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Poésie au jour le jour 29
(enregistré en février 2014)
Verso en partant du haut,
une double page enfoncée dans la pochette12
ÉCHELLE DE VALEURS
11
ÉCHELLE DE L’AUDIBLE
10
La sonnerie du téléphone
le piétinement des talons
la voix monotone du maître
les altercations et saluts
la répétition d’un concert
les ovations des spectateurs
les sirènes des ambulances
les cris dans une échauffourée
les explosions dans une usine
la crépitation d'un éclair9
Le martellement de la machine à écrire
les qualités des voix
les froissements des tissus
les bonimenteurs au marché
les mugissements des veaux
le galop d’un cheval
le déchirage du papier
le déclic d’un appareil
les rafales de la pluie8
Le piaillement des moineaux
les cris des enfants à l’école
les claquements des portes
les crissements des freins
une conversation animée
des gouttes sur le vasistas
une chanson à la radio
le vrombissement d’un hélicoptère7
Le croassement d’un corbeau
on écoute les informations
cuillers contre faïence
une conversation tranquille
les chiens aboient
quelqu’un sonne à la porte
le passage d’un avion6
Un tintement dans la pièce à côté
le coq a dû se tromper d’heure
quelqu’un vaque dans la cuisine
les marches de l’escalier gémissent
un cycliste descend le sentier
l’eau commence à bouillir5
Ce sont des pas dans une chambre
un remuement de draps et de couvertures
voici le chant du rossignol
le clocher détaille l’heure
l’eau coule dans la salle de bains4
Une respiration toute proche
le tic-tac d’une horloge
le hululement d’une chouette
le grondement lointain de la circulation3
Le bourdonnement d’un moteur
le tintement d’un doigt sur une vitre
le grincement d’une charnière2
Le craquement d’une brindille
le souffle d’un animal1
C’est le profond silence on n’entend rien
Recto, en partant du bas :
1
C’est la nuit profonde on n’y voit rien
2
Une lueur qui s’est brusquement interrompue
c’est peut-être un signal3
Les phares d’une automobile dans la vallée
une fenêtre qui se dessine en traits légers
une porte qui s’entrouvre4
Une lampe qui s’allume puis s’éteint
les chiffres phosphorescents du réveil
un rayon de lune sur le tapis
une nuée rougeoyante sur la ville5
L’appel de Vénus dans le ciel
La Lune se cache derrière une montagne
on distingue les constellations
une région plus pâle vers l’horizon
l’éclairage permet de se reconnaître dans le miroir6
Ce sont des couleurs de crépuscule
des bancs de brume entre les différents plans
des rayons passent entre les nuages
une vitre brille comme du cuivre brûlant
les ombres allongent leurs rayures
les arbres sont vêtus de leur manteau vert sombre7
Une dernière étoile entre les cimes
le reflet du mur rouge sur le mur blanc
les lacets de la route
on met le couvert sur la table
on regarde la télévision
on consulte son agenda
on lit un article dans un journal8
Les traces des réacteurs dans le ciel
des oiseaux s’agitent dans les buissons
les automobiles se doublent
les enfants descendent de voiture
des fleurs se balancent dans les prés
des trains se croisent dans les faubourgs
tout va plus vite
une averse change l’éclat9
Les lettres sur le clavier
les visages qu’on rencontre
les vêtements dans le vestiaire
les enseignes dans les rues
les affiches sur les murs
les atterrissages sur l’aéroport
le courrier qu’on ouvre
les photographies qu’on étudie
l’arc-en-ciel entre deux ondées10
Le papier que l’on interroge
l’arrivée d’un train en gare
l’inscription sur le tableau
la foule sur les marches
les films sur les écrans
les livres dans les vitrines
les menus dans les restaurants
les équipes dans les stades
les pompiers qui se précipitent
les manifestants qui défilent11
L’orage bat son plein
les incendies s’étendent
les bombardiers s’envolent
les combats continuent
les drapeaux dans le vent
la tempête de sable
les aigles qui tournoient
les colonnes de chiffres
les tournois de la mode
les dix plaies de l’Égypte
les cavaliers de la Révélation12
ÉCHELLE DU VISIBLE
Cette page enfoncée dans la pochette.
Sur le rabat de celle-ci noms et titre.MICHEL BUTOR et PASCAL BRUN
ÉCHELLE DE VALEURS
A l’intérieur du rabat :
ÉCHELLE DE VALEURS
Derrière le dépliant colophon et signatures.
Quand le verso est déployé on ne voit pas les deux dernières pages, 11 et 12.
Quand le recto est déployé on ne voit pas la dernière page, 12.
“Personne jamais
n’ira sur la tombe
de celui-là.Tu parles de qui ?
Du temps.Guillevic”
A-t-il jamais été jeune
on ignore son enfance
la date de sa naissance
avant lui c’était l’attente
mais cela dure aujourd’hui
est-on déjà dans le temps
nous y rentrons sans arrêtLes anciens lui accordaient
longue barbe et grandes ailes
des membres très amaigris
tous les signes de fatigue
mais pourtant courant toujours
volant sur tous les obstacles
sans pouvoir se reposerIls lui donnaient une faux
pour dévorer les moissons
les armées dans les batailles
les enfants subitement
les foules pendant la peste
ou les tremblements de terre
les incendies et délugesUn sablier dans la main
qu’il retournait chaque fois
qu’un côté s’était vidé
mais il était fissuré
et laissait filer les grains
qui roulaient sur les chemins
pour fausser les mécaniquesD’autres l’ont représenté
balayant sans s’arrêter
inscriptions et feuilles mortes
sur la route parcourue
par les familles cherchant
à retrouver les vestiges
d’une maison disparuePour le ralentir un peu
on l’a pris dans un filet
qui se meut avec les astres
auxquels il est accroché
s’ouvrant et se refermant
avec le cours du Soleil
et les phases de la LuneOn lui a fait un château
de 365 chambres
plus un petit cabinet
qu’on ouvre tous les quatre ans
dans lequel on a pendu
les robes abandonnées
avant qu’elles soient uséesIl ouvre chaque matin
la serrure d’une porte
qui se couche sur le sol
près des portes précédentes
le bois devient du papier
que le vent peut soulever
et disperser dans les douvesIl se regarde au miroir
pendu sur la cheminée
où brûlent glaçons et cendres
fondent flammes et murailles
et voit derrière son dos
se presser les autres jours
les autres mois les annéesQui s’enfoncent dans la nuit
où naissent les autres temps
qui lancent à travers l’ombre
des harpons pour amener
les nuages et les navires
qui nous promettent les îles
où nous aurons tout le temps
La toile déroule
tous ses carrefours
de fils qui transmettent
les appels des plantes
qui les ont produitsEt tous les messages
des points cardinaux
qui roulent en vagues
dans les doigts pressés
de les étalerC’est dans l’atelier
ou dans le jardin
tendus de plastique
que va s’écouler
l’arc-en-ciel des encresL’or brûle par ci
le vert germe là
le bleu prend son vol
ou sa profondeur
le rouge épanouitLes fleurs des soirées
les lèvres du temps
les braises des yeux
le noir intervient
comme un grondementIci les mélanges
et là les contrastes
les répercussions
réverbérations
marées de nuancesAu centre s’enfoncent
des puits d’espérance
communications
avec d’autres terres
avec d’autres tempsAvec d’autres mondes
il faut établir
margelles bordures
pour les contenir
pour les contemplerParfois ce qui vient
invite au partage
on va découper
pour mieux accueillir
ce que l’on devineScissiparité
deux individus
poursuivent leur vie
et leurs aventures
à quelque distanceEssaimant encore
vol de papillons
qui couvre les murs
en y déployant
leurs évolutionsAlors on saisit
brosses ou pinceaux
pour délimiter
portes et lucarnes
accentuer l’éclatDans cette région
voici un carré
qu’on peut détacher
mais qui reste ici
coup de l’étrierC’est une autre toile
qui vient s’essayer
c’est une autre chambre
au palais des fées
un autre élixirOu voici des grilles
pour localiser
l’oracle des gongs
barreaux de l’échelle
qu’empruntent les angesLes discours s’éveillent
dans tous les recoins
les chants retentissent
de cloîtres en nefs
de cuivres en boisRumeurs des exclus
échos des citernes
oiseaux disparus
renaissant soudain
entre deux colonnesPour les retenir
les encourager
des fouets de paraphes
comme les signaux
du chef de l’orchestreLacets précipices
orages cascades
gestes de fureur
puis d’apaisement
appel au silencePresque l’écriture
pour nous engager
à chercher plus loin
à nous embarquer
dans le déchiffrageC’est à ce moment
qu’on passe la main
les pages sont mûres
pour qu’une autre voix
vienne dialoguerLes panneaux sont prêts
pour manifester
troubler les festins
des puissants du jour
par leurs inscriptionsLes mots de charbon
se changent en braises
pour marquer l’épaule
des escrocs vainqueurs
dégustant leurs crimesBalthazar Ubu
tyrans milliardaires
songes et mensonges
organisateurs
de notre détresseLeur faire sentir
qu’une autre fortune
dépasse la leur
réveiller en eux
les enfants perdusNous emmener tous
vers d’autres vacances
vers d’autres travaux
l’énergie des ombres
la paix des lumières
VISITE(1) Râtisseur gauche a)
Le râteau corrige les traces
qu’ont laissées les intempéries
effaçant aussi les oracles
dessinés par les azaléesC’est le temps qui passe et repasse
la lessive de nos journées
tandis que le rêve s’écoule
dans le sablier des errances(2) Femmes a)
Amies sur le pont de cinabre
contemplent les ronds que la pluie
dessine sur les intervalles
entre les iris et lotusLa conversation énumère
les fleurs qui viennent de s’ouvrir
dans les jardins du monastère
et sur les balcons des logis
RENCONTRE
(2) Femmes b)
Femmes sous l’averse soudaine
interrogent les croisements
des ondes sur les intervalles
entre nymphéas et glycinesLa conversation tourne autour
des deuils mariages naissances
dans les ruelles du village
et chez les cousins de la ville(3) Moines a)
Compagnons de miséricorde
évitant les pièges du monde
en admirant leurs séductions
pour transmettre les écrituresConcentrant dans une fenêtre
leur vision de l’impermanence
pour saisir l’essor d’une branche
et le parfum d’un chant de flûte
MAINTENANCE
(3) Moines b)
Compagnons d’étude et prière
démontant les trappes subtiles
en admirant leurs constructions
pour délivrer la voix des angesConcentrant leur artisanat
sur les charmes du transitoire
pour capter l’envol d’un oiseau
et les échos d’un récitant(1) Ratisseur gauche b)
Le râteau corrige les fautes
qu’ont commises les pèlerins
effaçant aussi les images
que les feuilles ont révéléesC’est la nuit qui passe et repasse
la vaisselle de nos journées
tandis que les instants s’écoulent
dans le sablier de nos coeurs
RÉVÉLATION
(4) Paysan a)
Dans le miroir de la rizière
je regarde passer les nuages
et les oiseaux qui me signalent
le changement de la saisonSurveillant sur les quelques braises
l’eau qui bout pour le thé du soir
j’écoute la cloche de bronze
qui calme mon coeur angoissé(5) Miroku a)
Le bienheureux de l’avenir
quand il apparaîtra chez nous
il résoudra tous les problèmes
de ceux qui sauront l’écouterIl faudra des siècles d’attente
des millénaires mais déjà
les yeux fixés sur son sourire
nous participons à sa joie.
CONFIANCE
(6) Promeneurs a)
Entre deux bourrasques le ciel
déverse l’argent par poignées
puis l’or tandis que les rayons
deviennent plus horizontauxOn se souvient d’un long voyage
dans des pays où l’on ne sait
s’asseoir sur un sol de douceur
pour goûter un poisson tout vif(5) Miroku b)
Le bienheureux d’après les drames
quand il s’éveillera chez nous
il apaisera les malheurs
de qui voudra le rencontrerAprès des siècles de souffrance
il nous guérira mais déjà
les yeux perdus dans son abîme
nous profitons de son éclat
SIMULTANÉITÉ
(7) Daimyos a)
Ce que nous portons avec nous
dans ce costume d’un autre âge
c’est le feuillage d’un grand arbre
enraciné dans le brouillardIl se balance au gré du vent
qui vient des mers ou des montagnes
en agitant ses mille mains
comme un collège en promenade
(6) Promeneurs b)
Entre deux orages le ciel
déverse monnaies par setiers
puis il renferme son trésor
derrière une porte de plombOn déplore la longue absence
de camarades de l’école
et s’ils nous laissent sans nouvelles
peut-être sont-ils déjà morts
IMPERMANENCE
(7) Daimyos b)
Ce que nous apportons pour vous
sous ces vêtements empourprés
c’est la fleur de notre misère
éclose sous la neige d’orElle tourne au gré du soleil
qui plane d’une mer à l’autre
féminin masculin qui sait
le plus ancien le plus enfant(8) Râtisseur droit a)
Le râteau dessine les voies
isolant les rochers signaux
récifs qu’il nous faut contourner
pour parvenir au paradisComme sur une partition
une mélodie de corolles
que les grands accords des buissons
accompagnent de commentaires
REFUGE
(4) Paysan b)
Dans le crible de la rizière
je tamise mes sentiments
et les murmures du trafic
entre les villes du rivageEn surveillant entre les barques
les poissons pour le riz du soir
j’écoute la récitation
qui soigne mon coeur dévasté(9) Porche a)
Les poutres rondes se relèvent
comme des cornes de dragons
pour étendre leur protection
sur les imprudents visiteursQui apportaient depuis la ville
leur bavardage de soucis
pour le laver dans les fontaines
et que la pluie a transpercés
ISSUE
(9) Porche b)
Les branches mouillées se relèvent
comme des chevaux qui renâclent
pour secouer leurs gerbes de gouttes
sur les enfants émerveillésQui apportaient depuis l’école
les jeux de leurs récréations
pour les sanctifier sous l’écho
des gongs des tambours et des luths
(8) Râtisseur droit b)
Le râteau suggère les voies
pour approcher du paradis
transformant les rochers signaux
en dauphins venant nous sauverComme en ouvrant quelque rideau
les fleurs écartent leurs pétales
que les accords de l’horizon
accompagnent de résonances
DÉCOUPURES
JAPONAISES
version réduite
1) VISITELe râteau corrige les traces
qu’ont laissées les intempéries
effaçant aussi les oracles
dessinés par les azaléesC’est le temps qui passe et repasse
la lessive de nos journées
tandis que le rêve s’écoule
dans le sablier des errances*
Amies sur le pont de cinabre
contemplent les ronds que la pluie
dessine sur les intervalles
entre les iris et lotusLa conversation énumère
les fleurs qui viennent de s’ouvrir
dans les jardins du monastère
et sur les balcons des logis
2) RENCONTRE
Femmes sous l’averse soudaine
interrogent les croisements
des ondes sur les intervalles
entre nymphéas et glycinesLa conversation tourne autour
des deuils mariages naissances
dans les ruelles du village
et chez les cousins de la ville*
Compagnons de miséricorde
évitant les pièges du monde
en admirant leurs séductions
pour transmettre les écrituresConcentrant dans une fenêtre
leur vision de l’impermanence
pour saisir l’essor d’une branche
et le parfum d’un chant de flûte
3) MAINTENANCE
Compagnons d’étude et prière
démontant les trappes subtiles
en admirant leurs constructions
pour délivrer la voix des angesConcentrant leur artisanat
sur les charmes du transitoire
pour capter l’envol d’un oiseau
et les échos d’un récitant*
Le râteau corrige les fautes
qu’ont commises les pèlerins
effaçant aussi les images
que les feuilles ont révéléesC’est la nuit qui passe et repasse
la vaisselle de nos journées
tandis que les instants s’écoulent
dans le sablier de nos coeurs
4) RÉVÉLATION
Dans le miroir de la rizière
je regarde passer les nuages
et les oiseaux qui me signalent
le changement de la saisonSurveillant sur les quelques braises
l’eau qui bout pour le thé du soir
j’écoute la cloche de bronze
qui calme mon coeur angoissé*
Le bienheureux de l’avenir
quand il apparaîtra chez nous
il résoudra tous les problèmes
de ceux qui sauront l’écouterIl faudra des siècles d’attente
des millénaires mais déjà
les yeux fixés sur son sourire
nous participons à sa joie.
5) CONFIANCE
Entre deux bourrasques le ciel
déverse l’argent par poignées
puis l’or tandis que les rayons
deviennent plus horizontauxOn se souvient d’un long voyage
dans des pays où l’on ne sait
s’asseoir sur un sol de douceur
pour goûter un poisson tout vif*
Le bienheureux d’après les drames
quand il s’éveillera chez nous
il apaisera les malheurs
de qui voudra le rencontrerAprès des siècles de souffrance
il nous guérira mais déjà
les yeux perdus dans son abîme
nous profitons de son éclat
6) REFUGE
Dans le crible de la rizière
je tamise mes sentiments
et les murmures du trafic
entre les villes du rivageEn surveillant entre les barques
les poissons pour le riz du soir
j’écoute la récitation
qui soigne mon coeur dévasté*
Les poutres rondes se relèvent
comme des cornes de dragons
pour étendre leur protection
sur les imprudents visiteursQui apportaient depuis la ville
leur bavardage de soucis
pour le laver dans les fontaines
et que la pluie a transpercés
7) SIMULTANÉITÉ
Ce que nous portons avec nous
dans ce costume d’un autre âge
c’est le feuillage d’un grand arbre
enraciné dans le brouillardIl se balance au gré du vent
qui vient des mers ou des montagnes
en agitant ses mille mains
comme un collège en promenade*
Entre deux orages le ciel
déverse monnaies par setiers
puis il renferme son trésor
derrière une porte de plombOn déplore la longue absence
de camarades de l’école
et s’ils nous laissent sans nouvelles
peut-être sont-ils déjà morts
8) IMPERMANENCE
Ce que nous apportons pour vous
sous ces vêtements empourprés
c’est la fleur de notre misère
éclose sous la neige d’orElle tourne au gré du soleil
qui plane d’une mer à l’autre
féminin masculin qui sait
le plus ancien le plus enfant*
Le râteau dessine les voies
isolant les rochers signaux
récifs qu’il nous faut contourner
pour parvenir au paradisComme sur une partition
une mélodie de corolles
que les grands accords des buissons
accompagnent de commentaires
9) ISSUE
Les branches mouillées se relèvent
comme des chevaux qui renâclent
pour secouer leurs gerbes de gouttes
sur les enfants émerveillésQui apportaient depuis l’école
les jeux de leurs récréations
pour les sanctifier sous l’écho
des gongs des tambours et des luths*
Le râteau suggère les voies
pour approcher du paradis
transformant les rochers signaux
en dauphins venant nous sauverComme en ouvrant quelque rideau
les fleurs écartent leurs pétales
que les accords de l’horizon
accompagnent de résonances
L’électricité s’est éteinte
et les robinets sont à sec
la nuit tombe sur la fumée
quelques tirs de la DCA
sur les bombardiers qui repartent
après avoir lâché leur charge
on ne sait où mais pas très loin
puisque la maison a trembléDes voisins se sont réfugiés
dans l’église ou dans la mosquée
croyant que c’est le même dieu
même si depuis des années
leurs serviteurs se font la guerre
mais à quoi bon sa protection
devrait nous couvrir ici même
s’il lui reste quelque vigueurOn peut à peine respirer
les enfants toussent tout le temps
au moins dans cette obscurité
on est délivré des images
qu’il a bien fallu afficher
du dictateur dont le sourire
introduit dans notre coeur même
l’arrachement et la terreurOn s’est fabriqué quelques lampes
avec des mèches de chiffons
déchirés trempés dans de l’huile
mais il n’en reste presque plus
on voudrait lire des prières
que l’on croyait savoir par coeur
mais c’est vraiment trop peu distinct
on essaie d’en inventer d’autresOn nous a donné des fusils
dont nous ne savons nous servir
quelques boîtes de munitions
cela permet de parader
mais nous ne pouvons les trouver
dans les ténèbres déchirées
par les éclats des incendies
et nous voudrions les cacherOn nous dit que les dignitaires
ont de grands palais souterrains
qui sont inondés de lumière
même quand nous manquons de tout
mais nous ne les avons pas vus
et nous savons que la peur règne
même sur les dalles de marbre
et dans les festins les plus finsIl nous faut tenter de fermer
ce qui nous reste de fenêtres
pour l’instant c’est une accalmie
mais alors on n’y voit plus rien
donc nous n’avons plus qu’à chercher
le sommeil au fond de nos chambres
où les cauchemars des enfants
persécutent nos insomniesDe quoi demain sera-t-il fait
on dit qu’il ne peut être pire
qu’aujourd’hui mais on le disait
déjà tous les jours précédents
et l’on se forçait même à dire
qu’il serait meilleur mais comment
y croire après tous ces mensonges
la spirale des déceptions
C’est incroyable le silence
nous est rendu non seulement
après ces semaines d’horreur
et leurs bombardements intenses
mais après tant d’années de bruit
outre défilés militaires
la circulation des camions
qui ne cessait toute la nuitC’est incroyable le Soleil
reparaît dans le ciel soudain
dégagé de fumées et nuages
découvrant les dévastations
qu’on ne pouvait que deviner
et nous découvrons nos visages
dans les fragments de nos miroirs
que nous ne pouvons pas laverQui sommes-nous que reste-t-il
de nous et de tous nos amis
aujourd’hui réussirons-nous
à nous tirer des mauvais pas
à qui faudra-t-il donc sourire
qui sont ces gens dans leurs machines
on se croirait au cinéma
mais là on sait qu’on peut sortirQuelles boutiques vont rouvrir
quand l’eau va-t-elle revenir
tout ceux qui avaient réussi
à installer dans leur cuisine
quelque bon réfrigérateur
n’ont qu’à jeter son contenu
il leur faudra désinfecter
mais à quand le désinfectantVa-t-on nous permettre d’aller
jusqu’à l’hôpital pour savoir
qui des absents a survécu
mais quand nous aurons réussi
à découvrir notre blessé
sans doute on nous avertira
qu’on ne peut rien faire pour lui
faute de place et de remèdesLes enfants lâchés dans la rue
comment pourrait-on les tenir
quand on n’a rien à leur donner
reproduisent dans les gravats
la façon dont ils interprètent
les événements de ces nuits
et de ces journées très obscures
miliciens contre américains
prenant des mines pour des jeuxQuelques-uns ne reviendront pas
mais les autres rapporteront
fièrement trophées de pillage
qui ne nous serviront à rien
quand il ne faudra les cacher
mais surtout pas dans la maison
car on pourrait bien la fouiller
on les remettra dans les ruinesPourvu que le silence au moins
nous reste jusqu’à cette nuit
que les petits puissent dormir
calmement jusqu’au lendemain
quant à nous combien faudra-t-il
de semaines pour que s’apaisent
les déchirements des questions
les tempêtes de notre aurore
Ce sont les mêmes chromosomes
au coeur de toutes nos cellules
et pourtant chacune évolue
différemment selon sa place
le rôle qui lui est confiéCelle-ci deviendra des ongles
celle-là des lèvres des cils
ou les instruments intérieurs
pour respirer ou digérer
les cinq membres pour se mouvoirNous déplacer dans le jardin
le supermarché la boutique
pour chercher de la nourriture
puis la payer la préparer
et la servir sur notre tableEngager la conversation
nous promener dans l’air du soir
nous caresser entre deux draps
fabriquer de charmants bébés
en mélangeant nos chromosomesEt pour inventer des sculptures
ou pour écrire à leur sujet
ou bien sur leurs surfaces mêmes
avec les mêmes 26 lettres
pour capter le monde et l’haleine
Dans les ruisseaux des vieilles villes
j’ai recueilli les ingrédients
pour concocter un mémorial
breuvage ou stèle ne sais trop
aux refusés de tous salons
examens concours comités
à tous les arrivés trop tard
aux urgences des hôpitauxParpaings gravats plumes ressorts
préservatifs et sparadraps
récépissés factures timbres
justificatifs déchirés
bouts de ficelle épingles doubles
emballages de pellicules
flacons tubes pharmaceutiques
mégots trognons quignons chaussettesDans l’alambic rafistolé
des ateliers en déshérence
d’une usine aux vitres cassées
j’ai fait mijoter un bouillon
d’eau de pluie filtrée par la rouille
des canalisations crevées
les moisissures sur les plâtres
et les inscriptions vengeressesAvec ce qui restait des presses
j’ai compacté d’irrégulières
briques pour les accumuler
en tas et colonnes trempées
par le goutte à goutte d’essence
de puanteur et d’impatience
ce qui les colle plus ou moins
pour résister aux tremblementsFantômes d’urbanisation
agitant vos bras de signaux
dans vos haillons d’épouvantails
distillant votre sang ou souffle
dans des bénitiers ou des jarres
où viennent se désaltérer
les rats les loups les réfugiés
avant de filer dans des cavesVenez déguster ces nectars
et vous entrerez dans la danse
des os des chaînes et des clous
mais il vous faudra déposer
dans des containers préparés
tous vos insignes de puissance
vos paquets d’actions vos épées
d’académiciens ou de sbiresPuis il vous suffira d’attendre
des heures des jours des années
pour qu’on vous donne un numéro
vous permettant d’attendre encore
devant des guichets où des anges
portant képis galons simarres
vous interrogeront des heures
vous fouillant et radiographiantAlors débarrassés enfin
des derniers lambeaux de vos frusques
dans vos nudités tremblotantes
vous frôlerez les barbelés
dans les courants d’air ou la neige
et soudain des souffles de forge
pour participer à la fête
où il n’est plus de refusés
J’ai raté mon train j’ai perdu
ma valise et mon portefeuille
je me suis fait voler mes cartes
de crédit et d’identité
j’ai trébuché dans une flaque
j’ai taché mon nouveau costume
je me suis cogné contre un mur
je me suis tapé sur les doigtsLe réveil n’a pas fonctionné
rien à manger dans les tiroirs
du réfrigérateur en panne
j’ai manqué tous mes rendez-vous
j’ai oublié mon parapluie
dans le vestiaire du dentiste
je me suis trompé d’escalier
j’ai laissé brûler le dînerJe ne sais plus l’heure qu’il est
ni où j’habite ni pourquoi
je suis venu dans ce faubourg
où je ne reconnais plus rien
je ne sais plus quel est mon âge
ni mon nom si je suis marié
si j’ai des parents un métier
peut-être suis-je déjà mort
A1) ALASKAMAZONIE
La mer, houles et replis, avec les cris des mouettes, grand large et marées, avec les chants des baleines au loin. Par les fenêtres du navire nous voyons défiler fjords et glaciers. Soudain des blocs se détachent et tombent dans les chenaux en éclaboussant. Voici des chasseurs qui rentrent avec viandes et fourrures. Le fleuve grand comme la mer, méandres et rapides avec les cris des singes, embarcadères et jangadas avec les feulements des jaguars au loin. Par les fenêtres du navire nous voyons s’envoler les oiseaux éclatants parmi les lianes qui tombent des hautes branches des arbres immenses. Voici des archers qui rentrent avec élytres et plumes. Le port entre la mer et le fleuve, rues et treuils avec les cris des manoeuvres, dragues et remorqueurs avec une mélodie au loin. Nous voyons s’exaspérer les machines des conserveries. Voici des matelots qui cherchent fortune. Le froid salue la chaleur; les rouages rêvent de solitudes; les latitudes se recouvrent dans la transe des danseurs. La mer; le fleuve.
2) GAMELANG CELTIBÈRE
Au-dessus des marais se découpe le faubourg industriel avec ses toits en dents de scie, ses cheminées avec panaches de noirceur, ses rangées de maisons, ses manifestations et ses descentes de police. Issus des déchirures entre les nuages, des rayons de plus en plus horizontaux éveillent des cuivres dans les vitres. Sous la pluie les cornemuses rêvent de soleil. Les pays arides projettent leurs sites sur l’écran des vapeurs. L’Australie succède à l’Espagne. Les oiseaux poursuivent leurs migrations. Les taureaux mugissent dans l’arène. Notre foule en traverse une autre. Des vignes andalouses aux tamis des chercheurs d’or, dans la torpeur, guitares et didjeridoos rêvent de rosée. Des arcs-en-ciel passent d’île en île. Nous voyons très sérieusement une mosquée à la place d’une usine; les affiches s’animent en théâtre d’ombres. Sur le faubourg industriel, l’oeil de Vénus, dans une éclaircie, dirige les carillons vers la nuit.
3) ÉTATS ZUNI
Entre l’avion et le métro le prédicateur rassemble ses ouailles. Vite. Entre le métro et les voitures les choeurs se font signe. Plus vite. Entre les voitures et le métro les couleurs se tressent. Encore plus vite. Entre le métro et l’avion la portière claque. Urgence. Un incendie éclate sur l’aéroport. Angoisse. Les tambours transmettent l’alarme jusqu’aux grandes plaines, jusqu’aux rochers monumentaux dans le désert. Confusion. Les tambours battent le rappel des esprits. Soupirs. Les voyageurs sont invités à se détendre dans un bar. Patience. Des voitures s’échappent. Vigilance. Les camions se calment. Soulagement. Des ogives se croisent dans les voûtes du ciel où les orgues des horizons échafaudent leurs restaurations.
4) CANADA CATHAY
Crépitements, explosions, souffles de forge, écroulements. Les flammes gagnent. Il ne restera bientôt plus rien de la prairie. Le bétail fuit. Toute la province est menacée, la nation, le continent même. Les Indiens survivants essaient d’opposer au sinistre ce dont ils se souviennent de leurs incantations de jadis, de le contenir par l’édification d’une sorte de muraille de Chine mentale. Mais rien n’y fait; le tapis déroule ses langues acérées et sinueuses jusqu’aux rails, jusqu’à la gare où des exilés se hissent dans le train pour aller sauter dans l’avion d’où l’on regardera à peine le passage des archipels en attendant l’atterrissage et la découverte de la grande ville en transformation autour de sa cité qui n’est plus interdite, autour de son palais naguère impérial sous la montagne de charbon, avec ses opéras, céramiques, oriflammes et amères récapitulations, remontées de splendeurs et d’horreurs, pour s’en revenir enfin, chargés d’idéogrammes et de bronze, de l’autre côté de la mer où les flammes auront tout dévoré sur la prairie que recouvre maintenant miséricordieusement la neige sur laquelle les ombres des nuages improvisent leurs lavis.
5) CARAÏBES OURALOCÉANIENNES
La steppe roule en grandes vagues que les chevaux dévalent comme des dauphins, se dépassant, caracolant, s’ébrouant, se roulant dans l’écume de poussière. Chargeant depuis le second horizon qu’une pointe de galop découvre derrière le premier, le vent apporte le refrain d’une mère apaisant son enfant. Des tourbillons de fumée font virer les hautes herbes, traînant avec eux des échos d’outre-désert et d’outre-mer, d’outre-villes et d’outre-neige. Par ici on devine le Caucase, par là ce sont plutôt les Andes. Des lignes plus ou moins régulières relient les continents dont la dérive semble loin d’être achevée. Dans les étages des torrents, on observe des raz-de-marée miniature. Par ici on devine les Antilles, par là ce sont plutôt les Tonga. Les oiseaux répondent aux sirènes. Les vagues de la steppe deviennent liquides et brassent les souvenirs que les cyclones ramènent de leurs tours du monde, les grandes villes d’Europe d’abord, avec leurs vacarmes et leurs concerts; et au milieu des eaux, la mère nullement dépaysée continue ses couplets pour réendormir son enfant réveillé par le passage d’un avion.
6) VIETNAMIBIE
Volant, voletant, se posant parmi les roseaux, se berçant sur le hamac d’une branche pleureuse, se mouillant, baignant, secouant, s’ébouriffant; grandissant, les pattes devenant des jambes, les doigts se développant au bout des ailes, les plumes devenant poils et se dispersant dans la chaleur, le bec s’assouplissant et se divisant en nez et lèvres. Alors, au vent de l’Atlantique, les chants s’articulent autrement; et si l’on est capable de saisir avec des mains et de fabriquer de merveilleux instruments de musique, une nostalgie vous prend au souvenir de l’expression naturelle que l’on était capable de moduler en mille façons selon les circonstances et les humeurs, au souvenir de cette liberté à laquelle on a renoncé pour parvenir à plus de puissance et sécurité. Alors, au vent du Pacifique, si on a goûté à quelques fruits de l’arbre du savoir, et si certains ont semblé bien amers, et même s’il y en a tant d’autres à cueillir parmi lesquels il y en aura d’exaltants, quand vient le soir au monastère des phénix, on éprouve l’envie de se couvrir de poils qui redeviennent des plumes, de refermer ses mains pour que les bras retrouvent leur extension d’ailes, de réunir en bec ses lèvres et son nez, de serrer en pattes ses jambes pour mieux prendre son essor parmi les roseaux, depuis les savanes jusqu’aux rizières, retrouver le vol de jadis et chanter à perte de voix.
1) OCÉAN PAPOUINDIEN
A travers les racines aériennes on aperçoit les vagues qui viennent battre sur la plage de sable étincelant, agitant un morceau de chaîne rouillée fixé à un pieu raviné. Des gouttes de pluie tombent des feuilles que les oiseaux agitent dans leur essor. Ronflements et cris, craquements d’écorce, passages d’animaux entre les lianes. L’éléphant s’assied pour se révéler dieu parmi les dieux. Le singe danse autour de lui en le rafraîchissant avec un éventail de palmes tressées tandis que les chanteurs psalmodient leurs livres saints. Les fauves s’approchent en contrôlant leurs rugissements et souffles de plus en plus graves. Des arcs-en-ciel passent d’île en île et une neige de pétales se répand sur la clairière.
2) CASPERTZIENNE ANTILLAISE
Le vent dans la savane, les cloches d’une église, les chants que le porche diffuse avec ses haut-parleurs. Le vent dans la montagne, les craquements repris par les échos. Quelqu’un à Cuba explore les bandes d’ondes courtes sur son récepteur portatif et tombe sur une émission russe. Des lignes plus ou moins régulières relient les continents dont la dérive semble loin d’être achevée. Quelqu’un à Tachkent cherche sur le sien et tombe sur des émissions anonymes dont il s’imagine qu’elles viennent des forêts entourant d’anciens sites mayas du Honduras sur lesquels il a vu une émission de télé sur le poste de la maison commune, comme si le reporter avait ouvert son micro en pleine jungle fourmillant de fantômes.
3) JEUX PACIFIQUES
Les rues descendent vers la mer avec leurs fils électriques, leurs rangées de maisons basses à toits de tôle ondulée, paraboles, petits jardins à bougainvilliers, balisiers et mimosas, piscines en forme de nuages, sous les volcans assoupis sur lesquels passent rarement les souvenirs des somptueux manteaux de plumes de siècles passés. Dans les salles des casinos, la guitare des monnaies module ses arpèges. Froissements de dollars, dégringolades de pièces. Des automobilistes s’insultent aux carrefours dont les feux sont tombés en panne. Un incendie éclate sur l’aéroport. Dans l’horizon brumeux d’étincelles humides passent des écoles de baleines qui répètent leurs concerts de fin d’année, tandis que les amateurs de plage se couvrent les épaules d’huiles protectrices, saouls de leurs heures de combats avec les vagues, avant de s’étendre sur leurs draps de bain sous leurs parasols fichés dans le sable.
4) MONGOLIE TROPICALE
Les grands tétras pérorent comme des robots mal huilés dans les steppes de l’Asie centrale. Depuis le chantier d’une voie ferrée dont la construction s’éternise, les prières se répandent jusqu’en Afrique, tandis qu’un train transporte des mariachis vers une noce dans la province de Sonora et que des bateaux rafistolés longent les côtes sénégalaises. Voici des matelots qui cherchent fortune. D’autres qui croient l’avoir trouvée, descendent les fleuves capricieux vers la Sibérie, abordant aux quais des rares villes brouillonnes pour quelques heures de détente et beuveries bien au chaud, puis traversent à nouveau les territoires des grands tétras qui se taisent quelques instants pour laisser les chants du soir monter depuis les yourtes.
5) DALLAGE ARABESQUE
Emportés par le vent d’ondulations en ondulations, nous survolons d’abord Deir el-Qamar, le couvent de la Lune dans les montagnes du Liban, puis la région des coptes dans la vallée du Nil où les vestiges de Tell-el-Amarna, la capitale maudite du pharaon hérétique Akhénaton, découverts par les archéologues du siècle dernier, sont de nouveau enfouis dans le sable. On a goûté à quelques fruits de l’arbre du savoir. Nous faisons un détour jusqu’à la vallée de Gange, Bénarès avec ses bûchers. Brillent maintenant sous notre tapis les briques émaillées d’Ispahan, les carreaux de faïence d’Istanbul. Après un dernier virage au-dessus d’éboulis et de cratères, de chars abandonnés, de statues en morceaux, nous nous posons sur une terrasse du palais volant d’Haroun al Rachid venu, brusquement réveillé de son sommeil de délices, se lamenter sur ce qu’il est advenu de sa ville.
1) ÉTHIOPIE BRÉSILIENNE
La procession dans les églises souterraines. On remplit les fonts baptismaux où chacun plonge la main pour se signer. Le vent dans la montagne, les craquements repris par les échos. Des files de cierges nous mènent d’un monolithe à l’autre, de plus en plus profondément. On longe des forêts de champignons phosphorescents. Puis de nouveau ce sont les escaliers de grès pourpre avec les flammes tremblantes, les lyres et les encensoirs. Notre foule en traverse une autre avec des torches, des éventails de plumes, des grelots sur toutes les coutures et des miroirs qui se transmettent les uns aux autres les éclats du Soleil venus d’une tout autre direction. Nous nous sommes frôlés sans nous mêler. Chacun continue sur sa lancée. Nous sommes désormais complètement séparés. Les mères serrent leurs bébés dans leurs bras en continuant la descente. Nous débouchons en pleine nuit sur l’extérieur dans l’enchantement de la Lune.
2) ALPANTIDE
Sur les pentes des Alpes les bouviers en culotte de cuir se font de grands signes et se répondent en évoquant des voyages lointains : les grandes villes d’Europe d’abord, avec leurs vacarmes et leurs concerts, leurs églises et leurs musées, puis au-delà des mers, après des heures d’avion, celles de l’Amérique d’une côte à l’autre. Froissements de dollars, dégringolades de pièces. Dans les maquis de Corse les bergers soucieux d’indépendance imaginent des ponts-levis clandestins dont les piliers s’appuieraient sur îles et continents pour faire communiquer Far-West et mers du Sud dans la jam-session des exclus.
3) LABRA D’OR
Le vent file sur la banquise en soulevant des tourbillons de neige fine et soudain des blocs se détachent et tombent dans les chenaux en éclaboussant. Les hommes remontent leurs kayaks et organisent leurs campements autour de grosses lampes à huile de phoque, taillées dans la pierre tendre. Ils s’installent très loin les uns des autres, de telle sorte qu’ils n’aperçoivent leurs lueurs que d’horizon à horizon, juste pour garder le contact. Une jeune anthropologue courageuse dans ses fourrures dispose ses appareils pour enregistrer les improvisations qui aident à passer la longue nuit. Dans les bras du fleuve difficile à repérer sous la blancheur, un brise-glaces laboure son passage. Parvenu dans une espèce de lac assez bien dégagé, l’équipage arrête les machines pour quelques heures de détente et beuveries bien au chaud, puis dormir un peu.
4) ANDES AFRONIPPONES
Les flammes dévorent les herbes sèches. Ronflements et cris, craquements d’écorce; les animaux fuient. Nos musiques suffiront-elles à préserver nos cabanes ? D’un horizon à l’autre les trompes se répondent pour avertir de l’imminence du danger. Serait-ce le cataclysme annoncé ? Toute la province est menacée, toute la nation, le continent même. Ne résistent que quelques îlots d’humidité. Des fumées remplacent les brumes dans les roseaux. Enfin le vent apporte la pluie et même la grêle. Les foyers s’espacent. On mesure l’étendue du désastre. Les flûtes saluent l’apaisement. Les autorités civiles et religieuses rivalisent de cérémonies à grand spectacle pour fêter les nouveaux espoirs. Les mères réussissent enfin à consoler leurs enfants apeurés. En fait le feu ne s’est pas éteint, mais il a changé de nature. Il est devenu respirable, habitable, maniable. On est passé de l’autre côté du feu, dans son envers. On marche sur des braises fraîches entre des arbres de flammes. Nous buvons aux sources du feu; nous rivalisons d’éclat avec les oiseaux. La nuit, tout notre coeur devenu paupières ou cendres, couvre les tisons de nos coeurs.
5) CHAMANS SAHÉLIENS
Nous laissons derrière nous la ville avec ses muezzins fantômes. Méandre après méandre, le fleuve alimente les marais. Dans une région plus sèche nous croisons un campement et même un village avec ses antennes. Les tambours battent le rappel des esprits. Voici les faubourgs d’une autre ville aux maisons très basses, mais avec quelques grands immeubles déjà délabrés autour d’une place à fontaines et mosquées. Tout cela disparaît à son tour comme des nuages emportés par le vent d’ondulations en ondulations, et nous reprenons notre progression difficile à travers les marais grouillant de la foule des morts.
Depuis que j’ai ouvert les yeux
sur les horizons des naufrages
de toutes mes bouches de roche
j’essaie de crier casse-cou
quand je vois les navigateurs
s’aventurer dans les tempêtes
mais ma voix se mêle au tonnerre
et mes cris sombrent dans l’écumeCe n’est que par le grand beau temps
que mon oracle peut atteindre
l’oreille des aventuriers
pour enseigner les gisements
où les attendent les trésors
mais ils se détournent moqueurs
ne pouvant croire à mes annonces
et retournent à leurs malheurs
LE
REGARD DES PIERRES
(Arrabal)
Mascaron changeant
sa barbe en épines
des griffes poussant
au bout de ses doigts
la gueule avançant
en museau de flammesDevenant dragon
pour garder l’entrée
du trésor des rois
d’Aragon Castille
Galice et Leon
même AndalousieConservé derrière
les murs du donjon
depuis bien des siècles
monnaies talismans
élixirs bijoux
miroirs et soieriesMais surtout des livres
avec des images
découvrant secrets
des siècles futurs
électricité
les ordinateursLes trains les avions
ce que nous avons
déjà découvert
mais on nous raconte
qu’il en est bien d’autres
dans ces vieux grimoiresEt si nous pouvons
subrepticement
entrer dans la tête
du roi des dragons
comme une liqueur
ou comme un parfumPour lire une page
encore inconnue
nous aurions la clef
de notre prison
pour notre famille
et tous nos amis
I
L’AIRJ’entre dans tes narines, je me faufile dans tes bronches, je gagne tes plus fins alvéoles pour laver ton sang, le faire briller tel un rubis liquide, et je repars, chargé de tes remords, pour les dissiper dans mon océan de courants et de cyclones, puis en nourrir par leur fonction chlorophyllienne les arbres et les herbes dont se nourriront à leur tour les insectes, les reptiles, les oiseaux, les mammifères sauvages et surtout domestiques qui te donneront leur lait, leur peau, leurs cornes et leurs viandes.
Mêlé à l’eau, je me répands en nappes de brouillard qui s’élèvent au matin sur les vallées et les égrène en rosée qui tombe goutte à goutte sur les mousses et ruisselle sur les rochers jusqu’aux torrents qui respirent de vasque en vasque jusqu’aux lacs puis aux fleuves, enfin jusque à la mer où je la reprends.
Mêlé au feu je deviens foudre, suture dans le crâne du ciel, tumulte des orages mentaux, cauchemars et illuminations, grandes déclamations des rhéteurs échappés des outres d’Éole, ou récitatifs des orgues montagnardes, schiste ou basalte, défilés de cônes de déjections que j’amenuise encore en poussières.
Mêlé à la terre, je sème toutes graines aussi bien sur les toundras sibériennes que sur les archipels des tropiques, et je traverse les déserts en tourbillons aveuglants qui arrachent les arbres avec un rire et un sifflement de vengeance, dont les échos se répercutent de falaise en falaise comme ceux des trompettes du Jugement.
II
L’EAUJe coule entre tes dents sur ta langue, puis dans ton gosier pour traverser tout le tunnel compliqué de tes entrailles, agitée dans la marmite de ton estomac avec toutes les nourritures que tu viens d’absorber; puis me distribue par toutes les circulations de ton corps pour ressortir en larmes de désolation ou de joie, suées de torpeur ou de travail, urines d’or ou de cristal, salée, acidifiée, parfumée au passage par tous tes problèmes. Car tu es avant tout construction d’eau, non seulement tes humeurs, mais, devenue fibres plus ou moins souples, tes muscles, tes os, tous tes organes; tes yeux sont eau et tes oreilles, et tes lèvres, et tes cheveux qui en conservent les mouvements, mes mouvements.
Mêlée à l’air je deviens murmures et balbutiements, sifflements et cris, ronflements et chants, bouillonnements et déversements de paroles; et je m’inscris en phrases qui sont comme des vagues sur des pages qui sont comme des plages, et qui vont percer les rochers comme moi dans leurs spirales et volutes, apportant conversations et contradictions, l’enthousiasme ou la colère.
Mêlée au feu je deviens sang, coeur qui bat, regimbe et s’exalte, la générosité, l’amour fou, le dévouement obstiné aux causes que l’on croyait perdues; et je teins ta peau dans un bain de flammes pour que tu trouves des issues justement là où l’on te disait que le mur était le plus épais, la loi la plus implacable, pour que tu inventes de nouvelles lumières qui te permettent d’explorer les nuits et les antres, que tu creuses des galeries sous mes océans; et c’est toujours moi qui circule en toi, réchauffée, régénérée, ragaillardie.
Mêlée à la terre je deviens boue, la matière même de ta chair selon la Bible, ce qu’elle redeviendra; et je t’enseigne à la modeler en boules, puis en briques pour te loger, te protéger, pour y inscrire tes cunéiformes, pour imiter des oiseaux ou des taureaux à s’y méprendre, les visages de tes rois et de tes femmes, pour donner un corps à tes dieux qui jusque là n’étaient que ruissellement de langage et fugue éperdue.
III
LE FEUJe chauffe tes mains quand le soir glaçant tombe sur la pampa, ou devant l’âtre de ta maison paysanne, crépitant sur des chenets, renvoyé par la plaque de fonte noire; et j’éclaire miséricordieusement tes traits durcis par l’hiver, les léchant pour les assouplir en les approfondissant, tout en faisant cuire ta soupe dans le chaudron suspendu à la crémaillère enfumée, pour te réconforter les viscères et faire taire leurs aboiements. Et tu me crains car il suffirait d’une minute d’inattention pour qu’une escarbille allume un nouveau foyer, d’abord sournois, puis éclatant, dévorant pailles et poutres, granges et forêts, menaçant des villes entières.
Mêlé à l’air je deviens électricité qui court depuis les éoliennes, barrages ou centrales, dans les câbles portés par les pylônes pour me répartir dans les fils jusqu’aux lampadaires des rues et des salles, aux téléphones fixes et mobiles, aux véhicules silencieux, aux capteurs de concerts et d’images. Et là encore il te convient de surveiller mes complexes installations avec une minutie quasi-religieuse, car la moindre déchirure risque de provoquer de dangereuses étincelles qui réveilleraient mes instincts primitifs.
Mêlé à l’eau je mûris non seulement dans les grappes mais dans tous les fruits et même les graines que tu feras fermenter; et d’alambics en tonneaux je deviens désinfectant pour tes blessures, et fête liquide baignant tes chants et danses pour t’apporter la consolation dans le deuil et la célébration après quelque victoire ou découverte, envahissant ton odorat, ensorcelant tes papilles, entraînant ton cerveau dans des hallucinations toujours neuves que la sobriété du réveil pourra quelquefois stabiliser en inventions.
Mêlé à la terre je deviens volcan, jaillis en gerbes de laves et de bombes, rampe en confitures dévastatrices, écrasant et calcinant genêts et ronces, genévriers et cyprès, grondant, secouant le sol comme une nappe après un repas, roulant dans les rues comme un raz-de-marée, figeant tout dans un silence de cendres d’où l’on retirera les victimes des siècles plus tard sous la montagne apparemment calmée qu’escaladeront des touristes rêvant à de tragiques antiquités néroniennes, razzias de Huns et bûchers de sorcières, entretenant mes braises et mon pouvoir de fascination.
IV
LA TERREJe soutiens les plantes de tes pieds et si je suis suffisamment molle ou sableuse, j’en retiens les empreintes; et je maintiens tout ton corps lorsque tu dors l’été à l’ombre d’un chêne, mais aussi dans ton lit par l’intermédiaire de murs qui s’enfoncent dans ma peau comme des griffes, de charpentes qui viennent de mes arbres ou de mes mines, de planches, sommiers, matelas et draps; et c’est moi qui te nourris en distillant mes éléments par les racines de ton blé ou de ton maïs qui les disposeront dans leurs épis, de tes légumes qui les étaleront dans leurs feuilles ou gousses, par des racines des arbres de tes vergers qui les mûriront avec la complicité de mon père le Soleil, en pêches, poires ou mirabelles, et par l’intermédiaire de tes troupeaux qui broutent mon herbe, en tirent tout l’éventail de leurs produits; et je te vêts aussi de mon lin, de mon coton, de ma soie, de mes toisons, et de tous les textiles dérivés de mon pétrole ou de mon charbon.
Mêlée à l’air je deviens bois que tu ramasses après sa mort pour tes foyers ou que tu tranches dans le vif avec des haches et des scies pour le transformer en madriers, poteaux, bûches, meubles et cabanes, des villes entières, et des vaisseaux pour affronter la mer, goûter à ses paresses et tempêtes, naviguer d’île en île, reculer indéfiniment l’horizon, découvrir de nouvelles Indes pour en rapporter de nouvelles essences; et n’oublie pas que je suis pierre aussi pour édifier des villes plus solides avec leurs remparts et tours de guet, voûtes audacieuses, balcons ouvragés, poudre de projection.
Mêlée à l’eau je deviens métal et gemmes dans les filons qu’il te faudra piocher et détailler pour fondre, couler, polir, puis fabriquer des trains, des avions, des stations spatiales; et deviens verre aussi pour te faire mieux voir le jour et le vin, étudier microbes et galaxies.
Mêlée au feu je m’enfonce dans mes propres abîmes dont les fournaises maintiennent la température dans laquelle tu te sens bien; et je deviens la compagne de ces astres qui mesurent ta durée, que tu voudrais tant soumette à tes communications, deviens l’éclat, le grand éclat, la densité même, le diamant du temps, l’oeil vif et sombre à la fois, recouvert par les paupières des continents et les larmes des océans, le grand sommeil hanté de rêves enchaînés qu’il s’agit pour toi de libérer à tous tes risques et périls, m’enlevant dans ta métamorphose.
Hendaye 6 juilletTemps gris mais doux. Cela repose après les chaleurs des jours derniers. La petite famille est arrivée. L’appartement où nous étions au large est maintenant plein à craquer. Heureusement il y a la plage pour se répandre. Il y a beaucoup plus de monde que la semaine dernière, et la langue française est maintenant à peu près à égalité avec l’espagnole. Dimanche prochain cela aura encore augmenté. Pourtant c’est seulement à partir du 14 juillet que commence la vraie saison balnéaire, laquelle bat son plein tout le mois d’août. Mais nous n’y serons plus. Les clubs pour enfants : Alcyons, Mickey, etc. viennent de rouvrir. Nous les avons beaucoup utilisés avec les petits-fils, mais pour les demoiselles, c’est encore un peu tôt.
J’ai heureusement réussi à terminer le travail pour Axel et Catherine Ernst, les pages manuscrites pour les Errances botaniques. Je pense que ça leur plaira. Quant à l’éditeur, on ne sait jamais. Ils veulent souvent marquer l’autorité que leur donne l’argent dans notre société. Quelques-uns heureusement sont assez libéraux. Cela devrait faire un beau livre.
Et maintenant ? Un peu de repos, bien sûr. Quand l’appartement sera libre, j’essaierai France-Musix. L’appareil que nous avons apporté et qui aurait dû nous permettre d’écouter des CD, a eu si chaud pendant le voyage qu’il est en partie en panne. Il faudra le faire changer. Et puis j’en profite pour commencer ces notes de journal. C’est un exercice nouveau pour moi. Je ne sais pas comment je vais m’en tirer. Ce qui est indispensable, c’est la variété. C’est un pari à faire sur ce qui va m’arriver ces jours-ci. Il y a toujours des lettres à écrire, et avec les irrégularités du courrier dues au début des vacances et aux mouvements de grève, certaines urgences s’aggravent; mais je ne sais pas si j’aurai le courage de m’y mettre aujourd’hui.
Alors un peu de lecture. Tous les soirs je lis une pièce de Lope de Vega dans le Théâtre espagnol du XVIIème siècle de la Bibliothèque de la Pléïade. Je voudrais qu’il y en ait bien davantage. La traduction souvent me gêne. Je voudrais consulter l’original, mais je ne peux transporter tous mes livres, et il serait fou d’essayer d’en augmenter le nombre. Il y en a qui arrivent presque tous les jours, et après un stage de quelques mois à L’Écart, ils vont pour la plupart rejoindre leurs frères aînés à la Bibliothèque, pardon, aujourd’hui Médiathèque municipale de Nice. Pourtant cela augmente toujours et j’ai maintenant du mal à me frayer un chemin entre les piles en attente de lecture ou de donation.
Mon gendre vient de m’apporter le quatrième tome de la traduction du roman chinois Les trois royaumes. Je suis bien incapable de la vérifier, mais le fait qu’elle utilise encore la transcription de l’École Française d’Extrême-Orient alors que celle dite Pin-Yin est aujourd’hui universellement admise, me gêne beaucoup. Et puis le fait que les noms multiples des personnages sont calqués directement sur l’original sans aide à l’identification rend tout cela plus obscur qu’il serait nécessaire. Décidément je n’aime pas les traductions, mais ce n’est certes pas une raison suffisante pour ne pas m’en servir. J’y suis bien obligé. C’est une raison pour tenter d’en faire. Car ce n’est pas seulement un mal nécessaire, c’est une inépuisable incitation à la trouvaille et à l’invention linguistiques. A bien des égards, c’est le travail littéraire par excellence, le modèle et l’apprentissage de tous les autres.
Mais Lope de Vega doit venir avant. C’est un écrivain merveilleux. Il a l’amour et le respect de la paysannerie; et il considère que cette attitude est un des devoirs fondamentaux du gentilhomme. Mais comment se faire une idée de l’étonnante diversité de son génie à partir de 14 pièces alors qu’il en a certainement écrit plus de 300, outre ses nombreuses autres oeuvres ? On ne peut qu’espérer voir paraître dans un avenir proche un choix beaucoup plus généreux.
7 juillet
J’ai reçu des photographies de Maxime Godard, une d’Arrabal en particulier, grimaçante, très belle, presque effrayante. Il semble sortir d’un vieux mur, en être véritablement l’expression. Maxime me demande si elle pourrait m’inspirer un poëme qui “s’ajouterait aux autres pour le petit volume que doit publier l’éditeur de Chartres.” Comme ma fille devait repartir le soir pour une semaine de travail à Paris, les deux petites étaient quelque peu agitées. Je me suis installé sur un coin de table et j’ai brouillonné sur une enveloppe ce texte que je vais recopier pour l’envoyer demain en Italie.
A vrai dire les trois autres textes déjà écrits pour des portraits d’Arrabal par Maxime viennent déjà d’être publiés dans Au rendez-vous des amis à l’occasion du rendez-vous des amis de l’Amourier à Coaraze; mais cela ne devait pas faire de problèmes.
8 juillet
Le comité des fêtes de la ville d’Hendaye qui ne nous avait pas troublé de toute sa semaine de manifestations, vient d’installer un podium pour orchestre techno juste sous nos fenêtres, avec tous ses haut-parleurs. Heureusement c’est seulement pour une soirée; mais ils en sont aux répétitions, et malgré la fermeture des fenêtres et de mes appareils auditifs, le bruit est déjà insupportable. Les enfants vont avoir du mal à dormir. Qui nous délivrera de ce besoin d’”animation” des municipalités à tendance touristique ? Comme si ce que venaient chercher les citadins assommés de publicité et de tohu-bohu, c’était quelque chose de ce genre. Ce sont plutôt quelques officiels d’ici et là qui, pour des raisons d’aveuglement électoral, veulent rivaliser d’affiche et de tumulte avec les municipalités voisines. “On se croirait presque à Paris!”, voilà ce qu’ils se disent, ce qu’ils voudraient s’entendre dire. Et les gens viennent, bien sûr; ils n’ont pas le choix. Autant être dans cette pseudo-fête qu’essayer vainement d’échapper à ses nuisances. La mer elle-même ne peut absorber ce vacarme. Le paisible rond-point sera transformé en piste de danse, ses aménagements dévastés. Il faudra tout nettoyer, rafistoler dès demain matin.
Et d’autres rendez-vous nous attendent : la nuit du chipiron (le calamar basque à toutes ses sauces), le bal du 14 juillet, etc. mais ce sera heureusement à une distance suffisante. Ce sont d’autres enfants qui ne pourront dormir et qu’il faudra longuement promener dans la nuit pour les apaiser.
Ceci dit, il y aura peut-être de beaux moments, mais on vous dégoûterait de la IXème symphonie en vous l’assénant trop fort toute la journée.
9 juillet
Tout est nettoyé. Les enfants ont dormi comme dans un train. J’attends la visite d’une journaliste avec qui je dois parler de livres d’artistes. Cela me fait sortir de ma grande valise un projet qui consiste en 5 gravures sur plexiglas de Francis Rollet. Formes un peu rondes, comme veloutées; on croirait des microbes vus par l’intermédiaire d’un microscope électronique, mais l’une des images, figure tranchante, se détache sur cet univers de grouillements, de corruption sans doute, mais d’effervescences et d’inspiration. Cela me fait penser à la décomposition de notre économie dans la mondialisation furieuse, à toute cette organisation absurde et confuse, espérant sourdement son écroulement, son dépassement, lequel ne pourra se produire qu’à travers bien des débordements et cataclysmes.
12 juillet
Je m’aperçois que j’ai laissé passer deux jours sans rien noter dans ce journal. Perturbations familiales : varicelle. Une des petites interdite de plage, ce qui est particulièrement dommage par le temps qu’il fait. Bien sûr, je fournis chansons et histoires, mais cela ne remplace certes pas. En même temps déménagement partiel, car la seconde de nos filles est arrivée, et un peu plus tard le fils de l’aînée, 22 ans; la mère de la malade, quatrième fille, revient cet après-midi. Urgence donc de déborder dans un autre appartement que nous louons pour une semaine dans la même maison.
Reçu les plans des autres Paysages planétaires d’Henri Pousseur. Je vais lui écrire pour lui en accuser réception, mais il m’étonnerait que je puisse me replonger là-dedans avant le retour à Lucinges. Je ressors de ma valise deux magnifiques albums d’Arches aquarelle, reliés en rouge, vingt pages chacun, sur lesquelles Didier Grasiewicz a dessiné à grands à-plats d’encre de Chine “des fruits mis en scène en studio avec quelques projections que soulignent les ombres en anamorphose”. Oui, quelquefois, on devine des fruits; dans d’autres cas la distance est grande. Les dessins d’un album reprennent en miroir ceux de l’autre. Il s’agit de mettre du texte là-dedans, puis il devrait ajouter un peu de couleur.
Je m’aperçois que j’ai reçu cela au début de mai, il y a donc déjà deux mois et demi. Ce sont pour moi des délais normaux maintenant, mais j’aimerais ne pas les avoir transportés pour rien. Je serais heureux de m’en alléger pour le retour en expédiant le paquet vendredi prochain par exemple; mais il me reste moins d’une semaine, et ces quelques jours risquent d’être fertiles en rebondissements. Je vais en tous cas commencer.
(Table ouverte recto 8 strophes)
13 juillet
Ce soir, c’est la fête traditionnelle du chipiron, c’est-à-dire de l’encornet ou calamar, la grande spécialité locale. Toutes les rues du centre balnéaire sont interdites aux voitures, car les commerçants et restaurateurs installent leurs éventaires. On dégustera l’animal dans son encre, bien sûr, mais aussi avec toutes sortes de sauces, l’accompagnant d’une poignée de riz sur une assiette en carton, ou d’un cornet de frites. La bière coulera en abondance, mais surtout le vin rouge de la région qui va très bien avec.
J’ai beaucoup brouillonné sur mon livre d’artiste qui va maintenant s’appeler Table ouverte. Une de mes difficultés, c’est de maintenir la relation recto-verso entre les deux exemplaires, donc de réussir à faire deux versions dans lesquelles l’une soit partiellement un renversement de l’autre.
(Table ouverte recto 8 strophes suivantes)
J’ai essayé de rendre hommage à la nature morte hollandaise. Recto et verso, c’est comme les deux côtés d’une page, mais c’est aussi comme une double page, verso à gauche, recto à droite. Mais chacune de ces pages est un volume; cela donne comme un volume dans une quatrième dimension, un hyperlivre. Mais dira-t-on, il n’y a que deux exemplaires, l’un qui se trouvera à Metz, l’autre à Lucinges. Comment profiter de cette stéréoscopie ? Le texte finira bien par être publié ailleurs, sans doute dans une forme légèrement différente.
(Table ouverte verso 8 strophes)
Chaque strophe comporte à l’origine 7 vers, deux sont repris dans la suivante à d’autres places. Ce sont les mêmes dans les deux versions, mais dans un ordre différent. A cela s’ajoute un vers supplémentaire qui tourne autour des précédents, en montant pour le recto, en descendant pour le verso.
(Table ouverte verso 8 strophes suivantes)
14 juillet
Nous fêtons ce soir l’anniversaire de mon gendre avec un peu d’avance. Plateau de fruits de mer et pour couronner le tout, le feu d’artifice officiel sur la digue que nous verrons parfaitement de notre balcon.
J’ai emporté avec moi quelques lavis colorés de Julius Baltazar qui datent de 1997. Je vais en utiliser un pour faire un petit mémorial.
15 juillet
J’ai terminé et expédié les albums Grasiewicz.
(Table ouverte recto deux dernières strophes,
id. verso deux dernières strophes)Je me suis retourné vers les lavis de Baltazar. Comme il m’en reste cinq, j’ai fait ces petites oeuvres croisées :
Entre deux signatures
six ans sont écoulés
nous avons vu des guerres
et de nouveaux microbes
l’avenir espéré
recule plus encoreNotre seconde fille, revenant de Grèce, nous a rapporté une bouteille de Retsina, vin que nous aimons beaucoup. Elle repart demain matin. Il faut donc profiter du dîner de ce soir pour faire une petite fête hellène aux anchois grillés.
16 juillet
Hier soir les orages se sont enfin décidés à frapper. Avec quelle violence ! Des chutes de grêle. La température a donc beaucoup baissé, mais reste agréable, et la mer donne l’impression d’être plus chaude que l’air.
J’ai continué mon déchiffrage des plans de Pousseur pour ses Paysages planétaires. Je lui avais déjà fait de petites strophes pour les accompagner, mais je ne les ai pas ici. On arrangera cela plus tard. D’ailleurs il a coupé un paysage en deux. Son Sandwich levantin est devenu d’une part Pacific sandwich et de l’autre Perspective levantine. Je vais lui proposer plutôt Jeux pacifiques et Dallage arabesque. Je vais
essayer de lui envoyer un première mouture de l’ensemble avant le départ.18 juillet
Encore un jour de sauté. Baby-sitting et travail sur les paysages électroniques de Pousseur. J’ai réussi à lui recopier cette première version au milieu du branle-bas pour le départ de la petite famille dans quelques instants. Valises à remplir, meubles à remettre en place, pique-nique à préparer pour le train.
Vimbelle, 21 juillet
Cette fois ce sont trois jours qui se sont envolés. Essayons de récapituler.
Le 19, derniers rangements. installation dans la voiture. Nous partons avec notre petit-fils pour Salies-de-Béarn. Chambre d’hôtes dans la maison d’un ancien pépiniériste qui avait voulu réaliser le jardin de ses rêves dans la propriété familiale. Merveilleux labyrinthe d’arbres et de fleurs avec des minuscules sentiers dallés se faufilant de pelouse en pelouse autour de deux arbres immenses certainement bicentenaires : un séquoia et un cèdre du Liban. Histoire classique : trop d’héritiers pour que l’un d’entre eux puisse dédommager les autres. Donc il faut vendre avec tout le mobilier pour pouvoir se répartir équitablement le produit. Visite de Salies-de-Béarn et de Sauveterre.
Le lendemain, dimanche 20, nous traversons la forêt des Landes en tournant autour de Mont-de-Marsan, pour nous rendre dans une chambre d’hôtes à Sauternes. Là, il y a un anniversaire en famille et donc plus de place pour notre petit-fils que nous devons conduire en gare de Langon prendre un train pour Bordeaux où il aura une heure à attendre le Bordeaux-Genève qui le mènera jusqu’à Grenoble. Nous profitons du temps qui nous reste avec lui pour une promenade dans les châteaux, tous fermés de dimanche, mais certains magnifiques de l’extérieur au milieu de leurs précieuses vignes.
Pendant la nuit violents orages. Nous reprenons la route ce matin, lundi 21, par Bergerac, Périgueux, Brive, mais sans pénétrer dans ces villes. Nous sommes arrivés à notre troisième chambre d’hôtes à Vimbelle, sur la rivière très encaissée du même nom, entre Tulle et Corrèze. L’orage a fait un peu baisser la température, mais pas assez. Il fait très lourd et l’on annonce de nouvelles perturbations pour la nuit.
Lucinges, 28 juillet
Cette fois, j’ai laissé filer toute une semaine. Nous en étions donc à Vimbelle, dans un ancien dancing réaménagé. Le propriétaire travaille en même temps dans une boulangerie (d’ailleurs de l’autre côté de la rivière, au milieu des forêts, il y a une grande minoterie), dort le jour, s’en va pour la nuit. Avec sa femme ils n’attendent qu’une occasion, - la vente, j’imagine-, pour rejoindre leur famille à Tahiti. Qu’y feront-ils ? Chambre d’hôte ou pain ? Dans la salle-à-manger deux vitrines remplies d’étranges collections : pièces de monnaie récentes mais oxydées, boucles de ceinture, automobiles miniature qui ont gardé tout l’éclat de leur émail, douilles de cartouches, dés à coudre. Ce sont tous des objets trouvés dans les champs à l’aide d’un détecteur de métaux. Que détectera-t-il à Tahiti ?
J’ai réussi à isoler quelques instants pour refaire les strophes des deux Paysages planétaires issus du Sandwich levantin. La plupart des titres rassemblent deux régions du monde, parfois trois. J’ai fait une strophe de départ une pour l’arrivée, et les ai mêlées en deux pays imaginaires au centre. Après le travail que j’ai fait, je serai certainement obligé d’en transformer profondément quelques-unes et parfois de changer leur ordre. Voici ce que cela donne pour l’instant, en ce qui concerne Jeux pacifiques et Dallage arabesque.
(extraits de L’oreille du sextant)
Le lendemain, - nous sommes donc au mardi 22 -, nous prenons la magnifique autoroute presque déserte qui s’arrête brusquement avant d’arriver à Clermont-Ferrand. Il y a deux ans, voyageant en sens inverse, nous nous étions arrêtés à Orcival que j’avais vu 60 ans plus tôt, lors d’un camp scout sous l’Occupation. J’avais retrouvé exactement l’arrivée. C’était comme si rien n’y avait changé entre temps. En y regardant de plus près, les différences apparaissaient à l’évidence : tout était en meilleur état, un contre-vieillissement en quelque sorte. Je m’étais promis de montrer aussi Saint-Nectaire à Marie-Jo lors d’un prochain passage dans la région. Je l’avais vu à la même époque, mais j’y étais retourné il y a 4O ans lors d’un petit festival organisé dans ce village par Georges Charbonnier. Je ne me souvenais certes pas qu’il fallait passer par un col si haut, ni que la basilique surplombait à tel point la route. Je n’ai retrouvé dans ma mémoire que quelques indices : le trésor, la fontaine pétrifiante...
Puis nous avons poursuivi jusqu’à la maison d’amis près de Noirétable où nous avons passé deux nuits. Pendant la journée intercalaire, le mercredi 23, visite à Notre-Dame de l’Hermitage avec sa fontaine miraculeuse.
Le lendemain, jeudi 24, nous sommes passés par Saint-Régis-du-Coin près du col de la République au-dessus de Saint-Étienne. Mes beaux-parents y avaient une maison et sont enterrés tous deux dans le cimetière campagnard. Quelques-uns des grands bois d’épicéas ont été abattus et replantés, mais la plupart ont poussé davantage, épaississant encore leurs ténèbres. Nuit à l’Auberge forestière de Riotord. A notre arrivée l’hôte était aux provisions, mais il avait laissé la porte ouverte et indiqué sur une pancarte le numéro de notre chambre. Il y en avait deux autres réservées pour “la petite abeille”. Au repas du soir nous avons vu qu’il s’agissait de quatre solides gaillards. Nous nous sommes perdus en conjectures : chasseurs ? humanitaires ? choristes ? Au matin, le vendredi 25, leur camion nous a montré qu’il s’agissait tout simplement d’apiculteurs, et plus précisément de transporteurs de ruches.
Puis arrivée à Lucinges où nous attendaient non seulement la petite famille, - la varicelle de la plus jeune enfin terminée -, mais beaucoup de courrier en souffrance. Il m’a fallu deux jours pour ranger non seulement les lettres que j’avais laissées en plan il y a déjà près de deux mois, mais aussi celui que j’ai rapporté d’Hendaye. Maintenant je vais pouvoir m’attaquer à la troisième pile, celle à laquelle je dois répondre, et je ne sais pas quand je vais réussir à rétablir une circulation postale à peu près viable.
D’autant plus que, n’ayant pas mon ordinateur à Hendaye, j’ai dû recopier à la main tous les textes envoyés aux amis qui me les avaient demandés. Quand j’aurai des disponibilités je m’offrirai un portatif qui m’aiderait grandement. Pour certains textes je n’ai conservé que des brouillons qui seront bientôt difficilement déchiffrables, même pour moi. Il importe donc de rentrer tout cela au plus tôt dans la machine, en le nettoyant quelque peu. J’ai pu travailler aujourd’hui sur les textes destinés à Henri Pousseur. Je mêle ce que j’ai fait à Hendaye aux strophes antérieures que j’ai d’ailleurs dû corriger considérablement. Peut-être réussirai-je à arriver au bout avant ce soir. Mais il y aura un peu de courrier et ces notes que je vais essayer de rendre à nouveau quotidiennes jusqu’au moment où je réussirai à les entrer elles aussi. Je n’en ai d’ailleurs plus pour très longtemps, car ce petit journal cessera le 31 de ce mois.
29 juillet
Reçu une superbe photographie de François Garnier pour faire une estampe, c’est-à-dire un tirage de quelques exemplaires accompagnés d’un texte manuscrit. Ce sont des rochers au bord de la mer en Catalogne. Ils dessinent le profil d’un vieillard, ce qui me rappelle une nouvelle de Hawthorne lue dans mon enfance dans un de ces livres de prix à cartonnage rouge et or, et que je n’ai jamais réussi à retrouver depuis malgré mes lectures abondantes de cet auteur. Cela s’appelait quelque chose comme “le vieil homme des montagnes”.
Pendant ce temps je suis passé de Lope de Vega à Alarcon. Je viens de relire en particulier son extraordinaire Antéchrist dont il me semble qu’il ne l’aurait jamais écrit de cette façon s’il n’était pas né au Mexique, s’il n’avait pas vu les ruines surprenantes du Tempio Mayor à côté de la cathédrale qui s’efforçait de les écraser.
31 juillet
Rangements, toujours des rangements. Il faut dire qu’il y a de quoi faire. C’était l’asphyxie. Au bout de quelques heures on se met à vasouiller. On s’aperçoit soudain qu’il est impossible de retrouver un document que l’on vient de mal ranger. Cela vient de m’arriver pour quelques lettres importantes. Affolement, recherches, cafouillages, temps perdu. Il vaut mieux renoncer pour l’instant. Plus tard, quand il ne sera plus utile dans l’immédiat, l’objet égaré resurgira.
Coup de téléphone prévu de Jane Otmezguine, non seulement éditrice, mais déclencheuse de cette aventure. Elle viendra le 4 août. D’ici là il me faut confier ces notes à l’ordinateur, car pour l’instant ce ne sont que gribouillis dans mes petits carnets à couverture orange.
Divers colophons à numéroter et signer : cent par-ci, cent par-là. L’attention risque de baisser là aussi. On double un numéro, on en saute un autre. Il faut tout vérifier. Et puis voilà qu’on m’avait demandé de petits collages pour agrémenter quelques exemplaires, ce que j’avais complètement oublié. A moi, inspiration !
Pour La pluie séductrice, qui tourne autour du mythe de Danaé, j’ai pris un papier japonais imprimé en ondes bleues qui me font penser à des tuiles, celles du toit de la tour prison; je le fixe par un adhésif noir sur le fond blanc d’un quart de papier machine format A4; et là-dessus je découpe dans un papier doré une feuille qui peut être en même temps une larme ou un sexe féminin. Pour Le corbeau revient vers la côte nord-ouest qui reprend en le transformant un mythe des Indiens Kwakiutl déjà utilisé dans Transit, je pense prendre une bande horizontale du même papier, mais en sens inverse, courbes en bas, pointes en haut, ce qui me semble plus maritime, avec l’évocation d’un corbeau en deux morceaux d’adhésif noir. Peut-être vais-je ajouter une lune d’argent et même un oeil ou bec d’or.
Pour le 4 août j’aurai fini le recopiage de tout ce que j’ai écrit à Hendaye ou un peu après, sauf ce que j’avais fait en premier, les Errances botaniques. Il faudra s’y mettre. Ensuite, entre les vagues des problèmes familiaux et du courrier qui repart, je pourrai commencer enfin le montage de mon Anthologie nomade pour Poésie Gallimard, ce qui va me tenir plusieurs mois.
Le brasseur d’affaires
regarde son verre
sur le guéridon
de son grand salon
bulles se bousculent
vers l’anneau d’écume
portant avec elles
son angoisse intimeToujours agressif
et compétitif
dans la pire jungle
qu’ait connue la Terre
écrasant les uns
éjectant les autres
sans prendre le temps
de boire son verreQuand pourrai-je donc
délivrer mon âme
de cette obsession
de notre croissance
gagner de l’argent
toujours plus d’argent
des bulles d’argent
un argent d’écumeJe cherche un pardon
dans la bienfaisance
mais les quelques sous
que je puis donner
à des miséreux
ou à des artistes
sont tous arrachés
à des exploitésImage d’un monde
devenu prison
toujours s’élever
pour ne pas crever
mais au bout du compte
c’est pour s’enliser
et pas d’autre issue
que s’évaporer
Sommaire n°29 :
ÉCHELLE DE VALEURS
STÈLE POUR LE TEMPS
LE TEINTURIER DES MUSES
DÉCOUPURES JAPONAISES
DÉCOUPURES JAPONAISES, version réduite
LE CRÉPUSCULE SUR BAGDAD
L’AURORE SUR BAGDAD
L’ALPHABET DU VIVANT
CÉRÉMONIAL DE MISÈRE
MAUVAISE JOURNÉE
PAYSAGES PLANÉTAIRES
LE VIEILLARD DE LA MER
LE REGARD DES PIERRES
QUADRILOGE
ENTRE LES VAGUES
D’UN SIÈCLE À L’AUTRE
LEVURE DE BIÈRE