix.
L’origine de la fortune de Los
Angeles est son climat; puis il y a eu la concurrence de deux compagnies
ferroviaires, le cinéma; les grandes industries se sont installées
peu à peu, aujourd’hui en particulier l’aéronautique, l’électronique,
l’espace; et au-dessous de tout cela d’immenses nappes de pétrole;
et les anges de caoutchouc ricanent sur le San Gabriel freeway, virent
et saignent.
BALLADE MUNICIPALE
(Nice)
Pour réussir votre (vraie)
salade du comté, selon les conseils du Député-maire,
grand spécialiste en cuisine locale,
vous couperez pour six couverts
dix tomates moyennes en quartiers et les salerez légèrement
une première fois sur la planche,
couperez aussi trois oeufs durs
en quartiers ou rondelles, détaillerez 12 filets d’anchois en trois
ou quatre morceaux chacun,
mais vous n’oublierez pas les
églises à dentelle de marbre, les eucalyptus et les mimosas
venus d’Australie,
le fantôme des carnavals
de jadis et des hommes de Terra Amata qui chassaient l’éléphant,
le rhinocéros et le cerf,
sur un fond d’arrière-pays
à grandes solitudes;
et hâtez-vous d’en profiter,
la pollution monte.
Vous prendrez des villas 1900
avec ce qui reste de leurs parcs et de leurs orangeraies, les vignes de
Bellet et les serres d’oeillets et de roses,
trancherez finement un beau
concombre épluché, émincerez en anneaux très
fins deux poivrons verts et six petits oignons frais, et selon la saison
12 artichauts ou 200 grammes de petites fèves,
mais vous n’oublierez pas les
palmiers et cycas, hibiscus et glycines, le fantôme des carnavals
de jadis où Raymond Roussel regardait
un mannequin grotesque avec
un nez rouge représentant un rémouleur gigantesque qu’un
habit de couleur brune à grand col en linge, culotte courte et bas
clairs déguisait en ancien artisan,
et des hommes du Lazaret qui
ont chassé les descendants de ceux de Terra Amata, ou les descendants
de ceux qui les avaient chassés, ou de ceux qui les avaient chassés...
sur un fond d’arrière-pays
à grandes montagnes neigeuses;
et hâtez-vous d’en profiter,
la pollution monte.
Vous prendrez des araucarias
et des magnolias, des lilas et des daturas, des figuiers de Barbarie et
des cyprès
que vous mêlerez à
des plages de galets couvertes l’été de merveilleuses poitrines,
de cuisses flageolantes, de parasols, de flacons d’huile, tubes de crème
et papiers gras,
frotterez le fond d’un grand
saladier avec une gousse d’ail coupée en deux, et verserez à
l’intérieur tous les ingrédients à l’exception des
tomates
et d’un immense large cuisinier
debout vêtu d’une casaque blanche, dont le gigantesque bras tout
raide, la manche retroussant jusqu’au coude en carton rose imitant
bien la peau, tenait ouvert immobile le couvercle d’une marmite à
l’intérieur de laquelle des enfants en cuisiniers aussi faisaient
une ronde en tenant haut la jambe,
sans oublier les hommes de Carros
le neuf qui ont chassé les descendants de ceux du Lazaret ou de
ceux qui les avaient chassés..., et les hommes de Grimaldi, et les
Ligures,
sur un fond d’arrière-pays
à villages perchés;
et hâtez-vous d’en profiter,
la pollution monte.
Vous prendrez une immense nourrice
en bonnet de batiste avec un tuyautage énorme autour, visage souriant,
un seul rang de boutons faisant bomber un corsage bleu foncé sur
sa poitrine excessive,
que vous mêlerez à
des oliviers, à des cerisiers, à des amandiers, à
des bougainvilliers, des clématites et des cèdres,
sans oublier la pissaladière,
la socca, le pan bagnat, la fougasse, la frangipane, le mesclun, les ganses,
les clémentines confites et la côtelette du pauvre homme aux
artichauts,
égoutterez les tomates
et les resalerez légèrement avant de les incorporer
aux Phocéens qui ont
fait le siège de la ville ligure, aux Celtes le siège de
la ville phocéenne, aux Romains qui ont libéré les
Phocéens de l’occupation celte,
sur un fond d’arrière-pays
à gorges rouges, vertes ou dorées, à précipices,
cristaux et forêts, à troupeaux de moutons sur les routes,
orgues anciennes et retables;
et hâtez-vous d’en profiter,
la pollution monte.
Vous prendrez des Vandales qui
ont fait le siège de la ville romaine, des Provençaux celui
de la ville savoyarde, François Ier faisant bombarder par une flotte
turque et française la ville défendue par Catherine Ségurane
et son battoir à linge,
puis un mannequin qui commençait
à tourner en chevauchant un autre immense aussi vêtu comme
d’un maillot rouge et semblant courbatu de se tenir ainsi à quatre
pattes, effondré sur les bras par terre avec ses omoplates ressortant
haut dans son dos, Carnaval lui-même qui s’avançait tout joyeux,
face épanouie très rouge, coiffé assez comiquement
d’une espèce de toquet sur l’oreille,
agrémenterez de capucines
et géraniums, pétunias et bégonias, tulipes, lys et
glaïeuls,
entremêlés de vieux
couples sur la promenade des Anglais, de clochards qui chient dans leurs
culottes ou pissent sur les bancs, d’une nuée d’autos, de parcmètres,
de jardins suspendus et de feux d’artifice,
vous ferez une sauce avec six
cuillerées à soupe d’huile d’olive et six feuilles de basilic
finement hachées, poivre et sel,
sur fond de vallée des
Merveilles;
et hâtez-vous d’en profiter,
la pollution monte.
Vous prendrez des routes en lacets,
des installations militaires disgracieuses et désuètes, des
sentiers de contrebandiers et les tunnels d’un chemin de fer à voie
étroite,
parmi lesquels vous ferez passer
le fantôme du maréchal de Catinat faisant sauter le château,
du marquis de Grignan alors âgé de 18 ans, portant des fascines
de lauriers roses et grenadiers, de Louis XIV ordonnant au maréchal
de Berwick de démolir pierre par pierre le château déjà
bien malade, des Sardes qui libéraient la ville de l’occupation
française, Français de la sarde,
plusieurs joueurs de fifre en
costume marin blanc fantaisie debout sur un seul rang à l’avant
d’un grand char en forme de galère, la coque toute claire avec de
faux hublots, de larges zigzags d’or sur fond bleu ciel,
des aubergines et des blettes,
des brocolis et des cardons, des céleris, des champignons, des chayotes
et des chicorées, des fleurs de courge et du fenouil, des poivrons
et des truffes,
des agences et des opérations
immobilières, des perçages de tunnels entre les égouts
et les caves des banques, des évasions spectaculaires, des concours
de tir et de jeu de boules, des équipes de sport et des casinos,
ferez bien rafraîchir
au réfrigérateur avant de servir;
et hâtez-vous d’en profiter,
la pollution monte.
Lecteur, électeur, tu
n’oublieras ni le mirage de la Corse qui apparaît parfois tout proche
au-dessus des eaux, ni les thoniers au port avec leurs filets pourpres,
ni les cargos qui viennent de Chypre ou d’Odessa, ni les yachts aux rambardes
étincelantes, ni les petites barques si patiemment repeintes sur
fond de vents et de parfums, d’appels d’Afrique et d’Asie, d’extrêmes
Orient et Occident, d’avions qui virent sur la baie des Anges, et de lauriers,
yuccas, platanes et figuiers,
les Autrichiens qui ont libéré
la ville de l’occupation française, et les Français de l’autrichienne,
les Piémontais de la française, et Victor Emmanuel qui la
vendit à Napoléon le petit -mais qui libérera maintenant
les hommes de Terra Amata avec leurs éléphants, leurs rhinocéros
et leurs cerfs fantômes?
un char représentant
une immense pantoufle que regardait Raymond Roussel au tournant du siècle;
tu pourras disposer les différents
ingrédients dans le saladier de manière très décorative,
leurs couleurs étant vives et bien contrastées;
mais hâte-toi d’en profiter,
la pollution monte.
L’ÉPREUVE DE LA PUANTEUR
... Un chasseur et sa femme qui campaient pour pêcher à l’entrée d’un fjord, entendirent et virent pendant la nuit une forme indistincte qui relevait le toit de leur abri pour voler les poissons qui séchaient dessous. L’homme prit son arc et tira. Touchée la créature tomba dans les buissons, mais réussit à s’enfuir. Le lendemain matin, le chasseur suivit ses traces et découvrit le cadavre d’une ogresse mâle avec de gros seins pendants, une énorme bouche lippue et de grosses couilles. Les deux époux remontèrent au village. Le lendemain, des Indiens qui en descendaient aperçurent une grande ogresse femelle en larmes, et revinrent le raconter, et le chasseur comprit qu’elle pleurait le mâle qu’il avait tué. Les jeunes gens très excités voulurent tout de suite y aller; mais les témoins: “ses yeux sont énormes, sa tête est aussi grosse que notre plus grand coffre”. Ils partirent cependant, mais quand l’ogresse les aperçut, elle leur cria avec une voix si terrible: “c’est mon fils que vous avez tué!” qu’ils s’enfuirent dans l’épouvante.
(Tenaktak).
Or il y avait au village un jeune orphelin lépreux dont la fiancée était la soeur cadette de l’épouse du premier chasseur. Il se leva silencieux, car on le tenait à l’écart à cause de son odeur, et partit dans sa petite pirogue pour aller trouver cette ogresse qui vit en lui un compagnon de malheur. En larmes elle lui déclara qu’on avait eu tort de la fuir, qu’elle n’était nullement aussi méchante que le prétendaient les rumeurs, qu’elle était prête au contraire à faire la fortune de celui qui lui rendrait les restes de son fils. Il la conduisit jusqu’à l’abri du premier chasseur, et suivit la piste de celui-ci jusqu’au cadavre qu’il l’aida à porter dans son immense palais plein de poissons séchés, de peaux tannées, de viande de chèvre et de masques. Le cuivre y étincelait de toutes parts.
(Tenaktak)
Elle ressuscita son fils en le plongeant dans un bassin d’eau magique dont quelques gouttes aspergées suffirent à guérir le malade dont la peau devint lumineuse, chaude et polie comme celle du cuivre. Or comme l’ogresse attendrie lui demandait pourquoi il conservait un air si triste, il lui confia qu’il pleurait la mort de ses parents qui auraient été si heureux de le voir en telle beauté, et elle lui accorda le don de les faire revivre au moyen de son élixir. De retour au village le lendemain il invita tout le monde (les gens n’en croyaient pas leurs yeux), dansa la danse de l’ogresse, et couvrit ses hôtes de somptueux cadeaux. Mais le premier chasseur, époux de l’aînée, auteur du meurtre, déclara que c’était à lui que la danse devait appartenir.
(Tenaktak).
Mais lui, l’époux de la cadette (car la noce avait eu lieu au cours de ces réjouissances) annonça que c’était bien à lui seul que la bonne ogresse l’avait réservée. Depuis leurs descendants s’en veulent, mais l’abondance règne au village.
(Tenaktak).
Et une autre fois un jeune lépreux était couvert de croûtes. Comme son mal était contagieux et qu’il sentait fort mauvais, son père, chef du village, décida qu’on l’abandonnerait. Seule sa grand-mère fut prise d’un peu de pitié et lui fournit du feu et quelques provisions. Après une longue solitude un petit enfant lui sortit de l’estomac, qui lui déclara se nommer Croûte; il avait toutes sortes de pouvoirs, et s’amusa à fabriquer à partir d’aiguilles de conifères toutes sortes de poissons nouveaux qui se mirent immédiatement à nager, rouges et bleus, jaunes et blancs, noirs et arc-en-ciel.
(Tenaktak).
Mais un jour tous les poissons disparurent, et chaque fois qu’il en fabriquait de nouveaux, ils disparaissaient. Alors Croûte se mit aux aguets, aperçut l’ogresse voleuse à qui il tira une flèche dans chacun de ses gros seins, puis il la suivit à la trace. Il rencontra alors la fille de l’ogresse qui fut émue par son regard intéressant, devina sa beauté cachée et le conduisit dans le palais de sa mère blessée, rempli de toutes sortes de provisions et splendeurs. Le cuivre y étincelait de toutes parts. La fille enseigna à Croûte les vertus de l’eau magique avec laquelle il guérit la mère, et surtout se transforma en un beau jeune homme en pleine santé à la peau lumineuse, chaude et douce comme celle du cuivre, qui l’épousa lors d’un somptueux festin.
(Tenaktak).
Puis il revint au village et y découvrit que cela faisait quatre ans qu’il en était parti, et que celui dont il était sorti, son père dont il était la maladie, n’était plus qu’ossements. Sa femme craignait le grand jour qui la rendait presque aveugle, aussi c’est en caressant à tâtons les ossements dans la nuit profonde qu’elle réussit à leur rendre vie. Or un jour le beau Croûte fut transporté au ciel par ses amis les canards, et il arriva au palais de Soleil et Lune qui le trouvèrent si beau qu’ils lui donnèrent leur fille en mariage. En revenant sur la Terre, il s’efforça de refiler son épouse précédente à son père ou plutôt à son frère aîné, ce qui n’alla pas sans difficulté.
(Tenaktak).
Puis il voulut retourner au ciel retrouver sa nouvelle épouse, et certains disent qu’il s’est tué en tombant, et certains ajoutent que sa première épouse l’a ressuscité lui aussi et qu’ils ont vécu sur la Terre avec la bénédiction du frère aîné-père; et d’autres déclarent que c’est la seconde femme qui l’a ressuscité, et qu’ils ont vécu dans le ciel comme mari et femme avec la bénédiction de Soleil et Lune tandis que le frère aîné-père vivait heureux guéri sur la Terre avec la fille de l’ogresse dont les yeux s’étaient ouverts et qui pouvait voir en plein jour. Mais quelle que soit la meilleure version, depuis l’abondance règne au village.
Canard, maître de la chasse, l’enseigna aux hommes.
Et ailleurs le prince des Kwakiutl Nimish de l’île de Vancouver, qui habitait à Xulk sur la côte orientale, voulut faire pèlerinage au cap Scott au nord de l’île, où deux aigles et leur petit avaient atterri au temps où le monde était jeune, avaient abandonné leurs plumes et étaient devenus les premiers hommes. Arrivé à la tombée de la nuit, il se construisit un abri, fit du feu, dîna, s’étendit, mais ne put trouver le sommeil avant d’avoir entendu un bruit semblable à celui du tonnerre et senti la terre trembler. Il lui fut dit en rêve de bien se laver pour atténuer une sorte d’odeur qui commençait à s’attacher à lui, et de se rendre à Axdem de l’autre côté du cap, où la terre tremblerait quatre fois, d’entrer dans le temple qu’il verrait alors, de s’y asseoir et d’attendre. Un feu s’y alluma tout seul, puis apparurent des hommes et des femmes avec un héraut qui chanta une invocation.
(Kwakiutl).
Alors les femmes devinrent de gros poissons rouges qui tremblaient sur la terre comme la terre qui tremble, et quatre sxwaïxwés dansèrent devant elles en agitant leurs sistres de quatre coquillages tandis que les hommes chantaient: “épargnez-nous, terribles à la langue pendante, aux yeux protubérants!”, en s’accompagnant de tambours de bois; quatre fois sortirent, quatre fois les poissons redevinrent des femmes. Alors le héraut salua le prince en lui donnant le nom de Poisson rouge et lui fit cadeau de tout le matériel de cette cérémonie. Mais comment ramener le temple? Il le suivrait tout seul sous la terre. Le prince rentra à Xulk épuisé. Pendant quatre jours, il fut très malade. C’était une sorte de lèpre qui le faisait sentir affreusement mauvais.
(Kwakiutl).
Alors des grondements souterrains lui firent comprendre que le temple était arrivé, et après avoir invité toute la population à l’accompagner en lui recommandant de se bien laver, il y entra, sentit la terre trembler quatre fois, et se retrouvant guéri, la peau lumineuse, chaude et douce comme celle du cuivre, il montra les quatre poteaux sculptés aux quatre angles dans les quatre directions de l’espace horizontal, les quatre masques des sxwaïxwés, les quatre tambours de bois avec leurs quatre bâtons, les quatre sistres formés chacun de quatre coquillages. Il n’y avait là nul trésor, et il n’en était pas besoin, car depuis l’abondance règne au village.
Saumon, maître de la pêche, l’enseigna aux hommes.
Et ailleurs une nuit un prince vêtu de lumière rêva dans son palais des eaux supérieures qu’il entrait dans la chambre d’une princesse terrestre qui se languissait. Hanté par cette beauté lors d son réveil, il envoya son premier esclave en ambassade au village où il l’avait vue. Celui-ci n’arriva qu’à la tombée du jour.
(Tsimshian).
Or la princesse avait justement rêvé qu’un prince céleste la viendrait chercher cette nuit-là, et dans son impatience, sans prendre aucune des précautions élémentaires, elle se donna dans l’obscurité à l’esclave luisant qui garda le silence, tout étonné de sa bonne fortune. Le prince, ne le voyant pas revenir, se mit en route et découvrit l’affaire. Pour l’apaiser la princesse désolée lui révéla qu’elle avait une soeur cadette que l’on tenait au secret, car elle était gravement atteinte de cette lèpre nauséabonde dont elle-même n’avait qu’une forme bénigne. Le prince vêtu de lumière sur deviner la beauté qui se cachait sous ces horribles croûtes, et partit en expédition pour aller décrocher d’un coup de sa fronde magique le cuivre qui resplendissait jusqu’alors sur un sommet inaccessible, et se mit à glisser lentement dans les vallées où il se divisa pour donner naissance aux gisements où le récoltaient ceux de l’Est avant le temps des Blancs.
(Tsimshian).
Lorsqu’il revint la malade était guérie, sa peau lumineuse, chaude et douce comme celle du cuivre. Les noces furent splendides, mais le prince qui en voulait à son premier esclave et à sa belle-soeur, transforma l’un en poisson rouge et l’autre en poisson bleu. Un jour il décida de remonter dans son palais des eaux supérieures avec son épouse, laissant sur la Terre leurs deux filles. L’aînée qui ressemblait étrangement à sa tante Poisson bleu, épousa un homme qui ressemblait étrangement à son oncle Poisson rouge; et comme elle commençait à se languir et que son odeur devenait quelque peu déplaisante, elle lui raconta ce qu’avait fait son père, le prince vêtu de lumière, pour la guérison de sa mère, et tous deux se mirent en route pour la conquête du métal-saumon, mais ils rencontrèrent en chemin l’arbre aux odeurs suaves dont ils s’imprégnèrent et se contentèrent.
(Tsimshian).
Alors la cadette, tout le portrait de sa mère, qui commençait à ressentir d’assez graves attaques du mal, persuada son mari qui n’était pas sans rappeler par quelques traits le prince vêtu de lumière, de partir avec elle à la pêche au saumon-cuivre, et il réussit, mais l’haleine du métal vivant lui dona une telle lèpre et le fit sentir si horriblement mauvais que son beau-père en fut incommodé jusque dans son palais des eaux supérieures, se pencha pour pêcher les prières de sa préférée, et plongea sur Terre pour sauver son gendre en lui enseignant comment faire cuire le poisson-cuivre pour le transformer en métal de guérison; et depuis l’abondance règne au village.
Corbeau, maître de la guérison, l’enseigna aux hommes.
La mer est un fleuve immense qui coule vers le Nord-Ouest où s’ouvre l’entrée du monde souterrain des morts. Quand la marée baisse elle le remplit, et le vide quand elle remonte. Là règne Komogwa, maître des richesses, dans son palais de cuivre, étendu sur son lit de cuivre au milieu de ses coffres en cuivre et de ses bateaux tout en cuivre. Les plongeons sont ses gardiens, les phoques ses esclaves et ses provisions sont inépuisables.
(Kwakiutl).
Un jour une princesse aveugle perdue en mer par suite de la négligence malveillante de sa cour, aboutit chez lui après une navigation périlleuse. Elle était si belle, malgré les croûtes sur les yeux, que le dieu la baigna dans l’eau miraculeuse et lui rendit la vue en l’épousant. Quatre fils leur naquirent qui retournèrent au pays de leur mère dans un bateau de cuivre qui filait sans rames ni voiles, chargé d plaques de cuivre, provisions et autres merveilles qu’ils distribuèrent en dansant dès leur arrivée, et depuis l’abondance règne au village.
(Kwakiutl).
Et une autre fois le prince de la rive découvrit un cygne blanc qui sentait le cuivre, le prit dans son filet, et il se transforma en femme d’une beauté merveilleuse qu’il épousa. Or un jour elle l’engagea à pénétrer dans l’intérieur des terres, dans l’intérieur de la Terre, pour y chercher la fille qu’un dieu souterrain lui destinait comme seconde épouse.
(Kwakiutl).
Arrivé enfin, après bien des terreurs, devant l’antre de son futur beau-père, il vit que, par une fissure, le dieu caché lui faisait glisser comme cadeau de bienvenue une quantité impressionnante de splendides peaux de caribou, ce qui était fort bien, puis passa un bébé lépreux et malodorant, et enfin un pot plein d’urine, ce qui lui déplut au point qu’il préféra refuser le tout. De retour auprès de sa première épouse, il se plaignit amèrement de la mésaventure dans laquelle elle l’avait entraîné, mais elle lui expliqua alors que s’il n’avait manqué à ce point de confiance, elle aurait pu à ce moment lui révéler qu’en arrosant le bébé avec l’urine, celui-ci serait devenu immédiatement cette jeune fille d’une beauté divine qui lui était destinée. Mais elle ne perdit pas courage et utilisa des peaux de caribou pour transformer le bateau de son époux en sous-marin,
(Kwakiutl),
afin d’aller par un autre chemin chez Komogwa qui était son père, et lui faire offrir en cadeau à celui-ci des échantillons de tous les arbres qui poussent à la surface, en échange de quoi il consentit à lui donner sa seconde fille, le bébé merveilleusement transformé. Et en même temps la première lui donna un fils qu’il revint présenter aux siens avec grande distribution de saumons et de cuivre, et depuis l’abondance règne au village.
Serpent, maître de la métallurgie, l’enseigna aux hommes.
Et ailleurs deux frères avaient chacun six fils. Le plus jeune de tous, benjamin du cadet, avait un gros estomac couvert de lèpre verte et blanche qui dégageait une odeur affreuse. Un jour les 12 aperçurent au sommet d’une montagne un ogre qui lançait un anneau de cuivre brillant et le faisait revenir vers lui comme un boomerang par une technique de respiration.
(Squamish).
Et ils réussirent à le lui voler en se le passant de main en main tandis que l’ogre les poursuivait et les tuait l’un après l’autre pour dévorer leur coeur, sauf le dernier qui réussit à lui lancer en pleine figure son terrible estomac qui se changea en épais brouillard aveuglant non seulement le chasseur, lui soustrayant sa proie, mais celle-ci aussi, le chassé, et tout le village. Désespérés par la mort de leurs fils, par cette nuit qui recouvrait toutes choses, les deux pères se jetèrent au feu, et leurs yeux jaillirent comme des étincelles, au Nord et à l’Ouest pour ceux de droite, au Sud et à l’Est pour ceux de gauche. Aussitôt le brouillard se leva, et chacun retrouva sa vue et sa vie, sauf les 11 fils aînés à qui le coeur manquait. Alors le père aîné façonna avec l’anneau une armure de cuivre qu’il revêtit.
(Squamish).
Et armé de cornes de mouflon il réussit à tuer l’ogre et trouva dans son estomac les 11 coeurs intacts qu’il remit à leur place dans les cadavres qui ressuscitèrent. Puis chacun donna un peu de son souffle pour l’aider à fabriquer avec son armure un nouveau fils aîné tout de cuivre, à la peau lumineuse, douce et chaude qui devint le Soleil, tandis que le petit dernier devenait la Lune; et depuis l’abondance règne au village.
Hibou, maître de la vue nocturne, l’enseigna aux hommes.
Une princesse marcha un jour sur de la merde de grizzly et injuria l’animal qui prit sa forme humaine et l’enleva, mais elle réussit à fuir dans un bateau magique qui l’amena chez le Soleil. Les 12 fils de celui-ci la trouvèrent fort belle, mais ils étaient déjà tous mariés à la même épouse, une terrible ogresse qui n’en aurait fait qu’une bouchée, qu’ils tuèrent pendant son sommeil et dont ils éparpillèrent les restes qui tombèrent en pays tsimshian où depuis les ogresses pullulent. La princesse revint en son village avec ses époux et leur fils unique et ils distribuèrent beaucoup de cadeaux. Mais au bout d’un certain temps elle se laissa séduire par un homme de peu et ses époux solaires furieux remontèrent au ciel d’où ils lui firent éprouver leur vengeance,
(Tlingit),
en l’obligeant désormais à vivre avec son fils dans une pauvre cabane sur laquelle les villageois devaient entasser leurs ordures, si bien que l’enfant fut désormais nommé Garçon d’ordure. Un jour celui-ci découvrit le bateau de ses pères, le cassa en petits morceaux avec lesquels il construisit un palais tout de cuivre caché sous la croûte de la cabane. La réserve était inépuisable et il passait ses jours à en fabriquer des objets admirables. Il était amoureux d’une fille d’une merveilleuse beauté que son père refusait aux plus riches et plus beaux prétendants. Quelle chance avait Garçon d’ordure? Mais il réussit à la séduire en lui faisant respirer l’odeur du cuivre pendant son sommeil. Somnambule elle le suivit jusqu’à sa demeure et se réveilla quand, la porte d’ordure étant ouverte, la porte de cuivre resplendissait. Alors elle entra dans le palais pour épouser Garçon d’ordure qui révéla sa peau lumineuse de petit-fils du Soleil, douce et chaude, et fit au père de nombreux cadeaux; depuis l’abondance règne au village.
Castor, maître de la construction, l’enseigna aux hommes.
Et ailleurs un orphelin méprisé, lépreux, qui dégageait une odeur immonde, neveu du chef, réussit un jour à s’emparer seul d’une masse de cuivre tombée du ciel qui s’était accrochée à la cime d’un arbre immense, exploit pour lequel le prince avait promis sa fille. Mais furieux de la devoir donner à ce triste neveu, il les abandonna seuls dans le village avec leur vieille grand-mère, s’en allant fonder un autre ailleurs avec toute la population. Les trois malheureux souffrirent les affres de la faim jusqu’au jour où le jeune homme vit sortir du lac une grenouille géante dont les griffes, dents, yeux et sourcils étaient tout de cuivre, qu’il captura en la pinçant dans un arbre fendu, tua, puis il pénétra dans sa peau. Dès lors tout lui réussit. Il rapporta saumons à foison et même baleines, guérit, sa peau devint lumineuse, douce et chaude, et son épouse qui ne se résignait pas à s’en laisser approcher jusqu’alors, devint éperdument amoureuse de lui.
(Tsimshian).
Or la famine se mit à
régner dans le nouveau village dont les habitants vinrent mendier
chez eux. Il leur fit d’innombrables cadeaux au cours d’un superbe festin,
mais il avait de plus en plus de difficulté à retirer
sa peau de grenouille au retour de ses expéditions, et un jour déclara
à sa femme qu’il virait désormais au fond des mers d’où
il enverrait toute la nourriture désirable; et depuis l’abondance
règne au village.