QUADRUPLE
FOND
(Matière
de rêves 4)
(30 FOUILLES)
1)
Messager de Saturne à
la balafre béante, au bec de vautour, au regard de guidon de moto;
un phare bourgeonne sur son front, la mâchoire coupe, guillotine
humaine. Peut-on dire humaine? Le parking blême étale ses
frissons sous les rafales. Festins de clochards dans un coin sous la surveillance
du loup-mirador. Puis chacun rampe dans la gueule ruisselante de bave qui
cristallise dans le gel de la veillée d’ombres. Flux de soupirs,
reflux de râles, tourbillons d’alarmes en travers des vertèbres.
De l’autre côté de ces gorges serrées la grande avalanche.
2)
La langue du prophète
à l’étal du boucher, déchiquetée sur son crochet
cruciforme, marquée au tampon et au fer, clouée en pleine
pancarte, épouvantail pour les apprentis fossoyeurs jouant aux quilles
dans les gravats. Elle palpite encore; les mouches qui la révèrent
cherchent le miel pour y tremper leurs pattes afin de soulager ses papilles
avides, mais surtout les larmes des enfants dont elle est particulièrement
friande. Un filet d’épaisse liqueur coule dans le ventre de la ville
qui se retourne en geignant. L’accouchement sera pour bientôt: une
nouvelle génération de problèmes.
3)
Le casque et le gant de boxe.
Le sécateur et l’enclume. Le procureur et le juge. La trogne et
la lippe. Guignol infâme au milieu du silex et du givre. Arcades
et moignons. Le cor de Roland à Roncevaux devient rauque. Le carnaval
des tortues s’annonce par une bourrée dans les moraines. La montagne
rassemble ses griffes et prend son vol au-dessus des autostrades lézardées,
des lacs de lie, des émissions de variétés, des best-sellers,
des grands collèges, des artifices de procédure et de statistique.
Le fouet du vent sonne comme un luth sur le désastre mou qui se
pulvérise dans le blanc. Crépuscule d’un jour qui ne valait
pas le réveil. La page s’abat.
4)
A bride abattue les sierras,
les mesas défilent. Cierges sur les falaises. Gibets de loin en
loin. Les coyotes y tiennent leurs assises hurleuses. Chercheurs de diamant
rassemblez vos santés, vous en aurez besoin pour traverser les fourches
et les banques. Plus vite, plus vite! Les ponts s’écroulent pour
l’hésitant, les monuments de la Nature s’effondrent, le ciel se
replie comme un livre qu’on roule, l’horizon crève sur de grandes
cendres gâteuses où remuent faiblement quelques débris
de villes trop vite plantées. Le seul salut, c’est la panique. Écoutez
la jument du soir qui bat le rappel de sa portée de ténèbres
trébuchantes. Plus vite! Au sommet d’un galop que votre adolescence
jugeait impossible, enfin une gorgée, une caresse, un tintement,
la plus précieuse des pierres.
5)
Scarabée roulant son
Soleil de bouse, vautour fouillant sa charogne d’or, j’ai vécu dans
plusieurs empires, plusieurs vallées et deltas, dévalisé
les tombes des rois, ravagé les jardins des reines, cassé
les pyramides, vidé les lacs, roulé les horizons, brûlé
les Louvres, éparpillé les livres, irrigué les déserts
et déplacé les mers. Assez! Ayez pitié de moi, dieux
des frontières! Délivrez-moi de ce lent suicide où
je me complais dans les puits de pétrole que je hante, et donnez
à mes dents des proies qui puissent les rendre douces. Enfants des
amphores de l’enfer, que je pourrisse interminablement dans tous vos pores,
que je m’infiltre en tous vos nerfs jusqu’aux nuits de l’été,
traquant sans relâche d’éternité en éternité
le gibier de nos nouveaux mondes qui tardent tant!
6)
Crinoline, capsule, conque,
geste par-dessus la jambe, ramure d’orignal, perruque en plein vent. Danse,
jockey du crépuscule, sur les reins de ta rivière coulant
sous les ponts de ta forêt de fumées! Un jour l’arche pénétrera
de l’autre côté des cavernes, un autre sel cristallisera dans
nos marais, d’autres perles croîtront dans nos huîtres, un
autre or roulera dans les torrents des Indes. Un jour un autre sang coulera
dans nos veines; un jour un autre jour éveillera nos villes-fantômes,
et nous glisserons, animaux des livres, dans la vague des ères sur
les sables de la tendresse. Un jour une autre mort libérera nos
morts; un autre langage flambera le nôtre, une autre vue nous donnera
tout notre corps, un autre goût nous permettra de lécher le
ciel, un autre odorat de sentir les astres.
7)
Clavicules du fantôme
de Salomon, le sabots piétinent la tombe. Éleveur de pustules,
le fossoyeur racle ses pelles. Des chevaux écorchés broutent
des masques de gaze, des colliers d’éperons accrochés à
leur selle. Passent les vierges folles, leurs lampes remplacées
par des pots de pommade; rouées de coups par leurs seigneurs provisoires,
elles enduisent leurs ecchymoses et des menottes claquent à leurs
poignets. Soleil de minuit, hôpital vétérinaire sous
la neige, cimetière flottant, salon des larves, alcôve des
larmes, fissures d’ombres.
8)
Fou d’échecs. Au deuil
pâli du ciel, la croix de Vénus a perdu son anneau de tête.
A la serre ouatée des toxicologues, la fleur-mâchoire entrouvre
ses dentiers charnus. Viroles à venin, vertèbres à
baumes, cupules à résines, bourses à lymphes. Les
parfums qui s’en dégagent tuent les mouches, attirent les politiciens,
détournent les ambulances de leurs parcours réguliers, provoquent
des pannes d’électricité dans les amphithéâtres
de dissection. Alors les grands malades secouent leur agonie, leurs lits
deviennent navires, et ils voguent dans les rues inondées des villes
où ils ont connu leurs premières amours, la mort leur devenant
si douce qu’ils ne laisseront derrière eux nul cadavre.
9)
Noeud de la sirène enveloppée
dans une houle d’oriflammes. Les jupes roulent sur l’écume des quais;
des gerbes d’épingles rebondissent sur les cordages. Les filets
étalés entre les cabestans ramènent les courants entrecroisés
des troupes de bottines aux laçages avides. Quel bal fut englouti
lors de cette marée que toutes les cloches des bas quartiers avaient
accompagnée de leur glas, quel lâcher d’ombrelles et de gauloiseries
étranglé par le poing du vent! Du goulot brisé de
cette bouteille coulent des lèvres et des langues qui viennent lécher
dans le silence les pieds des mendiants sous les arcades ébréchées.
Du ventre crevé de cette galère pendent des paupières
et des chevelures qui viennent essuyer les yeux des solitaires attendant
le retour des fièvres.
10)
Galères et violes, sonates
de naufrages sous l’étoile du contre-ciel. Amer savoir, nuits, gisements.
Christophe ou Vasco perdu dans le miroir de la mer sans amers. Archets
d’algues sur la basse des outres, athanor aux braises du large. Sillage
d’échos où mûrit la rondeur de la Terre, sillon du
frai des horizons formés de filons et de lèvres. Ambassadeurs
de la crispation jalouse, ils goûteront un instant aux fruits offerts
avant d’arracher les arbres et de répandre leur noirceur inquiète
à coups de fouets sur leurs conquêtes, épongeant quelque
peu le sang par leurs homélies sirupeuses, tandis que les cadavres
sécheront sur le sable ou surnageront parmi les flots le ventre
énorme.
11)
Minute après minute,
le balancier s’écaille. À la pharmacie des âges qui
trouvera le bandage pour les ruptures de mémoire? Pinces pour rapprocher
les lèvres des heures. Scalpel à censure. À l’église
des émigrants sonne la cloche des épaves. La procession des
horlogers tourne autour du port. Le prince-mage élève dans
son ostensoir une goutte de loisir. A son éclat fondent les blindés,
les dissuasions perdent leurs forces et les barbelés leurs épines.
Le temps de réclusion fuit par tous les claviers. Rose des exclus
ouvre tes neiges et tes baumes à nos foulures! Une aurore qui ne
se rangera pas en jour.
12)
Sabot de taureau qui racle dans
l’arène, gouge qui fouille dans les veines du tronc encore en pleine
croissance dégoulinant de sève et de salive, tel est le sceptre
du couronnement-trépanation. Approche le diadème, le casque
d’infirmier-prophète sur son coussin d’ouate imbibé d’éther
sous les projecteurs des voûtes, dans la vibration des tuyaux de
chauffage, les cliquetis des pinces, les soupirs des bombes à oxygène,
les tintements des gouttes dans les éviers. Acclamations étouffées,
foule sombrant dans l’anesthésie des lavages, violences dans les
escaliers, placards éventrés, flaques d’alcool. Le grand
malade se lève alors de sa table étincelante, arrache ses
pansements d’hermine, donna à baiser sa main de braise aux lèvres
carbonisées des préparatrices au milieu des flammes rampantes.
13)
Jardins de chandeliers et d’urnes,
arbres à cordes, buissons d’anches, les signaux de fumée
passent de replis en falaises. Cercles de vautours, approches de cougars.
Les cavaliers ont disparu dans leur caverne. Flûte ou lyre, un appel
qui suinte. Masques mûris dans vos sommeils, ébranlez maintenant
de vos déclarations dansées nos maisons souterraines. Le
vent se renverse. Quelques galets roulent. Le soir nous parle du pays de
la nourriture et des vins. Tous nos malades éprouvent un instant
de soulagement. Une piste part d’ici. Programme des années prochaines.
Paysage de siècles. Millénaires de soupirs.
14)
Sémaphore en loques;
au compas des banquises les points de suspension s’écartent en crissant.
Notre sampan aux orbites carrées oscille sur les marges de l’océan
baveur. Vergue basse pleurant sur l’écume, étau d’horloger
migrateur entre récif et blizzards. Sur notre cadran les ombres
épineuses ont rampé des années d’outrages tandis que
pierre à pierre s’édifiaient les donjons, poutre à
poutre ponts et greniers; c’est le temple de la serrure sur l’île
du guet, hantise des navigateurs qui n’osent allumer leurs feux sous leurs
tentes même quand le crâne du Soleil baigne déjà
ses dents parmi les brumes venimeuses.
15)
Constellation de foutre sur
le ventre de l’espace, semis de pollen sur la page des orchidées.
Bien calés dans les habitacles de nos astronefs botaniques, respirant
à peine, mais aspirant les parfums des anneaux en fleurs, suçant,
lapant le jus des amas globulaires, nous enfonçant dans la forêt
des trajectoires. Un jour nos corps métallisés découvriront
les plaisirs de la rouille dans les rosées d’acides. Une nuit nos
ossements bourgeonneront d’aiguilles et de mélodies au milieu des
rugissements de l’ancienne épouvante qui se frottera voluptueusement
aux lambeaux détachés de notre chair, toutes terminaisons
nerveuses en grand voyage.
16)
Crocs de homards poisseux de
salive, dans cette flaque de blancheur j’écarte ronces et daviers.
Gémissements et soif. Les surveillants ricanent de l’autre côté
de la grille. Tremblements et sifflements, un peu de fièvre. Les
rouages grincent dans l’église de verre aux chapiteaux de coton
hydrophobe, les lustres aigres pivotent et s’éteignent. Il reste
une odeur d’encre et de roussi. La brume et le froid gagnent les immobilisés.
Je voudrais les caresser, mais tous mes doigts coupent comme des faux;
le moindre de mes effleurements griffe et je me lacère en tentant
d’essuyer mes larmes.
17)
Au grand salon des crânes,
le service désinfection ne sait plus où donner du vaporisateur.
Il reste des lambeaux de chair et de cervelle sur certaines des pièces
les plus rares. Que va dire le Président? Les fanfares de l’inauguration
résonnent déjà dans la cour. Les spirales des motocyclistes
se resserrent. On déroule le tapis de peau fraîche sur les
marches d’acier. Le fossile du père admoneste celui du fils: où
sont tes yeux? Ils devraient être bien rangés sur leur divan
de porcelaine juste au-dessous de tes orbites. Immobilité maintenant,
le chariot passe.
18)
Le sein de l’assemblée
ou celui des tourmentes. Au choix le coeur ou le ventre vide, la fesse
des piqûres ou celle des ventouses. Danseuse au Théâtre
des Incisions, sa morgue sur notre morgue. Et pourtant un peu de pitié
passe à travers le sas. Haleines sur les parois où sèchent
les tumeurs. Le choeur des anesthésistes entonne son thrène.
Les seringues giclent et se brisent. Une touffe de cheveux s’enroule suppliante
autour d’un fémur transparent. Des lèvres s’ouvrent sur d’autres
traitements. Tout un calendrier d’interventions et d’examens. Telles sont
nos fêtes...
19)
Phare des infirmières,
espoir des boulevards aux heures de pointe, phiole fissurée recueillant
le sang blanc des blessures d’amour sale, te voici dans le tabernacle de
l’étuve. Les microscopes viennent te faire leurs génuflexions.
La lampes te baisent. Les ventilateurs t’envoient leurs parfums distillés
par les pharmacies les plus souterraines; les bandages s’enroulent autour
de tes oscillations, inscrivant des textes d’ordonnances sur les corridors
semés de sciure et les trottoirs constellés de glaires. Tu
soupires, halètes et baves, et toute la division soupire avec toi.
2O)
Guerrier portant son cri d’une
main, de l’autre son bouclier où dégouline une tête
tranchée, guetteur au temple des gaines, le deux pieds avec leurs
semelles de fonte, fermement assurés sur l’assise magnétique.
Souplesse de ces remparts de cuir et d’émail, créneaux d’ongles
et de dents. A chaque meurtrière une hallebarde brille. Sur les
douves hébétées le concile des hernies file ses racontars.
Refermant sa trousse avec un haussement d’épaules, la jeune maréchale
s’étend parmi les casques et les masques, entrouvrant ses rubans
de lames humides. La sentinelle rajuste sa visière.
21)
Ciboire ou menhir, pal ou vasque,
remuements présages de l’éveil tandis que les borborygmes
en chapelet prétendent mimer le vibrato des sphères. Enclume
ou pince, masure ou grenade, filaments de silence au milieu de la foule,
grande lessive en espaliers, granges de toux, dentelles de vomissements.
Cirque ou perspective, sillage ou carrefour, delta de bave sur les dunes
de plâtre. Au tournoi des rouilles les galets s’agglutinent en alphabets
d’orgues. Compas ou grelot, carène ou vergue, roule, crépuscule
duveteux, sur les parapets de nos bagnes! Le souffle suit.
22)
Aile d’albatros vibrant sur
les cordages du vaisseau-fantôme. Ancre d’encre, épieu de
plumes, frisson de lueurs. Dans le hublot l’iris de la neige, dans l’oeilleton
l’étrier de granit. Soc blessant l’horizon, étraves sous
l’ombre. Épaves sur glas, entraves sans vacances. Nous volerons
au vent d’acier casqués d’amiante, pieds palmés et doigts
duveteux, nous précipitant dans les trous d’azur blême pour
en repêcher flèches et écailles, protection pour nos
enfants siffleurs, arêtes et hameçons laissés par les
envahisseurs qui s’en retournent avec leurs cargaisons de fourrures que
nous parsèmerons de fientes et de cendres. Et notre arroi traversera
les toundras d’algues avec grand clapotis, cliquetis et abois pour annoncer
les glissements de terrain sous les capitales, l’effondrement des règnes
et le retour du froid.
23)
Proclamation du singe entre
les sages, déclaration du songe entre les sauges. Répartition
du nuage entre les neiges, déréliction du pèlerinage
entre les échafaudages sur les plages grises. Les glaciers menacent
les tropiques: palmiers emportés par des torrents charriant des
glaçons. L’horizon grésille d’informations en miettes. Ô
vous, chers attentifs, il est temps e vous envelopper dans vos écharpes
de lichen pour plier une dernière fois vos boucliers que l’âge
de la soude va bientôt ternir à jamais. Plus le moindre éclair
dès lors en dehors du ciel. Le verre cassé ne tranchera plus.
Toute blessure sera devenue impossible. Les loups auront beau s’acharner,
secouant les chevreaux dans leur gueule; ils réussiront bien à
les étouffer, mais nulle goutte de sang ne suintera plus de leur
cuir pour les abreuver, et ils dépériront de mélancolie
au milieu des champs de charognes qui gonfleront avant de se pétrifier
sous les lianes de givre.
24)
Signaux sur l’autoroute de la
détresse: à droite la faim, à gauche le froid, partout
le brouillard avec les phares intermittents. Au péage, la trousse
au grand complet: coins, molaires, socs, pinces, gouges, spatules, tout
le couvert pour le repas des Érinyes casquées d’asphalte,
masquées de gaz, gantées de chrome, bottées de pneus.
L’essaim de leurs motards fait démarrer ses déchirures. Alors
sur ce ruissellement lent d’hiver qui n’en finira plus, dans les alvéoles
d’horizon rapproché, les truffes et les braises s’alignent en diagrammes
liquides. Le tunnel donne sur les vignes d’un océan dont les anémones
s’ouvrent aux vocalises des virages.
25)
Ils viennent, ils reviennent
plutôt, l’un après l’autre et l’un dans l’autre, à
travers le côté, dans l’âme de la marge. Prestigieux
comme toujours, abominablement enchanteurs, les même hélas,
mais hélas incomparablement mieux armés. Une chance que nous
soyons là, virus dans leurs entrailles pour bouleverser leur digestion,
éboulis sur leurs sentes pour faire gicler le jus de leurs armures,
et pavés dans leurs nefs pour faire éclater leurs vitraux
en moires d’abîmes.
26)
Bourgeons de ville au milieu
de son propre écroulement. Les sépales de granit s’entrouvrent
au carrefour des allées dallées de sarcophages. Tell retourné
dans la serre de l’appréhension, une ancienne alcôve y rêve
de draps et soupirs. Au-dessus de la savane épineuse l’observatoire,
au lieu d’enregistrer le passage des astres, fait signe aux explorateurs
d’outre-ciel. Spermes aux vagues savantes, venez vous baigner dans ces
cupules rugueuses qui n’attendent que vous pour se fondre en lèvres,
dans la réanimation des enceintes entre les balises de l’océan
des rites agiles et des graves rires.
27)
Turban d’améthyste et
sabot de watusi, armoiries de notre Afrique livide. Meules à l’entrée
des villages, stèles aux croisements des pistes, jalons dans la
dérive du sable que les premiers des vagues successives d’espions,
les uns après les autres, ont pris pour de la neige. Grandes cicatrices
dans le plateau, comme imprimées au fer rouge du renversement du
cours des planètes. Tout d’un coup, dans le blanc des yeux du ciel,
un satellite fuse en gouttes métalliques. Les aérolithes
soulèvent d’immenses gerbes dans l’océan lointain, déplaçant
les masses rocheuses qui découpent notre horizon, et signent dans
nos forêts fantômes de leurs fulgurants paraphes de cendres.
28)
C’est la machine à l’impression
des ombres. Cylindres de rubis, caves de mousses lumineuses, bouteilles
en enfilades sur les parvis et terrasses qui donnent sur la mer couverte
de voiles couleur de brique où les idéogrammes se replient
et déplient en claquant doucement dans le vent du soir. S’étendre
dans cette encre où tu laves le charbon de tes ongles, et qui ruisselle
en tatouages toujours nouveaux le long de ta poitrine et de tes cuisses,
tournant autour de ton nombril en grandes périphrases ironiques
et irisées. Liqueur suintant des reliures et vitrines pour s’amasser
dans les coquilles en nacre de sang doux-amer, en âcre miel de perles
rousses courant de lèvres en lèvres devant les affiches qui
sèchent en diffusant sur les faubourgs des parfums à vous
ressusciter les plus vieux morts.
29)
L’ouragan au repos, tous ses
rouages de fauve rangés sur l’enclume de l’aube. Il essuie aux rives
ses colliers, fourre des cristaux dans les poches du silence, polit ses
griffes aux toits des entrepôts qui s’étirent, dispose des
trésors de vaisselle sur les rayons des falaises et des orchestres
transparents dans les loges des récifs. Toutes voiles dehors pour
l’instant, la caravelle dans une vallée d’océan qui s’enfonce
jusqu’au monde promis des mines où l’on mange le Soleil à
pleines poignées parmi les cadavres des dieux qui sourient encore
dans leurs soutes pavées d’encensoirs, sous leurs voûtes hérissées
de chandeliers, avec leurs doutes en rideaux d’algues, méditant
sur leur presque existence, méditant sur l’enfant ouragan qui se
ramasse pour bondir mugissant sur nos républiques moisies.
30)
Régates de la rouille,
pioches dans la craie du ciel. Les cavaliers écorchés se
blottissent aux culasses de cette artillerie retournée. Douves de
grès, Louvres d’ombres. Et le vieux sang sèche au long des
lames, charnières grippées, cabestans. Le troupeau des mots
ondule dans son ranch tandis que les tourbillons se vrillent sur l’ocre
du soir. De flèche en flèche les devises des corbeaux, de
gradin en gradin les reniflements des goules, de fissure en fissure les
relais du gel. Gouvernails fichés dans le mâchefer, geysers
de caillots, harpons des canyons; et le vent des invasions se lamente en
filant parmi les sifflets.