Page d'accueil           1981          Table des index
 
 
 

QUADRUPLE FOND
(Matière de rêves 4)
 
 

(30 FOUILLES)

1)
     Messager de Saturne à la balafre béante, au bec de vautour, au regard de guidon de moto; un phare bourgeonne sur son front, la mâchoire coupe, guillotine humaine. Peut-on dire humaine? Le parking blême étale ses frissons sous les rafales. Festins de clochards dans un coin sous la surveillance du loup-mirador. Puis chacun rampe dans la gueule ruisselante de bave qui cristallise dans le gel de la veillée d’ombres. Flux de soupirs, reflux de râles, tourbillons d’alarmes en travers des vertèbres. De l’autre côté de ces gorges serrées la grande avalanche.

2)
     La langue du prophète à l’étal du boucher, déchiquetée sur son crochet cruciforme, marquée au tampon et au fer, clouée en pleine pancarte, épouvantail pour les apprentis fossoyeurs jouant aux quilles dans les gravats. Elle palpite encore; les mouches qui la révèrent cherchent le miel pour y tremper leurs pattes afin de soulager ses papilles avides, mais surtout les larmes des enfants dont elle est particulièrement friande. Un filet d’épaisse liqueur coule dans le ventre de la ville qui se retourne en geignant. L’accouchement sera pour bientôt: une nouvelle génération de problèmes.

3)
     Le casque et le gant de boxe. Le sécateur et l’enclume. Le procureur et le juge. La trogne et la lippe. Guignol infâme au milieu du silex et du givre. Arcades et moignons. Le cor de Roland à Roncevaux devient rauque. Le carnaval des tortues s’annonce par une bourrée dans les moraines. La montagne rassemble ses griffes et prend son vol au-dessus des autostrades lézardées, des lacs de lie, des émissions de variétés, des best-sellers, des grands collèges, des artifices de procédure et de statistique. Le fouet du vent sonne comme un luth sur le désastre mou qui se pulvérise dans le blanc. Crépuscule d’un jour qui ne valait pas le réveil. La page s’abat.

4)
     A bride abattue les sierras, les mesas défilent. Cierges sur les falaises. Gibets de loin en loin. Les coyotes y tiennent leurs assises hurleuses. Chercheurs de diamant rassemblez vos santés, vous en aurez besoin pour traverser les fourches et les banques. Plus vite, plus vite! Les ponts s’écroulent pour l’hésitant, les monuments de la Nature s’effondrent, le ciel se replie comme un livre qu’on roule, l’horizon crève sur de grandes cendres gâteuses où remuent faiblement quelques débris de villes trop vite plantées. Le seul salut, c’est la panique. Écoutez la jument du soir qui bat le rappel de sa portée de ténèbres trébuchantes. Plus vite! Au sommet d’un galop que votre adolescence jugeait impossible, enfin une gorgée, une caresse, un tintement, la plus précieuse des pierres.

5)
     Scarabée roulant son Soleil de bouse, vautour fouillant sa charogne d’or, j’ai vécu dans plusieurs empires, plusieurs vallées et deltas, dévalisé les tombes des rois, ravagé les jardins des reines, cassé les pyramides, vidé les lacs, roulé les horizons, brûlé les Louvres, éparpillé les livres, irrigué les déserts et déplacé les mers. Assez! Ayez pitié de moi, dieux des frontières! Délivrez-moi de ce lent suicide où je me complais dans les puits de pétrole que je hante, et donnez à mes dents des proies qui puissent les rendre douces. Enfants des amphores de l’enfer, que je pourrisse interminablement dans tous vos pores, que je m’infiltre en tous vos nerfs jusqu’aux nuits de l’été, traquant sans relâche d’éternité en éternité le gibier de nos nouveaux mondes qui tardent tant!

6)
     Crinoline, capsule, conque, geste par-dessus la jambe, ramure d’orignal, perruque en plein vent. Danse, jockey du crépuscule, sur les reins de ta rivière coulant sous les ponts de ta forêt de fumées! Un jour l’arche pénétrera de l’autre côté des cavernes, un autre sel cristallisera dans nos marais, d’autres perles croîtront dans nos huîtres, un autre or roulera dans les torrents des Indes. Un jour un autre sang coulera dans nos veines; un jour un autre jour éveillera nos villes-fantômes, et nous glisserons, animaux des livres, dans la vague des ères sur les sables de la tendresse. Un jour une autre mort libérera nos morts; un autre langage flambera le nôtre, une autre vue nous donnera tout notre corps, un autre goût nous permettra de lécher le ciel, un autre odorat de sentir les astres.

7)
     Clavicules du fantôme de Salomon, le sabots piétinent la tombe. Éleveur de pustules, le fossoyeur racle ses pelles. Des chevaux écorchés broutent des masques de gaze, des colliers d’éperons accrochés à leur selle. Passent les vierges folles, leurs lampes remplacées par des pots de pommade; rouées de coups par leurs seigneurs provisoires, elles enduisent leurs ecchymoses et des menottes claquent à leurs poignets. Soleil de minuit, hôpital vétérinaire sous la neige, cimetière flottant, salon des larves, alcôve des larmes, fissures d’ombres.

8)
     Fou d’échecs. Au deuil pâli du ciel, la croix de Vénus a perdu son anneau de tête. A la serre ouatée des toxicologues, la fleur-mâchoire entrouvre ses dentiers charnus. Viroles à venin, vertèbres à baumes, cupules à résines, bourses à lymphes. Les parfums qui s’en dégagent tuent les mouches, attirent les politiciens, détournent les ambulances de leurs parcours réguliers, provoquent des pannes d’électricité dans les amphithéâtres de dissection. Alors les grands malades secouent leur agonie, leurs lits deviennent navires, et ils voguent dans les rues inondées des villes où ils ont connu leurs premières amours, la mort leur devenant si douce qu’ils ne laisseront derrière eux nul cadavre.

9)
     Noeud de la sirène enveloppée dans une houle d’oriflammes. Les jupes roulent sur l’écume des quais; des gerbes d’épingles rebondissent sur les cordages. Les filets étalés entre les cabestans ramènent les courants entrecroisés des troupes de bottines aux laçages avides. Quel bal fut englouti lors de cette marée que toutes les cloches des bas quartiers avaient accompagnée de leur glas, quel lâcher d’ombrelles et de gauloiseries étranglé par le poing du vent! Du goulot brisé de cette bouteille coulent des lèvres et des langues qui viennent lécher dans le silence les pieds des mendiants sous les arcades ébréchées. Du ventre crevé de cette galère pendent des paupières et des chevelures qui viennent essuyer les yeux des solitaires attendant le retour des fièvres.

10)
     Galères et violes, sonates de naufrages sous l’étoile du contre-ciel. Amer savoir, nuits, gisements. Christophe ou Vasco perdu dans le miroir de la mer sans amers. Archets d’algues sur la basse des outres, athanor aux braises du large. Sillage d’échos où mûrit la rondeur de la Terre, sillon du frai des horizons formés de filons et de lèvres. Ambassadeurs de la crispation jalouse, ils goûteront un instant aux fruits offerts avant d’arracher les arbres et de répandre leur noirceur inquiète à coups de fouets sur leurs conquêtes, épongeant quelque peu le sang par leurs homélies sirupeuses, tandis que les cadavres sécheront sur le sable ou surnageront parmi les flots le ventre énorme.

11)
     Minute après minute, le balancier s’écaille. À la pharmacie des âges qui trouvera le bandage pour les ruptures de mémoire? Pinces pour rapprocher les lèvres des heures. Scalpel à censure. À l’église des émigrants sonne la cloche des épaves. La procession des horlogers tourne autour du port. Le prince-mage élève dans son ostensoir une goutte de loisir. A son éclat fondent les blindés, les dissuasions perdent leurs forces et les barbelés leurs épines. Le temps de réclusion fuit par tous les claviers. Rose des exclus ouvre tes neiges et tes baumes à nos foulures! Une aurore qui ne se rangera pas en jour.

12)
     Sabot de taureau qui racle dans l’arène, gouge qui fouille dans les veines du tronc encore en pleine croissance dégoulinant de sève et de salive, tel est le sceptre du couronnement-trépanation. Approche le diadème, le casque d’infirmier-prophète sur son coussin d’ouate imbibé d’éther sous les projecteurs des voûtes, dans la vibration des tuyaux de chauffage, les cliquetis des pinces, les soupirs des bombes à oxygène, les tintements des gouttes dans les éviers. Acclamations étouffées, foule sombrant dans l’anesthésie des lavages, violences dans les escaliers, placards éventrés, flaques d’alcool. Le grand malade se lève alors de sa table étincelante, arrache ses pansements d’hermine, donna à baiser sa main de braise aux lèvres carbonisées des préparatrices au milieu des flammes rampantes.

13)
     Jardins de chandeliers et d’urnes, arbres à cordes, buissons d’anches, les signaux de fumée passent de replis en falaises. Cercles de vautours, approches de cougars. Les cavaliers ont disparu dans leur caverne. Flûte ou lyre, un appel qui suinte. Masques mûris dans vos sommeils, ébranlez maintenant de vos déclarations dansées nos maisons souterraines. Le vent se renverse. Quelques galets roulent. Le soir nous parle du pays de la nourriture et des vins. Tous nos malades éprouvent un instant de soulagement. Une piste part d’ici. Programme des années prochaines. Paysage de siècles. Millénaires de soupirs.

14)
     Sémaphore en loques; au compas des banquises les points de suspension s’écartent en crissant. Notre sampan aux orbites carrées oscille sur les marges de l’océan baveur. Vergue basse pleurant sur l’écume, étau d’horloger migrateur entre récif et blizzards. Sur notre cadran les ombres épineuses ont rampé des années d’outrages tandis que pierre à pierre s’édifiaient les donjons, poutre à poutre ponts et greniers; c’est le temple de la serrure sur l’île du guet, hantise des navigateurs qui n’osent allumer leurs feux sous leurs tentes même quand le crâne du Soleil baigne déjà ses dents parmi les brumes venimeuses.

15)
     Constellation de foutre sur le ventre de l’espace, semis de pollen sur la page des orchidées. Bien calés dans les habitacles de nos astronefs botaniques, respirant à peine, mais aspirant les parfums des anneaux en fleurs, suçant, lapant le jus des amas globulaires, nous enfonçant dans la forêt des trajectoires. Un jour nos corps métallisés découvriront les plaisirs de la rouille dans les rosées d’acides. Une nuit nos ossements bourgeonneront d’aiguilles et de mélodies au milieu des rugissements de l’ancienne épouvante qui se frottera voluptueusement aux lambeaux détachés de notre chair,  toutes terminaisons nerveuses en grand voyage.

16)
     Crocs de homards poisseux de salive, dans cette flaque de blancheur j’écarte ronces et daviers. Gémissements et soif. Les surveillants ricanent de l’autre côté de la grille. Tremblements et sifflements, un peu de fièvre. Les rouages grincent dans l’église de verre aux chapiteaux de coton hydrophobe, les lustres aigres pivotent et s’éteignent. Il reste une odeur d’encre et de roussi. La brume et le froid gagnent les immobilisés. Je voudrais les caresser, mais tous mes doigts coupent comme des faux; le moindre de mes effleurements griffe et je me lacère en tentant d’essuyer mes larmes.

17)
     Au grand salon des crânes, le service désinfection ne sait plus où donner du vaporisateur. Il reste des lambeaux de chair et de cervelle sur certaines des pièces les plus rares. Que va dire le Président? Les fanfares de l’inauguration résonnent déjà dans la cour. Les spirales des motocyclistes se resserrent. On déroule le tapis de peau fraîche sur les marches d’acier. Le fossile du père admoneste celui du fils: où sont tes yeux? Ils devraient être bien rangés sur leur divan de porcelaine juste au-dessous de tes orbites. Immobilité maintenant, le chariot passe.

18)
     Le sein de l’assemblée ou celui des tourmentes. Au choix le coeur ou le ventre vide, la fesse des piqûres ou celle des ventouses. Danseuse au Théâtre des Incisions, sa morgue sur notre morgue. Et pourtant un peu de pitié passe à travers le sas. Haleines sur les parois où sèchent les tumeurs. Le choeur des anesthésistes entonne son thrène. Les seringues giclent et se brisent. Une touffe de cheveux s’enroule suppliante autour d’un fémur transparent. Des lèvres s’ouvrent sur d’autres traitements. Tout un calendrier d’interventions et d’examens. Telles sont nos fêtes...

19)
     Phare des infirmières, espoir des boulevards aux heures de pointe, phiole fissurée recueillant le sang blanc des blessures d’amour sale, te voici dans le tabernacle de l’étuve. Les microscopes viennent te faire leurs génuflexions. La lampes te baisent. Les ventilateurs t’envoient leurs parfums distillés par les pharmacies les plus souterraines; les bandages s’enroulent autour de tes oscillations, inscrivant des textes d’ordonnances sur les corridors semés de sciure et les trottoirs constellés de glaires. Tu soupires, halètes et baves, et toute la division soupire avec toi.

2O)
     Guerrier portant son cri d’une main, de l’autre son bouclier où dégouline une tête tranchée, guetteur au temple des gaines, le deux pieds avec leurs semelles de fonte, fermement assurés sur l’assise magnétique. Souplesse de ces remparts de cuir et d’émail, créneaux d’ongles et de dents. A chaque meurtrière une hallebarde brille. Sur les douves hébétées le concile des hernies file ses racontars. Refermant sa trousse avec un haussement d’épaules, la jeune maréchale s’étend parmi les casques et les masques, entrouvrant ses rubans de lames humides. La sentinelle rajuste sa visière.

21)
     Ciboire ou menhir, pal ou vasque, remuements présages de l’éveil tandis que les borborygmes en chapelet prétendent mimer le vibrato des sphères. Enclume ou pince, masure ou grenade, filaments de silence au milieu de la foule, grande lessive en espaliers, granges de toux, dentelles de vomissements. Cirque ou perspective, sillage ou carrefour, delta de bave sur les dunes de plâtre. Au tournoi des rouilles les galets s’agglutinent en alphabets d’orgues. Compas ou grelot, carène ou vergue, roule, crépuscule duveteux, sur les parapets de nos bagnes! Le souffle suit.

22)
     Aile d’albatros vibrant sur les cordages du vaisseau-fantôme. Ancre d’encre, épieu de plumes, frisson de lueurs. Dans le hublot l’iris de la neige, dans l’oeilleton l’étrier de granit. Soc blessant l’horizon, étraves sous l’ombre. Épaves sur glas, entraves sans vacances. Nous volerons au vent d’acier casqués d’amiante, pieds palmés et doigts duveteux, nous précipitant dans les trous d’azur blême pour en repêcher flèches et écailles, protection pour nos enfants siffleurs, arêtes et hameçons laissés par les envahisseurs qui s’en retournent avec leurs cargaisons de fourrures que nous parsèmerons de fientes et de cendres. Et notre arroi traversera les toundras d’algues avec grand clapotis, cliquetis et abois pour annoncer les glissements de terrain sous les capitales, l’effondrement des règnes et le retour du froid.

23)
     Proclamation du singe entre les sages, déclaration du songe entre les sauges. Répartition du nuage entre les neiges, déréliction du pèlerinage entre les échafaudages sur les plages grises. Les glaciers menacent les tropiques: palmiers emportés par des torrents charriant des glaçons. L’horizon grésille d’informations en miettes. Ô vous, chers attentifs, il est temps e vous envelopper dans vos écharpes de lichen pour plier une dernière fois vos boucliers que l’âge de la soude va bientôt ternir à jamais. Plus le moindre éclair dès lors en dehors du ciel. Le verre cassé ne tranchera plus. Toute blessure sera devenue impossible. Les loups auront beau s’acharner, secouant les chevreaux dans leur gueule; ils réussiront bien à les étouffer, mais nulle goutte de sang ne suintera plus de leur cuir pour les abreuver, et ils dépériront de mélancolie au milieu des champs de charognes qui gonfleront avant de se pétrifier sous les lianes de givre.

24)
     Signaux sur l’autoroute de la détresse: à droite la faim, à gauche le froid, partout le brouillard avec les phares intermittents. Au péage, la trousse au grand complet: coins, molaires, socs, pinces, gouges, spatules, tout le couvert pour le repas des Érinyes casquées d’asphalte, masquées de gaz, gantées de chrome, bottées de pneus. L’essaim de leurs motards fait démarrer ses déchirures. Alors sur ce ruissellement lent d’hiver qui n’en finira plus, dans les alvéoles d’horizon rapproché, les truffes et les braises s’alignent en diagrammes liquides. Le tunnel donne sur les vignes d’un océan dont les anémones s’ouvrent aux vocalises des virages.

25)
     Ils viennent, ils reviennent plutôt, l’un après l’autre et l’un dans l’autre, à travers le côté, dans l’âme de la marge. Prestigieux comme toujours, abominablement enchanteurs, les même hélas, mais hélas incomparablement mieux armés. Une chance que nous soyons là, virus dans leurs entrailles pour bouleverser leur digestion, éboulis sur leurs sentes pour faire gicler le jus de leurs armures, et pavés dans leurs nefs pour faire éclater leurs vitraux en moires d’abîmes.

26)
     Bourgeons de ville au milieu de son propre écroulement. Les sépales de granit s’entrouvrent au carrefour des allées dallées de sarcophages. Tell retourné dans la serre de l’appréhension, une ancienne alcôve y rêve de draps et soupirs. Au-dessus de la savane épineuse l’observatoire, au lieu d’enregistrer le passage des astres, fait signe aux explorateurs d’outre-ciel. Spermes aux vagues savantes, venez vous baigner dans ces cupules rugueuses qui n’attendent que vous pour se fondre en lèvres, dans la réanimation des enceintes entre les balises de l’océan des rites agiles et des graves rires.

27)
     Turban d’améthyste et sabot de watusi, armoiries de notre Afrique livide. Meules à l’entrée des villages, stèles aux croisements des pistes, jalons dans la dérive du sable que les premiers des vagues successives d’espions, les uns après les autres, ont pris pour de la neige. Grandes cicatrices dans le plateau, comme imprimées au fer rouge du renversement du cours des planètes. Tout d’un coup, dans le blanc des yeux du ciel, un satellite fuse en gouttes métalliques. Les aérolithes soulèvent d’immenses gerbes dans l’océan lointain, déplaçant les masses rocheuses qui découpent notre horizon, et signent dans nos forêts fantômes de leurs fulgurants paraphes de cendres.

28)
     C’est la machine à l’impression des ombres. Cylindres de rubis, caves de mousses lumineuses, bouteilles en enfilades sur les parvis et terrasses qui donnent sur la mer couverte de voiles couleur de brique où les idéogrammes se replient et déplient en claquant doucement dans le vent du soir. S’étendre dans cette encre où tu laves le charbon de tes ongles, et qui ruisselle en tatouages toujours nouveaux le long de ta poitrine et de tes cuisses, tournant autour de ton nombril en grandes périphrases ironiques et irisées. Liqueur suintant des reliures et vitrines pour s’amasser dans les coquilles en nacre de sang doux-amer, en âcre miel de perles rousses courant de lèvres en lèvres devant les affiches qui sèchent en diffusant sur les faubourgs des parfums à vous ressusciter les plus vieux morts.

29)
     L’ouragan au repos, tous ses rouages de fauve rangés sur l’enclume de l’aube. Il essuie aux rives ses colliers, fourre des cristaux dans les poches du silence, polit ses griffes aux toits des entrepôts qui s’étirent, dispose des trésors de vaisselle sur les rayons des falaises et des orchestres transparents dans les loges des récifs. Toutes voiles dehors pour l’instant, la caravelle dans une vallée d’océan qui s’enfonce jusqu’au monde promis des mines où l’on mange le Soleil à pleines poignées parmi les cadavres des dieux qui sourient encore dans leurs soutes pavées d’encensoirs, sous leurs voûtes hérissées de chandeliers, avec leurs doutes en rideaux d’algues, méditant sur leur presque existence, méditant sur l’enfant ouragan qui se ramasse pour bondir mugissant sur nos républiques moisies.

30)
     Régates de la rouille, pioches dans la craie du ciel. Les cavaliers écorchés se blottissent aux culasses de cette artillerie retournée. Douves de grès, Louvres d’ombres. Et le vieux sang sèche au long des lames, charnières grippées, cabestans. Le troupeau des mots ondule dans son ranch tandis que les tourbillons se vrillent sur l’ocre du soir. De flèche en flèche les devises des corbeaux, de gradin en gradin les reniflements des goules, de fissure en fissure les relais du gel. Gouvernails fichés dans le mâchefer, geysers de caillots, harpons des canyons; et le vent des invasions se lamente en filant parmi les sifflets.
 
 

Page d'accueil                                                                                                               Table des index