Poésie au jour le jour 37
(enregistré en octobre 2014)
EN
ÉCOUTANT LE PAYSAGE
(l’or de l’hiver)
1)
La pince du crustacé sylvestre
se déploie délicatement
pour cerner le signal rouge
avant-coureur d’extra-terrestres
2)Entre mes doigts
les brindilles du soleil
pour mesurer leur élasticité
3)Un coup de peinture
pour marquer l’arbre condamné
qui sera pétri afin de produire
le papier même de cet ouvrage
4)Pour équilibrer
les vapeurs de l’usine
voici quelques strates
d’écriture brumeuse
5)Messages des herbes
graines de signaux
vibration des sèves
épis d’étincelles
6)Le Soleil ou la Lune franchissant
sur son navire de nuées
la herse du pré des oracles
7)Le roitelet
un instant pris au piège
négocie sa libération
8)Horizons jumeaux conversant
grâce à une liane lasso
qui capte les murmures du soir
9)Des bouquets de flammes sombres
s’échappant du bûcher d'une sorcière
dont les cris
blessent éternellement l’horizon
10)Sur le clavier de la pyramide
les doigts des menhirs
déclarent leurs appoggiatures
tandis que les arbres fantômes
ouvrent les bras de soulagement
11)Venue d’où de quelle année
pour avoir cette frange
par quel véhicule jusqu’à
cette région dévastée par les flammes
où tu recherches quelques indices ?
12)Lâcher de ballons chacun
lesté d’une missive végétale
pour perpétuer la famille
la tribu la langue l’espèce
de l’autre côté des dévastations
13)Par la lucarne de la pellicule
sous la baguette en fer du chef
un neume de fumées s’accroche
aux portées des faubourgs
14)Sur le gong de la citerne
retentit l’appel de la rouille
Soleil de la désolation
15)Le charbon fond
sous l’éclat de la rosée
la gueule du dragon
vient baiser la victime
16)Empalée sur la carcasse
d’un vieux parasol une image
apporte le sourire
de son balbutiement
17)Sur la délicatesse des fissures
les feuilles et les touffes
brodent leur nostalgie
18)Dans le rétroviseur d’une épave
le fantôme du jeune Marcel Duchamp
retrouve sa désinvolture
19)À travers le sténopé
de cette hache optique
le paysage se renverse
entre les mains le caressant
20)Un peu de neige
pour révéler les empreintes
de cette banlieue accusée
qui proclame son innocence
21)Un signe pour les complices
qui guettent de l’autre côté des champs
dans la forêt des pylônes et des fumées
22)Le corbeau se transforme en colombe
à sa sortie de l’arche pour saluer
l’imminence du printemps
23)Splendide virage
des quatre roues en orbite
autour du Soleil de neige
épinglé comme un papillon
24)Au joyau du Soleil en perdition
répondent les signaux de fumée blanche
pour avertir d’autres tribus
des dangers courus par le monde
25)Revolver antédiluvien
saluant d’une salve douce
sur l’enceinte des crânes
l’esprit des lichens en migration
26)La double corne d’abondance
déverse à travers les sillons
depuis l’horizon jusqu’à l’ombre
les découvertes de ses glanes
27)Halte à l’arbre épineux qui doit
s’enraciner parmi les ronces
pour équilibrer le triangle
signal d’un bref apaisement
28)La bordure avec ses quelques charbons
s’illumine pour souligner
l’arbre solitaire jaillissant
d’une lisière d’ombre
29)L’ombre de qui
sur le clapotement de la glèbe ?
l’ombre de celui
dont le photographe n’est que l’ombre
30)L’anneau de caoutchouc pour les noces
du photographe nomade
et du paysage changeant
31)À travers le hublot
du sous-marin terrestre
les algues des champs
caressent la surface des nuages
32)Un horizon artificiel se découpe
en dragon d’écorce rugissant
parmi les nuages chevaliers
33)Les vagues ligneuses
envahissent l’orée du ciel
une marée noire
prête à brûler
pour la Saint-Jean
34)Un arc de triomphe de chair obscure
pour encadrer l’arrivée d’un vaisseau vaporeux
dans le port des broussailles
35)Est-ce une belette ou un lézard
une vague ou une dune
un bosquet de fils barbelés
ou un faisceau de ronces dormantes
le matin ou le soir
hier ou demain
36)La rouille et la brique
tressent leurs rainures
entre les triangles d’outremer
semés d’îlots incertains
37)L’ange ou la victoire des ténèbres
proue du vaisseau nocturne qui s’avance
parmi les récifs lumineux
38)Le nuage s’est enraciné dans la pente
pour tenir tête au vent
qui décorne le soir
39)Le diapason des nuages
donne sa note aux vents
le vent du diapason
donne aux notes ses nuages
40)Je m’étais trompé de chemin
excusez mon intrusion
j’espère vous revoir un jour
41)Abandonné
comme seul un dieu peut l’être
au cimetière des religions
42)La bouche ligneuse
marque de son haleine
la vitre du ciel
43)Le méditatif
feuillette sa propre existence
devant le chaotique
mur des siècles
44)S’effondrer
sur les pétales du sommeil
45)Hésitant longuement
avant de frapper
sur le rouge
46)À la limite du plateau
le cerf-volant déchiqueté
suppute ses chances
47)Sous les palmes tristes
les barques se réfugient
dans le flou
48)Entre deux travées
de marais salants
la distribution électrique
s’avoue vaincue
49)Les draps de la neige
s’aèrent sur les labours
50)La détresse des marins
a noirci le clocher
51)À la frontière
entre deux douceurs
les mouettes attendent
la marée
52)Les ongles du tamaris
grattent la peau de la houle
53)Un éclaircissement
au milieu des menaces
les étudiants de l’herbe
pourront poursuivre
leur manifestation
54)Faux
déclare la frêle barricade
nous ne nous laisserons
plus prendre à vos poupées
55)À la recherche du pied idéal
pour la promotion du poème
56)Il suffit que vous m’attendiez
encore quelque peu
pour que je réussisse
à partir avec vous
57)C’est en agitant les rameaux
que nous préparons
la résurrection
58)Les traces des oiseaux
sur le sable
se sont solidifiées
en étoiles de fer
59)Quelle Vénus
est en train de naître
de cette écume ?
60)Pour isoler une suite de pas
à l’intérieur de cette multitude
il me faut le peigne des mâts
61)Encore une hésitation
dans le soleil du matin
62)Le gros dos de la digue
fait frissonner
ses démangeaisons
63)Dans le naufrage de la verrière
la reine des neiges
sauve son image
64)Dans le hublot d’écorce
elle perd son haleine
65)Perturbation rousse
rasant les repères
perturbation noire
évaluant les runes
66)Le cheval retraité du cirque
évoque ses anciens triomphes
67)Le jus de l’aurore teint
la hampe de la rébellion paysanne
68)Tirée de son révélateur
l’épreuve de sa nudité
69)La forêt fantôme s’est rassemblée
pour s’opposer à tout franchissement
70)Un méandre d’azur
sur la stèle du bois sacré
71)Les arbres saluent leurs mirages
dans la brume de février
72)Chaque bulbe allonge ses doigts
dans ses gants de jardinerie
pour inscrire son temps d’exil
73)Derrière le réseau métallique
le scrutateur compte les voix
74)Rivalisant avec les branches
l’araignée industrielle
déploie sa nostalgie
75)Une ceinture de cheveux
fait ressortir le sein de l’arbre
76)Dans l’oculus du terrain vague
le jardin de mousses
arbore son arche
77)Sauras-tu m’ouvrir
ta propre fenêtre
clef que j’avais perdue
depuis l’éternité ?
78)Dans la catastrophe des rameaux d’or
le héraut de la tourbe
appelle les sibylles
79)Aucune peinture ne résistera
au diamant de ce poing
80)Ruissellement de baumes
sur la peau du serpent
qui traverse le ciel
81)Point de rencontre des intermittences
foyer de variabilité
82)La mer a déposé ses ténèbres
au pied des illusions de la géométrie
83)Sur le plateau de sa grille urbaine
l’arbre Jean-Baptiste
s’offre cou tranché
84)Obole de Lune
voguant sur le Styx végétal
85)La fissure philosophale
dans le tronc des aumônes
86)La pomme du vide
refuge des serpents retraités
87)Dans l’ogive de la vanille
la main floue du chocolatier
propose son détonateur
88)Un paraphe de gaz rares
sur le miroir du plafond dépoli
89)Au pays des statues
l’apparition du rose
amène un changement
de constitution
90)Dans sa prison de métal vert
le tronc affiche
les doléances de ses feuilles
91)Pour rouvrir le chemin du Soleil
la Parque propose ses ciseaux
afin de couper le négatif en deux
92)Dans sa barque funéraire
le pharaon s’identifie
au disque lumineux son père
93)L’homme invisible sourit
sous son chapeau d’été
94)Les broussailles des nuages
cherchent les éclaircies de l’herbe
pour atterrir de toutes leurs gouttes
95)Dans les remous du marécage
le flamand rose se rêve
long courrier de plastique et de tôle
96)Les racines arrachées de la souche
proclament leur opposition
à tout pacte ou compromis
avec les bûcherons de l’orage
97)De branche en branche l’ombre grimpe
jusqu’à son belvédère de nuit
98)La libellule prend la vitre
pour la surface d’un étang vertical
99)L’île d’une écaille de peinture
découpe ses côtes
sur les stries d’un océan de sève
100)Le pouce essaie de rattraper
le caillou perdu
dans son flot de sang
101)
Au changement de règne
le scarabée cherche sa place
parmi les ustensiles culinaires
102)Les souliers fleurissent
devant le soupirail
du vestiaire englouti
103)Les fleurs de l’an passé
retrouvant leur balancement
éveillent les souvenirs
emmagasinés dans la vitre
104)On range l’archipel portable
avant la prochaine expédition
dans les dallages du grand large
105)Sur l’anneau écorcé
du tronc d’un cerisier
la feuille d’un châtaignier
vient apporter son baume
106)La lettre E s’est accrochée
aux branches pour suggérer
aux promeneurs de l’âge du bronze
l’invention de l’alphabet
107)Miniaturisées les îles
prennent appui sur la fenêtre
pour s’envoler parmi les nuages
108)La turquoise est passée
l’été indien s’installe
au milieu de l’hiver
109)Quel rameau d’ombre
faudra-t-il pour sauver
mon sauveur évanoui ?
110)Offrande au vent dévastateur
les icônes odorantes
d’arbres renversés
111)Une mer de nuages au crépuscule
` par-delà les fauteuils d’orchestre
112)Pousser une écaille
du temps passé
jusqu’à ce qu’elle illumine
l’Histoire
113)Je ne sais plus de quel côté
je tombe en m’accrochant au tronc
d’un arbre déraciné
par la trombe
114)Je ne suis plus qu’une main
pour proposer au passant
ce qui n’est plus
qu’une énigme
115)Juste une île
détachée du ciel
pour que respire
le crépuscule
116)Le bleu des espérances bafouées
rejoint celui
des déceptions heureuses
117)Quelques auréoles
de saints innocents
en vadrouille dans le cimetière
des améliorations techniques
118)L’améthyste déchire le rivage
pour marier les points cardinaux
119)Dans la nuit creusée de nombrils
l’espoir d’une vie
d’ébats créateurs
120)Un rideau d’aigues-marines
se lève sur le génie du fleuve
121)L’esquisse du Concorde
tombe à pic
sous la tôle ondulée
du changement de conjoncture
122)L’ombre des doigts
précise l’épaisseur
du vampire martien
123)L’alcool des entrailles terreuses
s’enflamme au contact du regard
124)Perdue dans le blizzard des vicissitudes
l’image se découvre une pérennité
125)Bec d’onyx sur un cou d’acajou
dès que la main s’ouvrira les ailes d’or
battront la fugue et la fanfare
126)Un regard surnage sur les vagues de l’encre
tandis que le signal d’alarme
passe au suraigu
127)Le volet qui vient de se fermer
sur la forêt noire
se transforme en miroir de l’hiver
128)Lézardes ou racines
emmenez-moi dans votre arpentage
de planète extragalactique
129)Une palme oubliée
se transforme en oiseau de cendres
130)Rampe de lancement
hâtivement bricolée
par des astronautes en détresse
131)Au bord de l’autoroute
le bouillon blanc monté en graines
rappelle l’impermanence de toutes choses
132)La végétation vient chatouiller la chevelure
dont l’image flotte sur les brumes
133)L’un après l’autre
les lambeaux d’écorce se détachent
pour manifester leur désapprobation
134)Le fil de fer s’est imaginé
chevreuil transparent
135)Seule une épine subsiste
au milieu des blocs
du temps pétrifié
136)Le lasso d’arrosage
est immobilisé dans la neige
par l’aiguille des heures
137)Méfiant
le requin artificiel
ouvre sa mâchoire
de caoutchouc
138)Comme sur un gâteau d’anniversaire
la crème de la neige
enserre le pneu
139)Le noeud de l’hiver
sombre parmi
les souvenirs d’enfance
140)Un filet de cristal
entre des fesses
rongées de lichens
141)Un nouveau regard
à travers le texte évidé
142)Conciliabule des parpaings
réconciliés avec la Nature
143)Le poteau saigne noir
sur les ténèbres blanches
144)L’aiguillage s’est trompé d’adresse
il sera dévoré
par les démons de l’herbe
145)Chiffre impitoyable
quelle date essaies-tu
de nous rappeler ?
146)Le jade qui se faufile
entre les protubérances
se met à rosir
en reconnaissant
un frère perdu
147)Je tombe des nues
ou plutôt
ce sont les nues
qui tombent sur moi
148)La manifestation des balafres
entraîne la foule de la rouille
149)Trèfle en formation
sur un champ de Mars
150)Le timbre grenat estampille
la missive du Moyen Âge
151)Sous le champignon
de tôle un Chinois
rêve qu’il est papillon
152)Lasse de rivaliser avec l’arbre
la spirale décide
de l’accompagner
153)Dialogue des silhouettes
répondant à l’appel
du bris des glaces
154)Enfant de braise
examinant son ardoise
incandescente
155)Une île qui se réveille
de l’autre côté de la rive
156)En attendant que la graine germe
au creux des jambes de métal
157)Que de soirées j’ai chevauché
sur les rayures de ce désert cotonneux
avec ses ravines et galets
cherchant l’oasis ou la vision !
158)Embarcation de papier sur le fleuve d’herbe
pour le transport des pousses rares
et des mots de passe
159)Le cheval de l’enfance oubliée
s’est cabré si brusquement
dans son élan qu’il a traversé
les bords de l’image
mais en partie seulement
un revers de lui-même
attend sa réintégration
160)Suspendu de toute sa tignasse laineuse
au bord de la falaise de verre gelé
le sac de survie
perd sa contenance
161)Une date à ne pas mettre
entre toutes les mains
une éclipse certes prévue
mais qui se déroule tout autrement
à quelle hégire peut renvoyer
cette commémoration ?
162)Le blanc que l’on croyait celui du ciel
est en réalité celui
d’une paroi métallique
dont on a bien la clef monumentale
mais dont on ne peut plus
retrouver la serrure
163)Le sorcière a hissé son chapeau
sur le manche de son balai
pour avertir que les voies du sabbat
sont en travaux
164)Miroir piqué d’éclaboussures
où les branches lavent leurs blessures
dans le baume du flou
165)Le bouillon blanc monté en graines
cherche à prendre au piège l’âme soeur
sur une voie de garage
depuis longtemps inutilisée
166)La main cagoulée brandit
la fleur d’amiante pour annoncer
les épidémies prochaines
167)Le bouleau d’hiver inscrit
sur le territoire du château d’eau
mirador l’espérance
de souterrains nouveaux
168)Réceptacle de peinture séchée
que perce le furet
aux griffes de rouille
169)Une pépinière de sueurs
à l’assaut de l’issue
de secours céleste
170)Après avoir vissé sa tuyauterie
sur le terrain vague
le cyclope moderne
ferme sa paupière unique
en rêvant de stéréoscopie
171)Quelle éclosion chaleureuse attends-tu
dans le glacis de ton papier
fille à l’ombre des ronces
pour la disséminer d’un geste ?
172)Goutte d’ombre d’où viendra la lumière
lampadaire juché sur son pistil de nuit
173)À quoi vais-je pouvoir reconnaître
mon correspondant à l’intérieur
du territoire hostile
si le cygne s’est endormi ?
174)Colloque des limaces
sur le cadavre de la neige
175)Immatriculation
sur un ciel de rechange
où la prophétesse
règle la circulation
des croix
176)Salle de bains de boue
dans le souvenir d’une avant-guerre
où l’eau ruisselait
parmi les savons et parfums
177)L’une après l’autre
ou l’une dans l’autre
la succession des nuits d’aveux
178)Tapis de bulles d’ombre
où se dissolvent les nageuses
effervescentes
179)Sur le papier sépia qui se déroule
au bord d’un balcon parisien
une main désigne un épi
de bouillon blanc monté en graines
à une autre main
sur un autre papier sépia
qui lui désigne le même épi
180)Dans l’arc du tuyau
l’arc du jeune homme
dont la main vient d’atteindre
l’anneau qui va faire que tout
va brusquement se dresser
181)Ronce dit l’inscription
sur la photographie fêlée
avec la date de l’an passé
non seulement laine épineuse
dont les enfants dégustent
les fruits noirs mais station
balnéaire en pays d’huîtres
182)Pas un château de sable
mais un chapeau saupoudré
de sable parmi les atterrissages
de graines d’érable sur le sable
il suffirait sans doute de le coiffer
pour devenir invisible
183)Avec mes phrases je voudrais
reconstruire le toit de verre
de la serre abandonnée
depuis près d’un siècle
mais elles ne protégeront
les jeunes pousses ni
de la neige ni du vent
184)Dès le début de cette aventure
interminable
la rouille lumineuse
a commencé son travail de sape
185)Coeur échancré dans la solitude
de la chambre jaune la feuille
répond sa persistance
à tous les discours d’abandon
186)Cette voie devait avoir
une issue jadis mais
les bouleversements de la politique
et de l’économie
l’ont condamnée à n’être plus
qu’une métaphore de notre combat
inapaisable
187)La lèpre monte à l’assaut
des trois meurtrières qui
se sont fermées à son approche
sous les horizontales
de la communication interrompue
188)Le fagot atteint à peine la ligne d’arrivée
que le contact est mis
le ciel devient vert
et le sifflement des sirènes démarre
189)Une anthologie de blocs et de branches
comme les ruines d’une cité disparue
autour de la fonte du reliquat
des neiges qui l’ensevelissaient
190)Pylône pour l’entrée
du domaine du dépassement
et du croisement avec
des hurlements qui dépassent
en intensité furieuse
tout ce que nous proposait
l’ancien enfer
191)À la peau d’un individu
de quel sexe collait
cette doublure avec ses manches
en trompes d’éléphants
et le ruissellement du bleu
sur l’abdomen énorme
192)Sur le gris-bleu de cette plage
un fragment de filet raconte
ses difficultés car il est loin
le temps du quadrillage heureux
les triangles se sont immiscés
pour cicatriser les blessures
193)Oeufs de Pâques pétrifiés
sur le mur d’enceinte
que la corrosion
détruit peu à peu
les cloches qui les ont amenés
sont pétrifiées elles aussi
dans un ciel pétrifié
194)Le mot Soleil au soleil
mais barré par l’ombre d’un arbre
que l’on imagine semblable
à celui dont on voit le tronc
195)On croirait une araignée sur sa toile
mais c’est la dernière feuille
d’une plante d’intérieur
devant l’étoilement d’une vitre
196)Que s’est-il passé ? giclures
de sang sur la vitre
mais elle est restée intacte
dans l’anonymat de sa banlieue blême
197)L’or d’une serrure
dans une atmosphère de cuir
les échansons versent l’hydromel
dans les hanaps des invités invisibles
198)Une éclaboussure sur le ciel opaque
la tombée de la pluie s’est immobilisée
pour charmer les bourgeons
199)L’argenture des nuages
sur la délicate sinuosité des rameaux
nous assure que le printemps
se cache à peine
200)Du sommet de la pyramide intriquée
part une flamme ligneuse
qui veut accrocher
la laine des nuages
201)
La fleur postale guette
la main du messager
pour lui remettre les fruits de l’étude
et les caresses de la communication
202)Des ruisseaux de rouille tombent des clous
dans le dièdre des lactescences
où se développe l’arbre des ombres
203)Rideau d’intempéries saluant
le bourgeonnement des rameaux
tandis que les gouttières
déversent leurs récoltes
par les chenaux
204)Le fossile d’une pellicule
cinématographique tend
sa tête enroulée pour picorer
les épines des faubourgs
205)Le génie de la forêt
s’est confectionné un masque
pour recevoir dignement
son confrère des nuages
206)La fleur cubique du rubis postal
s’appuie sur la crasse des faubourgs
pour se dégager de sa prison de vitres
207)Égarée dans les prés
la souris de l’ordinateur
se dresse sur son cordon
pour devenir une appoggiature
dans la portée des téléphones
208)La plume du corbeau s’abreuve
à l’encrier du wagon décrépit
pour rédiger ses souvenirs
de voyages pourchassés
209)Au lavabo de la misère
l’aumône d’une poignée de limon
agrémentée de quelques planches
pour qu’une liane venue
du fond de la vidange vienne
y faire prospérer ses grappes
210)Cailloux énormes pour interdire
toute circulation sur la route abandonnée
qui menait à la station-service
du temps qu’il y avait encore du pétrole
211)Essayant de se protéger contre le vent de feu
qui érode la barrière d’anciennes laves
il se remémore les délices de l’hiver
212)En bouclant sa ceinture
la barrière a réconcilié
toutes les échardes qui s’étaient
si violemment entre-déchirées
lors de la rupture
213)Le rouleau d’écorce
dévoile un texte antérieur
fait de fissures accablantes
et de grumeaux d’espoir
214)Une missive pour avertir la mésange
que les ornithologues s’efforcent
de la capturer pour la doter
d’un bracelet électronique
215)Entre la sinuosité du store
et la barre de la rambarde
le cône des branches
penche vers l’émeraude
de quelque aurore boréale
216)Le blanc des nuages
grignote les branches
qui recouvrent leur intégrité
sur le bleu du ciel
217)Il a beau essayer de décoincer
le sas étroit de son blockhaus
l’humidité gagne et les toiles
des araignées marines se rapprochent
la végétation change d’élément
218)Les flammes de sable
lui ont brûlé les yeux
le réchauffement de la planète
ne fait plus maintenant aucun doute
il faudra voir de toute sa peau
219)À travers la vitre du train on aperçoit
les efforts du vieux quai trempé
vers une géométrie plus précise
220)Je ne sais de quel côté te prendre
rideau de lumière blanche
qui chamboule le jaune
jusqu’à le rendre noir
221)Un couteau mauve
descend au ventre des ténèbres
à l’intérieur duquel s’ouvre
une lucarne de possibilités inattendues
222)Les irrésolutions des rameaux
s’inscrivent en orbes sur le mur
de la remise dont le bleu rayé
en appelle à celui du ciel
223)La bordure nacrée du nuage
suggère que le soir approche
tandis que les branches d’hiver
s’efforcent d’imiter ses courbures
224)Les quelques fruits qui demeurent
après les diverses rafales
s’apprêtent à se déchirer
pour libérer enfin leurs graines
225)L’écharpe de nuages indique
le rang éminent de ce dignitaire
dans la communauté sylvestre
c’est la toile des racines qui permet
les délibérations de leur conseil
226)Pour conquérir Paris
l'arbitre des élégances forestières
a décidé d'utiliser les réserves
d'un magasin de tapissier
227)Pour impressionner la délégation
d'un boulevard voisin
le président de l'avenue
a décidé de déployer
les ors de la république
228)Pour participer au championnat
de cuisine sylvestre
Peau d'Âne s'est osée à ceindre
sont tablier couleur de Soleil
229)Toujours aussi distrait
le saint des korrigans
a laissé tomber son auréole
sur un galet
230)Bravo pour le bouquet d'encre !
en essayant de le laver
on provoquera des coulures exquises
231)En plein milieu de la ville bombardée
c'est l'ancienne frontière
entre les deux états
232)Dans ce fauteuil d'angle parachuté
douillettement nichés dans la peluche
se réuniront les comités miniature
pour le nettoyage et la prospective
233)C'est le nid du nouvel oiseau roc
aux ailes de caoutchouc galvanisé
qui nourrit ses petits
avec les fuites des avions
234)La flaque sur l'étoile
a dédoublé le piéton des nuages
pour le rendre invisible
235)La peinture de la rambarde
a décidé de passer à sa complémentaire
pour accueillir les embruns
du siècle nouveau
236)Tout autour du tronc transparent
Soleil de la forêt profonde
les branches essaient maladroitement
de figurer les constellations
237)La pierre blanche ouvre une oreille
pour écouter les doléances
du chat tigré de nacre et de nuit
238)Sur le ciel qui s'écaille
préparant des averses de peinture sèche
la foudre avant de rejoindre la terre
tournoie en s'obscurcissant
239)L'enchanteur a laissé tomber
son chapeau qui servira d'indice
aux sorciers qui le traquent
240)Quelques rameaux d'olivier
ne suffiront pas à sauver cette plaque
de la destruction prochaine
340)Sur le tableau métallique
le maître d'école buissonnière
a tracé la leçon du soir
241)Les anciens enclos publicitaires
sur le plexiglas deviennent
des enregistreurs de rayons cosmiques
242)La grille des carreaux
tente d'imposer sa mesure
à la calligraphie de la décrépitude
243)Le flash a tenté de surprendre
le colloque des fantômes
mais ils ont été plus rapides
244)Ne prononcez qu'à bon escient
le nombre magique la lumière
pourrait virer du tout au tout
245)Dans la salle d'exposition
vide de visiteurs
les oeuvres de l'artiste sylvestre
semblent appeler du renfort
246)Sanglants butoirs
tout prêts à sauter
à l'arrivée des assaillants
247)Par un magnétisme négatif
le poteau a chassé les graviers
248)Dans le bain photographique
elle émerge peu à peu
de sa timidité
249)Rampe de lancement
pour l'astre de la décrépitude
car il y a des mondes
plus séniles que le nôtre
250)Le cylindre a explosé
sans un son
l'artificier frustré
s'est cloîtré dans un monastère
251)Au fil d'une après-midi d'hiver
les pérégrinations d'un amateur d'épaves
252)Redoublez d'attention
en tournant vers la droite
le licenciement économique
vous guette
253)C'est un camp de concentration
de la misère avant le retour
au pays d'esclavage
254)Le bâtiment s'enfonce
lentement dans le marécage
on espère que ses occupants
ont pu le quitter à temps
255)Les murs de l'ancienne prison
n'entourent plus désormais
qu'un trou noir
256)Sur la terrasse des illusions
le canapé peut encore servir
à rêver que la situation
se rétablira
257)Le numéro tant recherché
a disparu c'était la clef
du coffre-fort où le président
avait enfermé ses pépites
258)C'était un garde-manger
mais les rongeurs de grillage
ont dévoré ses parois
259)Potences pour pendre
les opposants au régime
caricaturistes chansonniers
ou photographes
260)Le semeur disperse
ses graines de rouille
sur les sillons
de la tôle fertile
261)En route pour le prochain dépôt de bilan
toutes les articulations se sont grippées
262)Un ancien moulin à café pour les ogres
secoue ses articulations au printemps
263)Le cône de béton
concentre son vide au milieu
de la profusion des brindilles
264)La perspective n'est pas brillante
mais tout vaut mieux
que se laisser pourrir ici
265)La lettre volée
retourne à son point d'attache
après s'être engraissée
aux portes dérobées
266)Canapé sans domicile fixe
j'essaie d'accorder mon vert
aux plantes les plus proches
267)L'inspecteur des chiffres
en voie de disparition
a eu la chance de capter celui-ci
juste à temps
268)Après une lente montée à genoux
on arrive au moulin à prières
qui vous emporte dans le vertige
du temps passé
269)Au beau milieu du chemin périlleux
un périscope permet aux persécuteurs
d'examiner l'état de leurs victimes
270)Le cratère de la forêt
accumule ses cristaux de sève
271)La tête enfoncée dans son heaume
il s'efforce de soulever
la colonne d'écroulement
272)Le cactus métallique jaune
constellé d'épines de rouille
répand ses cheveux
comme une Madeleine
273)L'homme invisible vient d'enlever
la fiancée de Wilhelm Storitz
274)Dans la vitrine de plexiglas
un échantillon de l'espèce humaine
275)Animal végétal ou minéral ?
naturel industriel ou artistique ?
le serpent rose invente une lettre
pour un alphabet de miroirs
276)On dirait un extincteur mais au contraire
ce doit être une bonbonne
de gaz explosif oubliée là
par des anarchistes d'autrefois
277)A force d'obstinations et de ruses
on parviendra à franchir
tous les échelons administratifs
278)Le coquillage matelassé
s'enroule sur la grille de l'arbre
279)Conversation entre trois touffes d'herbe
passagères clandestines de la rue
en attendant qu'on leur accorde
la clef des champs
280)Le sang noir du bitume
recouvre larme à larme
les traces de pas sur le béton
281)Sous le rebord du petit mur
les taches de rouille se souviennent
d'un arrangement en losanges
282)Le sommier blessé
laisse échapper sa plaine de crin
qui se dispersera sur la ville de Paris
283)Le scooter fait les yeux doux
à la liane d'azur qui s'enlace
autour des bambous
284)Tout le courrier nécessaire
à l'éclosion des fleurs bleues
s'amasse en attendant
la régularisation des courants d'air
285)La cathédrale entrepose
ses fleurons usagés
dans un de ses recoins
en attenant leur remplacement
285)Au grand bal des écouvillons
les ampoules de cuivre
aiguisent leurs tranchants
286)On croirait qu'il s'agit d'une dune de sable
c'est en réalité la décharge de sciure
d'une usine à pâte à papier
qui se reflète dans la mare
287)Un peu de neige glacée
monte la garde sur la mousse
dans l'entrecroisement
des troncs abandonnés
288)Le pin solitaire attendant
d'être transformé en support
de publicité quotidienne
contemple le désastre de sa forêt
289)Quand on ouvre la porte
un canon braque sa gueule sur vous
et tire des fusées d'artifices mouillées
290)Les jeunes arbres applaudissent
le vieux signal qui veille
à la conservation des caténaires
depuis longtemps inutiles
291)L'imperturbable régularité du lierre
accroche ses ventouses
au crépi qu'elle recouvrira
292)Stèle abattue sur le parking
alors qu'elle implorait
la clémence des nuages
293)L'immeuble de la dent de scie
enfonce ses créneaux dans l'angle
entre les rues désertes
294)Sur la vitrine rouge
du restaurant hindou
les fenêtres blanches isolent
des reflets de branches
et de lampadaires
295)La première porte de l'enfer
se referme sur les orgueilleux
ils y apprendront l'admiration
296)La deuxième porte de l'enfer
se referme sur les avares
ils y apprendront l'audace
297)La troisième porte de l'enfer
se referme sur les luxurieux
ils y apprendront la tendresse
298)La quatrième porte de l'enfer
se referme sur les gourmands
ils y apprendront la mesure
299)Dans la nuit l'une des vitres soeurs
veille dans l'attente de la réforme
tandis que l'autre a fait fondre ses barreaux
dans sa fureur
300)Hublot du paquebot urbain
qui flotte sur la pollution
et refuse de sombrer
dans les illusions d'optique
301)
Les roses fanées
donnent à l'air qui sort de cette grille
une odeur fin de siècle
mais on ne sait lequel
302)Ne vous laissez pas prendre
à l'injonction si vous tiriez ici
le cercle deviendrait incandescent
303)Les vis ont beau essayer
de fixer l'ombre du plateau
elle organise sa fuite
dans le ruissellement de la peinture
304)Gratte-ciel imaginaire
dont la façade se délite
en lamelles de crépuscule
305)En fin de spectacle
sur la scène violette
le bleu du ciel fait descendre
le rideau de ses branches
306)Sur les arpèges de la main gauche
la droite escalade les sommets du clavier
307)La cinquième porte de l'enfer
se referme sur les paresseux
ils y apprendront l'obstination
308)La sixième porte de l'enfer309)
se renferme sur les envieux
ils y apprendront l'émulationLa septième porte de l'enfer
se referme sur les coléreux
ils y apprendront la patience
310)Le huitième porte de l'enfer
se referme sur les menteurs
ils y apprendront l'imagination
311)La neuvième porte de l'enfer
se referme sur les corrupteurs
ils y apprendront la pédagogie
312)La dixième porte de l'enfer
se referme sur les pollueurs
ils y apprendront l'art vétérinaire
313)La onzième porte de l'enfer
se referme sur les tricheurs
ils y apprendront l'art dramatique
314)La douzième porte de l'enfer
se referme sur les tortionnaires
ils y apprendront le raffinement
315)La treizième porte de l'enfer
se referme sur les indifférents
Ils y apprendront la curiosité
316)La quatorzième porte de l'enfer
se referme sur les tyrans
ils y apprendront la libération
317)C'est l'allée triomphale qui mène
jusqu'au dépôt de bilan
le lampadaire en prévision
s'effondre déjà
318)Ne pas se fier aux apparences
l'image de ce pistolet
a déjà brûlé ce papier
319)Le réservoir contient de quoi
traverser non seulement l'auvent
mais les nuages et même
les premières sphères célestes
320)Il faut bien attacher
le tronc métallique
car le mariage des mousses
et de la rouille pourrait
le rendre capable ou coupable
d'une escapade dévastatrice
321)La fleur chevaline court et piaffe
sur les pages de l'herbier de l'enceinte
derrière laquelle remuent
les frondaisons furieuses
322)Toute l'eau de l'étang aspirée
par ce chalumeau pour enfants d'ogres
il ne reste plus que des édredons
d'algues puantes
323)Le mur dépeigné demande
aux peupliers du bord de la route
comment se comporter
quand on perd son écorce
324)Au-dessus des aubépines
le train pneumatique
expédie brutalement ses passagers
jusqu'à la cour d'appel
325)Ce qu'on prendrait pour des fenêtres
sur la porte bouclée du hangar d'azur
ce sont des vitrines grillagées
où l'on exposait les listes
des recrues et exclus
326)Cerf à grandes cornes
estampé par le dernier passage
des derniers glaciers sur les murs
des maisons des voyageurs du temps
327)Deux lettres oubliées
dans l'alphabet des citernes
derrière des poteaux
qui semblent des fleurs
intimidées par leur voyage
depuis l'Australie
328)Bientôt les fleurs sauvages
escaladeront les vestiges
des marches solennelles
et les lianes tisseront
un manteau d'Arlequin
dans le portique du théâtre industriel
329)Dans cette tanière des vieillards
qui se sont abstenus de couper
leurs barbes depuis des années
diffusent grâce à des fantômes d'antennes
des émissions sur leur adolescence
330)Le contrôleur des abandons
cache la clef des ateliers
où toute activité humaine vient de cesser
dans cette boîte à double fond
331)Quand la porte s'ouvrira
dans un grincement de chaînes
le spectre du directeur
ne pourra s'empêcher d'abreuver
encore une fois de bonnes paroles
la foule des ouvriers licenciés
332)Non dit la planche jaune
sur la porte orange l'électricité
ne circulera plus jamais ici
que pour hâter la démolition
333)Les graminées à l'assaut des pylônes
transforment les câbles
en cordes de harpe
334)Logis d'exil pour un roitelet
chassé par une violente croissance
des arbres autour de son palais
335)Greffer un arbre mort
sur un arbre vivant
avec un territoire d'hier
sur celui d'aujourd'hui
336)L'écorce des années se déroule
pour accompagner la duplication du sol
et le triomphe des racines
337)Une autre forêt prend son essor
à mi-hauteur de la précédente
escaladant l'atmosphère
en montagnes pénétrables
338)Sur le quai de l'éclaircissement
les motrices récapitulent
les épisodes de leurs montages
dans les ateliers disparus
339)Incrusté dans le mur
le tableau des parpaings
capte les signaux de la pluie
340)Je ne puis y croire
dit l'arbre d'automne
à son confrère du printemps
le calendrier
serait-il tordu ?
341)Dans la boîte légère
suinte la résine du poteau
que les enfants du mécanicien
étaleront sur leurs crêpes de limaille
342)Le pylône essaie de se rapprocher
pour délivrer la princesse étincelle
enfermée par son arbre de père
dans un menu cachot
pour la soustraire à ses avances
343)La sauterelle géante hasarde un regard
au-dessus de la palissade on comprend
sa surprise c'est la première fois
qu'elle voit une étendue d'eau
344)Malgré toutes ses reprises la porte
est défoncée par le jeune arbre
les membres du conseil forestier
de l'autre côté de la clôture
applaudissent à son exploit
345)Le tronc sévère en a rêvé
pendant toute sa nuit d'arbre
que la reine Mab au retour
de quelque expédition fabuleuse
vienne s'étendre sur son divan
346)Le tronc a tellement attendu
que son écorce est devenue peinture
il a compris que la reine Mab
aurait besoin d'un peu de sol
pour y déposer ses souliers
347)L'amoureuse du chef-pêcheur englouti
revient tous les soirs vérifier
si quelque image de lui
ne demeure pas piégée dans l'étang
348)La passerelle est devenue dangereuse
la dérive d'une simple souche
suffirait à la faire sauter
349)Voyant arriver l'échéance annoncée
par l'assistante incomparable
le propriétaire de l'usine
au bois dormant a fait murer
toutes les entrées pour protéger
les employés somnambules
350)Le dispositif d'alarme
ne peut plus fonctionner
que par erreur muet
lors de tout danger réel
il se met à hurler
à l'approche d'une mouche
351)L'écran de la circulation
est attaqué par la lèpre des miroirs
toutes ses images
sont tordues dans l'espace
et décalées dans le temps
352)On ne peut pas savoir si la piscine
est vide ou pleine car cette eau
venue d'on ne sait où
n'a pas le même indice de réfraction
que celle dont nous avons l'habitude
353)Une automobile ou le fragment
d'un pilier de portail la végétation
a fait si soigneusement son travail
qu'on ne peut plus savoir
354)Le nuage a découpé si précisément le mur
qu'aucune poussière n'est venue ternir les herbes
par contre c'est maintenant toute la paroi
qui subrepticement devient nuage
355)Le jardinier du ciel regarde le développement d'une île
qu'il vient de planter sur un vivier d'océan
protégé de la forêt littorale envahissante
par une muraille provisoire
356)Le sculpteur a disposé ses tôles et poutres
de telle sorte que son oeuvre apparaisse
comme un détail d'une structure immense
à laquelle il redonne vie
357)L'oiseau blanc s'est pris les ailes dans la glu
de cette maison du siècle passé
où pour quelques uns il a fait si bon vivre
en dépit des déchirements et des guerres
sur la clôture du terrain vague
où les neumes de béton préludent
aux élégies de l'autoroute
358)Le marteau de la blancheur a terrassé
la fière porte des vivants avec
tous leurs souvenirs de départs et retours
pour devenir celle des morts
359)Les coiffeurs jumeaux ont bien tenté
de murer l'entrée de leur double salon
abandonné depuis l'année de ma naissance
mais la marque apposée de la main noire
nous avertit de leur prochaine réapparition
360)Les lames de caoutchouc semblables
à des côtes dans une cage thoracique
gardent le coeur carré de cette usine
contre les chirurgiens indiscrets
361)Une glissière qui n'a plus fonctionné
depuis la naissance de ces arbres
que le vent a plantés ironiquement
lors de la fermeture définitive
362)Les archéologues émerveillés découvrent
au fond du parc le crâne aux orbites brûlantes
de la divinité que servaient les machines
avec offrandes d'huile et de sueur
concerts de stridences et de gongs
363)Le crépuscule du Nord
sonne le glas des fumées
une parabole au creux
des maisons frileuses
capte les images
de climats lointains
364)On dirait Ayer's Rock
comme on disait autrefois
dans son arrière ailleurs
des Antipodes mais ici
ce sont les arbres qui font
la pierre le désert germe
et l'azur est attendri de nuages
365)J'inscris mon attente exaspérée
sur cette représentation de tous les murs
qui nous séparent au-dessus
des coquelicots et des plans de tabac
encourageant notre impatience
366)Drapeau d'espoir qui claque
dans l'air bétonné jaillissant
de ses dimensions pour faire
gagner le volume et l'Histoire
367)Avec mes mots je vais dévorer ce blindage
qui m'apportera une nouvelle année
de force et d'aventures
368)En attendant de traverser la Manche
vers une régularisation peu probable
je décore mon refuge lézardé
par des déclarations d'amour et de guerre
pour tous ceux qui sans le savoir
me laissent pourrir ici
369)Cette cheminée qui s'est dressée
toute pimpante en une nuit
communique avec les entrailles
de la Terre où les gnomes
l'utilisent pour aérer les galeries
de leurs interminables fouilles
370)Juste de quoi mettre au rebut la tête
du meneur Jean-Baptiste après la fête
où le directeur Hérode a convié
tous les actionnaires
et quelques notabilités
371)L'atmosphère a besoin d'être changée
continuellement car la corruption
qui a déjà fait moisir les machines
risque de se transmettre aux clients
372)Personne ne viendra plus vider
les cendres de l'incinérateur
avant que les archéologues
d'un autre siècle les tamisent
les analysent et en fassent germer
des graines de savoir
373)Deux professeurs d'économie politique
comparent leurs idées sur l'avenir
de la planète dans un millénaire ou deux
les choses devraient s'arranger puis
ils rentrent dans le mur et leur succèdent
deux journalistes qui se demandent
si c'est dans une semaine ou deux
qu'on va déposer le bilan
374)Les lentilles d'eau ont préparé sur la mare
une estrade où les rainettes et les crapauds
vont concourir pour leurs duos
375)Lors de leur pèlerinage les dévots
jettent des quartiers de roc sur la pyramide
où est enterré l'ancien pharaon des enfers
376)La vague de verdure a roulé
jusqu'au soupirail qu'elle obstrue
tandis que l'ombre de la balustrade
absente invite le visiteur à grimper
pour jouir du spectacle
377)L'ombre verte raie le fond de la citerne
où le bitume scintillant sert de tain
au miroir des eaux
378)L'alcool de solitude
va perler goutte à goutte
de l'alambic délocalisé
379)Un pilier séparait
les sanctuaires parallèles
vraisemblablement dédiés
à des divinités jumelles
tels les Asvin de l'Inde
ou les Dioscures des Grecs
dont le culte devait être
particulièrement populaire
chez les camionneurs
380)Sur la toundra urbaine
où ne prospèrent que des lichens
de peinture entre des glaces de béton
le cadavre couché d'un cerf
remarquablement fossilisé
dont quelque pillard a dérobé les cornes
381)L'eau de ce réservoir
est exclusivement destinée
au lavage des objets
découverts dans les fouilles
la boire risquerait de provoquer
d'horribles cauchemars
dont même de longs pèlerinages
ne viendraient à bout
382)La culpabilité de cet intérieur est si forte
qu'il faut cette énorme pierre
pour l'empêcher d'exploser
383)La maison pavoise en vert
pour la fête du saint forestier
384)Les bagues empêchent les doigts
de tomber en morceaux
dans une embrassade pétrificatrice
385)Où est ton regard ?
où est ton sourire ?
même ton sexe
est devenu indistinct
dans le travestissement végétal
386)En se réveillant fontaine
elle a vu ses cuisses
se couvrir de poils de chèvre
387)Au fond de l'impasse
la lessive dévote
récite à l'icône
ses litanies
388)Fleurs artificielles
qui déteignent peu à peu
tandis que la Madone
implore les passants
pour qu'ils entretiennent
la fraîcheur des roses
placées sous sa garde
389)Dans la coupole de cette église observatoire
on admire les entrechats des anges
au milieu de la valse des planètes
390)Sous la verdeur de la forêt
une frange d'infra-rouge
qui vire au blanc
parce qu'on est au bout du rouleau
391)Réseau de brindilles
sur le tremblement du soir
392)Au défilé des matelas
encadré de motards nonchalants
les drapés retiennent
toute l'attention
393)Ce cône traversable
est un hologramme
aussi efficace
que ses modèles en plastique
394)Au-dessus des pavés de la ville
sur son balcon métallique
la flaque se hâte de refléter le ciel
dans lequel elle veut s'absorber
395)Sur le toit du restaurant flottant
les fils électriques esquissent
subrepticement
une caricature du patron
396)C'est ici le but du parcours
si l'on n'a pas suivi tous ses détours
subi toutes ses épreuves
on ne peut pas s'apercevoir
que ce mur n'en est pas un
397)Le doigt de Constantin désigne
le col très élevé qu'il faudra franchir
pour parvenir à la nouvelle capitale
398)Miroir gentil miroir dis-moi
si je suis la plus belle non
ton ombre est plus belle que toi
tu n'es que l'ombre de ton ombre
399)Que de couples à apparier
de l'autre côté de ce mur
il faut que tout cela soit décidé
avant ce soir
400)Le poisson château-fort est pris
dans les filets de l'Histoire les touristes
bientôt tourneront dans son bocal
401)
Une palmeraie d'antennes
un réseau de dattiers urbains
402)Une vie goudronnée
subsiste dans les fouilles
tandis que l'herbe grille
dans le souvenir du désastre
403)Les figures de crépi glissent
le long des piliers de brique et de pierre
pour s'échapper la nuit
jusque dans les rues de la ville vivante
404)L'oeil de la nuit traverse l'ombre
pour piéger les taches de soleil
405)Les gradins consolidés descendent
jusqu'aux anciennes installations de chauffage
où des rescapés se cachent pour dormir
sous des couvertures à raies bleues
406)La paupière se lève sur de multiples prunelles
qui radiographient les nouveaux venus
407)C'est le siège de l'ange préposé
à la succession des empires
408)La paroi se déplie et replie dans l'espace
comme l'aile d'un oiseau
qui cherche à s'envoler
409)Sur les rouleaux de brique déterrés
telle une bibliothèque en réseau
une fenêtre troue le mur
comme la parution d'un livre nouveau
410)Le plumage des anciens toits
s'est incrusté dans la cendre
et la suie de la catastrophe
pour en réveiller les rumeurs
411)Une bavure descend de la gueule d'azur
comme une langue qui chercherait à laper
l'humidité de l'avenir
412)Quelques marches pour parvenir
au seuil de l'ombre d'où nous pourrons
entendre les conversations interrompues
dans leur véritable prononciation
413)Les colonnes reconstituées
ne peuvent encore se tenir seules
elles réapprennent la station debout
afin de pouvoir soutenir
le nid des cigognes
414)Le lierre mort donne à cette ruine
l'aspect d'un mammouth et pourtant
ils avaient déjà disparu depuis longtemps
lorsque cette ville était toute jeune
415)Un arbre de carrés noirs
se développant au milieu
des horizons superposés
de rectangles oranges
tandis que les nuages de béton
précisent leurs menaces
416)Le méandre du fleuve rouge replie ses nappes
autour d'une île de brindilles sous la bienveillance
de l'arbre qui lie le Ciel à la Terre
417)Même le tremblement même les flammes
n'ont pas réussi à les réveiller
ils avaient tellement travaillé
qu'ils ont eu le plus somptueux enterrement
418)Le fait que tout s'écroule en cendres
m'est encore une raison de plus
pour me rapprocher de toi
419)L'inondation du temps présent
défait les jointures
entre les glaçons des voies désertées
420)Au milieu de sa cour
le roi des végétaux
reçoit les hommages
des autres règnes
421)Le papillon aux ailes de maçonnerie
prélève son nectar dans les calices
des anfractuosités pour donner naissance
à des troupes de touristes qui ignoreront
qu'ils seront ses larves
422)La lumière et l'ombre caressent
le dallage vertical d'où suintent
l'or du temps et la sève des astres
423)Deux matelas abandonnés
retrouvent leur douceur
en s'effondrant l'un sur l'autre
424)Au-dessus de la foule romaine
s'affiche le renversement
de l'empire américain
425)On a remonté
quelques cheminées
des usines antiques
où l'on fabriquait
les dieux
426)Quelques barques rattachent
la forteresse du crépuscule
à la nuit de la terre ferme
427)La grille de l'ombre
essaie de retenir
l'avalanche des nuages
428)Bientôt cette lame à incandescence
deviendra le symbole
d'une lumière d'autrefois
429)Les petites ampoules
le long de la couture
projettent non de la lumière
mais de l'ombre
430)Les piliers agrafent le ciel
comme pour l'empêcher de s'enfuir
431)Les palmes au milieu des croix
pour une cité de martyrs
432)L'ombre fait un sermon aux nuages
qui répondent par leur lumière
433)La petite blanche guettée
par les gros lourdauds noirs
434)De l'antiquité qui dérive
dans les piscines de l'encens
435)Pour la récolte des écorces
on a tendu les bâches du soir
436)Le corps qui n'était plus qu'un vide
parmi les cendres
a retrouvé son volume
437)Flammèches pendant aux balcons
pour fournir des repères
parmi les ténèbres des fondations
438)Le tronc lisse comme une colonne
soutient sur la ville
un parasol de palmes
439)Supplicié sur le mur
saint Sébastien profane
tendant de surnager
dans le tsunami commercial
440)Le mur s'est effeuillé
comme un éphéméride
la barque va bientôt
appareiller pour l'an prochain
441)Cette barque échouée
parmi des algues de terre ferme
était autrefois une automobile
442)Stéréotomie
murmurait Edgar Poe
rêvant qu'il entrait
dans la rue Lamartine
443)Un couple de lacets
dialoguant sur la plage
444)Un siège pour permettre à l'épouvantail
de pactiser avec les oiseaux
445)Le sang de la terre a noirci
pour protester contre le rouge du mur
446)Éventails de pierre
pour aérer les titans
447)Le signe du vin
dans les rainures du pavage
448)J'ose à peine montrer
la couleur de ma peau
en écartant mon voile
449)Toute l'énergie chromatique de ce manteau
va se résoudre en électricité
450)Tambour de bois déroulé
pour les baguettes de la pluie
451)Au beau milieu de la jungle humide
un escalier mécanique
pour descendre au sec du supermarché
452)Une échelle de bandages
sur les cicatrices de l'eau
453)Les flocons de neige
d'une autre planète
collent aux hublots
de l'astronef
454)Suspendu entre deux brumes
on dirait un embarcadère
pour hélicoptères migrateurs
455)Barres de neige
pour traverser le feu
de la Révolution
456)Le caillou lancé
a rejoint ses frères
et c'est son cri de joie
qui se propage à la surface
457)Un duvet blond protège
l'épiderme liquide
458)Un bateau sanglier
reniflant sous sa bâche
459)Les pointes des feuilles vertes
se multiplient en feuilles noires
sur les lames blanches du store
460)L'article féminin
cherche un substantif
auquel s'attacher
461)Une seule photographie
ose montrer son rouge
sur le noir pulvérulent du bitume
462)La flaque de la photographie
reflète le clocher
auquel va dire adieu
la terrasse migratrice
463)Vestiges d'un établissement humain
abandonné pour la recherche d'un emploi
464)Autorisation toute provisoire
de fuir vers le large
465)Les sans domicile fixe
viennent l'essayer un instant
466)Le résidu de neige
paraît un rocher plus solide
que tout le béton d'alentour
467)Cette galerie n'est que trop célèbre
pour ses échos tentateurs
468)Depuis le pressoir aux images
le tuyau distribue
un jus d'expérience
469)Qui saura trouver
la clef de la clef
470)En communication avec la bouche d'incendie
l'aspirateur fait respirer l'homme invisible
471)En cas d'accélération de la crise
appuyez le doigt sur l'interrupteur
472)La métamorphose de Daphné en laurier
a commencé par les ongles
473)"Calme bloc ici-bas chu d'un désastre obscur"
474)Les arbres ayant disparu
de la surface de la Terre
quelques archéologues cherchent
à reconstituer des troncs
475)Sur la rampe ruisselante
de l'escalier mécanique
des brindilles se sont échouées
476)Fermé non seulement le dimanche
mais toute la semaine
et pour des années
477)Après la disparition du pétrole
des nostalgiques collectionnent
des barils anciens
478)Le coeur a été si profondément
blessé par son deuil
qu'une rose de rouille
a fleuri pour le cicatriser
479)Entrée interdite
comme si le toit tout entier
s'était rabattu sur la porte
480)Pour le charbon et pour la neige
l'emblème de l'hiver et de ses risques
481)Le sang du sylvain coule
sur l'écorce du merisier
482)Depuis longtemps l'usine a délocalisé
les quelques pans de béton qui restent
attendent les démolisseurs
483)Bientôt l'icône aura complètement disparu
mais on lui apportera toujours des fleurs fraîches
484)À côté de la porte évidente
le rideau de perles cache
une entrée secrète
485)Nous avons besoin maintenant
d'une lumière artificielle
pour éclairer celle du Saint-Esprit
486)Une pause pour le balai
afin de permettre à la porte
de reconstituer sa couleur
487)Sur le barbecue refroidi
navigue une barque de plâtre
où dansent des étoiles de mer
488)Tout un embrouillamini d'auréoles
pour divertir l'enfant Jésus
489)Dans la profondeur des ruines
Aladin échappe au sorcier
490)La grange déserte ferme
sur ses réserves d'espace
491)Les herbes escaladent les ruines
qui escaladent le mur rouge
qui escalade le mur blanc
492)Dans la fenêtre à demi ouverte
l'octogone du parapluie
appose son sceau sur le paysage
493)Les yeux des robinets
le front de la fenêtre
et le menton du pli
494)Dans la précipitation de la lumière
les paupières de la porte
clignent sans arrêt
495)Vierge abandonnée
quémandant un nouveau sanctuaire
devant l'ancien désaffecté
496)Une palme disant adieu à sa verdeur
497)Stop mais pas tout à fait
il y a des dérogations
498)Ce n'est pas un phare
mais une cheminée
répandant l'obscurcissement
non les signaux
499)La palette de cactus a fleuri
pour se transformer en semelle
500)La chaleur intérieure
pousse le rideau
à interpeller les passants
501)
L'escalier volant
a raté
son atterrissage
il fait battre ses ailes
de chauve-souris
en grinçant
de toutes ses rampes
502)L'enchanteur urbain
fait sortir de son chapeau
fleuri de plastique
une jeune fille empressée
503)Cendrillon a encore oublié
son espadrille mais cette fois
le rameau d'or estampillé
lui permettra de retrouver
son prince au milieu du trafic
504)On dirait le Soleil
tombé sur l'asphalte
et nous qui le pensions
si grand ! quelques ourlets
de nuages viennent le consoler
mais ce n'est qu'une graine
qui germera demain
505)Que sont devenues les fesses
qui s'appuyaient sur cette selle
du temps qu'elle était neuve
et moderne sont-elles
aussi détériorées ?
506)La main de l'épouse
voudrait traverser
la double vitre pour
résoudre l'énigme exposée
mais les éclaboussures
ont rendu l'obstacle
infranchissable
507)Quelques antennes de télévision
comme des accents
sur la phrase des toits
les nuages
apportent la musique
508)On ne pouvait garer ici
que des vélos quelques
motocyclettes peut-être
à condition d'en tourner
astucieusement le guidon
quand on réussissait
à ouvrir le rideau
on dévalait les marches
en prenant le ciel à témoin
509)C'était une porte autrefois
qui donnait sur un vestibule
des marches des paliers
des appartements
mais aujourd'hui
tout cela est rempli de gravats
510)Le dernier salon où l'on cause
en venant apporter ses déchets
auxquels on accorde
une brève prolongation
en en rappelant les splendeurs
avant de les enfouir dans les caisses
511)Le bleu du ciel
s'est entièrement déposé
sur la paroi dans les hauteurs
il ne reste plus que le gris
du temps qui ne passe plus
512)La montagne à l'assaut du mur
défense de stationner car on a vu
des plissements soudains qui absorbaient
la maison la place la ville entière
513)
Dans le royaume de la rouille
la végétation résiste
proclamant le vert de sa différence
mais nous savons qu'il ne faudra
que quelques mois pour qu'elle rentre
dans le rang avant l'envol
d'une nouvelle génération de protestataires
514)Le sang du Christ traverse la pierre
où l'on avait cru le confiner
pour envahir sournoisement
le rideau de fer et y creuser
des soupiraux que les forces de police
s'efforceront en vain de colmater
515)La splendide livrée bleu-roi
des déchets encombrants en partance
pour la mer Rouge
et les merveilles de l'électricité
516)C'est un océan de pierres
dont les vagues montent à l'assaut
des châteaux rouges précédées
par les algues envahissantes
517)L'entrepôt a failli recouvrir
le cimetière et brusquement
il est devenu lui-même une immense
tombe sans fleurs ni couronnes
518)Dans le zoo minable
dont il faudrait remplacer les vitres
un des derniers spécimens
de l'espèce des fumeurs
519)Écrasées contre la vitre les mains
emmagasinent les démangeaisons
qui éclateront bientôt en brandissant
des pancartes de grèves
520)Les damiers au bout de leurs bras
extensibles s'efforcent de remonter
le moral du cheminot qui constate
l'étendue des dégâts
521)Aimez-vous ! s'apprêtait à dire
le wagon transporteur de coke
entre ses confrères bâchés
pour leur chargement plus précieux
mais la motrice aura tôt fait
d'effacer cette tentative
522)Traversant le désert vertical
une barre de cases bleues
où s'abritent les explorateurs
à la recherche de la nappe phréatique
dont avaient parlé les anciens
523)La main a déjà franchi le rideau
il lui suffira d'appuyer
un peu plus fort sur la paroi
pour que celle-ci devienne
liquide gazeuse un souvenir
des temps de tyrannie
524)Encore une des merveilles
du palais d'été mais qui n'a trouvé
ni collectionneur ni salle des ventes
525)Au salon des emballages
l'écorce emporte le premier prix
ex-aequo avec l'herbe drue
526)Dans le rétroviseur temporel
on voit les usines se redresser
en s'ébrouant et même
quelques-uns de leurs constructeurs
qui peinent à sortir de l'oubli
527)Sur le macadam de la page
le roseau fleurit en idéogrammes
528)Sur le mur la croix devient ombre
et le supplicié fissure dans la pierre
529)La végétation s'est tellement
développée entre les casemates
bouchées qu'il est devenu impossible
d'échapper au champ qu'elle délimite
530)Il est vain d'essayer de rouvrir la grille
toutes les articulations sont grippées
l'arc-en-ciel aussi est faussé
mais celui qui saura le rétablir
accédera au tunnel sous la Manche
531)Un instant de confort
pour sans domicile fixe
le coussin aux rêves de voyages
532)Sur le radeau de la Méduse
tout s'est gelé le sang
s'est figé en quadrillage
comme l'océan obscur
et la vague même
s'est immobilisée
533)Le paysage passe à toute vitesse
à travers le double filtre
de la vitre et de la grille
534)Le cintre devient une coiffure vénitienne
pour le carnaval des faubourgs
535)J'avoue je vais tout dire
ne tirez pas encore
je me rends aux fleurs
que j'avais saccagées par mégarde
536)Tout le matériel du magicien
étalé devant sa cahute
pour faire la pluie et le beau temps
537)Ils ont laissé la porte ouverte
pour s'amuser de nos espoirs
car cela ne nous mènera
qu'à une autre cour et une autre grille
538)La resserre cligne de l'oeil
vous souvenez-vous des temps heureux
où l'on pouvait l'ouvrir
où les objets qu'elle contenait
étaient encore utilisables ?
539)Quelle tempête il a fallu
pour abattre ces deux silos
et quelle machine il faudrait
pour les remettre en activité !
540)Les fantômes se préparent dans les loges
pour monter le grand escalier
aux applaudissements des herbes folles
541)La grille s'est écrasée sur les rails
toutes les hiérarchies sont bafouées
il n'y a plus que les lianes et les épines
pour utiliser la voie condamnée
542)Les croix évidées forment
comme un cimetière sous la neige
ou les hermines d'un drapeau breton
543)Les martyrs ont déposé leurs palmes
dans le vestibule du stade céleste
entre chien et loup
544)Juste suffisamment d'humidité
dans la tôle pour capter
l'image du vestiaire perdu
545)L'élégant jeune homme qui indiquait
le chemin des urinoirs a justement
perdu la moitié de son corps
que cela pouvait intéresser
546)L'incendie de la forêt
descend jusqu'à la mer
547)L'automne habille
les guirlandes oubliées
depuis le carnaval
548)L'excitation du jeu
fait bouillonner le flegme
des touristes désargentés
549)Pendant l'entracte
les spectateurs désabusés
guettent le mirage de la Corse
550)Dans les bésicles du vieux port
des dames de tous âges
font mijoter leurs souvenirs
551)Ce qui était moderne
devient un élément
du décor d'autrefois
552)L'enfant de choeur
avait oublié d'éteindre
l'encensoir à gaz
553)Lessive battant
contre les volets
comme les baguettes
sur peau de tambour
554)L'eau suspendue
redresse les pins
dans son poudroiement
555)Plaisirs de princes
laissent la place
aux menées sournoises
des chevaliers d'industrie
556)Les tentures des grands salons
les tapis des escaliers d'honneur
claquent dans la bise d'hiver
557)La rouille des cargos pénètre
l'écorce des pins parasols
et les grappes des aloès
558)Bien installés dans leurs fauteuils
les hivernants regardent passer
les annonciateurs de déconfiture
559)Les senteurs du marché aux fleurs
se mêlent à celles des oursins
qu'on déguste sur les galets
560)L'ombre rouge a condamné
le garage du fils de Pharaon
561)Je t'en supplie bâton de ma jeunesse
sois ma compagne de survie
562)Le Soleil photographique
ajoute un goût neuf
au blé qui mûrit
563)L'arbre imaginaire vient caresser
les seins de la nouvelle année
564)Sur l'écran des rideaux
l'ombre apporte sa chevelure
au théâtre des impressions
565)Interdiction périmée
servant d'auréole
à la pellicule du vent
566)L'herbe sur la tête rocheuse
accueille les derniers rayons
d'un ciel condamné
567)Fissure saignant rose
sur le registre du faubourg
568)Juste le tremblement d'une branche
pour saluer les départs inquiets
569)Dialogue entre le phare et la croix
messagers de très vieux naufrages
570)Théâtre du dernier recours
au tribunal de la tempête
571)Le feuille cétacée respire
à la surface de l'océan rouge
572)Le cheval a perdu la tête
en dévorant les géraniums
573)La signature du passage
entre les yeux éclaboussés
574)La feuille du vide
plus lumineuse encore
que celle du plein
575)La feuille apportée par le vent
gravit les échelons de la hiérarchie douteuse
576)Contorsions vaines
devant la gueule du loup
577)Les paupières du lampadaire
s'entrouvrent sur la permanence
d'un enseignement brumeux
578)Frondaison d'incendie
après le passage du cyclone
579)Pénétration de l'indigo
par le vert caché sous le blanc
580)Océan de germination
battu par le pollen des arbres
581)Pancarte pour les revendications
les plus difficiles à formuler
582)À fleur d'enseigne
l'exil des cerisiers lointains
583)Nimbé de rouille liquide
le trottoir des occasions perdues
584)L'électricité a trouvé l'issue
hors du transformateur où on la confinait
585)Le train prévu n'arrivera
qu'avec un retard d'une année
586)Perché sur la frontière entre deux cuves
il cherche quel visa
pourrait le rapatrier
587)Autour de la cicatrice désirable
les ondes blondes
amplifient le message
588)L'antenne dressée contrôle
l'inondation du rayon vert
589)Jailli de la tignasse de la tôle ondulée
un épi fleurit en rectangles
pour accueillir l'oiseau prophète
590)La sphère de noeuds végétaux
serre les doigts autour du câble de sécurité
591)Le miel respiré par les ours
charme l'hibernation de la croix
592)Monument inutile à l'oubli
qui se gausse de nos inscriptions
593)Le Soleil d'osier
se lève sur un ciel de plâtre
594)L'ombre de la main
dérange l'astronomie de la resserre
595)La chaise attend le prisonnier
que la fille du gardien
a mené prendre un peu l'air
596)Une ombre supplémentaire
réorganise le coin de la rue
597)Une croix gauchie
dénonce le minuscule soupirail
598)Un idéogramme de vieilles planches
intervient en plein milieu
d'une ligne de poteaux
599)Sur la pelouse de toile
clous et cailloux retiennent les câbles
600)Des lianes de rumination
s'enroulent autour de la fleur fanée
601)
Des potences soutiennent les filets
qui permettent aux joueurs
de poursuivre leurs combats
602)Je fais sécher sur la fournaise
mon arrière insulté par l'averse
603)C'est le nombre des victimes de l'inondation
dans une grande ville australienne
604)Un trait de plume entre deux dalles
permet à la jeune forêt
de partir en expédition
605)L'apparition d'une étoile entre les rameaux
provoque une démangeaison dans la blancheur
606)Sur le minium triomphant
offrande d'une pincée de tourbe
au lait qui tombe des nuages
607)Le pouce d'écorce
maintient farouchement
le feuillet d'ocre
608)Un coup de poignard sur l'asphalte
d'où gicle la blancheur du plâtre
609)L'averse finie
les envahisseurs ont abandonné
le parapluie sylvestre
que leur contact a calciné
610)Avec son béret de fonte
le pilier veut escalader
le phare pour rivaliser
d'envol avec l'oiseau
611)Étalant sa rouille superbe
le réservoir inutile
résonne au moindre attouchement
des graminées ou des branchages
612)La main sombre
cherche à capter
les ombres luisants
dans la feuille immense
613)Dans l'aisselle de la route
le champignon ligneux
secoue sa chevelure ébouriffée
614)Migration d'algues et de mousses
par-delà le chevron baveux
615)L'ancien moulin mire sa solitude
dans la flaque laissée par l'orage
616)À l'intérieur de la cuve cuivrée
l'échelle dresse son chapeau
pour aider à l'évasion de l'éclair
617)À l'abri derrière ses palissades
le jeune pêcher attend le moment
où l'on délivrera sa croissance
618)Drapeau simplifié
rayant l'écoulement du goudron
devant la plage déserte
619)Il n'y a pas si longtemps
qu'on te chatouillait le ventre
pour t'entendre ronronner
620)Deux traits d'encre
pour signifier au vent
de changer de cap
621)La loupe vient chercher
sur la page d'un vieux journal
l'indice indubitable
622)Le corbeau de chair
propose à celui de planches
une partie de chasse entre les nuages
623)Deux pancartes disaient autrefois
jusqu'où menait ce haut chemin
624)Les perforations de la pellicule
font lever les traces de blancheur
pour l'examen des spécialistes
625)Deux oursons égarés
dans les plaisirs de la cascade capillaire
626)Des allusions à toute vitesse
sur le rivage de vanille
627)Le bec du merle blanc
hors des sacs du rebut
628)Le long du béton rose
une plate-bande de tuiles pilées
permet une montée en graines
629)Le pêcheur à la ligne
a confondu les dalles de granit
avec les galets au fond du torrent
630)La feuille cétacée explore
un échantillon de banquise rouge
631)Les trois Grâces de la pinède
utilisent le fil électrique
comme barre d'appui
632)Le goudron captivé
se rassemble devant les affiches
633)Horizontales et verticales
échangent leurs sèves et leurs creux
634)Une piste d'atterrissage
creusée soudain au milieu du champ de maïs
pour faciliter l'accès aux villes émergées
635)La voie de chemin de fer
s'enfonce entre les récifs
pour gagner la gare des sirènes
636)L'arbre du soir
met son masque demi-transparent
pour examiner les requêtes
637)Une traînée sanglante
a coupé court
aux efforts des secouristes
638)Cheval à quatre dimensions
qui poursuit son galop
à travers planches et murs
639)Au pied du mur
le dessin de l'ampoule électrique
apporte un peu d'obscurité
640)Venez vous qui avez perdu toutes vos jambes
courir au royaume de la rouille
dont mes bras vous ouvrent les stades
641)Dans le miroir du hublot
le globe de la tête obscure
cherche à éclairer son propos
642)Sur la portée du grillage
le geste du chef d'orchestre
réveille l'improvisation
643)Dans les remous de la moisson perdue
le vieil arpenteur a cloué ses repères
644)Une écaille fantasque de vide
interrompt la monotonie du convoi
645)Le sorcier convoque la crème du beau monde
d'un mouvement de sa baguette
646)Au carnaval du quai des brumes
toutes les maisons se déguisent
647)Le papillon félin
règle la circulation
sur les voies ferrées et liquides
648)Évanescente main
pour apporter un déluge de pétales
entre mer et mousse
649)Le coin de paysage
s'enfonce dans l'ardoise
en éclaboussant l'entrepôt vide
650)À travers le grillage de l'automobile
un rameau de bouleau cherche le conducteur disparu
651)La jument de nuages
va bientôt se délivrer
de son poulain de grêle
652)Paroi pommelée du ciel
au-dessus d'un étang d'anis
653)Poisson des profondeurs
j'aspire une bouffée de surface
654)Dans l'infirmerie du faubourg
coups et blessures
tuiles et pylônes
lampes et bandages
655)C'est un pétale mais c'est un coquillage
qui propose de nouvelles nuances
à l'échafaudage indécis
656)Une vague d'indignation rose
déferle sur les chaumes et les bois