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Poésie au jour le jour 20

(enregistré en février 2013)

Sommaire






APPEL
suite pour un violoncelle en détresse

[Ici j'ai introduit la version de Pablo Casals de la première des six suites pour violoncelle seul de Jean-Sébastien Bach, BWV 1007 (15mn) et celle de Yo-Yo Ma pour l'ensemble des suites (2h 10mn)]
 

pour Maxime Godard

 
1
Prélude

La boue la pluie
les trous d’obus
le temps qui fuit
le froid le bruit

La nourriture
on ne sait quand
quelques nouvelles
contradictoires

Gauloiseries
des camarades
plaisanteries
des officiers

La puanteur
dans les recoins
des cauchemars
toutes les nuits
 

2
Allemande

Il y a longtemps
que je n’ai pu voir
des arbres vivants
avec leurs bourgeons
devenant des feuilles

Tous ceux qui se dressent
dans ces solitudes
se tordent les bras
comme des statues
de la damnation

Le vent qui se lève
dans les soirs d’hiver
les fait murmurer
comme des fantômes
secouant leurs chaînes

Leurs gémissements
et leurs craquements
sont interrompus
par les explosions
de bombes perdues

Alors ils fleurissent
en bouquets d’échardes
ruisselant parfois
de fange et de sang
sur le sol criblé
 

3
Courante

Entre deux murs de boue
ourlés de barbelés
les pieds dans une flaque
j’observe à l’horizon
les fumées et les flammes
jaillissant des décombres

Des copains escaladent
des monceaux de gravats
en lançant des grenades
avant de se cacher
dans le prochain cratère
et de recommencer

Derrière nous j’entends
le convoi des autos
et les hennissements
des chevaux effarés
remorquant leurs chariots
pour nous ravitailler

Quand on a constaté
qu’on n’a rien pu changer
du tracé déjà vieux
de la ligne de front
le calme redescend
avec le crépuscule

En courant et rampant
nous tentons de glaner
dans ce qui fut un jour
des vignes et des champs
quelques morceaux de bois
d’étoffe ou de métal

Accumulant ainsi
dans nos logis suintants
des matériaux épars
pour construire en secret
des reconstitutions
de trésors entrevus
 

4
Sarabande

Lentement passent les ombres
dans mon demi-sommeil lourd
tandis que les camarades
se retournent sur leurs couches
en proférant des insultes
contre ennemis et gradés
puis soupirent en ronflant

D’abord viennent mes parents
grands-parents oncles et tantes
certains morts depuis longtemps
je les vois m’applaudissant
lors de quelque anniversaire
quand je soufflais les bougies
sur un gâteau mirifique

Puis les copains de l’école
avec échanges de billes
avec les conversations
pendant les récréations
et même pendant les cours
révélations et serments
complicités de défis

Paradent les jeunes filles
soeurs cousines camarades
dans les universités
les processions et les bals
les rencontres dans les trains
bureaux ou bibliothèques
les aveux et les silences

Et celle qui fut choisie
avec la présentation
à la famille suivie
du mariage célébré
à l’église à la mairie
la nouvelle installation
plaisirs et difficultés

Les enfants qu’on a quittés
ils auront déjà grandi
lorsque les autorités
auront enfin accordé
la lointaine permission
d’aller pour leur répéter
que la guerre va finir

Les blessés qui sont partis
ceux qui ne reviendront pas
ceux dont on a recueilli
les derniers balbutiements
ceux qui mais on n’en peut plus
et voici que la relève
va autoriser l’oubli
 

5
Trio

a) Menuet

Dans les rares moments tranquilles
où nous pouvons nous isoler
pour rédiger quelques messages
où nous ne disons presque rien
ce n’est ni permis ni possible
le langage nous a lâchés
depuis trop longtemps nous savons
que l’on ne nous comprendrait pas

Je m’applique à tirer les cordes
et tente de filer un son
qui me fait vibrer la carcasse
depuis les pieds jusqu’aux sourcils
comme je voudrais que mon chant
réconforte les camarades
et résonne jusqu’aux familles
en berçant les petits enfants

Ce sont des épaves de son
que je bricole vaguement
en tordant le fil de chansons
dont je fredonne les couplets
qui me parlent d’un autre temps
que nous ne reverrons jamais
car nous sentons bien que tout tremble
dans l’ignorance où l’on nous tient
 

b) Bourrée

Frappant le sol avec mes pieds
pour bien me pénétrer du rythme
et me dégourdir je soulage
tant de colère accumulée
en ces mois de paralysie
contre les embusqués les traîtres
contre les gradés les bureaux
les empereurs les présidents

A chaque impact c’est comme si
une explosion de coups de poings
frappait à la porte fermée
que l’on oppose à nos questions
brûlant quelques planches l’hiver
les crépitement nous raniment
imaginant les incendies
qui pourraient supprimer nos geôles
 

c) Gavotte

Nous avons conquis quelques mètres
au prix d’un grand nombre de morts
et pénétré dans les tranchées
de l’ennemi où tout nous blesse
mais nous n’avons plus d’illusions
ça s’est déjà produit vingt fois
on reculera dans deux jours
sans que nous y comprenions rien

Pourtant quelque chose évolue
derrière ces balancements
on voit maintenant des avions
le téléphone et la radio
si jamais nous passons ce fleuve
de boue de flammes et d’éclats
nous aurons multiples surprises
quand rebâtirons nos maisons

Mais pour l’instant ça va ça vient
tandis que passent les saisons
on se réinstalle en cherchant
à cicatriser les blessures
semblables à celles que nous
avons infligées à leur camps
attendant que les brancardiers
aient évacué les plus touchés
 
 

6
Gigue

Vous qui naîtrez la guerre finie
que nous voulons espérer dernière
afin que cette expression ne vire
pour dire seulement précédente
essayez d’entretenir les traces
qu’auront transmises nos survivants
dans cet univers probablement
plus ouvert lumineux et rapide
où l’on devrait vivre plus longtemps

Vous aurez bien envie de fermer
le volume de notre malheur
de nos étouffements nos terreurs
de notre sang qui se mélangeait
avec celui de nos ennemis
d’un jour pour former des élixirs
de haine d’obscurité de larmes
de cris et de fumées de lambeaux
d’uniformes sales et troués

Et nous voudrions tant oublier
déjà notre infortune au moment
de son aggravation permanente
nous rassurer en nous répétant
que demain nul ne risquera plus
de retomber dans ce labyrinthe
où des minotaures innombrables
nous épient à chacun des tournants
de ces boyaux où l’on nous digère

Mais nous ne pouvons être certains
que l’on cessera de fabriquer
des mines des gaz des chars d’assaut
et une crainte persiste en nous
que les bombardiers lancent des bombes
pires que toutes celles connues
dans notre apocalypse incomplète
est-il raisonnable de confier
notre sort à ceux qui nous gouvernent

Comment les traités qu’on signera
seront-ils acceptés par les gens
qui auront tellement supporté
de tous les côtés de la bataille
et les rancoeurs ne vont-elles pas
encore fermenter dans les ombres
qui se faufileront en tremblant
dans les ruines de leurs domiciles
en essayant de s’y réhabituer

Aussi ne manquez pas d’écouter
les récits maintes fois répétés
que l’on vous fera de ce temps mort
dont la monotonie risquera
d’exaspérer votre volonté
d’effacer d’enfoncer tout cela
dans les profondeurs de l’océan
acceptez de les enregistrer
pour pouvoir les consulter un jour

Tout en vous souhaitant les plus beaux
lendemains les plus légères fêtes
les voyages les plus nonchalants
passant d’un continent à un autre
à travers archipels et déserts
pour jouir de villes étincelantes
et des sources les plus voluptueuses
avec ma sonorité criarde
je lance mon avertissement

Je voudrais mêler de la douceur
à la rudesse de l’élégie
que je destine à votre tendresse
mais tous mes efforts de vibrato
n’aboutissent qu’à chevrotement
de vieillard soudain happé par l’âge
à peine au sortir de son enfance
ma voix qui muera jusqu’à mon râle
sournoisement fêlera vos rires

Si vous ne vous souvenez de moi
la guerre viendra pour vous reprendre
et vous broyer entre des mâchoires
pires encore et nous ne pouvions
imaginer pire nous pensions
avoir touché le tréfonds du fond
improvisant nostalgiquement
pour survivre en vous imaginant
dans votre avenir de miel et d’astres
 
 
 

SARAJEVO BLUES
pour Yves Faure
1

 Dans les ruines de Sarajevo ATTENTION.
 Dans les ruelles et dans les taxis DANGER fuir.
 On erre on fuit on épie qui ? Ratures. On se cache on court on saute quoi ?

 Aux environs d’un instant à l’autre INTERDIT épier c’est l’accalmie.
 Dans les recoins et dans les camions SANS ISSUE se cacher c’est la récréation je manque.
 On tombe on cherche on tremble pourquoi ? Biffures. On attend on titube on glisse jusqu’où ?

 Cicatrices d’une minute à l’autre FERMÉ courir c’est l’agonie je franchis (retard) tu trembles.
 Aux blessures et aux trous béants DÉTRUIT sauter c’est le glas je sombre (convention) tu titubes tu glisses écrou  l’inondation.
 On saigne on soupire on transpire depuis quand ? Palimpsestes. On appelle on fouille on agonise depuis quoi ?
 

2

 Dans les arbres de la Bosnie EN PANNE.
 Aux murailles et aux avenues HORS SERVICE chercher.
 On rampe on grimpe on persiste avec qui ? Religions. On insiste on renonce on scrute pour qui ?

 Aux immeubles d’une heure à l’autre DÉFENSE D’ENTRER trembler c’est le destin.
 Dans les jouets et dans les déchets MORTEL attendre c’est la malchance je dénonce.
 On écrit on signe on dénonce en vue de quoi ? Traditions. On survit on râle on brûle avant quoi ?

 Nébuleuses d’un jour à l’autre BOUCHÉ tituber c’est la condamnation je signe (brancard) tu persistes.
 Aux barbelés et aux décombres BLOQUÉ glisser c’est le répit j’écris (chirurgie) tu renonces tu scrutes passeport  l’amputation.
 On sombre on franchit on manque par où ? Sacrilèges. On enterre on résiste on respire comment ?
 

3

 Dans les gravats de l’ancienne Yougoslavie POLLUTION.
 Dans les enfants et dans les regards ÉPIDÉMIE soupirer.
 On respire on erre on résiste avec quelles armes ? Enseignements. On fuit on enterre on épie avec quels mots ?

 Aux souvenirs d’une semaine à l’autre DÉTOUR transpirer c’est la poisse.
 Aux fantômes et aux carrefours QUARANTAINE appeler c’est la glu je persiste.
 On manque on se cache on franchit en échange de quoi ? Interprétations. On court on sombre on saute avec quel horizon ?

 Herbes folles d’une année à l’autre DOUANE fouiller c’est le noir je grimpe (mission diplomatique) tu manques.
 Aux épaves et aux stigmates POLICE agoniser c’est la nuit je rampe (milice) tu résistes tu respires réservé  la nausée.
 On brûle on tombe on râle pardonnant quoi ? Traductions. On cherche on survit on tremble avec quels secours ?
 

4

 Dans les brèches des Balkans RÉSERVÉ.
 Dans les éclats et dans les tunnels ÉCROULÉ grimper.
 On dénonce on attend on signe avec quels outils ? Traces. On titube on écrit on glisse avec quel langage ?

 Aux campements d’un empire à l’autre EFFONDRÉ persister c’est la démangeaison.
 Dans les impacts et dans les éclats PERDU insister c’est la faim je transpire.
 On scrute on saigne on renonce avec quels yeux ? Balafres. On soupire on insiste on transpire avec quelles forces ?

 Éboulements d’un régime à l’autre TRAVAUX renoncer c’est la soif je soupire (rayons X) tu survis.
 Au macadam et aux palissades PERMIS SPÉCIAL scruter c’est le froid je saigne (caméras) tu signes tu écris pollution  la suite.
 On persiste on appelle on grimpe avec quel espoir ? Conséquences. On fouille on rampe on agonise avec quel soulagement ?
 

5

 Dans le tocsin de la mémorable Autriche-Hongrie PASSEPORT.
 Aux cauchemars et aux désespoirs OBLIGATION signer.
 On respire on résiste on enterre au prix de quoi ? Malentendus. On manque on franchit on sombre au mépris de quoi ?

 Aux lendemains d’une propagande à l’autre NÉCESSITÉ dénoncer c’est l’insomnie.
 Aux délires et aux déceptions PÉAGE survivre c’est la parenthèse je tremble.
 On brûle on râle on survit pour la vie de qui ? Calomnies. On dénonce on signe on écrit pour l’amour de qui ?

 Ruissellements d’une vengeance à l’autre CAISSE râler c’est la tempête je cherche (chutes) tu appelles.
 Aux saignements et aux brûlures GUICHET foudroyer c’est le cyclone je tombe (combustible) tu soupires tu saignes en panne  le hasard.
 On scrute on renonce on insiste pour l’amour de quoi ? Mensonges. On persiste on grimpe on rampe pour l’avenir de qui ?
 

6

 Dans les fièvres de l’antique Esclavonie ÉCROU.
 Aux soubresauts et aux guérisons BARRIERE franchir.
 On agonise on fouille on appelle vers qui ? Interventions. On transpire on soupire on saigne pour l’avenir de quoi ?

 Ecchymoses d’un siècle à l’autre BARRICADE manquer c’est la neige.
 Aux fêlures et aux empreintes ABRI enterrer c’est la boue j’épie.
 On glisse on titube on attend où ? Ensevelissements. On tremble on cherche on tombe oubliant quoi ?

 Éclaboussures d’une Europe à l’autre PÉRIL résister c’est la merde je fuis (mines) tu te caches.
 Aux fractures et aux cassures FRAGILE respirer c’est une  possibilité j’erre (bombes) tu fuis tu erres attention  la fin.
 On saute on court on se cache derrière quoi ? Métamorphose ? On épie on fuit on erre jusqu’à quand ?
 
 
 

SARAJEVO BLUES
brouillon
pour Yves Faure
1

 Dans les ruines de Sarajevo ATTENTION errer c’est la fin je respire (point mort) tu erres tu fuis fragile  une possibilité

 Dans les ruelles et dans les taxis DANGER fuir c’est la pause je résiste (déviation) tu épies tu te caches péril  la merde

On erre on fuit on épie qui ?
on se cache on court on saute quoi ?

 Aux environs d’un instant à l’autre INTERDIT épier c’est l’accalmie j’enterre (erreur) tu cours tu sautes abri  la boue

 Dans les recoins et dans les camions SANS ISSUE se cacher c’est la récréation je manque (malentendu) tu tombes tu cherches barricade  la neige

On tombe on cherche on tremble pourquoi ?
on attend on titube on glisse jusqu’où ?

 Cicatrices d’une minute à l’autre FERMÉ courir c’est l’agonie je franchis (retard) tu trembles tu attends barrière  la grêle

 Aux blessures et aux trous béants DÉTRUIT sauter c’est le glas je sombre (convention) tu titubes tu glisses écrou  l’inondation

On saigne on soupire on transpire depuis quand ?
on appelle on fouille on agonise depuis quoi ?
 

2

 Dans les arbres de la Bosnie EN PANNE tomber c’est le hasard je brûle (négociation) tu saignes tu soupires guichet  le cyclone

 Aux murailles et aux avenues HORS SERVICE chercher c’est la fatalité je râle (déconseillé) tu transpires tu appelles caisse  la tempête

On rampe on grimpe on persiste avec qui ?
on insiste on renonce on scrute pour qui ?

 Aux immeubles d’une heure à l’autre DÉFENSE D’ENTRER trembler c’est le destin je survis (branlant) tu fouilles tu agonises péage  la parenthèse

 Dans les jouets et dans les déchets MORTEL attendre c’est la malchance je dénonce (silence) tu rampes tu grimpes nécessité  l’insomnie

On écrit on signe on dénonce en vue de quoi ?
on survit on râle on brûle avant quoi ?

 Nébuleuses d’un jour à l’autre BOUCHÉ tituber c’est la condamnation je signe (brancard) tu persistes tu insistes obligation  l’inconscience

 Aux barbelés et aux décombres BLOQUÉ glisser c’est le répit j’écris (chirurgie) tu renonces tu scrutes passeport  l’amputation

On sombre on franchit on manque par où ?
on enterre on résiste on respire comment ?
 

3

 Dans les gravats de l’ancienne Yougoslavie POLLUTION saigner c’est la suite je scrute (urgence) tu écris tu signes permis spécial  le froid

 Dans les enfants et dans les regards ÉPIDÉMIE soupirer c’est le désespoir je renonce (infirmerie) tu dénonces tu survis travaux  la soif

On respire on erre on résiste avec quelles armes ?
on fuit on enterre on épie avec quels mots ?

 Aux souvenirs d’une semaine à l’autre DÉTOUR transpirer c’est la poisse j’insiste (terrain vague) tu râles tu brûles perdu  la faim

 Aux fantômes et aux carrefours QUARANTAINE appeler c’est la glu je persiste (désert) tu sombres tu franchis effondré  la démangeaison

On manque on se cache on franchit au prix de quoi ?
on court on sombre on saute avec quel horizon ?

 Herbes folles d’une année à l’autre DOUANE fouiller c’est le noir je grimpe (mission diplomatique) tu manques tu enterres écroulé  le malaise

 Aux épaves et aux stigmates POLICE agoniser c’est la nuit je rampe (milice) tu résistes tu respires réservé  la nausée

On brûle on tombe on râle pardonnant quoi ?
on cherche on survit on tremble avec quels secours ?
 

4

 Dans les brèches des Balkans RÉSERVÉ ramper c’est la nausée j’agonise (arsenal) tu respires tu résistes police  la nuit

 Dans les éclats et dans les tunnels ÉCROULÉ grimper c’est le malaise je fouille (prison) tu enterres tu manques douane  le noir

On dénonce on attend on signe avec quels outils ?
on titube on écrit on glisse avec quel langage ?

 Aux campements d’un empire à l’autre EFFONDRÉ persister c’est la démangeaison j’appelle (vérification) tu franchis tu sombres quarantaine  la glu

 Dans les impacts et dans les éclats PERDU insister c’est la faim je transpire (inspection) tu brûles tu râles détour  la poisse

On scrute on saigne on renonce avec quels yeux ?
on soupire on insiste on transpire avec quelles forces ?

 Éboulements d’un régime à l’autre TRAVAUX renoncer c’est la soif je soupire (rayons X) tu survis tu dénonces épidémie  le désespoir

 Au macadam et aux palissades PERMIS SPÉCIAL scruter c’est le froid je saigne (caméras) tu signes tu écris pollution  la suite

On persiste on appelle on grimpe avec quel espoir ?
on fouille on rampe on agonise avec quel soulagement ?
 

5

 Dans le tocsin de la mémorable Autriche-Hongrie PASSEPORT écrire c’est l’amputation je glisse (surveillance) tu scrutes tu renonces bloqué  le répit

 Aux cauchemars et aux désespoirs OBLIGATION signer c’est l’inconscience je titube (radars) tu insistes tu persistes bouché  la condamnation

On respire on résiste on enterre au prix de quoi ?
on manque on franchis on sombre au mépris de quoi ?

 Aux lendemains d’une propagande à l’autre NÉCESSITÉ dénoncer c’est l’insomnie j’attends (pièges) tu grimpes tu rampes mortel  la malchance

 Aux délires et aux déceptions PÉAGE survivre c’est la parenthèse je tremble (trappes) tu agonises tu fouilles défense d’entrer  le destin

On brûle on râle on survit pour la vie de qui ?
on dénonce on signe on écrit pour l’amour de qui ?

 Ruissellements d’une vengeance à l’autre CAISSE râler c’est la tempête je cherche (chutes) tu appelles tu transpires hors service  la fatalité

 Aux saignements et aux brûlures GUICHET brûler c’est le cyclone je tombe (combustible) tu soupires tu saignes en panne  le hasard

On scrute on renonce on insiste pour l’amour de quoi ?
on persiste on grimpe on rampe pour l’avenir de qui ?
 

6

 Dans les fièvres de l’antique Pannonie ÉCROU sombrer c’est l’inondation je saute (explosif) tu glisses tu titubes détruit  le glas

 Aux soubresauts et aux guérisons BARRIERE franchir c’est la grêle je cours (poison) tu attends  tu trembles fermé  l’agonie

On agonise on fouille on appelle vers qui ?
on transpire on soupire on saigne pour l’avenir de quoi ?

 Ecchymoses d’un siècle à l’autre BARRICADE manquer c’est la neige je me cache (déchets) tu cherches tu tombes sans issue  la récréation

 Aux fêlures et aux empreintes ABRI enterrer c’est la boue j’épie (gangrène) tu sautes tu cours interdit  l’accalmie

On glisse on titube on attend où ?
on tremble on cherche on tombe oubliant quoi ?

 Éclaboussures d’une Europe à l’autre PÉRIL résister c’est la merde je fuis (mines) tu te caches tu épies danger  la pause

 Aux fractures et aux cassures FRAGILE respirer c’est une  possibilité j’erre (bombes) tu fuis tu erres attention  la fin

On saute on court on se cache derrière quoi ?
on épie on fuit on erre jusqu’à quand ?


 
 
 

ORACLE DE L’INVENTEUR DU VIN

pour Patrice Pouperon

 
 
 
 Je suis Noé, le nouvel Adam, j’ai fait mes preuves en culture de vignes et fermentation, ce pourquoi on m’a nommé Dionysos. Je suis ivre dans mon arche. Voici la leçon que l’or liquide a fait mûrir dans les sillons de ma vieillesse : rassemblez ce qui vous est le plus cher, et entreprenez une longue marche vers l’aménagement de la Terre.

 Voici les signes que le mercure incandescent a fait germer dans les sentiers de mon après-midi : réunissez femmes et enfants et inventez-leur une harmonieuse complicité vers l’exploration de la Lune.

 J’ai fait mes preuves en architecture de voiles et périples, ce pourquoi on m’a nommé Ulysse. Je suis ivre dans mon navire Argo. Voici les visions que le chant des îles inscrit à l’horizon de mon midi : imaginez de nouveaux membres et assurez-leur une mélodieuse mobilité vers la guérison de notre Soleil.

 Voici les rêves que les soupirs dessinent aux rivages de mon matin : distribuez rumeurs, fourrures, ombres,  vents et sources. Tenez les mâts, brisez les chaînes!

 J’ai fait mes preuves en aveuglement divinatoire et illuminations, ce pourquoi on m’a nommé Homère. Je suis ivre dans ma caravelle. Voici la gamme que les silences font sourire dans la nuit de ma nouvelle jeunesse : vénérez échos, chemins, pluies, étoiles, reflets, humeurs, chevelures, parfums, foudres et mères. Brûlez les mots et dans les mots!


 
 
 

DÉRIVES

pour Julius Baltazar
(419)
La barricade

 La nuit a été dure. Pas un instant de répit dans la gelée blanche. Des explosions çà et là faisant jaillir des gerbes d’eau dans les marais jusqu’au lac, des gerbes de terre dans les champs dévastés, parfois même de cris et de sang. Mais notre construction dérisoire a tenu contre toute attente avec ses noeuds de fil de fer, ses colmatages de vieille paille dans les fissures. Le Soleil se lève dans le brouillard. Il est temps de se camoufler aux meurtrières pour parer à la prochaine attaque.

(425)
La jangada

 Cela fait déjà des mois que nous descendons le grand fleuve avec notre chargement d’épices entre les forêts à bromélias et perroquets, avec des indiens nus furtifs couronnés de plumes, puis les pampas à ocelots et jaguars, les cultures d’hévéa, manioc ou tabac. Que de tourbillons, de souches, de lianes et de culs-de-sac il nous a fallu éviter à grand effort de gaffes et haches! Mais nous avons aussi de longues soirées de nonchalance dans nos hamacs surveillant le boucanage des poissons et du gibier. Il faut en profiter, car nous avons comme l’impression que la mer approche déjà.

(426)
La banquise

 Il y a sûrement de la terre ferme là-dessous, mais aussi l’un des bras du delta dans lequel on verra s’effondrer les blocs dans le grand printemps. A chaque hiver il change de tracé. Des imprudents ayant mal situé leur bivouac se sont retrouvés haletants, frigorifiés dans l’eau furieuse paralysante, tous leurs biens perdus, surtout s’ils avaient négligé d’éteindre leurs feux, s’endormant trop vite dans une trompeuse sécurité. La couche est trop épaisse pour des sondages. C’est à l’oreille que l’on peut scruter ces strates. Il la faut très fine et ne pas dire un mot pendant des heures. Les bons écouteurs de courant sont très recherchés par les organisateurs d’expéditions qui les rémunèrent entièrement selon la coutume en ivoire de morse.


 
 
 

LES AVENTURIERS DE LA DEMI-LUNE

pour Jean-Pierre Thomas

 
1)

 Après avoir traversé la Méditerranée, nous aspirons les nuits lumineuses entre des villes à ruelles étroites derrière leurs remparts de terre rouge, où c’est encore la voix d’un muezzin en chair et en os qui appelle depuis le balcon du minaret pour la prière du soir.

2)
 Nous avons apporté des outils et des armes, des fioles contenant des réactifs, des liasses de papier, des lampes et des ordinateurs avec les piles et générateurs indispensables pour les faire fonctionner loin de tout réseau.

3)
 Dans les vergers ingénieusement irrigués les rossignols commentent les balbutiements des amoureux et nous nous exerçons à identifier les constellations, étendus avec nos savantes compagnes sur les terrasses ou les rochers couverts de nattes ou de tapis.

4)
 Nous goûtons aux dernières délicatesses culinaires pour longtemps, car il faudra bientôt nous contenter de ce que nous pourrons concocter, sans grande adresse, reconnaissons-le, sur nos réchauds portatifs à partir des provisions lyophilisées ou fumées serrées dans de grandes caisses entassées dans nos jeeps.

5)
 Insectes tournoient et rongeurs bondissent tandis que nous dégustons un thé à la menthe que nous nous efforcerons de reproduire tant bien que mal pendant notre saison de fouilles, méditant sur la stratégie de nos prochaines investigations archéologiques, grâce aux maigres informations que nous avons pu glaner à propos de peintures signalées sur des falaises à quelques jours de piste du dernier village fortifié,  suffisamment énigmatiques pour justifier notre expédition auprès des autorités des deux pays.

6)
 Nous rencontrons en chemin quelques oasis à palmeraies, certaines pratiquement abandonnées, les puits étant taris ou presque, mais qui nous permettent au moins de nous abriter quelque peu du vent de poussière glacée, fréquent la nuit dans cette région de plateaux, terreur des rares nomades dont il arrache les tentes.

7)
 Nous nous installons entre deux voitures que nous nous efforçons de protéger par des amas de vieux rameaux. Un matin nous avons aperçu le repli encore lointain qui semble s’élever lentement à notre approche comme pour nous intimider, nous exorciser.

8)
 Dans leur patois que nous comprenons mal, les quelques errants à la fois méfiants et hospitaliers qui nous accueillent dans leur bivouac, nous rapportent des légendes sur des cavernes qui déboucheraient, après de longs tunnels à bifurcations trompeuses, sur des jardins intimes luxuriants en demi-lune, avec volières et cascades, royaumes semi-souterrains où se seraient réfugiés et perpétués les auteurs des peintures.

9)
 Certains jeunes gens prétendent même qu’égarés, ils avaient été recueillis par des femmes suavement parfumées qui s’étaient prêtées à tous leurs désirs dans des chambres à claustra de céramique avec la bénédiction de leurs époux qui s’étaient retirés avec d’autres; et tous, le lendemain, les avaient supplié de rester; mais ils s’étaient enfuis devant tant de mystères.

10)
 Souriant devant notre incrédulité qu’ils partagent eux-mêmes en partie, tout en se délectant sans doute aux souvenirs qui se précisent néanmoins, véridiques ou non, ils reconnaissent que rentrés dans leur famille, retrouvant leurs soucis, ils avaient admis, avec leurs parents, qu’ils avaient tout simplement rêvé. Et il est vrai que jamais pareille aventure ne s’était produite deux fois pour le même.

11)
 Certains cependant étaient restés absents plusieurs nuits d’affilée, et l’on nous a murmuré que, pour l’un d’entre eux ç’avait été beaucoup plus longtemps, une année entière peut-être; mais personne, dans ces parages, n’est plus capable de l’identifier. Et si une incontestable perplexité se lisait, nous dit-on, sur leur visage, ils n’étaient nullement amaigris. Par contre d’autres ont définitivement disparu et seules leurs mères imaginent encore un retour possible.

12)
 Cela avait-il existé encore il n’y a pas si longtemps ? En découvrirons-nous au moins des traces récentes ? Ce qui est sûr c’est que notre piste est semée de squelettes. Quant à nous, voyageant non à dos de dromadaire mais dans le vrombissement et les odeurs de l’essence dont la réserve forme une bonne part de notre charge, nous espérons seulement revenir avec des photographies correctes et des relevés précis de ces images que nous commençons à deviner juste au-dessous de la corniche comme un long ruban narratif, pour rédiger ensuite fiévreusement nos thèses avant de les soutenir dans notre université sous un ciel de brumes et d’averses.


 
 
 

LE LAI DES SEPT DORMANTS

pour Rachid Koraïchi
Il  y a déjà bien des siècles
dans la grande ville d’Éphèse
en Asie mineure grondait
effroyable persécution
par fanatisme et par terreur
les amis s’entre-dénonçaient
les pères égorgeaient leurs fils
les filles devaient fuir leurs mères

Devant ces abominations
sept pacifiques jeunes gens
voulant poursuivre leurs études
choisirent de se retirer
dans un recoin de la montagne
aménageant leur ermitage
après avoir donné leurs biens
aux plus pauvres dans les faubourgs

Celui qui servait d’intendant
descendant acheter du pain
apprit que leur disparition
considérée comme une insulte
avait déclenché la fureur
des autorités sanguinaires
qui organisaient des recherches
afin de les martyriser

A son retour ses compagnons
sachant qu’ils ne réussiraient
à échapper aux poursuivants
décidèrent de partager
après leur journée de travail
le pain qu’il avait remonté
puis s’installèrent pour dormir
sans troubler leur sérénité

A l’aurore les miliciens
ayant repéré leur caverne
s’amusèrent à les murer
pour les faire mourir de faim
mais ils dormaient à poings fermés
et cela dura très longtemps
jusqu’à ce qu’un berger musant
fit crouler le mur délabré

Ils s’éveillèrent en pensant
n’avoir sommeillé qu’une nuit
car le temps n’avait rien changé
à leurs traits mais ils se sentaient
affamés donc leur intendant
descendit pour chercher du pain
dans une ville transformée

Mais quand il lui fallut payer
le boulanger quelle surprise
devant la monnaie très ancienne
qu’il sortit de son escarcelle
cela ne pouvait provenir
que d’un trésor et la rumeur
se répandit toute une foule
l’accompagna dans la montagne

On découvrit dans la caverne
non point monnaies mais la jouvence
dans l’accueil de ces réveillés
qui regardaient tout ébahis
le monde métamorphosé
puis rattrapés par la fatigue
sourirent et se rendormirent
léguant le trésor de leurs vies


 
 
 

CHALEUREUSEMENT

pour Joël Leick

 
 
 
         De la cendre qui se met à fleurir; de la neige qui remonte comme des plumes qui se mettent à fleurir; de la pluie qui tourne et brille dans un rayon qui passe entre les nuages avec les feuilles aux couleurs d’automne qui se détachent de leurs tiges pour planer, se renverser, se coller contre la vitre comme une missive de la forêt qui se met à fleurir comme des plumes; de la suie qui se transforme en rouille puis en soufre avec l’odeur, puis en douces flammes bleues qui viennent dégourdir les doigts blanchis paralysés, dévorés de fourmis internes qui se mettent à fleurir comme une missive de la forêt avec des plumes; de la sève qui coule d’une incision faite à un érable, et qui bout dans un grand chaudron entre de basses montagnes de roc tandis que les oies passent dans le ciel qui brille comme une lame de scalpel ou de ces rasoirs d’autrefois que l’on aiguisait sur une bande de cuir qui se met à fleurir en douces flammes bleues qui viennent dégourdir les doigts blanchis contre la vitre, comme une missive de la forêt paralysée, dévorée de fourmis internes avec des plumes; de l’encre qui envahit le papier comme le bras cherche la poitrine ou l’encolure de celle qu’on aime entre deux pages, entre deux draps, de l’encre qui se met à fleurir comme des nuages ou de la cendre sur une lame de scalpel en douces flammes bleues, entre deux heures ou deux mois, fleurir comme des niellures ou de la neige sur une lame de ces rasoirs d’autrefois que l’on aiguisait sur une missive de la forêt entre deux pays ou deux langues, fleurir comme des braises ou de la pluie sur les cheveux blanchis entre deux soupirs, entre deux baisers,  comme des phrases ou de la suie sur des doigts paralysés entre deux eaux, entre deux siècles, fleurir comme des sourires ou de la sève agitée de fourmis bruissantes entre l’impuissance et l’inspiration.

 

CHALEUREUSEMENT (2)

pour Joël Leick
 De la cendre qui se met à fleurir

 de la neige qui remonte comme des plumes
 qui se mettent à fleurir

 de la pluie qui tourne et brille
 dans un rayon qui passe
 entre les nuages avec les feuilles
 aux couleurs d’automne qui se détachent
 de leurs tiges pour planer
 se renverser se coller contre la vitre
 comme une missive de la forêt
 qui se met à fleurir comme des plumes

 de la suie qui se transforme en rouille
 puis en soufre avec l’odeur
 puis en douces flammes bleues qui viennent
 dégourdir les doigts blanchis paralysés
 dévorés de fourmis internes
 qui se mettent à fleurir comme une missive
 de la forêt avec des plumes

 de la sève qui coule d’une incision
 faite à un érable et qui bout
 dans un grand chaudron
 entre de basses montagnes de roc
 tandis que les oies passent dans le ciel
 qui brille comme une lame de scalpel
 ou de ces rasoirs d’autrefois que l’on aiguisait
 sur une bande de cuir qui se met à fleurir
 en douces flammes bleues qui viennent
 dégourdir les doigts blanchis contre la vitre
 comme une missive de la forêt paralysée
 dévorée de fourmis internes avec des plumes

 de l’encre qui envahit le papier
 comme le bras cherche la poitrine
 ou l’encolure de celle qu’on aime
 entre deux pages entre deux draps de l’encre
 qui se met à fleurir comme des nuages
 ou de la cendre sur une lame de scalpel
 en douces flammes bleues
 entre deux heures ou deux mois
 fleurir comme des niellures ou de la neige
 sur une lame de ces rasoirs d’autrefois
 que l’on aiguisait sur une missive de la forêt
 entre deux pays ou deux langues fleurir
 comme des braises ou de la pluie
 sur les cheveux blanchis entre deux soupirs
 entre deux baisers comme des phrases
 ou de la suie sur des doigts  paralysés
 entre deux eaux entre deux siècles
 fleurir comme des sourires ou de la sève
 agitée de fourmis bruissantes
 entre l’impuissance et l’inspiration.


 
 
 

LES VACANCES DES ASTRONAUTES

pour Anne Walker
 
1

Dans le sable
pétillant
chasseresse
ingénieuse
délicate
promeneuse
aide-moi

Lundi j’ai vu le Soleil roux
caresser les tours et les nuages

Faisant à chaque marée
le lit pour de nouveaux jours
en glissant parmi les nuages
son reflet dans les lagunes
où se baignent les beautés
de la Nouvelle-Cythère
en ruissellements d’argent

paupières de briques fondantes
dans un halo de beurre noir

Luminescente
conversation
telle une opale
balbutiements
soir et matin
comme un jasmin
délivre-toi

La Lune passe
 
 
 

2

Dans les herbes
acérées
épineux
cuirassé
délicieux
mouvement
mène-moi

Mardi j’ai vu fleurs et lichens
ouvrir les draps de la clairière

Les inscriptions pacifistes
sur les frontières fumantes
où parmi les explosions
et les hordes affamées
on agite drapeaux blancs
en espérant éveiller
les gouvernements ronfleurs

frissons de pollen et rosée
traversant ornières et flaques

Incandescente
évolution
tel un grenat
propositions
la nuit le jour
comme un glaïeul
exerce-toi

Mars passe
 
 

3

Dans les nuages
tourmentés
fascinés
passionnés
parfumés
guérisseur
calme-moi

Mercredi j’ai vu des coquilles
courtiser les feuilles d’érable

Sinueux comme un serpent
dans les broussailles célestes
distillant ses élixirs
dans les alambics du vent
calculant éphémérides
et décimales de pi
dans l’amphithéâtre bleu

brûlures des lèvres sylvestres
sur les tempes de l’horizon

Phosphorescente
propagation
tel un miroir
duplication
dedans dehors
comme deux lys
déclare-toi

Mercure passe
 
 
 

4

Dans la boue
musculeuse
facétieux
chaleureux
montagnard
souvenir
viens à moi

Jeudi le brouillard est tombé
le paysage a disparu

Majestueux comme un aigle
avec sa cape de plumes
contemplant globe terrestre
et le sceptre dans ses mains
qui tremblent sous leurs joyaux
tandis qu’orages menacent
et s’aiguisent les tranchants

un cygne d’autrefois oublie
les vêtements de son enfance

Effervescente
rumination
tel un fossile
étonnement
hier demain
comme un aster
prépare-toi

Jupiter passe
 
 
 

5

Dans l'écume
voluptueuse
séductrice
débordante
fluctuante
écriture
lave-moi

Le vendredi ce fut la neige
avec des coulures d’argile

Éternellement naissante
sur la moire des glaciers
sous les palmes des atolls
ou filant sur les traîneaux
emmitouflée de fourrures
que l’on abandonne aux plages
où viennent mûrir les grappes

stalactites prenant au vol
les rayons du printemps prochain

Efflorescente
apparition
telle une perle
révolution
du haut en bas
comme un iris
faufile-toi

Vénus passe
 
 

6

Dans la paille
merveilleuse
maternelle
musicale
lactescente
précurseur
sauve-moi

Samedi le retour des arbres
et le frémissement des sèves

S’enfonçant aux profondeurs
des pages noyées de brumes
la phrase cherche fortune
entre veille et lendemain
tournant autour du noyau
pour amasser l’énergie
qui permettra le départ

résine perlant sur l’écorce
avec le réveil des abeilles

Iridescente
éducation
tel un saphir
reconnaissance
du Nord au Sud
comme une vigne
exprime-toi

Saturne passe
 
 
 

7

Dans l'espace
éclatant
paternel
généreux
perpétuel
inventeur
parle-moi

Dimanche une main s’est tendue
pour nous faire franchir le gué

A partir de ses volcans
cratères de flammes fusent
les rayons qui font germer
les graines et les enfants
s’épanouir fraîcheur et pluie
d’arcs-en-ciel dans les tunnels
du vertige quotidien

le siècle change de couvercle
et les sciences de théorie

Arborescente
irrigation
tel un corail
fulmination
de l'Est à l'Ouest
comme un laurier
surpasse-toi

Le Soleil passe


 
 
 
 

VARIATIONS MUSEUM

sur deux thèmes de Baudelaire

 
(en enlevant les citations, cela donne “Baudelaire
sous la pyramide” pour Dorny)
Maintenant je rêve une salle
où je ne suis jamais entré
mais d'où les enfants revenaient
des pépites plein les regards
 
 Babel d'escaliers et d'arcades
 c'était un palais infini
 plein de bassins et de cascades
 tombant dans l'or mat ou bruni


Babel d'espaliers ou d'arceaux
émailleries dans les vitrines
c'étaient des vergers infinis
orangeraies d'argenteries

Foules de kiosques et volières
des fontaines de sang léger
coulaient dans la nuit des corolles
des couronnes de vin nouveau
 

 Babil de membres et d'arpèges
 ce sera un palais de sèves
 plein d'aisselles et de cascades
 pleurant dans les soirs de caresses

 Une Idée une Forme un Etre
 parti de l'azur et tombé
 dans un Styx bourbeux et plombé
 où nul oeil du ciel ne pénètre


Une esquisse une spore un germe
parti de la boue et monté
vers un Styx lumineux et frais
où nul espion ne peut atteindre
 

 Une piste un sillage un signe
 issu du malheur et lavé
 dans un Gange de lave douce
 où nul remords ne vous poursuit

 Et des cataractes pesantes
 comme des rideaux de cristal
 se suspendaient éblouissantes
 à des murailles de métal


Et des cataractes mousseuses
lacis lacets lassos lancés
comme des rideaux de salives
tourbillons de cris et de bulles

Se suspendaient virevoltant
nuanciers des intempéries
à des murailles de ciseaux
l'armurerie des arcs-en-mer
 

 Et des cataractes grondantes
 comme des orgues pachydermes
 se suspendront en palpitant
 à des chevelures de rouilles

 Un Ange imprudent voyageur
 qu'a tenté l'amour du difforme
 au fond d'un cauchemar énorme
 se débattant comme un nageur


Un enfant-singe explorateur
qu'a touché l'amour des exclus
au fond d'un canyon mordoré
se contournant comme une liane
 

 Un diable guéri de son rhume
 qu'a tenté l'amour des sirènes
 au sommet d'un cratère à vif
 se retournant comme une palme

 Non d'arbres mais de colonnades
 les étangs dormants s'entouraient
 où de gigantesques naïades
 comme des femmes se miraient


Des arbres et des colonnades
lutherie de respirations
les cloîtres dormants se paraient
de chapiteaux d'humeurs salines

Et de gigantesques mésanges
perles des écrins campagnards
comme des nymphes se miraient
aux laques des épiceries
 

 Non de colonnades mais d'ailes
 s'entoureront les pépinières
 où les oeillades en guirlandes
 s'enlaceront comme des algues

 Et luttant angoisses funèbres
 contre un gigantesque remous
 qui va chantant comme les fous
 et pirouettant dans les ténèbres


Caressant allégresse exquise
des maelströms de lents sourires
qui chanteront comme des ombres
en dérivant parmi les sables
 

 Effleurant volupté subtile
 des nébuleuses de soupirs
 qui accompagneront les aubes
 en virevoltant sur les eaux

 Des nappes d'eau s'épanchaient bleues
 entre des quais roses et verts
 pendant des millions de lieues
 vers les confins de l'univers


Des gouttes de vivant mercure
jaillissaient dans les forêts muettes
entre des quais marron et noirs
à broderies et à rinceaux

Pendant des millions de mesures
acrobates sur les écumes
vers les confins de la matière
les trilles des déferlements
 

 Des nappes d'or s'épancheront
 entre des lèvres de fourrures
 pendant des millions de soupirs
 vers les confins des renaissances

 Un malheureux ensorcelé
 dans ses tâtonnements futiles
 pour fuir un lieu plein de reptiles
 cherchant la lumière et la clef


Bienheureux désensorcelés
dans leurs déroulements d'anneaux
pour goûter aux plaisirs reptiles
cherchant les langues et les plis
 

 Des somnambules réveillés
 feront vocaliser les grilles
 dans leurs vertigineux périples
 pour charmer les anciens dragons

 C'étaient des pierres inouïes
 et des flots magiques c'étaient
 d'immenses glaces éblouies
 par tout ce qu'elles reflétaient


C'étaient des éventails ouvrés
des joailleries en vacances
des flots de rubans en coquilles
le carnaval des armoiries

D'immenses criques éblouies
vaisselleries des horizons
reflétaient les mûrissements
des fruits de l'arbre messager
 

 Ce seront des mots inconnus
 des phrases de navigations
 de grands alambics enivrés
 par ce qu'ils nous distilleront

 Un damné descendant sans lampe
 au bord d'un gouffre dont l'odeur
 trahit l'humide profondeur
 d'éternels escaliers sans rampe


Des élus montant dans les flammes
aux degrés d'une tour d'encens
en recueilleront les volutes
dans la rose des vins nouveaux
 

 Les régénérés pénétrant
 dans les allées des forêts d'algues
 accompagneront les méduses
 jusqu'aux nacres des feux marins

 Insouciants et taciturnes
 des Ganges dans le firmament
 versaient le trésor de leurs urnes
 dans des gouffres de diamant


Insouciants explorateurs
imprimeurs aux journaux du vent
des étourneaux au firmament
signaient leurs élégies fantasques

Versaient l'élixir de leurs urnes
perles et larmes dans la voix
en des gouffres d'effervescence
des cirques de perpétuation
 

 Héraldiques et ingénieux
 des dinosaures magiciens
 verseront des trésors de sperme
 dans des matrices de métal

 Où veillent des monstres visqueux
 dont les larges yeux de phosphore
 font une nuit plus noire encore
 et ne rendent visibles qu'eux


Où veilleront les plus beaux monstres
dont les larges yeux de mercure
feront la nuit plus claire encore
en rendant transparents les rocs
 

 Où s'enlaceront salamandres
 dont les remous et les frissons
 feront brasiers plus nus encore
 en rendant visibles les sons

 Architecte de mes féeries
 je faisais à ma volonté
 sous un tunnel de pierreries
 passer un océan dompté


Artificiers des frondaisons
passementiers aux crépuscules
ils faisaient à leur fantaisie
briller les antres et les cimes

Sous un dôme d'aiguilles claires
augures baladins bouffons
filigranaient l'Histoire entière
guerres foires épidémies
 

 Apiculteurs de nos planètes
 nous ferons entre deux baisers
 sous un tunnel de rayons verts
 filtrer le miel de nos visages

 Un navire pris dans le pôle
 comme en un piège de cristal
 cherchant par quel détroit fatal
 il est tombé dans cette geôle


Un navire pris dans les brumes
comme en un piège d'amoureuse
cherchant par quelle heureuse faute
il entrera dans ce jardin
 

 Un village pris dans les ombres
 comme en un voile séducteur
 cherchant par quel glissement fée
 il changera ses alentours

 Et tout même la couleur noire
 semblait fourbi clair irisé
 le liquide enchâssait sa gloire
 dans le rayon cristallisé


Et tout même la couleur grise
le poussiéreux le délavé
semblait fourbi sombre irisé
bobinerie de soies précieuses

Le mobile enchâssait sa gloire
programme de subtils virages
dans la houle cristallisée
pharmacie de phioles dansantes
 

 Et tout même la couleur blanche
 semblera nocturne et moiré
 la Lune sertira ses mers
 dans les paumes écarquillées

 Emblèmes nets tableau parfait
 d'une fortune irrémédiable
 qui donne à penser que le Diable
 fait toujours bien tout ce qu'il fait


Miroirs de cuivres et de buées
d'une aventure incomparable
faisant comprendre que les djinns
nous attendront parmi les ruines
 

 Echos lunaires et soyeux
 d'une improvisation brûlante
 nous découvrirons les trésors
 germant aux sillons des décombres

 Nuls astres d'ailleurs nuls vestiges
 de Soleil même au bas du ciel
 pour illuminer ces prodiges
 qui brillaient d'un feu personnel


Nul gêneur d'ailleurs nulle crainte
des persécuteurs de moineaux
le photographe solitaire
jouait longuement de ses appeaux

Pour illuminer ces concerts
de gongs de sèves et d'aigrettes
qui bruinaient d'échos intérieurs
les gaz rares prêtaient leurs voiles
 

 Nulle peur d'ailleurs nul vestige
 d'une angoisse devant la mort
 pour intimider les espèces
 en résurrection perpétuelle

 Un phare ironique et fatal
 flambeau des grâces sataniques
 soulagement et gloire unique
 la conscience en l'animal


L'enfant butor qui les aimait
ne se lassait de leurs plumages
qui pour lui étaient un ramage
l'enfant butor devenu singe
 

 L'oiseau-singe regardera
 ne se lassant de leurs voyages
 qui pour lui seront un pelage
 l'oiseau-démon devenu larmes

 Et sur ces mouvantes merveilles
 planait terrible nouveauté
 tout pour l'oeil rien pour les oreilles
 un silence d'éternité


Et sur ces tranquilles voltiges
hyperboles et cycloïdes
planait résonance ironique
le miel des sciences dépassées

Tous les yeux toutes les oreilles
se gavaient d'échos et reflets
étincelles de délivrance
parmi les grondements des faims
 

 Et sur ces futures mouvances
 planera le chant désiré
 autant pour l'oeil que pour l'oreille
 soulagement d'immensité

 L'enfant-démon écoutera
 ne se lassant de ces ramages
 qui pour lui seront un voyage
 l'enfant-singe devenu braise


 
 
 

ALIGNEMENTS

pour Jacques Clerc
1
Pieux

Avec un galet de granit
puis un silex qu’on a taillé
ébrancher une forte gaule
la plus droite qu’on ait trouvée
pour s’en servir d’arme et de canne
au crépuscule d’une vie
et la planter pour bien marquer
le lieu choisi pour s’endormir

2
Poteaux

On a défriché la clairière
on en a brûlé les broussailles
on a inventé les maisons
que l’on a couvertes de toits
en écorce en mousse ou en chaume
et pour écarter les intrus
les animaux les inconnus
on a dressé la palissade

3
Termes

Au bout de mon sillon commence
celui de mon voisin que j’aime
bien mais qui ne cultive pas
avec autant de soin que moi
donc pour éviter tout litige
j’ai planté un arbre de pierre
à qui j’ai donné un visage
et signes de génération

4
Stèles

A la limite des vivants
et des morts pour nous protéger
de tout retour inopiné
de fantômes récalcitrants
et pour protéger les défunts
de bouleversements brutaux
de leurs ossements révérés
on a détaillé leurs mérites

5
Piliers

On a consolidé les murs
et les portes dont les vantaux
pivotent sur des gonds de pierre
ou de métal qui s’articulent
sur de puissants montants atlantes
tatoués des pieds à la tête
qui soutiennent sur leurs épaules
les linteaux et leurs inscriptions

6
Colonnes

Dans les temples et les palais
on prend soin de multiplier
les vestibules et passages
les voûtes prennent leur élan
pour bondir d’un appui sur l’autre
comme sur les pierres d’un gué
les salles deviennent forêts
avec les ombres qui tournoient

7
Signaux

Le long des rues des galeries
festonnent la circulation
des arcs plus ou moins triomphants
en enjambant les autoroutes
nous indiquent les directions
bougent leurs bras les sémaphores
et brillent dans les carrefours
les feux de signalisation

8
Thyrses

Comme pylônes brandissant
les étendards de l’énergie
fils pour faire sécher le vent
dans les giclements d’étincelles
sur les bâtons des anciens rustres
la vigne grimpe en tournoyant
pour les arracher à leur deuil
et scander le tournant du siècle


 
 

L’AFRIQUE INTIME

 pour Thierry Lambert
 
De déserts en savanes
de banlieues en forêts
écoutons battements
qui font fleurir nos peaux

Masques et grondements
tissus et maquillages
nous ouvrent l’intérieur
de nos corps et nos coeurs

Dans un miroir brûlant
nous déchiffrons les cris
qui voulaient se cacher
sous nos gueules de bois

Et nous nous faufilons
dans l’école des sueurs
pour fabriquer les clefs
de nos libérations


 
 
 

L’EXÉCUTEUR DES ARMOIRIES

pour Fernando Arrabal
Tel un nain de Velasquez
il malmène les puissants
les yeux vrillant dans leurs loupes
les membres écarquillés

Éclaboussant les théâtres
du venin de ses Castilles
interludes solitudes
drapeaux claquant dans l’oubli

Les mots semés dans la page
germent en crochets et lianes
pour s’arrimer aux images
et dévider leurs parfums

Aux dallages des échecs
le fou prend au cavalier
son cheval pour emporter
la reine aux plus hautes tours

Et d’une partie à l’autre
le jeu ouvre les rideaux
qui recouvraient les frontières
et les secrets des prisons

La représentation gagne
les travestis dans la rue
retournent vestes et masques
pour joindre le carnaval

Dont les chars tonitruants
et les alcôves suaves
répercutent les refrains
jusqu’aux musées des audaces


 
 
 
 

BAL(L)ADE(S) AVEC JEAN STAROBINSKI

pour Muriel Gagnebin
à l’occasion des 80 ans
de Jean  Starobinski
(1)

Mon cher Jean la première fois que je vous ai vu
c’était au collège philosophique présidé par Jean Wahl
où j’occupais alors les fonctions de portier-secrétaire
j’avais lu votre traduction de La colonie pénitentiaire de Kafka

et vous m’impressionniez beaucoup
quelques années plus tard comme j’avais trouvé un poste
de professeur de philosophie à l’École internationale de Genève
notre ami commun Georges Lambrichs m’a donné votre adresse

en m’engageant vivement à me présenter à vous
ce que j’ai osé faire lors d’une de vos conférences à l’Université
puis nous nous sommes rencontré à un concert du quatuor Vegh
et vous m’avez alors invité non seulement à venir chez vous
 

Mais aussi à participer lors des fins de semaine
à des balades culturelles et gastronomiques
en compagnie de Jean Rousset et de Louis Bolle
lequel partit assez vite rejoindre son poste à la Nouvelle-Orléans

Jean Rousset déjà soucieux d’entretenir sa forme physique
pour la longévité qu’on pouvait espérer et prévoir à son sujet
se rendait à bicyclette au lieu choisi pour nos agapes
auquel nous parvenions plus bourgeoisement par le train

alors j’écoutais discrètement la conversation rouler
d’un siècle et d’une langue à l’autre sur les grandes voix
du passé lointain ou récent tandis que se précisaient
vos recherches sur le traitement de la nostalgie
 

(2)

Puis vous vous êtes installé quelque temps à Lausanne
où vous acheviez vos études de psychiatrie
ce qui vous a permis de côtoyer l’efflorescente vieille Aloïse
et après mes premières graves difficultés éditoriales

je suis venu me réfugier quelques jours chez vous
en compagnie de Marie-Jo alors le projet s’élabora
de passer quelques vacances ensemble ce qui ne put se réaliser
que lorsque vous aviez déjà vos trois fils et moi

trois de mes filles nous nous sommes retrouvés
dans cet ancien sanatorium de Leysin où menait un ascenseur
au sortir de la gare alors transformé en hôtel devenu aujourd’hui
le siège d’une junior year in Europe d’une université américaine
 

Tandis que les enfants découvraient les plaisirs du ski
dans les intervalles laissés par les maladies juvéniles
nous atteignaient les échos de Noces et de l’Histoire du soldat
quand nous longions le pavillon annexe où avaient collaboré

Ramuz et Strawinski lors d’une première guerre mondiale
dont je percevais les horreurs à travers celles pires encore
de la seconde dont je ne me souvenais que trop
tandis que nous serpentions dans les forêts

regardant monter du fond des vallées jusqu’aux cimes
des vagues de mélancolie éclaircies de sourires
dont vous vous efforciez d’identifier les racines
pour nous aider à naviguer dans les orages de l’heure
 

(3)

Laissons passer tant de voyages et d’aventures
pour en venir au sauvetage que vous avez su opérer
de l’universitaire en dérive que j’étais alors
en vous arrangeant pour me faire inviter auprès de vous à Genève

puis m’y faire nommer professeur extraordinaire puis ordinaire
ce qui fut mon salut littéraire puisque cela m’a permis
de conserver ma désinvolture face aux visées commerciales de mes éditeurs
ma vie était alors écartelée car ma famille était restée à Nice

ce qui me contraignait presque une fois par semaine
à de difficiles allers et retours alors votre foyer
était mon point d’ancrage et de repos
Jacqueline m’y accueillait pour déjeuner presque tous les mercredis
 

Après vous avoir retrouvé au marché aux puces
sur la plaine de Plainpalais en forme d’aiguille magnétique
où je me promenais comme dans un jardin botanique
rempli de fleurs étranges et de graines que je humais

sans la moindre intention d’achat tandis que vous en reveniez
toujours muni de quelque trouvaille estampe édition originale
ou surtout quelque ouvrage ancien de médecine qui nourrirait
vos réflexions non seulement sur l’histoire de cet art de soulager

les maux du corps mais aussi ceux de l’âme ou si l’on préfère
les actions et réactions douloureuses du langage et de la raison
dont les soubresauts projetaient leurs flammes au-delà
mais tout autour de l’horizon majestueux derrière les brumes du lac
 
 

(Envoi)

Prince de la lecture attentive étudiant chaque mot chaque mesure
du texte comme un pianiste sa partition après un premier déchiffrage
jouant avec les tomes de votre bibliothèque
comme avec les touches d’un clavier je voudrais

vous accompagner interminablement dans votre fantaisie de voyageur
développant de nouveaux épisodes dans les fissures des ruines revisitées
la marche élastique de votre commentaire inlassable sur le qui-vive
gravit tranquillement les lacets des montagnes et monuments

pour découvrir depuis le sommet les faubourgs et villages
qui s’endorment dans la paix longtemps cherchée du soir
avec un chant dont ne se doutent même pas ceux qui le murmurent
mais qui assure avec fragilité le passage au lendemain du millénaire


 
 
 
 

BALLADE DE L’AMATEUR DE VIN

pour Jean Rousset
en levant un verre
à l’occasion de ses 90 ans
Nous savons depuis Rabelais
que les livres sont des flacons
rangés dans nos bibliothèques
comme sur les rayons des caves
selon l’origine et l’année
l’utilisation le mérite
pour en débrouiller les arômes
il nous faut un dégustateur

En suivant la fabrication
depuis le vignoble et l’émoi
nous réveillons des aventures
et maint opéra se déploie
en arc-en-ciel de fruits et phrases
roue de paon tournant en reflets
pour en dénombrer les échos
il nous faut un commentateur

Dans les souterrains de l’Histoire
“maint joyau dort enseveli”
qu’il faut dégager des poussières
et des générations d’oubli
pour verser l’ambre et le rubis
dans leurs verreries délicates
miraculeusement lavées
il nous faut un révélateur

Prince des chercheurs de trésors
aux vrilles des imprimeries
en nous défrichant les sillons
en nous déchiffrant les sillages
vous fûtes notre éducateur


 
 
 

MARIE-JO EN ÉTHIOPIE

 pour ses 68 ans
 

D’une flaque à l’autre
les éclaboussures
marquent les voitures
cherchant leur chemin
dans les quartiers vagues

D’une école à l’autre
gamins en couleurs
balançant leurs livres
croisent leurs saluts
tressent leurs sourires

D’une église à l’autre
pèlerins en blanc
travaillent des palmes
pour en faire bagues
ornées d’une croix

D’un versant à l’autre
la piste serpente
parmi les troupeaux
à qui les orages
apportent survie

D’un malheur à l’autre
les cahots du siècle
brassent dans leur grêle
nous tous orphelins
cherchant le répit


 
 
 

CHANGEMENTS D’ADRESSE

pour Dorny
Tous ces vieux carnets
gonflés de rajouts
truffés de ratures
gorgés de renvois
quand on les feuillette
remontent parfums
d’anciens escaliers
et d’autres jardins
déménagements
les objets naviguent
d’un logis à l’autre
sautant les années

Superpositions
le tableau pendu
dans le vestibule
trônait autrefois
sur la cheminée
du petit séjour
entre deux fauteuils
que l’on reconnaît
voici un nouveau
beaucoup plus ancien
venu de parents
que nous ignorons

Un nouvel enfant
il faudra bientôt
qu’il ait une chambre
on s’est mis en chasse
aux appartements
la plupart sinistres
ou beaucoup trop chers
on s’est décidé
emprunts et notaires
aménagements
électricité
plomberie peintures

Venez les amis
pour la pendaison
de la crémaillère
on n’a pas fini
de vider les caisses
on sait qu’il faudra
encore des mois
pour que les bouquins
trouvent leurs rayons
qui vont arriver
mais tant bien que mal
on s’est installé

Les villégiatures
la mer la montagne
la ferme normande
le studio romain
et tous ces nomades
artistes fuyant
tyrannies diverses
professeurs errants
cherchant toison d’or
ou bien diplomates
changeant de pays
et d’affectation

Carrière et retraite
les vicissitudes
qu’est-il devenu
depuis si longtemps ?
quant à celle-ci
nous l’avons connue
avec trois maris
mais toujours fidèle
à son pseudonyme
et sauf accidents
la dernière adresse
est le cimetière
 


 
 

L’ENFER DES PTOLÉMÉES

pour Jean-Marc Scanreigh
 (Les chiffres romains indiquent le numéro du cahier; les chiffres arabes entre parenthèses celui de la gravure. Chaque texte est divisé en trois parties pour les trois pages).
 

I

         - Dans le harcèlement de tant de plaintes

         Ptolémée, c’est-à-dire belliqueux, premier pharaon de ce nom, distingué par l’épithète “Soter”, le Sauveur; l’époux de ma mère s’appelait Lagos, le meneur, mais on dit qu’elle était la maîtresse de Philippe, le cavalier, et que donc je serais non seulement un capitaine mais le demi-frère d’Alexandre, le protecteur; j’ai aménagé mon palais dans la ville qu’il avait fondée; j’y ai construit la bibliothèque et le musée.

(1)     Roulant depuis très loin dans le sud, formée dans des temples déjà millénaires, une voix accueille le nouveau venu :
         Sauveur, sauveur de qui ? seras-tu mon sauveur ?
         Je puis te faire durer dans ma demeure et accomplir des miracles pour toi.
         Je puis te donner la force de vaincre tous les pays.
         Je puis montrer ta gloire et inspirer ta terreur à tous les pays jusqu’aux piliers du ciel.
 

II

         Je t’aimais. Où es-tu ? - Je me souviens. - Approche-toi! Je n’ai plus d’yeux mais je veux te voir dans la nuit. - Je ne te vois plus. - Je n’arrive plus à me souvenir. - Parmi les ailes de l’orgueil hier.

         - Je vins en un lieu muet de toute lumière

(2)     Fils du Sauveur, Belliqueux 2 dit “Philadelphe”, le Fraternel, j’ai en effet fait assassiner deux de mes frères. Deux autres ont été rois de Macédoine, notre pays d’origine, et le dernier “Magas”, le Pétrisseur, est devenu le beau-père de mon fils aîné. J’ai construit le phare et encouragé la traduction de la Bible en grec par les Septante. Après avoir épousé une première Arsinoé, j’ai repris la coutume des pharaons en épousant ma propre soeur Arsinoé 2.
 

III

         Veux-tu que j’enchaîne les méridionaux dans leurs cavernes par mille et dix mille, ceux du nord par cent mille ?
         Que je fasse tomber tes adversaires sous tes sandales ?
         Veux-tu piétiner tes ennemis, les méchants ? Car je suis prêt à te donner tout ce pays.
         Et pourtant...

         - Apparais-moi! - Je ne me souviens plus. Je ne t’entends plus. - Je n’ai plus d’oreilles mais je veux t’entendre dans la brume. - Je ne te sens plus. - Je t’aimais.

(3)     - Qui mugit comme fait la mer dans la tempête
 

IV

         Petit-fils du Sauveur et fils du Fraternel, Belliqueux 3 dit “Évergète”, le Bienfaisant, j’ai rapporté de mon expédition en Perse d’immenses trésors et les statues des dieux égyptiens pillées par Darius et Cambyse.

         Avec moi ceux de l’ouest et ceux de l’est seront sous ton contrôle.
         Tu pourras considérer tous les pays étrangers avec assurance.
         Car aucun ne pourra mettre en danger notre grandeur.
         Et pourtant tes pères...

(4)     - Parmi les fureurs de la luxure le mois dernier. - Réchauffe-moi!. - Je ne me souviens plus. Je ne te sens plus. - Je n’ai plus de peau mais je veux te toucher dans la boue. - Parmi les vagues de l’envie.
 

V

         - Quand elle est battue par les vents contraires

         Petit-fils du fraternel, fils du Bienfaisant, Belliqueux 4 dit “Philopator”, le Fils à papa, j’ai fait assassiner celui-ci, et aussi ma nièce Bérénice 2, mon frère Magas, ma soeur-épouse Arsinoé 3, mon hôte le roi de Sparte et bien d’autres encore, mais j’admirais Homère et lui ai fait ériger un temple.

(5)     Je vais faire que tes victoires parcourent tous les pays car mon serpent flamboyant sera le tien.
         Nul sous l’orbe du ciel ne pourra refuser de courber devant toi son dos chargé des tributs que j’aurai ordonnés.
         Je vais faire que si les méchants approchent leurs coeurs brûlent et leurs genoux tremblent.
         Et pourtant tes pères venaient d’un pays lointain...
 

VI

         - Viens près de moi. - Je n’ai plus de nez mais je veux te sentir dans l’absence. - Parmi les ossements de la paresse. - Parmi les battements de la gourmandise avant-hier. - La semaine passée. - Caresse-moi!

         - La tourmente infernale qui n’a nul répit

(6)     Petit-fils du Bienfaisant, fils du Fils à papa, Belliqueux 5 dit “Épiphane”, le Manifeste, j’ai ceint la double couronne à l’âge de 5 ans, un peu plus d’un siècle après le grand-père de mon grand-père. J’ai épousé la première Cléopâtre et me suis fait assassiner par mes courtisans.
 

VII

         Je viens à toi, comme j’étais allé vers Ahmosis plus de mille ans auparavant
         Je te fais piétiner les grands de la Syrie; je les étale sous tes pieds dans leurs terres lointaines.
         Je leur montre ta majesté semblable à la mienne, tes rayons image des miens.
         Heureusement il y a déjà quelque temps que tes pères sont venus des pays lointains.

         - Je me souviens. Où es-tu ? - Je n’arrive plus à me souvenir. - Pénètre-moi! Je n’ai plus de langue mais je veux te goûter dans la pluie. - Je ne te vois plus. - Je n’ai plus de dents mais je veux te mordre dans la terre. - Je ne t’entends plus.

(7)     - Malmène les ombres dans sa rage
 

VIII

         Petit-fils du Fils à papa, fils du Manifeste, Belliqueux 6 dit “Philomètor”, le Fils à maman, j’ai épousé ma soeur Cléopâtre 2 à l’âge de 14 ans. J’ai donné notre fille Cléopâtre 3 en mariage au roi de Syrie et je suis mort lors d’une bataille sur les bords de l’Oronte.

         Je viens à toi comme j’étais allé vers Aménophis fils d’Ahmosis.
         Je te fais piétiner les grands de la Carie et tu abats les têtes des bédouins.
         Je leur montre ta majesté, tes armes semblables aux miennes.
         Heureusement tes pères sont de plus en plus de ce pays-ci.

(8)     - Rafraîchis-moi! Je n’ai plus de mains mais je veux te prendre dans le feu. - Parmi les éruptions de la colère. - Parmi les profondeurs de l’avarice l’année dernière. - Il y a longtemps. - Il y a si longtemps. - Nourris-moi!
 

IX

         - Les persécute en les retournant et flagellant

         Petit-fils du Manifeste, fils du Fils à maman, Belliqueux 7 dit “Eupator”, le bon Père, jadis oublié dans leur numérotation par les historiens, j’ai été assassiné sur l’ordre de mon oncle qui venait d’épouser ma mère.

(9)     Je viens à toi, comme j’étais allé vers Thoutmosis bâtard et gendre d’Aménophis.
         Je te fais piétiner les grands de l’Arabie, et tu marches sur les gardiens de notre origine.
         Je leur montre ta majesté, constellation de flamme et de rosée.
         Heureusement tes pères sont depuis de plus en plus longtemps de ce pays-ci.
 

X

         - Je t’aimais. Où es-tu ? - Je me souviens. - Eclaire-moi! Je n’ai plus de sexe mais je veux te foutre dans le vent. - Je ne te vois plus. - Je n’arrive plus à me souvenir. - Dans les ténèbres de l’orgueil dans une autre vie.

         - Quand elles arrivent devant les ruines

(10)    Frère du Fils à maman, oncle du bon Père, Belliqueux 8 (ou 7 selon certains) dit “Évergète 2”, le second Bienfaisant, mais aussi par mes nombreux ennemis “Physcon”, l’Enflé, ou “Kakergète”, le Malfaisant, j’ai répudié ma soeur Cléopâtre 2 qui était en même temps ma belle-soeur pour épouser ma belle-fille Cléopâtre 4 qui était en même temps ma nièce. La troisième Cléopâtre était l’aînée de mes nièces, mariée au roi de Syrie; c’est elle que votre Corneille met en scène dans sa Rodogune. Quant à la seconde, comme elle avait jugé bon d’usurper le double trône pendant quelque temps, j’ai fait assassiner pour me venger notre fils Belliqueux le memphite.
 

XI

         Je viens à toi, comme j’étais allé vers le second Thoutmosis bâtard et gendre du premier.
         Je te fais piétiner les grands de l’Occident, et tu marches sur les gardiens de notre destinée.
         Je leur montre ta majesté, taurillon vif aux cornes acérées.
         Et pourtant quelque chose fait trembler ma voix.

         - Délivre-moi! - Je ne me souviens plus. - Je ne t’entends plus. - Je n’ai plus d’yeux mais je veux te voir dans l’orage. - Je ne te sens plus. - Je n’ai plus d’oreilles mais je veux t’entendre dans la tempête.

(11)   - Là sont les cris, gémissements, lamentations
 

XII

         Fils de l’Enflé, cousin du bon Père, Belliqueux 9 (ou 8) dit “Neos Philopator”, le nouveau Fils à papa, j’ai été roi de Chypre mais associé seulement peu de temps au double trône si bien que je suis moi aussi souvent oublié par les historiens dans leurs listes.

         Je viens à toi, comme j’étais allé vers Hatchepsout veuve du second Thoutmosis et fille du premier.
         Je te fais piétiner les grands des îIes; leurs marins frissonnent devant toi.
         Je leur montre ta majesté, crocodile maître des eaux douces.
         Et pourtant quelque chose dans ton écoute ne me comprend plus.

(12)   - Réveille-moi! - Je n’ai plus de nez mais je veux te sentir dans le naufrage. - Parmi les triomphes de la paresse. - Parmi les inondations de la gourmandise - Dans ce qui était la vie. - Dans un autre monde.
 

XIII

         - C’est là qu’on blasphème la vertu divine

         Fils du Malfaisant, demi-frère et en même temps neveu du nouveau Fils à papa, Belliqueux 10 (ou 9 ou 8 selon les historiens), surnommé “Soter 2”, le second Sauveur, et aussi “Philomètor 2”, le second Fils à maman, et encore “lathyre”, le Pois chiche, j’ai épousé ma soeur Cléopâtre 5 qui m’a donné Cléopâtre 6 qui m’a succédé, puis en secondes noces mon autre soeur Cléopâtre 7 dite “Séléné”, la Lune.

(13)   Je viens à toi, comme j’étais allé vers le troisième Thoutmosis, bâtard et gendre du second,             beau-fils d’Hatchepsout, lequel a fait graver ces lignes dans mon temple.
         Je te fais piétiner les grands des autres îles; leurs plages entendent tes fanfares.
         Je leur montre ta majesté, ange maîtrisant un taureau furieux.
         Et pourtant quelque chose dans ton regard est brouillé du sel de la nostalgie.
 

XIV

         - Conduis-moi! - Je t’aimais. Où es-tu ? Je me souviens. - Approche-toi! Je n’ai plus de langue mais je veux te goûter dans l’ensevelissement. - Je n’arrive plus à me souvenir. - Parmi les sursauts de la luxure. - Parmi les effondrements de l’envie.

         - Alors je compris qu’à un tel tourment

(14)   Demi-frère et en même temps neveu du nouveau Fils à papa, frère du Pois chiche, Belliqueux 11 (ou 10 ou 9) dit “Alexandre” (comme Alexandre le grand avait régné quelque temps sur le double royaume, puis son fils posthume Alexandre Aegos, certains historiens me donnent le chiffre 3), le troisième Protecteur, j’ai fait assassiner ma mère Cléopâtre 4 qui m’avait fait ceindre la double couronne à peu près deux siècles après le premier Sauveur, en expulsant son fils aîné, mon frère aîné.
 

XV

         Je viens à toi, comme j’étais allé vers le second Aménophis fils du troisième Thoutmosis.
         Je te fais piétiner les grands de la Libye. Tu règnes sur les oasis.
         Je leur montre ta majesté, lion sur des monceaux de charognes.
         Et pourtant ton attention n’est plus la même que celle de tes lointains prédécesseurs.

         - Parmi les glissements de la colère dans ce qui était un autre monde. - Apparais-moi! - Je ne me souviens plus. Je ne te vois plus. - Je n’ai plus de dents mais je veux te mordre dans l’oubli. - Hier. - Viens près de moi! Je n’ai plus de peau mais je veux te toucher dans le noir. - Parmi les griffes de l’avarice. - Je t’aimais. - Avant-hier.

(15)   - Etaient condamnés les pêcheurs du sexe
 

XVI

         Neveu du second Sauveur, fils du troisième Protecteur, Belliqueux 12 dit “Alexandre 2 (ou 4)”, le second ou quatrième Protecteur, j’ai épousé ma cousine Cléopâtre 6 que j’ai fait assassiner peu après.

         Je viens à toi, comme j’étais allé vers le quatrième Thoutmosis, fils du second Aménophis.
         Je te fais piétiner les extrémités de la terre, tu prends les océans dans ta main.
         Je leur montre ta majesté, le faucon qui fond sur sa proie.
         Et pourtant je te sens faiblir, je te sens trembler comme si tu n’étais pas devenu d’ici.

(16)   - Parmi les grognements de l’orgueil la semaine passée. - Le mois dernier. - Je me souviens. Je ne t’entends plus. - Je n’arrive plus à me souvenir. - Je ne te sens plus.
 

XVII

         - Qui soumettent leur raison à leur gaillardise

         Neveu adultérin du troisième Protecteur, cousin adultérin du quatrième, Belliqueux 13 dit “Aulète”, le Joueur de flûte, je n’ai pu me maintenir au pouvoir que par l’appui des romains.

(17)   Je viens à toi, comme j’étais allé vers Aménophis le troisième fils du quatrième Thoutmosis.
         Je te fais piétiner les grands des temps anciens, ceux qui erraient parmi les sables.
         Je leur montre ta majesté, chacal filant d’un horizon à l’autre.
         Et pourtant je te sens vieillir.
 

XVIII

         - Caresse-moi! Je n’ai plus de mains mais je veux te prendre dans le blanc. - Où es-tu ? - Parmi les ailes de la paresse l’année dernière. - Pénètre-moi! - Réchauffe-moi! - Je ne me souviens plus.

         - Comme les étourneaux sont portés par leurs ailes

(18)   Lointain neveu adultérin du quatrième Protecteur, fils du Joueur de flûte, Belliqueux 14 dit “Neos Dionysos”, le nouveau Dionysos, j’ai épousé ma soeur Cléopâtre 8, l’illustrissime.
 

XIX

         Je viens à toi alors que je m’étais écarté d’Aménophis le quatrième fils et gendre du troisième, lequel entraîné sans doute par le vizir Joseph venu de Palestine, m’a renié au point d’effacer mon nom dans le sien.

         - Je ne te vois plus. - Je t’aimais. Je ne t’entends plus. - Je me souviens. - Rafraîchis-moi! Je n’ai plus de peau mais je veux te toucher dans la fuite. - Je ne te sens plus. - Nourris-moi! - Dans une autre vie.

(19)   - Dans la froidure en  larges bandes planes...
 

XX

         Fils du Joueur de flûte, frère du nouveau Dionysos, Belliqueux 15 dit “Pais”, l’Enfant, j’ai épousé ma soeur et belle-soeur Cléopâtre 8 qui m’a fait assassiner pour plaire à César.

         Je ne peux plus venir à toi, comme je n’ai pas pu revenir auprès de Toutankhaton, son bâtard et gendre, même lorsqu’il a remis mon nom dans le sien, plus de mille ans auparavant.

(2O)  - Réchauffe-moi! Je n’ai plus de dents mais je veux te mordre dans l’étouffement. - Parmi les grognements de la paresse. - Parmi les ailes de la gourmandise il y a longtemps. - Il y a si longtemps.
 

XXI

         - Ainsi sont menés les esprits maudits

         Je te fais piétiner les grands fantômes. Je t’ouvre leurs cavernes les plus  profondes.

(21)   Je leur montre ta majesté, les deux frères ennemis réunis dans la gloire.
         Et pourtant je me sens vieillir.
 

XXII

         - Parmi les ossements de la luxure dans ce qui était la vie. - Eclaire-moi! - Je n’arrive plus à me souvenir. Où es-tu ? - Je n’ai plus de mains mais je veux te prendre dans la chute. - Je n’ai plus de sexe mais je veux te foutre dans l’enfer.

         - De çà de là de bas en haut par le vent

(22)   - Réveille-moi! Je n’ai plus d’yeux mais je veux te voir dans la nuit. - Parmi les battements de l’envie.
 

XXIII

         - Parmi les fureurs de la colère dans un autre monde. - Dans ce qui était le monde. - Je ne me souviens plus.

         Je n’ai plus de voix pour toi; tu n’as plus d’oreilles pour moi.
         Je ne puis leur montrer que tes ruines et ta corruption.

(23)   Et pourtant j’avais cru un assez long moment...
 

XXIV

         - Jamais confortés par aucun espoir...

         Beau-fils adultérin du nouveau Dionysos et de l’Enfant, tout en étant leur neveu à tous deux, Belliqueux 16 dit “Césarion”, le petit César, car je ressemble à mon père comme deux gouttes d’eau du Nil, ma mère Cléopâtre 8 a obtenu de son nouvel amant Marc-Antoine qu’il reconnaisse mes droits aux deux couronnes; mais c’était un allié peu sûr et son vainqueur Octave m’a fait assassiner, mettant ainsi fin à l’aventure des Ptolémées 264 ans après que le Sauveur ait été reconnu maître des deux pays. C’est lui, sous le nom d’Auguste, qui sera nommé nouveau pharaon, mais ce sera tout autre chose.

(24) (la plus petite)  - Pas même d’arrêt mais de moindre peine...


 
 
 

VERS L'ÉTÉ

 pour Bertrand Dorny
[Ce poème figure déjà dans le dossier 18 de Poésie au jour le jour auquel je renvoie]
 
 
 
 
Sommaire n°20 :
APPEL
SARAJEVO BLUES
SARAJEVO BLUES (brouillon)
ORACLE DE L’INVENTEUR DU VIN
DÉRIVES
LES AVENTURIERS DE LA DEMI-LUNE
LE LAI DES SEPT DORMANTS
CHALEUREUSEMENT
LES VACANCES DES ASTRONAUTES
VARIATIONS MUSEUM
ALIGNEMENTS
L’AFRIQUE INTIME
L’EXÉCUTEUR DES ARMOIRIES
BAL(L)ADE(S) AVEC JEAN STAROBINSKI
BALLADE DE L’AMATEUR DE VIN
MARIE-JO EN ÉTHIOPIE
CHANGEMENTS D’ADRESSE
L’ENFER DES PTOLÉMÉES
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