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Poésie au jour le jour 37a

(enregistré en octobre 2014)

Sommaire




ORGUES DE MER

pour Eric Coisel
Plumes bercées
d’un bout à l’autre
des océans
pour en capter
tous les courants
les vibrations
et les parfums
de ses épaves

Tuyaux forés
d’un bout à l’autre
avec des souffles
pour restituer
tous les appels
les sauvetages
et les mémoires
des naufragés


 
 
 
 
 

LES TROIS CHÂTEAUX

pour Titi Parant
          Trois petites filles marchaient dans la forêt. Elles commençaient à être fatiguées et à avoir faim. Elles cherchaient une clairière pour leur pique-nique.
         La plus grande, Anna, avait une robe rouge et dans son panier une bouteille de lait.
         La moyenne, Bella, avait une robe bleue et dans son panier une boîte de sardines.
         La plus petite, Clara, avait une robe jaune et dans son panier un petit pot de miel.
         Au moment où elles allaient s’asseoir, elles ont aperçu le loup qui leur dit :
         “Que faites-vous ici toutes seules et que vont penser vos parents ?
         - Nos parents savent très bien où nous sommes, a répondu Anna. J’ai un téléphone portable pour les appeler dès qu’il y aura un problème.
         - Justement, dit Bella, ils nous ont recommandé de bien nous méfier du loup.
         - Mais je ne suis pas du tout un loup comme dans les histoires, je voulais seulement savoir si vous aviez une galette et un petit pot de beurre.
         - Nous n’en avons pas, répondit Clara. Nous avons seulement du lait, des sardines et du miel.
         - J’aimerais bien un peu de lait, ça me rappellerait mon enfance.
         - C’est tout à fait le moment de téléphoner, dit Anna.”

         À ce moment est arrivé un petit garçon en salopette jaune.
         “Bonjour, j’espère que vous n’ennuyez pas mon loup.
         - Vous voyez, a dit le loup.
         - Et toi, que fais-tu seul dans la forêt ? a demandé Bella.
         - Je suis à la recherche d’un château.
         - Tiens, c’est juste comme nous, a dit Clara. Comme nous sommes un peu à l’étroit, nos parents nous ont dit d’aller leur chercher un château.
         - Et quel est le nom de votre château ?
         - Nos parents ne nous l’ont pas dit. Je pense que n’importe quel château leur conviendra, dit Anna.
         - Pourvu qu’il soit en bon état, dit Bella.
         - Avec tout le confort, dit Clara.
         - Le mien s’appelle le château des horloges, dit le petit garçon.
         - Je le connais, dit le loup; je crois que cela conviendra, mais je commence à avoir faim.”
         Et ses yeux devenaient un peu méchants.
         “Albert, dis-leur de me donner leur bouteille de lait.”

         Anna téléphone aux parents en augmentant la puissance pour que tout le monde entende.
         “Il y a un loup, mais il est très gentil; c’est le copain d’Albert, un petit garçon en salopette jaune qui cherche lui aussi un château, et ce château s’appelle le château des horloges; il paraît qu’il est très bien, mais le loup commence à avoir faim; est-ce qu’on peut lui donner du lait ?
         - Vous pouvez partager le lait. Pendant ce temps nous allons regarder dans l’atlas pour voir où ce trouve ce château des horloges. Ah ! Vous n’avez qu’à continuer tout droit, mais il y a une rivière, et surtout méfiez-vous bien du lynx.
         - Puis-je vous accompagner ? demanda le loup.
         - Certainement dit Albert; il pourra nous être très utile.”
         En effet quand ils sont arrivés près de la rivière, le loup s’est souvenu d’une barque qu’il avait vu manoeuvrer par des hommes. Tout le monde s’y est installé, et l’on a pu traverser sans encombre.
         De l’autre côté ils ont rencontré un lynx qui leur a dit :
         “Que faites-vous ici tout seuls et que vont penser vos parents ?
         - Ils savent que nous devions traverser la rivière et nous ont justement recommandé de bien nous méfier du lynx, répondit Anna.
         - N’auriez-vous pas un peu de lait ?  a demandé le lynx.
         - Il n’y en a plus une seule goutte, répondit Anna. C’était juste ce qu’il nous fallait pour nous cinq.
         - Nous n’avons plus qu’une boîte de sardines et un petit pot de miel, ajouta Bella.
         - Il y a bien longtemps que je n’ai mangé des sardines.
         - C’est tout à fait le moment de téléphoner”, dit Clara.

         À ce moment est arrivé un moyen garçon en salopette bleue.
         “J’espère que vous n’ennuyez pas mon lynx.
         - C’est mon frère Hubert, dit le petit Albert,  il est aussi à la recherche d’un château qui s’appelle le château des yeux.
         - Oh, dit Anna, je crois qu’un seul château suffira.
         - Mais il est peut-être mieux, dit Bella.
         - Mais si nous avions deux châteaux, il y en aurait un pour les vacances, dit Clara.
         - Je le connais, dit le lynx, je crois que cela nous conviendra, mais je commence à avoir faim.”

         C’est Bella qui a téléphoné :
         “Nous avons traversé la rivière; il y a un lynx, mais il est très gentil, c’est le copain d’Hubert, le frère d’Albert. Le château qu’il cherche s’appelle le château des yeux. Mais le lynx commence à avoir faim. Est-ce qu’on peut lui donner des sardines ?
         - Vous pouvez partager. Je regarde dans l’atlas. Pour le château des yeux, ce n’est pas très loin du château des horloges; vous n’avez qu’à continuer tout droit. Mais il y a un ravin. Et surtout méfiez-vous bien de l’ours.”
         Arrivés au ravin, le loup et le lynx leur montrèrent comment faire un pont.
         De l’autre côté ils rencontrèrent l’ours.
         “Leurs parents sont au courant, dit Hubert.
         - N’auriez-vous pas quelques sardines ?
         - Il n’y en avait que sept dans la boîte, dit Hubert.
         - La seule chose qui nous reste, c’est un peu de miel.
         - Du miel, quelle aubaine !
         - Cela n’en fera qu’un peu pour chacun,” dit Clara.

         A ce moment est arrivé un grand garçon en salopette rouge qui portait un panier avec des tranches de pain.
         “J’espère que vous n’ennuyez pas mon ours.
         - C’est notre frère Robert, dit Hubert, il est aussi à la recherche d’un château.
         - Qui s’appelle le château des livres, dit Albert.
         - Je le connais, dit l’ours, il est magnifique, mais je commence à avoir faim.
         - C’est le moment de téléphoner, dit Clara. Allô, tout va bien, nous avons traversé le ravin. Il y a un ours, mais ne vous faites aucun souci, c’est le copain de Robert, le frère aîné d’Albert et d’Hubert. Lui, il est à la recherche du château des livres. Seulement l’ours commence à avoir faim.
        Est-ce qu’on peut lui donner du miel ?
         - Vous pouvez partager, mais cela fera bien peu pour chacun.
         - Robert a apporté du pain.
         - Alors il n’y a plus de problème. Voyons, le château des livres, ce n’est plus très loin, toujours dans la même direction, mais la télé annonce qu’un volcan vient de se réveiller juste dans cette région !
         - Nous allons bien voir.”

         Convenablement restaurés, nos amis découvrirent, en suivant l’ours, une montgolfière abandonnée qu’ils n’eurent aucune difficulté à faire voler au-dessus des coulées de lave, et ils aperçurent les trois châteaux tout proches les uns des autres, en parfait état de conservation, et quand ils y entrèrent, leurs aménagements étaient en ordre de marche. Anna téléphona aux parents des filles, Robert aux parents des garçons. Albert et Clara s’installèrent dans le château des horloges, tout doré, Hubert et Bella dans celui des yeux, tout bleu, Robert et Anna dans celui des livres, tout rouge, et leurs parents viennent voir tous les jours si tout se passe bien. Quant aux animaux ils sont revenus dans leur forêt, mais il y a toujours pour eux près des portails une bouteille de lait, une boîte de sardines et un petit pot de miel qu’ils savent ouvrir avec beaucoup de délicatesse.


 
 
 
 
 
 

À LA CROISÉE DES CHEMINS

pour Maxime Godard
Un poteau indicateur
qui a replié ses flèches
pour les mettre dans ses poches
se demandant où et quand
il entrera dans la mer
pour rencontrer le miroir
qui lui donnera son nom

 
 
 
 
 
 

À L’OMBRE DE LA BARRIÈRE

pour Georges Badin
Tireur de flèche Apollon
qui brûles tout dans nos champs
dans nos vignes et vergers
nous édifions nos murets
pour nous protéger de toi

Mais n’en tire pas vengeance
nous avons besoin de toi
te donnerons le meilleur
de ce qu’aurons pu sauver
pour te montrer notre amour

Si jamais tu nous quittais
las de nous carboniser
ce serait encor le noir
mais celui de la nuit froide
où rien ne mûrirait plus


 
 
 
 
 
 

LE TEMPS DU THÉ

pour Inge Kresser
1)
 Les racines cherchent
 dans les chais du sol
 les épices reines


2)

 Insensiblement
 à travers les tiges
 montent les trésors


3)

 Menus éventails
 les feuilles déplient
 leurs doigts odorants


4)

 Les boutons s’entrouvrent
 livrant leur pollen
 au vent des montagnes


5)

 Cueillir et trier
 sentir et sécher
 remplir et plier


6)

 Sur les quais débarquent
 les caisses bercées
 par les océans


7)

 Une taxe en trop
 voilà que commence
 la Révolution


8)

 Le vieil amateur
 ouvre le paquet
 s’enivrant d’arômes


9)

 La source brûlante
 irrigue les prés
 de méditation


10)

 Tout en demeurant
 assis sur sa chaise
 suivre caravanes


11)

 Traverser des cols
 rencontrer des sages
 entrer en soi-même


12)

 Puis rouvrir les yeux
 voir la tasse vide
 et le livre ouvert

 
 
 
 
 
 

LA PATIENCE DES POÈTES
ET L'IMPATIENCE DES PEINTRES

ou au bonheur des cartes

pour Geneviève Besse

 
 
Liminaire
 

         Nombreux sont les jeux de cartes dans diverses cultures, dont la nôtre, pour servir à la divination et la distraction. Passer le temps, comme on dit, pour le rendre plus pur et plus souple, suspendre les préoccupations pour les retrouver clarifiées.

         Il en est un au Japon, dédié aux poètes anciens. Sur chaque lame un portrait, avec les trois premiers vers d'un « tanka », forme classique en 5 vers. Il s'agit de retrouver le nom et les deux vers manquants. C'est le plus érudit qui gagne pourvu que la chance lui sourie.

         On s'est efforcé d'adapter notre jeu ancien de 52 cartes, plus les jokers, que nous utilisons pour la belote ou le bridge, ou selon bien d'autres règles, pour le transformer en un instrument de fabrication poétique, permettant d'inventer de nouveaux textes. Les mots sont baignés de couleurs et enluminés de figures, chiffres ou personnages, en relations filiales avec ceux d'autrefois, déjà transformés par les révolutionnaires et les surréalistes.

         Avec un peu d'accoutumance on pourra l'utiliser pour les jeux traditionnels, mais il convient surtout comme proposition pour une divination exploratoire, pouvant remuer parfois, au tréfonds de nous-mêmes, des secrets emprisonnés, coupables ou libérateurs, des lueurs pour nous sortir de nos tunnels à la recherche d'avenirs moins sombres.

         Comme chez les voyantes de nos foires, la disposition des cartes sur la table forme une illustration à l'histoire qui se forme, elle-même légende s'accolant à ce tableau.

         On propose quelques exemples de manipulations, mais il peut y en avoir bien d'autres, et sans doute de meilleurs. C'est une invitation à l'invention.
 
 

Couleurs :

Piques ou Vents
             triangle bleu foncé
Coeurs ou Braises
             cercle orange
Carreaux ou Sables
             carré jaune
Trèfles ou Pluies
             losange vert

Chiffres :

As : Échangeur
Deux : Dialogue
Trois : Famille
Quatre : Carrefour
Cinq : Main
Six : Cube
Sept : Semaine
Huit : Rose
Neuf : Choeur
Dix : Cycle
Valet : Gouvernail
Dame : Voile
Roi : Étrave

Joker : étincelle

         (Les chiffres peuvent être représentés par leur signe, les figures par leur initiale)

Termes avec exemples :
 

Piques ou Vents

As ou échangeur : clef
La petite clef ouvre le placard aux archives

2 ou dialogue : rencontres
La rencontre entre Uranus et Neptune s’effectuera le dimanche des Rameaux

3 ou famille : départs
L’heure du départ est fixée à vingt minutes après le coucher du soleil

4 ou carrefour : rumeurs
La rumeur de l’aéroport couvre celle de l’usine

5 ou main : ponts
De l’autre côté du pont un douanier scrute les passeports

6 ou cube : matins
La reine du matin monte l’escalier du phare

7 ou semaine : chevaux
Un cheval de nuages secoue sa crinière de flammes

8 ou rose : neiges
Une fine neige recouvre les sentiers autour des fondrières

9 ou choeur : tempêtes
La tempête a emporté la girouette du château

10 ou cycle : montagnes
Une montagne indigo se réfléchit dans l’étang

valet ou gouvernail : messagers
Le messager à bout de souffle tire la missive de son sac

dame ou voile : reines
Une reine cueille des roses qu’elle dispose dans un bol

roi ou étrave : présidents
Le vieux président s’appuie sur sa canne pour parvenir au conseil

joker ou étincelle : ruses
La ruse du marchand fait monter les enchères
 

Coeurs ou Braises

as ou échangeur : désirs
Mais le désir de voir et l’humeur inquiète

2 ou dialogue : regards
Un regard sur la falaise qui se découpe à l’horizon turquoise

3 ou famille : voyages
Le voyage avait commencé sous les meilleurs auspices

4 ou carrefour : livres
Un livre immense reste ouvert sur son lutrin

5 ou main : navires
Un navire se balance dans l’entrée du port

6 ou cube : silences
Une oasis de silence dans le désert du bruit

7 ou semaine : dauphins
Un dauphin bondit dans l’écume verte

8 ou rose : rameaux
Le rameau d’or ouvre la porte des enfers

9 ou choeur : orchestres
Un orchestre des faubourgs parade sur le champ de foire

10 ou cycle : vagues
Une vague de mercure escalade les récifs

valet ou gouvernail : danseurs
Le danseur pivote sur sa main droite

dame ou voile : cantatrices
La cantatrice prélude avec des arpèges vertigineux

roi ou étrave : ambassadeurs
L’ambassadeur en grand costume présente ses lettres de créance

joker ou étincelle : pièges
L'inconsolable dispose son piège à l'orée du bois
 

Carreaux ou Sables :

as ou échangeur : solitudes
Le kiosque de la solitude s’éclaire au-dessus du ravin

2 ou dialogue : miroirs
Le miroir piqué au-dessus de la cheminée de marbre noir

3 ou famille : arrivées
L’arrivée des délégations au festival de céramique

4 ou carrefour : échos
Le ménétrier écoute l’écho de sa vielle

5 ou main : soirées
La soirée s’annonce des plus brillantes

6 ou cube : fenêtres
À la fenêtre du manoir pend une chevelure dorée

7 ou semaine : dragons
L’oeil du dragon clignote derrière la poterne

8 ou rose : rayons
Un rayon de miel sur la table de la cuisine

9 ou choeur : songes
L’arbre du songe répand son pollen sur les chambres

10 ou cycle : villes
Toutes les lampes de la ville s’éteignent d’un seul coup

valet ou gouvernail : étudiants
Levant les yeux de son dictionnaire un étudiant contemple la mansarde en face

dame ou voile : hôtesses
Une hôtesse aide un vieillard à soulever sa valise

roi ou étrave : capitaines
Le capitaine ordonne de larguer les amarres

joker ou étincelle : fortunes
L'oeil de la fortune s'ouvre sur la route
 

Trèfles ou Pluies

as ou échangeur : fleurs
la fleur de sel s’irise sur les marais ridés

2 ou dialogue : conversations
La conversation s’anime au détour de la rue

3 ou famille : attentes
On fait des mots croisés dans la salle d’attente

4 ou carrefour : chants
Le chant du rossignol guérit l’empereur de la Chine

5 ou main : fontaines
Tous les chemins mènent à la fontaine effervescente

6 ou cube : nuits
À la tombée de la nuit les enfants reviennent avec des myrtilles

7 ou semaine : colombes
La colombe rapporte dans l’arche une branche d’olivier

8 ou rose : ombres
L’ombre du temps qui passe couvre les écoliers

9 ou choeur : vergers
Au centre du verger le fruit des Antipodes

10 ou cycle : forêts
La forêt des lilas recèle d’innombrables dangers

valet ou gouvernail : amoureux
Un amoureux joue sur sa guitare une sérénade andalouse

dame ou voile : jardinières
Une jardinière s’attarde en balayant les feuilles

roi ou étrave : mages
Le mage déconcerté se prend la tête entre les mains

joker ou étincelle : secours
Le naufragé appelle au secours les sirènes

Règles

1) On joue au nombre que l’on veut jusqu’à six. On distribue les cartes. On peut décider de mettre en jeu le joker qui sera la carte la plus forte. Si le compte ne tombe pas juste on élimine les cartes restantes. C’est le donneur qui commence. Il pose une carte au centre en lisant le terme inscrit. Puis celui qui est à sa droite choisit une carte dans sa main, si possible de la même couleur, et la pose au centre en poursuivant la phrase avec l’un des mots inscrits sur cette carte : terme, chiffre ou couleur, traditionnels ou traduits. On ne peut utiliser un mot qu’une fois par jeu. Il ajoute les articles, adjectifs, verbes, etc. qu’il désire, mais un seul à la fois. Chaque tour fait un vers. C’est celui qui a mis la plus forte carte de la couleur demandée qui commence au tour suivant. L’as prime sur le roi. Le gagnant est celui qui a mis la plus forte carte au dernier tour.  C’est lui qui donnera pour le jeu suivant.

Exemple avec quatre joueurs :

L’arrivée du sable surprend l’hôtesse de la soirée
Une rumeur de cheval blanc inquiète la reine et le roi
Le départ du messager avec les clefs du vent
Une montagne de miroirs au matin devant la fenêtre
La neige de la conversation couvre le choeur des livres
Le danseur en voyage rencontre l’ambassadeur sur le navire
Le capitaine dans sa solitude se remémore le songe des rayons
La ville des étudiants dans l’attente d’un regard
Le dragon garde le verger de l’autre côté du pont des pluies
L’orchestre des braises suit le rameau des silences
La cantatrice avec son dauphin apparaît parmi les vagues de colombes
La forêt sous la pluie salue la jardinière et son mage
La fleur des amoureux auprès de la fontaine des ombres

2) Au lieu d’entasser au centre en plis que l’on relève, on dispose les cartes du premier tour en rang selon leur arrivée. Au second tour on choisira une de ces cartes pour début ou pivot d’une ligne perpendiculaire qui comportera alors cinq termes. La suivante pourra en avoir six ou plus.

Exemple avec quatre joueurs :

La forêt des attentes favorise la rencontre des chants
L’amoureux sous la pluie dans la nuit devine l’arrivée du miroir
La jardinière rejoint l’amoureux dans le verger de sa famille au carrefour
Le mage conduit la jardinière dans la forêt des regards avec les échos des voyages
La fleur du mage éclôt sur le navire des rumeurs au matin
La fleur à l’ombre du dragon dans la soirée sur le navire
Une colombe au carrefour des vergers du vent sous les rayons de la semaine des fenêtres
etc.

3) On peut décider de réaliser une figure particulière, étoile à cinq ou six branches, réseau, cercles concentriques. Une fois la figure réalisée, on la déchiffre. C’est un peu le travail d’une voyante.

4) On joue tout simplement au bridge ou à un autre jeu et on établit le texte à la fin.

 Le livre est indispensable pour l’énoncé des règles dont on ne donne ici que des échantillons et pour les exemples que l’on essaiera de réaliser les plus beaux et variés possible.
 
 

(appendice pour Geneviève Besse)

Noms et phrases des jokers :

Piques ou Vents :

joker ou étincelle : ruses
La ruse du marchand fait monter les enchères

Coeurs ou Braises :

joker ou étincelle : pièges
L'inconsolable dispose son piège à l'orée du bois

Carreaux ou Sables :

joker ou étincelle : fortunes
L'oeil de la fortune s'ouvre sur la route

Trèfles ou Pluies :

joker ou étincelle : secours
Le naufragé appelle au secours les sirènes
 
 

Colophon :

 Cet ouvrage réalisé de 2005 à 2011 à Tours et Lucinges, est enregistré dans le catalogue de l'Écart sous le numéro 2009
 

Titre :

PATIENCE DU POÈTE
IMPATIENCE DU PEINTRE


 
 
 
 
 
 
 

PATIENCES DE LA MER

 pour René Laubiès
Sur le tapis de sable
elle étale ses trèfles
ses carreaux de faïence
coeurs d’opale et ses piques
d’oursins figures même
qui dorent sur la plage

Elle ramasse tout
d’un seul coup d’avant-bras
châteaux s’écroulent cris
débandades battue
puis elle recommence
infatigablement


 
 
 
 

REPROCHES DE LA MER

 pour René Laubiès
Je te renvoie
cette bouteille
car même si
tu n’as inscrit
aucun message
à l’intérieur

Elle transmet
ta perdition
ton abandon
sur la grosse île
superpeuplée
que tu dévastes

Et les filets
les bois flottés
je te les rends
pour ne garder
que les trésors
de tes galions

Thésaurisant
l’avidité
de tes marchands
éliminant
les intérêts
de tes rapines


 
 
 
 
 
 

CARESSES DE LA MER

 pour René Laubiès
À travers tout
ce qui te reste
de vêtements
je m’insinue

Pour déposer
un peu de sel
dans tes recoins
les plus intimes

Te recouvrant
de ma salive
te ranimant
de ma fraîcheur

Et lorsque tu
ressortiras
tu répandras
mon amertume


 
 
 
 

LES FANTÔMES DE LA MER

 pour René Laubiès
Dans les châteaux du Moyen Âge
les revenants glissent debout
balayant avec leurs suaires
les poussières accumulées
dans les recoins des galeries
parmi les lits à baldaquins
dont les tentures déchirées
tremblent à leurs gémissements

Mais les fantômes de la mer
nagent le long des bastingages
multipliant leurs yeux avec
les balbutiements de l’écume
enrobés de tissages d’algues
leurs bras comme des tentacules
ils s’efforcent de s’accrocher
mais ruissellent presque toujours

Les chaînes qu’ils secouent sont celles
des ancres d’anciennes épaves
où ils plongent pour ranimer
leurs confrères éparpillés
dans les hamacs brodés d’écailles
parmi colonnes de vaisselles
ou les volières des cabines
aux tourbillons de métaux verts

Coulant leur brasse dans les ruines
des palais engloutis vestiges
de la fabuleuse Atlantide
ils aménagent des refuges
pour y consoler leurs trouvailles
avec des repas raffinés
les embrassant par tous leurs flots
pour les ressusciter en sources

Émerveillés par les rameurs
les naufragés des anciens temps
leur insinuent par les oreilles
des mélodies en infrasons
sans qu’ils sachent qu’ils les entendent
mais les phrases qu’elles ressassent
s’imposant dans leurs réflexions
leur font rêver métamorphoses

En orques requins esturgeons
lâchant leur frai dans les abîmes
qui prendraient corps sous leurs étreintes
avec les seins des amoureuses
les plus célèbres d’autrefois
Hélène Yseut Shéhérazade
pour se dissoudre en nostalgies
déchirures des soies du temps

Devant les exploits des surfeuses
les gabiers et les capitaines
dont les vaisseaux se sont défaits
en espars dispersés sur les
plages des divers continents
leur confectionnent des tunnels
qui fonctionnent comme des nasses
pour les aspirer dans leurs antres

Puis les renvoyer sur le sable
ayant dans leurs flancs leurs semences
qui deviendront de beaux enfants
nageant mieux que leur mère encore
et sans que le mari comprenne
jamais ce qui est arrivé
des enfants qui s’enfonceront
dans les délices sous-marines

À la recherche de leurs pères
qu’ils devineront seulement
dans les rouleaux crépusculaires
poursuivant nouvelles surfeuses
en s’enivrant de leurs méandres
imprimant provisoirement
sur les volutes des sillages
leurs traits entre mort et survie

Pour leur donner des descendants
descendantes toute une race
plongeant dans les flots de la peur
et ressurgisssant en cascades
de perle de corail et d’ambre
les larmes ruisselant en rires
les deuils en longues retrouvailles
surfant sur le temps des légendes

Leur faire écouter les musiques
venues du fond des précipices
entre les plaques dérivant
sur le lent océan de pierres
ou captées par les paraboles
qui s’inscrivent au creux des houles
émises par d’autres planètes
ou les revenants de l’espace

Pour leur réciter des poèmes
inscrits depuis des millénaires
dans les strates des plissements
genèse archives prophéties
les mots montant comme des bulles
phosphorescentes explosant
dans une révolution douce
à la limite entre les règnes

Nous sommes déjà des fantômes
cherchant sur le sable salé
âmes en peine le chemin
vers le pays de nos ancêtres
de l’autre côté du miroir
où nous avons perdu le souffle
en attendant que les sirènes
viennent nous rendre la raison


 
 
 
 
 
 

RÉCIF

pour Sylvère
La peau de granit
lavée par l’orage
ridée par les âges
creusée par le vent

Expose au dernier
soleil de l’été
ses lichens doublés
d’orpins et chardons

Dans ses plus secrètes
anfractuosités
poissons et coquilles
cherchent à lancer

Sur les précipices
de l’hiver prochain
le pont des soupirs
des générations

Et les oubliés
des anciens naufrages
crânes habités
par oursins et algues

Font claquer leurs dents
nostalgiquement
à chaque passage
de belles plongeuses

Rêvant de puiser
dans leur énergie
celle d’un retour
au camp des vivants


 
 
 
 
 
 

INCANDESCENCE

pour Gregory Masurovsky
          Figure, que me veux-tu dans ta disparition ? J’essaie de m’approcher; tu te dissous en brume. Je prends de la distance; tu renais de tes cendres. Eurydice tant de fois perdue, Béatrice métamorphosée en fontaine de larmes, il ne me reste plus que ta voix qui me parvient encore à travers les vacarmes du temps, à l’appel de laquelle je ne puis résister.

         La flamme s’est emparée du moindre grain de poussière d’eau, une flamme très douce, bleue comme celle du butane. On ne sait même pas si elle brûle; elle chauffe, elle chante, elle illumine, elle réclame, elle rassure, elle transporte, elle endort.

         Au milieu du nuage, une colonne. On ne sait si elle est de lumière ou d’ombre, car il est devenu impossible de distinguer le jour de la  nuit. Elle nous guide à travers le crépuscule perpétuel au cours duquel les anciennes villes sombrent dans l’oubli. Surnagent seulement quelques frondaisons d’arbres dont on aurait cru qu’ils seraient les premiers engloutis.

         Nous guide, mais vers quelle clairière au-delà de ces cheminées en détresse, de ces usines désaffectées, de ces foules qui manifestent leur désarroi et leur fureur ? Nous avons l’impression, dans l’éblouissement, de nous familiariser avec le coeur du Soleil, avec cette région de fusion qui serait la clef de notre énergie future, de notre survie après le basculement.

         Mais c’est qu’il s’agit d’une fournaise de cris ! Dans quelle région de ton Enfer nous as-tu fourvoyés, cher Dante, sans le moindre Virgile pour nous tirer de ce mauvais pas, la moindre Ariane pour nous prêter son fil ? De plainte en plainte nous parcourons le labyrinthe, sans pouvoir apporter le moindre remède, cherchant l’issue pour tous les damnés que nous sommes.

         Ce seraient vraiment les portes qui s’ouvrent ? Aucune faute ne serait plus retenue contre nous ? Certes nous étions coupables, mais aucune tache, même originelle, n’aurait défiguré notre visage et notre coeur ! Notre chair serait devenue cristal et notre ombre même serait lumineuse dans l’universelle réconciliation !

         Seriez-vous enfin revenues, Eurydice, Ariane, Béatrice ? Et toi, Virgile, as-tu réussi à escalader la montagne du Purgatoire pour envisager notre détresse entière dans les lenteurs du Paradis ? Le départ sonne-t-il pour le voyage définitif, le renversement des lois antérieures et le repos dans la fugue éperdue ?


 
 
 
 
 
 

LA RESTAURATION DU CORPS FÉMININ

pour Mathias Pérez
Cette fois c’est Osiris
qui cherche parmi les nomes
les morceaux éparpillés
de son amante et sa soeur
Isis que l’acharnement
de l’imprévisible Seth
a lancés à tous les vents

Qui nous dira l’origine
de cette horrible querelle
perdue dans la nuit du mythe ?
l’administration des dieux
a égaré ses archives
ou même les a détruites
craignant des révélations

Il semble qu’en regardant
les capacités des hommes
apprenant qu’ils méditaient
de construire pyramides
labyrinthes et palais
dont le prétexte pourtant
serait de leur rendre hommage

Ils aient craint la concurrence
se demandant qui chez eux
pouvait les encourager
à découvrir les secrets
du festin d’éternité
du voyage dans les barques
du Soleil et des Étoiles

Et dans le regard d’Isis
ils ont surpris le désir
de leur transmettre les clefs
de la lumière et du feu
par les fenêtres de rêves
qu’elle animerait pour eux
lait de leur postérité

Alors ils l’ont prise au piège
l’endormant par la fumée
d’un encens thésaurisé
dans les souterrains du monde
et transformant les falaises
en étal ils ont aidé
son frère à l’écarteler

Osiris était absent
il voyageait sur la mer
d’île en île interrogeant
les oracles antérieurs
à l'accession au pouvoir
de sa génération d’astres
écoutant leurs doléances

Quand soudain tout a tremblé
séisme et raz-de-marée
d’un divin ricanement
le Soleil s’est recouvert
d’une lèpre de mépris
les hommes épouvantés
se sont terrés dans les grottes

Et un long gémissement
traversant tous les tonnerres
est venu pour l’implorer
comme étant le seul recours
jailli de tous ces organes
palpitant sous la souffrance
d’une immortelle agonie

Dans la voix multipliée
il reconnut son Isis
délaissant tous les projets
promettant aux interprètes
de revenir les aider
il se précipita vers
le miracle suppliant

Depuis il parcourt l’Égypte
non seulement le Delta
et la Vallée tous leurs champs
qui émergent lentement
dans l’abaissement du Nil
les îles de leurs villages
réfléchies par son miroir

Mais aussi les cimetières
en bordure du désert
et plus loin les oasis
escales des caravanes
qui viennent des vestibules
du monde où se constituent
des réserves de trésors

Heureusement pour nous tous
les Anciens ont conservé
religieusement ici
un sein une jambe là
les phalanges d’une main
le nez les yeux les oreilles
le nombril ou le menton

La plus difficile quête
concerne la chevelure
disséminée par l’impact
car chaque poil a trouvé
un reliquaire spécial
et pour les réassembler
il faut d’infinis détours

Presque tout est retrouvé
les parties sont rajustées
le sang les influx nerveux
coulent courent dans l’ensemble
les paupières sont rouvertes
les lèvres font un sourire
les soupirs deviennent tendres

Il manque une seule pièce
mais Osiris la fournit
engendrant l’enfant Horus
qui va guérir le Soleil
dorant le corps de sa mère
cuisant les moissons du père
devant les dieux médusés


 
 
 
 
 
 

LE DAMIER DES AMOURS
L’ermitage de Saint-Valéry

pour Pierre Leloup
La pierre blanche
tendre et friable
la pierre noire
dure et polie

La journée blanche
roucoulements
la journée noire
contestations

Une nuit blanche
très longue absence
une nuit noire
disparition

Un matin blanc
festin léger
un matin noir
déploration

Un oiseau blanc
la liberté
un oiseau noir
ombres de guerre

Un bateau blanc
retour heureux
un bateau noir
mauvais présage

La voile blanche
Thésée vainqueur
la voile noire
le Minotaure

La fumée blanche
une élection
la fumée noire
les déceptions

La vague blanche
embruns panaches
la vague noire
l’inondation

La marée blanche
effervescence
la marée noire
dévastation

Un nuage blanc
lune de miel
un nuage noir
l’orage approche

Un éclat blanc
miroir de sel
un éclat noir
poignard sanglant

La science blanche
beautés nouvelles
la science noire
trésors secrets

Un sorcier blanc
le roi des fées
un sorcier noir
l’ange des morts

La magie blanche
évocations
la magie noire
conjurations

La série blanche
monts et merveilles
la série noire
heurts et naufrages

La page blanche
hésitations
la page noire
brouillonnements

Un tableau blanc
déclarations
un tableau noir
résolutions

Des idées blanches
tout un programme
des idées noires
obstinations

Manière blanche
dissipations
manière noire
les retrouvailles

Une peau blanche
timidités
une peau noire
pays lointains

Un regard blanc
je n’ose pas
un regard noir
je n’en puis plus

Une humeur blanche
génération
une humeur noire
déflagration

Un carré blanc
tout est permis
un carré noir
profond sommeil


 
 
 
 
 
 
 

AUTOUR DE L’IMMOBILITÉ

pour Julius Baltazar
1)
LE JOYAU D’IMMOBILITÉ

 De l’autre côté du désert les secondes deviennent des heures et les heures des millénaires

2)
LES RUSES D’IMMOBILITÉ

 Au milieu de toute cette agitation un puits se creuse où le temps se renverse

3)
L’ASTRE DE L’IMMOBILITÉ

Immense accalmie
l’orage est passé
il reste la neige
et quelques échos
d’anciens grondements

Falaises de sel
épines de givre
le râteau du soir
disperse les traces
des prédécesseurs

Chercher un abri
voici la caverne
aux murs translucides
un goût de fumée
dans les interstices

Un vol de corbeaux
la brume se lève
le feu s’est éteint
les cendres noircissent
dans l’humidité

Les nuages se fendent
pour laisser filtrer
un rayon de lune
en respirations
de plus en plus douces

4)
L’ÉCOLE DE L’IMMOBILITÉ

Nous rivaliserons
de lenteur végétale
avec les orchidées
nos yeux ne s’ouvriront
que comme des pétales
il nous faudra des heures

Nous verrons défiler
les journées et les nuits
puis nous nous fanerons
en mûrissant nos graines
et nous endormirons
pour un hiver entier

5)
LE COMBAT D’IMMOBILITÉ

Au plus fort de la bataille
les armes se sont coincées

Plus moyen de dégager
cette épée de ce recoin

Tout l’effort que l’on déploie
ne parvient qu’à maintenir

Les deux parties en présence
dans un statu quo gelé

On voit la sueur ruisseler
sur les bras et sur les fronts

La fatigue va gagner
tout cela va s’écrouler

Tant mêlés dans leurs sommeils
que lorsqu’ils s’éveilleront

Ils ne pourront plus savoir
de quel côté ils étaient

C’est ainsi que leurs mémoires
seront soudain délivrées

Et que l’immobilité
deviendra signe de paix


 
 
 
 
 
 

L’HEURE ESPAGNOLE
Arrabal et Graziella

pour Maxime Godard

 
L’éventail ne parviendra pas
malgré l’entrain de la manieuse
à ralentir le cours du temps
les quatre lucarnes s’alignent
comme des zéros pour sonner
le glas de midi ou minuit
tandis que les cadrans s’égarent

 
 
 
 
 

LES PYRAMIDES MINUSCULES
salines de l’Algarve

pour Thérèse Caran
 O

Lorsque les grecs ont vu
les tombeaux de Khéops
Khéphren Mykérinos
précis et goguenards
ils les ont appelés
les immenses trémies

1

Dans les laboratoires
de mes fosses profondes
j’ai su faire mûrir
ce qui réveillera
les papilles blasées
des humains de tous bords

2

Je viens leur apporter
dans la tranquillité
de leurs champs lumineux
les semences de cubes
qui se déposeront
en grimoire d’écume

3

Dés qui se fixeront
en trémies transparentes
et qu’ils amasseront
en souples pyramides
à l’orée du désert
imité par mes eaux

4

Ils les entasseront
comme des grains de blé
dans des sacs de plastique
près de leurs entrepôts
blancs comme les tombeaux
des Égyptiens antiques

5

La cheminée d’usine
semblable au minaret
d’un village allongé
sur la rive du Nil
parmi champs inondés
pour cultiver le riz

6

Comme des moissonneurs
d’antan avec leurs faux
ils rasent les bassins
avec leurs longues pelles
à manches de bambous
pour emplir leurs cageots

7

Trémie sur l’horizon
toit de la maison mère
au-dessus des talus
qui se dressent au long
des carreaux dont l’émail
se transforme en saveur

8

Muni de son racloir
bicycliste titan
soignant son paysage
il lisse des glaciers
aux échines brillantes
sous le gong de midi

9

Le tango du travail
aux gestes caressants
grattant les épidermes
des épaules luisantes
par la transpiration
qui s’épaissit en nacre

10

Canaux d’irrigation
entre les prés liquides
d’où montent les vapeurs
qui rejoignent les nuages
dans les marais du ciel
où se filtre la pluie

11

La porte solennelle
parmi les blocs épars
de l’enceinte ruinée
qui séparent les douves
du lac où se préparent
les diamants comestibles

12

Les jambes s’écartant
dans le bain d’épaisseur
où la terre s’étend
pour reprendre énergie
têtes s’entremêlant
dans un flux de baisers

13

À la croisée des sentes
l’offrande de blancheur
pour les anges qui viennent
renouveler les plumes
de leurs ailes souillées
par tant de sauvetages

14

À chaque noeud de sable
dans le filet tendu
sur le miroir du ciel
une brassée de roses
de Noël en attente
des processions prochaines

15

La crème de la mer
comme dans une coupe
préparée sur la plage
pour un festin des vents
avec un fumet d’iode
et d’herbes des lisières

16

Les oiseaux se reposent
sur l’immensité plane
rayée par des levées
comme sur leurs portées
les neumes habitant
la partition d’orchestre

17

Des cuves de papier
des pages et des pages
les touches d’un clavier
des tombes et des tombes
pièges à souvenirs
comme des inscriptions

18

Tout au long de l’étier
les bornes qui mesurent
le chemin de la vie
vers un apaisement
la cristallisation
naissant de la saumure

19

L’échelle de Jacob
parcourue par les palmes
des messagers célestes
jusqu’aux palais d’Eden
à l’horizon des fleuves
comme un pédalier d’orgue

20

Depuis l’avion voici
un golfe avec ses îles
et ses fonds transparents
un isthme avec son phare
déferlement de vagues
et barre de fumées

21

En transportant son or
blanc parmi les déserts
la caravane dresse
à la tombée du soir
une rangée de tentes
de laine immaculée

22

Péniches dérivant
chargées de leurs trésors
pierres philosophales
sagesse émerveillée
en lignes parallèles
sur les eaux des ténèbres

23

L’hiver en plein été
le parterre de givre
entouré des allées
de lichens et d’ivoire
les fantômes des mâts
dans leurs suaires de sueurs

24

Pistes d’aéroport
un avion solitaire
monté sur des échasses
le pilote médite
entre forêts de mousses
et rochers de duvet

25

Par-delà l’horizon
un autre et puis un autre
est-ce étang ou lagune
des villes ou des pics
les plis de la distance
comme un vol d’éventails

26

Le monde est à l’envers
la fusée se rapproche
de la planète Mars
avec ses vieux volcans
et ses installations
pour retenir les eaux

27

Sur le chemin de ronde
du château dévasté
où marche en solitaire
un spectre paladin
pousse la folle avoine
et les herbes des chiens

28

Virage d’une piste
où des astéroïdes
retenus prisonniers
par l’attraction terrestre
attendent le signal
d’un saut libérateur

29

Marche du cavalier
sur l’échiquier d’albâtre
les pions sont prisonniers
le roi s’est absenté
la reine a pris la fuite
avec un des évêques

30

La carbonisation
des rameaux enrobés
comme à la destruction
de Sodome et Gomorrhe
mais la mer n’est pas morte
elle rouvre les yeux

31

Les rayons vont rasant
le friselis des vagues
les mouettes se rassemblent
pour dormir sur les draps
que leur ont préparés
leurs serviteurs humains

32

La tombée de la nuit
rassemble la famille
autour de la morue
et chacun à son tour
respectueusement
se passe la salière

33

Les paludiers du soir
viennent racler la fleur
qui s’est accumulée
sur les carreaux des heures
pour la mettre en mémoire
dans les greniers du temps

*
Les paludiers du ciel
viennent racler les nuages
pour les accumuler
en fabriques d’éclairs
qui vont illuminer
la nuit des ouvriers

*
Les paludiers du vent
viennent racler les feuilles
et les accumuler
en foyers de fumée
transmettant les signaux
de triomphe ou détresse

34

Dans l’ourlet de la mer
mûrit la vigne blanche
grains de conservation
vin de conversation
pour traverser l’hiver
de l’ombre et de l’ennui


 
 
 
 
 
 

LES SOUVENIRS DE LA MARÉE

pour Gregory Masurovsky
          Des routes liquides qui tournent autour des collines qui deviennent vallées avec soudain des châteaux empanachés de drapeaux et de gouttes, qui sombrent en navires et remontent chargés d’algues, de galets et de coquillages, tandis que les ramasseurs se penchent dans l’émerveillement tremblant.

         Des filets liquides qui recouvrent des forêts brunes et glauques s’arrachant de leurs versants, et roulent en tunnels débouchant sur des horizons de nacre et laque effervescents en lamés d’écailles efflorescentes, en grappes de glycines et lilas, comme des tapis de serpents siffleurs et prophétiques.

         Des appels liquides qui résonnent sur des parois transparentes vibrantes, et attrapent au vol des mots de colère et d’apaisement, des grognements de hargne et de satisfaction, des grondements d’avalanches et de compréhension, noués comme des gorges par des rangs de cordes et d’archets à des reflets de bois et de cuivres.

         Des rayons liquides qui virent autour de prismes multipliant et divisant le nombre de leurs faces tout en inscrivant sur l’écran du soir des cantilènes, madrigaux et récapitulations, tandis que des bibliothèques se dissolvent et se recomposent avec des enluminures de sel, des astérisques d’astéries et des tables d’émeraude.

         Des arrière-pensées liquides qui remontent depuis des siècles d’érosion, des redéfinitions de côtes, creusements de falaises, forages de rochers, nappages de sable, accumulations de débris et dépouilles avec des flamboiements d’aperçus, des perspectives soudaines, des bouleversements de calendriers et index, les dynasties s’éparpillant en naufrages et expiations.

         Des migrations liquides qui s’entrecroisent avec d’autres phosphorescentes, gélatineuses, précipitées ou solennelles, comme des mélanges de manifestations et processions, parades de jongleurs, défilés académiques en toges, toques et simarres, certains des inventeurs montrant leurs dernières trouvailles : astrolabes, arquebuses, théodolites ou spectrographes, avant la nouvelle vague qui s’amasse déjà dans les profondeurs.

         Des tableaux liquides avec cristaux et chiffres qui s’entassent en additions et se dérobent en simplifications, avec des racines de toutes puissances qui s’enchaînent et se libèrent, bourgeonnant en roues de paons, cous de cygnes, rayures de tigres et de zèbres dont les pattes se transforment en nageoires et les queues s’enlacent en hélices éphémères.

         Des dunes liquides avec des pyramides se creusant en hypogées, mais il vaudrait mieux dire grottes basaltiques, avec des fresques animées où défilent des donateurs apportant les produits de la terre aux souverains des eaux qui leur donnent en retour la sensibilité aux courants et lumières, dans les demeures évanescentes où ils rejugent en appel indéfiniment les litiges entre cétacés, naufragés et méduses.

         Des pèlerinages liquides avec des tribus se rassemblant de tous les recoins de la rose des voix pour aller tourner sept fois autour de la goutte noire émise par l’océan dans une de ses failles les plus abyssales, avec cantiques et supplications, bannières claquantes, fourrures amassées pendant les trajets, et le soir le sommeil qui prend comme une glaciation.

         Des échancrures liquides avec leurs dentitions de galets baveurs, remâchant leurs discours comme des orateurs de la Grèce antique, toute l’assistance s’agitant dans le théâtre pour répéter quelques-uns des points les plus saillants, les reprendre jusqu’aux archipels, les polir, les affûter, les assouplir comme des arêtes de requins afin de recoudre avec eux les oripeaux de l’utopie perdue.

         Des dallages liquides sur des colonnades translucides avec des balustrades sinueuses et vibratiles, des escaliers qui s’enroulent autour d’autres et d’autres encore dans tous les sens, avant de parvenir à la grande terrasse où l’on peut converser avec les immortels pour peu qu’on aie quelque chose à leur dire qui sorte des lamentations courantes, récriminations, jalousies et furoncles.

         Des pages liquides claquant les unes sur les autres avec des doigts humides pour les tourner, les lisser, les détacher les unes des autres, les annoter de sigles et renvois, les commenter dans les marges avec des déclarations de dauphins et d’otaries dans les archives consultées par les magnifiques docteurs du crépuscule.


 
 
 
 
 
 

PLAQUE TOURNANTE

pour Bertrand Dorny
        Entre Prague et Caracas
on voit passer des enfants
on arpente des couloirs
on regarde les horloges
on a perdu la boussole
on remet sa montre à l’heure
on déchiffre des pancartes
on prend des résolutions
        Entre Edimbourg et Lomé

* BIENVENUE DANS L’AÉROPORT *

        Entre Kiev et Toronto
on montre son passeport
on voit passer des hôtesses
on se fait radiographier
on a perdu ses repères
on attend un autobus
on prend des médicaments
on déguste des alcools
        Entre Amsterdam et Lagos

* EMBARQUEMENT IMMÉDIAT *

        Entre Vienne et Mexico
on s’étend sur un divan
on se réveille en sursaut
on voit passer des pilotes
on a perdu son latin
on  prend son mal en patience
on téléphone à sa femme
on consulte l’agenda
        Entre Rome et Washington

* SÉCURITÉ *

        Entre le Cap et Lima
on vérifie son horaire
on suppute son retard
on prend un tapis roulant
on a perdu corps et biens
on voit passer des gendarmes
on achète des cadeaux
on compare les vitrines
        Entre Aden et Montréal

* VOL ANNULÉ *

        Entre Melbourne et Denver
on s’assied près d’une vitre
on prend un vieil ascenseur
on assiste au décollage
on a perdu la mémoire
on écoute un haut-parleur
on voit passer des blessés
on rencontre un vieil ami
        Entre Oslo et Singapour

* DÉFENSE DE PASSER *

        Entre New York et Sydney
on prend place au restaurant
on compulse ses billets
on contemple des panneaux
on a perdu les pédales
on va changer de l’argent
on est comme un ours en cage
on voit passer des voitures
        Entre Dakar et Stockholm

* CONTRÔLE OBLIGATOIRE *

        Entre Accra et Santiago
on essaie de s’informer
on prend le temps de manger
on rafraîchit son visage
on a perdu ses parents
on se souvient de villages
on voit passer des curés
on ramone dans sa tête
        Entre Osaka et Dublin

* EN PANNE *

        Entre Rio et New-Delhi
on revit ce qu’on a vu
on fouille dans l’avant-veille
on prend la porte à côté
on a perdu ses affaires
on voit passer des bagages
on repense à son départ
on sait qu’on va oublier
        Entre Vilnius et Beyrouth

* VOTRE ATTENTION S’IL VOUS PLAÎT *

        Entre Istanbul et Quito
on ne sait plus où l’on est
on prépare ses discours
on voit passer des Chinois
on a perdu son avance
on prend l’air de la région
on se dore la pilule
on veut se réconforter
        Entre Helsinki et Damas

* INFIRMERIE *

        Entre Lagos et Moscou
on se dit ce sera dur
on voit passer des Arabes
on s’arrange pour le pire
on a perdu son mordant
on calcule son jet-lag
on prend des renseignements
on longe des balustrades
        Entre Abidjan et Glasgow

* INFORMATIONS *

        Entre le Caire et Houston
on voit passer des orages
on allonge un peu le pas
on précise son programme
on a perdu son allant
on est à contre-courant
on remâche ses misères
on prend les journaux offerts
        Entre Ankara et Québec

* CORRESPONDANCES *

        Entre Ottawa et la Mecque
on ne se tient plus debout
on voit passer des messages
on est plein de courbatures
on a perdu sa confiance
on souffle comme un vieux phoque
on prend des photographies
on a mal à l’estomac
        Entre Vancouver et Naples

* LES PASSAGERS EN PROVENANCE *

        Entre Dresde et Tahiti
on veut récapituler
on sort sa carte bancaire
on voit passer des familles
on a perdu sa méfiance
on prend quelques libertés
on se dégourdit les jambes
on s’inquiète pour le monde
        Entre Copenhague et Berne

* DUTY-FREE *

        Entre Auckland et Port-au-Prince
on modifie ses projets
on doit remettre à zéro
on prend quelques précautions
on a perdu son orgueil
on voit passer des écoles
on mélange ses pinceaux
on a la tête à l’envers
        Entre Suez et Chicago

* ENTRÉE INTERDITE *

        Entre Pékin et Niamey
on en a plein les oreilles
on prend le Nord pour le Sud
on remonte son passé
on a perdu sa jeunesse
on explore l’avenir
on voit passer des oiseaux
on compte sur ses dix doigts
        Entre Manille et Madrid

* SANS ISSUE *

        Entre Anchorage et Sofia
on prend un peu de recul
on vit dans un cauchemar
on se trouve bien trop bête
on a perdu sa journée
on jure de s’arrêter
on sent qu’on va continuer
on voit passer les années
        Entre Anvers et contre tout


 
 
 
 
 
 
 

LE POTAGER DES MUSES

pour Jean Princivalle
Autrefois les seigneurs
s’adonnaient à la chasse
image de la guerre
leur justification
pour eux la bonne chère
c’était la venaison

Mais pour les paysans
qui vivaient autour d’eux
les portes de la cour
dans les moments de paix
s’ouvraient sur les travaux
de la fertilité

Les forêts pour le bois
les prés pour le fourrage
des chevaux et des boeufs
les étangs pour la pêche
la tonte des moutons
les ruches des abeilles

Les champs pour le moulin
les vignes pour le chai
les vergers d’abondance
un carré pour les fleurs
ornements aux cheveux
des dames bien-aimées

Puis quand venait le soir
les muses fatiguées
de leurs chansons du jour
éloges ou sarcasmes
cherchaient l’intimité
d’un jardin savoureux

Thalie donnait aux courges
des allures bouffonnes
Melpomène aiguisait
les épées des cardons
Terpsichore enlaçait
les hélices des pois

Érato méditait
les couleurs des racines
Calliope entonnait
les fanfares des choux
Euterpe murmurait
les parfums d’herbes fines

Clio leur rappelait
voyages découvertes
Polymnie épelait
bourgeons feuilles rameaux
Uranie répandait
la rosée des planètes

Dans le laboratoire
des nocturnes cuisines
parmi les épluchures
où s’inscrivaient leurs chants
elles nous distillaient
l’élixir des campagnes
 

LA MENTHE
 
         On en cueille une tige, si possible avant la floraison. On la fait rouler entre ses paumes pour la froisser. Quand on les ouvre un délicieux parfum s’en dégage que l’on propose à ses amies pour qu’elles s’en délectent. On peut prolonger l’aventure en ajoutant quelques feuilles fraîches au thé du soir.

 
 
 
 
 
 
 

L’ASTRE DE LA PEUR BLEUE

       pour Julius Baltazar
Sur une planète moyenne
tournant autour de son soleil
dans une galaxie lointaine
de longues chaînes de volcans
vomissent inlassablement
laves de lapis lazuli

Grâce à je ne sais quel miracle
bien que fort lourdes elles-mêmes
elles peuvent à leur surface
niellée de veines outremer
miroitant dans l’humidité
éliminer la pesanteur

De nombreuses plantes rampantes
équivalentes à nos ronces
mais munies d’antennes sensibles
à certaines couleurs de vrais
yeux végétaux sont fascinées
justement par ce bleu profond

Qu’elles voudraient bien recouvrir
de toutes leurs feuilles et vrilles
mais dès qu’elles y réussissent
celles-ci fort désemparées
se redressent pour s’agiter
en grand désordre vers les nues

Ce sont des signaux de détresse
qui s’allongent dans tous les sens
à des hauteurs désespérées
une paralysie dansante
qui forme comme des geysers
sur l’horizon chargé d’orages

Lorsque les premiers astronautes
débarquèrent en cet endroit
dévorés de curiosité
ils se hâtèrent d’explorer
ces flammes de tiges mouvantes
qui semblaient les interpeller

Mais ils furent pris dans la danse
ne sachant comment retrouver
le plancher des vaches locales
dont les cornes se balançaient
en manifestant leur surprise
par d’éclatants mugissements

Heureusement leurs téléphones
spatiaux communiquaient encore
ils purent appeler à l’aide
le vaisseau resté en orbite
et leurs camarades prudents
réussirent à les sauver

Bien sûr la pierre maléfique
est maintenant en examen
dans les meilleurs laboratoires
car on espère l’employer
pour des expéditions futures
incroyablement plus aisées

Mais les premiers explorateurs
se rappelant leur désarroi
bien installés dans leurs abris
parmi les jardins remuants
ont surnommé ce nouveau monde
la planète de la peur bleue


 
 
 
 
 
 

JUNGLE URBAINE

pour Thierry Lambert
1 Immeuble rouge

Rousses chevelures
aux balcons de cuivre
les drapeaux qui brûlent
parmi les fureurs
et le vin rouillé

2 Ville jungle

Poteaux et piliers
lianes de tuyaux
feuilles émaillées
écorces d’affiches
pluie sur les terriers

3 Ville masque

Les yeux des fontaines
lèvres des rideaux
sourires des vitres
les tempes des murs
lucarnes au vent

4 Ville oiseau

Ailes des faubourgs
bec de cathédrale
serres des usines
plumes des toitures
sur le sang des rues

5 Ville totem condor

De mes projecteurs
je scrute les coins
où les gens s’embrassent
pour les protéger
contre les vampires

6 Ville jaune étoilée

Dans le crépuscule
le flot des voitures
le métro qui passe
au-dessus du fleuve
parmi les enseignes

7 Ville sang

L’entrée des urgences
au grand hôpital
taches sur l’asphalte
parmi les ordures
crissements des pneus

8 Ville nuage serpent

Les rails des tramways
sur les boulevards
l’écheveau des voies
sortant des tunnels
au long des canaux

9  L’arbre ville d’abondance

Les camions déversent
dans les vieilles halles
toutes les victuailles
que vont détailler
marchés et boutiques

10 Ville d’amour

Entre les deux cuisses
des rives du fleuve
le jardin de l’île
où le Vert-galant
cabre son cheval

11 Ville Lune

Cratères des stades
la mer des tempêtes
vagues pétrifiées
de volets fermés
sur les ronflements

12 Ville feuille de chêne

Un détour pour chaque
arrondissement
dômes et piscines
cirques hippodromes
arches et collines

13 Ville oeuf

Un embryon de ville
s’organise déjà
pour briser sa coquille
et réaménager
le nid de sa naissance

14 Ville arbre

Multiples racines
se réunissant
en une colonne
de circulations
fleurissant d’antennes

15 Ville vulve

Avenues de soie
plantées de pommiers
pressoirs ruisselant
de jus lumineux
ateliers de vie

16 Ville corne

L’appel des sirènes
les avertisseurs
l’orgue des églises
les cris d’enthousiasme
les soupirs du soir

17 Ville oeil

Les observateurs
chevaliers du guet
les ordinateurs
la télévision
l’iris des musées


 
 
 
 
 
 

AU PIÈGE DU TRAIT

pour les livres de Thierry Lambert
La ligne tourne tourne
on dirait un avion
attendant le signal
pour son atterrissage
virages plus serrés
puis cela se détend

Souvent c’est symétrique
tel un être vivant
avec des inflexions
vibrato d’émotions
caresses de fourrures
chorégraphie lacustre

Alors dans ces lassos
couleurs viennent se prendre
les blés verts les moissons
les profondeurs des mers
les braises du désert
l’amarante du soir

De plus en plus intenses
comme jus mijoté
sur un coin du fourneau
développant arômes
enchantant la cuisine
et les rues alentour

Cela devient fantômes
se dressant sur la ville
voix des pays lointains
où l’on voudrait marcher
voyage initiatique
dans l’immobilité

Convoquant les discours
de toutes les époques
traversant les oublis
réveillant les beautés
dans les forêts dormantes
au baiser des oracles


 
 
 
 
 

SÉRÉNADE URBAINE

pour Célia Galice
Rousses chevelures
aux balcons de cuivre
les drapeaux qui brûlent
parmi les fureurs
et le vin qui rouille

L’appel des sirènes
les avertisseurs
l’orgue des églises
les cris d’enthousiasme
les soupirs du soir

Cratères des stades
la mer des tempêtes
vagues pétrifiées
de volets fermés
sur les ronflements


 
 
 
 
 

L’OMBRE DE L’ENFANCE

pour Henri Maccheroni
Depuis quand cette étincelle
à travers vents et marées
se faufile en crépitant
dans les nerfs et les canaux
cherchant à prendre parole
en incendiant la baraque
où s’amassent les rancoeurs ?

Depuis quand les barbelés
quadrillant les campements
dans le brouillard des sirènes
et l’explosion des grenades
ont-ils reçu la cisaille
des colères obstinées
dans les caves des écoles ?

Depuis quand les punitions
deux cent lignes à copier
dans les marges des manuels
ont-elles rayé l’espace
entre bétons et rochers
de partitions de fureurs
pour les cuivres des faubourgs ?

Depuis quand l’oeil du cyclone
a-t-il fermé ses paupières
en voyant les corbillards
chargés de fleurs pénétrer
suivi de conversations
entre tombes titubantes
dans le cimetière ardent ?

Depuis quand les grattements
l’archéologie les fouilles
L’effeuillage des surfaces
caresser photographier
l’épiderme de la terre
vertiges du temps qui passe
le sang qui bout dans les veines ?

Depuis quand la solitude
la marche du cavalier
dans les carrés des échecs
le déni des officiels
l’effarement de la foule
les appétits les amours
les deuils et les amitiés ?

Depuis quand la mer des livres
les rivages des musées
l’enthousiasme pour les villes
les réflexions dans les ruines
nostalgies à tout casser
un romantisme d’acier
depuis quand et jusqu’à quand ?


 
 
 
 
 
 

LE TOURBILLON DE NICE

pour Henri Maccheroni
Rageant les mains dans les poches
farfouillant parmi les billes
pour jouer avec les copains
dans les cours les escaliers
imaginant des forêts
pyramides englouties
de l’autre côté du temps

Corps à corps avec les vagues
les ruines et les galets
les palaces mil neuf cent
les villas des années vingt
les chemins parmi les vignes
les orangers les oeillets
les regards et graffiti

Tournant autour de la Terre
avec ses photographies
de New York jusqu’à Louqsor
de Paris en Tunisie
raturant la peau des pierres
avec des ombres couteaux
sous le gong du soleil sexe

Et les années ont passé
les feuilles sont entassées
les toiles répertoriées
on est toujours dans le train
ou l’avion à transporter
les oeuvres d’un lieu à l’autre
les questions et les soucis

Va et vient en s’accrochant
aux parallèles des barres
sur l’arène du grand cirque
sautant d’un trapèze à l’autre
dans un ralentissement
qui tient la foule en émoi
tandis que crèvent les toiles

Un ermite vagabond
dans sa bulle de silence
protégée par le vacarme
de musiques d’outre-tombe
un ameuteur de fantômes
hurlant dans les avenues
à la quête d’un mot d’ordre

Et voilà ce que j’ai fait
ce que je laisse après moi
qu’y trouverez-vous Mesdames
qu’en retiendrez-vous Messieurs
à l’orée de vos consciences
un monument aux alarmes
par quoi nous devons passer


 
 
 
 
 
 

OPÉRATION  MARRAKECH

pour Philippe et Mireille Béra
 I
DESTINATION MARRAKECH

Une ville avec des remparts
au milieu d’une palmeraie
la montagne avec ses balafres
de conifères et de neiges
déjà deux fois j’y suis allé
mais c’était il y a longtemps
et dans la précipitation
mes souvenirs sont imprécis

Nuages de poussière ocre rouge
illuminée par les rayons
du soleil du soir fraîchissant
rues surpeuplées d’autres désertes
des ânes et des dromadaires
des autos dans d’autres quartiers
petits grands taxis cars et bus
les parfums et les puanteurs

La place aux bruits assourdissants
les étincelles et fumées
serpents singes et marchands d’eau
cris des enfants quittant l’école
déclamations des minarets
discussions à n’en plus finir
concerts de klaxons et sifflets
tajines et thé à la menthe

Les cuisiniers les menuisiers
brodeurs forgerons céramistes
amoncellements de tapis
tisserands teinturiers graveurs
maroquiniers et calligraphes
les jardins avec des plans d’eau
des étoiles dans les palais
comme des cristaux de sourires

La Lune apportait son silence
pour improviser à loisir
sur le pédalier des terrasses
l’accompagnement des légendes
dont les échos se multiplient
de siècle en siècles de voyages
révolutions pèlerinages
traversées des mers et déserts

J’ai découvert chez Ibn Khaldoun
qu’un des sept saints de Marrakech
dans cet Occident de l’Orient
Sidi Bel Abbès es Sebti
pour deviner choses cachées
avait au temps des Almohades
dressé un abrégé du monde
formé de cercles concentriques

Sphères célestes et zodiaque
les choeurs des anges et démons
je ne sais s’ils étaient mobiles
comme dans certains Almagestes
il en fabriquait des poèmes
qui pouvaient lui servir d’oracles
comme si prenaient la parole
toutes les rosaces des murs

Que vais-je voir à ce retour
quels changements vont me frapper
quels souvenirs vont remonter
mais le nouveau va l’emporter
je tenterai de repérer
notre position dans l’Histoire
en manipulant dans l’écoute
mes astrolabes de papier

II
BÉNÉDICTION SUR MARRAKECH

La pluie que l’on attendait tant
s’est faufilée comme un voleur
enveloppé de voiles gris
d’abord des gouttes minuscules
puis de plus en plus insistantes
ruissellements sur les villages
et les cactus les essuie-glaces
n’arrivaient plus à évacuer

La couleur des murs devenait
plus sombre avec dégoulinades
creusant ravins le long des routes
sur les flaques dans le désert
les balles d’eau rebondissaient
comme des gamins emportés
par la contagion des tambours
dans la résonance du sud

Dans les quartiers on s’empressait
de recouvrir les éventaires
les petits torrents lessivaient
les pavages du labyrinthe
on déroulait stores et bâches
sans parvenir à endiguer
l’inondation catastrophique
et régénérante à la fois

Les parapluies s’épanouissaient
comme paraboles portables
une sonorité tout autre
accompagnait le promeneur
les pneus des voitures crissaient
claquant dans l’éclaboussement
et dans l’intimité des porches
les conversations frissonnaient

Dans le soir l’électricité
s’est affaiblie on retrouvait
l’éclairage des jours anciens
les ampoules ne luisaient plus
que comme lampes à pétrole
et bientôt de simples bougies
puis ce fut la panne complète
on tâtonnait dans les ténèbres

Et si les récepteurs à piles
continuaient à répercuter
dans les angles d’obscurité
les mélopées jeunes et vieilles
les installations des mosquées
et des restaurants se sont tues
la noce en la maison voisine
s’est interrompue brusquement

Quand le courant est revenu
au matin avec le Soleil
vite pour l’économiser
on s’est hâté de tout éteindre
à l’extérieur tout était propre
comme un dirham juste sorti
des guichets du trésor public
les jarres s’emplissaient de perles

Et sur la montagne la neige
dessinait de nouveaux emblèmes
une végétation soudaine
fleurissait sur les terrains vagues
dans les jardins toutes les feuilles
étaient vernies par la rosée
un soulagement innombrable
aérait toute la misère

III
LES ONDES SUR MARRAKECH

L’ancestral clavier des terrasses
devant l’horizon de l’Atlas,
aujourd’hui hérissé d’antennes
comme fantômes affamés
qui cherchent à capter lambeaux
d’informations ou de musiques

Aussi fleuri de paraboles
inondant maintenant salons
et chambres donnant sur les cours
avec images diffusées
par satellites qui ignorent
les frontières et règlements

Publicité les stars les matchs
les fusillades dans les villes
et les déserts américains
les interminables romances
chez richards du Moyen-Orient
dessins animés asiatiques

Tout cela remplace aujourd’hui
dans la fraîcheur des nuits d’été
près des braseros de l’hiver
les conversations d’autrefois
récitations méditations
inspirations révélations

IV
AU DÉPART DE MARRAKECH

La ville nouvelle s’étend
de plus en plus loin les quartiers
poussent comme des champignons
la circulation diminuant
à mesure que l’on s’écarte
du centre où les vélomoteurs
montés par des couples serrés
font des zigzags vertigineux

Après des centaines d’immeubles
pour la plupart inachevés
on débouche sur des espaces
dont on ne sait s’ils sont encore
l’ancien désert ou bien déjà
l’arasement préparatoire
à développements futurs
stades supermarchés casernes

En revenant sur les remparts
les grands drapeaux rouges saluent
le festival de cinéma
on change de style et d’époque
en dépit des hôtels de luxe
cybercafés téléboutiques
le phare de la Koutoubia
sert de repère aux naufragés

Les touristes sont plus nombreux
qu’avant avec toujours la même
insolence vestimentaire
délicieusement effarés
en longues files sans répit
ils examinent l’étalage
des boutiques dont les recoins
se multiplient dans les ténèbres

Au bout d’une ruelle mauve
une porte bardée de clous
donne sur un passage obscur
qui tourne aussitôt découvrant
peu à peu le foisonnement
entre des colonnes carrées
qui soutiennent le plafond peint
de guirlandes et d’inscriptions

Encadrés par des arcs vanille
les grands éventails des palmiers
les lampions des pamplemoussiers
la parabole et les antennes
au-dessus des tuiles vernies
les daturas aux quatre coins
diffusant leur parfum le soir
autour de la fontaine vide

Le bleu cendré des oliviers
les parfums de rose et de menthe
les tentations de la cuisine
la sonnerie d’un téléphone
les chats qui se prennent pour tigres
en disputant leurs territoires
se prélassent dans les fauteuils
au siège et dossier de ficelle

Au revoir taches de soleil
que le vent fait un peu bouger
le tintamarre des oiseaux
dont je ne connais pas les noms
le raclement du jardinier
dans les massifs en contre-bas
et le haut-parleur du muezzin
rappelant l’heure et le malheur


 

                                                                    Sommaire n°37a :

ORGUES DE MER
LES TROIS CHÂTEAUX
À LA CROISÉE DES CHEMINS
À L’OMBRE DE LA BARRIÈRE
LE TEMPS DU THÉ
LA PATIENCE DES POÈTES / ET L'IMPATIENCE DES PEINTRES
PATIENCES DE LA MER
REPROCHES DE LA MER
CARESSES DE LA MER
LES FANTÔMES DE LA MER
RÉCIF
INCANDESCENCE
LA RESTAURATION DU CORPS FÉMININ
LE DAMIER DES AMOURS
AUTOUR DE L’IMMOBILITÉ
L’HEURE ESPAGNOLE
LES PYRAMIDES MINUSCULES
LES SOUVENIRS DE LA MARÉE
PLAQUE TOURNANTE
LE POTAGER DES MUSES
L’ASTRE DE LA PEUR BLEUE
JUNGLE URBAINE
AU PIÈGE DU TRAIT
SÉRÉNADE URBAINE
L’OMBRE DE L’ENFANCE
LE TOURBILLON DE NICE
OPÉRATION  MARRAKECH :
                            I) DESTINATION MARRAKECH
                            II) BÉNÉDICTION SUR MARRAKECH
                            III) LES ONDES SUR MARRAKECH
                            IV) AU DÉPART DE MARRAKECH

 

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