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Poésie au jour le jour 17

(enregistré en août 2012)

Sommaire







QUELQUES POÈMES DE HÖLDERLIN LIBREMENT ADAPTÉS EN FRANCAIS PAR MICHEL BUTOR

pour Inge Kresser
et Henri Pousseur

 
 Ces essais ne pourront que scandaliser les spécialistes. J’ai délibérément renoncé au mot à mot tenté par certains, pour essayer de retrouver, au-delà des tonnes de gloses, une énigmatique simplicité, une source gardant sa fraîcheur au milieu des éruptions et typhons.

 

CHANT DU DESTIN D'HYPÉRION
 

Vous planez heureux génies
dans les hauteurs irisées
les brillants zéphyrs divins
vous caressent doucement
comme la sainte harpiste
les cordes avec ses doigts

Ainsi dorment nouveau-nés
innocents vous reposez
dans le ciel où chastement
mûries aux bourgeons modestes
éclosent durablement
les corolles de l'esprit
et vos yeux chanceux regardent
dans la tranquille clarté
qui vient de l’éternité

Mais il ne nous est donné
nul refuge où nous détendre
pauvres hommes faiblissant
souffrant tombant sans rien voir
d’une heure à l’autre ainsi l’eau
de roc en roc tout au long
de l’an dans l’incertitude
 

HEIDELBERG
 
Aimée depuis longtemps mère adoptive
je veux t’offrir un chant naïf
toi la mieux située
des villes de ma patrie

Comme l’oiseau sylvestre plane
sur les cimes tel sur le fleuve
brillant oscille solide et léger
le pont bruyant de gens et chars

Apparemment venu des dieux
un jour un charme m’arrêta
dans la traversée de ce pont
d’où les enchantements lointains
semblaient mener jusqu’aux montagnes

Le fleuve adolescent fuyait vers la plaine
doux-amer tel un coeur débordant de beauté
qui pour mourir d’amour
s’abîme aux flots du temps

Tu lui avais offert pour l’arrêter
des sources et des ombres fraîches
et tes rivages le retenaient du regard
tremblait dans ses vagues leur exquis reflet

Lourd sur la vallée suspendu le château
immense apocalyptique déchiré
jusqu’au sol par l’orage
mais l’éternel soleil répandait

Sa lumière de jouvence sur ce vieillissant
colosse verdissant alentour de vif
lierre et d’amicales forêts
murmuraient se penchant vers lui

Buissonnement de fleurs jusque dans la vallée
heureuse où tes ruelles espiègles
appuyées aux collines ou relevant les rives
somnolent sous les jardins d’odeurs
 

LE NECKAR
 
Dans tes vallées s’est éveillé mon coeur
tes vagues jouant alentour
les collines tes connaissances voyageur
sont mes connaissances aussi

La brise à leurs sommets souvent
a dénoué ma servitude et dans tes creux
comme d’une coupe jaillit la vie
brillaient tes vagues d’argent bleu

Les sources des monts se précipitaient
entraînant mon coeur et tu nous menais
jusqu’au Rhin dans ses profondeurs
majesté des villes gaieté des îles

Plus loin me dit le monde et mes yeux
languissent vers les délices de la Terre
or du Pactole rives de Smyrne forêt d’Ilion
souvent aussi désir d’aborder au Sounion

De forcer le silence des sentiers
pour retrouver tes colonnes Olympiéion
avant que tempête et décrépitude
t’enfouissent aussi dans les décombres

Du Parthénon et de ses divines sculptures
toi fier témoin solitaire d’un âge
depuis si longtemps révolu et vous
belles îles de l’Ionie où l’air marin

Rafraîchit les rives torrides et fait murmurer
les lauriers quand le soleil chauffe la vigne
un automne d’or métamorphosant
les soupirs du pauvre peuple en mélodies

Quand la grenade est mûre et dans la nuit verte
scintille l’orange et le lentisque
sue sa résine quand cymbale et timbales
sonnent pour les danses du labyrinthe

Iles vers vous m’emportera peut-être un jour
mon dieu gardien mais fidèle jusque là-bas
m’accompagnera la grâce de mon Neckar
avec les prés et les saules de ses rives
 

XXX
 
Quand j’étais un jeune garçon
souvent un dieu me protégeait
des cris et désordres des hommes
alors je pouvais jouer tranquille
avec les fleurs du buisson
et les zéphyrs du ciel
jouaient avec moi

Et comme tu réjouis
le coeur des plantes
quand elles tendent vers toi
leurs tendres bras

Ainsi le mien père Hélios
et tel Endymion
j’étais ton chéri
sainte Lune

Universellement
fidèles et amis
dieux qui savez combien
mon âme vous aimait

Il est vrai je ne savais
pas encore vous nommer
vous ne me nommiez non plus
avec les noms que les gens
utilisent parmi eux
imaginant se connaître

Mais je vous connaissais mieux
que ceux qu’on dit mes semblables
je comprenais le silence
de l’éther et non leurs mots

M’enchantait la mélodie
du buisson qui murmurait
et j’apprenais à aimer
parmi les efflorescences

J’ai grandi aux bras des dieux
 

À MI-VIE
 
Croulant de poires jaunes
et de roses sauvages
le pays du lac
vous fiers cygnes
saouls de baisers
plongez-vous le chef
dans la fraîcheur sainte

Hélas où cueillir
des fleurs en hiver
où trouver la terre
de soleil et d’ombres
restent les murs froids
et muets dans le vent
cliquent les girouettes
 

AGES DE LA VIE
 
Vous les villes de l’Euphrate
labyrinthes de Palmyre
vous les forêts de colonnes
dans les plaines du désert
que nous reste-t-il de vous

On vous a pris vos couronnes
par le feu et la fumée
car vous avez transgressé
les limites assignées
aux habitants du bas monde
par ceux qui règnent aux cieux

Moi maintenant je demeure
sous les nuages pacifiques
sous l’ordonnance des chênes
près des fourrés du chevreuil
et les esprits bienheureux
me semblent morts et perdus
 

LE COIN DU HARDT
 
La forêt se précipite
et semblables aux bourgeons
les feuilles sont suspendues
vers l’intimité du sol
dont la floraison révèle
qu’Ulrich est passé par là
souvent à partir de traces
on devine un grand destin
qui se prépare en lieu sûr
XXX
 
Mûris trempés cuits au feu
fruits dans l’épreuve terrestre
il faut que tout s’insinue
en reptile prophétique
parmi les reliefs célestes
mais quel poids à soulever
c’est comme un fagot d’échecs
et rudes sont les sentiers

Comme de mauvais chevaux
les éléments liés renâclent
et les vieilles lois s’égarent
la nostalgie continue
de ce qui est au-delà
beaucoup faut considérer
nécessité fidélité
attention ne fixer les yeux
ni trop avant ni trop arrière
comme dans une frêle barque
par la mer se laisser bercer
 
 

SOUVENANCE
 
Le Nord-est souffle c’est mon vent
préféré parce qu’il promet
aux marins l’ardeur et l’esprit
bon voyage va saluer
les jardins de Bordeaux la belle
Garonne et ses rives abruptes
où le sentier court et cascade
au fleuve profond le ruisseau
surveillé par un noble couple
de chênes et peupliers blancs

Je revois tout cela et comme
les ormes penchent leurs sommets
sur la cour du moulin où pousse
un figuier que les femmes brunes
vont visiter les jours de fête
à l’équinoxe de printemps
soyeusement sur les sentiers
où les vents berceurs nous débarquent
leurs chargements pour chercheurs d’or

Que l’on me tende enfin remplie
de parfums lumineux et sombres
la coupe qui me fournira
un heureux sommeil sous les ombres
il ne faut pas perdre son âme
à s’occuper du périssable
mais il est bon de converser
et de se décharger le coeur
d’écouter parler de l'amour
et des beaux gestes mémorables

Où sont donc tous ceux que j’aimais
Bellarmin et son compagnon
beaucoup sont trop intimidés
pour remonter jusqu’à la source
la mer domaine de fortune
mais eux savent comme des peintres
rassembler les beautés éparses
sans craindre la guerre et ses ailes
ni les années de solitude
sans que sous le mât dénudé
nulles festivités urbaines
harpes ni danses indigènes
viennent en égayer la nuit

Ils sont partis chez les Indiens
en doublant le cap du vignoble
battu des vents où la Dordogne
descend rejoindre la Garonne
qui s’élargit éblouissante
jusqu’à la mer qui prend et donne
le souvenir c’est à l’amour
de fixer les yeux diligents
mais est réservée aux poètes
la fondation de ce qui dure
 

AUX POETES
 
Comme tôt même si c’est fête
le paysan va vérifier
l’état des champs après l’orage
qui a frappé toute la nuit
chaude et roule encor le tonnerre
le fleuve revient dans ses berges
et la campagne reverdit
ragaillardie par les averses
les vignes et les bouquets d’arbres
étincellent dans le soleil

Vous qu’un seul maître ne contente
en temps favorable élevés
dans les bras puissants et légers
de la merveilleuse Nature
quand la saison parait dormir
dans les cieux les bois ou les peuples
poètes vous portez le deuil
et vous semblez abandonnés
mais continuez à pressentir
ce qu’elle pressent en silence

Déjà le jour je l’ai vu poindre
il faut des mots saints pour le dire
celle plus vieille que le temps
qui supervise tous les dieux
qu’ils soient d’Orient ou d’Occident
réveillée avec un bruit d’armes
depuis l’éther jusqu’aux abîmes
la Nature selon des lois
remontant au chaos sacré
redouble son inspiration

Et comme un feu brille dans l’oeil
de qui s’embarque en haut dessein
ressuscité par les indices
et les actions des temps nouveaux
s’allume un feu chez les poètes
ce qu’on n’avait que pressenti
est manifeste maintenant
préparatrices de nos champs
rieuses sous leurs traits serviles
les forces des dieux se révèlent

Tu les questionnes ? Leur esprit
souffle dans le chant qui s’éveille
à l’aurore chauffant la Terre
dans les orages des hauteurs
et dans ceux qui aux profondeurs
du temps se préparent plus lourds
de sens et de plaisir errant
entre ciel et terre et les peuples
les pensées trouvées en commun
vont reposer chez les poètes

Ravie depuis longtemps baignée
d’infini l’âme foudroyée
par le souvenir embrasée
par le rayon sacré engendre
le fruit des hommes et des dieux
le chant qui les réconcilie
ainsi selon les anciens textes
incendiée par son regard
Sémélé ravie mit au monde
Saint Bacchus le fils de l’orage

Vous pouvez boire au feu céleste
fils de la Terre sans danger
il nous appartient sous l’orage
divin de redresser la tête
modeler de nos doigts poètes
le rayon du père lui-même
et sous les espèces d’un chant
transmettre à tous le don divin
car nous seuls avons le coeur pur
et des mains d’enfants innocents

Épargné par l’éclair du Père
mais profondément ébranlé
partageant la douleur des forts
le coeur éternel reste ferme
mais quelle souffrance ô mon coeur
saignant de tes propres fureurs
quand la paix et la liberté
ont disparu quand le désordre
et la famine nous obligent
à mendier les miettes divines

Quelle souffrance car je crains
de ne plus rien savoir des dieux
d’être abandonné par l’esprit
de vie et lorsque je déclare
que bientôt je vais contempler
les célestes alors eux-mêmes
m’enfoncent sous tous les vivants
mauvais prêtre obscur que je suis
pour que jaillisse de mes nuits
le chant avertisseur anxieux
aux oreilles des apprentis
 

PATMOS
au Landgrave de Homburg
A la fois proche
et insaisissable ce dieu !

Mais dans le danger
naît le salut
dans les ténèbres
nichent les aigles
imperturbables
les fils des Alpes
franchissent abîmes
sur des ponts fragiles

Alentour menacent
les sommets du temps
frères bien-aimés
séparés languissent
dans l’exil abrupt
eau d’innocence accorde-nous
la traversée puis le retour
dans l’authenticité du coeur

A ces mots je fus emporté
par un Génie loin de chez moi
plus vite que j’aurais voulu
plus loin que je l’avais rêvé
dans le crépuscule forêts
ombres nostalgiques rivières
de mon pays puis l’étranger
bientôt fleurit mystérieux
dans l’éclat de ses fumées d’or
grandissant à toute vitesse
avec la marche du soleil
avec les parfums des sommets

L’éblouissante Asie cherchant
à m’y reconnaître perdu
dans ces superbes défilés
qui font descendre du Tmolus
le Pactole avec ses pépites
entre Taurus et Messogis
où les jardins brûlent de fleurs
tranquilles tandis que là-haut
resplendit l’argent de la neige
témoin d’une immortelle vie
sur les parois vertigineuses
le lierre antique se répand
et sur les vivantes colonnes
cèdres et lauriers pour leurs fêtes
les dieux ont bâti des palais

Autour des portes de l’Asie
se faufilent dans tous les sens
sur plaine marine incertaine
de nombreuses routes sans ombre
mais le marin connaît les îles
et quand on m’eût dit que tout près
c’était Patmos j’eus grande envie
de m’y rendre et de m’approcher
de son obscurité profonde
car elle n’est pas comme Chypre
ou d’autres îles fastueuses
ruisselante de majesté

Patmos en ses pauvres cabanes
est cependant hospitalière
quand naufragé ou exilé
pleurant l’absence d’un ami
l’aborde savent l’écouter
les voix dans les buissons brûlants
de ses enfants ou dans les dunes
ou dans les terres craquelées
et répondre à son désespoir
comme elle sut bien autrefois
accueillir le voyant aimé
du dieu que sa jeunesse avait

Accompagné inséparable
le fils du Très-haut foudroyant
ému par sa simplicité
ne se lassant de contempler
au soir du mystère du vin
le visage du dieu lequel
pressentant calmement sa mort
à sa grande âme l’annonça
en l’inondant de son amour
intarissable et réconfort
dans les méchancetés du monde
tout est accompli puis la mort
il y aurait là tant à dire
le virent enfin ses amis
goûter la joie de sa victoire

Le deuil descendit dans le soir
ainsi que la stupéfaction
devant si grand avènement
certes ils auraient bien aimé
demeurer dans le chaud soleil
de leur pays et la mémoire
du Seigneur fichée comme feu
dans le fer les accompagnant
comme une ombre mais c’est alors
qu’il leur envoya son Esprit
qui fit vaciller leur maison
dans un roulement de tonnerre
et le coeur lourd dans la prescience
se sont confortés les martyrs

Lorsqu’il leur apparut encore
un jour pour faire son adieu
le soleil perdit de sa gloire
et dans sa divine souffrance
brisa son sceptre aux rayons drus
qui reviendra au temps voulu
plus tard n’aurait pas été bon
brusquement se serait brisé
trahissant l’oeuvre des humains
désormais la douceur ce fut
d’habiter la nuit amoureuse
et conserver précieusement
dans les regards des innocents
les abîmes de la sagesse
tandis que sur les hautes pentes
verdoient des signes vivifiants

C’est terrible de voir comment
Dieu sans arrêt ici et là
disperse la vie car déjà
il faut quitter les amis chers
solitairement s’enfoncer
dans les lointains sur les montagnes
où deux disciples tout d’un coup
reconnurent l’esprit divin
rien ne l’avait annoncé mais
quand au moment de disparaître
il se retourna pour nouer
leurs mains avec des cordes d’or
en serment de fidélité
tandis qu’il dénonçait le mal
leurs cheveux se sont hérissés

Quand meurt aussi le préféré
de la Beauté qui de son corps
avait fait céleste merveille
et quand énigme l’un pour l’autre
ne parviennent plus à s’entendre
ceux qu’unissait le souvenir
quand ce n’est seulement le sable
ou saules qui sont emportés
ni les temples qui sont détruits
quand le respect pour l’Homme-dieu
et ses disciples se dissipe
quand le Très-haut lui-même semble
avoir détourné son visage
qu’on ne voit plus rien d’immortel
sur terre ou ciel où allons-nous ?

C’est la violence du semeur
qui prend le grain avec sa pelle
et le lance pour l’épurer
en le vannant sur l’aire alors
la balle retombe à ses pieds
se découvre enfin la semence
et tant pis si certains s’égarent
avec l’écho de la Parole
l’oeuvre de Dieu comme la nôtre
ne réussit pas d’un seul coup
la fosse nous fournit le fer
et l’Etna une poix brûlante
même moi j’ai le privilège
de représenter une image
du Christ et de la contempler
dans sa vivante vérité

Mais si quelqu’un me rencontrant
sans défense osait m’attaquer
d’un discours funeste disant
qu’un valet veut singer un Dieu
Ah jadis j’ai vu la fureur
des Seigneurs montrant leurs leçons
ils sont cléments mais ils détestent
tous ces mensonges par lesquels
les humains ne sont plus des hommes
et c’est alors qu’ils se détournent
en laissant leur autorité
à l’immortelle destinée
et leur oeuvre va dérivant
se précipitant vers sa chute
mais quand triomphent les vaillants
au ciel ils acclament le fils
du Très-haut soleil d’allégresse

Sur un signe de délivrance
la verge du chant s’adoucit
car tout à sa valeur les morts
qui ne sont pas emprisonnés
dans leur rudesse il les réveille
nombreux sont les yeux trop timides
attendant l’entrée en lumière
redoutant de fleurir blessés
par les tranchants des rayons d’or
qui pourtant guident le courage
mais lorsque dans l’oubli du monde
sourcils froncés de l’Ecriture
sainte leur descend une force
tranquille ils peuvent s’exercer
par grâce heureuse à la vision

Et si les Célestes encore
m’aiment comme je l’imagine
ils doivent t’aimer plus encore
car je sais au moins ceci que
la volonté de l’Eternel
est pour toi perle de grand prix
calme est son signe au ciel tonnant
et quelqu’un se tient là-dessous
tout au long de sa vie le Christ
en effet est encor vivant
de lui sont venus les héros
ses enfants et les Écritures
ce sont les actes de la Terre
qui nous éclaircissent l’éclair
en un torrent irrépressible
jusqu’à maintenant Il est là
et Il connaît ses créatures
toutes depuis leur création

Depuis si longtemps trop longtemps
déjà sont cachés les Célestes
ils doivent presque par la main
nous conduire et c’est par violence
hélas qu’ils ravissent nos coeurs
chacun d’eux veut un sacrifice
et l’oubli d’un seul n’a jamais
que de funestes conséquences
avons vénéré mère Terre
puis plus récemment le Soleil
avec ses armes de lumière
sans savoir que ce que le Père
qui gouverne par dessus tout
veut c’est le maintien de la Lettre
et la bonne interprétation
de ce qui survit s’y accorde
notre dithyrambe germain
 

MNEMOSYNE
 
Nous simple signe
de sens douteux
à peine sensibles
dépouillés presque
de notre langue
en notre exil
surtout quand au ciel
il y a dispute
à notre propos
que les influences
des astres poursuivent
leurs combinaisons
dans l’aveuglement

Pourtant le Meilleur
descend sur la terre
le Vivant se cherche
un chemin vers nous
et l’Esprit se trouve
un pays lui seul
quotidiennement
peut tout transformer
à peine besoin
d’autorisation
pour rester chez nous
de nombreux attestent
cette vérité
les célestes mêmes
ne peuvent pas tout
avant eux mortels
atteignons abîmes
écho renversé
que le temps nous dure
mais viendra le vrai

Et quant à l’amour
c’est coup de soleil
éclairant le sol
et sa poudre sèche
éclairant les ombres
des forêts intimes
les fumées écloses
sur toits et créneaux
des donjons d’antan
devenus paisibles
or les horoscopes
nous sont favorables
réplique notre âme
blessée par le ciel

Et puis c’est la neige
comme fleurs de mai
répandant partout
générosité
dialoguant avec
le vert des montagnes
autour de la croix
plantée sur la rampe
pour ceux qui sont morts
éveillant soucis
chez les voyageurs
partageant entre eux
leurs pressentiments
mais que vois-je ici ?

Sous un figuier
mon cher Achille
mort et Ajax
étendu auprès
des grottes marines
ruisselantes voisines
du Scamandre fier génie
pleuré par les vents
selon la coutume
antique de Salamine
ce grand Ajax mort en exil
et Patrocle sous le harnais
royal et bien d’autres morts

Sur le Cithéron
voici Eleuthère
ville de Mnémosyne qui
lorsque le dieu du soir défait
son manteau lui dénoue les boucles
oui les célestes n’aiment pas
que l’on ne sache conserver
pleine maîtrise de son âme
mais il nous faut y arriver
et du coup le chagrin s’en va


(L’ÉPAVE DE 'PHAÉTON')
 

Ce texte, dont on ne connaît pas de manuscrit, apparaît dans le roman de Wilhelm Waiblinger, ami de Hölderlin : Phaéton, où il est attribué à un poète fou dont on reconnaît le modèle. Le texte est donné en trois paragraphes de prose, mais il est précisé que "dans l’original il est rédigé en vers, à la façon de Pindare". C’est Ludwig von Pigenot qui a proposé la distribution en lignes inégales que l’on trouve dans les éditions habituelles.
1

En le bleu délicieux fleurit
le clocher au toit de métal
alentour crient les hirondelles
dans le bleu le plus émouvant
le soleil s’élève et colore
la tôle et là-haut le vent
fait crisser la girouette muette

Sous la cloche quand on descend
les marches c’est la vie tranquille
lorsque les formes sont si nettes
même l’homme nous devient clair
les fenêtres d’où vient le son
semblent portes de la beauté
semblent portes de la nature
comme les arbres des forêts
 

Beauté qui est simplicité
au coeur du divers gravité
car les images sont si simples
car les images sont si saintes
qu’on craint souvent de les décrire
mais les célestes généreux
en font leur vertu et leur joie

Et l’homme ose imiter cela
ose-t-il quand crie sa fatigue
regarder là-haut et se dire
oui je vais imiter cela
tant que l’amitié reste pure
dans son coeur l’homme se mesure
heureux à la divinité
 

Dieu est-il inconnu ou bien
s’ouvre-t-il autant que le ciel
c’est ce que je préfère croire
c’est ça la mesure des hommes
car en mérite poétique
l’homme habite sur cette terre
le noir de la nuit étoilée
n’est pas plus pur si j’ose dire
que l’homme à l’image de Dieu

2

Existe-t-il autre mesure
sur la terre il n’y en a pas
c’est que jamais mondes créés
ne freinent le cours du tonnerre
la moindre fleur a sa beauté
car elle éclot sous le Soleil
l’oeil trouve souvent dans la vie
des êtres que l’on pourrait dire
encore plus beaux que les fleurs
certes je ne le sais que trop

Alors saigner dans son image
dans son coeur et se diviser
cela pourrait-il plaire à Dieu
non notre âme à ce que je crois
doit rester pure sinon l’aigle
se renforce avec chants de louange
et les voix d’oiseaux si nombreux
c’est notre être et c’est notre forme
 

Beau petit ruisseau émouvant
qui roule si clair comme l’oeil
de Dieu parmi la voie lactée
je te connais bien mais les larmes
troublent cet oeil je vois pourtant
une vie heureuse fleurir
dans la création alentour
que je pourrais bien comparer
à ces colombes solitaires

Sur les tombes la moquerie
me semble dégrader les hommes
ce que c’est que d’avoir un coeur
ah si j’étais une comète
elles ont la rapidité
de l’oiseau et la fleur du feu
sont pure comme des enfants
certes se désirer plus grand
n’est guère dans notre nature
 

Avec la même gravité
célébrer la vertu heureuse
brise éclatante du jardin
se glissant entre trois colonnes
une belle fille devrait
se couronner de myrte en fleurs
exprimant la simplicité
de son être et ses sentiments
mais c’est en Grèce qu’on le trouve

3

Quand on se regarde au miroir
quand un homme y voit son image
comme en peinture elle a des yeux
comme la Lune a sa lumière
le roi Oedipe aurait-il donc
un troisième oeil ah ses souffrances
nous paraissent indescriptibles
indicibles inexprimables

Quand on les présente sur scène
cela s’écoule mais qui fait
que je pense à toi maintenant
en ruisseaux m’emporte la fin
de quelque chose à l’intérieur
qui s’étale comme l’Asie
c’étaient les souffrances d’Oedipe
naturellement c’était ça
 

Hercule a-t-il souffert aussi
certes et même les Dioscures
malgré leur amitié ont-ils
évité toutes les souffrances
surtout se battre contre Dieu
tel Hercule voilà souffrir
et même l’immortalité
ce rêve de notre existence
n’est-elle pas souffrance aussi

C’est qu’il y a souffrance même
quand le Soleil nous fait brunir
quand notre peau n’est plus que taches
c’est le beau Soleil qui fait ça
c’est qu’il nous tire hors de nous-mêmes
c’est qu’il conduit les jeunes gens
avec ses charmes de rayons
comme avec épines de roses
 

Ainsi les souffrances d’Oedipe
expriment celles d’un pauvre homme
à qui manque le nécessaire
fils de Laïos pauvre exilé
dans ta propre patrie la Grèce
vivre est mourir et notre mort
espérons qu’elle est une vie
 

LE PRINTEMPS (1)
 
Quand germent nouvelles délices
aux champs quand embellit la vue
aux monts où verdissent les arbres
paraissent nues et vents plus clairs

Oh quelle joie pour les humains
gais les promeneurs solitaires
repos désirs fleurs de santé
bientôt le rire des amis
 

PRINTEMPS (2)
 
Descend nouveau jour des hauteurs lointaines
le matin s’extrait des brumes de l’aube
il sourit à l’homme en le revêtant
et le pénètre de joies douces

Une vie nouvelle va se révéler
signe de bonheur les fleurs envahissent
la grande vallée qu’est la Terre entière
au temps d’éclosion s’éloigne la plainte

3 mars 1648, avec humilité, Scardanelli
 

LE PRINTEMPS (3)
 
Le soleil revient avec joies nouvelles
les rayons du jour pétales de fleurs
joyaux de Nature enchantent le coeur
on vient d’inventer chants et mélodies

Un nouveau monde sort du ravin
le matin printanier sourit
les hauteurs brillent la vie du soir
se recueille en contemplation

24 mai 1748, avec humilité, Scardanelli
 

LE PRINTEMPS (4)
 
Quand à neuf la lumière de la Terre
fait briller d’averses la vallée verte
et la vive blancheur des fleurs au long du fleuve
dans la gaieté d’un jour qui nous est accordé

La visibilité gagne en distinction
le ciel du printemps fait durer sa paix
pour que l’homme puisse tranquillement contempler
la vie de l’année dans sa plénitude

15 mars 1842, avec humilité, Scardanelli
 

LE PRINTEMPS (5)
 
L’homme se délivre de ses soucis
c’est que le printemps fleurit la splendeur
se multiplie le superbe champ vert s’étale
où le beau ruisseau brille en se précipitant

Les montagnes se dressent couvertes d’arbres
quand on sort superbe est le vent
la large vallée traverse le monde
la tour et la maison s’appuyant aux collines

Avec humilité, Scardanelli
 

LE PRINTEMPS (6)
 
Le soleil brille les champs fleurissent
fleurissent les journées doucement
et le soir fleurit encor les jours clairs
descendent pour nous à l’orient du ciel

L’année apparaît avec ses saisons
comme une succession de fêtes
notre activité trouve un nouveau but
voici les traits et les miracles de ce monde

24 avril 1839, avec humilité, Scardanelli
 

L’ÉTÉ (1)
 
Puis quand fane la floraison
du printemps poursuivant la ronde
des saisons l’été fait briller
les cascades dans les vallées
élargissant l’éclat des monts

C’est l’apogée de la moisson
comme le jour qui penche au soir
dans l’hésitation de l’année
ainsi les splendeurs de l’été
souvent nous demeurent cachées

24 mai1778, Scardanelli
 

L’ÉTÉ (2)
 
Les jours passent avec le murmure des brises
quand les champs et les nues échangent leur splendeur
la vallée aboutit aux monts crépusculaires
où s’engouffrent les vagues du fleuve

Au milieu des ombres de la forêt
où même le ruisseau fuit en cascade
et l’on suit les lointains longtemps
quand on a retrouvé sa voie

24 mai 1758, Scardanelli
 

L’ÉTÉ (3)
 
La belle saison dure encore et les champs
de l’été conservent leur éclat et douceur
le vert du pré déploie sa splendeur
partout glissent les vagues des ruisseaux

Passe ainsi le jour par monts et par vaux
irrésistible avec ses rayons
les nuages voguent dans la paix d’en-haut
l’année s’attarde en majesté

9 mars 1940, avec humilité, Scardanelli
 

L’AUTOMNE
 
Ce qu’on disait se détournant
de la Terre à propos d’esprit
disparu pourtant renaissant
nous fait retrouver maint savoir
touchant ce temps précipité

Images du passé ne sont
abandonnées par la Nature
ainsi quand dans l’arrière-été
le jour pâlit retour d’automne
parfum d’ondée revient au ciel

En peu de temps beaucoup s’achève
le laboureur à sa charrue
voit l’heureux déclin de l’année
c’est avec de telles images
que notre jour se parachève

L’orbe terrestre relevé
par ses rochers ne disparaît
comme les nuages le soir
mais se déploie en âge d’or
dans une perfection sans plainte
 

L’HIVER (1)
 
Campagne chauve bleu du ciel
seul brille en haut quant aux sentiers
ils nous découvrent l’unité
de la Nature soulignée
par la claire fraîcheur du vent

Le ciel nous enseigne les heures
tout le jour bordé de nuit claire
quand apparaît le grouillement
des étoiles et que la vie
dilatée se spiritualise
 

L’HIVER (2)
 
Quand la pâle neige embellit
les champs dans l’étincellement
de l’espace l’été lointain
nous appelle et le doux printemps
se rapproche au déclin du jour

Splendide apparition avec
l’air meilleur le bois lumineux
la solitude sur les routes
dans le silence impressionnant
malgré toutes choses qui rient

Le frisson des fleurs printanières
manque mais les étoiles brillent
claires au constant ciel que l’homme
est si content de retrouver
sur les fleuves devenus plaines

Même les images de la
dispersion sont plus déchiffrables
la vie perdure et les faubourgs
se détachent mieux sur l’immense
 

L’HIVER (3)
 
Quand la belle saison s’efface
du long hiver vient la mélancolie
les champs vidés voilé le paysage
tempête alentour et chutes de pluie

Comme en un dimanche l’année s’achève
un accomplissement en interrogation
puis se découvre la germination de Nature
le resplendissement couvre la Terre

24 avril 1849, avec humilité, Scardanelli
 

L’HIVER (4)
 
A la saison des jours plus courts
quand les champs et monts font silence
brille le ciel bleu sur ces jours
tels des astres dans la hauteur

Moins de changement de splendeur
où le fleuve se précipite
la tranquillité dans les heures
relie splendeur et profondeur

24 janvier 1676, avec humilité, Scardanelli
 

LA PROMENADE
 
Belles forêts qui grimpez
pour peindre en vert le coteau
où je m’en vais sinuer
y trouvant un réconfort
pour chaque épine en mon sein
quand ma tête est obscurcie

On sait bien qu’art et savoir
naissent parmi les douleurs

Beaux spectacles des vallées
arbres vergers et sentiers
torrents à peine visibles
comme brille en vos lointains
l’armorial du paysage
auquel je viens rendre hommage
lorsque le temps s’adoucit

La divinité clémente
nous attire avec du bleu
puis elle arrange les nuages
en voûtes grises mêlées
aux éclatements d’éclairs
et roulements de tonnerres
aux délices des moissons
aux merveilles que parsème
la source de ce qu’on voit
 

LA BONNE VIE
 
Quand j’arrive dans la prairie
quand je m’attarde par les champs
je me retrouve pieux docile
comme épargné par les épines
mon habit bouge avec le vent
si l’esprit railleur me demande
où demeure mon être intime
jusqu’à notre dissolution

Devant ces tendres paysages
où subsistent les arbres verts
cette enseigne de mon auberge
d’où j’ai grand-peine à m’éloigner
le repos dans ces jours tranquilles
semble m’avoir été promis
il ne faut poser ces questions
si tu veux que je te réponde

Mais au long de ce beau torrent
je recherche un sentier facile
flânant par les rives incultes
comme si j’étais dans ma chambre
par la passerelle au travers
on grimpe jusqu’à la forêt
où le vent aère la voie
où l’oeil découvre son bonheur

Sur le sommet de la colline
je reste maint après-midi
quand le vent remue le feuillage
dans la sonnerie du clocher
la contemplation donne au coeur
la paix qui est notre dessein
le soulagement des souffrances
dans le dialogue des raisons

Heureux paysage où s’enfonce
le chemin sans le moindre obstacle
où la Lune monte plus blanche
quand se lève le vent du soir
où Nature est simplicité
où les monts sont en majesté
je reviens à mon intendance
me préoccuper du vin d’or
 

POUR LA MORT D’UN ENFANT
 
Cette beauté propre aux enfants
peut-être est l’image de Dieu
dans leur repos et leur silence
ils rivalisent avec l’ange
POUR LA NAISSANCE D’UN ENFANT
 
Comme se réjouira le Père
du Ciel regardant cet enfant
grandissant les yeux fleurissant
en compagnie de ceux qu’il aime

Ainsi réjouis-toi de la vie
d’une âme excellente jaillit
la beauté d’un splendide effort
vers un service plus divin


XXX
 

J’ai connu l’agrément du monde
les joies de la jeunesse ont fui
depuis si longtemps si longtemps
avril mai juin se sont envolés
n’étant plus rien j’ai peine à vivre
XXX (à Sinclair)
 
Les lignes de vie sont diverses
comme les chemins et les contours des montagnes
ce que sommes ici un dieu peut le parfaire
ailleurs dans l’harmonie récompense éternelle et paix
XXX
 
Quand on est gai plus de questions
bonté vertu sont l’évidence
âme légère plainte rare
et la foi nous est accordée
LA GRECE
 
La beauté de la vie dépend des hommes
qui maîtrisent parfois la nature
le beau pays leur est ouvert
les enchantant soir et matin

Les champs sont offerts c’est temps de moisson
indéfiniment les anciens récits
pénètrent d’esprit notre vie nouvelle
dans la profondeur d’un tranquille automne
 

L’ESPRIT DU TEMPS
 
Il arrive à l’homme en ce monde
selon les années selon les époques
de parvenir plus ou moins haut
selon ces vicissitudes plus ou moins
de vérité passe à l’autre saison
quand la plénitude s’y est rassemblée
le noble effort peut s’y détendre
VUE
 
Le grand jour montre ses figures
quand le vert s’étend jusqu’au loin
puis penche la lumière au crépuscule
et les chatoiements atténuent l’éclat

parfois nous paraît l’intérieur du monde
brumeux et fermé notre intelligence
douteuse maussade après les joies de la Nature
s’éloigne la sombre interrogation

24 mars 1671, avec humilité, Scardanelli
 

VUE
 
Quant au loin partent migrants
loin où brillent les vendanges
les champs d’été sont vidés
la forêt noircit ses ombres

Si peut Nature accomplir
l’image des temps constante
en leur glissement rapide
c’est par sa surabondance
lumières du haut du ciel
viennent pour nous couronner
comme fleurs autour des arbres

24 mai 1748, avec humilité, Scardanelli
 
 
 

Sommaire n°17 :
 
QUELQUES POÈMES DE HÖLDERLIN LIBREMENT ADAPTÉS EN FRANCAIS PAR MICHEL BUTOR :
1 Chant du destin d'Hypérion
2 Heidelberg
3 Le Neckar
4 Quand j'étais un jeune garçon
5 A mi-vie
6 Ages de la vie
7 Le coin du Hardt
8 Mûris trempés cuits au feu
9 Souvenir (sic)
10 Aux poètes
11 Patmos
12 Mnémosyne
13 L'épave de "Phaéton"
14 Le printemps 1, 2, 3, 4, 5, 6
15 L'été 1, 2, 3
16 L'automne
17 L'hiver 1, 2, 3, 4
18 La promenade
19 La bonne vie
20 Sur (sic) la mort d'un enfant
21 Pour la naissance d'un enfant
22 J'ai connu l'agrément du monde
23 Les lignes de vie
24 Quand on est gai
25 La Grèce
26 L'esprit du temps
27 Vue

 
 

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