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Table des index
Poésie au jour le jour 38
(enregistré en novembre 2014)
La pourpre descend du balcon
pour caresser les mosaïques
dans la poussière des chevauxnacre * émail * onyx
L’or descend des coupoles
pour tinter sur les armes
dans l’enivrement des banquetsémeraude * hermine * brocard
L’indigo descend de la nuit
pour annoncer la décadence
dans l’approche des Ottomansencens * luth * navire
Nous approchons
tout a changé
les continents
ont dérivéLes océans
ont débordé
ruines partout
rouilles et flaquesPlus de pétrole
mais des miroirs
qui nous renvoient
constellationsVoici pourtant
les mêmes nuages
lacs et spirales
grottes et toursModulant tout
sur leur passage
échos et timbres
ombres et pluiesQui nous promettent
l’avènement
d’une autre paix
d’un autre chantQue nous n’aurons
jamais connus
que connaîtront
nos descendantsTout étonnés
qu’il ait fallu
aller si loin
pour les trouver
HARMONIES POÉTIQUES ET GRAPHIQUES
Dialogue entre la plume et le pinceau, lors d’une exposition collective en 1983. Cela fait 22 ans déjà ! Dialogues entre le texte et l’image, le texte comme image et dans l’image.Depuis cela n’a plus cessé. La lettre Z, quittant sa position de dernier de la classe, s’est animée comme Zorro pour revendiquer sa balafre, entraînant bientôt dans son sillage toutes les autres.
Les mots sont partis entre les Terres sur les vagues de la musique. Poursuivre le plaisir d’écrire en interminables paraphes, ne serait-ce qu’une seule lettre.
Toute une vie dans la fascination de la lettre et de son dessin. Tous les alphabets, tous les caractères, toutes les écritures avec leurs instruments : du style au crayon, du calame à la brosse.
Dialogue entre calligraphie et typographie, comme entre langue parlée et chantée; comme si c’était la mélodie et son accompagnement au piano, tout un concert se rassemblant dans les horizons de couleurs, depuis le quatuor à cordes jusqu’aux grouillantes fosses des opéras.
Solitaire, mais accompagné d’un aréopage de regards plus anciens, les frères aînés : Tobey, Szenes, Vieira da Silva, Rothko, Twombly, derrière lesquels, en remontant les gradins du temps, se lèvent graveurs et architectes, de Marc-Antoine à Palladio, de Dürer à Borromini.
“Harmonie”, anticipait Charles Fourier, un état de la société dans lequel tous les désirs, retrouvant leur nature défigurée, pourraient s’exprimer à loisir, ayant enfin tourné la page des terreurs, dans l’exploration méthodique d’un multivers où tout résonnerait dans un nouveau silence illimité.
Un jour elles en ont assez
de traîner des mots derrière elles
locomotives délivrées
elles ont lâché leurs wagonsPour partir à la découverte
parmi les ranchs et les réserves
rencontrant d’autres alphabets
avec lesquels fraterniserQue de bourgeons sur les jambages
que de vrilles sur les cylindres
que de regards entre les bielles
que de soupirs sous les trémasIdéogrammes hiéroglyphes
lettrines schémas et pancartes
manifestations et vacarmes
revendications et vacancesNageant dans le bain d’autres lettres
que de rencontres merveilleuses
formant farandoles et rondes
sautant passages à niveauVoici des strophes et refrains
ballades menant virelais
colonnes carrés et dallages
dans l’exploration des volumesEt voici que la vérité
explose comme une chaudière
que l’on a trop voulu forcer
ses débris devenant des riresEt la prose reprend ses droits
après avoir longtemps sifflé
le chemin de fer recommence
son catalogue des stations
La pluie de lettres sur la page
les glissements dans les couloirs
chuchotements d’érudition
poèmes d’anciens amoureux
un rayon de soleil du soir
passant à travers les vitraux
réveille fastes oubliés
dans les résonances choralesUne étudiante en sa cellule
relit en tremblant son essai
sur la métrique médiévale
songeant au jeune physicien
qui interroge les atomes
dans l’ombre des laboratoires
ou à cet autre plus sportif
qui s’exerce pour l’avironPuis elle rassemble ses livres
descend l’escalier en hélice
quatre à quatre car l’heure sonne
pour rejoindre l’amphithéâtre
où le grand professeur dispense
ses cours magistraux réputés
pour l’ironie de ses remarques
sur les travaux retardatairesLa nuit s’est obscurcie les lampes
s’allument dans les cours carrées
le vent feuillette les prairies
puis revient siffler dans les ruelles
où passent comme des fantômes
au milieu de la brume douce
des groupes titubant un peu
cherchant à regagner leurs chambresSous l’effervescence des bières
ou sous les velours du porto
on croit retrouver les murmures
des illustrations d’autrefois
dans leurs querelles distinguées
théologiques politiques
scientifiques ou poétiques
entre les dialogues des clochesUne remarque vous surprend
le lendemain on ira voir
dans bibliothèque ou musée
ce qu’il en est précisément
ainsi dans l’Encyclopédie
Britannique on est emporté
d’article en article et de tome
en tome irrésistiblementNotre siècle en bouscule un autre
tout d’un coup le règne s’efface
et les joyaux de la couronne
ont changé de tête et de mains
des personnages de romans
apparaissent dans les vitrines
cristallisant les désarrois
de toute la foule studieuseIl nous faut les boeufs du savoir
avec leurs mufles d’obstinés
leur chaude haleine dans le froid
pour tirer notre obésité
nous arracher à nos lenteurs
et nous permettre de franchir
le gué du présent embourbé
avec tous ses remous d’épines
Les papiers collés
les uns sur les autres
nous font dévaler
l’escalier du tempsAvec des racloirs
on tanne ces peaux
dont les inscriptions
baignent dans l’oubliDes regards s’échappent
entre deux des strates
ouvrant des paupières
couturées d’erreursLes enfants d’alors
appellent à l’aide
mais tout est noyé
par les détergents
Depuis déjà des millénaires
un peu partout sur la planète
les hommes se sont ingéniés
à modeler l’argile humide
en rubans pour les enrouler
et fabriquer des récipients
ou en briques pour s’y loger
qu’ils ont fait sécher au soleilParfois ils se sont aperçus
que lorsqu’on approchait du feu
cela transformait la texture
auparavant c’était friable
alors c’est devenu cassant
et pourtant beaucoup plus solide
résistant aux intempéries
conservant marques et signauxC’est ainsi qu’ils ont poinçonné
règlements contrats et prières
pour les entasser en archives
à l’ombre de leurs ziggurats
puis ils ont découvert le tour
pour élever dans leurs caresses
entre leurs mains dégoulinantes
jarres amphores et cratèresMais tout cela restait poreux
on a cherché un épiderme
pour recouvrir ces écorchés
il fallait cuire plus encore
dans des fourneaux aménagés
pour atteindre températures
auparavant spécialité
des forgerons dans leurs cavernesLes formes se sont assouplies
comme celles des animaux
les figures noires ou rouges
poulpes mythes géométrie
ont recouvert toutes les panses
pour embellir l’eau et le vin
qui accompagnaient les repas
dans la vaisselle des grands joursTapi aux fourrés du silence
le potier dit je rivalise
avec l’incendie de forêt
que j’allume comme l’orage
ou les éruptions volcaniques
que je reproduis miniature
apprivoisant le cataclysme
qui doit dévorer l’universIl a escaladé l’échelle
des chaleurs comme les titans
avaient escaladé l’Olympe
mais en y réussissant mieux
découvrant des verts et des bleus
des familles de blancs et roses
imaginant des transparences
fixant les flammes en pétalesEt buvant du thé dans ses bols
en les reposant sur la table
il en a fait tinter les bords
tout en admirant le reflet
de la Lune sur la surface
semblable à celle d’un étang
ou au cercle d’une pupille
four minuscule de l’éclair
L’OPÉRA
DES PAGES
Souvenir de Harburg
Livres livres livres livres
des rayons et des rayons
des couloirs et des couloirs
les parties les plus secrètes
les trésors et les enfers
tel un rat je me promène
en reniflant les reliuresUn titre vient m’intriguer
je commence à feuilleter
cabinet des fées voyages
imaginaires théâtres
illustrés des alchimistes
où je cherche des secrets
autres que ceux des vieux maîtresCe que les vers ont laissé
des Bibles et des Corans
dans madrasas monastères
pillés par les mécréants
de toutes les confessions
incendiés et bombardés
dans les guerres de tous tempsPhilosophes des lumières
archivistes des ténèbres
patrologies traductions
des merveilles orientales
les ténors des Renaissances
les sirènes cantatrices
et leurs accompagnateursDans la fosse de l’orchestre
mémoires des contrebasses
les violons des aventures
saxophones policiers
les percussions de l’Histoire
les cuivres des épopées
les bois des romans d’amourJ’étale sur une table
les planches des Almagestes
éclairées par la fenêtre
qui donne sur la forêt
les vignes et les collines
où dialoguent les fantômes
des explorateurs poètesEt sur des petits carnets
je gribouille des notules
qui deviennent peu à peu
ces strophes comme des bulles
qui gravissent les gradins
dans le verre de la scène
devant le choeur des silences
les dieux d’hier les dieux d’avant
une babouche un pépin
le Compatissant
une datte une ficelle
les dieux interdits les dieux vaincus
un clou un osselet
le Roi
une coquille un timbre
les dieux ridiculisés les dieux condamnés
une écale une brindille
le Saint
un dirham une plume
les dieux multiples les dieux agités
une épingle une rose
le Pacifique
une allumette un caillou
les dieux trompeurs les dieux d’aujourd’hui
une épluchure une capsule
le Vigilant
un tesson une graine
les dieux du stade les dieux de l’écran
un noyau un éclat
le Tout-puissant
une écaille une vis
les dieux de la télévision les dieux modernes
un écrou un boulon
le Très-fort
un cheveu un calame
les dieux facétieux les dieux farceurs
une griffe un bec
le Très-grand
un ruban un crayon
les dieux mensongers les dieux changeants
un ticket un élastique
le Créateur
une dent un bouton
les dieux mourants les dieux naissants
un couteau une poupée
le Mystérieux
un jouet un chiffon
les dieux sanguinaires les dieux avides
un mouchoir un copeau
le Caché
une palme une feuille
les dieux séducteurs les dieux magiciens
une bribe un trognon
le Seigneur
une miette une pastille
les dieux affamés les dieux assoiffés
un bonbon une loque
l’Éternel
une étiquette une orange
les dieux fatigués les dieux masqués
une agrafe une pelure
le Fidèle
un bouchon une bille
les dieux abandonnés les dieux fabuleux
un échantillon une cosse
le Véridique
une paille un sifflet
les dieux inconstants les dieux joueurs
un pinceau un cure-dent
le Sage
une feuille un ressort
les dieux renaissants les dieux grouillants
une clef une cravate
le Savant
une cuiller un rouage
les dieux roublards les dieux rusés
une ampoule une boucle
l’Invincible
une punaise un sequin
les dieux dispersés les dieux fantômes
un papillon une touffe
le Rassembleur
une mouche un épi
les dieux revenants les dieux insistants
une goutte une flaque
le Vengeur
un talisman une médaille
1
Les dieux d’hier les dieux d’avant
une babouche un pépin une datte une ficelle
un clou un osselet
LE COMPATISSANT
une coquille un timbre
une écale une brindille un dirham une plume
les dieux interdits les dieux vaincus2
Les dieux ridiculisés les dieux condamnés
un pépin une coquille une épingle une rose
une allumette un caillou
LE ROI
une épluchure une capsule
un tesson une graine un noyau un éclat
les dieux multiples les dieux agités3
Les dieux trompeurs les dieux d’aujourd’hui
une datte un timbre une écaille une vis
un écrou un boulon
LE SAINT
un cheveu un calame
une griffe un bec un ruban un crayon
les dieux du stade les dieux de l’écran4
Les dieux de la télévision les dieux modernes
une ficelle une écale un ticket un élastique
une dent un bouton
LE PACIFIQUE
un couteau une poupée
un jouet un chiffon un mouchoir un copeau
les dieux facétieux les dieux farceurs5
Les dieux mensongers les dieux changeants
un clou une brindille une palme une feuille
une bribe un trognon
LE VIGILANT
une miette une pastille
un bonbon une loque une étiquette une orange
les dieux mourants les dieux naissants6
Les dieux sanguinaires les dieux avides
un osselet un dirham une agrafe une pelure
un bouchon une bille
LE TOUT-PUISSANT
un échantillon une cosse
une paille un sifflet un pinceau un cure-dent
les dieux séducteurs les dieux magiciens7
Les dieux affamés les dieux assoiffés
une coquille une plume une feuille un ressort
une clef une cravate
LE TRÈS-FORT
une cuiller un rouage
une ampoule une douille une punaise un sequin
les dieux fatigués les dieux masqués8
Les dieux abandonnés les dieux exilés
un timbre un pépin un papillon une touffe
une mouche un épi
LE TRÈS-GRAND
une goutte une flaque
un talisman une médaille un brin un débris
les dieux inconstants les dieux joueurs9
Les dieux renaissants les dieux grouillants
une écale une coquille un crachat une larme
un poil un crin
LE CRÉATEUR
une grenouille une sauterelle
une rognure un fétu une vertèbre un grain
les dieux roublards les dieux rusés10
Les dieux dispersés les dieux fantômes
une brindille une épingle une gomme une lame
un couvercle un hibiscus
LE MYSTÉRIEUX
un anneau une croûte
un prospectus un tampon un centime un penny
les dieux revenants les dieux insistants11
Les dieux perturbés les dieux ébranlés
un dirham une rose une olive un kleenex
un fil un peigne
LE CACHÉ
une antenne une prise
un interrupteur un pneu un cadran un bavoir
les dieux dormeurs les dieux malades12
Les dieux rêveurs les dieux effarés
une plume une allumette un lacet un noeud
une craie une mine
LE SEIGNEUR
un gravier un pédoncule
une morve un mégot un échantillon un caramel
les dieux trembleurs les dieux rancuniers13
Les dieux ingénieux les dieux gourmands
un pépin un caillou une semelle un talon
une empreinte une rigole
L’ÉTERNEL
un terrier un égout
un tube une boucle un manche une enveloppe
les dieux luxurieux les dieux paresseux14
Les dieux envieux les dieux avares
une coquille une épluchure une tuile une cheville
un robinet un emballage
LE FIDÈLE
une écorce un charbon
une bobine un oeillet un bracelet une perle
les dieux en colère les dieux orgueilleux
NOTE POUR L’ACADÉMIE DE MARRAKECH
Comme nous étions au travail avec des amis peintres dans le magnifique ryad de Denise Masson, pour écrire un livre et préparer une exposition, nous en avons profité pour répondre aux invitations de plusieurs écoles publiques et privées où nous avons été magnifiquement reçus par les élèves et leurs professeurs. Dans les classes de français, on nous avait préparé de petites scènes interprétées avec beaucoup de charme. De l’enthousiasme, à la fois sérieux et gaieté, de quoi bien augurer de l’avenir de notre langue dans la région. Certains même nous ont servi de guides pour visiter la palmeraie qu’ils ont rajeunie pour nous. De retour en France nous désirons transmettre à tous notre souvenir le plus chaleureux.
Michel Butor
Une enfance dans les vignes
auprès d’une forteresse
de l’autre côté des monts
le vacarme de la guerre
on veut y participer
ce n’est que pour assister
à l’écrasement du droitMais c’est loin d’être fini
reprend la guerre la guerre
ici et là un brandon
qui rallume en incendie
les souvenirs d’autres guerres
celles du début du siècle
celles des siècles passésLes vieilles femmes en parlent
tandis que les rescapés
s’efforcent d’exorciser
les images effroyables
qui reviennent les hanter
cherchent à cicatriser
les débâcles successivesSi la prochaine s’annonce
que faire pour l’éviter
sinon raconter encore
le plus calmement possible
en prenant de la distance
dans l’effilochement cru
du temps qui ne passe pasDonc éditions promotions
interviews de journalistes
cela n’a pas d’importance
les prix tombent comme ils peuvent
on n’aura rien fait pour çà
on fera bonne figure
ou du moins on essaieraMais on est bien loin du compte
et le saignement des phrases
se coagule en romans
pour élever taciturne
les livres s’accumulant
une stèle solitaire
sur l’étendue des gravats
J’ai beau déployer
mes ailes mes plumes
se tordent s’arrachent
j’en perds quelques-unes
je ne sais plus oùJe vais où je puis
tout d’un coup des branches
violemment brisées
viennent me heurter
dans leur désarroi
J’ai beau essayer
de monter plus haut
traverser les nuages
cherchant mes repères
parmi les sommetsLa tête me tourne
tombe la première
entre les falaises
de laine et de verre
battues par les vents
Pourtant par-delà
les fouets et les vagues
j’aperçois toujours
l’île de l’enfance
avec ses roseauxEt ses tourbillons
pour vous découvrir
en dépit de tout
au-delà de tout
l’Égypte rêvée
Les sismologues
précisent les failles
les archéologues
remuent le passé
les géologues
feuillettent les couches
les paléontologues
reconstituent les monstres
les pétroliers
forent des puitsLes historiens
défont l’oubli
les utopistes
proposent des voies
les futurologues
se contredisent
les climatologues
mesurent le réchauffement
les zoologistes
inventorient les espèces en disparitionLes botanistes
ont des regrets
les ethnologues
arrivent trop tard
les linguistes
perdent leur latin
les physiciens
cherchent la formule
les astronomes
étudient les planètes extérieuresLes astronautes
calculent des trajectoires
les politiciens
se réunissent
les réfugiés
sombrent
les artistes
font ce qu’ils peuvent
les céramistes
brûlent leurs vaisseauxLes brocanteurs
recollent les morceaux
les enfants
bâtissent des châteaux
les vieillards
se remémorent
les amoureux
se regardent
les écrivains
s’efforcent de garder leur calme
En remontant vers la source
à travers prés et rochers
déplaçant les aubépines
je découvre une fissure
qui s’élargit en bassin
formant un miroir tremblant
où tombe un rayon de jourGoutte à goutte clapotis
les murmures souffle à souffle
les battements des rameaux
les respirations secrètes
et ces bruits répercutés
dans les pavillons de pierre
et sur le manteau des moussesM’enivrant de leurs échos
dans la luisance des perles
je perds toute retenue
enlevant souliers et veste
et jusqu’à slip et chemise
pour m’étendre sous la voûte
en caressant les paroisLa fraîcheur et la chaleur
se disputent l’avantage
de m’emmener visiter
les recoins les plus obscurs
que parfois des réflexions
irisent de leurs élytres
révélant gemmes et gammesL’image qui me revient
dans la moire des surfaces
n’est plus celle qu’enregistrent
mes papiers d’identité
narines se font naseaux
cheveux deviennent crinière
oreilles dressées en pointeJe me reconnais centaure
ou même cheval mes pieds
deviennent sabots soudain
les poils se changent en plumes
des ailes se développent
pour me faire tournoyer
Pégase Icare ou sirèneEt lorsque j’aurai quitté
ces embrassements sauvages
pour retrouver mes travaux
dans la termitière humaine
des muses adolescentes
et des satyres enfants
me combleront de baisers
1)
TABLE ENTROUVERTELe frileux cherche dans ses doigts
les saveurs d’anciennes fatigues
la moitié d’un cadran de montre
vient rappeler le temps qui passe
le verre devient invisible
comme le portrait renversé
que la main fidèle repose
après qu’on l’ait examiné2)
HORS PISTEDans le salut la main s’envole
comme un oiseau quittant son nid
l’appareil doit la rattraper
mais il ne retient que son ombre3)
IRIS DÉCLICNaviguant d’un regard à l’autre
le capitaine des réponses
cherche à refermer la bouteille
où bout le génie des pupilles
Rouilles et roseaux
par la porte d’ivoire
l’oeil de la migration
vers la diversitéPistes et signaux
par les vantaux de corne
l’écho de la distance
vers la ductilitéVilles et saisons
par les panneaux de verre
les illuminations
vers la ténacitéMachines et fleuves
par les lames de bronze
tocsins et grondements
vers l'inventivitéRonces et rosée
par les forêts de pluie
l’éveil de l’arc-en-ciel
vers la fertilitéDétours et impasses
par les sables ardents
la jeunesse des sciences
vers la féconditéLampes et mansardes
par le miroir ouvert
la clef du lendemain
vers la fidélitéCavernes et lacs
par l’issue des ténèbres
le secret des audaces
vers la simplicitéSouterrains et rues
par le soupirail roux
les fumées prophétiques
vers la longévitéFlammes et questions
par le balcon des cendres
le retour du phénix
vers la tranquillité
Avec ses ailes de vagues
il s’enfonce dans les flammes
des bassins aménagés
par le Soleil au milieu
de son royaume en détresse
pour illuminer les fêtes
dont il enivre ses gensLa vapeur de son haleine
métallise les brandons
qu’il utilise à construire
des nids pour ses descendants
et des caves pour les perles
qu’il veut semer des naufrages
et des incendies sur l’eauNé dans un lac de cratère
en traversant les nuages
il s’élève jusqu’aux astres
les plus proches qu’il parcourt
à la recherche de gemmes
où se lisent les secrets
de l’humidité fertileLa rouille de ses écailles
se dépose sur les feuilles
dans les allées qui émergent
du brouillard et des fumées
tandis que la Lune laisse
place au matin grelottant
sur les berges des canauxQuant aux filets de sa bave
ils tendent sur les chemins
des pièges pour attirer
les enfants et les amants
qu’ils recouvrent de chamarres
en leur donnant des idées
pour aller au bout du mondeIl les prend sur ses épaules
dans la chaleur de ses plis
et déploie devant leurs yeux
les forêts et les rivages
les montagnes et les îles
la fontaine de Jouvence
et les vignes du ParnasseEn monnayant l’or du temps
il distribue sur les plages
l’écume de sa beauté
marchand de sable il dispense
le sommeil aux angoissés
et des rêves très précis
qu’ils pourront réaliser
Un objet revient toujours
ou si vous préférez un sujet
ou mieux encore un projetC’est la séductrice la tentatrice
l’initiatrice la médiatrice
la divinatrice la rénovatriceL’infirmière l’enchanteresse
l’ensorceleuse la ménagère
la compagne la délivranteCelle d’où l’on vient
à qui l’on revient
l’inoubliableCelle qu’on rencontre
et que l’on retrouve
l’insaisissableQuel que soit son nom
quel que soit son âge
l’incontournableImprégnant la page
comme une pluie
régénératriceImprimant des signes
qui se répandent
et se répondentEn matières toujours nouvelles
que mon texte
vient caresser
Le vigneron des nuages cueille les grappes dans la treille de l’arc-en-ciel, en exprime le jus dans le pressoir du vent pour qu’il fermente au chai des saisons.Rubis sur l’ongle
gong de pourpreSur les vrilles du paysage
les enfants des anges regardent
les grives picorer les bulles
pour en goûter la qualité
dont les effluves leur parviennent
dans les danses du crépuscule
parmi les archipels nomades
et les voiles illuminéesDans les cuves des intervalles
entre montagnes et déserts
l’élixir mûrit et fleurit
pour tomber en pluie sur les rêves
des enfants démons épuisés
par leur recherche d’une issue
dans l’enfer de l’adolescence
et guérir leurs démangeaisons
1Ombres et transparences
reflets et tentationsN’hésitez plus venez vers nous
il vous suffira d’approcher
pour que nous nous évaporions
mais dès que vous vous lasserez
nous reviendrons vous aguicher
en vous chantant quelque chanson
que le vent vous apportera
sans que vous puissiez résister2
Séduction végétale
miroir embroussailléC’est l’âge il faut vous résigner
impossible de nous saisir
pas même de nous effleurer
vous ferez ce que vous pourrez
vous essaierez d’accompagner
notre mélodie par la vôtre
et nous vous encouragerons
en multipliant les couplets3
Le grondement du fer
sous les pas et les rouesVous tentez de barrer le pont
où nous installons notre guet
vous vous êtes mis à plusieurs
pour accumuler de l’audace
vous plaisantez vous plastronnez
c’est tout ce que nous désirons
il suffira que nous passions
pour que vous vous mettiez à fondre4
Les dégoulinements
sur les yeux et les mainsVous vous plongez dans la rivière
malgré les algues et les mousses
nous comparons vos bras vos jambes
mouvements et respirations
nous vous applaudissons très fort
mais dès que vous gagnez la rive
nous nous dispersons bruyamment
vous ne savez par quel chemin5
Planant sur les marais
des instincts primitifsIl nous est arrivé parfois
de vous dérober vos habits
les plus gentilles d’entre nous
les déposent sur les traverses
mais d’autres vont les enfiler
pour se faufiler parmi vous
s’amusant de votre lenteur
à percer la supercherie6
Les haussements d’épaules
les cheveux en batailleMais inutile d’essayer
de vous déguiser en retour
nous saurons bien vous reconnaître
nous avons besoin de vous fuir
et pour cela que vous couriez
à perte de souffle et de vue
vos halètements nous reposent
et votre sueur nous désaltère7
Labyrinthe amoureux
immensité d’écumeIl vous faut trouver d’autres pièges
ici tout conspire avec nous
car les endroits ne manquent pas
où vous auriez tout l’avantage
mais ne vous imaginez pas
que nous allons vous renseigner
trouvez tout seuls nos chers amis
vraisemblablement par hasard8
À l’âge des questions
le printemps des réponsesLe plus déluré d’entre vous
réussira peut-être un jour
à dérober quelque ruban
tandis que nous disparaîtrons
en l’assaillant de toutes parts
avec d’invisibles baisers
il ne saura plus où donner
de sa tête qu’il voudrait perdre9
La rotation des heures
le retour du beau tempsUn jour l’une se laissera
prendre et vous ne comprendrez pas
comment cela est arrivé
elle aura tout manigancé
sans que vous vous doutiez de rien
mais vous ferez le conquérant
auprès de vos copains d’hier
et notre choeur en rira bien10
Passage des années
dans les roseaux du soirUne autre l’aura remplacée
et puis une autre encore une autre
un jour il vous faudra passer
par ce pont que vous évitiez
vous aurez pris de la bouteille
vous ne viendrez plus vous baigner
nous vous rendrons votre salut
vous laissant nous examiner
1La brume sournoisement
se glisse entre les pavés
un soupirail de cuisine
ajoute quelques relents
des Arabes et des Noirs
attendent près des machines
qui malaxent leur lessiveJe me retrouve dans une ville où je n’ai plus remis les pieds depuis ma petite enfance. Je crois n’en avoir gardé aucun souvenir.
Un point d’interrogation
se dessine sur le mur
entre plâtras et gravats
la suie la colle et l’acide
une affiche lacérée
conserve quelques vestiges
de promesses non tenues2
Une empreinte digitale
dédales d’identité
semblables à nos errances
entre travail et logis
avec quelques intervalles
pour retrouver les amis
dans le vacarme d’un barIl me reste, à tout prendre, bien peu de choses à reconnaître, presque tout ayant été détruit par la guerre ou la spéculation.
Le soleil et le sommeil
ne sont plus ce qu’ils étaient
soubresauts le long d’un corps
qu’on explore dans la nuit
rongée par les lampadaires
et les camions des poubelles
aux lueurs du petit matin3
Géographie de la pluie
sur l’océan des trottoirs
un archipel provisoire
qui va bientôt s’engloutir
sous l’inondation produite
réchauffement climatique
par le trop plein des égoutsLe peu qui subsiste a été repeint maintes fois; les boutiques ont changé de propriétaires et d’affectation; quand c’est restauré, rabiboché, légendé, cela ne fait qu’accroître la distance.
Ce n’est plus l’eau d’autrefois
on la retrouve sans doute
dans des montagnes lointaines
où de rares animaux
survivants de nos massacres
viennent s’abreuver en paix
malgré le bruit des avions4
Elle nous était donnée
mais pour la faire couler
jusqu’à nos salles de bains
il faut tant de précautions
de travaux et de filtrages
qu’elle est de plus en plus chère
et que l’on craint d’en manquerIci ou là, c’est comme un arrachement. Je ne parviens plus à détacher mon pied du sol. C’est comme si je m’enfonçais dans un tourbillon de mémoire, et pourtant aucun détail précis n’émerge.
L’humidité me transit
mais pour me désaltérer
j’ai envie de m’installer
sous les chapelets de gouttes
qui tombent des toits de tôle
puis se mélangent en boue
dans les caniveaux bondés5
Du sang perle de mes yeux
qui sont meurtris de poussière
j’ai du mal à respirer
pourtant je sens quelquefois
à travers la pourriture
et les vapeurs du pétrole
un parfum d’un autre tempsQu’ai-je reconnu, ou plutôt qu’est-ce qui m’a reconnu et m’a lancé ce signal d’alarme comme la vrille d’une sirène ?
Qui m’ouvre la voie des vagues
entre deux goulées de vent
moi qui ai le mal de mer
je rêve d’anciens navires
et de claquements de cordes
en partance pour des Indes
qui restent à découvrir6
Mon corps ce n’est plus un corps
c’est comme si les cellules
décidaient de s’écarter
et de se multiplier
indépendamment de moi
je ne suis plus qu’un cancer
dans le jus du temps qui passeEst-ce cela que l’on appelle la nostalgie ? Pourtant aucune envie de trop traîner dans ce coin, plutôt celle d’échapper à une obscure pétrification, gélification, comme si ce passage m’avait donné un tremplin pour rebondir.
Ce n’est qu’en votre regard
que viendra la guérison
ce n’est que dans vos discours
que je trouverai mes mots
ce n’est qu’en votre silence
qu’un chant se faufilera
transmutation de nos troubles
Sur son corps les lunes
cherchent à fleurir
le miel vespéral
vient dégouliner
comme une caresseSur son corps les boucles
viennent s’enrouler
le soleil jaloux
vient carboniser
cette toison d’orSur son corps le soufre
aidé du phosphore
attend le contact
et le frottement
pour l’embrasementSur son corps les flammes
avec leurs volutes
de dégustation
s’écartent laissant
leurs cendres de sablesSur son corps les ombres
viennent dessiner
leurs flux et reflux
voulant partager
sa respirationSur son corps les mains
tremblants éventails
gouvernails d’haleine
rêvent de victoires
dans la transparenceSur son corps les lèvres
ouvrent les serrures
où vont s’enfoncer
les clefs de l’amour
pour fondre en mercureSur son corps les mots
viennent s’apaiser
roulant leur écume
pour faciliter
l’éclat des naissances
1)En soulevant
un premier voile
soie ou papier
je perds mon souffleQue je retrouve
en contemplant
le moindre objet
que je rencontreLe houx le gui
un tubercule
ressort ou nuages
charbons épinesLa vue le goût
la vie l’odeur
serpents glissant
subtilementEntre les couches
de l’atmosphère
entre les nues
des profondeursL’ombre et l’éveil
les horizons
entre les coudes
et les épaulesDes vieux massifs
ragaillardis
par les torrents
qui les chatouillentÀ plus d’un titre
accents d’alcool
monnaie de singe
îlots d’étéPetit matin
thé ou café
j’essuie mes cils
sur le sentierL’oeil de l’orage
parcourt les champs
et les façades
comme un espionQui retransmet
ses découvertes
par des tambours
infatigablesDans les fourrés
plumes et poils
sont transpercés
d’humiditéDe temps en temps
quelques secours
font partager
l’argent du froid
2)
En soulevant
un second voile
lianes ou fer
je perds mon tempsLongues secondes
courtes minutes
heures d’angoisses
fil des journéesUn poil de Lune
dans l’entonnoir
où se déverse
le chant du gelPassez miroirs
langues de bois
dents de métal
vernis à onglesLe roi des rats
cherche fortune
en explorant
le tertre vertIl a laissé
sceptre et couronne
dans le trésor
de ses ancêtresUne princesse
se désespère
en supputant
son arrivéeQuand viendras-tu
où flânes-tu
qui te retient
loin de mes brasMes cheveux croissent
pour te chercher
une pupille
en chacun d’euxMême une oreille
pour distinguer
l’irremplaçable
bruit de tes pasJe te reviens
j’ai découvert
l’anneau des sages
le puits d’ivoireSous le museau
qui se détache
c’est mon visage
que tu revoisC’est moi fidèle
je te retrouve
c’est toi c’est nous
c’est le printemps
3)
En soulevant
le dernier voile
deuil ou soucis
je perds mon âgeBoulets et cendres
cahiers d’ardoise
textes de craie
sur les fourneauxVaisselle en pile
couverts et verres
sur le granit
du vieil évierLa lessiveuse
qui se dandine
en émettant
vapeurs et bullesC’était l’oracle
dans le ménage
avec la cloche
de l’angélusLes TGV
tracent leurs lignes
comme pinceaux
exaspérésEt les avions
laissent leurs traces
sur les buissons
de notre écoleEntre vergers
et sapinières
leurs bruits mêlés
par les cascadesRoses d’exil
brumes de ronces
jardins amers
tours de détresseJe me faufile
dans les fissures
des oliviers
et des falaisesPour y trouver
l’oeuf des cavernes
la voix des anges
le gong des sourcesOr encens myrrhe
un nouveau-né
coups de marteau
du charpentierEt nous les mages
rentrons chez nous
sans trop savoir
où ce peut être
LES SURPRISES DU TERRAIN VAGUE
1)J’ai quitté les rues boutiquières
j’ai marché je ne sais comment
entre les ruines des usines
que j’avais connues bourdonnantes
le long des rails abandonnés
au milieu des buissons de ronces
les châteaux d’eau servant de phare
sur ces tempêtes d’éboulis
Au fond du baril déjà des mousses et des algues
L’index du pieu dénonce la cicatrice
Une touffe de primevères
entre deux blocs de macadam
d’où jaillissent tiges de fer
mâchées par quelque ogre ou cyclope
près de vestiges de repas
des assiettes de carton blanc
avec des touches de moutarde
boîtes de bière ou de coca
2)
C’est une décharge sauvage
mais relativement discrète
quelques ressorts d’un vieux sommier
sur les branches d’un arbre mort
des lambeaux de plastique noir
des journaux à-demi brûlés
quelques parpaings en pyramide
et des mégots en quantité
Le sourire de la rouille répond aux signes de la craie
Les baguettes osseuses font sonner le tambour
L’officiel terrain d’épandage
est bien loin de l’autre côté
de l’aéroport de plaisance
dont les avions me persécutent
certains tournoient comme étonnés
de trouver quelqu’un en ces lieux
sans doute ils vont me signaler
comme sans domicile fixe
3)
Mais je ne suis plus du tout seul
voici qu’une troupe d’enfants
libérés d’une école proche
vient s’éclabousser dans les flaques
et se cacher dans les grands pneus
avec des morceaux de gouttières
ils fabriquent des toboggans
pour y faire rouler leurs billes
Les anneaux de Saturne sur les autoroutes de l’espace
Le donjon vulcanisé rêve à son tracteur absent
J’ai l’impression que ma présence
ne les perturbe nullement
je ne sais même s’ils me voient
je pourrais les photographier
tout à loisir c’est comme si
j’étais devenu transparent
je me garde de faire un bruit
quand diminuent ceux des moteurs
4)
Minutieusement ils explorent
ce terrain de récréation
en poussant des cris de triomphe
lorsqu’ils découvrent quelque objet
qu’ils peuvent métamorphoser
lui donnant nouvelle existence
et dignité dans leur théâtre
opéra de virginité
Y a-t-il encor des ampoules sur les tiges du lampadaire ?
Une aurore boréale dans une capsule d’aluminium
Tous ils se sont agglutinés
autour d’un guidon de vélo
qui devient serpent dans la jungle
puis antenne pour la station
spatiale dans laquelle ils virent
en évitant soigneusement
les épaves des satellites
en orbite autour de la Terre
5)
Un nuage chasse le soleil
un coup de vent tourne les pages
d’un horaire dépenaillé
les avions rentrent au bercail
les filles ferment les boutons
de leurs petits imperméables
et les garçons de leurs blousons
alors que démarre l’ondée
L’automne prêtera ses couleurs au printemps
Un envol d’étourneaux parmi les cannelures
Ils s’enfuient en escaladant
les récifs de leurs piratages
les planches de leur pont-levis
je voudrais partir avec eux
ils s’écartent pour me laisser
passer aimablement narquois
ils m’avaient vu dès le début
et leur spectacle était pour moi
1)L’ange dans l’Apocalypse
va chercher la clef du puits
pour enfermer le dragonIl restera mille années
qui passeront comme un songe
puis sortira sous un nom
et un visage nouveauxIl répandra ses bienfaits
même s’ils sont éphémères
il dispensera sa science
véridique ou mensongère
il guérira nos souffrances
tout en en provoquant d’autres
mais nous vivrons plus longtemps
2)
Du puits de captivité
jailliront eaux lumineuses
de fureur et de fraîcheurSes ailes se déploieront
comme des fleurs sur les villes
en répandant des parfums
qui enivreront les foulesEt si les inondations
submergent les avenues
il inventera gondoles
pour aller d’une fenêtre
à l’autre porter secours
aux effarés à genoux
devant leurs veilleuses rouges
3)
Il emportera les vieux
sur la surface des fjords
où ils reprendront souplesseAprès avoir retrouvé
au cimetière des ânes
la mâchoire avec laquelle
Samson tua les PhilistinsIl ouvrira le chemin
jusqu’aux mines où le vent
concentre son énergie
tandis que les vieux derricks
rouilleront dans les déserts
accumulant leurs bitumes
pour l’enchantement des peintres
4)
Dalila de Babylone
soulèvera les sept voiles
et les fera retomberSur les griffes du dragon
qui roulera dans leurs plis
nous faisant participer
à leurs danses millénairesEt les ombres du passé
processionneront tranquilles
sur les fleuves des jardins
entourant Jérusalem
transparente et musicienne
tandis que les cavaliers
calmeront leurs oriflammes
5)
Du plus sombre du présent
les étoiles d’amertume
entrouvriront leurs paupièresLes filles de l’arc-en-ciel
vierges folles vierges sages
Dalila et Salomé
infirmières des passionsLes anges et les dragons
Saint Jean-Baptiste et Samson
se plongeront dans ce puits
pour recevoir le baptême
où tout changera de nom
permettant à nos langages
de forger la clef des eaux
La scie les a tranchées
dans les troncs abattus
leur laissant le velours
de leurs arrachementsIl reste de la sciure
comme un peu de pollen
dans le fond des corolles
attendant les insectesAvant que le rabot
arase tout cela
avant que les copeaux
fleurissent l’établiAvant qu’on ait meulé
toutes ces âpretés
qui gardent le toucher
des sols de la forêtBientôt tout sera lisse
on aura effacé
le relief antérieur
et ses complexitésQu’il vous faut contempler
quelques instant encore
qu’il vous faut caresser
sans craindre les échardesPour entendre monter
les leçons de la sève
l’étoile des racines
les échos des branchagesLes romans de l’écorce
les feuilles et les fleurs
les noeuds et les sutures
et les accents du feu
Que rapportez-vous de Rome
en ces temps de giboulées ?
L’or du Tibre et l’oeil du Rhin
les reliques des anciensQue ramenez-vous du Caire
en ces peurs d’épidémies ?
Le sérum des pharaons
les papyrus du beau tempsQu’avez-vous trouvé à Londres
en cette saison des pluies ?
Les jonquilles et les roses
discourant autour du théQue transportez-vous des Indes
en l’essor des migrations ?
Un peu de myrrhe et d’encens
pour enrichir vos soiréesQuelle est l’annonce des Andes
au retour d’explorations ?
L’étonnement permanent
une humanité nouvelleQu’avez-vous pêché au fond
des océans de l’Histoire ?
Les cloches des éclosions
la résurrection des vifs
Sur les fleuves de l’insomnie
nous dérivons avec lenteur
faisant escale à tous villages
qui ont su nous prévoir des quaisPour échanger maintes merveilles
découvertes dans les forêts
de nos lectures tropicales
acajous et jacarandasPerroquets orchidées serpents
plumes vanilles et venins
contre du manioc et du vin
armes journaux décorationsEt dans les fumées du matin
nous parvenons aux grandes villes
où nous serons démantelées
pour fabriquer d’autres navires
La chenille rampe et sinue
sur les quais les ponts les cabines
elle se love en chrysalide
ne bouge plus pendant des moisPuis au plus fort de la manoeuvre
des mains viennent la dégager
voici qu’elle déplie ses ailes
pour assurer voiles et vies
1)
Il viendra. On m’a bien dit qu’il viendra. Mais je ne sais plus qui m’avait dit qu’il viendrait. Ce qui n’a pas grande importance, car l’essentiel c’est qu’il vienne, et le plus tôt possible. Cela fait déjà longtemps que je l’attends; je ne sais plus combien de temps, mais cela s’étire, c’est comme si les minutes s’allongeaient. Et il y a déjà longtemps que je trouve que cela fait longtemps. Trop longtemps pour que je puisse y renoncer maintenant. Il suffirait que je découvre un moyen de raccourcir ces minutes qui s’effilent de plus en plus, si bien que la pendule que je consulte de plus en plus souvent semble presque immobile. C’est comme si elle allait s’arrêter; et pourtant non, voici comme une secousse qui me dit qu’il viendra.
L’allongement2)
l’étirement
l’effilement
l’élongation
Qui viendra ? Je le savais, bien sûr. On me l’avait dit et je suis certain que c’était très important pour moi. Il s’agissait de celui-là et de nul autre. J’essaie des noms, mais aucun ne me semble plus vraisemblable. Il y en a pourtant quelques-uns qui me font m’esclaffer comme tout à fait impossibles. Mais il ne faudrait pas que je m’y attarde trop longtemps; tout se mettrait à vaciller. Tout de même, j’ai bien l’impression qu’il s’agit de quelqu’un de ma famille, qui aurait joué un rôle important dans mon enfance. Je ne puis évidemment plus dire lequel, mais cela peut me revenir, surtout sans que je le cherche; une bulle qui soudain s’épanouit et se libère à la surface. Un oncle, sans doute, une sorte d’oncle, mais je ne sais plus à quel degré de parenté, ni de quel côté. Il y a quelques instants j’avais son nom sur le bout de la langue; ou plutôt c’était hier; ou même la semaine dernière. Et j’étais si content de l’avoir retrouvé, du moins son nom, si content de l’attendre, que ce soit lui que j’attende.
Le messager3)
des Antipodes
l’ambassadeur
du temps gagné
Quand viendra-t-il ? Sûrement on m’avait donné une date, du moins une limite à partir de laquelle il ne vaudrait plus la peine de l’attendre; et je suis sûr de ne pas avoir dépassé ce terme. C’est seulement comme s’il reculait subrepticement. Non qu’il me faille obligatoirement patienter jusque-là, car on m’a bien dit qu’il pouvait arriver d’un moment à l’autre. “Comme un voleur”, c’était l’expression dont on s’était servi en parodiant d’anciens textes. Mais on avait aussi précisé quelque chose : un moment de la journée peut-être, le matin ou le soir, ceci spécialement pour que je puisse me relâcher, passer des nuits tranquilles. Je me demande si ce n’était pas plutôt l’état du temps : il viendrait pendant la pluie ou la neige, ou lors d’une éclaircie. Ou encore mon propre état. Pourvu que ce ne soit pas au moment où je ne l’attendrais plus. Mais je l’attends.
Le coeur qui bat4)
l’ombre et la nuit
l’aube et la pluie
le tain du temps
Où viendra-t-il ? Il doit bien nous connaître, donc il ne faut pas trop s’éloigner de la maison. Mais il doit connaître aussi nos trajets, surtout ceux habituels d’il y a maintenant quelques années, et donc il saura nous y retrouver. Si seulement je savais de quel côté il va venir, et en utilisant quel moyen de transport ! Je pourrais alors aller à sa rencontre, ce qui permettrait à celle-ci de se produire un peu plus tôt. Marcher sur la route ne ferait guère avancer les choses, mais permettrait au moins de canaliser la fatigue. Prendre une voiture serait imprudent. Nous nous raterions. Alors ce serait lui qui devrait m’attendre. Quelle inversion des rôles ! Ne vaudrait-il pas mieux que j’aille jusqu’au sommet de la butte pour surveiller les quelques abords. Dommage que le curé soit absent ! J’aurais pu lui demander la clef du clocher. Mais s’il vient en voiture, serai-je capable de reconnaître la sienne ? Il en aura d’ailleurs sûrement changé depuis le temps. Mieux vaut donc rester à la fenêtre de l’étage pour le guetter, l’entendre sonner ou me héler.
Cahin caha5)
talus ornières
cahots pavés
givre insomnie
Que dira-t-il ? Il y aura d’abord quelques préliminaires; un salut pour vérifier que je le reconnais. Sans doute quelques précisions sur lui-même s’il lui reste des doutes, si la lumière ne s’est pas suffisamment faite dans mes yeux. Si c’était tel ou tel naturellement je l’appellerais par son nom; mais s’il s’agit de quelqu’un de plus éloigné, il me faudra quelques moments pour que la connexion se rétablisse. Il me demandera des nouvelles de la famille, ce que j’ai fait pendant ces dernières semaines, ces derniers mois, ces dernières années, depuis la dernière fois que nous nous sommes vus, ou écrit. Il fera sortir des greniers obscurs quelques souvenirs communs à propos de cousins, de camarades. Il me racontera ses propres aventures, et vraisemblablement, puisqu’il m’a fait demander de l’attendre, il me fera quelque proposition : un voyage avec lui quelque part, un travail en commun qui me tirerait d’affaire, une mission particulièrement délicate. Ou bien il me livrera, léguera seulement quelques mots, une tradition ancestrale dont je deviendrais le gardien.
Intimité6)
les cendres froides
le fond des verres
lents éventails
Que fera-t-il ? Voudra-t-il entrer dans la maison ? S’assiéra-t-il comme un habitué dans un fauteuil au coin du feu, après s’être débarrassé de son imperméable, de son écharpe et de son chapeau ? Il sera fatigué sans doute après ce voyage peut-être long. Il aura besoin d’une tasse de café. Je l’imagine silencieux, se taisant longuement avant de reprendre son souffle. Et même ne me disant rien du tout, prenant notre relation pour acquise sans se soucier de me sortir de mes perplexités. S’il a une valise, c’est qu’il restera quelques jours. Ou bien qu’il a seulement fait une escale en se rendant ailleurs. Ou ni l’un ni l’autre : il en sortira un objet banal pour tout autre, précieux pour nous deux, vanne à souvenir, muni - qui sait ? - de sa légende inscrite, mais qui le laissera énigmatique, une invitation à le découvrir et avec lui tout un pan de notre saga, du chant de la tribu. Dans ce cas il n’est pas impossible qu’il s’amuse de mon ébahissement, referme le couvercle et reparte sur sa route me laissant avec mes questions renouvelées à l’attendre encore, que ce soit son retour ou une lettre explicative me dévoilant enfin le qui, le pourquoi, le comment. Ce que j’attends au fond, c’est une autre attente.
Le glas des montres
l’écho du port
l’étain des antres
dégel des comptes
SOUS LES YEUX DES BLOCKHAUS DÉSAFFECTÉS (sic)
Je n’ai plus de nouvelles. Rien au courrier; rien aux différents téléphones. Je guette à travers les meurtrières de la mémoire et du béton. Je sais vaguement où tu es, dans une ville lointaine où je ne suis jamais allé, mais que je m’efforce d’imaginer pour t’imaginer à l’intérieur dans ces rues que je ne connais pas, devant ces affiches et ces enseignes que je suis incapable de déchiffrer.Immobilisé
au bord de la mer
pétrification
d’algues et de sang
sur le mur de sableLe regard fixé
sur l’eau menaçante
l’horizon plié
sous les nuages bas
attendant la grêleJe scrute à travers les brèches de la vie quotidienne et de la poussière. Quelle heure est-il dans ton fuseau ? Mes calculs s’embrouillent. Es-tu en train de manger dans un de ces restaurants à bols et baguettes, ou déjà en train de dormir ? Je construis une chambre pour t’accueillir là-bas, très différente évidemment de celle où sans doute tu n’es pas encore rentrée.
Vapeur de coquilles
traces de foyer
l’herbe dans la rouille
la roue de fortune
au moyeu casséL’image déserte
où rampe la ronce
la porte du froid
ouvrant sur les seins
de la nuditéJ’écoute à travers les déchirures de la solitude et de la ferraille. Voilà : tu as dîné, tu tournes la clef dans la serrure. Mais comment sont les serrures là-bas ? Tu allumes un ventilateur, tu t’accoudes à la fenêtre et tu regardes les vagues, les milliers de vagues, de l’autre côté desquelles je manque de nouvelles et je m’efforce de ne plus trop penser à toi, car les angoisses se multiplient : comment vas-tu, comment te débrouilles-tu ?
Taches et poussières
dans l’humidité
refuge incertain
pour passer l’orage
parmi les fantômesLes bateaux de guerre
larguent leur amiante
entre les rochers
et les pétroliers
dégazent au largeJ’observe à travers les persiennes de la mémoire et de la poussière. Tout d’un coup la question que je craignais, que j’essayais de maintenir à l’extérieur, mais que je sentais tambouriner à la vitre de mes tempes, m’envahit et m’étrangle, l’essaim de questions; et si elle tombait malade... Et si elle trébuchait dans un escalier... Et si elle était renversée par une voiture ou même une bicyclette...
Inscriptions et grilles
recoins de misère
avec les reliefs
d’un repas furtif
entre les parpaingsRoulement d’automne
grincement des bois
ressac des galets
dans l’ombre des criques
épaves d’étravesJe rumine à travers les effondrements de la vie quotidienne et de la ferraille : et si la raison pour laquelle je n’ai plus de nouvelles, c’était justement qu’il lui était arrivé quelque chose et qu’elle était dans l’impossibilité absolue de me le faire savoir par quelque voie que ce soit, alors que c’est justement maintenant ou jamais qu’elle aurait besoin de moi. Mais non, voyons, calme-toi !
Baie des trépassés
lavoir des écumes
l’ange des filets
emprunte sa faux
au temps grelottantSourcils de métal
fronçant leurs broussailles
dans l’inquisition
des larves avides
balafrées de selJe distille à travers l’alambic de la solitude et du béton. Calme-toi. Il n’y a aucune raison. Elle aurait sûrement trouvé un moyen. Nous ne sommes plus au XXème siècle. Aujourd’hui, avec tous ces appareils de communication si perfectionnés, on arrive toujours. Du moins on croit qu’on arrive toujours. Mais j’y crois de moins en moins. Tout d’un coup ça craque. On ne sait pourquoi. Personne n’est capable de vous dire pourquoi. Oh, on vous trouvera bien une explication, ne vous inquiétez pas... Mais pour l’instant...
Menhir naufragé
paupières du vent
sueur cristallisée
dans l’aine des vagues
sous les cils d’épinesSouvenirs d’épreuves
fragments délavés
en grand abandon
dans la sépulture
des peurs d’autrefoisJe me jure à moi-même que tout va bien, que tu vas bien, que tu n’as pas froid, que tu ne t’ennuies pas, que tu ne manques de rien, que je ne te manque pas, que tu n’es pas sur un lointain sentier au long d’une mer lointaine à te demander si je ne m’inquiète pas trop puisque tu n’as pas pu m’envoyer de courrier, ni me téléphoner, car tu sais vaguement où je suis, dans les environs maritimes d’une ville que tu connais bien; mais évidemment tu peux difficilement te douter que je suis sur ce sentier-ci, où je suis sur ce sentier, mais tu sais que je pense à toi, que j’essaie de ne pas trop penser à toi.
La nuit le jour
se démener
comme chantait
LeporelloToujours courir
toujours partir
le nettoyage
et le pressingFaire valises
et les défaire
vite lessive
et repassageComment finir
la salopette
qu’il doit porter
pour ses grands soirsLes journalistes
les photographes
et moi quand vais-je
photographierUn peu de sieste
en écoutant
Ravel Bartok
Liszt ou ChopinSans oublier
Domenico
Wolfgang ou bien
Jean-SébastienEn respirant
de temps en temps
les écritures
de mon Michel
Tournant comme l’ombre
autour de la Terre
comptant les années
autour du Soleil
changeant de vêture
selon les saisons
chargé de bois mort
tel un vieux pommierAttendant la suite
entre deux sommeils
récapitulant
la guerre et la paix
le fil des rivières
les pays lointains
le chant du retour
les yeux et les jeux
(Le bateau sobre)
Houles et ressacs
algues langoureuses
plumes à poignées
stridences des gouttesAprès avoir longé les plages
les quais des ports et des canaux
j’ai voulu franchir les détroits
pour aborder aux archipelsTurbots et dorades
algues et coquilles
remuements d’écume
surfaces ployéesDes tas ruisselants de poissons
barils de biscuits et d’eau fraîche
des enroulements de filins
des paquets de voiles pliéesÉcueils et cavernes
coraux astéries
requins et dauphins
signaux lumineuxCandidats à l’émigration
vers une sourcilleuse Europe
les passagers sont endormis
rêvant de permis de séjourÉpaves sillages
cargaisons d’émaux
mouettes et sirènes
volcans sous-marinsMais moi qui suis le capitaine
je veux les mener bien plus loin
jusqu’aux rives qu’on imagine
des pays d’hospitalitéMâts sur l’horizon
tempêtes soudaines
saluts des radios
constellations neuves
1Pèlerin sur le chemin de Saint-Jacques, je m’émerveille de la transformation de la flore. Faisant sonner mes coquilles, je ferme les yeux pour mieux m’imprégner de parfums que je n’aurais jamais imaginés.
Je passe le colEn marchant d’un côté
gravis le sentier
descendant la pente
aperçois l’auberge
reconnais l’enseigne
fais tinter le gong
baisse la poignée
monte dans la chambre
en revenant de l’autre
je dessine un pétale
qui m’approche du choeur
s’entrouvrant vers le ciel
en convoquant le ventUn vitrail de nervures
palpitation de vagues
tourne dans la lumière
comme nos errements
en cherchant l’aventure
qui nous rajeunirait2
Voguant sur la mer vers la Crète, je vois d’île en île de nouvelles trouvailles d’architecture. Louvoyant dans les passes je rencontre des navires dont j’envie la souplesse.
J’allume le feu
nage dans les songes
laboure les draps
j’ouvre la fenêtre
j’écoute s’il pleut
palpe le métal
je fouille les ruines
je bâtis les ombres
Le chevalier Thésée
débarqué sur le port
avec les jeunes gens
promis au sacrifice
qu’il désirait sauver
de la dévorationRampait comme chenille
égarée dans les feuilles
d’un bourgeon hérissé
d’épines vénéneuses
et de crocs ruisselants
de biles et de baves3
Retrouvant Athènes après avoir fait le tour de la Terre, j’ai du mal à la reconnaître. Que d’étranges théâtres ! Que de machines bruyantes ! Les colonnes remontées surgissent d’une épaisse brume.
Je sème le sel
récolte l’orage
étirant ma soie
je tisse une toile
cousant mes trajets
essayant climats
j’attends le signal
je cherche fortune
Ariane rencontrée
quand il pliait ses voiles
lui a donné le fil
qu’il déroule aux virages
lui rappelant ses seins
dans l’approche du glasErrance des caresses
il fabrique un cocon
d’où il ressortira
tel un lépidoptère
en Icare vainqueur
sacrificateur doux4
Escaladant les rochers autour de Jérusalem, j’entends les musiques se multiplier. Les démons révèlent aux anges de nouveaux motets. Des mains de flamme applaudissent dans la crypte.
Posant des questions
j’évite les pièges
brodant mes histoires
écoutant silences
je traduis le soir
délie le matin
en perfectionnant
l’attache des plumes
Mon fils a dit Dédale
enfin je te revois
je te croyais noyé
dans la gueule des eaux
par la fureur jalouse
du Soleil minotaureAveuglé par mon deuil
au début je n’ai pu
saluer ton visage
trop certain que le monstre
malgré toutes mes ruses
en avait réchappé5
Moissonnant dans la Beauce, je dresse les gerbes par les mouvements de ma faux. Entre les travaux et les jours je goûte aux céréales de la profondeur, arrosées de vins volcaniques.
Perdu dans mes comptes
je presse les grappes
je pétris le pain
je grille les viandes
aux fumets d’écume
j’improvise un chant
je lave une stèle
de libération
Les cornes en s’ouvrant
sont devenues des ailes
pénétrées de rayons
qui les rendront plus fortes
ta nef méconnaissable
prend un nouvel essorEt tu iras sauver
ce masque de moi-même
qui te croyant perdu
s’est jeté dans les eaux
pensant te retrouver
dans cet envers du ciel
Cher correspondant
comment passez-vous
ce temps de vacances
pendant que la guerre
continue partoutIllusions perdues
espoirs persistants
il faut amasser
fureur et patience
pour intervenirPar notre attention
par notre silence
par notre peinture
par notre écriture
et par notre chant
Pourquoi ? tournoyant
dans la nuit hurlante
même en plein midi
chaque battement
du coeur le répèteTu nous a laissés
plus seuls que jamais
plus seuls que toi-même
avais pensé l’être
en ton désarroiComme une marée
transformant en île
ce qu’on avait cru
si bien attaché
creusant des ravinsOù nous demandons
à tous les courants
de nous transporter
de l’autre côté
de l’instant fatalCherchant dans nos yeux
le Léthé sauveur
l’oubli sans oubli
un apaisement
dans notre frayeur
La douceur des briques anciennes
longeant la rivière animée
par les efforts des avirons
les étudiants fourmis pressées
filant de collège en collège
de bibliothèque en musée
profitant d’années de sursis
avant d’entrer dans les affairesLes traces des luttes anciennes
pour une vie débarrassée
des caprices des rois régnant
de l’autre côté de la mer
cherchant à retrouver l’éclat
plutôt argenté que doré
d’une république romaine
avant les dérives d’empireLe port et ses bateaux anciens
les cerisiers couvrant l’asphalte
de milliers de pétales blancs
après la moindre giboulée
des oiseaux prenant leurs escales
lors des migrations printanières
sur les plages des archipels
et parmi les roseaux des lacsLa longueur des phrases anciennes
dans les récits des baleiniers
explorateurs des mers du Sud
les romans peuplés de sorcières
et de fantômes élégants
vêtus de robes à tournure
tandis que les impressionnistes
ouvrent les yeux des symphoniesL’appel des avenirs anciens
lorsque le progrès scintillait
aux grilles des siècles prochains
dans les illusions éblouies
avant le sentiment d’un globe
devenant bientôt trop étroit
ayant dilapidé son bien
comme un héritier sans scrupuleLa ferveur d’un bonheur ancien
qui se faufile malgré tout
en diversifiant ses visages
en effeuillant les nombreux voiles
qui risquent de le recouvrir
mais résistant rajeunissant
affinant encore et toujours
l’acuité de l’oeil et l’oreillePersistance d’un coeur ancien
qui bat dans les amours des jeunes
et des vieux qui veulent transmettre
les trésors qu’ils ont amassés
que ce soit archéologies
utopies ou mathématiques
la cuisine ou le jardinage
les voyages ou les rencontresEt sur l’aéroport ancien
on nous fait quitter nos chaussures
pour vérifier que nous n’avons
nul explosif dans nos talons
nous nous souvenons de l’époque
où prendre un avion signifiait
déclaration d’indépendance
cela reviendra bien un jour
Dans certains dessins les gouttes recouvrent toute l’écriture. Celles qui sont faites les yeux fermés giclent sur les autres. Les mots sont noyés ? Seuls quelques jambages émergent; c’est comme s’ils essayaient de nager éperdument pour survivre à l’inondation, parvenir à quelque plage blanche. Mais dans d’autres cas le texte s’isole. On a l’impression qu’il est en relief, que les billes liquides ruissellent sur lui pour s’accumuler en bassins ou canaux. Il se présente comme un archipel plus ou moins battu par les flots.On le lit alors assez clairement, même s’il est dans une écriture de brouillon rapide, à l’origine à mon seul usage, très différente de mon écriture actuelle que la pratique du livre manuscrit a considérablement assagie pour parvenir au maximum de lisibilité, celle dans laquelle, par exemple, j’ai recopié cette page. Mais cela ne me facilitait pas beaucoup les choses en ce qui concerne leur identification.
Finalement je constate qu’il s’agit de travaux préliminaires pour le livre d’artiste publié avec Camille Bryen en 1973 : Querelle des États, cinq triptyques ou contes de fées en poudre, petit monument à Charles Perrault, intégralement repris dans Envois avec quelques explications. Je vois que les premiers essais utilisent certains aspects d’Une chanson pour Don Juan, poème mobile dont une première réalisation parut en 1972 avec Ania Staritsky; mais c’est surtout le poème Perle publié d’abord en carte postale, sans doute déjà en 1972, mais dont je n’ai pas réussi à retrouver un exemplaire, puis repris en sept versions différentes en 1976 dans Illustrations IV.
Les feuilles doivent avoir conservé à peu près l’ordre dans lequel elles avaient été brouillonnées, car les références aux contes de Perrault deviennent de plus en plus précises. Mais il y a eu un moment où je suis parti dans une direction tout autre, décidant de procéder par un montage de citations, si bien qu’il ne reste que peu de traces de ces tentatives dans le texte définitif. La pluie de Jean-Luc a matérialisé les ratures de l’oubli.
Les souvenirs fraient leurs sentiers
dans l’embrouillamini des drains
allégeant de phosphorescences
la solitude médicaleGoutte à goutte la mélodie
des jours anciens reconstitue
les paysages engloutis
dans la sépulture du siècleMon pauvre corps que te voilà
percé malmené suturé
te reste-t-il une région
où fonctionner normalementMais j’ai confiance en tes ressources
pour sauter de l’autre côté
de cette fêlure stridente
sur le clavier de mes annéesC’est une basse qui s’ajoute
aux trilles des générations
qui nous suivent sans se douter
de ce qui va leur arriverNous-mêmes savions encor moins
pataugeant dans nos illusions
qui se réveillent assainies
dans l’aube de convalescenceSur mon navire de souffrances
où j’étais ficelé au mât
dont la hune me nourrissait
j’aborde au quai de guérisonInfirmières dont les sourires
et les pansements délicats
charmaient ma réanimation
conservez ma reconnaissanceEt vous anges d’apocalypse
trouverez-vous sous vos scalpels
quelque indice pour apaiser
les maladies de la planèteQuant à moi je cherche un silence
pour y cultiver les échos
d’une récupération douce
dans le point d’orgue de l’espoir
Chers amis de grande richesse
que je ne connais pas encore
richesse parfois bien cachée
sous des fins de mois difficile
je voudrais pouvoir visiter
vos ateliers faire avec vous
des livres affiches estampes
qui sait quand ce sera possible ?
mais l’âge n’est pas une excuse
puisque boire un verre avec vous
serait un rajeunissement
au détour d’une année ou l’autre
une lucarne s’ouvrira
qui me permettra de sauter
parmi des cieux un peu plus calmes
jusqu’à votre hospitalité
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