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Poésie au jour le jour 37

(enregistré en octobre 2014)

Sommaire





EN ÉCOUTANT LE PAYSAGE
(l’or de l’hiver)

pour Joël Leick

 [Contrairement à l'édition des Oeuvres complètes de ce texte qui compte beaucoup d'erreurs de numérotation, la numérotation ne comporte ici que deux erreurs : un numéro 340 s'est glissé entre les numéros 240 et 241 et le numéro 285 se répète. L'ensemble compte donc 658 - et non 656 - strophes. Quant aux strophes elles-mêmes, elles sont plus nombreuses dans cette version : les strophes 560 à 656, c'est-à-dire toute la fin du texte, ne sont pas reprises dans les O. C. quand 16 seulement de la version des O. C. - strophes 652 à 667 - ne figurent pas dans cette version]
 
1)
 La pince du crustacé sylvestre
 se déploie délicatement
 pour cerner le signal rouge
 avant-coureur d’extra-terrestres


2)

  Entre mes doigts
  les brindilles du soleil
  pour mesurer leur élasticité


3)

 Un coup de peinture
 pour marquer l’arbre condamné
 qui sera pétri afin de produire
 le papier même de cet ouvrage


4)

  Pour équilibrer
  les vapeurs de l’usine
  voici quelques strates
  d’écriture brumeuse


5)

 Messages des herbes
 graines de signaux
 vibration des sèves
 épis d’étincelles


6)

  Le Soleil ou la Lune franchissant
  sur son navire de nuées
  la herse du pré des oracles


7)

 Le roitelet
 un instant pris au piège
 négocie sa libération


8)

  Horizons jumeaux conversant
  grâce à une liane lasso
  qui capte les murmures du soir


9)

 Des bouquets de flammes sombres
 s’échappant du bûcher d'une sorcière
 dont les cris
 blessent éternellement l’horizon


10)

 Sur le clavier de la pyramide
 les doigts des menhirs
 déclarent leurs appoggiatures
 tandis que les arbres fantômes
 ouvrent les bras de soulagement


11)

 Venue d’où de quelle année
 pour avoir cette frange
 par quel véhicule jusqu’à
 cette région dévastée par les flammes
 où tu recherches quelques indices ?


12)

 Lâcher de ballons chacun
 lesté d’une missive végétale
 pour perpétuer la famille
 la tribu la langue l’espèce
 de l’autre côté des dévastations


13)

 Par la lucarne de la pellicule
 sous la baguette en fer du chef
 un neume de fumées s’accroche
 aux portées des faubourgs


14)

 Sur le gong de la citerne
 retentit l’appel de la rouille
 Soleil de la désolation


15)

 Le charbon fond
 sous l’éclat de la rosée
 la gueule du dragon
 vient baiser la victime


16)

 Empalée sur la carcasse
 d’un vieux parasol une image
 apporte le sourire
 de son balbutiement


17)

 Sur la délicatesse des fissures
 les feuilles et les touffes
 brodent leur nostalgie


18)

 Dans le rétroviseur d’une épave
 le fantôme du jeune Marcel Duchamp
 retrouve sa désinvolture


19)

 À travers le sténopé
 de cette hache optique
 le paysage se renverse
 entre les mains le caressant


20)

 Un peu de neige
 pour révéler les empreintes
 de cette banlieue accusée
 qui proclame son innocence


21)

 Un signe pour les complices
 qui guettent de l’autre côté des champs
 dans la forêt des pylônes et des fumées


22)

 Le corbeau se transforme en colombe
 à sa sortie de l’arche pour saluer
 l’imminence du printemps


23)

 Splendide virage
 des quatre roues en orbite
 autour du Soleil de neige
 épinglé comme un papillon


24)

 Au joyau du Soleil en perdition
 répondent les signaux de fumée blanche
 pour avertir d’autres tribus
 des dangers courus par le monde


25)

 Revolver antédiluvien
 saluant d’une salve douce
 sur l’enceinte des crânes
 l’esprit des lichens en migration


26)

 La double corne d’abondance
 déverse à travers les sillons
 depuis l’horizon jusqu’à l’ombre
 les découvertes de ses glanes


27)

 Halte à l’arbre épineux qui doit
 s’enraciner parmi les ronces
 pour équilibrer le triangle
 signal d’un bref apaisement


28)

 La bordure avec ses quelques charbons
 s’illumine pour souligner
 l’arbre solitaire jaillissant
 d’une lisière d’ombre


29)

 L’ombre de qui
 sur le clapotement de la glèbe ?
 l’ombre de celui
 dont le photographe n’est que l’ombre


30)

 L’anneau de caoutchouc pour les noces
 du photographe nomade
 et du paysage changeant


31)

 À travers le hublot
 du sous-marin terrestre
 les algues des champs
 caressent la surface des nuages


32)

 Un horizon artificiel se découpe
 en dragon d’écorce rugissant
 parmi les nuages chevaliers


33)

 Les vagues ligneuses
 envahissent l’orée du ciel
 une marée noire
 prête à brûler
 pour la Saint-Jean


34)

 Un arc de triomphe de chair obscure
 pour encadrer l’arrivée d’un vaisseau vaporeux
 dans le port des broussailles


35)

 Est-ce une belette ou un lézard
 une vague ou une dune
 un bosquet de fils barbelés
 ou un faisceau de ronces dormantes
 le matin ou le soir
 hier ou demain


36)

 La rouille et la brique
 tressent leurs rainures
 entre les triangles d’outremer
 semés d’îlots incertains


37)

 L’ange ou la victoire des ténèbres
 proue du vaisseau nocturne qui s’avance
 parmi les récifs lumineux


38)

 Le nuage s’est enraciné dans la pente
 pour tenir tête au vent
 qui décorne le soir


39)

 Le diapason des nuages
 donne sa note aux vents
 le vent du diapason
 donne aux notes ses nuages


40)

 Je m’étais trompé de chemin
 excusez mon intrusion
 j’espère vous revoir un jour


41)

 Abandonné
 comme seul un dieu peut l’être
 au cimetière des religions


42)

 La bouche ligneuse
 marque de son haleine
 la vitre du ciel


43)

 Le méditatif
 feuillette sa propre existence
 devant le chaotique
 mur des siècles


44)

 S’effondrer
 sur les pétales du sommeil


45)

 Hésitant longuement
 avant de frapper
 sur le rouge


46)

 À la limite du plateau
 le cerf-volant déchiqueté
 suppute ses chances


47)

 Sous les palmes tristes
 les barques se réfugient
 dans le flou


48)

 Entre deux travées
 de marais salants
 la distribution électrique
 s’avoue vaincue


49)

 Les draps de la neige
 s’aèrent sur les labours


50)

 La détresse des marins
 a noirci le clocher


51)

 À la frontière
 entre deux douceurs
 les mouettes attendent
 la marée


52)

 Les ongles du tamaris
 grattent la peau de la houle


53)

 Un éclaircissement
 au milieu des menaces
 les étudiants de l’herbe
 pourront poursuivre
 leur manifestation


54)

 Faux
 déclare la frêle barricade
 nous ne nous laisserons
 plus prendre à vos poupées


55)

 À la recherche du pied idéal
 pour la promotion du poème


56)

 Il suffit que vous m’attendiez
 encore quelque peu
 pour que je réussisse
 à partir avec vous


57)

 C’est en agitant les rameaux
 que nous préparons
 la résurrection


58)

 Les traces des oiseaux
 sur le sable
 se sont solidifiées
 en étoiles de fer


59)

 Quelle Vénus
 est en train de naître
 de cette écume ?


60)

 Pour isoler une suite de pas
 à l’intérieur de cette multitude
 il me faut le peigne des mâts


61)

 Encore une hésitation
 dans le soleil du matin


62)

 Le gros dos de la digue
 fait frissonner
 ses démangeaisons


63)

 Dans le naufrage de la verrière
 la reine des neiges
 sauve son image


64)

 Dans le hublot d’écorce
 elle perd son haleine


65)

 Perturbation rousse
 rasant les repères
 perturbation noire
 évaluant les runes


66)

 Le cheval retraité du cirque
 évoque ses anciens triomphes


67)

 Le jus de l’aurore teint
 la hampe de la rébellion paysanne


68)

 Tirée de son révélateur
 l’épreuve de sa nudité


69)

 La forêt fantôme s’est rassemblée
 pour s’opposer à tout franchissement


70)

 Un méandre d’azur
 sur la stèle du bois sacré


71)

 Les arbres saluent leurs mirages
 dans la brume de février


72)

 Chaque bulbe allonge ses doigts
 dans ses gants de jardinerie
 pour inscrire son temps d’exil


73)

 Derrière le réseau métallique
 le scrutateur compte les voix


74)

 Rivalisant avec les branches
 l’araignée industrielle
 déploie sa nostalgie


75)

 Une ceinture de cheveux
 fait ressortir le sein de l’arbre


76)

 Dans l’oculus du terrain vague
 le jardin de mousses
 arbore son arche


77)

 Sauras-tu m’ouvrir
 ta propre fenêtre
 clef que j’avais perdue
 depuis l’éternité ?


78)

 Dans la catastrophe des rameaux d’or
 le héraut de la tourbe
 appelle les sibylles


79)

 Aucune peinture ne résistera
 au diamant de ce poing


80)

 Ruissellement de baumes
 sur la peau du serpent
 qui traverse le ciel


81)

 Point de rencontre des intermittences
 foyer de variabilité


82)

 La mer a déposé ses ténèbres
 au pied des illusions de la géométrie


83)

 Sur le plateau de sa grille urbaine
 l’arbre Jean-Baptiste
 s’offre cou tranché


84)

 Obole de Lune
 voguant sur le Styx végétal


85)

 La fissure philosophale
 dans le tronc des aumônes


86)

 La pomme du vide
 refuge des serpents retraités


87)

 Dans l’ogive de la vanille
 la main floue du chocolatier
 propose son détonateur


88)

 Un paraphe de gaz rares
 sur le miroir du plafond dépoli


89)

 Au pays des statues
 l’apparition du rose
 amène un changement
 de constitution


90)

 Dans sa prison de métal vert
 le tronc affiche
 les doléances de ses feuilles


91)

 Pour rouvrir le chemin du Soleil
 la Parque propose ses ciseaux
 afin de couper le négatif en deux


92)

 Dans sa barque funéraire
 le pharaon s’identifie
 au disque lumineux son père


93)

 L’homme invisible sourit
 sous son chapeau d’été


94)

 Les broussailles des nuages
 cherchent les éclaircies de l’herbe
 pour atterrir de toutes leurs gouttes


95)

 Dans les remous du marécage
 le flamand rose se rêve
 long courrier de plastique et de tôle


96)

 Les racines arrachées de la souche
 proclament leur opposition
 à tout pacte ou compromis
 avec les bûcherons de l’orage


97)

 De branche en branche l’ombre grimpe
 jusqu’à son belvédère de nuit


98)

 La libellule prend la vitre
 pour la surface d’un étang vertical


99)

 L’île d’une écaille de peinture
 découpe ses côtes
 sur les stries d’un océan de sève


100)

 Le pouce essaie de rattraper
 le caillou perdu
 dans son flot de sang
 
101)
 Au changement de règne
 le scarabée cherche sa place
 parmi les ustensiles culinaires


102)

 Les souliers fleurissent
 devant le soupirail
 du vestiaire englouti


103)

 Les fleurs de l’an passé
 retrouvant leur balancement
 éveillent les souvenirs
 emmagasinés dans la vitre


104)

 On range l’archipel portable
 avant la prochaine expédition
 dans les dallages du grand large


105)

 Sur l’anneau écorcé
 du tronc d’un cerisier
 la feuille d’un châtaignier
 vient apporter son baume


106)

 La lettre E s’est accrochée
 aux branches pour suggérer
 aux promeneurs de l’âge du bronze
 l’invention de l’alphabet


107)

 Miniaturisées les îles
 prennent appui sur la fenêtre
 pour s’envoler parmi les nuages


108)

 La turquoise est passée
 l’été indien s’installe
 au milieu de l’hiver


109)

 Quel rameau d’ombre
 faudra-t-il pour sauver
 mon sauveur évanoui ?


110)

 Offrande au vent dévastateur
 les icônes odorantes
 d’arbres renversés


111)

 Une mer de nuages au crépuscule
` par-delà les fauteuils d’orchestre


112)

 Pousser une écaille
 du temps passé
 jusqu’à ce qu’elle illumine
 l’Histoire


113)

 Je ne sais plus de quel côté
 je tombe en m’accrochant au tronc
 d’un arbre déraciné
 par la trombe


114)

 Je ne suis plus qu’une main
 pour proposer au passant
 ce qui n’est plus
 qu’une énigme


115)

 Juste une île
 détachée du ciel
 pour que respire
 le crépuscule


116)

 Le bleu des espérances bafouées
 rejoint celui
 des déceptions heureuses


117)

 Quelques auréoles
 de saints innocents
 en vadrouille dans le cimetière
 des améliorations techniques


118)

 L’améthyste déchire le rivage
 pour marier les points cardinaux


119)

 Dans la nuit creusée de nombrils
 l’espoir d’une vie
 d’ébats créateurs


120)

 Un rideau d’aigues-marines
 se lève sur le génie du fleuve


121)

 L’esquisse du Concorde
 tombe à pic
 sous la tôle ondulée
 du changement de conjoncture


122)

 L’ombre des doigts
 précise l’épaisseur
 du vampire martien


123)

 L’alcool des entrailles terreuses
 s’enflamme au contact du regard


124)

 Perdue dans le blizzard des vicissitudes
 l’image se découvre une pérennité


125)

 Bec d’onyx sur un cou d’acajou
 dès que la main s’ouvrira les ailes d’or
 battront la fugue et la fanfare


126)

 Un regard surnage sur les vagues de l’encre
 tandis que le signal d’alarme
 passe au suraigu


127)

 Le volet qui vient de se fermer
 sur la forêt noire
 se transforme en miroir de l’hiver


128)

 Lézardes ou racines
 emmenez-moi dans votre arpentage
 de planète extragalactique


129)

 Une palme oubliée
 se transforme en oiseau de cendres


130)

 Rampe de lancement
 hâtivement bricolée
 par des astronautes en détresse


131)

 Au bord de l’autoroute
 le bouillon blanc monté en graines
 rappelle l’impermanence de toutes choses


132)

 La végétation vient chatouiller la chevelure
 dont l’image flotte sur les brumes


133)

 L’un après l’autre
 les lambeaux d’écorce se détachent
 pour manifester leur désapprobation


134)

 Le fil de fer s’est imaginé
 chevreuil transparent


135)

 Seule une épine subsiste
 au milieu des blocs
 du temps pétrifié


136)

 Le lasso d’arrosage
 est immobilisé dans la neige
 par l’aiguille des heures


137)

 Méfiant
 le requin artificiel
 ouvre sa mâchoire
 de caoutchouc


138)

 Comme sur un gâteau d’anniversaire
 la crème de la neige
 enserre le pneu


139)

 Le noeud de l’hiver
 sombre parmi
 les souvenirs d’enfance


140)

 Un filet de cristal
 entre des fesses
 rongées de lichens


141)

 Un nouveau regard
 à travers le texte évidé


142)

 Conciliabule des parpaings
 réconciliés avec la Nature


143)

 Le poteau saigne noir
 sur les ténèbres blanches


144)

 L’aiguillage s’est trompé d’adresse
 il sera dévoré
 par les démons de l’herbe


145)

 Chiffre impitoyable
 quelle date essaies-tu
 de nous rappeler ?


146)

 Le jade qui se faufile
 entre les protubérances
 se met à rosir
 en reconnaissant
 un frère perdu


147)

 Je tombe des nues
 ou plutôt
 ce sont les nues
 qui tombent sur moi


148)

 La manifestation des balafres
 entraîne la foule de la rouille


149)

 Trèfle en formation
 sur un champ de Mars


150)

 Le timbre grenat estampille
 la missive du Moyen Âge


151)

 Sous le champignon
 de tôle un Chinois
 rêve qu’il est papillon


152)

 Lasse de rivaliser avec l’arbre
 la spirale décide
 de l’accompagner


153)

 Dialogue des silhouettes
 répondant à l’appel
 du bris des glaces


154)

 Enfant de braise
 examinant son ardoise
 incandescente


155)

 Une île qui se réveille
 de l’autre côté de la rive


156)

 En attendant que la graine germe
 au creux des jambes de métal


157)

 Que de soirées j’ai chevauché
 sur les rayures de ce désert cotonneux
 avec ses ravines et galets
 cherchant l’oasis ou la vision !


158)

 Embarcation de papier sur le fleuve d’herbe
 pour le transport des pousses rares
 et des mots de passe


159)

 Le cheval de l’enfance oubliée
 s’est cabré si brusquement
 dans son élan qu’il a traversé
 les bords de l’image
 mais en partie seulement
 un revers de lui-même
 attend sa réintégration


160)

 Suspendu de toute sa tignasse laineuse
 au bord de la falaise de verre gelé
 le sac de survie
 perd sa contenance


161)

 Une date à ne pas mettre
 entre toutes les mains
 une éclipse certes prévue
 mais qui se déroule tout autrement
 à quelle hégire peut renvoyer
 cette commémoration ?


162)

 Le blanc que l’on croyait celui du ciel
 est en réalité celui
 d’une paroi métallique
 dont on a bien la clef monumentale
 mais dont on ne peut plus
 retrouver la serrure


163)

 Le sorcière a hissé son chapeau
 sur le manche de son balai
 pour avertir que les voies du sabbat
 sont en travaux


164)

 Miroir piqué d’éclaboussures
 où les branches lavent leurs blessures
 dans le baume du flou


165)

 Le bouillon blanc monté en graines
 cherche à prendre au piège l’âme soeur
 sur une voie de garage
 depuis longtemps inutilisée


166)

 La main cagoulée brandit
 la fleur d’amiante pour annoncer
 les épidémies prochaines


167)

 Le bouleau d’hiver inscrit
 sur le territoire du château d’eau
 mirador l’espérance
 de souterrains nouveaux


168)

 Réceptacle de peinture séchée
 que perce le furet
 aux griffes de rouille


169)

 Une pépinière de sueurs
 à l’assaut de l’issue
 de secours céleste


170)

 Après avoir vissé sa tuyauterie
 sur le terrain vague
 le cyclope moderne
 ferme sa paupière unique
 en rêvant de stéréoscopie


171)

 Quelle éclosion chaleureuse attends-tu
 dans le glacis de ton papier
 fille à l’ombre des ronces
 pour la disséminer d’un geste ?


172)

 Goutte d’ombre d’où viendra la lumière
 lampadaire juché sur son pistil de nuit


173)

 À quoi vais-je pouvoir reconnaître
 mon correspondant à l’intérieur
 du territoire hostile
 si le cygne s’est endormi ?


174)

 Colloque des limaces
 sur le cadavre de la neige


175)

 Immatriculation
 sur un ciel de rechange
 où la prophétesse
 règle la circulation
 des croix


176)

 Salle de bains de boue
 dans le souvenir d’une avant-guerre
 où l’eau ruisselait
 parmi les savons et parfums


177)

 L’une après l’autre
 ou l’une dans l’autre
 la succession des nuits d’aveux


178)

 Tapis de bulles d’ombre
 où se dissolvent les nageuses
 effervescentes


179)

 Sur le papier sépia qui se déroule
 au bord d’un balcon parisien
 une main désigne un épi
 de bouillon blanc monté en graines
 à une autre main
 sur un autre papier sépia
 qui lui désigne le même épi


180)

 Dans l’arc du tuyau
 l’arc du jeune homme
 dont la main vient d’atteindre
 l’anneau qui va faire que tout
 va brusquement se dresser


181)

 Ronce dit l’inscription
 sur la photographie fêlée
 avec la date de l’an passé
 non seulement laine épineuse
 dont les enfants dégustent
 les fruits noirs mais station
 balnéaire en pays d’huîtres


182)

 Pas un château de sable
 mais un chapeau saupoudré
 de sable parmi les atterrissages
 de graines d’érable sur le sable
 il suffirait sans doute de le coiffer
 pour devenir invisible


183)

 Avec mes phrases je voudrais
 reconstruire le toit de verre
 de la serre abandonnée
 depuis près d’un siècle
 mais elles ne protégeront
 les jeunes pousses ni
 de la neige ni du vent


184)

 Dès le début de cette aventure
 interminable
 la rouille lumineuse
 a commencé son travail de sape


185)

 Coeur échancré dans la solitude
 de la chambre jaune la feuille
 répond sa persistance
 à tous les discours d’abandon


186)

 Cette voie devait avoir
 une issue jadis mais
 les bouleversements de la politique
 et de l’économie
 l’ont condamnée à n’être plus
 qu’une métaphore de notre combat
 inapaisable


187)

 La lèpre monte à l’assaut
 des trois meurtrières qui
 se sont fermées à son approche
 sous les horizontales
 de la communication interrompue


188)

 Le fagot atteint à peine la ligne d’arrivée
 que le contact est mis
 le ciel devient vert
 et le sifflement des sirènes démarre


189)

 Une anthologie de blocs et de branches
 comme les ruines d’une cité disparue
 autour de la fonte du reliquat
 des neiges qui l’ensevelissaient


190)

 Pylône pour l’entrée
 du domaine du dépassement
 et du croisement avec
 des hurlements qui dépassent
 en intensité furieuse
 tout ce que nous proposait
 l’ancien enfer


191)

 À la peau d’un individu
 de quel sexe collait
 cette doublure avec ses manches
 en trompes d’éléphants
 et le ruissellement du bleu
 sur l’abdomen énorme


192)

 Sur le gris-bleu de cette plage
 un fragment de filet raconte
 ses difficultés car il est loin
 le temps du quadrillage heureux
 les triangles se sont immiscés
 pour cicatriser les blessures


193)

 Oeufs de Pâques pétrifiés
 sur le mur d’enceinte
 que la corrosion
 détruit peu à peu
 les cloches qui les ont amenés
 sont pétrifiées elles aussi
 dans un ciel pétrifié


194)

 Le mot Soleil au soleil
 mais barré par l’ombre d’un arbre
 que l’on imagine semblable
 à celui dont on voit le tronc


195)

 On croirait une araignée sur sa toile
 mais c’est la dernière feuille
 d’une plante d’intérieur
 devant l’étoilement d’une vitre


196)

 Que s’est-il passé ? giclures
 de sang sur la vitre
 mais elle est restée intacte
 dans l’anonymat de sa banlieue blême


197)

 L’or d’une serrure
 dans une atmosphère de cuir
 les échansons versent l’hydromel
 dans les hanaps des invités invisibles


198)

 Une éclaboussure sur le ciel opaque
 la tombée de la pluie s’est immobilisée
 pour charmer les bourgeons


199)

 L’argenture des nuages
 sur la délicate sinuosité des rameaux
 nous assure que le printemps
 se cache à peine


200)

 Du sommet de la pyramide intriquée
 part une flamme ligneuse
 qui veut accrocher
 la laine des nuages
201)
 La fleur postale guette
 la main du messager
 pour lui remettre les fruits de l’étude
 et les caresses de la communication


202)

 Des ruisseaux de rouille tombent des clous
 dans le dièdre des lactescences
 où se développe l’arbre des ombres


203)

 Rideau d’intempéries saluant
 le bourgeonnement des rameaux
 tandis que les gouttières
 déversent leurs récoltes
 par les chenaux


204)

 Le fossile d’une pellicule
 cinématographique tend
 sa tête enroulée pour picorer
 les épines des faubourgs


205)

 Le génie de la forêt
 s’est confectionné un masque
 pour recevoir dignement
 son confrère des nuages


206)

 La fleur cubique du rubis postal
 s’appuie sur la crasse des faubourgs
 pour se dégager de sa prison de vitres


207)

 Égarée dans les prés
 la souris de l’ordinateur
 se dresse sur son cordon
 pour devenir une appoggiature
 dans la portée des téléphones


208)

 La plume du corbeau s’abreuve
 à l’encrier du wagon décrépit
 pour rédiger ses souvenirs
 de voyages pourchassés


209)

 Au lavabo de la misère
 l’aumône d’une poignée de limon
 agrémentée de quelques planches
 pour qu’une liane venue
 du fond de la vidange vienne
 y faire prospérer ses grappes


210)

 Cailloux énormes pour interdire
 toute circulation sur la route abandonnée
 qui menait à la station-service
 du temps qu’il y avait encore du pétrole


211)

 Essayant de se protéger contre le vent de feu
 qui érode la barrière d’anciennes laves
 il se remémore les délices de l’hiver


212)

 En bouclant sa ceinture
 la barrière a réconcilié
 toutes les échardes qui s’étaient
 si violemment entre-déchirées
 lors de la rupture


213)

 Le rouleau d’écorce
 dévoile un texte antérieur
 fait de fissures accablantes
 et de grumeaux d’espoir


214)

 Une missive pour avertir la mésange
 que les ornithologues s’efforcent
 de la capturer pour la doter
 d’un bracelet électronique


215)

 Entre la sinuosité du store
 et la barre de la rambarde
 le cône des branches
 penche vers l’émeraude
 de quelque aurore boréale


216)

 Le blanc des nuages
 grignote les branches
 qui recouvrent leur intégrité
 sur le bleu du ciel


217)

 Il a beau essayer de décoincer
 le sas étroit de son blockhaus
 l’humidité gagne et les toiles
 des araignées marines se rapprochent
 la végétation change d’élément


218)

 Les flammes de sable
 lui ont brûlé les yeux
 le réchauffement de la planète
 ne fait plus maintenant aucun doute
 il faudra voir de toute sa peau


219)

 À travers la vitre du train on aperçoit
 les efforts du vieux quai trempé
 vers une géométrie plus précise


220)

 Je ne sais de quel côté te prendre
 rideau de lumière blanche
 qui chamboule le jaune
 jusqu’à le rendre noir


221)

 Un  couteau mauve
 descend au ventre des ténèbres
 à l’intérieur duquel s’ouvre
 une lucarne de possibilités inattendues


222)

 Les irrésolutions des rameaux
 s’inscrivent en orbes sur le mur
 de la remise dont le bleu rayé
 en appelle à celui du ciel


223)

 La bordure nacrée du nuage
 suggère que le soir approche
 tandis que les branches d’hiver
 s’efforcent d’imiter ses courbures


224)

 Les quelques fruits qui demeurent
 après les diverses rafales
 s’apprêtent à se déchirer
 pour libérer enfin leurs graines


225)

 L’écharpe de nuages indique
 le rang éminent de ce dignitaire
 dans la communauté sylvestre
 c’est la toile des racines qui permet
 les délibérations de leur conseil


226)

 Pour conquérir Paris
 l'arbitre des élégances forestières
 a décidé d'utiliser les réserves
 d'un magasin de tapissier


227)

 Pour impressionner la délégation
 d'un boulevard voisin
 le président de l'avenue
 a décidé de déployer
 les ors de la république


228)

 Pour participer au championnat
 de cuisine sylvestre
 Peau d'Âne s'est osée à ceindre
 sont tablier couleur de Soleil


229)

 Toujours aussi distrait
 le saint des korrigans
 a laissé tomber son auréole
 sur un galet


230)

 Bravo pour le bouquet d'encre !
 en essayant de le laver
 on provoquera des coulures exquises


231)

 En plein milieu de la ville bombardée
 c'est l'ancienne frontière
 entre les deux états


232)

 Dans ce fauteuil d'angle parachuté
 douillettement nichés dans la peluche
 se réuniront les comités miniature
 pour le nettoyage et la prospective


233)

 C'est le nid du nouvel oiseau roc
 aux ailes de caoutchouc galvanisé
 qui nourrit ses petits
 avec les fuites des avions


234)

 La flaque sur l'étoile
 a dédoublé le piéton des nuages
 pour le rendre invisible


235)

 La peinture de la rambarde
 a décidé de passer à sa complémentaire
 pour accueillir les embruns
 du siècle nouveau


236)

 Tout autour du tronc transparent
 Soleil de la forêt profonde
 les branches essaient maladroitement
 de figurer les constellations


237)

 La pierre blanche ouvre une oreille
 pour écouter les doléances
 du chat tigré de nacre et de nuit


238)

 Sur le ciel qui s'écaille
 préparant des averses de peinture sèche
 la foudre avant de rejoindre la terre
 tournoie en s'obscurcissant


239)

 L'enchanteur a laissé tomber
 son chapeau qui servira d'indice
 aux sorciers qui le traquent


240)

 Quelques rameaux d'olivier
 ne suffiront pas à sauver cette plaque
 de la destruction prochaine


340)

 Sur le tableau métallique
 le maître d'école buissonnière
 a tracé la leçon du soir


241)

 Les anciens enclos publicitaires
 sur le plexiglas deviennent
 des enregistreurs de rayons cosmiques


242)

 La grille des carreaux
 tente d'imposer sa mesure
 à la calligraphie de la décrépitude


243)

 Le flash a tenté de surprendre
 le colloque des fantômes
 mais ils ont été plus rapides


244)

 Ne prononcez qu'à bon escient
 le nombre magique la lumière
 pourrait virer du tout au tout


245)

 Dans la salle d'exposition
 vide de visiteurs
 les oeuvres de l'artiste sylvestre
 semblent appeler du renfort


246)

 Sanglants butoirs
 tout prêts à sauter
 à l'arrivée des assaillants


247)

 Par un magnétisme négatif
 le poteau a chassé les graviers


248)

 Dans le bain photographique
 elle émerge peu à peu
 de sa timidité


249)

 Rampe de lancement
 pour l'astre de la décrépitude
 car il y a des mondes
 plus séniles que le nôtre


250)

 Le cylindre a explosé
 sans un son
 l'artificier frustré
 s'est cloîtré dans un monastère


251)

 Au fil d'une après-midi d'hiver
 les pérégrinations d'un amateur d'épaves


252)

 Redoublez d'attention
 en tournant vers la droite
 le licenciement économique
 vous guette


253)

 C'est un camp de concentration
 de la misère avant le retour
 au pays d'esclavage


254)

 Le bâtiment s'enfonce
 lentement dans le marécage
 on espère que ses occupants
 ont pu le quitter à temps


255)

 Les murs de l'ancienne prison
 n'entourent plus désormais
 qu'un trou noir


256)

 Sur la terrasse des illusions
 le canapé peut encore servir
 à rêver que la situation
 se rétablira


257)

 Le numéro tant recherché
 a disparu c'était la clef
 du coffre-fort où le président
 avait enfermé ses pépites


258)

 C'était un garde-manger
 mais les rongeurs de grillage
 ont dévoré ses parois


259)

 Potences pour pendre
 les opposants au régime
 caricaturistes chansonniers
 ou photographes


260)

 Le semeur disperse
 ses graines de rouille
 sur les sillons
 de la tôle fertile


261)

 En route pour le prochain dépôt de bilan
 toutes les articulations se sont grippées


262)

 Un ancien moulin à café pour les ogres
 secoue ses articulations au printemps


263)

 Le cône de béton
 concentre son vide au milieu
 de la profusion des brindilles


264)

 La perspective n'est pas brillante
 mais tout vaut mieux
 que se laisser pourrir ici


265)

 La lettre volée
 retourne à son point d'attache
 après s'être engraissée
 aux portes dérobées


266)

 Canapé sans domicile fixe
 j'essaie d'accorder mon vert
 aux plantes les plus proches


267)

 L'inspecteur des chiffres
 en voie de disparition
 a eu la chance de capter celui-ci
 juste à temps


268)

 Après une lente montée à genoux
 on arrive au moulin à prières
 qui vous emporte dans le vertige
 du temps passé


269)

 Au beau milieu du chemin périlleux
 un périscope permet aux persécuteurs
 d'examiner l'état de leurs victimes


270)

 Le cratère de la forêt
 accumule ses cristaux de sève


271)

 La tête enfoncée dans son heaume
 il s'efforce de soulever
 la colonne d'écroulement


272)

 Le cactus métallique jaune
 constellé d'épines de rouille
 répand ses cheveux
 comme une Madeleine


273)

 L'homme invisible vient d'enlever
 la fiancée de Wilhelm Storitz


274)

 Dans la vitrine de plexiglas
 un échantillon de l'espèce humaine


275)

 Animal végétal ou minéral ?
 naturel industriel ou artistique ?
 le serpent rose invente une lettre
 pour un alphabet de miroirs


276)

 On dirait un extincteur mais au contraire
 ce doit être une bonbonne
 de gaz explosif oubliée là
 par des anarchistes d'autrefois


277)

 A force d'obstinations et de ruses
 on parviendra à franchir
 tous les échelons administratifs


278)

 Le coquillage matelassé
 s'enroule sur la grille de l'arbre


279)

 Conversation entre trois touffes d'herbe
 passagères clandestines de la rue
 en attendant qu'on leur accorde
 la clef des champs


280)

 Le sang noir du bitume
 recouvre larme à larme
 les traces de pas sur le béton


281)

 Sous le rebord du petit mur
 les taches de rouille se souviennent
 d'un arrangement en losanges


282)

 Le sommier blessé
 laisse échapper sa plaine de crin
 qui se dispersera sur la ville de Paris


283)

 Le scooter fait les yeux doux
 à la liane d'azur qui s'enlace
 autour des bambous


284)

 Tout le courrier nécessaire
 à l'éclosion des fleurs bleues
 s'amasse en attendant
 la régularisation des courants d'air


285)

 La cathédrale entrepose
 ses fleurons usagés
 dans un de ses recoins
 en attenant leur remplacement


285)

 Au grand bal des écouvillons
 les ampoules de cuivre
 aiguisent leurs tranchants


286)

 On croirait qu'il s'agit d'une dune de sable
 c'est en réalité la décharge de sciure
 d'une usine à pâte à papier
 qui se reflète dans la mare


287)

 Un peu de neige glacée
 monte la garde sur la mousse
 dans l'entrecroisement
 des troncs abandonnés


288)

 Le pin solitaire attendant
 d'être transformé en support
 de publicité quotidienne
 contemple le désastre de sa forêt


289)

 Quand on ouvre la porte
 un canon braque sa gueule sur vous
 et tire des fusées d'artifices mouillées


290)

 Les jeunes arbres applaudissent
 le vieux signal qui veille
 à la conservation des caténaires
 depuis longtemps inutiles


291)

 L'imperturbable régularité du lierre
 accroche ses ventouses
 au crépi qu'elle recouvrira


292)

 Stèle abattue sur le parking
 alors qu'elle implorait
 la clémence des nuages


293)

 L'immeuble de la dent de scie
 enfonce ses créneaux dans l'angle
 entre les rues désertes


294)

 Sur la vitrine rouge
 du restaurant hindou
 les fenêtres blanches isolent
 des reflets de branches
 et de lampadaires


295)

 La première porte de l'enfer
 se referme sur les orgueilleux
 ils y apprendront l'admiration


296)

 La deuxième porte de l'enfer
 se referme sur les avares
 ils y apprendront l'audace


297)

 La troisième porte de l'enfer
 se referme sur les luxurieux
 ils y apprendront la tendresse


298)

 La quatrième porte de l'enfer
 se referme sur les gourmands
 ils y apprendront la mesure


299)

 Dans la nuit l'une des vitres soeurs
 veille dans l'attente de la réforme
 tandis que l'autre a fait fondre ses barreaux
 dans sa fureur


300)

 Hublot du paquebot urbain
 qui flotte sur la pollution
 et refuse de sombrer
 dans les illusions d'optique
 
301)
 
 Les roses fanées
 donnent à l'air qui sort de cette grille
 une odeur fin de siècle
 mais on ne sait lequel


302)

 Ne vous laissez pas prendre
 à l'injonction si vous tiriez ici
 le cercle deviendrait incandescent


303)

 Les vis ont beau essayer
 de fixer l'ombre du plateau
 elle organise sa fuite
 dans le ruissellement de la peinture


304)

 Gratte-ciel imaginaire
 dont la façade se délite
 en lamelles de crépuscule


305)

 En fin de spectacle
 sur la scène violette
 le bleu du ciel fait descendre
 le rideau de ses branches


306)

 Sur les arpèges de la main gauche
 la droite escalade les sommets du clavier


307)

 La cinquième porte de l'enfer
 se referme sur les paresseux
 ils y apprendront l'obstination


308)

 La sixième porte de l'enfer
 se renferme sur les envieux
 ils y apprendront l'émulation
309)
 La septième porte de l'enfer
 se referme sur les coléreux
 ils y apprendront la patience


310)

 Le huitième porte de l'enfer
 se referme sur les menteurs
 ils y apprendront l'imagination


311)

 La neuvième porte de l'enfer
 se referme sur les corrupteurs
 ils y apprendront la pédagogie


312)

 La dixième porte de l'enfer
 se referme sur les pollueurs
 ils y apprendront l'art vétérinaire


313)

 La onzième porte de l'enfer
 se referme sur les tricheurs
 ils y apprendront l'art dramatique


314)

 La douzième porte de l'enfer
 se referme sur les tortionnaires
 ils y apprendront le raffinement


315)

 La treizième porte de l'enfer
 se referme sur les indifférents
 Ils y apprendront la curiosité


316)

 La quatorzième porte de l'enfer
 se referme sur les tyrans
 ils y apprendront la libération


317)

 C'est l'allée triomphale qui mène
 jusqu'au dépôt de bilan
 le lampadaire en prévision
 s'effondre déjà


318)

 Ne pas se fier aux apparences
 l'image de ce pistolet
 a déjà brûlé ce papier


319)

 Le réservoir contient de quoi
 traverser non seulement l'auvent
 mais les nuages et même
 les premières sphères célestes


320)

 Il faut bien attacher
 le tronc métallique
 car le mariage des mousses
 et de la rouille pourrait
 le rendre capable ou coupable
 d'une escapade dévastatrice


321)

 La fleur chevaline court et piaffe
 sur les pages de l'herbier de l'enceinte
 derrière laquelle remuent
 les frondaisons furieuses


322)

 Toute l'eau de l'étang aspirée
 par ce chalumeau pour enfants d'ogres
 il ne reste plus que des édredons
 d'algues puantes


323)

 Le mur dépeigné demande
 aux peupliers du bord de la route
 comment se comporter
 quand on perd son écorce


324)

 Au-dessus des aubépines
 le train pneumatique
 expédie brutalement ses passagers
 jusqu'à la cour d'appel


325)

 Ce qu'on prendrait pour des fenêtres
 sur la porte bouclée du hangar d'azur
 ce sont des vitrines grillagées
 où l'on exposait les listes
 des recrues et exclus


326)

 Cerf à grandes cornes
 estampé par le dernier passage
 des derniers glaciers sur les murs
 des maisons des voyageurs du temps


327)

 Deux lettres oubliées
 dans l'alphabet des citernes
 derrière des poteaux
 qui semblent des fleurs
 intimidées par leur voyage
 depuis l'Australie


328)

 Bientôt les fleurs sauvages
 escaladeront les vestiges
 des marches solennelles
 et les lianes tisseront
 un manteau d'Arlequin
 dans le portique du théâtre industriel


329)

 Dans cette tanière des vieillards
 qui se sont abstenus de couper
 leurs barbes depuis des années
 diffusent grâce à des fantômes d'antennes
 des émissions sur leur adolescence


330)

 Le contrôleur des abandons
 cache la clef des ateliers
 où toute activité humaine vient de cesser
 dans cette boîte à double fond


331)

 Quand la porte s'ouvrira
 dans un grincement de chaînes
 le spectre du directeur
 ne pourra s'empêcher d'abreuver
 encore une fois de bonnes paroles
 la foule des ouvriers licenciés


332)

 Non dit la planche jaune
 sur la porte orange l'électricité
 ne circulera plus jamais ici
 que pour hâter la démolition


333)

 Les graminées à l'assaut des pylônes
 transforment les câbles
 en cordes de harpe


334)

 Logis d'exil pour un roitelet
 chassé par une violente croissance
 des arbres autour de son palais


335)

 Greffer un arbre mort
 sur un arbre vivant
 avec un territoire d'hier
 sur celui d'aujourd'hui


336)

 L'écorce des années se déroule
 pour accompagner la duplication du sol
 et le triomphe des racines


337)

 Une autre forêt prend son essor
 à mi-hauteur de la précédente
 escaladant l'atmosphère
 en montagnes pénétrables


338)

 Sur le quai de l'éclaircissement
 les motrices récapitulent
 les épisodes de leurs montages
 dans les ateliers disparus


339)

 Incrusté dans le mur
 le tableau des parpaings
 capte les signaux de la pluie


340)

 Je ne puis y croire
 dit l'arbre d'automne
 à son confrère du printemps
 le calendrier
 serait-il tordu ?


341)

 Dans la boîte légère
 suinte la résine du poteau
 que les enfants du mécanicien
 étaleront sur leurs crêpes de limaille


342)

 Le pylône essaie de se rapprocher
 pour délivrer la princesse étincelle
 enfermée par son arbre de père
 dans un menu cachot
 pour la soustraire à ses avances


343)

 La sauterelle géante hasarde un regard
 au-dessus de la palissade on comprend
 sa surprise c'est la première fois
 qu'elle voit une étendue d'eau


344)

 Malgré toutes ses reprises la porte
 est défoncée par le jeune arbre
 les membres du conseil forestier
 de l'autre côté de la clôture
 applaudissent à son exploit


345)

 Le tronc sévère en a rêvé
 pendant toute sa nuit d'arbre
 que la reine Mab au retour
 de quelque expédition fabuleuse
 vienne s'étendre sur son divan


346)

 Le tronc a tellement attendu
 que son écorce est devenue peinture
 il a compris que la reine Mab
 aurait besoin d'un peu de sol
 pour y déposer ses souliers


347)

 L'amoureuse du chef-pêcheur englouti
 revient tous les soirs vérifier
 si quelque image de lui
 ne demeure pas piégée dans l'étang


348)

 La passerelle est devenue dangereuse
 la dérive d'une simple souche
 suffirait à la faire sauter


349)

 Voyant arriver l'échéance annoncée
 par l'assistante incomparable
 le propriétaire de l'usine
 au bois dormant a fait murer
 toutes les entrées pour protéger
 les employés somnambules


350)

 Le dispositif d'alarme
 ne peut plus fonctionner
 que par erreur muet
 lors de tout danger réel
 il se met à hurler
 à l'approche d'une mouche


351)

 L'écran de la circulation
 est attaqué par la lèpre des miroirs
 toutes ses images
 sont tordues dans l'espace
 et décalées dans le temps


352)

 On ne peut pas savoir si la piscine
 est vide ou pleine car cette eau
 venue d'on ne sait où
 n'a pas le même indice de réfraction
 que celle dont nous avons l'habitude


353)

 Une automobile ou le fragment
 d'un pilier de portail la végétation
 a fait si soigneusement son travail
 qu'on ne peut plus savoir


354)

 Le nuage a découpé si précisément le mur
 qu'aucune poussière n'est venue ternir les herbes
 par contre c'est maintenant toute la paroi
 qui subrepticement devient nuage


355)

 Le jardinier du ciel regarde le développement d'une île
 qu'il vient de planter sur un vivier d'océan
 protégé de la forêt littorale envahissante
 par une muraille provisoire


356)

 Le sculpteur a disposé ses tôles et poutres
 de telle sorte que son oeuvre apparaisse
 comme un détail d'une structure immense
 à laquelle il redonne vie


357)

 L'oiseau blanc s'est pris les ailes dans la glu
 de cette maison du siècle passé
 où pour quelques uns il a fait si bon vivre
 en dépit des déchirements et des guerres
 sur la clôture du terrain vague
 où les neumes de béton préludent
 aux élégies de l'autoroute


358)

 Le marteau de la blancheur a terrassé
 la fière porte des vivants avec
 tous leurs souvenirs de départs et retours
 pour devenir celle des morts


359)

 Les coiffeurs jumeaux ont bien tenté
 de murer l'entrée de leur double salon
 abandonné depuis l'année de ma naissance
 mais la marque apposée de la main noire
 nous avertit de leur prochaine réapparition


360)

 Les lames de caoutchouc semblables
 à des côtes dans une cage thoracique
 gardent le coeur carré de cette usine
 contre les chirurgiens indiscrets


361)

 Une glissière qui n'a plus fonctionné
 depuis la naissance de ces arbres
 que le vent a plantés ironiquement
 lors de la fermeture définitive


362)

 Les archéologues émerveillés découvrent
 au fond du parc le crâne aux orbites brûlantes
 de la divinité que servaient les machines
 avec offrandes d'huile et de sueur
 concerts de stridences et de gongs


363)

 Le crépuscule du Nord
 sonne le glas des fumées
 une parabole au creux
 des maisons frileuses
 capte les images
 de climats lointains


364)

 On dirait Ayer's Rock
 comme on disait autrefois
 dans son arrière ailleurs
 des Antipodes mais ici
 ce sont les arbres qui font
 la pierre le désert germe
 et l'azur est attendri de nuages


365)

 J'inscris mon attente exaspérée
 sur cette représentation de tous les murs
 qui nous séparent au-dessus
 des coquelicots et des plans de tabac
 encourageant notre impatience


366)

 Drapeau d'espoir qui claque
 dans l'air bétonné jaillissant
 de ses dimensions pour faire
 gagner le volume et l'Histoire


367)

 Avec mes mots je vais dévorer ce blindage
 qui m'apportera une nouvelle année
 de force et d'aventures


368)

 En attendant de traverser la Manche
 vers une régularisation peu probable
 je décore mon refuge lézardé
 par des déclarations d'amour et de guerre
 pour tous ceux qui sans le savoir
 me laissent pourrir ici


369)

 Cette cheminée qui s'est dressée
 toute pimpante en une nuit
 communique avec les entrailles
 de la Terre où les gnomes
 l'utilisent pour aérer les galeries
 de leurs interminables fouilles


370)

 Juste de quoi mettre au rebut la tête
 du meneur Jean-Baptiste après la fête
 où le directeur Hérode a convié
 tous les actionnaires
 et quelques notabilités


371)

 L'atmosphère a besoin d'être changée
 continuellement car la corruption
 qui a déjà fait moisir les machines
 risque de se transmettre aux clients


372)

 Personne ne viendra plus vider
 les cendres de l'incinérateur
 avant que les archéologues
 d'un autre siècle les tamisent
 les analysent et en fassent germer
 des graines de savoir


373)

 Deux professeurs d'économie politique
 comparent leurs idées sur l'avenir
 de la planète dans un millénaire ou deux
 les choses devraient s'arranger puis
 ils rentrent dans le mur et leur succèdent
 deux journalistes qui se demandent
 si c'est dans une semaine ou deux
 qu'on va déposer le bilan


374)

 Les lentilles d'eau ont préparé sur la mare
 une estrade où les rainettes et les crapauds
 vont concourir pour leurs duos


375)

 Lors de leur pèlerinage les dévots
 jettent des quartiers de roc sur la pyramide
 où est enterré l'ancien pharaon des enfers


376)

 La vague de verdure a roulé
 jusqu'au soupirail qu'elle obstrue
 tandis que l'ombre de la balustrade
 absente invite le visiteur à grimper
 pour jouir du spectacle


377)

 L'ombre verte raie le fond  de la citerne
 où le bitume scintillant sert de tain
 au miroir des eaux


378)

 L'alcool de solitude
 va perler goutte à goutte
 de l'alambic délocalisé


379)

 Un pilier séparait
 les sanctuaires parallèles
 vraisemblablement dédiés
 à des divinités jumelles
 tels les Asvin de l'Inde
 ou les Dioscures des Grecs
 dont le culte devait être
 particulièrement populaire
 chez les camionneurs


380)

 Sur la toundra urbaine
 où ne prospèrent que des lichens
 de peinture entre des glaces de béton
 le cadavre couché d'un cerf
 remarquablement fossilisé
 dont quelque pillard a dérobé les cornes


381)

 L'eau de ce réservoir
 est exclusivement destinée
 au lavage des objets
 découverts dans les fouilles
 la boire risquerait de provoquer
 d'horribles cauchemars
 dont même de longs pèlerinages
 ne viendraient à bout


382)

 La culpabilité de cet intérieur est si forte
 qu'il faut cette énorme pierre
 pour l'empêcher d'exploser


383)

 La maison pavoise en vert
 pour la fête du saint forestier


384)

 Les bagues empêchent les doigts
 de tomber en morceaux
 dans une embrassade pétrificatrice


385)

 Où est ton regard ?
 où est ton sourire ?
 même ton sexe
 est devenu indistinct
 dans le travestissement végétal


386)

 En se réveillant fontaine
 elle a vu ses cuisses
 se couvrir de poils de chèvre


387)

 Au fond de l'impasse
 la lessive dévote
 récite à l'icône
 ses litanies


388)

 Fleurs artificielles
 qui déteignent peu à peu
 tandis que la Madone
 implore les passants
 pour qu'ils entretiennent
 la fraîcheur des roses
 placées sous sa garde


389)

 Dans la coupole de cette église observatoire
 on admire les entrechats des anges
 au milieu de la valse des planètes


390)

 Sous la verdeur de la forêt
 une frange d'infra-rouge
 qui vire au blanc
 parce qu'on est au bout du rouleau


391)

 Réseau de brindilles
 sur le tremblement du soir


392)

 Au défilé des matelas
 encadré de motards nonchalants
 les drapés retiennent
 toute l'attention


393)

 Ce cône traversable
 est un hologramme
 aussi efficace
 que ses modèles en plastique


394)

 Au-dessus des pavés de la ville
 sur son balcon métallique
 la flaque se hâte de refléter le ciel
 dans lequel elle veut s'absorber


395)

 Sur le toit du restaurant flottant
 les fils électriques esquissent
 subrepticement
 une caricature du patron


396)

 C'est ici le but du parcours
 si l'on n'a pas suivi tous ses détours
 subi toutes ses épreuves
 on ne peut pas s'apercevoir
 que ce mur n'en est pas un


397)

 Le doigt de Constantin désigne
 le col très élevé qu'il faudra franchir
 pour  parvenir à la nouvelle capitale


398)

 Miroir gentil miroir dis-moi
 si je suis la plus belle non
 ton ombre est plus belle que toi
 tu n'es que l'ombre de ton ombre


399)

 Que de couples à apparier
 de l'autre côté de ce mur
 il faut que tout cela soit décidé
 avant ce soir


400)

 Le poisson château-fort est pris
 dans les filets de l'Histoire les touristes
 bientôt tourneront dans son bocal
 
401)
 Une palmeraie d'antennes
 un réseau de dattiers urbains


402)

 Une vie goudronnée
 subsiste dans les fouilles
 tandis que l'herbe grille
 dans le souvenir du désastre


403)

 Les figures de crépi glissent
 le long des piliers de brique et de pierre
 pour s'échapper la nuit
 jusque dans les rues de la ville vivante


404)

 L'oeil de la nuit traverse l'ombre
 pour piéger les taches de soleil


405)

 Les gradins consolidés descendent
 jusqu'aux anciennes installations de chauffage
 où des rescapés se cachent pour dormir
 sous des couvertures à raies bleues


406)

 La paupière se lève sur de multiples prunelles
 qui radiographient les nouveaux venus


407)

 C'est le siège de l'ange préposé
 à la succession des empires


408)

 La paroi se déplie et replie dans l'espace
 comme l'aile d'un oiseau
 qui cherche à s'envoler


409)

 Sur les rouleaux de brique déterrés
 telle une bibliothèque en réseau
 une fenêtre troue le mur
 comme la parution d'un livre nouveau


410)

 Le plumage des anciens toits
 s'est incrusté dans la cendre
 et la suie de la catastrophe
 pour en réveiller les rumeurs


411)

 Une bavure descend de la gueule d'azur
 comme une langue qui chercherait à laper
 l'humidité de l'avenir


412)

 Quelques marches pour parvenir
 au seuil de l'ombre d'où nous pourrons
 entendre les conversations interrompues
 dans leur véritable prononciation


413)

 Les colonnes reconstituées
 ne peuvent encore se tenir seules
 elles réapprennent la station debout
 afin de pouvoir soutenir
 le nid des cigognes


414)

 Le lierre mort donne à cette ruine
 l'aspect d'un mammouth et pourtant
 ils avaient déjà disparu depuis longtemps
 lorsque cette ville était toute jeune


415)

 Un arbre de carrés noirs
 se développant au milieu
 des horizons superposés
 de rectangles oranges
 tandis que les nuages de béton
 précisent leurs menaces


416)

 Le méandre du fleuve rouge replie ses nappes
 autour d'une île de brindilles sous la bienveillance
 de l'arbre qui lie le Ciel à la Terre


417)

 Même le tremblement même les flammes
 n'ont pas réussi à les réveiller
 ils avaient tellement travaillé
 qu'ils ont eu le plus somptueux enterrement


418)

 Le fait que tout s'écroule en cendres
 m'est encore une raison de plus
 pour me rapprocher de toi


419)

 L'inondation du temps présent
 défait les jointures
 entre les glaçons des voies désertées


420)

 Au milieu de sa cour
 le roi des végétaux
 reçoit les hommages
 des autres règnes


421)

 Le papillon aux ailes de maçonnerie
 prélève son nectar dans les calices
 des anfractuosités pour donner naissance
 à des troupes de touristes qui ignoreront
 qu'ils seront ses larves


422)

 La lumière et l'ombre caressent
 le dallage vertical d'où suintent
 l'or du temps et la sève des astres


423)

 Deux matelas abandonnés
 retrouvent leur douceur
 en s'effondrant l'un sur l'autre


424)

 Au-dessus de la foule romaine
 s'affiche le renversement
 de l'empire américain


425)

 On a remonté
 quelques cheminées
 des usines antiques
 où l'on fabriquait
 les dieux


426)

 Quelques barques rattachent
 la forteresse du crépuscule
 à la nuit de la terre ferme


427)

 La grille de l'ombre
 essaie de retenir
 l'avalanche des nuages


428)

 Bientôt cette lame à incandescence
 deviendra le symbole
 d'une lumière d'autrefois


429)

 Les petites ampoules
 le long de la couture
 projettent non de la lumière
 mais de l'ombre


430)

 Les piliers agrafent le ciel
 comme pour l'empêcher de s'enfuir


431)

 Les palmes au milieu des croix
 pour une cité de martyrs


432)

 L'ombre fait un sermon aux nuages
 qui répondent par leur lumière


433)

 La petite blanche guettée
 par les gros lourdauds noirs


434)

 De l'antiquité qui dérive
 dans les piscines de l'encens


435)

 Pour la récolte des écorces
 on a tendu les bâches du soir


436)

 Le corps qui n'était plus qu'un vide
 parmi les cendres
 a retrouvé son volume


437)

 Flammèches pendant aux balcons
 pour fournir des repères
 parmi les ténèbres des fondations


438)

 Le tronc lisse comme une colonne
 soutient sur la ville
 un parasol de palmes


439)

 Supplicié sur le mur
 saint Sébastien profane
 tendant de surnager
 dans le tsunami commercial


440)

 Le mur s'est effeuillé
 comme un éphéméride
 la barque va bientôt
 appareiller pour l'an prochain


441)

 Cette barque échouée
 parmi des algues de terre ferme
 était autrefois une automobile


442)

 Stéréotomie
 murmurait Edgar Poe
 rêvant qu'il entrait
 dans la rue Lamartine


443)

 Un couple de lacets
 dialoguant sur la plage


444)

 Un siège pour permettre à l'épouvantail
 de pactiser avec les oiseaux


445)

 Le sang de la terre a noirci
 pour protester contre le rouge du mur


446)

 Éventails de pierre
 pour aérer les titans


447)

 Le signe du vin
 dans les rainures du pavage


448)

 J'ose à peine montrer
 la couleur de ma peau
 en écartant mon voile


449)

 Toute l'énergie chromatique de ce manteau
 va se résoudre en électricité


450)

 Tambour de bois déroulé
 pour les baguettes de la pluie


451)

 Au  beau milieu de la jungle humide
 un escalier mécanique
 pour descendre au sec du supermarché


452)

 Une échelle de bandages
 sur les cicatrices de l'eau


453)

 Les flocons de neige
 d'une autre planète
 collent aux hublots
 de l'astronef


454)

 Suspendu entre deux brumes
 on dirait un embarcadère
 pour hélicoptères migrateurs


455)

 Barres de neige
 pour traverser le feu
 de la Révolution


456)

 Le caillou lancé
 a rejoint ses frères
 et c'est son cri de joie
 qui se propage à la surface


457)

 Un duvet blond protège
 l'épiderme liquide


458)

 Un bateau sanglier
 reniflant sous sa bâche


459)

 Les pointes des feuilles vertes
 se multiplient en feuilles noires
 sur les lames blanches du store


460)

 L'article féminin
 cherche un substantif
 auquel s'attacher


461)

 Une seule photographie
 ose montrer son rouge
 sur le noir pulvérulent du bitume


462)

 La flaque de la photographie
 reflète le clocher
 auquel va dire adieu
 la terrasse migratrice


463)

 Vestiges d'un établissement humain
 abandonné pour la recherche d'un emploi


464)

 Autorisation toute provisoire
 de fuir vers le large


465)

 Les sans domicile fixe
 viennent l'essayer un instant


466)

 Le résidu de neige
 paraît un rocher plus solide
 que tout le béton d'alentour


467)

 Cette galerie n'est que trop célèbre
 pour ses échos tentateurs


468)

 Depuis le pressoir aux images
 le tuyau distribue
 un jus d'expérience


469)

 Qui saura trouver
 la clef de la clef


470)

 En communication avec la bouche d'incendie
 l'aspirateur fait respirer l'homme invisible


471)

 En cas d'accélération de la crise
 appuyez le doigt sur l'interrupteur


472)

 La métamorphose de Daphné en laurier
 a commencé par les ongles


473)

 "Calme bloc ici-bas chu d'un désastre obscur"


474)

 Les arbres ayant disparu
 de la surface de la Terre
 quelques archéologues cherchent
 à reconstituer des troncs


475)

 Sur la rampe ruisselante
 de l'escalier mécanique
 des brindilles se sont échouées


476)

 Fermé non seulement le dimanche
 mais toute la semaine
 et pour des années


477)

 Après la disparition du pétrole
 des nostalgiques collectionnent
 des barils anciens


478)

 Le coeur a été si profondément
 blessé par son deuil
 qu'une rose de rouille
 a fleuri pour le cicatriser


479)

 Entrée interdite
 comme si le toit tout entier
 s'était rabattu sur la porte


480)

 Pour le charbon et pour la neige
 l'emblème de l'hiver et de ses risques


481)

 Le sang du sylvain coule
 sur l'écorce du merisier


482)

 Depuis longtemps l'usine a délocalisé
 les quelques pans de béton qui restent
 attendent les démolisseurs


483)

 Bientôt l'icône aura complètement disparu
 mais on lui apportera toujours des fleurs fraîches


484)

 À côté de la porte évidente
 le rideau de perles cache
 une entrée secrète


485)

 Nous avons besoin maintenant
 d'une lumière artificielle
 pour éclairer celle du Saint-Esprit


486)

 Une pause pour le balai
 afin de permettre à la porte
 de reconstituer sa couleur


487)

 Sur le barbecue refroidi
 navigue une barque de plâtre
 où dansent des étoiles de mer


488)

 Tout un embrouillamini d'auréoles
 pour divertir l'enfant Jésus


489)

 Dans la profondeur des ruines
 Aladin échappe au sorcier


490)

 La grange déserte ferme
 sur ses réserves d'espace


491)

 Les herbes escaladent les ruines
 qui escaladent le mur rouge
 qui escalade le mur blanc


492)

 Dans la fenêtre à demi ouverte
 l'octogone du parapluie
 appose son sceau sur le paysage


493)

 Les yeux des robinets
 le front de la fenêtre
 et le menton du pli


494)

 Dans la précipitation de la lumière
 les paupières de la porte
 clignent sans arrêt


495)

 Vierge abandonnée
 quémandant un nouveau sanctuaire
 devant l'ancien désaffecté


496)

 Une palme disant adieu à sa verdeur


497)

 Stop mais pas tout à fait
 il y a des dérogations


498)

 Ce n'est pas un phare
 mais une cheminée
 répandant l'obscurcissement
 non les signaux


499)

 La palette de cactus a fleuri
 pour se transformer en semelle


500)

 La chaleur intérieure
 pousse le rideau
 à interpeller les passants
 
501)
 L'escalier volant
 a raté
 son atterrissage
 il fait battre ses ailes
 de chauve-souris
 en grinçant
 de toutes ses rampes


502)

 L'enchanteur urbain
 fait sortir de son chapeau
 fleuri de plastique
 une jeune fille empressée


503)

 Cendrillon a encore oublié
 son espadrille mais cette fois
 le rameau d'or estampillé
 lui permettra de retrouver
 son prince au milieu du trafic


504)

 On dirait le Soleil
 tombé sur l'asphalte
 et nous qui le pensions
 si grand ! quelques ourlets
 de nuages viennent le consoler
 mais ce n'est qu'une graine
 qui germera demain


505)

 Que sont devenues les fesses
 qui s'appuyaient sur cette selle
 du temps qu'elle était neuve
 et moderne sont-elles
 aussi détériorées ?


506)

 La main de l'épouse
 voudrait traverser
 la double vitre pour
 résoudre l'énigme exposée
 mais les éclaboussures
 ont rendu l'obstacle
 infranchissable


507)

 Quelques antennes de télévision
 comme des accents
 sur la phrase des toits
 les nuages
 apportent la musique


508)

 On ne pouvait garer ici
 que des vélos quelques
 motocyclettes peut-être
 à condition d'en tourner
 astucieusement le guidon
 quand on réussissait
 à ouvrir le rideau
 on dévalait les marches
 en prenant le ciel à témoin


509)

 C'était une porte autrefois
 qui donnait sur un vestibule
 des marches des paliers
 des appartements
 mais aujourd'hui
 tout cela est rempli de gravats


510)

 Le dernier salon où l'on cause
 en venant apporter ses déchets
 auxquels on accorde
 une brève prolongation
 en en rappelant les splendeurs
 avant de les enfouir dans les caisses


511)

 Le bleu du ciel
 s'est entièrement déposé
 sur la paroi dans les hauteurs
 il ne reste plus que le gris
 du temps qui ne passe plus


512)

 La montagne à l'assaut du mur
 défense de stationner car on a vu
 des plissements soudains qui absorbaient
 la maison la place la ville entière


513)
 

 Dans le royaume de la rouille
 la végétation résiste
 proclamant le vert de sa différence
 mais nous savons qu'il ne faudra
 que quelques mois pour qu'elle rentre
 dans le rang avant l'envol
 d'une nouvelle génération de protestataires


514)

 Le sang du Christ traverse la pierre
 où l'on avait cru le confiner
 pour envahir sournoisement
 le rideau de fer et y creuser
 des soupiraux que les forces de police
 s'efforceront en vain de colmater


515)

 La splendide livrée bleu-roi
 des déchets encombrants en partance
 pour la mer Rouge
 et les merveilles de l'électricité


516)

 C'est un océan de pierres
 dont les vagues montent à l'assaut
 des châteaux rouges précédées
 par les algues envahissantes


517)

 L'entrepôt a failli recouvrir
 le cimetière et brusquement
 il est devenu lui-même une immense
 tombe sans fleurs ni couronnes


518)

 Dans le zoo minable
 dont il faudrait remplacer les vitres
 un des derniers spécimens
 de l'espèce des fumeurs


519)

 Écrasées contre la vitre les mains
 emmagasinent les démangeaisons
 qui éclateront bientôt en brandissant
 des pancartes de grèves


520)

 Les damiers au bout de leurs bras
 extensibles s'efforcent de remonter
 le moral du cheminot qui constate
 l'étendue des dégâts


521)

 Aimez-vous ! s'apprêtait à dire
 le wagon transporteur de coke
 entre ses confrères bâchés
 pour leur chargement plus précieux
 mais la motrice aura tôt fait
 d'effacer cette tentative


522)

 Traversant le désert vertical
 une barre de cases bleues
 où s'abritent les explorateurs
 à la recherche de la nappe phréatique
 dont avaient parlé les anciens


523)

 La main a déjà franchi le rideau
 il lui suffira d'appuyer
 un peu plus fort sur la paroi
 pour que celle-ci devienne
 liquide gazeuse un souvenir
 des temps de tyrannie


524)

 Encore une des merveilles
 du palais d'été mais qui n'a trouvé
 ni collectionneur ni salle des ventes


525)

 Au salon des emballages
 l'écorce emporte le premier prix
 ex-aequo avec l'herbe drue


526)

 Dans le rétroviseur temporel
 on voit les usines se redresser
 en s'ébrouant et même
 quelques-uns de leurs constructeurs
 qui peinent à sortir de l'oubli


527)

 Sur le macadam de la page
 le roseau fleurit en idéogrammes


528)

 Sur le mur la croix devient ombre
 et le supplicié fissure dans la pierre


529)

 La végétation s'est tellement
 développée entre les casemates
 bouchées qu'il est devenu impossible
 d'échapper au champ qu'elle délimite


530)

 Il est vain d'essayer de rouvrir la grille
 toutes les articulations sont grippées
 l'arc-en-ciel aussi est faussé
 mais celui qui saura le rétablir
 accédera au tunnel sous la Manche


531)

 Un instant de confort
 pour sans domicile fixe
 le coussin aux rêves de voyages


532)

 Sur le radeau de la Méduse
 tout s'est gelé le sang
 s'est figé en quadrillage
 comme l'océan obscur
 et la vague même
 s'est immobilisée


533)

 Le paysage passe à toute vitesse
 à travers le double filtre
 de la vitre et de la grille


534)

 Le cintre devient une coiffure vénitienne
 pour le carnaval des faubourgs


535)

 J'avoue je vais tout dire
 ne tirez pas encore
 je me rends aux fleurs
 que j'avais saccagées par mégarde


536)

 Tout le matériel du magicien
 étalé devant sa cahute
 pour faire la pluie et le beau temps


537)

 Ils ont laissé la porte ouverte
 pour s'amuser de nos espoirs
 car cela ne nous mènera
 qu'à une autre cour et une autre grille


538)

 La resserre cligne de l'oeil
 vous souvenez-vous des temps heureux
 où l'on pouvait l'ouvrir
 où les objets qu'elle contenait
 étaient encore utilisables ?


539)

 Quelle tempête il a fallu
 pour abattre ces deux silos
 et quelle machine il faudrait
 pour les remettre en activité !


540)

 Les fantômes se préparent dans les loges
 pour monter le grand escalier
 aux applaudissements des herbes folles


541)

 La grille s'est écrasée sur les rails
 toutes les hiérarchies sont bafouées
 il n'y a plus que les lianes et les épines
 pour utiliser la voie condamnée


542)

 Les croix évidées forment
 comme un cimetière sous la neige
 ou les hermines d'un drapeau breton


543)

 Les martyrs ont déposé leurs palmes
 dans le vestibule du stade céleste
 entre chien et loup


544)

 Juste suffisamment d'humidité
 dans la tôle pour capter
 l'image du vestiaire perdu


545)

 L'élégant jeune homme qui indiquait
 le chemin des urinoirs a justement
 perdu la moitié de son corps
 que cela pouvait intéresser


546)

 L'incendie de la forêt
 descend jusqu'à la mer


547)

 L'automne habille
 les guirlandes oubliées
 depuis le carnaval


548)

 L'excitation du jeu
 fait bouillonner le flegme
 des touristes désargentés


549)

 Pendant l'entracte
 les spectateurs désabusés
 guettent le mirage de la Corse


550)

 Dans les bésicles du vieux port
 des dames de tous âges
 font mijoter leurs souvenirs


551)

 Ce qui était moderne
 devient un élément
 du décor d'autrefois


552)

 L'enfant de choeur
 avait oublié d'éteindre
 l'encensoir à gaz


553)

 Lessive battant
 contre les volets
 comme les baguettes
 sur peau de tambour


554)

 L'eau suspendue
 redresse les pins
 dans son poudroiement


555)

 Plaisirs de princes
 laissent la place
 aux menées sournoises
 des chevaliers d'industrie


556)

 Les tentures des grands salons
 les tapis des escaliers d'honneur
 claquent dans la bise d'hiver


557)

 La rouille des cargos pénètre
 l'écorce des pins parasols
 et les grappes des aloès


558)

 Bien installés dans leurs fauteuils
 les hivernants regardent passer
 les annonciateurs de déconfiture


559)

 Les senteurs du marché aux fleurs
 se mêlent à celles des oursins
 qu'on déguste sur les galets


560)

 L'ombre rouge a condamné
 le garage du fils de Pharaon


561)

 Je t'en supplie bâton de ma jeunesse
 sois ma compagne de survie


562)

 Le Soleil photographique
 ajoute un goût neuf
 au blé qui mûrit


563)

 L'arbre imaginaire vient caresser
 les seins de la nouvelle année


564)

 Sur l'écran des rideaux
 l'ombre apporte sa chevelure
 au théâtre des impressions


565)

 Interdiction périmée
 servant d'auréole
 à la pellicule du vent


566)

 L'herbe sur la tête rocheuse
 accueille les derniers rayons
 d'un ciel condamné


567)

 Fissure saignant rose
 sur le registre du faubourg


568)

 Juste le tremblement d'une branche
 pour saluer les départs inquiets


569)

 Dialogue entre le phare et la croix
 messagers de très vieux naufrages


570)

 Théâtre du dernier recours
 au tribunal de la tempête


571)

 Le feuille cétacée respire
 à la surface de l'océan rouge


572)

 Le cheval a perdu la tête
 en dévorant les géraniums


573)

 La signature du passage
 entre les yeux éclaboussés


574)

 La feuille du vide
 plus lumineuse encore
 que celle du plein


575)

 La feuille apportée par le vent
 gravit les échelons de la hiérarchie douteuse


576)

 Contorsions vaines
 devant la gueule du loup


577)

 Les paupières du lampadaire
 s'entrouvrent sur la permanence
 d'un enseignement brumeux


578)

 Frondaison d'incendie
 après le passage du cyclone


579)

 Pénétration de l'indigo
 par le vert caché sous le blanc


580)

 Océan de germination
 battu par le pollen des arbres


581)

 Pancarte pour les revendications
 les plus difficiles à formuler


582)

 À fleur d'enseigne
 l'exil des cerisiers lointains


583)

 Nimbé de rouille liquide
 le trottoir des occasions perdues


584)

 L'électricité a trouvé l'issue
 hors du transformateur où on la confinait


585)

 Le train prévu n'arrivera
 qu'avec un retard d'une année


586)

 Perché sur la frontière entre deux cuves
 il cherche quel visa
 pourrait le rapatrier


587)

 Autour de la cicatrice désirable
 les ondes blondes
 amplifient le message


588)

 L'antenne dressée contrôle
 l'inondation du rayon vert


589)

 Jailli de la tignasse de la tôle ondulée
 un épi fleurit en rectangles
 pour accueillir l'oiseau prophète


 590)

 La sphère de noeuds végétaux
 serre les doigts autour du câble de sécurité


591)

 Le miel respiré par les ours
 charme l'hibernation de la croix


592)

 Monument inutile à l'oubli
 qui se gausse de nos inscriptions


593)

 Le Soleil d'osier
 se lève sur un ciel de plâtre


594)

 L'ombre de la main
 dérange l'astronomie de la resserre


595)

 La chaise attend le prisonnier
 que la fille du gardien
 a mené prendre un peu l'air


596)

 Une ombre supplémentaire
 réorganise le coin de la rue


597)

 Une croix gauchie
 dénonce le minuscule soupirail


598)

 Un idéogramme de vieilles planches
 intervient en plein milieu
 d'une ligne de poteaux


599)

 Sur la pelouse de toile
 clous et cailloux retiennent les câbles


600)

 Des lianes de rumination
 s'enroulent autour de la fleur fanée
 
601)
 Des potences soutiennent les filets
 qui permettent aux joueurs
 de poursuivre leurs combats


602)

 Je fais sécher sur la fournaise
 mon arrière insulté par l'averse


603)

 C'est le nombre des victimes de l'inondation
 dans une grande ville australienne


604)

 Un trait de plume entre deux dalles
 permet à la jeune forêt
 de partir en expédition


605)

 L'apparition d'une étoile entre les rameaux
 provoque une démangeaison dans la blancheur


606)

 Sur le minium triomphant
 offrande d'une pincée de tourbe
 au lait qui tombe des nuages


607)

 Le pouce d'écorce
 maintient farouchement
 le feuillet d'ocre


608)

 Un coup de poignard sur l'asphalte
 d'où gicle la blancheur du plâtre


609)

 L'averse finie
 les envahisseurs ont abandonné
 le parapluie sylvestre
 que leur contact a calciné


610)

 Avec son béret de fonte
 le pilier veut escalader
 le phare pour rivaliser
 d'envol avec l'oiseau


611)

 Étalant sa rouille superbe
 le réservoir inutile
 résonne au moindre attouchement
 des graminées ou des branchages


612)

 La main sombre
 cherche à capter
 les ombres luisants
 dans la feuille immense


613)

 Dans l'aisselle de la route
 le champignon ligneux
 secoue sa chevelure ébouriffée


614)

 Migration d'algues et de mousses
 par-delà le chevron baveux


615)

 L'ancien moulin mire sa solitude
 dans la flaque laissée par l'orage


616)

 À l'intérieur de la cuve cuivrée
 l'échelle dresse son chapeau
 pour aider à l'évasion de l'éclair


617)

 À l'abri derrière ses palissades
 le jeune pêcher attend le moment
 où l'on délivrera sa croissance


618)

 Drapeau simplifié
 rayant l'écoulement du goudron
 devant la plage déserte


619)

 Il n'y a pas si longtemps
 qu'on te chatouillait le ventre
 pour t'entendre ronronner


620)

 Deux traits d'encre
 pour signifier au vent
 de changer de cap


621)

 La loupe vient chercher
 sur la page d'un vieux journal
 l'indice indubitable


622)

 Le corbeau de chair
 propose à celui de planches
 une partie de chasse entre les nuages


623)

 Deux pancartes disaient autrefois
 jusqu'où menait ce haut chemin


624)

 Les perforations de la pellicule
 font lever les traces de blancheur
 pour l'examen des spécialistes


625)

 Deux oursons égarés
 dans les plaisirs de la cascade capillaire


626)

 Des allusions à toute vitesse
 sur le rivage de vanille


627)

 Le bec du merle blanc
 hors des sacs du rebut


628)

 Le long du béton rose
 une plate-bande de tuiles pilées
 permet une montée en graines


629)

 Le pêcheur à la ligne
 a confondu les dalles de granit
 avec les galets au fond du torrent


630)

 La feuille cétacée explore
 un échantillon de banquise rouge


631)

 Les trois Grâces de la pinède
 utilisent le fil électrique
 comme barre d'appui


632)

 Le goudron captivé
 se rassemble devant les affiches


633)

 Horizontales et verticales
 échangent leurs sèves et leurs creux


634)

 Une piste d'atterrissage
 creusée soudain au milieu du champ de maïs
 pour faciliter l'accès aux villes émergées


635)

 La voie de chemin de fer
 s'enfonce entre les récifs
 pour gagner la gare des sirènes


636)

 L'arbre du soir
 met son masque demi-transparent
 pour examiner les requêtes


637)

 Une traînée sanglante
 a coupé court
 aux efforts des secouristes


638)

 Cheval à quatre dimensions
 qui poursuit son galop
 à travers planches et murs


639)

 Au pied du mur
 le dessin de l'ampoule électrique
 apporte un peu d'obscurité


640)

 Venez vous qui avez perdu toutes vos jambes
 courir au royaume de la rouille
 dont mes bras vous ouvrent les stades


641)

 Dans le miroir du hublot
 le globe de la tête obscure
 cherche à éclairer son propos


642)

 Sur la portée du grillage
 le geste du chef d'orchestre
 réveille l'improvisation


643)

 Dans les remous de la moisson perdue
 le vieil arpenteur a cloué ses repères


644)

 Une écaille fantasque de vide
 interrompt la monotonie du convoi


645)

 Le sorcier convoque la crème du beau monde
 d'un mouvement de sa baguette


646)

 Au carnaval du quai des brumes
 toutes les maisons se déguisent


647)

 Le papillon félin
 règle la circulation
 sur les voies ferrées et liquides


648)

 Évanescente main
 pour apporter un déluge de pétales
 entre mer et mousse


649)

 Le coin de paysage
 s'enfonce dans l'ardoise
 en éclaboussant l'entrepôt vide


650)

 À travers le grillage de l'automobile
 un rameau de bouleau cherche le conducteur disparu


651)

 La jument de nuages
 va bientôt se délivrer
 de son poulain de grêle


652)

 Paroi pommelée du ciel
 au-dessus d'un étang d'anis


653)

 Poisson des  profondeurs
 j'aspire une bouffée de surface


654)

 Dans l'infirmerie du faubourg
 coups et blessures
 tuiles et pylônes
 lampes et bandages


655)

 C'est un pétale mais c'est un coquillage
 qui propose de nouvelles nuances
 à l'échafaudage indécis


656)

 Une vague d'indignation rose
 déferle sur les chaumes et les bois

 
 
 
 
 
 

                                                                       Sommaire n°37 :

                                                                           EN ÉCOUTANT LE PAYSAGE
 
 

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