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Poésie au jour le jour 12

(enregistré le 20 décembre 2011)

Sommaire






MÉTÉOROLOGIE

pour Dorny
 
  Avant qu'il y ait eu des hommes sur la Terre, avant qu'il y ait eu des animaux, avant même qu'il y ait eu des forêts, des savanes ou des algues, il y avait déjà des nuages.

Quand le soleil réapparaît
les nuées se ragaillardissent
souriant et s'embellissant
ravalant leurs larmes s'enrobent
de toutes diverses couleurs

Quel est le peintre qui eut le premier l'idée de figurer un nuage? Qu'ils sont passés nombreux depuis, avec tant de formes et couleurs diverses, dans les cieux fictifs sur les murs, panneaux, toiles et papiers de l'Orient ou de l'Occident!

A l'abri de la pluie
le copiste regarde
le passage des nues
à travers la fenêtre
et pense à ses amours
en dehors du couvent

J'ajoute ici une petite strophe de mon cru. C'est comme une averse soudaine qui bat la vitre.

Et mettant leurs toisons sécher
aux chers beaux rayons enchanteurs
les émulsionnent en charpie
dans la brise resplendissante
afin de pouvoir les filer

A la fin du XIIIème siècle, au temps des grandes cathédrales, Jean de Meung ajouta une énorme suite au Roman de la Rose laissé inachevé par Guillaume de Lorris, et dans quelques-uns de ses vers que j'adapte tant bien que mal, il a capté certains des nuages de son temps, les conservant ainsi pour nous dans leur fraîcheur.

Quand les quenouilles sont vidées
font voler de leurs écheveaux
longues aiguillées de fil blanc
comme pour se coudre des manches
avant de partir en voyage

Les parques de l'Antiquité qui filaient, enroulaient, déroulaient et tranchaient les destinées des hommes, sont rajeunies dans ces miniatures mobiles qui féminisent nos anticyclones et dépressions modernes, et dévoilent dans nos isobares des courbes angéliques et féeriques.
 

Ayant attelé leurs chevaux
parcourent vallées et montagnes
à des vitesses insensées
car leur cocher le dieu Éole
met des ailes à leurs sabots

Le Roman de la Rose nous est parvenu par des manuscrits, mais avec des lettres si régulières et si proprement tracées qu'il faut aujourd'hui l'imprimer pour rendre hommage à leur scripteur ancien. Au contraire mes commentaires s'accommodent au mieux d'une écriture cursive qui les transforme en filets ou filins de nuages cousant une page de temps à l'autre, et claquant au vent de la lecture comme des crinières.

L'air met son manteau indigo
comme dans les pays d'Orient
pour se draper se pavaner
préparant un arc-de-triomphe
pour l'arc-en-ciel de leur retour

A chaque bulletin que me diffuse la télévision, une voix s'élève parodiant Villon: « mais où sont les nuages d'antan? » Ceux de Baudelaire ou de Jean de Meung. A nous de saluer les nuages du futur.


 
 
 
 
 
 

PHILATÉLIE

pour Thierry Lambert
 
D'un papillon à l'autre
les antennes frémissent
où en sont les chenilles
et leurs métamorphoses ?

D'un pavillon à l'autre
les amoureux palpitent
épiant le facteur
en composant leurs cartes

D'un aquarium à l'autre
les reflets se répondent
algues bulles écailles
bouteilles à la mer

D'une cité à l'autre
les voeux de bonne année
la pollution des rues
ou les parfums des femmes

D'une région à l'autre
des langues différentes
d'étranges caractères
pour chiffrer les monnaies

D'une frontière à l'autre
calculs et tractations
diplomatie rumeurs
les nouveaux horizons

D'un solitaire à l'autre
les messages fourmillent
précieux renseignements
pour piloter la quête

D'un archipel à l'autre
les pages des journaux
les échos des marées
les caprices du vent

D'un continent à l'autre
étonnants voyageurs
ruées vers l'or mental
patries multipliées

D'un univers à l'autre
orbites et lucarnes
temps d'interrogation
aux dentelés d'espace
 
 
 
 
 
 
 

FLORAISON DES EXCLUS
pour Leonardo Rosa

 
Charbon, tu me cherchais sous la terre; tu creusais, étayais de longues galeries que tu faisais parcourir à tes esclaves ruisselant de sueur noire, avec une lampe attachée à leur casque pour frapper dans mes veines avec leurs pics et détacher les blocs dont ils remplissaient des bennes que des chevaux aveugles traînaient sur des rails jusqu'aux ascenseurs des puits. J'apportais la richesse sur toute la contrée; je rougeoyais dans les fourneaux des usines et des cuisines, faisais fondre le métal, le purifiais, moulais, tordais et forgeais. Maintenant on a fermé la plupart des mines et mon odeur que recherchaient les enfants autrefois, ne leur apporte plus que menaces d'incendie et dévastation.

Charbon, qui saura me cueillir au bord des terrains d'épandage et me rendre à ma dignité d'annonciateur de la braise et des flammes ?

Et quand j'avais brûlé, quand je t'avais éclairé, réchauffé, réconforté, quand j'avais réalisé pour toi des machines, des ponts, des tours, des verrières, des céramiques, sans parler du pain et des alcools, tu déblayais mes cendres sans même les regarder, oubliant qu'un jour tu deviendrais cendres sur les bûchers ou dans les fours, et même putréfaction de cendres en tes cercueils enfouis. Même si certains des tiens m'utilisaient pour ameublir leurs champs, dans la plupart des cas tu me chassais comme méprisable poussière et salissure de tous les recoins de ta maison.

Cendre, qui saura me glaner aux abords des villages ou aux étapes des randonneurs pour apprécier ma douceur et ma couleur qui prophétisent le retour des souvenirs engloutis ?

Et quand j'étais bien dispersée, trempée, dissoute par la pluie, mêlée à la terre, devenue terre, tu me fouissais, bêchais, retournais; tu me fumais, engraissais, épierrais, labourais avec tes charrues tirées par des boeufs, des chevaux percherons, des tracteurs; tu m'ensemençais, surveillais fièrement la germination dans mes sillons, t'enorgueillissais des moissons, et laissais majestueusement les marques de tes bottes sur les seuils de tes habitations. Maintenant tu me recouvres partout où tu le peux, de goudrons et ciments. Tes enfants ont perdu le toucher de cette boue dont tes Bibles pourtant disaient que c'est ton origine.

Terre, qui saura me pétrir, modeler, sculpter, caresser pour retrouver la parenté perdue, inventer les nouveaux visages du tendre respect ?

Et quand j'étais moulée en briques rectangulaires ou rouleaux, tu me gravais d'hiéroglyphes ou cunéiformes avec tes outils. J'étais alors la réserve de tes yeux, de tes oreilles et de tes mains, la voix du passé, la force du roi, le scintillement des sciences. Puis tu m'as amincie, assouplie, poncée, polie; tu m'as remplacée peu à peu par des peaux et des fibres pour y écrire avec l'encre des seiches, le jus des écales de noix ou le sang du charbon. J'étais ce que tu avais de plus précieux et maintenant tu me déchires, me froisses, me souilles en oubliant que je suis ta surface même, papier que tu infectes de ta lèpre et de tes mensonges tout en rêvant d'écrans lumineux et d'orgues mentaux.

Qui saura me déplier, papier, me déployer soigneusement, étudier mes transparences palimpsestes pour en faire jaillir l'énergie des phénix ?


 
 
 
 

CE QUE CACHAIENT LES BLOCS

pour Olivier Sultan et les sculpteurs du Zimbabwe
 
 

(Un pur esprit s'accroît sous l'écorce des pierres.)
Gérard de Nerval

1
Mère et enfant
(Mother and child)
FANIZANI AKUDA

Roulez dans mes bras ronds; caressez mes paupières qui tournent comme des planètes sur l'horizon qui se replie en pierres douces, jamais assez douces, qu'il faut polir et laver pour mettre à jour leur noyau de sourire où s'abreuve le vôtre, mes enfants en ronde et valse tranquille, au miroir palpitant de l'eau qui chante en ondes patientes, obstinées, imperturbables, en rochers d'ondes à l'épreuve de toute révolution violente que l'on apprivoise aussi pour vous rendre aussi résistants que le vent.

2
Femme guitare
(Lady guitar)
TAPFUMA GUTSA

Pincée la corde ton sein pour ensorceler ma poitrine, les accords montent depuis la caverne de ton ventre pour former des auréoles successives autour des clefs de ton visage et de tes sens qui se tournent et serrent pour faire jaillir des nappes de vision, d'olfaction, d'audition, palpation, gustation, se répandant sur toute cette peau de bois de lave. Mes yeux s'ouvrent partout sur ce cuir qui s'éveille. Mes oreilles se balancent au souffle des berceuses, mes narines aux parfums des saisons des langues; mes lèvres balbutient leurs multiplications, et mes doigts font monter leurs arpèges le long des vertèbres jusqu'à la chevelure d'étincelles.

3
Les deux amis
(Friends)
RICHARD JACK

Nos deux pistes se sont rejointes dans la brousse tandis que les oiseaux piaillaient au crépuscule. Nous avons échangé des nouvelles de nos villages: naissances et décès, déplacements, malheurs et fêtes. Nous étions tous deux allés passer quelques jours à la ville, mais sans nous y apercevoir. Il y avait encore un peu de fumée d'usine dans nos cheveux, mais nos mains à tous deux sentaient le feu de bois. Maintenant la Lune se lève éclairant les grands arbres qui remuent leurs branches dans le vent; nos ombres s'allongent sur les vagues du sable pour n'en faire plus qu'une. Après avoir marché longuement en silence, épiant les respirations des bêtes cachées, nous nous arrêtons à la bifurcation pour les compliments d'usage et prendre rendez-vous pour une autre conversation.

4
Salut
(Saluting)
COLLEEN MADAMOMBE

Je vous apporte la rumeur de mon serpent de feuilles mortes et de fleurs qui s'ouvrent. Je suis nuage et vais pleuvoir sur vos champs de bananiers et de maïs. Je prends l'azur rayé d'avions à réactions, à témoin de mes épices et de mes valses, de mes tourbillons obscurs dans les marais autour des narines des fauves, de mes arcs-en-ciel parmi les cascades et les fêtes, de mes marmonnements dans la chair des bébés qui tètent et piaillent. Quant à vous, déblayez les allées, déroulez les tapis, éparpillez les pétales, et lorsque vous m'aurez bien témoigné vos respects, partez sur les routes poussiéreuses et les voies ferrées jusqu'aux aéroports qui vous attendent pour embarquer.

5
Ensemble
(Together)
ANDERSON MUKOMBERANWA

Protégé contre le froid, les épines, le mépris qui rôde, la famine, la soif, dans ce cocon de caresses d'où je sors à volonté, où je rentre à volonté pour quelque temps encore, pour me filer un cocon encore plus vaste à l'intérieur duquel se creuseront des vides que je ne pourrai combler, dans lesquels j'entasserai des souvenirs pour repenser aux absents quelque jour tandis que mes enfants tisseront de nouveaux cocons de pierre avec des vides où je disparaîtrai peu à peu parmi leurs souvenirs suspendus.

6
Moi et mon esprit
(Me and my spirit)
NICHOLAS MUKOMBERANWA

Qui est l'ange gardien de l'autre? Qui est son démon de midi? Ce qui semblait clair s'enfonce dans les ténèbres; ce qui tournoyait avec tortures et désespoir jaillit soudain en ailes de plumes ou membranes de chauves-souris, ruisselle en effervescence sulfureuse et bénéfique à la fois. J'ai besoin de ce miroir complexe pour interroger ma duplicité, pour étudier les termes d'un accord avec moi-même après cette longue sournoise guerre qui m'a ravagé. Alors je sais que les dieux d'antan qui me poursuivaient dans mes cauchemars, viendront se réconcilier avec les pères et prophètes des églises récentes qui m'ont instruit et lavé, avec les interrogations des savants passionnés qui m'ont émerveillé et troublé, et que tous m'ouvriront les yeux et les narines, me révéleront des chemins à travers les falaises et les fleuves.

7
Le pacificateur
(Peace maker)
HENRY MUNYARADZI

Pourvu qu'on ait réussi à se constituer un point d'attache suffisamment à l'écart, toute feuille et toute corne, et même tout fragment d'outil abandonné par les hommes, commence à luire et regarder. Alors du moindre recoin, de la moindre fissure, nervure, se met à perler, suinter la mémoire des anciens combats, des humiliations, des mépris et haines, des coups de fouet, de botte et de fusil, de tout ce qu'on croyait impardonnable, mémoire transformée en chemins de traverses, passerelles, portes secrètes, tandis que la forêt bourdonne de récits et de baumes. Les ulcères se vident; les blessures se referment. Sur toute terre et toute peau se répand un sourire d'apaisement.

8
A tire d'aile
(Flying through)
BRIGHTON SANGO

D'une épaule à l'autre, d'une rive à l'autre, de trace en nuage, de piste en frontière, se balançant, s'étendant, s'enfuyant, se reprenant, fonçant pour cueillir une baie, pêcher une truite, guider un enfant, séduire une femme, écouter les souvenirs d'un vieillard, puis repartant franchir les rues, les ravins, les incendies, les dévastations, les oublis, oiseau-navire, berceau-fenêtre, harpe-crâne, oreille-livre, au repos dans la vitesse, projetant de toutes parts des nappes d'écumes et de sèves, des rayons de miel et d'encens, la fraîcheur des lames et le crépitement des braises, le sommeil dans un bain de sueur, le rêve dans un ciel étincelant.

9
Borgnesse
(One-eyed lady)
ALICE SANI

L'autre oeil regarde à l'intérieur dans les périscopes du temps. Ses soeurs lavandières étendent le linge de leurs mauvais souvenirs sur les fils de clôture au long des routes interminables. Ses filles et ses nièces lui apportent leurs problèmes sentimentaux et ménagers pour lesquels elle transmet recettes et talismans. Pas besoin de lui en dire long; elle a déjà tout deviné lors du passage de la barrière. Elle glousse affectueusement, fouille dans ses jarres et ses sacs, demande qu'on la tienne au courant, et se retire dans sa contemplation.

10
Je suis sur le point de parler
(I am going to talk)
NORBERT SHAMUYARIRA

Les mots sont là, grouillant dans la nuit de mes entrailles et les circonvolutions de mon cerveau. Nageur aveugle j'essaie de les saisir, de les choisir, de les examiner, peser, interroger, de les faire monter à la faveur du crépuscule, de la frontière, de la solitude. Et voilà que cela s'embrouille. J'en ai pris un pour un autre. Je me demande si je ne vais pas commettre une erreur irréparable en avouant, en niant, en me taisant. J'y suis presque; un instant, un effort encore, et les syllabes vont retentir comme un tonnerre sur le sable de mon mutisme.

11
La princesse
(Princess) ou (Proud woman)
JOHN TAKAWIRA

Bras et poitrine couverts de bijoux d'or mais invisibles pour l'instant, rétractant son cou de girafe, ébouriffant sa chevelure flottante, elle se glisse au long des pierres sèches de la grande enceinte souple, songeant aux splendeurs évanouies: festins, parures et triomphes. Les caravanes arrivaient depuis les ports du lointain océan. Les chameaux s'agenouillaient sur la place. On ouvrait les ballots pour en extraire délicatement céramiques chinoises et tissus de l'Inde contre lesquels on troquait minerais, épices et défenses d'ivoire. Il venait même des aventuriers enturbannés avec leurs livres et leurs bizarres prosternations qui osaient parfois lever les yeux sur les femmes, à leur grand dam. Aujourd'hui tout est envahi d'aloès et de babouins avec quelques touristes européens ou américains devant qui, le jour, il faut faire bonne figure; mais à l'intérieur elle est toujours la hautaine qui attend que le soir lui rende ses palais.

12
Dame au repos
(Relaxing lady)
LAZARUS TAKAWIRA

Comme un cygne cachant sa tête sous son aile, elle s'appuie contre son épaule rivalisant de douceur avec plumes et soie. Ses lèvres se tendent pour réclamer un baiser de la part du grand oiseau qui plane au-dessus d'elle, l'ombrageant et l'éventant comme si elle était son amante, comme si elle était toute entière un oeuf nacré où mûrissaient des jumeaux ailés. Elle s'enfonce précautionneusement dans les labyrinthes de la gestation, de l'autre côté du mur du sommeil où l'oiseau l'éclaire de ses flammes et la guide au fil de son chant.

13
Mes deux copains
(My two boy friends)
ZEPHANIA TSHUMA

C'est qu'il m'en faut bien deux, avec mon tempérament. Je les épuise. J'abats deux ou trois fois plus de travail qu'eux, et c'est moi qui suis obligée de les traîner jusqu'au bistrot pour qu'ils m'offrent enfin de la bière. J'en bois aussi deux fois plus qu'eux. Quand ils sont enfin un peu éméchés, nous titubons en chantant discrètement dans les faubourgs jusqu'au logis de l'un ou l'autre. C'est généralement le locataire officiel qui s'endort le premier, satisfait de m'avoir chez lui, tandis que je montre à l'autre quelques caresses inédites où je deviens lionne, jument, hyène ou phacochère, et même serpente, pintade ou tortue.

14
Personne en détresse
(Tormented soul)
GLADMAN ZINYEKA

Ma peau s'est transformée en métal fondant qui se tord noblement sous le deuil. Ils m'ont tout pris, non seulement les vivants disparus on ne sait trop quand ni comment, mais les morts dont les emblèmes ont été arrachés, si bien que je n'ai plus rien à quoi m'appuyer dans le cyclone qui me secoue. Existe-t-il une sueur pour éteindre mon feu, une salive pour m'apaiser, une boue pour m'y enfoncer, une caverne pour m'y cacher, pour m'y retourner, pour m'y retrouver?

15
Retour à nos racines de musiques métisses
(Back to our (rasta) roots)
THOMAS ZINYEKA

Cheveux à mi-chemin entre les écorces et les algues; le vent qui les démêle vient des profondeurs de la lointaine mer caraïbe après avoir agité les rameaux des forêts, les herbes des savanes, les tôles des faubourgs et les fumées des bouges. Si l'on se retourne on est pétrifié non pas en statue de sel mais en bloc de corail de béton avec ses arborescences suppliantes. Donc il faut tourner encore coûte que coûte, grogner et chanter, frapper sur les portes fendues, les murs lézardés, les vitres brisées, pour obtenir de quoi partir et revenir.


 
 
 

HIÉROGLYPHES EN VACANCES

pour Ricardo Licata

 
L'homme au soleil pose une branche sur son toit
La femme-Lune cueille une fleur à sa porte
L'enfant des étoiles dispose une grappe à sa fenêtre
Un crâne de nuage couronne de palmes sa cheminée

Le Soleil envoie ses palmes sur les fenêtres et les ancres
La Lune orne avec ses branches cheminées et mâts
Les étoiles sèment des fleurs au hasard des toits et voiles
Les nuages pressent leurs grappes sur portes et cordages

Une palme devant la porte évente la voile aux insectes
Sur la branche à la fenêtre pendent les cordages serpents
Des fleurs parfument la cheminée l'ancre et l'oiseau
Une grappe s'écrase du toit sur mâts et poissons

La porte entre les mâts s'ouvre pour l'oiseau à crinière
Une fenêtre entre les voiles des poissons réfléchit les écailles
Une cheminée entre les cordages attire des insectes à cornes
Des toits brasillent entre les ancres sous le serpent à plumes

Les mâts serpents deviennent cornes de flammes
Sur les voiles des oiseaux déposent leurs plumes en croix
Entre les cordages les poissons à crinières cherchent les clefs
Entre les ancres les insectes ouvrent leurs écailles et leurs yeux

Le serpent fait briller ses écailles devant clefs et crânes
L'oiseau désigne avec sa corne l'oeil de l'homme
Le poisson à plumes déploie ses flammes pour la femme
L'insecte polit avec sa crinière la croix de l'enfant

Les écailles se disposent en croix pour la femme-nuage
Les cornes deviennent des clefs pour l'enfant-soleil
La plume dessine l'oeil du crâne-lune
La crinière de flammes applaudit l'homme-étoile

La croix de l'homme couvre la lune de grappes
La clef de la femme déchiffre étoiles et palmes
L'oeil de l'enfant traverse nuages et branches
La flamme du crâne salue le soleil en fleur


 
 
 

ARC-EN-CIEL BLEU

pour Serge Popoff
 
1

bleu dis-moi bleu montre-moi bleu roule-moi bleu mène-moi jusqu'à la forêt verte et bleue dis-moi vert éclaire-moi bleu montre-moi vert mène-moi jusqu'au lac bleu roule-moi vert brûle-moi bleu intensément bleu

2

mène-moi bleu jusqu'à la clairière jaune et verte ourlée de bleu dis-moi jaune éclaire-moi vert jusqu'aux dissonances bleues montre-moi jaune mène-moi jusqu'à l'Ouest vert file-moi bleu roule-moi jaune brûle-moi vert intensément vert jusqu'aux oliviers bleus imperturbablement bleus

3

mène-moi bleu jusqu'à l'Est orange et jaune ourlé de vert et de bleu intensément bleu doublement bleu dis-moi orange éclaire-moi jaune jusqu'aux collines vertes et au Nord bleu montre-moi orange mène-moi jusqu'aux champs de tabac jaune file-moi vert tresse-moi bleu roule-moi orange brûle-moi jaune intensément jaune jusqu'au Sud vert imperturbablement vert et aux enfants bleus merveilleusement bleus

4

mène-moi bleu jusqu'aux masques rouges et orange ourlés de jaune et de vert intensément vert dans la lumière bleue imperturbablement bleue dis-moi rouge éclaire-moi orange jusqu'aux pierres jaunes et au fleuve vert tisse-moi bleu intensément bleu triplement bleu montre-moi rouge mène-moi jusqu'à la rue orange file-moi jaune tresse-moi vert jusqu'à la neige bleue roule-moi rouge brûle-moi orange intensément orange jusqu'aux rivages jaunes imperturbablement jaunes et aux pluies vertes merveilleusement vertes baigne-moi bleu miraculeusement bleu

5

mène-moi bleu jusqu'aux calanques violettes et rouges ourlées d'orange et de jaune intensément jaune dans la lumière verte imperturbablement verte et bleue merveilleusement bleue dis-moi violet éclaire-moi rouge jusqu'aux caniveaux orange et aux murs jaunes tisse-moi vert intensément vert enroule-moi bleu imperturbablement bleu montre-moi violet mène-moi jusqu'à la fenêtre rouge file-moi orange tresse-moi jaune jusqu'à la forêt verte et au lac bleu intensément bleu encore plus bleu roule-moi violet brûle-moi rouge intensément rouge jusqu'aux clairières orange imperturbablement orange et aux dissonances jaunes merveilleusement jaunes baigne-moi vert miraculeusement vert jusqu'à l'Ouest bleu inaltérablement fidèlement bleu multiplement bleu


 
 
 

LA LUMIERE DU SABLE

pour André Villers
et Jean-Jacques Morvan

 
C'est en revenant du Far-west
qu'ayant posé mon ancre à Nice
invité par la faculté
j'ai fait connaissance d'André
lequel m'a fait participer
à ses jeux de lumière et d'ombres

Nombreuses collaborations
ont suivi ce premier dialogue
puis quand j'ai remis à la voile
pour m'installer près de Genève
où j'ai travaillé des années
se sont espacées nos rencontres

Mais la complicité demeure
à travers silence et distance
séparés par mers et montagnes
il nous suffit du moindre signe
pour que repasse le courant
dans la joie de se retrouver

Avec lui mais avec bien d'autres
qui incurvent leurs trajectoires
séduits par son champ magnétique
pour se joindre aux conversations
improvisations collectives
aventures d'exploration

Ainsi j'ai pu suivre Jean-Jacques
dans une après-midi d'antan
gravant la plage comme un cuivre
et j'ai pu remonter le temps
grâce à la magie des images
pour y inscrire mes légendes
 
 
 
 
 
 

L'ÉCHELLE DES ANGES
pour Joël Negri
Entre mer et ciel
barreaux et cordages
ailes ruisselantes

algues murmurantes
choeur des tentatrices
rames gouvernails

lanternes roseaux
la tour du guetteur
la hune des ombres

le phare d'appel
un rayon sauveur
vers l'observatoire

avec ses coupoles
atlas des étoiles
issue de secours

taches du Soleil
trajet des comètes
vagues irisées

écailles d'écume
le char de l'aurore
crinières naseaux

portes de l'espace
écuries de verre
la foule des mots

roulant sur les grèves
avec ses énigmes
et ses équilibres

jusqu'à l'horizon
d'un siècle meilleur
 
 
 
 
 
 
 


DANS LE BLIZZARD DE LA TERRE DE FEU

pour Gérald Minkoff et Muriel Olesen

 
LOIN d'ici le squelette du manège et le réverbère fantôme devant les frimas du détroit, les brumes en cavalcade, le sifflement du vent dans les pneus, le grelottement des vagues et la vibration des fils électriques le long des quais et des radeaux

La guerre des enfants LOIN devant la palissade et les cannelures des rideaux de part et d'autre du compteur en contemplant les amas d'énormes échardes prêtes à blesser et brûler dans le soir qui monte

Derrière les vieilles automobiles vaguement alignées devant les falaises LOIN les jeunes poursuivent leur figuration de la Terre de touffe en touffe et de flaque en flaque rêvant des navires traversant les tempêtes pour s'échapper

Au fin fond du bras de mer d'ultime espérance le glacier cascadeur reconstitue ses origines LOIN arrachement de l'épiderme terrestre lors des séismes constructeurs d'Andes tandis que dans la paix du caboteur les dames dessinent avec leur paille le paraphe de l'éclair perdu

Près des fourrures antédiluviennes miraculeusement préservées dans leur caverne le réservoir fournit l'eau douce pour la lessive et la cuisine aux cabanes calfeutrées LOIN entourant jalousement leur réserve de bois de chauffage pour le perpétuel hiver peuplé de fantômes d'édentés géants

Avec son bonnet phrygien-fuégien le jeune bicycliste ne se doute nullement qu'il est une réincarnation du berger princier Paris cherchant à enlever quelque Hélène LOIN dans un Péloponèse catastrophique au long duquel des Cyclades blanches dérivent lentement dans les giclements et les hurlements

Cassures, fêlures non seulement du verre mais de l'air, du temps qui ne passe plus, qui ruisselle et stagne, roule et rouille, se fuit et se fige, tinte et grince LOIN, cahote et s'enlise dans les dents de scie du calendrier naufragé

Furieuses lames de suie à l'assaut des nuages qui les narguent de leurs laves éclatantes, visages de suie résignés reconnaissant à travers les fenêtres de leur bus les portes fermées de leur geôle qui enfonce ses galeries racines dans la Terre LOIN à la recherche de quelques gouttes encore de l'élixir de bois noir

Comme le chevalet d'un maître d'autrefois qui serait venu travailler sur le motif pour capter avec les poils de son pinceau le pelage épais d'un cheval ou la caresse de la lumière sur les chevelures de lichens et les paumes de poussières caillouteuses comme celles des vieilles femmes guettant le signe du départ, j'allais dire le départ du cygne, dans un claquement d'ailes indéfiniment LOIN.


 
 
 
 
 

A LA LOUPE

pour Pierre Leloup

 
 Au détour de la route on s'enfonce dans le chemin où les cailloux divisent les branches du torrent.

 C'est une cascade en miniature. Une brindille forme un pont. Nous prenons la taille des fourmis pour explorer cette merveille de la nature. Les fleurs des primevères deviennent des parasols. Après quelques instants de rêveries, nous nous réinstallons dans notre taille normale. Notre corps qui nous attendait comme un cheval docile, se rappelle à nous par un frisson. Puis cela commence à grimper le long d'un ravin si abrupt que les branches déjà hautes viennent déployer leurs ramures au ras du sol moussu. Des graines se balancent dans la palmeraie minuscule. Une goutte de rosée leste une toile d'araignée tendue entre deux racines. Un morceau de miroir s'est accroché à l'aisselle d'un hêtre comme si quelque vagabond l'avait disposé pour se raser. Bifurcations à tous les étages. Chants des oiseaux. Nous sommes à l'abri du vent, mais nous entendons sa rumeur dans l'altitude. Nous ne pouvons voir les nuages.

 Sifflements et grincements. Cette percussion, c'est sûrement un pivert. La chaleur augmente. Nous transpirons. Il faut enlever les vestes dont nous nouons les manches en ceinture autour de nos tailles. Nous ne pouvons voir les nuages, mais des épées de soleil tranchent soudain jusqu'aux feuilles mortes des chênes, aux aiguilles et pommes d'épicéa que nos pieds font rouler. Un écureuil en décortique une avant de détaler, queue tendue. Un papillon blanc se pose sur une souche, replie ses ailes et tourne autour de nos visages en repartant. Il faut écarter lianes et ronces. Nous écrasons beaucoup de branches. Il y en a des amoncellements çà et là.

 C'est comme le bruit du papier froissé, ou plutôt le crépitement d'un feu. A vrai dire, c'est sans doute cette odeur de fumée qui s'accentue, qui nous a fourni cette image. Il y a peut-être une habitation dans le coin, ou un campement. Il y a des amoncellements de branches çà et là; et puis des arbres qui se sont écroulés. Certains font penser à de grands navires échoués, d'autres à des squelettes de monstres antédiluviens, d'autres encore à des échafaudages pour construire cathédrales ou tours de Babel, à des vestiges d'escaliers suspendus dans des ruines immenses. Des enfants ont édifié une cabane; inachevée, bien sûr. Quelques maîtresses poutres, une couverture de fougères encore vertes, des esquisses de murs avec indication de la porte et de la fenêtre. Un roc creusé marque l'emplacement de la cuisine. Un peu plus loin les restes éparpillés d'une autre.

 Les filles y apportent leurs poupées pour leur faire goûter un peu à la vie sauvage. Elles les déshabillent et rhabillent, peignent leurs cheveux avec des épines, les font dormir sur des lits de menthe ou de lierre. Un peu plus loin les restes éparpillés d'une autre cabane. Un poteau branle encore, soutenant de sa fourche une vergue vermoulue. On se faisait des visites d'une famille à l'autre. On s'extasiait sur le confort. On s'offrait de petits cadeaux enfantins. Les glands figuraient aussi bien les théières que les oeufs de Pâques. On fumait des pipes de cupules. On prenait pour serviettes des feuilles d'érable. Ici ce sont des fragments de maçonnerie. Quelqu'un avait dû délimiter son territoire, défricher, s'installer.

 Carreaux de faïence ébréchés, fissurés. Une marmite trouée par la rouille. Des lambeaux de chiffons tassés dans une encoignure. Quelques tisons refroidis sur des cendres marquées de traces d'oiseaux. Quelqu'un avait dû délimiter son territoire, défricher, s'installer, aller jusqu'à planter quelques légumes. Un robinet sort de terre, hissé par son tuyau. Il y a même une gerbe d'asters en fleurs. Ce monticule herbu, c'était le tas d'ordures. On voit encore un couvercle de boîte de conserves émerger entre les vrilles des pois. Le départ a sans doute été précipité. Tout cela est abandonné depuis longtemps, creusé de terriers dans les interstices. Nous entrons dans une région d'abattage.

 Une inondation de lumière soudain. C'est comme si nous avions atteint le bord de la mer. La sonorité est comme lavée, balayée de grandes nappes de silence éclatant. Tout devient attentif et nous retenons notre respiration. Nous entrons dans une région d'abattage. Les grands fûts ébranchés, écorcés jonchent le sol. Des stères sont disposés comme des maisons de banlieue. Les bûcherons sont absents. C'est jour férié. Ils ont laissé quelques-unes de leurs lourdes machines. Tout cela va bientôt partir. Peut-être plantera-t-on de jeunes arbres. Sinon ce seront de longues années de ronces, de taillis et de serpents. De nouveau le couvert, les colonnes, l'épaisseur. On devine la proximité de grands animaux. Des rochers déchiquetés annoncent le sommet.

 Fumets et traces. Mouvements furtifs. Des oiseaux se signalent des menaces les uns aux autres. Nous échangeons des souvenirs africains: les journées des lions, éléphants, buffles. La forêt nous épie de toutes ses ocelles. Des rochers déchiquetés annoncent le sommet d'où l'on voit d'une part le lac et de l'autre les grandes Alpes. Une gorgée d'espace. Un nuage s'amarre aux cimes comme s'il venait nous chercher. Nous nous accoudons aux rambardes de l'aéronef. Le drapeau noir étoilé de Robur le conquérant claque derrière nos oreilles. Nous abordons au débarcadère secret. Nous repartons. Descentes et remontées. Nous tombons sur une route sans indications.

 Nous aurions peut-être dû apporter avec nous une boussole; une carte au moins. Désorientés, nous quêtons les indices, battons le rappel de nos souvenirs; car nous sommes déjà venus par ici il y a quelques semaines ou quelques mois. Non, ce serait plutôt quelques années. Nous tombons sur une route sans indications, mais ce doit être celle qui se faufile jusqu'à ce vieux village avec une église baroque. Nous en avons le nom sur le bout de la langue. Charmante place avec des tilleuls. Sur le tympan un bas-relief représentant le massacre des innocents dont les âmes juvéniles sont recueillies par des anges maternels. A l'auberge on servait des filets de perche avec du vin perlant. Le coq du monument aux morts dialoguait en sourdine avec celui du clocher tandis qu'un vieux corbeau croassait au-dessus du lavoir. Nous devons donc être déjà beaucoup plus bas que prévu. Orties et champignons; aucun ne paraît comestible. Le ronflement d'un hélicoptère empêche la conversation.

 Certains des champignons sont comme des boutons de nacre, d'autres des oeufs de cane, des gants pour des elfes, des coraux, des algues arborescentes. Le sous-bois devient un aquarium. Plus loin, c'est comme si on remontait jusqu'à des ères très anciennes, et l'on s'attend à voir surgir de menus dinosaures effarés devant notre taille. Le ronflement d'un hélicoptère empêche la conversation. Nous nous émerveillons sans un mot devant une orchidée rare, un galet jaspé, une plume de geai. Nous cherchons la présentation idéale pour ce musée sylvestre: vitrines en plexiglass avec fond de velours vert bouteille, éclairages tournants; ou plutôt vieux bocaux sur le rebord de la fenêtre. Nous photographierons tout cela au retour, à tête reposée; mais il aurait mieux valu prendre l'appareil avec nous pour fixer le lieu et l'instant. Nous emportons déjà un tel bardas! Ce sera pour une autre fois, une autre vie. Nous entassons nos trouvailles dans notre sacoche dont nous sortons parfois jumelles ou loupe et même le petit carnet à couverture orange pour noter une impression avec ses circonstances. Au détour de la route on s'enfonce dans le chemin.
 


 
 
 
 

VERGERS D'ENFANCE

pour Jean-Pierre Thomas
1)
La pourpre coule
entre les doigts

Le jus du soir
les bulles du matin

Pépins et duvets
nervures et rainures

La transparence des grappes
la mésange sur un rameau

L'effervescence des mouches
dans l'éventail des prunes

6)
Un grain de beauté
sur la joue de la pomme

La harpe des vignes
le clavecin des groseilles

Le lait qui perle
aux seins des figues

Nymphes et dryades enlacées
houris et péris sous gaze et perles

Les pétales dans l'herbe
un lézard sur un caillou

11)
Les guêpes mordent
dans la poire

Une collection de noyaux
des arabesques de pelures

Une goutte de résine
au fond de la blessure
d'un cerisier

Le parfum des fraises
un sourire velouté

Murmures des écorces
crépitements en sourdine

16)
Un goût de tendre aveu
sur le bout de la langue

Sous les caresses des brindilles
les bourgeons s'entrouvrent

Le brouillard étend ses bras
vers les ciseaux du soleil

Une échelle appuyée
à la maîtresse branche

Un bouquet de révérences
une guirlande alanguie

21)
Une poupée nonchalante
dans son fauteuil de rotin

Les amandes
en boucles d'oreille

La piéride du chou
rencontre un amiral

Une tache de pourriture
sur un brugnon
arraché par le vent

A califourchon
sur la vergue
d'un navire imaginaire

26)
Les mains poisseuses
le visage barbouillé

Il faudra lessiver
toutes les blouses

La dînette est prête
entre les racines

Les cloches des vaches
dialoguent
avec celles des églises

Le plumage d'un flamant
se balance
devant celui d'une cigogne

31)
Les couleurs mûrissent
très lentement
dans le cellier
de la demi-saison

Les ongles des mirabelles
effleurent les lèvres
des framboisiers

Le pigeon se rengorge
sur les tuiles du mur

Un crissement de freinage
dans la descente
un ronflement d'hélicoptère
entre les cimes

L'araignée brode sa rosace
entre deux vieux orangers

36)
Tout ce qui est un peu gâté
servira pour la marmelade

Nos paniers remplis
nous les portons
jusqu'à la cuisine

Vous souvenez-vous
des saveurs
de l'an passé?

L'odeur de la fumée
s'insinue jusqu'ici

L'épaule nue
de la cueilleuse
échappée
de la robe à ramages

41)
Une flûte s'exerce
avec des hésitations
exquises

Le déclic
d'un ange photographe

L'aquarelliste
trempe son pinceau
dans un petit bol

Le littérateur
ouvre son carnet

Les broussailles du lichen
l'oasis des mousses

46)
L'arbre de la connaissance
avec son serpent de délices

Les jambes de la pluie
bousculent les feuilles tremblantes

L'escargot a laissé
son ruban de nacre

La barrière franchie
le péché originel
se cicatrise

Un méridien
croise un parallèle
sur la pointe d'une étamine

51)
Hier chatouille demain
qui file
comme une source

Un bosquet de secondes
explose dans un paragraphe

On se pardonne
d'être


 
 
 
 

L' HORIZON SUSPENDU

pour Jean-Pierre Thomas

 
Le fil des nuages brode les cheminées
des maisons basses
le soir transmet le mot de passe
au jour suivant
lierre et vigne-vierge
glycine et rosiers
 

Les paupières d'écume se referment
sur les yeux des vagues
un bateau sardinier passe devant l'île
avec son cortège de mouettes
dans un creux des dunes
un jardin de jacinthes
 

Les cyprès couchés par le vent
arrêtent les bouteilles en plastique
je dérange quatre couples de canards
à tête brune
quand j'approche de la forêt
le choeur des oiseaux recommence
 

Cela ressemble tellement à la brousse
que je m'imagine voir un zèbre
mais non je suis en Europe
c'est une cavalière en culotte blanche
sur un cheval noir qui caracole
en renâclant aimablement
 

Les approches de la marée
comme de vieilles mains qui se frottent
sous le récit d'histoires interminables
d'un temps jamais révolu
en en tirant des conclusions inattendues
pour nous tirer de mauvais pas actuels

Prémonitions du siècle futur
des automobiles silencieuses
les traînées des avions jouent
à imiter les comètes
qui nous invitent à quitter notre globe
pour mieux le gérer


 
 
 
 
 
 

LES COULEURS DE L'EAU

pour Chan Ky Yut
 
La cascade glisse à peine
ses cheveux parmi la glace
un poignard de soleil tombe
sur une flaque immobile
entre des galets neigeux
qui tremblent avec le vent
la vapeur monte en tournant
jusqu'aux branches dénudées
qu'elle recouvre de givre
comme avec un long pinceau

         L'arc-en-ciel d'hiver enjambe la banquise où les foules de phoques se prélassent en regardant passer les mouettes criardes.

Les mousses sur les rochers
couverts d'éventails de bruine
les fougères qui déroulent
leurs crosses de pèlerins
le long du fleuve tranquille
où descendent les radeaux
poussés par gaffes et vents
d'un embarcadère à l'autre
sous les arceaux de glycines
et les salves des poiriers

         Les écoliers déchiffrent l'arc-en-ciel de printemps en pataugeant dans les caniveaux le long des maisons.

Les algues de la marée
pénètrent parmi les dunes
les ombelles des nuages
sur la soie des orangers
les bancs d'huîtres et d'oursins
les défilés des dorades
la torpeur d'huile et de sable
l'arrivée des ouragans
rafales de sel et d'encre
céramiques déchaînées

         Se basculant tranquillement sur leur terrasse les retraités observent l'arc-en-ciel d'été saluant les robes humides et les rires.

Miroir de l'impermanence
feuilles tombant une à une
dans la moire et dans la rouille
tourbillons de nostalgie
souvenirs d'une autre vie
pressentiments de l'ivresse
lessive de nos soucis
écailles de la vaisselle
aux festins des retrouvailles
après l'épreuve et le froid

         Dégustant fruits et vins les voyageurs admirent l'étoile du berger qui s'allume dans l'estuaire au centre de l'arc-en-ciel d'automne.
 
 
 
 
 


SUEURS DU TEMPS

pour Claude-Henri Bartoli
Tant d'ossements abandonnés
sur les pistes de la famine
dans les larmes et la sanie
le crépitement des mitrailles
et le sifflement des machettes
jamais nous ne serons capables
d'apaiser nos parents fantômes
dont le sang hurle sur nos pas

Les rugissements dans la nuit
les piétinements au matin
les cris des oiseaux et des singes
les traces marquées dans le sable
les bouquets d'arbres agités
au passage des éléphants
les aigles pêcheurs tournoyant
au-dessus des lacs de barrage

Un clou qui ne chasse pas l'autre
un conglomérat d'étincelles
les rides brûlées dans le bois
les moires des yeux irisés
un bras levé pour implorer
pour saluer et signaler
qu'on aborde aux jardins des morts
où veillent les anges de brume

Clapotis sur les bords du lac
la lessive et les pagayeurs
les bébés noués dans les châles
balançant leur tête endormie
le long des routes où l'on croise
des bus débordants de visages
leur toit croulant sous les valises
avec fanfares de poussière

La lune monte entre les branches
et les montagnes découpées
polissant l'acier des marais
entre papyrus et roseaux
tandis que les chevaux hennissent
avant de refermer les yeux
leur flanc rougeoyant dans l'éclat
du feu qui s'éteint peu à peu

Celui qui sait interroger
les odeurs dans le vent du soir
le désarroi des jeunes gens
les palpitations des malades
le ressassement des vieillards
le silence des disparus
les déclarations des orages
fait s'ouvrir des yeux dans la poix

Chevrons et croix cercles et lunes
poissons dans les algues et vagues
museaux rameaux souffles et flammes
lèvres murmurant des refrains
ongles inscrivant des proverbes
ocelles écailles rayures
plumes chevelures et laines
l'univers déployant ses voiles

Sur la paroi de la caverne
les chasseurs d'autrefois défilent
ombres rouges sur le fond gris
tombées dans le piège du conte
qui vient leur rendre l'épaisseur
quand il refait couler ses eaux
d'une génération à l'autre
dans des arc-en-ciel de senteurs

Étranger qui viens regarder
les enseignes de nos faubourgs
nous avons mis tes pantalons
et nous roulons dans tes autos
quand tu crois en avoir fini
dans les monceaux de tes ordures
nous découvrons filons précieux
minerais de résurrection

Au long du chemin de nos vies
les stèles marquent les stupeurs
découvertes et abandons
des bruits effrayants dans le ciel
d'interminables caravanes
des gens qu'on ne comprenait pas
et qui voulaient tout transformer
sans nous demander notre avis

À chaque pas tombe un oubli
et chaque soir le sentiment
qu'on aurait dû se souvenir
vient perturber notre sommeil
les mots de la langue d'antan
tournent dans nos vieillissements
comme des mouches insultantes
que nous ne pouvons plus saisir

O lecteur sous ce que tu lis
ce sont d'autres mots qui se glissent
c'est une autre couleur de peau
qui vient les teindre en fermentant
et sous ces premiers souterrains
exhalant leurs bouffées de nuit
d'autres respirations persistent
attisant des forges perdues

Toutes les fleurs de ces buissons
se sont envolées en criant
tous les enfants de ce village
se sont enfuis à notre approche
puis sont revenus souriant
quémandant nous examinant
sous l'oeil inquiet de leurs parents
qui craignent notre contagion

Les zébrures qui s'entrecroisent
dans les replis sous la poitrine
avec des reflets métalliques
modelant le ventre et les jambes
quand les bras remontent la jarre
pour la hisser sur le turban
des giclures d'eau les arrosent
d'une déclaration d'amour

Conseil des anciens assistés
par leurs parents et grands-parents
et tous les enfants oubliés
qui sont morts avant de pouvoir
transmettre à d'autres leur haleine
une immense foule attentive
silencieuse s'exprimant
dans l'envers des conversations

Autour de toutes ces familles
la sphère des générations
cercles qui vont s'entrecroisant
incluant nos propres ancêtres
dont nous ne savons plus les noms
ni les langues mais réclamant
par nos rêves et nos émois
la paix entre leurs descendants


 
 
 
 
 

LES CATHÉDRALES DU VIDE

pour Piero Steinle et Julian Rosefeldt

 
1
Le vertige de l'abandon
 

         Les poutres. Tout le monde est parti. Les puits. C'était si plein. La nostalgie. Il y avait tant de gens. La menace. Il y avait tant de choses. Le silence. Il y avait tant de bruit. Le vent. Que s'est-il passé? La poussière. Il a bien fallu du temps pour que cela sorte. La distance. Pour que cela s'écoule. L'absence. Avec bousculade et remous. La perspective. Mais non. Le temps qui passe. Cela a été si soudain. Le froid. En un clin d'oeil. La surface. Ou bien j'ai été saisi par une longue syncope. L'écho. Un évanouissement. Les piliers. Et l'on m'a oublié. Les arcs. Ou plutôt c'est l'amnésie. Les voûtes. J'ai assisté à tout. Le secret. J'ai voulu rester jusqu'au bout. Les murmures. J'ai insisté. Les ténèbres. Après tous les autres. Les souvenirs. Comme le capitaine sur le pont de son navire en perdition. Les projets. Mais il s'est sans doute produit quelque chose d'horrible. Les escaliers. Quelque chose de si horrible que la Nature a fait tomber dans ma tête un voile miséricordieux. Les prisons. Un voile qui vient de se relever. L'attente. Et me voici à regarder tout autour de moi. La surprise. Pour trouver l'issue mais sans savoir s'il y en a une. L'angoisse. Pour aller à la recherche des disparus. Le gouffre. A la recherche des rescapés de l'autre côté. La caverne. Qui se demandent peut-être où je suis. Le déambulatoire. Dans quel état? L'abside. Mort ou survivant? Les baies. Détruit sans cadavre sans doute. Les trouées. Car je ne suis plus qu'un regard. Les ponts. Incapable de rien toucher.
 

Je ne sais plus où je suis
Je ne sais plus qui je suis
Je ne sais plus dans quelle année je suis
Je ne sais plus depuis combien de temps je suis ici
 

2
L'opéra des ombres
 

         Les puits. L'orchestre invisible anime la valse des fantômes. La menace. Quelles figures ils peuvent se permettre! Le vent. Ils passent l'un à travers l'autre. La poussière. Les plis de leurs vêtements se surimpriment dans la transparence. L'absence. Leurs orbites gravitent autour de soleils creux. Le temps qui passe. Autour d'envers d'astres. La surface. Autour d'arbres de givre qui étincellent en fondant. Les piliers. Qui fondent sous la foudre sombre. Les voûtes. Quelques lèvres se précisent devant les mâchoires. Les murmures. Se précisent pour permettre aux orateurs de prononcer leurs discours de bienvenue. Les souvenirs. Ils prononcent leurs discours en trinquant avec leurs gobelets d'ivoire fumeux. Les escaliers. Des chambellans en cagoule proposent aux invités des élixirs. L'attente. Qui permettent de remonter aux diverses époques où tout ce joli monde tournoyait. L'angoisse. Flamboyait, riait à gorge déployée. La caverne. Se précipitait sur les petits fours, se poursuivait dans les recoins. L'abside. Alors les robes se colorent un instant. Les trouées. Les robes, les coiffures, les uniformes. Les travées. Se colorent dans toute leur vivacité. Le gris. Un instant. Le blanc. Pour faner comme des affiches battues de pluie. Le noir. Pour s'effacer. Les catacombes. Pour se ranger dans les archives de l'oubli.
 

Je ne sais pas ce qui va m'arriver ici
Je ne sais pas qui je vais rencontrer ici
Je ne sais pas ce que je vais trouver ici
Je ne sais pas ce que je vais devenir ici
 

3
Les coulisses du déluge
 

         La nostalgie. Les nuages captifs flottent comme des icebergs. Le silence. Sur les eaux limpides. La distance. Où croisent des troupes de poissons de métal. La perspective. De poissons de papier gravés d'écailles d'encre. Le froid. Qui suintent ou dégoulinent en perdant leurs lettres. L'écho. Et leurs accents. Les arcs. Des vagues de vieilles histoires se faufilent et se déplient. Le secret. Puis elles ruissellent dans toutes les fentes au long des falaises. Les ténèbres. Ruissellent pour former des flaques-miroirs. Les projets. Des flaques où l'imprudent voyageur découvre l'effet qu'il fait sur autrui. Les prisons. Il ne lui reste plus qu'à se laver dans les cruelles cascades. La surprise. Les cascades transforment ses vêtements en carapace de gel. Le gouffre. Crustacé novice il palpe de ses antennes parois et sables. Le déambulatoire. Il fait jouer ses anneaux et ses pinces. Les baies. Il explose et parade. Les ponts. Puis il devient eau dans l'eau. Le gris. Devient air dans l'air. Le noir. Grouillements et ramifications dans la marée qui lessive les plages. Les mausolées. Qui lessive les quais, les citernes. Les cratères. Lessive les toits et les clochers. Le désarroi. Dont les coqs se sont transformés en dauphins.
 

Je ne sais pas ce que je vais dire ici
Je ne sais pas ce qu'on va me faire dire ici
Je ne sais pas qui va parler par ma voix ici
Je ne sais pas pour qui je vais parler ici
Je ne sais pas quel cri je vais pousser ici
 

4
Les charpentes interplanétaires
 

         La menace. Ceux qui voulaient gagner le ciel par leurs macérations ou psaumes. La poussière. Ceux qui voulaient le gagner par leurs observations et calculs. Le temps qui passe. Se sont réunis pour édifier ces oratoires-laboratoires. Les piliers. Dans lesquels sont interrogés les neuf choeurs des anges et les messages des satellites. Les murmures. Ici les enfants échappés aux sacristies et aux travaux pratiques se sont émerveillés. Les escaliers. Emerveillés devant le vibrato des sphères. L'angoisse. Les chiffres talismans. L'abside. Les langues des nuits. Les travées. Dans l'intervalle construit entre l'intérieur et l'extérieur des frontaliers pépiniéristes. Le blanc. Des frontaliers élèvent les nouveaux arbres de la connaissance. Les catacombes. Elèvent loin de la corruption du sol. Les cratères. Les nouveaux arbres de la connaissance des biens et des maux. La panique. Ils redescendent méconnaissables parmi leurs semblables. La peur. Redescendent les poches pleines d'anciennes tables d'anciennes lois. La fascination. Fragments qu'ils réajustent pour aménager leurs jardins.
 

Je ne sais pas quel démon m'a poussé ici
Je ne sais pas quel oeil je vais ouvrir ici
Je ne sais pas quelle piste je viens suivre ici
Je ne sais pas quelle Eurydice je poursuis ici
 

5
Les préparatifs du départ
 

         Le silence. C'est ici que l'on pourra soigneusement assembler les diverses pièces. La perspective. Les pièces fabriquées dans mille régions lointaines. L'écho. Pour réaliser enfin le navire dont on nous parle depuis notre enfance. Le secret. Le navire à la fois arche pour les animaux, caravelle. Les projets. Arche, caravelle pour les continents inattendus, station. La surprise. Caravelle, station orbitale pour modérer notre impatience à nous faire éclairer par des soleils enfin différents. Le déambulatoire. C'est ici. Les ponts. Que certains privilégiés pourront s'habituer aux coursives. Le noir. S'habituer aux cabines, balcons, tours de contrôle. Les cratères. Cherchant à deviner au travers des hublots ce qu'ils verront quelques années plus tard. La panique. Ce qu'ils verront après le grand arrachement. La fascination. C'est ici qu'alors les anciens, plus âgés que les plus âgés d'aujourd'hui. L'oscillation. Les anciens se retrouveront pour tirer d'autres plans. L'urgence. Pour élaborer d'autres stratégies. Le glas. Se retrouveront pour faire essaimer d'autres générations vers des régions qui nous sont aujourd'hui interdites. La réverbération. C'est ici que les explorateurs à leur retour viendront. La résonance. Viendront pour leur dire: venez avec nous! L'immensité. Buvez un grand coup de votre élixir de jouvence! La profondeur. Nous avons trouvé mieux qu'ici.
 

Je ne sais pas ce qu'on a pu faire ici
Je ne sais pas ce qu'on va me faire ici
Je ne sais pas ce que je vais être amené à faire ici
Je ne sais pas où l'on va m'emmener d'ici
 

6
Les entrailles de la cohue
 

         La poussière. A l'envers de la cité sa défécation. Les piliers. Excrétion qu'il s'agit d'étudier pour qu'il n'y ait plus à l'éliminer. Les escaliers. L'éliminer devient de moins en moins possible. L'abside. A moins de l'expulser au-delà de notre atmosphère. Le blanc. L'étudier pour qu'on puisse l'utiliser, la faire fleurir en îles. Les cratères. Fleurir en satellites ou sondes. La peur. Lorsque presque tout dort dans les immeubles le tribunal du cauchemar tient ses assises. L'oscillation. Alors les puissants du jour passent au crible de la nuit. Le glas. C'est dans cette géhenne qu'ils seront assignés à résidence de songe. La résonance. Ils devront effacer lettre à lettre tous leurs mensonges électoraux ou publicitaires. La profondeur. Ravaler leurs déclarations pour les ruminer et vomir. Les mirages. Pour les ruminer et les transformer. Les orgues. Alors les anciennes boîtes de conserve et les emballages plastiques déchirés pourront être ensemencés. Le tonnerre. Pour nous enivrer des odeurs du conte. Le roulement. Pour nous enivrer des fugues des villes nomades et des planètes désorbitées.
 

Je ne sais plus si je suis éveillé
Je ne sais plus si je suis sain d'esprit
Je ne sais plus si je suis encore vivant
Je ne sais pas dans quel enfer je suis
Je ne sais pas quelle faute j'expie
Je ne sais pas quelle naissance je subis
 

Épilogue

Dans le conglomérat de nos habitations
quelques bulles d'espace abandonné
c'est l'inverse de l'ancien désert
que l'on avait peuplé peu à peu

Une permission nous est accordée
avant qu'elles soient de nouveau remplies
d'y planter un instant notre tente mentale
pour chevaucher au fil de nos interrogations


 
 
 
 
 

LE RÉVEIL DES OISEAUX-MOUCHES

pour Graziella Borghesi

 
En suspension devant les fleurs
traversant nuages d'encens
dégustant les liqueurs de l'aube
oscillant de cime en ravin

Cantilènes en ultrasons
dont les humains ne peuvent jouir
qu'en regardant les yeux des chiens
qui s'en régalent dans leur songes

On peut alors y déchiffrer
les souvenirs des dinosaures
découvrant les secrets du vol
par dessus marais et fougères

A travers tant d'intermédiaires
transmettant leur enseignement
pour aborder aux millénaires
où nous parlerons en odeurs
 
 
 
 
 
 
 

UNE COQUILLE POUR GUILLEVIC
in memoriam
Tenant sa tête entre ses mains
comme l'évêque Saint Denis
pour offrir son vocabulaire
aux démunis de tous pays

Gastéropode laconique
chacun des mots comme une antenne
pour palper pistes et ressources
glissant sur les prés de papier

Tout son corps s'étalant en langue
marée léchant grèves et quais
déposant le sel de sa voix
par delà le dernier soupir

Sur les épaves de l'enfance
sur les écailles des beaux jours
sur la spirale des amours
sur la roue la rose et la rue


 
 
 
 

ABRI D'INFORTUNE

pour Pierre Leloup
Dans ce quartier calciné par la guerre
où rien ne semble plus utilisable
grelottant de fièvre et d'épuisement
creusant de nos ongles dans sable et cendre
nous cherchons à rassembler des épaves
pour aménager de très bas terriers
où nous glisser entre miraculés
pour partager nos insomnies troublées
par le retour des animaux nocturnes
aux lieux d'où ils avaient été chassés
 
 
 
PAVILLON DE DÉTRESSE
pour Pierre Leloup
Faut-il ou non se montrer. Il semble que les miliciens aient levé leur camp pour se répandre vers d'autres aires de pillage et massacre. Et si ce sont les camions des associations humanitaires que nous entendons approcher, il ne faudrait pas qu'ils passent, dans leur précipitation cahotante, en nous oubliant, car ils ont peut-être encore dans leurs coffres de quoi soulager nos purulences.
Mais il ne nous reste plus que cette chemise pour la faire claquer au vent.
 
 
MISSION DE SAUVETAGE
pour Louis-Marie Catta
1) Le temps semble passer plus vite encore que sur la Terre qui ne quitte jamais sa place au-dessus de nos têtes et dont nous observons les phases qui correspondent à la rotation des ombres dans les cratères où nous avons installé nos abris.

2) Toute la fascinante végétation que nous avions entrevue lors de nos premières explorations, et dont nous avions pu rapporter heureusement quelques spécimens dans notre herbier, est en plein dépérissement. On dirait qu'elle fuit notre contact.

3) Nous installons des équivalents lunaires de serres à côté de nos stations pour surveiller et soigner les quelques pieds que nous avons pu retrouver et transplanter. Nous avons même recueilli quelques semences et nous observons anxieusement leur germination.

4) Nous essayons d'obtenir des gouvernements terrestres des laboratoires qui reproduisent au mieux les conditions de la nature lunaire pour multiplier les expériences; mais malgré quelques bonnes volontés les lenteurs administratives sont telles qu'il ne nous reste que peu d'espoir.

5) Dès que nous repérons quelque vestige de végétation nous dessinons autour sur nos cartes un cercle de plusieurs kilomètres de rayon à l'intérieur duquel nous nous interdisons d'entrer. Mais certains pirates vont s'y ravitailler s'imaginant qu'ils vont pouvoir en distiller l'élixir de jouvence et d'immortalité.

6) Nous avons réussi à cultiver six de ces plantes, mais elles s'écartent un peu plus à chaque génération de leur forme primitive. Elles ne sont déjà plus totalement lunaires; elles se sont adaptées à notre invasion. Quant à la plus grande partie de la flore antérieure, nous ne pouvons déjà plus que la rêver.
 
 
 
 
 
 
 


GUILIN AU FUTUR

carnet de Chine

pour Didier Grasiewicz
1)
Un jour un avion me déposera sur la piste aux bambous
j'imaginerai des immortels comparant leurs bagues près des volières
j'évoquerai des paons déployant leurs roues sur la terrasse des ermitages
parmi les remparts de nuages qui s'édifieront et s'écrouleront

2)
Un jour un bateau me conduira jusqu'au débarcadère aux orchidées
j'inventerai des immortels racontant leurs souvenirs aux cerfs et aux carpes
je repérerai des geais sautant de branche en branche au-dessus des ravins
sous les phrases déchiquetées que l'horizon déclame dès qu'on tourne la tête
les paysannes descendront par les sentiers se désaltérant aux cascades
avant de rehisser leurs paniers remplis de pommes et de coings

3)
Un jour j'irai jusqu'à la marmite géante en traversant le pont de la ceinture
je surprendrai des immortels jouant avec des dés de jade parmi les stèles
j'apercevrai des corbeaux traçant sur le ciel l'idéogramme de la patience
les reflets sur l'eau mêlant les images des rocs tel un paquet de cartes

4)
Un jour je glisserai le long de la colline transpercée par la flèche du héros
j'entendrai des immortels improviser des ballades sur leurs luths
je regarderai des cailles picorer dans des plantations de cédrats
et des troupeaux de buffles se baigner voluptueusement dans la boue tiède
les écoliers s'éparpilleront dès le retentissement du gong libérateur
franchiront la porte de leur cabane pour y déposer casquette et veste

5)
Un jour je sinuerai jusqu'aux sommets des serpents pillards
j'écouterai des immortels accorder leurs harpes et rivaliser de trilles
j'observerai des perruches s'entraidant pour nettoyer leurs ailes
et les balancements des frondaisons répondant aux appels des sirènes

6)
Un jour l'averse me pourchassera vers la caverne de la lumière mystérieuse
j'y rencontrerai des immortels qui riront de mes vêtements trempés
je contemplerai des noeuds de racines semblables à des griffes ou des vipères
et des aigles tournoyant dans les défilés supérieurs entre piliers et nues

7)
Un jour je m'enfoncerai entre la perle rendue et l'essai des épées
j'épierai les controverses d'immortels sur les réincarnations des vieux
j'admirerai les taches de la lumière tamisée envahissant degrés et pentes
et les rondes des vautours identifiant quelque charogne à dépecer

8)
Un jour je photographierai la falaise aux trente bienheureux
je devinerai les commentaires des immortels sur mes maladresses
je respirerai depuis les ouvertures les irisations des merles
et le ruissellement des lianes dans les colonnades bouleversées

9)
Un jour je monterai jusqu'au kiosque des couleurs accumulées
je guetterai les déclarations d'amour d'immortels se poursuivant
j'étudierai les plongeons des cormorans vers les bulles et les remous
les guerriers pétrifiés déposant leurs armes devant la victoire du soir
les pèlerins appuyés aux rambardes pour déballer leurs victuailles
trinquant aux espoirs du prochain siècle après les horreurs de celui-ci

10)
Un jour j'escaladerai l'amoncellement des trésors assemblés
je m'approcherai des immortels faisant tinter leurs porcelaines
je suivrai les martins-pêcheurs filant d'une crique à l'autre
et les filons de saphir dans les échancrures des gorges
les amoureux tenteront d'identifier la couleur de leurs yeux
tandis qu'un fossile détaché de la crête les frôlera presque tendrement

11)
Un jour je m'endormirai à l'ombre de la pyramide du médecin silencieux
je m'esclafferai avec des immortels analysant mes rêves
réveillé en sursaut j'écrirai le retour des hirondelles vers leurs nids piaillants
puis me retournerai sur la mousse et me rendormirai
pour converser avec des marins de dynasties très anciennes
qui m'interrogeront sur ce qui se passait et se passera dans notre Occident

12)
Un jour je dessinerai la butte de la mort de l'Empereur sur mon carnet
je consignerai l'énumération par des immortels de ses vertus et crimes
puis je les décrirai chassant au faucon des canards d'ombre
dont les plumes couvriront la surface du fleuve comme des feuilles mortes
les cuisiniers parfumant leurs brasiers de tisons de santal
des vieillards allumant des bâtons d'encens devant les ruines du temple

13)
Un jour la horde des éminences viendra me flairer de ses trompes
je déchiffrerai les inscriptions des immortels sur les guerres des dieux
je reproduirai les illustrations qu'en proposeront les flamants
dans leurs danses devant les fourrures d'émeraude et les élytres des vagues

14)
Un jour je surveillerai le passage pour aller gravir l'échelle des singes
je reconstituerai le Voyage vers l'Ouest d'après les allusions des immortels
je transcrirai les orbes des pélicans entre les seins et les jambes de craie
et les frémissements des dentelles de feuillage sous les doigts du vent

15)
Un jour je serai pris par l'orage près de l'écurie du cheval flambant
je supplierai des immortels de m'indiquer son chemin pour m'y abriter
je décrypterai les valses des étourneaux avant le martèlement de la grêle
en mémorisant les gravures et fresques révélées par les éclairs
enveloppé d'une armure de verre je me moquerai des fouets des furies
m'accrochant à la crinière du tonnerre je galoperai sur les cimes

16)
Un jour un tapis de nacre se déroulera jusqu'aux deux bosses du chameau
je traduirai les secrets des immortels concernant élixirs et drogues
j'imiterai le héron pensif comme un vieil enchanteur m'avertissant
de tous les périls s'abattant sur moi si je divulguais mon savoir trop tôt
mais je parviendrai bien à les passer en contrebande dans mes rouleaux
en redescendant discrètement vers les foules des estropiés et des fiévreux

17)
Un jour cherchant le croissant de Lune j'aboutirai à la grande Ourse
je cataloguerai les séjours des immortels dans leurs paradis et planètes
j'interpréterai les messages de longévité apportés par les grues
aux jeunes gens férus d'astronautique et de progrès social
les flammes du miroir boréal rendront les murailles transparentes
de limite en limite l'escalier d'acier nous fera déboucher sur l'envers

18)
Un jour je lamperai un flacon d'alcool sur la dent qui porte ce nom
je résoudrai les énigmes que des immortels se poseront dans ma langue
je célébrerai le retour des oies depuis les régions des blizzards
et le souvenir de la neige recouvrira toutes les vallées

19)
Un jour je m'égarerai dans les cuivres du démon scolopendre
j'orchestrerai le thrène de ses abominations selon les immortels
je désorganiserai l'essor des busards vers leurs expéditions cruelles
et le battement d'une cloche lointaine me remettra sur la voie du retour

20)
Un jour je consulterai l'aiguille de la prévision du temps
je boirai les gloses des immortels sur les oracles des vapeurs
je redoublerai les grâces des cygnes louvoyant dans les anses du lac des pins
et celles des parois de marbre devenant charbon braise et cendres

21)
Un jour je naviguerai parmi les cinq doigts de la main
je commémorerai les apparitions des immortels par des triangles de cailloux
je débusquerai des essaims d'insectes sur la rivière aux fleurs de pêcher
les pirogues se faufilant chargées de cannelle et de poivre

22)
Un jour je rugirai sur l'échine du tigre fier de mes rayures
nourri des nouvelles de mon pays transmises par des immortels
magnanime je collecterai brins de laine et fils de lin pour les mésanges
et les colombes roucoulant avec le dragon lèchant l'île des amoureux

23)
Un jour j'atteindrai peut-être le dôme du festin des immortels
sans oser dire un mot j'attendrai leur invitation à y participer
je tenterai d'apprivoiser les phénix perchés sur leurs épaules
pour en faire les messagers de la terreur de mon renvoi
comment savoir avant cette dernière épreuve si nous serons admis
à nous reposer sous leurs parasols dans l'ébullition de leurs arcs-en-ciel


 
 
 
 

CARRÉ MAGIQUE

pour Giuseppe Maraniello
1

Amour patience transparente exaltation
constance démon célébration blanche
élégance divagation hasard jaune
méditation distance verte sommeil

Océan horizon bleu étonnement
gouffre désert gémissement vert
torrent glissement forêt bleue
grondement porte changeante ville

Révolution sang violet murmure
larme prémonition écriture changeante
écume lecture explosion violette
fêlure chevelure secrète concentration

Tremblement ciel rouge navire
effroi bouleversement nuage secret
salut miroir évanouissement rouge
fontaine enfer brûlant développement

2

Désert enfer blanc célébration
patience forêt divagation jaune
constance méditation ville verte
étonnement élégance bleue océan

Prémonition distance verte gémissement
horizon explosion glissement bleu
gouffre grondement concentration changeante
murmure torrent violet révolution

Bouleversement porte changeante écriture
sang évanouissement lecture violette
larme fêlure développement rouge
navire écume secrète tremblement

Démon chevelure rouge nuage
ciel hasard miroir secret
effroi fontaine sommeil brûlant
exaltation salut pourpre amour

3

Explosion salut jaune divagation
enfer concentration méditation verte
patience étonnement révolution bleue
gémissement constance verte prémonition

Evanouissement élégance bleue glissement
distance développement grondement changeant
horizon murmure tremblement violet
écriture gouffre changeant bouleversement

Hasard torrent violet lecture
porte sommeil fêlure secrète
sang navire amour rouge
nuage larme secrète démon

Forêt écume rouge miroir
chevelure ville fontaine brûlante
ciel exaltation océan pourpre
célébration effroi brûlant désert

4

Développement effroi vert méditation
salut tremblement étonnement bleu
enfer gémissement bouleversement vert
glissement patience bleue évanouissement

Sommeil constance changeante grondement
élégance amour murmure violet
distance écriture démon changeant
lecture horizon violet hasard

Ville gouffre secret fêlure
torrent océan navire rouge
porte nuage désert secret
miroir sang rouge forêt

Concentration larme brûlante fontaine
écume révolution exaltation pourpre
chevelure célébration prémonition brûlante
divagation ciel pourpre explosion

5

Désert ciel bleu étonnement
effroi océan gémissement vert
salut glissement forêt bleue
grondement enfer changeant ville

Démon patience violette murmure
constance amour écriture changeante
élégance lecture hasard violet
fêlure distance secrète sommeil

Prémonition horizon rouge navire
gouffre révolution nuage secret
torrent miroir explosion rouge
fontaine porte brûlante concentration

Bouleversement sang pourpre exaltation
larme tremblement célébration brûlante
écume divagation évanouissement pourpre
méditation chevelure furieuse développement

6

Amour chevelure verte gémissement
ciel hasard glissement bleu
effroi grondement sommeil changeant
murmure salut violet démon

Révolution enfer changeant écriture
patience explosion lecture violette
constance fêlure concentration secrète
navire élégance rouge prémonition

Tremblement distance secrète nuage
horizon évanouissement miroir rouge
gouffre fontaine développement brûlant
exaltation torrent pourpre bouleversement

Océan porte brûlante célébration
sang forêt divagation pourpre
larme méditation ville furieuse
étonnement écume noire désert

7

Explosion écume bleue glissement
chevelure concentration grondement changeant
ciel murmure prémonition violette
écriture effroi changeant révolution

Evanouissement salut violet lecture
enfer développement fêlure secrète
patience navire bouleversement rouge
nuage constance secrète tremblement

Forêt élégance rouge miroir
distance ville fontaine brûlante
horizon exaltation désert pourpre
célébration gouffre brûlant océan

Hasard torrent pourpre divagation
porte sommeil méditation furieuse
sang étonnement démon noir
gémissement larme furieuse amour

8

Développement larme changeante grondement
écume bouleversement murmure violet
chevelure écriture tremblement changeant
lecture ciel violet évanouissement

Ville effroi secret fêlure
salut désert navire rouge
enfer nuage océan secret
miroir patience rouge forêt

Sommeil constance brûlante fontaine
élégance démon exaltation pourpre
distance célébration amour brûlant
divagation horizon pourpre hasard

Concentration gouffre furieux méditation
torrent prémonition étonnement noir
porte gémissement révolution furieuse
glissement sang noir explosion

9

Explosion sang noir murmure
larme prémonition écriture furieuse
écume lecture concentration noire
fêlure chevelure furieuse révolution

Forêt ciel pourpre navire
effroi désert nuage brûlant
salut miroir ville pourpre
fontaine enfer brûlant océan

Evanouissement patience rouge exaltation
constance bouleversement célébration secrète
élégance divagation développement rouge
méditation distance secrète tremblement

Hasard horizon violet étonnement
gouffre démon gémissement changeant
torrent glissement sommeil violet
grondement porte changeante amour

10

Désert porte furieuse écriture
sang ville lecture noire
larme fêlure océan furieux
navire écume pourpre forêt

Bouleversement chevelure brûlante nuage
ciel développement miroir pourpre
effroi fontaine tremblement brûlant
exaltation salut rouge évanouissement

Démon enfer secret célébration
patience sommeil divagation rouge
constance méditation amour secret
étonnement élégance violet hasard

Prémonition distance changeante gémissement
horizon concentration glissement violet
gouffre grondement révolution changeante
murmure torrent nacré explosion

11

Développement torrent noir lecture
porte tremblement fêlure furieuse
sang navire évanouissement pourpre
nuage larme brûlante bouleversement

Sommeil écume pourpre miroir
chevelure amour fontaine brûlante
ciel exaltation hasard rouge
célébration effroi secret démon

Concentration salut rouge divagation
enfer révolution méditation secrète
patience étonnement explosion violette
gémissement constance changeante prémonition

Ville élégance violette glissement
distance océan grondement changeant
horizon murmure forêt nacrée
écriture gouffre tendre désert

12

Amour gouffre furieux fêlure
torrent hasard navire pourpre
porte nuage démon brûlant
miroir sang pourpre sommeil

Révolution larme brûlante fontaine
écume explosion exaltation rouge
chevelure célébration prémonition secrète
divagation ciel rouge concentration

Océan effroi secret méditation
salut forêt étonnement violet
enfer gémissement désert changeant
glissement patience violette ville

Tremblement constance changeante grondement
élégance évanouissement murmure nacré
distance écriture bouleversement tendre
lecture horizon nacré développement

13

Développement horizon pourpre navire
gouffre évanouissement nuage brûlant
torrent miroir bouleversement pourpre
fontaine porte brûlante tremblement

Concentration sang rouge exaltation
larme explosion célébration secrète
écume divagation prémonition rouge
méditation chevelure secrète révolution

Ville ciel violet étonnement
effroi forêt gémissement changeant
salut glissement désert violet
grondement enfer changeant océan

Sommeil patience nacrée murmure
constance hasard écriture tendre
élégance lecture démon nacré
fêlure distance tendre amour

14

Explosion distance brûlante nuage
horizon prémonition miroir pourpre
gouffre fontaine révolution brûlante
exaltation torrent rouge concentration

Forêt porte secrète célébration
sang désert divagation rouge
larme méditation océan secret
étonnement écume violette ville

Hasard chevelure changeante gémissement
ciel démon glissement violet
effroi grondement amour changeant
murmure salut nacré sommeil

Evanouissement enfer tendre écriture
patience bouleversement lecture nacrée
constance fêlure tremblement tendre
navire élégance lumineuse développement

15

Désert élégance pourpre miroir
distance océan fontaine brûlante
horizon exaltation ville rouge
célébration gouffre secret forêt

Démon torrent rouge divagation
porte amour méditation secrète
sang étonnement sommeil violet
gémissement larme changeante hasard

Bouleversement écume violette glissement
chevelure tremblement grondement changeant
ciel murmure développement nacré
écriture effroi tendre évanouissement

Prémonition salut nacré lecture
enfer révolution fêlure tendre
patience navire concentration lumineuse
nuage constance liquide explosion

16

Amour constance brûlante fontaine
élégance sommeil exaltation rouge
distance célébration hasard secret
divagation horizon rouge démon

Tremblement gouffre secret méditation
torrent développement étonnement violet
porte gémissement évanouissement changeant
glissement sang violet bouleversement

Révolution larme changeante grondement
écume concentration murmure nacré
chevelure écriture explosion tendre
lecture ciel nacré prémonition

Océan effroi tendre fêlure
salut ville navire lumineux
enfer nuage forêt liquide
miroir patience inaltérable désert
 
 
 
 


BONIMENT
pour accompagner 18 plaques de lanterne magique
illustrant l'histoire de Geneviève de Brabant

pour l'anniversaire d'Henri Pousseur
 
1
Hubert, maire de palais du roi d'Austrasie, accompagné de son écuyer Hidulphe de Leuze, chassant dans la forêt de Soignes le vendredi saint, se voit arrêté par un cerf miraculeux, un crucifix éblouissant entre les bois, qui l'adjure de se repentir de sa vie de corruption, violence et stupre.

2
Hubert, devenu évêque de Maastricht et Liège, assisté par le sous-diacre Hidulphe, célèbre les épousailles du duc et de la duchesse de Brabant dans la chapelle de leur château de Tervuren. La mariée porte un voile en dentelle de Malines. Hubert offre au duc son ancien cor de chasse.

3
Hubert bénit le baptême de la petite Geneviève de Brabant. Hidulphe est devenu diacre. Dans la forêt de Soignes, près du débarcadère sur les étangs de Waterloo, le cerf miraculeux bénit la naissance d'une jeune biche sa descendante.

4
Geneviève grandit en sagesse et en âge. Au monastère de Nivelles elle apprend avec ses compagnes à tisser la batiste. Pour en rehausser l'éclat elle mêle aux fils de lin quelques uns de ses cheveux d'or. Sur l'esplanade devant le château, elle s'exerce à la harpe et les animaux de la forêt viennent l'écouter. La jeune biche se couche à ses pieds.

5
Sigefroi, comte palatin, ayant entendu vanter les vertus de Geneviève et la beauté de sa chevelure, en tombe éperdument amoureux. Il vient demander sa main à son père. Il offre comme cadeau de fiançailles un collier de perles fines que les ondines de son pays lui ont apportées une à une.

6
Hidulphe devenu évêque à son tour, célèbre le mariage de Sigefroi et Geneviève. La duchesse de Brabant sa mère lui a confié son voile de Malines. Hidulphe avertit la jeune épousée qu'elle traversera de terribles épreuves, mais qu'elle en sortira triomphante pourvu qu'elle conserve toujours avec elle le crucifix du cerf miraculeux que lui a confié Saint Hubert. Le duc de Brabant donne à son gendre le cor dont il ne peut plus sonner.

7
La foule des chevaliers, forestiers et vignerons accueille Geneviève et Sigefroi dans leur château entre Rhin et Moselle. On reconnaît dans la forêt la biche qui l'a suivie secrètement et sur les rives du torrent qui nourrit les douves, les ondines entre rire et larmes. Mandé par l'empereur Charlemagne, le nouveau marié s'apprête à partir pour aller combattre les Maures par-delà les Pyrénées. Vérifiant le tranchant de son épée il coupe une boucle des cheveux de Geneviève et la noue à son cimier.

8
L'intendant Golo, à qui Sigefroi a confié les clefs du château pendant son absence, ayant admiré Geneviève peignant solitaire sa longue chevelure à la fenêtre de sa chambre, laisse monter en lui des intentions déshonnêtes. Au pas saccadé de son cheval, plein d'un affreux dessein, il sort de la petite forêt triangulaire qui veloute d'un vert sombre la pente d'une colline, selon Marcel Proust, et s'avance en tressautant à travers la lande jaune où la pauvre comtesse palatine en ceinture bleue rêve à son paladin devant le château. Golo profite de la solitude pour faire éclater sa violente flamme que Geneviève repousse avec horreur. Elle demande au cuisinier Draco de faire parvenir à Sigefroi une missive qui lui décrit la situation.

9
Golo, passant devant la chambre de sa maîtresse au moment où Draco est venu chercher la missive prête, croit qu'il a un rival heureux, et fou de jalousie le poignarde. Il enferme Geneviève dans la tour des délinquants; mais celle-ci a réussi à conserver par devers elle la croix miraculeuse. Il compose un réquisitoire qu'il emplit de détails aussi vifs que mensongers et le confie au plus rapide cavalier resté au château.

10
Tandis qu'il examine sur les ravins d'Espagne le camp des Maures pour les combats du lendemain, Sigefroi reçoit d'un messager le scandaleux réquisitoire. Dans sa colère il ordonne de faire périr la misérable.

11
Geneviève, dans la tour des délinquants où elle a donné naissance à un fils qu'elle a baptisé Dolor, apprend de Bertha, la fille du geôlier, que les bourreaux Hinz et Lorenz viendront cette nuit même les chercher pour les mettre à mort. Couchée sur le sol humide, à la lumière du crucifix miraculeux, elle rédige, grâce à du parchemin, des plumes et de l'encre qu'a pu lui procurer cette amie compatissante, un adieu à son époux, rétablissant la vérité sur toute l'affaire. Elle le noue par une mèche de ses cheveux, et lui demande instamment de le remettre à Sigefroi dès qu'il rentrera au château. Elle lui donne en remerciement, son collier de perles fines.

12
En pleine nuit sans lune, dans la forêt profonde, à la lueur de la torche portée par Hinz, Lorenz brandit son cimeterre, mais le gémissement tout proche d'une biche les perturbe tellement que le coup manque et la flamme s'éteint. Entre les seins de sa mère l'enfant Dolor découvre en jouant le crucifix miraculeux jusqu'alors invisible qui éclaire de ses rayons la fuite des bourreaux effarés.

13
Hinz et Lorenz viennent se vanter devant Golo d'avoir perpétré leur forfait; mais l'intendant entre dans une grande fureur en interdisant désormais à quiconque de prononcer le nom de ses victimes et tombe dans une profonde prostration dont le tirent seulement des accès de colère.

14
Le lendemain matin Geneviève et Dolor parviennent épuisés et tremblants à un vallon qui verdoie malgré l'hiver, sur lequel donne une caverne spacieuse avec source chaude et source fraîche, dans laquelle vit la biche qui les a déjà sauvés. Celle-ci dont le petit venait d'être emporté par un loup, se laisse téter par l'enfant, traire par la mère.

15
Ayant découvert la dépouille du faon, Geneviève en fait une casaque pour Dolor que la biche ne cesse de lécher et réchauffer. La dépouille d'une brebis habille bientôt la mère dont les anciens vêtements somptueux et les chemises de baptiste n'étaient plus que lambeaux, et qui n'était pratiquement plus couverte que de sa chevelure.

16
Bertha remet à Sigefroi retour d'Espagne l'adieu rédigé par Geneviève. Le seigneur regrette amèrement de s'être laissé emporter. Il ne peut se retenir d'inonder de ses larmes les boucles qui sont, croit-il, tout ce qui reste de sa mal-aimée. Il fait aussitôt jeter Golo dans la tour des délinquants où celui-ci se blesse en se frappant la tête contre les murs. Des artisans édifient à sa demande un superbe cénotaphe dans la chapelle, pour la mère et le fils disparus.

17
Sigefroi cherchant un dérivatif dans la chasse poursuit la biche jusqu'à la caverne où Dolor soigne sa mère malade. Le jeune garçon émerveillé par le cor de Saint Hubert l'essaie et en tire des sons si réconfortants que Geneviève s'éveille guérie et reconnaît son époux. De retour au château Geneviève retrouve sa harpe et improvise avec son fils de tels duos que la frénésie de Golo s'apaise dans sa tour. On envoie un émissaire au vieux duc de Brabant et à son épouse dans leur château de Tervuren où il se désolaient de la disparition de leur enfant, et ils viennent se mêler à la liesse.

18
Vêtu en pèlerin avec longue barbe, bâton et coquille, Hinz avoue à Bertha qu'il n'a point cessé de penser à elle pendant tout son voyage à Rome. Le jour du mariage le collier de perles fines brille doucement autour de son cou. C'est encore Hidulphe qui bénit l'union pour laquelle Geneviève a prêté son voile de Malines qu'elle reprendra pour sa nouvelle-née Madeleine qu'elle tient dans ses bras. Lorenz qui estime incomplètes sa pénitence et ses explorations, engage Golo à l'accompagner à Jérusalem, mais s'il se joint avec lui à l'équipage du duc de Brabant jusqu'à la forêt de Soignes, l'ancien intendant préfère s'arrêter près du débarcadère des étangs de Waterloo, pour s'installer un ermitage, désirant expier ses propres violences par d'effroyables visions de massacres futurs qu'il pressent dans cette région. La biche qui l'a suivi retrouve son terroir natal. On y réédifie le cénotaphe qui lui sert de palais sylvestre, où viennent régulièrement la revoir Geneviève et Dolor à qui elle inspire inépuisablement des musiques thérapeutiques et philosophales. Saint Hubert descend du ciel pour les écouter.
 


 
 

CHANT DES ESPRITS SUR LES EAUX

adapté de Goethe
pour Inge Kresser
Semblable à l'eau
l'âme des hommes
venant du ciel
y remontant
et retombant
jusqu'à la terre
changeant toujours

Fluant des hautes
parois à pic
le rayon pur
se vaporise
vagues de nuages
sur roc humide
rejaillissant
voile ondulant
menu murmure
en profondeur

Falaise abrupte
encontre chute
furieuse écume
dégringolant
jusqu'à l'abîme

En couches planes
glisse vers l'aval
au miroir du lac
paissent leurs visages
toutes les étoiles

Le vent amoureux
caresse la vague
extrayant du fond
des lames d'écume

Ame des hommes
semblable à l'eau
destin des hommes
semblable au vent
 
 
 

Sommaire n°12 :
 
MÉTÉOROLOGIE
PHILATÉLIE
FLORAISON DES EXCLUS
CE QUE CACHAIENT LES BLOCS
HIÉROGLYPHES EN VACANCES
ARC-EN-CIEL BLEU
LA LUMIERE DU SABLE
L'ÉCHELLE DES ANGES
DANS LE BLIZZARD DE LA TERRE DE FEU
A LA LOUPE
VERGERS D'ENFANCE
L' HORIZON SUSPENDU
LES COULEURS DE L'EAU
SUEURS DU TEMPS
LES CATHÉDRALES DU VIDE
LE RÉVEIL DES OISEAUX-MOUCHES
UNE COQUILLE POUR GUILLEVIC
ABRI D'INFORTUNE
PAVILLON DE DÉTRESSE
MISSION DE SAUVETAGE
GUILIN AU FUTUR
CARRÉ MAGIQUE
BONIMENT
CHANT DES ESPRITS SUR LES EAUX
 
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