Poésie au jour le jour 39
(enregistré en novembre 2014)
LES
CHARMEUSES DE SERPENTS
en l’honneur d’Henri Rousseau dit le Douanier
1Les respirations
les couleurs des feuilles
osciller couler
les odeurs du soir
inlassablement
les bruits des torrents
une aile frémitJuvénile
Elle apparaît à l’ombre des rameaux et des cascadesLes parfums des fleurs
les inspirations
les mouvements lents
palpiter dormir
les cris dans les branches
une aile s’éveille
murmures du ventAttentive
Elle cherche le bleu du ciel à travers la clairièreDiamants émeraudes
les passages sombres
les déclarations
les écorces sèches
une aile s’envole
les rameaux de gueules
délicieusementVive
Elle est la moelle ténébreuse dans la flamme du crépusculeLes épines vives
cajoler siffler
les venins subtils
une aile s’enflamme
corolles et crocs
appeler partir
les pistils gluantsDouce
Elle encourage les spores sous les fougèresChaleureusement
étamines longues
une aile s’embrase
les grognements sombres
les accouplements
grondements d’entrailles
voler souleverFière
Elle commande aux germinationsLes taches de ciel
une aile s’enrage
ocelles moustaches
bramer éclater
fourrures et cornes
les accouchements
pelages de nuagesGracieuse
Elle danse autour du gouffreUne aile triomphe
les soupirs d’espoir
audacieusement
les baisers la nuit
glapir grésiller
silences grimaces
les dévorationsDiscrète
Elle passe inaperçueCascades festins
une aile s’enivre
fourrés dangereux
subrepticement
les ombres des loups
roucouler râler
les ténèbres vertesDélicate
Elle est prise d’une faiblesse ou d’une éclipseLes explorations
les accords profonds
une aile s'enchante
racines crevasses
solennellement
cavernes repaires
piailler jacasser
Imperturbable
Elle est le rêve des chasseursTremblements des lianes
les admirations
bondissements fauves
une aile se lasse
les terreurs nocturnes
musicalement
les couleurs du ventTournoyante
Elle arrive de l’autre côté du nuageSe terrer se taire
les odeurs du feu
les stupéfactions
les bruits des ravages
une aile dérive
les parfums du sol
instantanémentLasse
Elle déplore sa solitudeMouvements très lents
renifler ronfler
les cris dans les herbes
les éloignements
les murmures tendres
une aile descend
passages de cornesMajestueuse
Elle pose pour l’allégorie de la véritéVoluptueusement
clairières babines
les queues et les dents
les écorces grises
les interdictions
les rameaux rubis
une aile s’endortRapide
Elle abandonne le belvédère aux explorateurs d’autres continents
2Une aile est visée
amoureusement
les venins sournois
les cous et les griffes
corolles volutes
les générations
les pistils brillants« Je ne sais pas si vous êtes comme moi, me dit-il, mais quand je pénètre dans ces serres et que je vois ces plantes étranges des pays exotiques, il me semble que j'entre dans un rêve ! Je me sens moi-même un tout autre homme... »
Ruser parcourir
une aile est touchée
momentanément
les grognements noirs
les becs et les serres
les grondements secs
les pénétrationsSuave
Elle interroge l’homme invisible dans sa coquilleLes taches de sang
chercher farfouiller
une aile est blessée
progressivement
les fourrures grises
fumées étincelles
pelages de feuNacrée
Elle s’offre aux fantômes des broussaillesLes écorchements
les soupirs d’amour
secouer charmer
une aile est en sang
minutieusement
les silences rouges
tonnerres oragesAlanguie
Elle récapitule les événements de la nuit passéeCascades coquilles
les respirations
les fourrés menteurs
tourner secourir
une aile fiévreuse
volcans projections
ténèbres vertigesAbandonnée
Elle attend que des feux s’allumentTornades cassures
accords préparés
les inspirations
racines ténues
brasiers craquements
une aile guérit
éruptions couléesAudacieuse
Elle entre dans les jardins de la falaise où se répondent les oiseauxTremblements de lueurs
anges musiciens
bondissements d’orgues
les déclarations
terreurs feulements
incendies paniques
une aile atterrit« J'avais déjà 42 ans quand j'ai touché pour la première fois un pinceau... »
Flaques fondrières
les odeurs du vent
dryades et muses
les bruits des halliers
les rapprochements
une aile s’étire
osciller coulerNonchalante
Elle plane sur des armadas de montagnesLes mouvements souples
échos et rumeurs
les cris étonnés
vibrations messages
une aile repart
les accouplements
les passages d’angesRenversée
Elle revient de loinPalpiter dormir
les clairières douces
inlassablement
une aile remonte
éventails couronnes
rameaux cavalcades
les accouchementsIntriguée
Elle constate que l’homme invisible impalpable est toujours làLes épines blanches
veiller retentir
une aile s’exerce
monotonement
corolles satyres
diamants émeraudes
les pistils humidesSoigneuse
Elle se prépare au prochain voyageLes dévorations
une aile escalade
appeler partir
grognements divers
délicieusement
grondements soudains
cajoler sifflerUne aile éblouit
les explorations
ocelles antennes
voler soulever
fourrures jaspées
chaleureusement
les pelages tendres
3Rugir détaler
soupirs affamés
les admirations
baisers colonnades
manger s’écrouler
les silences blancs
une aile soyeuseÉclatante
Elle apparaît dans l’explosion miroirique d’un tas de caillouxLes cascades rousses
bramer éclater
les fourrés charmeurs
les stupéfactions
les ombres errantes
une aile moirée
ténèbres crissantesSongeuse
Elle parcourt les pierriersAudacieusement
les accords lunaires
glapir grésiller
racines tordues
une aile changeante
les cavernes rouges
fleurir se fanerInquiète
Elle se laisse modeler par des mains suppliantesTremblements reculs
subrepticement
bondissements rouille
une aile arc-en-ciel
les terreurs de l’aube
les interdictions
les couleurs de mortCurieuse
Elle jette un coup d’oeil sur la scèneGermer et vieillir
les odeurs de vase
une aile brillante
les bruits du matin
piailler jacasser
les parfums violents
les générationsRassurée
Elle prend de plus en plus d’indépendanceLes mouvements brusques
une aile ocellée
les cris de petits
musicalement
murmures salives
se terrer se taire
passages de nuagesConsciencieuse
Elle répond aux questionsLes pénétrations
les clairières bleues
une aile tremblante
les écorces claires
instantanément
les rameaux de pourpre
renifler ronflerPrudente
Elle écoute l’appel de ses soeurs sirènesLes épines rouges
une aile dansante
les venins mortels
déployer saisir
corolles et nymphes
voluptueusement
les pistils luisantsNostalgique
Elle se remémore les airs d’antanLes queues et les dents
les cous et les griffes
une aile égarée
les grognements blonds
ruser parcourir
grondements d’orgueil
amoureusementFougueuse
Elle s’apprête à prendre son essorLes taches de suie
les cous et les griffes
ocelles miroirs
une aile exaltée
fourrures poitrails
chercher farfouiller
les pelages d’ocreObstinée
Elle résiste aux tentationsMomentanément
soupirs assoiffés
les becs et les serres
les baisers rapides
une aile qui plonge
les silences verts
secouer presserTranquille
Elle se repose un instantCascades geysers
progressivement
les fourrés sensibles
fumées étincelles
ombres fugitives
une aile qui freine
les ténèbres pourpresSereine
Elle reprend son chemin difficileTourner secourir
les accords futurs
minutieusement
les racines grêles
tonnerres orages
les cavernes rousses
une aile se poseVictorieuse
Elle s’enfonce dans la paroi
4
Une aile cuivrée
brasiers craquements
bondissements d’eaux
volcans projections
les terreurs paniques
tornades cassures
les couleurs du sang« Toujours, je vois un tableau avant de le faire – même quand il est très compliqué. Seulement, pendant que je le fais, je trouve des choses qui moi-même me surprennent et me causent beaucoup de plaisir. »
Les accouchements
une aile rieuse
incendies panique
les bruits inquiétants
éruptions coulées
parfums électriques
anges musiciensSombre
Elle revêt son plumage d’hiverMouvements divers
les dévorations
une aile curieuse
osciller couler
murmures velours
flaques fondrières
passages de fauvesAguichante
Elle nous invite dans sa grotte azuréeDryades et muses
clairières peuplées
les explorations
une aile joueuse
palpiter dormir
les rameaux humides
échos et rumeursPudique
Elle emprunte ses braises aux refroidissementsÉpines sanglantes
vibrations messages
venins délicieux
les admirations
une aile séduit
veiller retentir
pistils tentationsConquérante
Elle lance un pont sur les crevassesInlassablement
étamines fières
éventails couronnes
grognements d’amour
les stupéfactions
une aile s’approche
appeler partirMaternelle
Elle part à la recherche des enfants égarésTaches de rousseur
monotonement
ocelles saphirs
diamants émeraudes
une aile rougit
les éloignements
pelages de sableVoler soulever
soupirs d’amertume
délicieusement
baisers dans la mousse
cajoler siffler
une aile soupire
les interdictionsÉlégante
Elle s’expose aux caresses de l’aubeCascades sanglantes
nager s’écrouler
fourrés d’allégresse
chaleureusement
une aile s’étend
rugir détaler
ténèbres et gouffresRieuse
Elle fait germer les stalactitesLes générations
les accords brisés
s’ouvrir se fermer
une aile caresse
délicatement
cavernes velours
bramer éclaterEspiègle
Elle nous installe un lit de frissonsTremblements de fièvre
les pénétrations
une aile frôleuse
fleurir se faner
les terreurs soudaines
audacieusement
couleurs de l’éveilSecrète
Elle disparaît dans le tain du soirGlapir grésiller
une aile songeuse
les écorchements
les bruits des massacres
germer et vieillir
parfums de la nuit
subrepticement« J'aurais voulu entrer dans un atelier à l'École des Beaux-Arts. Mais à quarante-deux ans j'avais déjà dépassé la limite d'âge. J'allai à tout hasard montrer mes premiers essais à Monsieur Gérôme, à qui je dis que j'étais élève de moi-même, mais que je serais fier d'avoir de ses avis. »
Une aile survit
roucouler râler
cris dans la savane
les respirations
murmures de flûtes
aimer et mourir
passages de fleurs
5Solennellement
clairières charmées
piailler jacasser
écorces d’encens
les inspirations
rameaux oriflammes
une aile en naissance« Vous avez un coup de pinceau très hardi, me répondit-il. Retournez chez vous et observez attentivement la nature. Quant à des conseils, je vous en donnerai tant que vous en voudrez. »
Épines pincées
musicalement
les venins qui sauvent
se terrer se taire
corolles vibrantes
une aile en enfance
les pistils émusMélodieuse
Elle déchiffre la partition inscrite au revers des écorces briséesDéployer saisir
étamines vives
instantanément
grognements de cuivre
une aile en croissance
grondements de sistres
les rapprochementsExcitante
Elle fait s’épanouir les rameaux en éventails dans les armoires des fourrésLes taches de miel
ruser parcourir
ocelles mouvantes
une aile en nuances
fourrures liquides
les queues et les dents
pelages de nuitÉnigmatique
Elle ignore qu’elle est nueLes accouplements
une aile en vacances
chercher farfouiller
baisers cavalcades
amoureusement
silences complices
les cous et les griffesInnocente
Elle n’est pas nue d’ailleurs il n’y a que nous qui la voyons nueCascades furieuses
les accouchements
une aile en puissance
secouer et presser
les ombres propices
momentanément
ténèbres d’asileNaïve
Elle croit que l’explorateur ne la voit pasUne aile en jouissance
les accords des plumes
les dévorations
racines tressées
tourner secourir
cavernes sonores
progressivement« Je pus être reçu au salon avec une « Danse italienne » et un « Coucher de Soleil ». L'année d'après j'envoyai un « Soir de carnaval » et un « Coup de tonnerre ». J'avais été, paraît-il, proposé pour une deuxième médaille; on ne me le disait pas; on voulait me faire une surprise. Mais il y avait un autre Rousseau qui vient me trouver et me dit : « ce n'est pas vous qui l'aurez, la médaille. C'est moi, je suis très riche et j'ai des protections ». Mais là-dessus le ministère Fallières tomba et cette médaille ne fut pas donnée. »
Tremblements soudains
fumées étincelles
une aile en mouvance
les explorations
terreurs solitudes
brasiers craquements
couleurs du désastreIntéressée
Elle monte d’interminables sentesMinutieusement
une aile en errance
tonnerres orages
les bruits de la pluie
les admirations
parfums des éclairs
incendies paniqueDétendue
Elle ne cherche pas à intriguer les chasseursMouvement des cornes
inlassablement
cris de retrouvailles
une aile en souffrance
murmures des feuilles
les stupéfactions
passages de lyresRêveuse
Elle s’imagine que l’explorateur est assis en face d’elle et lui essaie toutes sortes de paruresOsciller couler
clairières liquides
monotonement
écorces de cuir
une aile en patience
rameaux surchargés
les éloignementsDésabusée
Elle s’aperçoit que l’explorateur est redevenu invisible et qu’il ne reste plus que ses vêtements et encore pour quelques instantsÉpines mâchoires
palpiter dormir
venins jaillissant
délicieusement
corolles nombrils
une aile en partance
les pistils offerts« Lorsque j'appris la fondation des indépendants, j'allai trouver le président qui était alors le capitaine de gendarmerie Dubois-Pillet. Je me fis expliquer cette institution, et comme elle me plut, j'y entrai et je renonçai au Salon officiel. En somme, c'est la plus belle Société; c'est la Société la plus légale, puisque tout le monde y a les mêmes droits. »
Les interdictions
étamines douces
veiller retentir
grognements partout
chaleureusement
grondements des antres
une aile en absence
6
Une aile en métal
les générations
ocelles moirées
appeler partir
fourrures givrées
délicatement
pelages d’ébèneFragile
Elle sort de l’oeuf au pied des cascadesDiamants émeraudes
une aile en miroirs
les pénétrations
baisers de serpents
voler soulever
silences de plumes
audacieusementInsinuante
Elle part à la découverteCascades mousseuses
cajoler siffler
une aile en rayons
les écorchements
ombres en détresse
manger s’écrouler
ténèbres heureusesEntreprenante
Elle sait qu’aucun piège ne lui résisteraSubrepticement
accords des ramages
rugir détaler
une aile en écailles
les respirations
cavernes refuges
s’ouvrir se fermerAutoritaire
Elle a captivé sa première victimeTremblements de gongs
solennellement
bondissements fuites
bramer éclater
les terreurs vaincues
une aile éventail
les couleurs de l’aubeIngénieuse
Elle identifie le campement de celui-ciFleurir se faner
les odeurs des peaux
musicalement
les bruits dans les antres
une aile en étoile
les parfums des fleuves
les déclarationsTransparente
Elle remplace toutes les fenêtres pour luiMouvements d’ensemble
germer et vieillir
cris dans les roseaux
instantanément
murmures partout
roucouler râler
une aile amoureuseExploratrice
Elle descend jusqu’aux marais qui longent le lacLes rapprochements
clairières noyées
aimer et mourir
écorces brûlées
une aile vibrante
rameaux imbibés
piailler jacasserMéditative
Elle se hâte vers la révélation de sa natureÉpines tremblantes
les accouplements
venin goutte à goutte
lécher mordiller
corolles de lèvres
une aile en émoi
pistils en attenteStupéfaite
Elle comprend qu’elle est l’une des parquesSe terrer se taire
étamines droites
les accouchements
une aile en détresse
déployer saisir
grondements d’ivresse
momentanémentFunèbre
Elle hésite quelque temps entre racines et dallesTaches de lichens
renifler ronfler
une aile rouillée
les dévorations
fourrures fougères
ruser parcourir
pelages ramagesMoissonneuse
Elle a terminé sa gerbeProgressivement
une aile souillée
les queues et les dents
les baisers timides
les explorations
silences d’attente
chercher farfouillerImpitoyable
Elle se refuse à enregistrer les plaintesUne aile perdue
minutieusement
fourrés indigo
les cous et les griffes
ombres agitées
les admirations
ténèbres mouvantesAssouvie
Elle se referme comme un coquillage
7Secouer et presser
accords en suspens
inlassablement
racines et baves
les becs et les serres
cavernes vivantes
une aile en ivoireBoudeuse
Elle refuse de monter jusqu’au belvédèreTremblements frissons
tourner secourir
bondissements chutes
monotonement
les terreurs exquises
une aile en ébène
les couleurs des nuagesPerplexe
Elle ne connaît que trop ces moutonnements de broussaillesLes éloignements
les odeurs musquées
brasiers craquements
les bruits des galops
une aile de perles
les parfums des sèves
tonnerres oragesRésignée
Elle se décideMouvements reptiles
les interdictions
les cris de fureur
une aile en corail
murmures d’abeilles
chaleureusement
passages de plumesSurprise
Elle arrive dans une caverne imprévueTornades cassure
une aile en silex
les générations
écorces de flammes
osciller couler
rameaux déployés
délicatementInterrogative
Elle aperçoit son double dans le ravinÉpines ergots
anges musiciens
une aile en argent
les pénétrations
corolles d’écume
palpiter dormir
les pistils secretsIntime
Elle parle avec son double qui l’a rejointe dans la caverne par l’intermédiaire de la flaqueUne aile de harpe
étamines frêles
dryades et muses
grognements rageurs
les écorchements
grondements vengeurs
veiller retentirFringante
Elle chevauche son double qui est devenu un léopardTaches de résine
subrepticement
une aile tremblante
vibrations messages
fourrures crinières
les respirations
pelages de selÉlancée
Elle est devenue léopard et son double sort de la caverneAppeler partir
une aile angoissée
solennellement
baisers frottements
éventails couronnes
silences de palmes
les inspirationsMinérale
Elle rampe et s’écrase devenant cailloux et moussesCascades torrents
voler soulever
fourrés et ravins
une aile sirène
les ombres des rocs
diamants émeraudes
ténèbres de soieSoucieuse
Elle redevient son double pour attendre son propre retourLes déclarations
accords instinctifs
manger s’écrouler
racines dentelles
une aile d’automne
cavernes matrices
cajoler sifflerLiquide
Elle coule parmi les roseauxTremblements lunaires
les rapprochements
bondissements voûtes
s’ouvrir se fermer
terreurs vespérales
une aile d’argile
les couleurs des nidsRapprochée
Elle se réincorpore son doubleRugir détaler
odeurs des poissons
les accouplements
les bruits des combats
fleurir se faner
parfums capiteux
une aile de cendresNocturne
Elle réfléchit à son aventure rechignant encore à monter jusqu’au nouveau belvédère
8Une aile de neige
bramer éclater
les cris dans les nids
les accouchements
murmures poussières
germer et vieillir
passages d’insectes« Puvis de Chavannes m'a dit : « Monsieur Rousseau, je n'aime pas en général le coloris criard que l'on voit ici aux Indépendants, mais j'aime beaucoup le vôtre, parce qu'il est juste ».
Momentanément
une aile de froid
glapir grésiller
écorces tisons
les dévorations
rameaux embrasés
aimer et mourirFraîche
Elle germe dans la fissure d’un rocherÉpines de flammes
progressivement
une aile de vent
roucouler râler
corolles festins
les explorations
les pistils tremblantsVégétale
Elle s’étale comme un lichen sur le granitLécher mordiller
étamines foudres
minutieusement
une aile de sel
piailler jacasser
grondements éclairs
les admirationsSouriante
Elle dresse la tête comme une fleur de montagneLes taches de boue
déployer saisir
ocelles mercure
inlassablement
fourrures aigrettes
se terrer se taire
une aile de houleGrave
Elle s’enfonce comme une racine dans le ravinLes stupéfactions
soupirs enlacés
ruser parcourir
les baisers volés
une aile de roc
silences cristaux
renifler ronflerSomnambule
Elle descend les marches des intempériesCascades falaises
les éloignements
fourrés vibratiles
chercher farfouiller
ombres menaçantes
une aile marine
les ténèbres fraîches« Henri Rousseau me fit lire sur une petite planchette dorée, semblable à un feuillet de manuscrit tibétain, l'« explication » du tableau qu'il avait préparée pour accrocher sous le cadre :
« Yadwigha dans un beau rêve
s'étant endormie doucement
entendait les sons d'une musette
dont jouait un charmeur bien pensant.Pendant que la Lune reflète
sur les fleurs les arbres verdoyants
les fauves serpents prêtent l'oreille
aux airs gais de l'instrument. »Les queues et les dents
les accords vibrants
les interdictions
racines salubres
une aile d’écume
cavernes lactées
chaleureusementCapiteuse
Elle arrive dans un campement silencieuxTremblements éclats
les cous et les griffes
bondissements secs
les générations
terreurs et fureurs
tourner secourir
une aile en silenceFéline
Elle est accueillie par la fourrure des souvenirsDélicatement
odeurs des étangs
les becs et les serres
une aile d’alcool
les pénétrations
les parfums poivrés
brasiers craquementsInfatigable
Elle parcourt en vain toutes les cases toutes les caches à la recherche d’un semblable mais qui soit tout différentMouvements des reins
audacieusement
une aile d’hiver
fumées étincelles
murmures des flots
les écorchements
passages des torchesVespérale
Elle sait qu’elle est seule dans ce campement et attend que des hommes viennent attirés par le gong qui sonne à toute voléeIncendies panique
une aile de ciel
subrepticement
écorces fissures
tonnerres orages
rameaux étendards
les respirations« Mais ce qui me rend le plus heureux encore que tout, c'est de contempler la nature et de la peindre. Croiriez-vous que quand je vais à la campagne, et que je vois ce soleil, cette verdure, ces fleurs, je dis parfois : « C'est à moi tout ça ! » C'est tout de même un peu hardi à moi, hein ? »
Un véritable bonheur enfantin éclate alors dans le rire de ces vieux regards.
Unique interview d'Henri Rousseau par C. Alexandre, dans « Comoedia », le 19 mars 1910 »
Une aile d’espace
osciller couler
venins et vapeurs
solennellement
corolles et grappes
tornades cassures
pistils en émoi
9Une aile s’endort
les rameaux rubis
les interdictions
les écorces grises
les dents et les queues
babines clairières
voluptueusementIndustrieuse
Elle examine son domaine de hantisePassages de cornes
une aile descend
les murmures tendres
les éloignements
les cris dans les herbes
ronfler renifler
mouvements très lentsImploratrice
Elle fait converger vers son ventre les tensions des maîtresses branchesInstantanément
les parfums du sol
une aile dérive
les bruits des ravages
les stupéfactions
les odeurs du feu
se taire et terrerSorcière
Elle convoque par ses charmes les luttes coloniales d’antanLes couleurs du vent
musicalement
les terreurs nocturnes
une aile se lasse
bondissements fauves
les admirations
tremblements des lianesÉloquente
Elle concentre en elle leurs revendicationsJacasser piailler
repaires cavernes
solennellement
crevasses racines
une aile s’enchante
les accords profonds
les explorationsMarmoréenne
Elle monte sur la souche et fait tourbillonner les feuilles mortesLes ténèbres vertes
râler roucouler
les ombres des loups
subrepticement
fourrés dangereux
une aile s’enivre
festins et cascadesCalculatrice
Elle rétablit les communications avec les astresLes dévorations
grimaces silences
grésiller glapir
les baisers la nuit
audacieusement
les soupirs d’espoir
une aile triomphePerturbatrice
Elle fait exploser les réservoirs d’essencePelages de nuages
les accouchements
cornes et fourrures
éclater bramer
moustaches pupilles
une aile s’enrage
les taches de cielChorégraphe
Elle devient phosphorescenteSoulever voler
grondements d’entrailles
les accouplements
les grognements sombres
une aile s’embrase
étamines longues
chaleureusementPassionnée
Elle écoute le glas des décenniesLes pistils gluants
partir appeler
défense et corolles
une aile s'enflamme
les venins subtils
siffler cajoler
les épines vivesMéticuleuse
Elle tresse les gémissements du vent dans les chevelures des moussesDélicieusement
les rameaux de gueules
une aile s’envole
les écorces sèches
les déclarations
les passages sombres
turquoises diamantsPuissante
Elle pétrit les troncs et les consolideMurmures du vent
une aile s’éveille
les cris dans les branches
dormir palpiter
les mouvements lents
les inspirations
les parfums des fleursInspiratrice
Elle se mire dans l’eau disparueUne aile frémit
les bruits des torrents
inlassablement
les odeurs du soir
couler osciller
les couleurs des feuilles
les respirationsEffervescente
Elle s’escamote dans un envol de paradisiers
La harpeEntre les cordes de son aile
introduisant ses doigts de fée
pour coudre un vêtement de cygne
qui l’emportera jusqu’aux cieux*
Le violon
L’archet comme le vent réveille
le vibrato des frondaisons
où les harmoniques disposent
une population d’oiseaux
L’alto
Joue contre joue pour le tango
des savanes sentimentales
où la vallée s’approfondit
pour les remous du confluent
Le violoncelle
Le manche est devenu le mât
les cordes gréement et les voiles
où s’engouffrent les alizés
miment le mouvement des vagues
La contrebasse
Le tronc s’alourdit en futaille
pour accueillir la gestation
des lézards antédiluviens
qui font tressaillir les racines*
La flûte
Les doigts en palpant le roseau
attirent toutes les écailles
qui palpitent à la surface
pour s’incarner dans les poissons
Le hautbois
Une menue langue déguste
une chanson de chèvrefeuille
alcoolisant la rosée
qui dégouline des écorces
La clarinette
Redescendant de sa montagne
allemande ou grecque un berger
a inclus le nasillement
de ses chèvres dans son bâton
Le cor anglais
Se faufilant entre les branches
sa massue apporte l’écho
des naissances dans les broussailles
et des idylles des marais
Le basson
Le bûcheron du bois sacré
a rassemblé tous ses outils
pour en sculpter une béquille
étayant sa longévité
Le contrebasson
Allant chercher l’arrachement
dans les fibres des plus grands arbres
sceptre des ricanements sourds
dans les souterrains des fantômes*
Le luth
Dans les jardins des cours d’amour
andalouses ou provençales
élisabéthaines saxonnes
une rosée d’or sur les feuilles
La mandoline
Trille d’un rossignol d’écaille
sous la lessive qui s’égoutte
entre deux façades qui donnent
sur les vignobles du Vésuve
La guitare
Sur le genou pour inspirer
les natures mortes cubistes
et les feux de camp du Far-West
accompagnés par les coyotes
La cithare
Sur les rivages du Danube
las au lendemain d’une guerre
valsent les démobilisés
pour chasser leurs appréhensions
Le clavecin
La machine à coudre céleste
surfile plumage et ramages
pour imaginer le costume
qui conviendra pour son menuet
Le koto
Sur la terrasse au clair de lune
les doigts se dégagent des manches
de lourd brocart pour chatouiller
la moelle épinière de nacre
La lyre
Penché sur l’éventail des cordes
l’aède ou le griot varie
les incantations ancestrales
se rajeunissant avec lui*
Le piano
Sur le dallage titubant
d’ivoire et d’ébène les doigts
entrecroisent leurs galopades
en allumant des chandeliers
Le célesta
Vitre engendrant corail et nacre
pour les fenêtres minuscules
du palais de la nuit d’été
où Titania berne Obéron
L’orgue
Élégiaque ou tonitruant
sur les marches du pédalier
dans la futaie de ses tuyaux
faisant trembler vitraux et portes
L’accordéon
Réveillant les vieilles javas
dans les faubourgs des capitales
pour faire danser les bistrots
tandis que grincent les tramways
Le limonaire
Père de l’enregistrement
déployant ses ailes de trous
stable au milieu du mouvement
du manège où les enfants rient
Le lithophone
L’oracle n’a pas su répondre
aux questions de son empereur
il faut donc forcer les esprits
à traverser le gué sonore
Le gamelang
Des bracelets sur la cheville
de l’apsara qui se déhanche
descendant les marches du ciel
pour aider l’avatar souffrant*
Le cor
Appel enchanté du jeune homme
chevauchant dans la forêt noire
salut pour le chasseur maudit
comme un des anneaux du gymnaste
La trompette
Dans la jungle ou dans la fanfare
les pavillons éblouissants
lancent leurs feux ou leurs sourdines
pour ouvrir les cérémonies
Le trombone
Dans les méandres des pistons
ou les sirènes des coulisses
il fouille sous-bois et cavernes
flairant joyaux ou minerais
Le tuba
Le vent s’engouffre dans les soutes
du navire dont les cordages
s’enroulent autour des pistons
et des cheminées évasées
Le saxophone soprano
Tambour-major aérien
menant la danse et la romance
fontaine où boivent les oiseaux
dans les ombres du vieux quartier
Le saxophone alto
Hamac pour l’écoute nocturne
des gondoles sur les canaux
main de fer en gant de velours
pour hisser chargements d’épices
Le saxophone ténor
Comme l’urne du népenthès
engloutissant dans son oubli
les démangeaisons vénéneuses
pour nous vivifier corps et âme
Le saxophone baryton
Dinosaure levant la tête
sur les fougères balancées
par les séismes célébrant
la dérive des continents
*
La vielle
Le ménétrier quémandeur
engrène sa roue à la ronde
des jeunes gens du temps passé
dont la chevelure a blanchi
L’harmonica
Avec ses petites chandelles
chacune dans son alvéole
notre bouche multipliée
fait moduler l’essaim d’insectes
La cornemuse
Sous le coude qui apprécie
les respirations en réserve
l’outre change l’haleine en cidre
sous les rubans entrelacés*
Le vibraphone
La piste d’un aéroport
où rebondissent les grêlons
d’une tempête tropicale
tandis que claquent les fanions
Le marimba
Le pont de lamelles franchit
le torrent de la forêt vierge
où sous les champignons de chaume
on combine les cris des fauves
Les maracas
Dans la cité du carnaval
les poignets battent le rappel
des orishas venus d’Afrique
pour délivrer les prisonniers*
Les timbales
En apprivoisant le tonnerre
qui se roule entre les vallées
les deux hémisphères capturent
la précession des équinoxes
Le tambour
Sur l’esplanade du pueblo
entre les maisons de pisé
par l’échelle des battements
les dieux quittent leur arc-en-ciel
La cymbale
Comme un tournesol débordant
qui ne peut retenir ses graines
sous les javelots de midi
qui font vibrer tout l’horizon
Le gong
Entre les deux longues colonnes
d’idéogrammes la fumée
d’encens monte jusqu’au sourire
pour répondre en larges volutes
Le triangle
Délicatement obstiné
il découpe dans le vacarme
tel un scalpel de chirurgien
la géométrie des soupirs
Le carillon
Toutes les cloches de la ville
veulent sonner en même temps
mais il faut du temps pour l’espace
c’est ainsi que naît le canon
Le sistre
Se détachant des inscriptions
des grandes salles hypostyles
il dirige les crissements
des crotales et des scorpions*
Le didjeridoo
C’est le meuglement de la terre
rouge parsemée de bosquets
d’eucalyptus et mimosas
où bondissent les kangouroos
Le shamisen
Les clefs comme de longues boucles
de ruban noir pour terminer
la queue de chat que vient griffer
le plectre de la ponctuation
La guimbarde
L’enseigne de persévérance
dans la foire des bruits nouveaux
reprenant après chaque obstacle
jusqu’à l’apaisement final
Je reçois une lettre me demandant quelques dessins, ce qui me flatte; ainsi la plupart des peintres aiment qu’on s’intéresse à leurs textes. Il s’agit de rassembler des dessins d’écrivains. Pour marquer le coup, le mieux n’est-il pas de reprendre l’idée des brouillons brouillés. Il y a bien longtemps que je n’en ai pas fait; je crois que la plupart datent de mon séjour à Berlin en 1964. Cela fait plus de 40 ans. Voilà qui va nous rajeunir.Il y a des impératifs pour les formats qui ne correspondent pas à ceux dont je me sers en général. Le premier travail doit donc être de découper à l’intérieur des feuilles A4. Encore faut-il que ces dactylographies périmées s’adaptent suffisamment, car il est préférable de conserver au texte une certaine lisibilité sous les strates qui vont le recouvrir. Comme il s’agit de rectangles allongés verticalement, j’opte pour des morceaux de tables des matières provenant de recueils poétiques récents.
Pour pouvoir laisser suffisamment libre cours à l’imagination de la main, je préfère signer tout à l’avance avec un crayon gris. Il me suffira donc d’éviter soigneusement cette région identificatrice.
L’un de ces dessins, de format de plus petit que les autres, doit être reproduit dans la revue. Le laisser en noir et blanc facilitera les choses. J’utilise donc un gros feutre qui m’avait servi pour écrire sur de grandes toiles de Georges Badin, mais le résultat me semble trop simple et j’agrémente avec un stylo-pinceau japonais à l’encre de Chine.
Pour les autres destinés à agrémenter le tirage de tête, je m’aventure délicieusement dans la couleur. Ce sont des rayures au feutre qui s’entrecroisent avec d’autres d’une teinte différente. A Berlin justement un marchand de tableau m’avait fait découvrir des oeuvres de Piero Dorazio qui m’avaient profondément intéressé. J’avais passé quelques après-midi à m’exercer selon ses procédés. De quel loisir je disposais encore ! Ce sont donc les souvenirs de cette époque que mes filets ramènent comme des poissons.
Le difficile dans ces recherches, c’est de savoir quand s’arrêter. On voudrait ajouter une autre couche, puis une autre encore. Il est vrai qu’en général le résultat est amélioré; c’est comme un pré qui se met à fleurir. Mais parfois on arrive à des cafouillages qui sont des impasses, car il est impossible de revenir en arrière. Il faudrait en faire beaucoup plus, expérimenter, jeter à la corbeille la plupart de ces essais, ne retenir que ce qui semble à peu près réussi. Mais cela prend beaucoup de temps. C’est une vie que la peinture, même la plus modeste. Or pour moi le moment est très mal choisi; je suis dans une période de harcèlement particulièrement dense.
Quand j’ai pris ma retraite à l’université de Genève en 1991, mes collègues bien inspirés m’ont offert une boîte d’aquarelle. Il est vrai que j’avais très envie de m’y remettre, comme à la photographie et bien d’autres choses, mais cela n’a pas été possible. J’ai vu que cela marchait encore, que cela aurait pu marcher encore, et j’ai remis la suite à un plus tard que je désespère de voir venir . Il ne me reste que les petits collages qui me servent pour mon courrier.
LE CLAVIER DE JACOB OU L’ORGUE DES FRONTIÈRES
Enfant de choeur, je m’efforçais de donner à ma clochette une sonorité la plus délicatement respectueuse. Dans le scoutisme, j’ai déchiffré le grégorien, m’émerveillant non seulement de la splendeur de certains offices : Noël ou la Semaine Sainte, mais du fait que la partition se déroulait sur une année entière avec variations à chaque reprise dépendant de la mobilité de certaines fêtes et du déplacement des semaines, par rapport aux dates des mois. Tout le bruit de la vie profane était ainsi rythmé, canalisé par la colonnade liturgique.Naturellement, voyageant dans d’autres cultures, je me suis intéressé à leurs calendriers, leurs façons de le colorer et de marquer les alternances.
L’orgue m’impressionnait, ramassant tout l’édifice dans ses tuyaux, l’envahissant d’une façon qu’aucun instrument portatif ne pourra jamais reproduire. On entre dans un vaisseau silencieux, frais ou même froid. La liturgie doit bien continuer quelque part, dans un cloître ou le marmonnement d’un bréviaire, mais elle s’est absentée. Dans l’ombre d’un déambulatoire quelques lumignons témoignent d’une dévotion survivante. Et voilà qu’une lampe s’allume sur le balcon, un étudiant vient s’exercer sur les claviers. C’est comme si des vagues envahissaient les dalles. Les voûtes vacillent. On est encore plus loin du parvis quotidien. Les confidences des jeux subtils vous tiennent cloué. Les frissons s’électrisent. Lors des messes de mariage et autrefois des processions qui se répandaient dans la ville et même les champs alentour, la marche triomphale faisait exploser les vantaux.
Quant au vol des cloches, il souligne le fait que notre ancienne culture confiait à l’église la mesure du temps, comme le montrent non seulement les cadrans extérieurs, mécaniques ou solaires, mais les horloges astronomiques avec leurs défilés de figures qui complètent si heureusement certaines de nos cathédrales.
À chaque gong asiatique, à chaque syllabe du muezzin, à chaque tambour de pueblo, mon enfance remonte avec ses émois et ses doutes, m’adjurant de lui découvrir une liturgie novatrice, libérée des anciennes chaînes, résonnant dans le monde entier avec toutes ses différences.
ENTRETIENS
INSTANTANÉS
en Amérique latine
ARGENTINE
1
La PlataTu réfléchis enseignes et passages
sous le ventilateur immobile
Je nage dans les défilés solitaires
sous les cétacés du plafondJ'attends l'arrivée des ichtyologues
dans mes grands fonds
Tu traverses les vitrines phosphorescentes
de l'incertaine évolution
2
Buenos AiresTu as attendu par curiosité
que le train ait dégagé la vue
Je me suis accrochée au wagon
pour fuir au-delà des frontièresJ'attends qu'arrive un autre train
et qu'il reparte pour très loin
Tu nous diffuseras des messages
depuis ton pays d'accueil ou cachette*
Tu accompagnes de ton déclic
l'humide tango des pompiers
Je ne suis plus qu'une ceinture
dans le virevoltement de la piste
Je cherche à percer vapeurs et fumées
pour trouver les restes des braises
Tu enrobes de flammes noires
ton cavalier brandon élu*
Tu surprends la consolation de l'ibis
sur la désolation des branches
J'essaie d'enrayer l'invasion
quasi fatale des ténèbresJe lave le ciel en vain
de son crêpe de cendres
Tu exorcises la fureur
qui menace tous ces balcons
3
TucumanTu prêtes les ailes du cygne
au cheval qui cherche l'issue
Je tords les hampes des réverbères
pour entrouvrir la geôle des affolementsJ'emprunte sa crinière au cheval
pour permettre l'envol du cygne
Tu incurves les trajets des voitures
pour fournir asile à l'errant
4
TilcaraTu radiographies les capillaires de la pluie
sur la paroi des entrepôts
J'écoute le battement du menu coeur
entre mes bras de géant provisoire
J'ouvre à l'intérieur du ruissellement
une chambre où sécher sa peau
Tu entrelaces la chaleur
avec les bourgeons de tes doigts
5
la QuebradaTu nous élèves saguaros
dans les replis de tes épaules
Je protège les humbles tombes
par mes aiguilles de géantJe fleuris mes épouvantails
d'étoiles une nuit par an
Tu ressuscites les gisants
quelques heures par ton haleine
6
Hauts fourneaux de ZaplaTu foudroies l'antique Sodome
par un poudroiement de bitume ardent
Je reste plus près de la terre
en surveillant mes barres éblouissantesJe fais entendre en cette usine
les malédictions d'aujourd'hui
Tu armes le portier infernal
de fourches gantelets cuirasse
7
JujuyTu salues l'infatigable vagabond
tout son pauvre avoir sur l'épaule
Je me perds dans le grouillement
des jeunes truites sur les moiruresJe marche avec lui dans la poussière
les ampoules me viennent aux pieds
Tu m'offres alors de quoi les tremper
me restaurer désaltérer
8
IguazuTu héberges le papillon
dans la conque de ta main droite
J'admire la mâchoire du crocodile
qui ne claquera plus jamaisJe relâche le papillon
dans l'irisation des cascades
Tu photographies les survenants
dans l'objectif de l'oeil saurien*
Tu tournoies avec les oiseaux
devant les falaises d'écume
J'escalade en contre-courants
les branches des forêts liquidesJ'édifie des citadelles de fraîcheur
au plus agité des soirées torrides
Tu dévales comme un skieur
les gouffres de neige et de verre fondu
BRÉSIL1
Rio de JaneiroTu saupoudres mes palmiers
des sinueuses nacres des plages
Je baigne les tiens palpitants
dans les sueurs de nos lits défaitsJ'incline mes bouquets timides
dans le sel de tes nuits vibratiles
Tu trempes nos draps agités
des langueurs de faubourgs en danse*
Tu te débats contre la vitre
comme une mouche
Je m'étends sous la brume
comme un faubourg marinJe guette le passage
de l'autre cabine suspendue
Tu planes au-dessus de la brume
comme une découpure de montagnes*
Tu éclaires les agrippés
à toutes les tiges du tramway
Je cueille cette grappe humaine
comme dans une vigneJe réussirai bien à bondir
jusqu'au marchepied
Tu happes le frémissement
d'une lumière de bal masqué
2
Ouro PretoTu gravis la pente
jusqu'au sanctuaire flambant
Je bois à ta santé l'apéritif
devant la sainte CèneJ'implore pour toi
les anges métis
Tu offres aux apôtres
les saveurs d'un continent nouveau
3
Mine d'or de MariannaTu fixes les yeux lumineux du rapace
dans la galerie abandonnée
J'écoute le tintamarre
des wagonnets fantômesJe ramasse des pépites illusoires
dans les bassins flous
Tu imagines le rougeoiement des torches
sur le dos des esclaves fouettés
4
BahiaTu presses les vagues des bras nus
sur le bastingage du traversier
Je délègue ma silhouette
vers l'inaccessible améthysteJe pressens dans les muscles des nuages
l'orage de vigueur qui nous délivrera
Tu creuses les cavernes de ton crâne
pour y loger tous les cristaux de tes trouvailles*
Tu épingles parmi les nuages
l'avion qu'acclament les gamins
J'invite la perruche
à venir sur mon doigtJ'essaie d'éclabousser
avec les copains jusqu'aux arbres
Tu soulèves le rideau d'écume
comme la brise
5
BelemTu t'installes près des piles de tes fruits
pour les garder dans ton sommeil
Je les ai fait passer de barque en barque
jusqu'à ton quaiJe prépare ton repos dans l'ivresse
des mûrissements sous les lampadaires
Tu les as transportés de chenal en chenal
entre les îles et les plantations*
Tu transmets les nouvelles du soir
sous la vergue d'un autre bateau
J'en suis encore au plein soleil
à rouler parmi les écaillesJe suis encore en pleine nuit
à me balancer parmi mes projets
Tu diffuses déjà les nouvelles de ce matin
sous les monceaux des récoltes*
Tu te suspends aux rambardes
du siècle passé comme les tapis
J'extrais de la boîte à lait
le serpent nationalJe me faufile entre les pétales
de la suspension
Tu nourris les enfants
sur les carreaux du monstre
6
sur le fleuve GuamaTu me demandes comment se nomment
ces étranges roseaux
Je voudrais bien savoir ce qu'on a voulu me faire entendre
par ces signes de craie sur le billardJe comprends bien que tu ignores autant que moi
le secret de ces tiges
Tu recouvriras d'autres interrogations
celles auxquelles tu ne peux répondre
7
ManausTu étends ton linge
sous les forteresses des urubus
Je médite sur l'avenir du monde
en aspergeant mes orteilsJe cuisine derrière les treillis
dans les rayons horizontaux
Tu apportes les desserts suaves
dans les vestiges de l'école*
Tu dessines ton désarroi
sur le rectangle de tes manques
J'ai laissé mon bateau s'échouer
sur le sable sous le viaduc
J'accumule sous mes arcades sourcilières
l'amertume de mon pays
Tu clapotes avec les enfants dans les flaques
laissées par le fleuve évanoui*
Tu soulèves allègrement dans ta caisse
de quoi soulager nos misères
J'épie dans l'angoisse avec mes soeurs
le client avideJe désire une jeune main
pour serrer ma nuque rasée
Tu voudrais trouver d'autres jeux
pour apaiser les beaux porteurs*
Tu navigues sur le fleuve noir
en attendant les assoiffés
Je patauge
sous les yeux horribles des pontonsJe scande le défilement des rives
avec mes poteaux et flacons
Tu plaques sur le clavier du quai
les dissonances de l'abandon
MEXIQUE1
MexicoTu enroules ton corps soyeux
autour des jambes chamarrées
Je surveille sur le damier
la partie des dames capsulesJe flaire l'odeur des bottes vernies
sur le dallage
Tu reconstitues les élancements du violon
qu'on a rangé dans son étui*
Tu fais un anneau de tes bras
autour du cou de ton père
Je m'efforce de te représenter
débarquant sur un des satellites de SaturneJe voudrais sauter des pyramides ancestrales
jusqu'aux astres qu'elles célèbrent
Tu appelles de tous tes voeux un Christophe Colomb indien
qui redécouvre l'Europe oubliée retour de l'espace
2
PatzcuaroTes jeans semblent plongés
dans la boue des siècles
J'apprivoise le cheval de bronze
sur le capotJe ne suis pas le seul
à étudier cette sculpture
Ton index écrase tes lèvres et ton nez
dans ton envie de rivaliser*
Tu crois accompagner les mariés
dans l'église vide
Je me dis qu'il s'agit plutôt
d'une gare désaffectéeJe m'extasie sur la colonne
et son chapiteau
Tu transformes sans t'en douter
le fer en stuc et bois doré
3
GuanajuatoTu découvres dans l'étalage
des noms de senteurs fabuleuses
Je m'enfonce dans les puanteurs innommées
des tunnels urbainsJe caresse de ma lumière
les épaules des retrouvés
Tu emportes dans ta pénombre
l'écho des adieux murmurés*
Tu conduis ta voiture neuve
jusqu'aux escaliers des fantômes
Je hurle dans mon insomnie
depuis les massacres d'antanJ'appuie mes deux bras invisibles
sur la rampe du palais d'ombre
Tu réveilles dans son horreur
la reine des plateaux bourbeux
4
sur la route de San Miguel de AllendeTu frôles des camions crépusculaires
dans la soie des brindilles bleues
Je tends le filet de mes fêlures
sur le casque de tes plongéesJe m'étire au long des plumes
de notre vitesse
Tu greffes un cil de clair de lune
sur l'aquarium de l'horizon
5
sur la route d'AcapulcoTu franchis désinvolte
un campement de chiffres
J'attends l'invitation
des bavardes serveuses rieusesJe me régale des reflets arides
sur les écriteaux et les rocs
Tu aides à préparer les festins
des gigantesques gueules d'outremer
6
AcapulcoTu vois l'homme en clair
proposant des palaces
Je le démasque renonçant en sombre
aux faramineuses croisièresJe vois la femme en ombre
devant l'aurore marine
Tu la revêts de blanc princesse
éclipsant les stars
7
Tuxla GutierezTu courbes les chapeaux
en profils de guitares
Je fouille les dorures
au jardin des torpeursJe dresse les cheveux
en épines de roses
Tu tresses les pétales des lèvres
en entrées de serrures
8
Canyon de SumideroTu filtres la rudesse du paysage
dans les songes de ta bergerie
J'engrange du miel céleste
pour tes nuitsJe cherche ma voix égarée
dans l'oreille interne des montagnes
Tu accordes les clefs
des harpes de l'abîme
9
TexcocoTu mets au centre de l'image
la croix brodée sur la cravate
Je préfère le croisement des piques obliques
devant le quadrillage des parpaingsJe suis fascinée par les ongles
de cette main gauche près de la poignée
Tu ne peux détacher les yeux
de ces broderies et de ces boutons
10
San Cristobal de las CasasTu n'oublies ni le pilier métallique
ni la hauteur des murs marbrés
J'attrape le rire des enfants
sur le socle en penteJe n'oublie ni le panier gonflé
ni les franges battantes
Tu attires mon attention sur le balcon
semblable à une poule devant les touffes d'herbe
11
AhuatempanTu disposes les assistants
le long des vagues des guirlandes
Je construis un arc triomphal
avec les immenses glaïeulsJe saisis l'instant où les bouteilles des enfants
deviennent instruments à vent
Tu répercutes les silences
de ceintures en cols et rubans
Ça y est j’ai donc quatre-vingts ans
depuis si longtemps qu’on en parle
j’en étais à me demander
si cela viendrait bien un jour
mais c’est dans le calendrier
d’accord avec la date inscrite
sur ma carte d’identité
j’entame une autre décennie
me demandant ce qui m’attend
dans ces aventures d’automneNous nageons dans nos souvenirs
comme ils sont devenus glissants
ils nous narguent de plus en plus
perchés sur le bout de la langue
cela nous reviendra peut-être
le voici mais il est trop tard
il faut le remettre en mémoire
c’est comme de longs corridors
où la poussière s’amoncelle
tandis que les lampes vacillentQuand j’étais un jeune moi-même
je n’imaginais pas durer
jusqu’à cette borne lointaine
je me représentais un peu
les quelques années les plus proches
toutes maculées de questions
de peurs et d’espoirs agités
plus loin c’était l’obscurité
de plus en plus profonde avec
l’agrandissement des soucisC’est comme un palais de miroirs
à chaque décennie on veut
comparer ce qui s’est passé
avec ce qu’on avait rêvé
ou craint et puis la fois suivante
un nouveau passé se combine
avec les anciens avenirs
dans un feuillettement sans fin
les pieds enfoncés dans un siècle
la tête émergeant dans un autreS’agit-il d’un quatrième âge
on parle beaucoup du troisième
qui commence avec la retraite
mais les deux autres sont plus flous
le premier la petite enfance
mais le second y entre-t-on
dès les premiers pas à l'école
pour continuer dans les méandres
des adolescences violentes
jusqu’aux contraintes des métiersOn est d’abord seulement fille
ou fils puis on devient parent
ou l’on reste célibataire
pris entre deux générations
prochaine étape grand-parent
jusqu’à ce que petits-enfants
deviennent des parents eux-mêmes
et les enfants des grands-parents
nous refoulant dans les arrières
pour admirer la descendanceComme ils sont beaux comme ils sont souples
ils peuvent s’asseoir en tailleur
dans les restaurants japonais
comme ils savent sauter courir
soulever des poids et frapper
comme leurs yeux percent la brume
comme leurs oreilles sont fines
ils apprennent comme en se jouant
les langues les plus difficiles
virtuoses des ordinateursOnt-ils moins d’illusions que nous
ils nous communiquent les leurs
ils croient que nous avons gardé
dans le fin fond de nos greniers
des secrets qu’ils feront fleurir
pour résoudre tous leurs problèmes
trop tard pour nous qui leur léguons
dans chaque strophe quatre-vingts
syllabes et quatre-vingts vers
dans ce poème anniversaire
Il vaudrait mieux être modeste
ne pas garder trop d’illusions
du côté réalisation
on ne peut ne pas tenir compte
des menaces qui se rapprochent
à l’extérieur à l’intérieur
il faut prendre des précautions
surveillez bien votre tension
pas trop de graisse ni d’alcool
et du confort dans l’aventureNous sommes gardés tout autour
par une armée de médecins
celui des yeux celui des pieds
du coeur de la peau des oreilles
du bas-ventre de l’entre-jambes
des allergies des dents des veines
sans compter le généraliste
qui supervise plus ou moins
et nous recommande toujours
d’équilibrer l’activitéEssayons donc d’organiser
les mois et les années qui viennent
nous verrons bien quand il faudra
trancher le plus commodément
dans ce qui restera de vif
c’est un programme en pointillés
comme ces dessins pour enfants
qu’il faut aider à découper
puis à coller pour fabriquer
des maquettes un peu bancalesD’abord il faudrait tout revoir
ce sera forcément nouveau
quartiers rasés puis reconstruits
tant bien que mal et les anciens
monuments parfois restaurés
on voit ce qu’on ne pouvait voir
on ne voit plus ce qu’on voyait
des rhinocéros de titane
ont allègrement délogé
les dinosaures de bétonMais il faudrait aller aussi
vers ce qu’on n’a jamais connu
tout l’entre-deux d’où seuls émergent
quelques souvenirs isolés
entre les rues que j’ai connues
dans mon enfance parisienne
et dont je vois les changements
que d’autres où je n’ai jamais
mis les pieds malgré les beautés
que je découvre dans les livresEntre deux villes tellement
d’autres entre lesquelles court
la campagne avec ses villages
ses prés ses forêts ses montagnes
le filet des rails et des routes
ne m’a permis d’en parcourir
que quelques bobines de fil
aussi tout le reste m’appelle
viens me voir avant que je change
regarder comment je me changeEntre deux pays leurs voisins
leurs concurrents leurs autres faces
avec religions controverses
révolutions révélations
leurs langues gestes politesses
histoires et littératures
leurs musiques et nourritures
entre deux continents les îles
la mer où fondent les banquises
entre deux planètes l’espaceTout relire et tout réentendre
sans oublier de lire encore
et d’écouter le plus récent
et le plus nouveau de l’ancien
sûr qu’on n’y arrivera pas
et il nous faudrait tant de temps
pour prévoir intelligemment
qu’il vaut mieux se laisser guider
par le flair et les circonstances
dans la vieillesse inachevée
LES CHARMEUSES DE SERPENTS
PETIT ORCHESTRE PORTATIF
LA MAIN AU PINCEAU
LE CLAVIER DE JACOB OU L’ORGUE DES FRONTIÈRES
ENTRETIENS INSTANTANÉS :
ARGENTINE
BRÉSIL
MEXIQUE
ANNIVERSAIRE (3)
PROJETS D’AVENIR